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RÉNOVATION URBAINE
À HO CHI MINH VILLE
Impact social inattendu d’un projet
d’infrastructures
Janvier 2014 / n° 002
Points saillants
› Innovant, le projet d'assainissement du canal Tan Hoa Lo Gom à Ho Chi Minh Ville
entendait agir sur plusieurs volets dans un territoire limité plutôt que de se focaliser
sur un volet « infrastructures » dans l'ensemble de la ville.
› Pour la première fois, un projet de logements sociaux a mis en place au Vietnam un
mécanisme de financement pour l'exploitation et l'entretien durables des bâtiments.
Les résidents gèrent et entretiennent eux-mêmes les immeubles d'appartements,
en instaurant leurs propres conseil d'administration et règlements.
› Le renforcement des capacités et le renforcement institutionnel s'avèrent être des
concepts de grande valeur qui méritent d'être pris en compte dans l'aide publique
au développement, et ce, même si les résultats à court terme ne sont pas toujours
tangibles.
› Le projet semble avoir eu un impact significatif sur les autorités locales. Le projet
a largement amélioré l'interaction entre les résidents et les autorités locales.
› Un projet « infrastructures » peut avoir un impact bien plus large que prévu. Le pro-
gramme de relogement a permis aux habitants de la ville de passer de bidonvillois
sans quasiment le moindre statut légal à résidents-propriétaires officiels.
Projet d’assainissement
du canal Tan Hoa Lo Gom
(THLG)
Le lancement du projet THLG avait pour
principale motivation la gestion des eaux
extrêmement polluées du canal. Au dé-
but du 20e
siècle, le canal Tan Hoa Lo
Gom était encore une voie fluviale impor-
tante qui reliait le sud de Ho Chi Minh
Ville au delta du Mékong. Mais il a pro-
gressivement perdu de son importance
au fil de l’urbanisation croissante de la
ville et de la montée en puissance du
transport routier. Les déchets industriels
et ménagers ont entraîné une dégrada-
tion de l’environnement dans et autour
du canal, tandis que des bidonvilles den-
sément peuplés ont fait leur apparition
sur ses berges, voire sur le canal même.
Vu l’absence ou l’insuffisance de sys-
tèmes de collecte, les déchets (solides)
se retrouvaient régulièrement dans le
canal. Les bidonvilles n’étaient, pour la
plupart, pas raccordés aux infrastruc-
tures de distribution d’eau et d’assainis-
sement, ni même au réseau électrique.
Les ménages vietnamiens se classent en
quatre catégories, des citoyens perma-
nents officiels (KT1) aux immigrés possé-
dant des permis de résidence temporaire
(KT4), chacune de ces catégories ayant
différents droits et obligations. Certaines
catégories sont même soumises à cer-
taines restrictions, telles que l’accès aux
services publics de base. Dans la zone
entourant le canal THLG, quelque 42 %
des ménages avaient le statut le plus dé-
favorable (KT3 et 4)1
et certains ne figu-
raient même pas dans les registres. Bon
nombre des logements informels bor-
dant le canal étaient considérés comme
des bidonvilles, conformément à la défi-
nition de l'ONU2
. En 2002, le Land and
Housing Department a identifié 150.000
logements à bas prix, dont 93.000 en pi-
teux état, situés dans des zones ciblées
par la rénovation, et 25.000 empiétant
sur les canaux urbains.
Le projet avait pour ambition de s'atta-
quer aux problèmes dans leur globalité,
tout en faisant participer la population
et en tenant compte des activités socio
économiques à l'origine de la pollution.
