1. Frédéric FABRI
Cycle Beta
- Collection Romans / Nouvelles -
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2.
3. Table des matières
Cycle Beta....................................................................................................1
Préface.................................................................................................2
Avertissement de l'auteur.....................................................................4
Débarquement sur B-112.....................................................................7
Évasion..............................................................................................14
Unis....................................................................................................18
Nouvelle vie.......................................................................................28
Alsyen s'implique..............................................................................34
Cérémonie de baptême......................................................................40
Leçon de dressage..............................................................................44
Progrès et découvertes.......................................................................47
Drill intensif.......................................................................................56
Visite des entrepôts............................................................................62
Simulation globale.............................................................................68
Revue de chambrée............................................................................84
Le vétéran..........................................................................................87
B-006 : Accident dans la jungle........................................................96
B-006 : Planète tout risque..............................................................110
B-006 : Expériences douloureuses..................................................121
B-006 : Recueillement.....................................................................129
B-006 : Sortie nocturne....................................................................135
Déparasitage....................................................................................146
B-069 : Bordée dans l'espace...........................................................153
Déchirements...................................................................................174
.........................................................................................................179
i
4. Cycle Beta
Auteur : Frédéric FABRI
Catégorie : Romans / Nouvelles
L'expansion humaine suit la mise en place d'un réseau de transmetteurs de
matière disposés en toile, dont le centre est le niveau alpha.
Alpha Prime désigne la Terre.
Les Forces de Colonisation Planétaire ont pour vocation de protéger les
colons lors de leur installation dans les systèmes solaires. Elles ont aussi la
lourde tache d'être l'ambassadrice de la Terre lors de la rencontre avec une
intelligence extra-terrestre.
Si la rencontre est inéluctable, elle n'a pas encore eu lieu. Chaque système
planétaire dispose pour sa protection d'un croiseur. Un vaisseau école dans
le Cercle Bêta, depuis son orbite autour de Bêta 112, envoie ses jeunes
recrues se dégourdir les jambes sur la terre ferme...
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1
5. Préface
Je ne connaissais Frédéric que sous un avatar virtuel jusqu'au jour où il
m'a demandé de préfacer son premier roman. Ému, j'ai commencé à lire
pour me faire une idée. J'avais peur de retomber dans la collection Fleuve
Noir que je lisais en cachette durant mon adolescence. Je me disais, « Bon,
encore un qui va nous téléporter sur des rayons verts et autres trucs pas
possibles. »
Et je me suis trompé. J'ai rapidement été conquis par l'histoire qui,
même si elle recèle de profonds termes et descriptions techniques
incompréhensibles à un non-scientifique, m'a scotché à plusieurs points de
vue.
Je connaissais l'ouverture d'esprit, la franchise et les engagements de
Frédéric, j'ignorais son côté conteur de belles histoires. Je n'ai
pratiquement pas quitté Alsyen, cette petite bête que vous allez découvrir
et qui donne à l'auteur ce détachement indispensable au bon déroulement
de l'histoire.
Le caractère humain et parfois bestial de l'histoire ne vous échappera
pas. Même si j'ai regretté à quelques moments que Frédéric ne se lâche pas
un peu plus, j'ai découvert une aventure qui m'a tenu en haleine jusqu'au
bout et dont je n'ai qu'un mot pour la résumer : à quand la suite ?
Merci Frédéric de tes mots qui m'ont allumé, parfois subjugué, souvent
distrait de ce monde que je croyais sans vie. Merci, Frédéric d'avoir pu
m'apporter ce rayon de soleil indispensable à la vie, merci Alsyen de
m'avoir fait vivre d'heureux moments.
Comment ?
Vous n'avez pas encore commencé la lecture ?
Qu'attendez-vous ?
Denis Nerincx
Préface 2
7. Avertissement de l'auteur
Premier roman, premier tome d'une trilogie, ce « Cycle Bêta » décrit le
parcours et la formation d'une jeune recrue des temps futurs. L'espèce
humaine est alors en pleine expansion. La barrière de la vitesse de la
lumière n'a pas été franchie. Aucune intelligence extra-terrestre n'a été
rencontrée. Enfin presque…
Les robots sont peu nombreux et spécialisés. Les ordinateurs permettent
l'entraînement par la simulation. La vie des militaires est rustique, les
efforts sont aussi physiques.
Dans ce contexte, on peut dire que les progrès techniques ne sont pas
très nombreux. Il n'y a pas de produits miracle. Il n'y a pas une société
utopique. L'aventure reste humaine.
Mon passé de militaire m'a servi pour illustrer la vie quotidienne du
héros. L'exemple de certains de mes chefs aussi. Certains pourraient
estimer que cette organisation militaire « idéale » est propagandiste. Des
militaires pourraient nier certaines critiques ou pratiques brutales. Ils ont
tous raison. Les défauts mis en avant ont été empruntés à une vieille
expérience. L'idéal mis en avant est le modèle qui était vanté à mon départ
de l'institution. Et le tout a subi les influences du roman et de l'adaptation à
une société futuriste. De plus, la première partie de la formation a été
réalisée sur Terre avec des cadres qui ne savent plus ce que c'est que la
guerre. Ils appliquent un « manuel » sans en comprendre le fond et avec
ennui car ils se répètent à chaque contingent. Dans l'espace, les recrues
sont prises en main par des gens d'expérience et qui sont du métier. On
peut donc voir l'analogie que j'ai faite entre l'armée d'appelés d'avant 1998
en France, (même la formation était assurée par des « intérimaires ») et
Avertissement de l'auteur 4
8. Cycle Beta
l'armée professionnelle d'aujourd'hui, où le rôle de chaque individu compte
et justifie une permanente recherche de l'excellence.
C'est aussi la description du passage de l'adolescent au stade adulte,
comme du civil scolaire au soldat confirmé. Cette aventure profite de
différents décors, de circonstances, d'un processus comme d'une évolution
intérieure. Ce qui ne rentre pas par les yeux et les oreilles passe par les
pieds.
Alsyen n'est pas un simple faire-valoir qui se transforme en « Deus ex
machina » dès que le besoin s'en fait sentir. Il est à la fois témoin et acteur.