Les bidonvilles de jadis se sont donc progressivement mués en zone résidentielle tout en préservant néanmoins
les contacts sociaux intenses. Photo : © CTB / Jan Van Lint
1 | PMU 415 (2001) Monitoring of resettlement and
urban impact – Baseline survey
2 | UNESCAP (2003) Overview of the state of imple-
mentation of Agenda 21 and JPOI in the human
settlements in Asia and the Pacific, Bangkok,
octobre 2003
2. 2
RÉNOVATION URBAINE À HO CHI MINH VILLE
Introduction
Suite aux réformes politiques et économiques (Doi Moi) lan-
cées en 1986, le Vietnam a évolué, passant du statut d'un
des pays les plus pauvres au monde à celui de pays à revenu
intermédiaire. En moins de 25 ans, le revenu par habitant y a
décuplé. À partir du début des années 1990, le Vietnam a pu
compter non seulement sur une augmentation des investis-
sements directs étrangers, mais aussi sur une aide publique
au développement (APD) considérable. Ho Chi Minh Ville (qui
comptait 5 millions d’habitants en 1996) a demandé l'aide de
la communauté internationale pour résoudre ses problèmes
de pollution et de pauvreté le long de ses canaux. Un appel
auquel les principaux donateurs, comme la Banque mondiale,
la Banque asiatique de développement (BAD) et le Japon,
ont répondu présents. La Belgique a, elle aussi, contribué à
l’effort : de 1998 à 2006, elle a offert 20 millions d’euros, une
somme destinée à relever les défis sociaux ainsi que ceux liés
à l'environnement et au logement le long du canal Tan Hoa Lo
Gom (THLG), le plus pollué des cinq grands canaux de Ho Chi
Minh Ville.
À sa clôture en 2006, le projet THLG appuyé par la Belgique a
été considéré comme une véritable réussite, étant donné que
la majorité de ses objectifs avaient été atteints. En 2012, un
expert du Koninklijk Instituut voor de Tropen (KIT) d'Amster-
dam s'est rendu au Vietnam pour conduire une évaluation in-
dépendante de l'impact à long terme du projet. Diverses par-
ties prenantes, dont les bénéficiaires, les autorités locales et le
personnel du projet, ont été réunies afin d'échanger leurs opi-
nions et de rechercher des indicateurs d'échec et de succès,
quelque six années après la clôture du projet. Les résultats de
cette réunion font précisément l'objet du présent document.
Priorités et résultats
Le projet a mis l'accent sur toute une série de « pilotes » dans
l'une des zones inondables situées dans l'ancien District 6
densément peuplé. En termes d'infrastructures, des activités
de rénovation urbaine ont été effectuées (p. ex., bétonnage
de ruelles, éclairage public, réseaux d'approvisionnement
en eau potable et d'égouttage) et des logements sociaux de
même que des systèmes de collecte et de traitement des
eaux usées et des déchets solides ont été mis en place. En
ce qui concerne le volet dit « soft », le projet a investi dans le
renforcement des capacités et dans des activités génératrices
de revenus.
Ramassage des déchets
Le projet a contribué à la réorganisation, en 4 quartiers,
de la collecte des ordures. Cela s'est soldé par un ramas-
sage plus efficace et rapide, ainsi que par une hausse de
salaire pour les éboueurs. Un petit centre de transfert des
déchets solides, conçu pour traiter 72 tonnes de déchets
par jour, a vu le jour à Ba Lai. Après le tri des déchets en
vue de leur recyclage, le reste était acheminé, de nuit, par
conteneurs vers la décharge située en dehors de la ville. La
forte densité des déchets rendait superflu tout compactage
et permettait l'acquisition de matériel moins onéreux, tout
en limitant les odeurs et les fuites par comparaison avec un
système de compactage.
D'une superficie de 30 ha, une station d’épuration des eaux
usées recourant à la technologie du lagunage aéré a été
construite dans le quartier de Binh Hung Hoa. Elle affiche une
capacité de traitement des eaux usées de quelque 120.000
habitants. Comparée aux systèmes classiques de traitement,
elle s'est avérée une solution alternative bon marché et effi-
cace (investissement estimé à 27 €/habitant) aux effets se-
condaires réduits (niveaux sonores et d'odeurs acceptables).
Il n'y a jamais eu de plaintes concernant une augmentation
du nombre de moustiques. Au départ, le site se situait à la
périphérie de la ville, mais il est à présent entouré d'habita-
tions récemment construites. Par conséquent, la ville bénéfi-
cie ainsi d'un espace vert rare et d'un parc.