Par son oeil étranger, et son histoire personnelle, il démontre que pour notre
société humaine, d'autres choix sont possibles et que nous sommes encore
nous aussi des enfants dans l'évolution. Par son amitié avec Reno, il
franchit les espaces interraciaux alors que nous n'avons pas encore
globalement réussi à franchir l'espace entre deux religions ou deux ethnies
au sein de notre propre espèce. Et pourtant, heureusement, notre
« jeunesse » dans l'évolution a quelque chose à lui offrir, à lui, le jeune
d'une société « mâture ». Enfin, mes personnages ne sont pas des
philosophes ni des êtres parfaits. Ils sont juste honnêtes, droits et
recherchent un but digne de leurs efforts. Mais ils sont aussi de chair et de
sang.
Les distances aussi sont « en taille réelle ». En interplanétaire, il faut
compter entre l'accélération et la décélération qui sont les phases les plus
longues. Au quart de la vitesse lumière, qui est « physiquement » la limite
atteinte, il faut vingt ans pour arriver sur Alpha du Centaure, et quand
même six ans pour l'atteindre sous forme dématérialisée. Cela symbolise la
distance entre la recrue et le monde qu'il a quitté, ainsi que ce que peuvent
connaître les expatriés au bout du monde. La distance physique interdit le
contact et isole. Il se crée alors une distance temporelle, entre l'endroit où
on est qui évolue lentement sans qu'on s'en aperçoive après qu'on l'ait
découvert, et l'endroit où on revient qui lui a changé d'un coup. La gestion
des distances a de tout temps été le souci des sociétés en expansion.
Avertissement de l'auteur 5
9. Cycle Beta
Néanmoins, l'homme n'évolue pas vite et si les sociétés s'adaptent aux
éléments ambiants, elles retombent vite dans les mêmes travers. Le lecteur
sera donc dépaysé sans être en territoire inconnu. Mon ambition n'a pas été
de concurrencer des films tels la saga « StarWars », mais de faire parfois
des clins d'oeil aux classiques de Jules Verne, auteur qui expliquait
scientifiquement ce qui n'existait pas encore, ou faisait du « journalisme »
sur les territoires traversés en racontant l'histoire, les conditions
géographiques, le système social… enfin, tout ce qui venait enrichir ou
contrarier l'aventure personnelle des héros.
Car, ce roman se veut être plus une aventure qu'une histoire de
science-fiction, qu'il s'agisse de défi personnel, d'obstacles à franchir,
d'épreuves à surmonter ou d'objectif à atteindre…
Frédéric FABRI
P. S : je tiens ici à remercier Denis pour son soutien « technique » ainsi
que mes lecteurs « Bêta », en ligne comme sur papier, qui m'ont soutenu
moralement lors de l'écriture et de la correction.
Avertissement de l'auteur 6
10. Débarquement sur B-112
Le jeune homme qui posait le pied sur Bêta-112 ressentit une intense
bouffée d'émotion teintée d'appréhension. C'était la première fois qu'il
foulait le sol d'une autre planète que la sienne, Alpha Prime, autant dire La
Terre.
Il était le dernier du groupe de soldats s'extrayant d'une navette
mi-hélicoptère, mi-hydroglisseur utilisée pour débarquer des troupes en
provenance de leur vaisseau amiral, resté en orbite haute.
L'espace était colonisé par « cercles » autour du système planétaire
central, codés selon l'alphabet grec, en hommage aux premiers astronomes
utilisant des lettres et non des hiéroglyphes. La première expédition avait
quitté la terre trois cent ans auparavant, avec dans ses soutes un
régénérateur moléculaire. Elle avait atteint Pluton l'orbite servait
maintenant de base de départ pour les expéditions.
L'exploration spatiale utilisait deux principes complémentaires pour son
expansion. Tout d'abord, un vaisseau classique partait avec à son bord un
régénérateur moléculaire. Il pouvait atteindre après une longue accélération
la vitesse de 0,21 fois la vitesse de la lumière, soit environ cinq fois moins
vite.
Cela équivalait tout de même à six mille kilomètres par seconde ! Mais
il fallait aussi songer à la longue décélération.
Une fois arrivé à la destination voulue, le régénérateur moléculaire était
installé. Les techniciens établissaient le « pont » avec le premier
régénérateur grâce à un rayon lumineux envoyé déjà quelques années plus
tôt et qui leur avait servi de fil guide durant le voyage. Une fois
opérationnel, le « pont » permettait un voyage dans un état dématérialisé
bien plus rapide puisque proche de la vitesse de la lumière dès le départ et
sans obligation de décélération.
Débarquement sur B-112 7
11. Cycle Beta
Pour un engin spatial, la vitesse de pointe n'était pas accessible dans le
seul périmètre du système solaire.
L'espèce humaine enfin unifiée avait planifié son expansion en commun.
Pour commencer, elle avait utilisé un énorme vaisseau construit en orbite
terrestre pour atteindre Pluton et durant quarante ans y avait construit une
base devant servir de « grand échangeur inter-galactique », point de
passage obligé pour tout départ vers les étoiles.
Une fois le régénérateur moléculaire monté sur l'orbite de Pluton , un
pont d'énergie avait pu être établi avec la station du Pôle Nord. Ce pont,
sorte de tunnel d'informations énergie, permettait physiquement la
désintégration et la reconstitution d'organismes vivants, de matières brutes
ou de matériels sophistiqués. Le régénérateur pouvait servir, soit de point
d'arrivée, soit d'amplificateur pour relayer le flux au régénérateur suivant,
bien au-delà. Le système très sophistiqué de redondance de l'information
permettait la reconstitution parfaite d'un individu viable et le cerveau
n'était pas affecté par des pertes de mémoire.
Le flux, bien que composé de protons, se comportait comme un flux
lumineux sauf que sa vitesse n'excédait pas 0,91 fois la vitesse d'une
lumière classique. La technologie pour maîtriser le boson restait
inaccessible et le proton était plus fiable que l'électron pour transmettre
l'information.
Pluton fut aussi colonisée pour servir l'expansion afin de fournir
matériaux et grosses pièces d'infrastructures, trop coûteuses en énergie à
faire venir de la Terre ou de Mars. L'expansion se plaçait dans la durée.
Les solutions retenues devaient être pérennes et non servir une cause
éphémère. Une fois la base au sol construite, un autre régénérateur avait
donc été installé sur Pluton afin de recevoir directement les hommes et du
matériel. C'était donc des centaines de milliers d'ouvriers et des millions de
tonnes de matériel qui avaient permis de rendre Pluton viable, et
d'exploiter ses gisements de minerais
Ce régénérateur pouvait aussi servir de régénérateur de secours, mais
dans les faits il fournissait l'orbite de Pluton en pièces locales.
Ce « trio » de régénérateur moléculaire permit de mettre au point le
fonctionnement et la doctrine d'emploi d'un régénérateur dans le cadre des
missions au long cours.
Débarquement sur B-112 8
12. Cycle Beta
Un régénérateur moléculaire se composait d'un ensemble fixe composé
d'une extrémité émettrice fixée sur un corps servant à la dématérialisation
des éléments à expédier, d'un second module servant à la rematérialisation
et d'une extrémité réceptrice.
Le flux émis était envoyé sur un miroir distant de plusieurs centaines de
kilomètres chargé de le réfléchir dans la bonne direction. Il traversait
ensuite l'espace pour rencontrer aux alentours de sa destination un autre
miroir qui le dirigeait alors sur la partie arrière d'un autre régénérateur
moléculaire. Ce régénérateur pouvait alors, soit réexpédier le flux amplifié
vers son miroir situé à l'avant pour être envoyé vers un régénérateur plus
distant, soit rematérialiser les éléments transportés par le flux.
Chaque régénérateur pouvait se tester seul grâce à ses deux miroirs. Les
miroirs eux se calaient avec un rayon lumineux à travers l'espace et le
temps. En effet, la position relative des miroirs placés jusqu'à cinq années
lumière de distance évoluait à chaque seconde de plusieurs centaines de
kilomètres. Mais de façon régulière et de manière imperceptible au niveau
angulaire.
Les principes du voyage, bien compliqués, entre la dématérialisation, le
flux lumineux, le guidage et le temps étaient sommairement expliqués aux
voyageurs avec des images de synthèse mais tous préféraient faire
confiance et en accepter l'existence plutôt que de rechercher des
explications qui les auraient incités à prendre des vaisseaux spatiaux
classiques, mais bien moins rapides et qui surtout les laisseraient vieillir
durant le voyage.
Les espaces interstellaires sont tellement vastes qu'il avait fallu quarante
ans et quelque (un milliard de secondes) pour atteindre trois destinations
(deux vaisseaux étaient considérés comme perdus) et bâtir le premier
cercle Bêta à seulement 60000 milliards de kilomètres, soit 1,6 parsec ou
4,9 années lumières.
À l'issue de ces quarante années de difficile traversée pour l'équipage
cloîtré et vieillissant parti fort heureusement avec des enfants, un
régénérateur avait été installé près de Proxima du Centaure. Sous la forme
d'un faisceau de protons, il ne fallait plus alors que cinq ans et demi à un
voyageur dématérialisé aux environs de Pluton pour être régénéré à
l'identique sur ce qui allait devenir une station du second cercle ou Cercle
Débarquement sur B-112 9
13. Cycle Beta
Bêta. Pour communiquer avec la terre, les signaux lumineux ne mettaient
que six mois de moins.
Au moment où ce soldat posait le pied sur B-112, il y avait cinq cercles,
correspondant à trois-cents années de voyages classiques consécutifs et
permettant à un terrien de parcourir les vingt-huit années lumières de
distance entre la terre et êta-prime, base la plus éloignée, en trente et un an.
Vingt-neuf stations de régénérateur moléculaire opérationnelles avaient
été déployées. Si des planètes avec des formes de vie avaient été
découvertes, aucune intelligence, et encore moins de puissance galactique
n'avait été rencontrée.
Autour de chaque base la colonisation s'établissait, afin de découvrir et
d'exploiter les matières premières permettant la poursuite de l'exploration.
Un corps militaire planétaire avait été créé pour protéger les colons dès
le début de leur implantation :la Force de Colonisation Planétaire ou FCP.
Quelques membres partaient avec le vaisseau d'exploration, représentant
dix pour cent des contingents coloniaux à la sortie des régénérateurs.
Tous les jeunes engagés passaient par une station Bêta avant de
rejoindre les confins de l'univers connu. Le décalage temporel avec la terre
n'était que de cinq ans et demi en moyenne quand ils étaient régénérés.
L'aller-retour durait donc onze ans. S'ils le désiraient, ou parce qu'ils
n'étaient pas certains de leur choix dans leur première année de formation,
ils ne pouvaient retrouver leur famille que douze ans plus tard.
À l'issue de cette année de formation (Quatre mois sur terre, huit mois
dans la zone Bêta) ils obtenaient une affectation, déterminée par leur choix
personnel, mais ensuite en fonction des besoins des FCP et de leur
classement, situées dans des systèmes plus ou moins proches. Partir pour le
quatrième ou le cercle extérieur signifiait effectuer un voyage sans retour.
Quel intérêt de revenir sur Terre soixante-deux ans plus tard au minimum ?
Ce jeune garçon de dix-huit ans s'appelle Reno. Il a suivi quatre mois
d'instruction en Sibérie pour apprendre les principes du combat
d'infanterie. À bord du vaisseau station caserne il a appris la vie de
marsouin de l'espace et son rôle d'adjoint fourrier. Aujourd'hui, il étudie le
déplacement en groupe de combat pour la première fois en situation
inconnue sur une planète de type terrestre, où l'air est respirable. Bien bâti,
il laisse une franche trace de botte taille quarante-deux sur le sol un peu
Débarquement sur B-112 10
14. Cycle Beta
spongieux de Bêta-112 parachevant ainsi le piétinement du reste du
groupe, suivant son chef qui ouvre la marche à travers la savane bleue.
C'est un petit pas pour lui, mais il survient après de nombreuses
avancées pour l'Homme.