Bidonvilles densément peuplés le long du canal Tan Hoa Lo Gom à Ho Chi Minh Ville (avant le démarrage du projet).
Photo : © CTB
3. 3
Rénovation urbaine
Le projet THLG a permis de rénover une zone urbaine d'en-
viron 1 ha qui subissait de sérieuses inondations au moins
cinq fois par an. Des systèmes d'évacuation des eaux ont été
construits, les ruelles ont été pavées, l'éclairage public a été
installé et les habitations ont été raccordées aux réseaux de
distribution d'électricité et d'eau, et ce, à faible coût (seule-
ment 210 € par ménage).
Afin de fluidifier l'écoulement de l’eau, d'empêcher les inon-
dations et de faciliter le transport fluvial, des plans ont été
élaborés en vue de remodeler le canal sur une distance de 300
mètres, y compris des investissements dans la construction
de berges, de routes et de ruelles. Ils impliquaient toutefois
aussi de relocaliser certains ménages. Si les terrains étaient la
propriété des pouvoirs publics et que, dès lors, les décisions
concernant la planification, les logements et la construction
d'infrastructures étaient prises de façon centralisée, les au-
torités municipales ont néanmoins exprimé leur réticence à
agir sans l'assentiment des habitants et ont souhaité offrir une
compensation à l'ensemble des ménages impactés par ces
plans. Le projet THLG a offert diverses solutions : les habi-
tants pouvaient soit acheter un appartement in situ, soit faire
l'acquisition d'une parcelle dans une zone dite de « sites et
services », réservée à cet usage dans le quartier de Binh Hung
Hoa, adjacent à la lagune aérée, à 8 km de distance. Cette
zone a permis le développement de logements soignés en
front de la lagune et des parcs et espaces publics environ-
nants. Les services en question comprenaient des systèmes
d'évacuation des eaux, des routes pavées, des raccorde-
ments aux réseaux d'approvisionnement en eau et en élec-
tricité, et aux égouts, ainsi qu'un accès à une école primaire.
Vu que la réalisation des infrastructures a pris plus de temps
que prévu, les habitants impactés ont également pu opter
pour une compensation financière à la place. Ils ont été quelque
5 % à choisir cette troisième option, la plupart de ceux-ci
ayant quitté la zone. Nul ne sait si leur situation s'est améliorée
ou non.
Les appartements in situ ont été regroupés dans des im-
meubles de trois étages, conçus en concertation avec leurs
futurs utilisateurs. Le site a prévu des terrains de jeux ouverts
et des zones vertes semi-publiques. Il a de même intégré un
parking à motos, un marché de petites échoppes, une maison
communautaire ainsi qu'un ponton à bateaux le long du canal.
Aucun ascenseur onéreux n'a été nécessaire, vu le nombre
limité d'étages dans les immeubles. Cela a permis aux rési-
dents de vivre à un niveau proche de celui de la rue, ce qui est
très pratique pour leurs activités économiques. En raison de
leur taille plus réduite (32-53 m²), ces appartements étaient de
30 à 40 % moins chers que d'autres projets de relogement.
Ceci étant, une habitation dotée d'électricité, d'un accès per-
manent à l'eau et de toilettes représentait une solide amélio-
ration pour la plupart des ménages. Un tirage au sort a été
organisé pour les résidents ayant choisi de déménager vers
les appartements in situ, de sorte à déterminer quel apparte-
ment serait attribué à quel résident. Début 2005, les 72 appar-
tements étaient tous occupés.
Accès au crédit et épargne
L'accès au crédit a toujours été considéré par les habitants vi-
vant le long du canal comme un obstacle majeur au développe-
ment. Le coût de la vie en milieu urbain était bien plus élevé que
celui en milieu rural, en particulier pour les résidents non enre-
gistrés qui n'avaient pas accès aux services de base. Le projet
THLG a offert des crédits à faibles taux d'intérêt pour rénover
les maisons et installer des fosses septiques ; il a de même
octroyé des subventions incitatives en vue de compenser les
coûts d'installation de compteurs d'eau et d'électricité. Un pro-
jet d'amélioration de l'habitat a permis aux résidents de trans-
former leurs logements improvisés en bâtiments en briques.
Lagune aérée de purification d'eau le long du canal Tan Hoa Lo Gom à Ho Chi Minh Ville.
Photo : © CTB
4. 4
RÉNOVATION URBAINE À HO CHI MINH VILLE
La gestion constante des conflits d'intérêts entre les diffé-
rentes autorités et les résidents a été le défi majeur qu'a dû
relever la PMU 415. Nonobstant le plein soutien des hauts
fonctionnaires du Comité Populaire de la ville de HCM (HCMC
Peoples’ Committee), les fonctionnaires de district et de quar-
tier étaient, quant à eux, assez réticents. Ces derniers éprou-
vaient du ressentiment face aux salaires et à l'autonomie dont
bénéficiait le personnel du projet, au point de surnommer ce
dernier « projet VIP ».
Certains départements avaient pour priorité de se débarrasser
des bidonvilles, car ils souhaitaient l'élargissement du canal et
la construction sur ses berges de larges axes routiers ( 4 m), ce
qui nécessitait une réinstallation de grande envergure. Comme
l'ont toutefois démontré des programmes similaires menés
dans le Sud-Est asiatique, des activités d'amélioration des bi-
donvilles peuvent se solder par un phénomène d'embourgeoi-
sement. Les résidents les plus démunis sont déplacés et tenus
à l'écart par des familles plus à même de payer des loyers plus
élevés et des taxes, ou d'acquérir un bien immobilier. Les com-
merces en mesure de débourser ces loyers plus élevés servent,
en outre, une clientèle plus aisée, ce qui, à son tour, séduit les
migrants aux revenus plus conséquents, tout en réduisant l'ac-
cessibilité aux plus défavorisés. Les propriétaires-occupants
incapables de payer les taxes sont souvent contraints de vendre
leur maison et d'emménager dans des zones meilleur marché.
En principe, l'embourgeoisement plaît aux autorités, parce qu'il
s'accompagne de nouvelles opportunités et de nouvelles res-
sources potentielles ; à court terme, cependant, il ne constitue
pas un bénéfice pour les résidents concernés.
Une équipe de travailleurs sociaux a été recrutée entre 2001
et 2006 en vue de gérer ces tensions. Elle avait pour mis-
sion de mieux appréhender les différents besoins et attentes
Les nouveaux immeubles de trois étages ont été conçus en concertation avec leurs futurs occupants.
Photo : © CTB / Jan Van Lint
En 2000, un programme de microcrédit et d'épargne à taux
d'intérêt modérés a été mis en place dans l'optique d'accor-
der de petits prêts pour des activités alternatives génératrices
de revenus. La garantie reposait sur le remboursement soli-
daire de tous les montants dus par les membres du groupe
(composé majoritairement de femmes). Ce programme offrait
des prêts sans intérêts pour l'éducation des enfants et les trai-
tements médicaux. Il comprenait de même un volet « épargne »,
qui a connu un fort succès comparé aux programmes de mi-
crocrédit dans les zones rurales au Vietnam. Le programme
s'est avéré être un instrument important pour améliorer la
communication et instaurer la confiance entre le personnel du
projet et les résidents. Il a joué un rôle significatif en permet-
tant l'autonomisation des bidonvillois devenus ainsi des pro-
priétaires et des épargnants.
Prise de décisions et gestion
La gestion journalière du projet relevait de la responsabilité de
la Project Management Unit 415 (PMU 415), dans le respect de
la tradition consistant à désigner une PMU pour chaque projet
de la Ville. La PMU 415 se composait de membres du person-
nel vietnamien à temps plein (ingénieurs, architectes...), pour
la plupart détachés de l'administration de la Ville, ainsi que de
quelques experts belges long terme. La PMU avait pour mission
d'élaborer et de mettre en œuvre des projets pilotes approuvés
par un Comité de pilotage présidé par l'autorité suprême de la
Ville. Des fonds ont été mis à disposition en vue d'engager de
l'expertise additionnelle vietnamienne et étrangère. Afin de pro-
poser des solutions appropriées, mais aussi de pointe, la PMU
s'est assurée d'une expertise et de compétences aux quatre
coins du monde à travers, d'une part, l'invitation d'experts à Ho
Chi Minh Ville et, d'autre part, des visites à l'étranger effectuées
à la fois par le personnel de la PMU et les autorités de la Ville.