*
* *
Glyon et Alsyen se baignaient en toute tranquillité sur cette planète de
type végétal. Il n'y avait pour eux aucun danger d'agression. L'analyse
toxicologique de la mare avait révélé une eau quasi pure filtrée par les
roseaux, et aucun composant chimique ne présentait les caractéristiques
d'un poison potentiel.
Leur vaisseau spatial de petite taille était camouflé par un écran de force
cylindrique qui restituait la lumière au coté opposé de sa réception ce qui
rendait l'espace protégé invisible. Il était aussi impossible de traverser cet
écran. Il arrêtait même les ondes lumineuses ou radios sauf les fréquences
en parfaite opposition de phase. Cette fréquence servait entre autre à la
télécommande du champ de force. Mais, matériaux, ondes de chocs, bruits
ne pouvaient ébranler cet écran.
Celui-ci servait aussi lors de la navigation spatiale afin d'éviter les
collisions avec la poussière d'étoile ou les morceaux plus petits dans les
phases de déplacement local. Il n'avait jamais été utilisé durant une guerre,
les races de la galaxie Zannienne étant pacifiques, mais nul doute qu'il était
indestructible.
Glyon et Alsyen, deux adolescents insouciants, avaient violé les limites
de l'espace interdit. La race humaine, détectée dès son arrivée, avait été
jugée trop peu évoluée pour pouvoir s'intégrer dans la fédération
multiraciale de Zanni. La zone étant déserte, elle avait été laissée aux
humains. Les détecteurs du vaisseau de plaisance Zannien avaient sondé
seulement la planète à l'arrivée et non l'espace immédiat. Pour ses deux
occupants, La planète était donc libre pour le jeu et la recherche de
philloxphène, une plante prohibée dont les effets euphorisants
agrémentaient les soirées pimentées de l'élite Zannienne.
Ils en avaient consommé quelques extraits et ils riaient à gorge
déployée. Glyon lança Alsyen en l'air et alors qu'il allait le rattraper, un
bruit de tonnerre lui emporta la moitié du crâne. L'onde de choc du
Débarquement sur B-112 11
15. Cycle Beta
projectile sonique atteint aussi Alsyen qui sombra dans l'inconscience.
*
* *
— Qu'en pensez vous Docteur ?
— Bizarre. Cette planète est considérée comme sans faune. On n'y a
même pas trouvé d'insectes terrestres et il n'y a que quelques vers dans
l'eau. Aujourd'hui vous me ramenez d'un coup deux espèces évoluées
différentes. Il est dommage qu'il y ait un cadavre dans le lot.
— Si je n'avais pas tué celui-ci, vous seriez allé chercher l'autre dans son
estomac.
— Certes. Mais ces deux espèces ne semblent pas partager le même
biotope. L'une semble amphibie alors que l'autre est manifestement
arboricole, ce qui ne colle pas à cette planète seulement colonisée par des
herbes géantes.
— Le petit singe a des ventouses aux doigts. C'est peut-être pour monter
à la cime de ces herbes comme le long d'un mât. Et s' il est petit, c'est pour
ne pas les plier.
— Et il se nourrirait alors des graines aux extrémités ? Oui, pourquoi
pas.
— L'autre me semble d'une force phénoménale.
— Effectivement. Des membres inférieurs très courts pour marcher,
mais pas pour courir. Un corps massif et six tentacules terminés par des
doubles pinces. Une tête couronnée d'yeux dont certains surveillent en l'air.
On ne distingue l'avant de l'arrière que par cette gueule impressionnante.
— Le croyez vous herbivore ?
— Plutôt omnivore. Il a des molaires plates, des canines et des incisives.
Ses pinces peuvent griffer comme attraper. Au corps à corps, il s'avérerait
mortel pour n'importe lequel d'entre nous malgré sa taille d'un mètre
cinquante. C'est un danger potentiel qu'il va falloir cataloguer. En tout cas,
je vais préconiser au commandement que toutes les sorties se fassent en
armure et que personne ne se retrouve isolé.
— Mes camarades n'étaient pas loin. Je m'étais éloigné un peu juste pour
une envie pressante avec l'accord de mon chef de groupe. Après mon tir,
ils étaient tous là en moins de deux minutes.
Débarquement sur B-112 12
16. Cycle Beta
— Si cette bestiole avait été tapie dans les herbes et avait surgi à un
mètre de vous, il lui aurait fallu trente secondes pour vous estourbir et vous
entraîner sous les eaux . En tout cas, soldat, c'est une belle prise.
— Que va devenir le petit singe ?
- Je vais l'observer quelques temps, puis j'en ferai une petite étude plus
poussée. Enfin, il rejoindra les autres spécimens dans mes bocaux sur les
étagères.
- Alors je ne l'ai pas vraiment sauvé en fin de compte…
— Vous l'avez au moins sauvé de l'oubli…
Alsyen a repris connaissance depuis un moment déjà dans sa petite cage.
Même s' il n'a pas compris les paroles des deux humains, il en a saisi le
sens émotionnel, surtout dans celles de Reno.
Avec effroi, il a aussi constaté la mort de Glyon, son Zymbreke.
La dépouille de celui-ci qui avait été à la fois son protecteur, son
serviteur et son ami lui inspire de la peine, de la souffrance, ainsi qu'un
sentiment de solitude de culpabilité et de crainte pour son avenir. Il n'a pas
l'intention de finir son existence plongé dans une solution d'alcool.
Débarquement sur B-112 13
17. Évasion
Dans le dortoir, il règne une bonne ambiance festive. Les douze jeunes
recrues qui dorment sur des couchettes superposées (par trois) fêtent leur
sortie sur B-112 autour de la table commune centrale. Tous les écrans sont
repliés dans le plateau. L'heure n'est pas à l'instruction. Chacun tient dans
sa main une brique de C'fet, une boisson euphorisante, au goût d'alcool,
avec des psychotropes non dangereux pour la santé, efficaces très
rapidement, mais aussi brièvement, et n'entraînant ni ivresse ni
dépendance.
Reno raconte pour la énième fois son tir sur la créature des marais, avec
toute l'assurance d'un exterminateur de monstres galactiques, puis le bain
qu'il a pris pour aller récupérer le petit singe inanimé (et peut-être même
mort de peur), avant qu'il ne se noie.