5. 5
de l'ensemble des parties, et d'encourager la réflexion et la
négociation sur les aspects socioéconomiques de la rénova-
tion urbaine. Au départ assez méfiants, les résidents croyaient
que l'équipe sociale était « du côté du gouvernement » ; la
confiance et la communication se sont néanmoins rapidement
améliorées, en particulier après le lancement du programme
d'épargne et de crédit. Une grande attention a été accordée
à une communication permanente dans l'ensemble des diffé-
rents projets pilotes. Cependant, les projets pilotes d'investis-
sements se sont parfois soldés par des solutions sortant des
normes ou habitudes nationales, comme des appartements de
plus petite taille afin de rendre leur prix abordable. Combinés
aux nombreux organismes administratifs impliqués dans le
processus d'approbation, y compris à l'échelon national, ces
facteurs ont constitué une entrave à la prise de décisions en
toute connaissance de cause et ont occasionné des retards.
Durabilité et impact
Infrastructures
En 2012, lors de sa visite aux projets pilotes d'investissement
dans le District 6, l'expert a pu constater que les infrastruc-
tures étaient toujours en bon état. Le site de logements à bas
prix avait même meilleur aspect qu'auparavant. Les résidents
ont en outre signalé que le nouvel environnement avait un
impact positif sur leur santé, même s'il est difficile d'étayer
leur affirmation par des données chiffrées. Si l'approche de
rénovation à bas prix des bidonvilles était inédite au Vietnam,
l'expérience positive du projet THLG a permis à la Banque
mondiale de convaincre les autorités locales d'approuver le
Vietnam Urban Upgrading Project, un vaste programme de
rénovation de zones urbaines à faibles revenus basé sur une
approche similaire.
Le relogement des habitants dans des immeubles de trois
étages semble être le programme qui a remporté le plus de
succès. La principale amélioration, selon les nouveaux rési-
dents, était l'absence d'inondations, et ce, malgré les fortes
averses saisonnières et la pollution du canal tout proche. De
plus, ils appréciaient l'air frais aux étages supérieurs. Seuls 13 %
des premiers occupants avaient déménagé fin 2012, ce qui
est très peu comparé au taux de près de 90 % de déména-
gements des autres programmes de relogement dans la Ville3
.
La première raison avancée par les locataires qui étaient néan-
moins partis, était leur incapacité à rembourser leurs prêts.
Les appartements étaient propres et joliment décorés, ce qui
explique aussi que leur valeur ne cesse d'augmenter. Un des
gérants des immeubles estimait même que le quartier n'était
plus un bidonville, mais était devenu une zone résidentielle,
à l'instar d'un petit hameau, où avait toutefois été préser-
vée l'ambiance de l'ancien quartier, fait de petites ruelles et
d'unités individuelles où de nombreux contacts sociaux se
nouaient. La plupart des ménages ayant emménagé dans les
appartements à haut plafond ont doublé virtuellement leur es-
pace en aménageant des mezzanines ; d'autres ont construit
des cuisines et des chambres à coucher dans les couloirs, et
d'autres encore y ont établi de petits business. Certains se
sont plaints du manque d'espace et de la promiscuité (cou-
loirs ouverts), et un des résidents a fait remarquer que, du
fait du toit en saillie, l'immeuble ressemblait à un stade. Ceci
étant, toutes les personnes interviewées s'accordaient à dire
qu'elles étaient bien mieux loties qu'auparavant.
Pour la première fois, un projet de logements sociaux a mis
en place au Vietnam un mécanisme de financement pour
l'exploitation et l'entretien durables des bâtiments : les rési-
dents gèrent et entretiennent eux-mêmes les immeubles d'ap-
partements, en instaurant pour ce faire leurs propres conseil
d'administration et règlements. Ils mettent les espaces publics
en location pour des événements (fêtes de mariage, par ex.)
et comme emplacements de parking. Les revenus ainsi gé-
nérés leur permettent de payer trois concierges ainsi que de
petites réparations, et de se constituer une épargne (+ 2000 $
en 2012). Exception faite de leurs suggestions et préférences
quant aux candidats gérants, les autorités locales ne se mêlent
pas vraiment de la gestion.
Le projet THLG avait prévu la construction d'autres immeubles
de trois étages, mais la ville a privilégié celle d'immeubles de
12 étages, au motif que la dispersion plutôt que la concentra-
tion des habitants se traduisait par une perte considérable de
précieux terrains. En 2012 cependant, le contraste entre un
immeuble de 12 étages inachevé et inoccupé, construit juste
à côté des immeubles plus bas, propres et animés du projet
THLG, était plus que frappant. Il n'était en outre pas clair si la
construction en rade reprendrait un jour ou non.
Par ailleurs, 40 % des bidonvillois ayant emménagé dans la
zone de logements « sites et services » ont cédé la place à des
Le programme de relogement a permis aux habitants de la ville de passer de bidonvillois
sans quasiment le moindre statut légal à résidents-propriétaires officiels.
Photo : © CTB / Benoît Legrand
3 | Wust, S. (2001) Métropolisation, habitat précaire et relogement forcé : entre phénomènes
d’exclusion et tactiques populaires d’intégration, Ho Chi Minh Ville, thèse de doctorat,
Lausanne
6. 6
ménages plus aisés. En cause, surtout, la baisse de leurs reve-
nus, les nouveaux logements étant bien plus éloignés de leurs
marchés et réseaux commerciaux existants. Il semble donc
que l'approche « sites et services » convient davantage à ceux
bénéficiant d'un emploi stable qu'aux petits commerçants.
Le petit centre de transfert des déchets de Ba Lai est bien en-
tretenu par les autorités du district et la collecte des déchets
semble bien organisée. Satisfaites de ce centre de transfert,
les autorités du District 6 ont construit un deuxième centre
similaire. La lagune d'épuration est toujours opérationnelle,
même si elle nécessite quelques travaux d'entretien. Le sys-
tème ne peut néanmoins traiter les eaux usées des autres bi-
donvilles en aval et, tôt ou tard, les autorités seront contraintes
de le remplacer par un système plus étendu, capable de trai-
ter les eaux de l'ensemble du bassin. Il est à espérer qu'à plus
long terme, le site fera office de poumon vert du centre-ville.
Les résidents
Pour bon nombre des résidents interrogés, une des principales
réalisations du projet a été l'amélioration du statut des anciens
bidonvillois. Ho Chi Minh Ville a non seulement accordé une
compensation à tous les résidents, même s'ils ne possédaient
pas de titres de propriété ni même de permis de résidence
(statut KT), mais le programme de relogement a aussi permis
aux habitants de la ville de passer de bidonvillois sans quasi-
ment le moindre statut légal à résidents-propriétaires officiels.
La régularisation des résidents illégaux a permis à ces derniers
d'accéder eux aussi aux services publics. Suite à la fourniture
d'électricité et d'eau courante dans la zone de rénovation, les
résidents ont pu acquérir le statut résidentiel KT1 ou KT2.
Le système de crédit et d'épargne est resté opérationnel et
le nombre d'adhérents a continué à augmenter, même après
la fin du projet, et ce, en dépit de la non-implication des ins-
titutions financières formelles. Cela démontre qu'il répondait
à un besoin bien réel. Les assemblées annuelles sont organi-
sées par les personnes chargées d'analyser les résultats et de
rechercher les meilleurs rendements financiers.