Il rit un peu moins quand il raconte comment le sergent l'a envoyé
chercher le corps de sa victime. Cependant il l'imite tant bien que mal,
reprenant tous ses sarcasmes.
« Vous qui êtes déjà mouillé… qui vous êtes jeté pour sauver des eaux
un singe au mépris des risques considérables d'attaques de redoutables
créatures sous-marines… qui d'ailleurs vous ont déjà épargné une fois…
allez donc maintenant nous ramener votre monstre sanguinaire»
Malgré toutes ses moqueries, alors que Reno s'embourbait une deuxième
fois, le sergent avait quand même allumé son détecteur afin de s'assurer
qu'aucun autre intrus ne surgisse à l'improviste. Cette présence de
prédateur était plutôt imprévue.
Cette fois, Reno avait dû toucher le corps hideux, caoutchouteux et
sanguinolent. Il l'avait tiré par deux tentacules jusqu'à la rive et ses
camarades un peu effrayés l'avait aidé à le sortir de l'eau.
Ensuite, à l'aide de quelques herbes assez rigides, ils avaient
confectionné un brancard de fortune pour pouvoir le ramener jusqu'à la
Évasion 14
18. Cycle Beta
barge.
Ils avaient marché trois heures et les autres se moquaient de la boue
séchée qui maculait son uniforme. L'adjudant à son arrivée lui jeta un
« Alors Reno, le terrain était glissant ? » avant de s'enquérir du mystérieux
cadavre auprès du sergent.
Trois briques de C'fet plus tard, Reno épaule toujours son fracasseur,
mais se propose en plus de faire sauter au passage la tête du sergent, bien
moins sympathique selon lui que celle d'un acarien grossie
trois-cent-cinquante-mille fois.
Si ses accents de matamore provoquent une certaine hilarité, c'est parce
que Reno n'est pas ce qu'on pourrait appeler un foudre de guerre. Un peu
rêveur, assez distrait, plutôt malchanceux, il s'est vite fait remarquer à
l'instruction pour son équipement toujours incomplet, sa maladresse et sa
poisse, ce qui en a fait très vite le souffre-douleur préféré des cadres et
l'attraction de la section. Sa gentillesse et sa camaraderie l'ont tout de
même fait accepter par les autres recrues, bien contentes qu'un seul assume
ce qui sinon serait distribué plus aléatoirement. Car si Reno est là, c'est que
tout le monde est présent, si Reno y arrive, les autres doivent y arriver
aussi, etc. etc.
Et ce pauvre Reno sert de cobaye pour n'importe quelle démonstration
de close combat, d'obstacle à franchir ou de question de contrôle…
Ce soir malgré tout, il est envié même si son triomphe se change petit à
petit en farce tartarine.
*
* *
Dans le laboratoire, Alsyen est sorti de sa cage et explore la moindre
anfractuosité des murs et du plafond. Il est allé fermer les quatorze yeux
restants (sur vingt) de Glyon allongé sur une paillasse et il lui a
péniblement arrangé les tentacules autour du corps, avec les extrémités sur
sa poitrine. Il ne sera certes pas enterré ainsi, mais au moins, si son âme se
retourne un instant, elle verra que son compagnon ne l'a pas oublié.
Il a compté six grilles de ventilation et chose bizarre, sur chacune des
ouvertures, il y a des système de fermetures étanches automatiques. Alsyen
n'en a pas encore tiré toute la signification. Il veut croire à un abri de
campagne protégé d'une éventuelle contagion de l'extérieur, ou à une pièce
Évasion 15
19. Cycle Beta
pouvant abriter des expériences dangereuses qui pourraient s'avérer
contagieuses, voire contenir des animaux encore plus petits que lui qui ne
doivent à aucun prix s'échapper entre des grilles, comme des serpents par
exemple …
Mais il n'a pas de tournevis pour les démonter de leur cadre…
Alsyen, bien qu'il ait enfreint les règlements en franchissant les limites
interdites est tenu par le respect des règles de survie pour sa race. Les
Humains, trop immatures, ne doivent pas découvrir l'existence d'une autre
espèce intelligente. Donc, il ne doit pas tenter de communiquer pour se
faire reconnaître et obtenir sa libération. Il va devoir jouer serrer.
Et pour l'instant, il est de retour à sa cage, qu'il a correctement fermée
pour réfléchir en toute quiétude.
Primo, il ne doit pas rester sous le coude du scientifique. Sinon, il va y
passer très prochainement.
Secundo, il est nu. S'il parvient jusqu'au vaisseau, la puce implantée
sous sa peau déverrouillera le champ de protection. Dans le cas contraire, il
doit prendre en considération que sa race n'a plus vécu à l'état sauvage
depuis trois-cents siècles. Sa vie sur cette planète végétale n'aura de
l'intérêt que lorsque il trouvera des plants de philloxphène. Mais avoir
étudié trente ans pour n'avoir que pour seule perspective quatre-cents ans
de défonce en ermite, est-ce bien un avenir enviable ?
Tertio, le retour sur Myrna l'enverra directement en disgrâce pour une
cinquantaine d'années. Au lieu de prospérer dans la société, il deviendra un
banni condamné à rester en dehors des murs de la cité, récupérant tous les
jours son minimum vital après avoir travaillé une quinzaine d'heures (la
période de révolution de Myrna est de trente heures et 54 minutes environ
). Avec la mort de Glyon, il n'y aura aucune commisération pour lui de la
part de ses congénères, car en tant que Niumi, il avait la responsabilité de
son Zymbreke.
Alsyen choisit de sortir par la porte. Il a déjà touché au cadavre de
Glyon. Il lui suffit de dissimuler sa cage dans le labo et de s'échapper dès
que la personne présente regardera ailleurs. Alsyen a d'ailleurs la faculté
d'inspirer une présence à un cerveau dans une direction précise.
Il lui suffira d'influencer l'humain pour détourner son regard vers la
direction opposée à celle de la porte durant quelques secondes…
Évasion 16
20. Cycle Beta
*
* *
C'est d'ailleurs un humain chargé du nettoyage qui va lui permettre de
mettre son plan à exécution quelques heures plus tard. Alsyen pénètre dans
un couloir et décide d'aller le plus loin possible dans la même direction.