RÉNOVATION URBAINE À HO CHI MINH VILLE
Les autorités
Le projet semble avoir eu un impact important sur les autorités
locales. En dépit ou justement grâce aux nombreuses discus-
sions, les autorités du District 6 se sont finalement déclarées
très satisfaites des résultats. Le projet a largement amélioré
l'interaction entre les résidents et les autorités locales. Au point
qu'un haut fonctionnaire du District 6 a décrété que son succès
était un exemple et un modèle à suivre pour la ville, étant donné
qu'il s'agissait du premier projet de rénovation de Ho Chi Minh
Ville ne suscitant pas de plaintes dans le chef des habitants.
L'impact au niveau du département municipal est moins
évident. Le People’s Committee (Comité populaire) de la ville,
les départements, les autorités des districts et des quartiers, et
les entreprises de services urbains ont des avis partagés sur
le projet d'appartements, ceux-ci allant des éloges à l'incom-
préhension, voire au rejet pur et simple. Certains hauts fonc-
tionnaires municipaux ont indiqué que la décision de ne cibler
qu'un nombre limité de ménages constituait un changement
d'orientation majeur. La plupart d'entre eux, toutefois, esti-
ment qu'il est plus approprié et plus rentable de construire des
immeubles plus grands. C'est d'ailleurs le point de vue qui a
été adopté par le Vietnam Urban Upgrading Project (VUUP),
une initiative à bien plus grande échelle financée par la Banque
mondiale dans quatre villes pilotes. À Ho Chi Minh Ville, le
VUUP a ciblé cinq bidonvilles bordant le canal THLG. Début
2009, les expériences du projet THLG ont été analysées et éva-
luées, mais, en fin de compte, la Banque mondiale a tout de
même fini par accepter la réinstallation de 2 000 ménages dans
des tours d'appartements dans les banlieues, et ce, malgré les
défaillances avérées de ce type de projets de relogement.
Certains fonctionnaires ont critiqué la remise des projets pi-
lotes d'investissement, déplorant les lacunes au niveau de la
Le projet a également engrangé des résultats inattendus, tels un statut amélioré pour
les résidents et une meilleure interaction entre les autorités et la population.
Photo : © CTB / Jan Van Lint
Les travailleurs sociaux ont joué un rôle clé en termes de création d'un climat de confiance
entre le projet et les parties prenantes. Photo : © CTB / Jan Van Lint
7. 7
préparation tant des fonctionnaires que des bénéficiaires, de
la clarification des attentes et rôles à remplir, et du transfert
des logiciels et des enseignements tirés. Le principal pro-
blème semblait être le manque d'informations des agences
impliquées et les échanges de données techniques.
L'expertise
La PMU 415 a induit un certain nombre d'innovations au ni-
veau du gouvernement, telles que l'obligation de mener des
enquêtes sociales préliminaires et la création d'un comité in-
teragences de compensation et de réinstallation. La nécessité
de conduire des enquêtes sociales et de mener des négocia-
tions avec les résidents locaux a également été intégrée aux
nouveaux projets financés par la Banque mondiale. S'il avait
été prévu que certains des membres du personnel de la PMU
415 rejoindraient le projet VUUP, cela ne s'est finalement pas
fait, en raison, principalement, de leurs difficultés à s'adapter
à l'approche centralisée et plus rigide.
Sur la bonne trentaine de membres du personnel déjà im-
pliqués dans la PMU 415, ils sont plusieurs à occuper
aujourd'hui des positions élevées au sein de différentes
institutions (p.ex., Ho Chi Minh Ville, universités, ONG, asso-
ciations...) ou en tant que consultants. Ce sont les défenseurs
les plus ardents du projet, dont ils ont intégré les expériences
dans leurs nouvelles fonctions. Les membres de la PMU 415
et l'équipe sociale ont éprouvé le besoin de mieux documen-
ter les résultats à travers une enquête plus approfondie et de
partager les enseignements tirés du projet, notamment avec
les autorités.
L'approche holistique du projet THLG a aussi suscité l'intérêt
du monde universitaire et fait l'objet de plusieurs thèses de
maîtrise et de doctorat dans des universités vietnamiennes,
belges et américaines. Cette expérience pilote est désor-
mais intégrée à trois cursus universitaires (HCMC Polytech-
nic, l'UCL et la Texas AM University), et a été au centre des
débats lors de plusieurs conférences internationales (Nations
Unies, New York, en 2008 ; ISOCARP, Anvers, en 2007 ;
Manille en 2012).