Grâce à ses ventouses, il progresse au plafond et incite les quelques
humains qu'il croise à regarder par terre, ce qui est assez simple car ils
semblent à peine éveillés.
Certains crient, mais il s'agit plus d'ordres que de cris de bataille ou de
détresse. Il y a un sentiment de sécurité et d'habitude dans leurs esprits et
ils semblent au dixième de leurs facultés de réflexion. Au bout de
trois-cents mètres environ, Alsyen se retrouve à hauteur de la porte du
labo.
? ? ?. Alsyen est dérouté. Aucune fois il n'a obliqué à droite ou à gauche.
Il est vraiment allé tout droit. Lorsque il atteint à nouveau la porte du labo,
il décide de prendre la première à droite et de continuer tout droit.
À une dizaine de mètres de l'intersection, il laisse une marque. Au bout
de quarante mètres, il est bloqué et doit tourné à droite ou à gauche. Il
choisit la droite après avoir fait une marque. Au bout d'un kilomètre, il
trouve son trajet bien familier.
Tout se ressemblerait donc. Il fait une nouvelle marque, marque qu'il
retrouve trois-cents mètres plus loin avec dix mètres d'avance. Un humain
est en train de la nettoyer. Il comprend tout d'abord qu'il est dans un espace
circulaire, et un quart de seconde plus tard prend conscience qu'il est dans
l'espace.
La roue tourne sur elle-même afin de générer une force centrifuge qui
crée un ersatz de gravitation artificielle. Les escaliers qu'il croise
conduisent vers le centre qui doit être exempt de gravité. À cet axe, il peut
y avoir un passage pour une autre roue ou pour d'autres éléments d'un
vaisseau spatial.
Cette fois, il réalise qu'il ne retournera jamais sur Myrna.
Évasion 17
21. Unis
Reno est un peu fatigué de la soirée précédente. Le C'fet n'y est pour
rien. Il s'agit du manque de sommeil. La part consacrée au sommeil oscille
entre six et huit heures par cycle de vingt-quatre heures, en fonction des
activités. Seulement, cette fois-ci, ils n'ont dormi que quatre heures dans la
chambrée, et lui-même a tourné et retourné sa journée précédente avant de
sombrer dans un sommeil agité.
Pour ne plus y penser et enfin trouver le repos, il a tenté de se souvenir
des traits d'Alessandra, et des meilleurs moments qu'il a pu passer en sa
compagnie. Ils se sont fâchés, avant qu'il ne s'engage, mais depuis son
départ de la Terre, elle en est un peu devenue le symbole. Il y a certes des
recrues féminines à bord mais elles sont cantonnées dans d'autres quartiers.
Les mises en contact rares donnent lieu à quelques « échanges » de bons
procédés pour les plus rapides, échanges n'étant pas du goût de la
hiérarchie.
Bien qu'il paraîtrait que certaines auraient un talent d'ubiquité et de
partage assez étendu… selon des histoires de « grandes gueules ». La
dernière fois, il a bu quelques C'fet , deviné quelques formes sous les
combinaisons de travail et juste reniflé quelques effluves de parfum. Sa
conversation n'a pas été non plus des plus brillantes, bien qu'elle ne le soit
jamais vraiment. Mais là, il avait touché le fond et continué de creuser tout
le reste de la soirée.
Il doit, pour s'acquitter de sa corvée du matin, effectuer le nettoyage du
couloir de la section C4. Le revêtement sombre, sorte de plastique très dur
contenant les barres de métal permettant l’aimantation en cas de coupure
de la gravité a en effet tendance à se ternir au passage des bottes de bord.
Il s'agit de lui rendre un certain lustre avec la « cireuse ». Il n'y a pas de
problème de poussières puisque l'atmosphère est filtrée lors de sa
régénération via les conduits de ventilation qui évacuent les gaz nocifs et
Unis 18
22. Cycle Beta
redistribuent un air plus frais, rechargé en oxygène. Il en est presque à la
fin du couloir à lustrer au moment où il croise Alsyen.
Alsyen depuis un moment a reconnu de loin le jeune humain comme
étant celui qui était avec le scientifique du labo la veille. À ce moment là,
il avait déjà ressenti chez le jeune humain de l'affection pour lui, confondu
avec un petit primate sans défense. Cette méprise était tout de même
préférable à une curiosité scientifique un peu trop poussée. Il décide donc
de capter son attention par une simulation télépathique pour attirer son
regard jusqu'alors dirigé sur le sol.
Reno lui parle doucement pour l'amadouer et s'approche
précautionneusement pour ne pas l'affoler. « Alors, p'tit tu cherches à te
barrer ? T'iras pas loin tu sais. Viens me voir. Là . Attend, j'ai un gâteau ».
Il sort de sa poche un petit sachet de biscuits, reste du précédent petit
déjeuner, en déchire l'emballage plastique, et tend le petit beurre en
direction d'Alsyen. L'estomac de celui-ci se crispe. Il n'a pas mangé depuis
longtemps. Que risque-t-il à goûter de la nourriture étrangère. De toute
façon, il va mourir de faim s'il n'essaie pas. Il prend le biscuit d'une main,
puis des deux et pend alors la tête en bas pendant qu'il grignote sans en
perdre une miette.
Reno en profite pour le saisir sur les flancs.
Alsyen se laisse faire et se décroche. Chacun a fait le geste envers
l'autre. Les deux ont les mains prises. Reno se penche pour observer
Alsyen. Celui-ci lève alors les yeux pour regarder Reno tout en continuant
de manger en confiance.
Le ciment prend. Dès qu'Alsyen a fini le biscuit, Reno lui en donne un
autre puis il approche le jeune Niumi de son épaule gauche. Alsyen se
plaque à lui de façon à ne pas le gêner et Reno peut terminer son travail en
vitesse.
Il se précipite ensuite vers sa chambre, tentant de dissimuler tant bien
que mal Alsyen lorsqu'ils croisent quelqu'un.
Mais son manège ne passerait pas inaperçu si Alsyen ne détournait pas
l'attention des humains par suggestion télépathique fugitive les incitant à
regarder dans une autre direction.
Une fois dans la chambre, Reno ouvre son placard et sort quelques
friandises pour Alsyen. Celui-ci y fait honneur, et puis fait mine de lui en
Unis 19
23. Cycle Beta
offrir une. Reno sourit et accepte volontiers pour faire plaisir à l'animal. Il
le caresse pour le remercier en mimant le plaisir de recevoir. Il se sait
parfaitement ridicule mais ne s'en soucie pas. Par contre, les autres ne vont
pas tarder à revenir de leurs corvées. Quoi leur dire ? Il décide donc de
cacher le singe dans le placard. Il prend Alsyen dans les mains et le pose à
l'étage de la nourriture tout en le caressant. Il lui fait une petite place, y met
une serviette, l'installe dessus. L'animal semble accepter. Il ferme alors
lentement la porte. Celui-ci ne semble pas s'en offusquer. Il rouvre. Alsyen
fait mine de vouloir dormir. Rassuré, Reno referme la porte et met le
cadenas.
Alsyen a la certitude que l'humain l'accepte et n'ira pas prévenir le
scientifique. Lui non plus n'a pas envie d'un Alsyen écorché flottant au sein
d'une solution alcoolisée dans un bocal. Ici, il est encore en sécurité
quelques heures. Il a senti au moment où Reno fermait la porte qu'il n'allait
pas revenir tout de suite et qu'il craignait qu'Alsyen soit bruyant une fois
enfermé. Alsyen l'a donc rassuré par persuasion télépathique afin qu'il
puisse partir sans inquiétude. Inquiétude qui aurait pu tenter Reno de le
ramener au labo.
Cet humain pourrait-il être un bon remplaçant pour son Zymbreke ?
Alsyen y pense déjà.
La journée de Reno, comme celle de ses camarades, est réglée comme
du papier à musique. Deux heures de sport au gymnase, deux heures de
cours de spécialité, repas, informations en salle commune, instruction
combat théorique, simulation de tir, sports de combat, corvées de bord,
repas et ensuite retour en chambre et/ou foyer du soldat. Ainsi pendant
deux jours. La troisième journée, c'est loisir, c'est-à-dire compétitions
sportives et compétitions de jeux intellectuels. Mais il y a toujours une
heure le matin et une heure le soir consacrées aux corvées de bord.
Une journée de loisir sur trois, une manoeuvre virtuelle est organisée au
profit de l'ensemble du vaisseau. Chacun
est un joueur tenant son propre rôle dans une phase de conflit. Deux
équipes s'affrontent, avec des variantes de moyens.
Les gradés jouent la stratégie, mais connaissent aussi les qualités réelles
de leurs hommes quand ils les font affronter en corps à corps des créatures
chimériques. En effet, chacun gagne ses points de valeur grâce aux
Unis 20
24. Cycle Beta
contrôles continus dans les vraies matières de l'instruction militaire.
Les chefs qui gagnent aux jeux virtuels gagnent aussi la considération de
leurs subordonnés. Il y a deux façons de contrôler son avatar, double
virtuel incorporé en 3D dans la simulation par les programmeurs lors des
formalités administratives de la recrue sous la base d'un simple scan de
l'original. Soit le joueur mime son action, et les nombreuses caméras des
locaux transmettent l'information au réseau de serveurs affectés à la
simulation et à sa distribution sur le réseau général, soit il pointe sur son
écran les actions proposées du type « je tire », "je me mets à l'abri
derrière » etc. etc.
Des paroles peuvent être saisies en direct, des ordres notamment...
D'autres sont simulées par une pré-programmation et lors d'éléments
imprévus dans le cadre d'une action automatisée, comme un déplacement
d'un point à un autre, suivi d'une chute malencontreuse dans un piège. Des
« Aïe », des « Ouille », des jurons fleuris pour « détendre l'atmosphère »,
voire des cris d'agonie aux accents dramatiques, dont le réalisme (parfois
caricatural) frise le ridicule, font l'objet de sophistications perverses de la
part des programmeurs. En conséquence, tout soldat appréhende sa propre
fin de partie, qui risque de déchaîner les rires de ses camarades, mais pas le
leur.
L'humour des informaticiens a pour consigne de ne pas respecter les
gradés non plus. Ainsi, tout le monde se doit d'être aussi prudent, craignant
pour son image comme il devrait craindre pour sa propre vie dans un
contexte réel.
Ces grands jeux en réseau servent donc à la cohésion de l'Armada du
cercle, tout en ayant des vertus pédagogiques.
Un soldat inactif est un soldat qui se relâche. Il devient un mort en
sursis. Dans l'espace, l'ennui est aussi le pire ennemi à craindre pour ses
conséquences sur le moral. Les activités doivent donc être équilibrées et
permanentes.
Bien sûr, dès que la situation l'exige, l'emploi du temps s'adapte aux
circonstances. La priorité opérationnelle prend le dessus sur l'instruction.
Durant l'attente, les petits gradés vérifient la parfaite connaissance des
points-clés de l'action susceptible d'être réalisée.
Unis 21
25. Cycle Beta
C'est vers onze heures de l'heure « Quart C » que l'alerte est donnée.
Une espèce animale inconnue s'est enfuie d'une enceinte sécurisée. Elle
peut être n'importe où, il faut la retrouver avant qu'elle ne provoque des
dégâts. D'aspect simiesque, elle semble tout de même inoffensive. Il faut
essayer de la capturer vivante, mais aussi se méfier et prendre toutes les
précautions, en particulier bactériologiques : des germes mortels peuvent
subsister sous ses griffes, sa morsure peut être contaminante...
Grâce aux hauts-parleurs intégrés un peu partout dans les cloisons, les
hommes peuvent entendre le détail de la suite des opérations. La recherche
va s'organiser secteur par secteur. Ces secteurs seront ensuite condamnés
de manière étanche. Chaque compagnie va déployer une trentaine
d'hommes par équipe de dix qui se déplaceront dans leur secteur de
résidence ou d'entraînement avec des détecteurs de chaleur.