L'approche dite « sites et services » a permis le développement de logements soignés en front de la lagune et des parcs et espaces publics environnants.
Photo : © Kelly Shannon
Conclusion
Aux yeux des non-initiés, le projet THLG, qui a bénéficié d'un
appui belge pendant plus d'une décennie, est un projet d'infras-
tructures qui a engrangé des résultats tangibles. Six ans après la
clôture du projet, les infrastructures sont toujours opérationnelles
et en relativement bon état. Le projet a finalement eu un impact
bien plus large que prévu et a produit des résultats inattendus,
dont une amélioration du statut des résidents, des mécanismes
durables d'exploitation et d'entretien, une meilleure interaction
entre les autorités et la population, et le renforcement des capaci-
tés à différents niveaux. Il a certainement démontré que le renfor-
cement des capacités et le renforcement institutionnel s'avèrent
être des concepts de grande valeur qui méritent d'être pris en
compte dans l'aide publique au développement, et ce, même si
les résultats à court terme ne sont pas toujours tangibles.
Le projet était aussi innovant, au sens où il entendait agir sur plu-
sieurs volets dans un territoire limité plutôt que de se focaliser sur
un volet « infrastructures » dans l'ensemble de la ville. Si, comparé
à celui d'autres donateurs, l'appui belge au projet était modeste,
il était, selon les critères belges, assez conséquent. Comme il
s'agissait d'une subvention, il pouvait toutefois être utilisé diffé-
remment. Tous les projets pilotes d'investissement ont fait l'objet
d'un développement participatif, ont bénéficié d'un échange
entre pairs et se sont fondés sur des études et des recherches.
Si cette approche a engendré des retards à ses débuts, les par-
ties prenantes ont, depuis, porté leur attention surtout sur les
résultats atteints. Les expériences positives des projets pilotes
d'investissement n'étaient toutefois pas une garantie de diffusion
à large échelle. Mais elles ont à tout le moins amené de l'eau au
moulin, tandis que l'approche s'est clairement révélée plus apte
à protéger les intérêts des pauvres lors de leurs confrontations
avec certaines autorités et leurs intérêts catégoriels.
Il est assez rare que la Coopération belge au développement pro-
cède à une évaluation à long terme des résultats et de l'impact
d'un projet. Le présent exercice s'est toutefois avéré relativement
simple et peu onéreux à effectuer, et a fourni des enseignements
ne pouvant pas toujours être tirés durant l'exécution même. Enfin,
il a aussi illustré la relativité des évaluations se résumant à une
liste stricte d'indicateurs définis au démarrage du projet.
8. Références
Anh, L.D., Legrand, B. Van Lint, J. (2007) Tan Hoa Lo Gom – building a new life 43rd
ISOCARP congress
2007.
PMU 415 (2001) Monitoring of resettlement and urban impact – baseline survey
UNDESA (2003) Overview of the state of implementation of Agenda 21 and JPOI in the human settlements
in Asia and the Pacific, Bangkok, octobre 2003
Wust, S. (2000) Métropolisation, habitat précaire et relogement forcé: entre phénomènes d’exclusion et
tactiques populaires d’intégration, le cas du canal Nhieu Loc-Thi Nghe à Ho Chi Minh Ville, au Vietnam.
Thèse de doctorat ès sciences, Institut de Recherche sur l’Environnement Construit, Lausanne.
La CTB, l’agence belge de
développement, appuie et encadre
des programmes de développement
pour le compte de l’État belge
et d’autres donneurs d'ordre.
Rue Haute 147
1000 Bruxelles, Belgique
T + 32 (0)2 505 37 00
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Ont contribué à cette publication
Benoît Legrand, Le Dieu Anh,
Dinh Thi Le Nga, Jan Van Lint
(PMU 415), Gérard Baltissen,
Martijn Ter Heegde (KIT),
Tom Smis, Guido Couck,
Paul Verlé (CTB Bruxelles)
Lien internet
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