Les autres équipes ont pour ordre de rejoindre dans un premier temps les
salles de réunion afin d'y recevoir des consignes de recherche dans les
zones communes. Les quatre roues, quartiers des escadres, doivent couper
tout accès entre elles, comme avec la roue de l'état-major. Les secteurs
périphériques, en apesanteur, réservés au stockage, aux serres et aux postes
de combat sont eux aussi cloisonnés.
« Ils vont retrouver le petit singe à tous les coups dans mon casier »
s'affole Reno. Il se précipite dans sa chambrée au lieu de filer directement
au foyer, car il n'est désigné dans aucune équipe de détection.
Il se saisit d'Alsyen. Un instant, il l'abandonnerait bien dans le couloir,
pour lui laisser sa chance. En aucun cas, il ne voudrait le livrer. Alsyen
comprend instinctivement le désir de Reno et le rassure par son contact.
Moins affolé, Reno prend son sac à dos de sport et y dépose doucement
Alsyen à l'intérieur. Celui-ci se tapit au fond et reste immobile. « On dirait
qu'il comprend » pense le jeune homme sans vraiment croire à cette réalité.
Reno croise l'équipe de détection.
— J'avais oublié mon kimono pour le quart de l'après-midi, dit-il au
sergent.
— Toujours la même tête de piaf, lui répond celui-ci, dégage !
Le détecteur n'a pas bronché, la signature thermique de l'humain ayant
masqué celle du Niumi.
Unis 22
26. Cycle Beta
Deux heures plus tard, des rations sont distribuées. Les recherches
continuent… en vain.
À la passerelle de commandement, le scientifique en prend pour son
grade. Il n'est pas le seul à devoir redouter les foudres de la hiérarchie. On
« découvre » à bord des dizaines de rats, des animaux familiers passés en
fraude comme des hamsters et même un furet et deux chats. Avec eux, des
puces à foison, vecteurs potentiels de contamination redoutables.
Une seule silhouette reste calme et détendue, silencieuse et énigmatique,
au milieu de l'agitation générale. C'est l' « Amiral ». Son grade sert de
nom, de prénom, d'épouvantail ou de dieu vivant à bord. Quand on parle de
Lui, c'est avec crainte et respect, y compris dans son entourage direct, et
surtout quand « ça chauffe ». On ne l'interroge jamais sur la conduite à
tenir. On fait ce qu'il dit, on fait ce qu'on pense qu'on doit faire quand il ne
dit rien, en lui jetant parfois un regard pour tenter de lire sur son visage une
preuve de son assentiment. Un visage dur, de parchemin cuivré, avec un
nez crochu, une mâchoire carrée, des lèvres quasi-inexistantes. Des
cheveux blancs, très courts et drus. Surtout, comme pour les autres
vétérans, ce qui marque le plus, ce sont ses yeux : tout de marbre blanc,
veinés à l'or fin, avec un soleil rouge pour iris éclipsé par une pupille gris
de cendre.
Entre l'Amiral et son état-major frais émoulu des grandes écoles
militaires terrestres, il y a encore toute la distance entre la terre et le dernier
cercle. Il n'y a qu'au milieu de ses vétérans qu'on a pu de loin l'entendre
rire. Mais pourquoi donc ces vieux débris du siècle dernier ont été rappelés
dans le cercle Bêta ?
L'Amiral laisse le soin à son second d'invectiver tous les commandants
et capitaines pour leur incompétence crasse et l'inefficacité de leurs
troupes, incapables de retrouver un boeuf dans un couloir. Ceux-ci s'en
prennent ensuite à leurs lieutenants et leurs sous-officiers par radio, pas
même fichus de commander un C'Fet au foyer et de trouver leur ... pour
pisser. À tous les niveaux, les fouilles s'intensifient dans la plus grande
agitation. Les casiers personnels sont ouverts, fouillés, vidés pour en
vérifier le moindre recoin.
La liste des coupables d'infractions aux règlements s'allonge encore.
Alcools, cigarettes, drogues, et même armes blanches, argent sale, photos
Unis 23
27. Cycle Beta
compromettantes… Rien n'échappe aux équipes de recherche. Pas même,
dans les zones périphériques, quelques « garçonnières » improvisées au
milieu des rangées de stockages ou dans les alvéoles d'armement.
De nouvelles équipes sont constituées, pour aller chercher dans les
compartiments périphériques, et dans les quartiers des autres escadres.
Ainsi, personne ne peut être protégé dans son propre secteur de
responsabilité.
Une nouvelle moisson d'entorses aux règlements s'annonce.
Le représentant des vétérans s'insurge. Il demande à parler à l'Amiral.
Celui-ci, le voyant arriver de loin, le reçoit avec le sourire, mais sans lui
laisser le temps de prendre la parole.
— Je sais ce que vous allez me dire. Ces ordres ne s'appliquent pas pour
vos quartiers, désignez parmi vos hommes ceux qui vont VOUS
accompagner pour y chercher le singe.
— Bien Monsieur, à vos ordres.
Quatre heures plus tard, distribution de rations de type « cycle de 24h »
à chaque personnel. Les équipes de recherche sont relevées, et le seront à
nouveau toutes les deux heures. Reno, intégré dans une équipe pour la
prochaine période, ne s'étonne pas de son culot, oubliant même qu'il est
porteur de l'objet de toute cette agitation.. Alsyen veille au grain.
Dans tous les foyers, les commentaires vont bon train. Certains boivent
plus que de coutume afin de se préparer à leur future sanction. En effet, ils
savent que ce qu'ils dissimulaient a dû être découvert ou est en passe de
l'être. D'autres commentent. Jean-Louis, de la chambrée de Reno, en
profite pour mettre en avant son camarade en lui demandant de raconter à
nouveau son histoire. Piégé, Reno reprend son récit, pour un public assez
large cette fois.
Dans le sac, Alsyen vit au travers des images ressenties dans le souvenir
de Reno l'histoire telle qu'elle a été vécue par celui-ci.
Il entend d'abord ses rires, confondus par l'humain avec des cris de peur.
Il aperçoit Glyon, son frère spirituel, au travers des yeux de Reno, l'image
terrible un monstre rugissant jouant avec sa pauvre victime avant de la
dévorer d'un coup de gueule. Il distingue, au travers du viseur de l'arme, le
visage de son ami exploser sous l'impact du projectile sonique. Il se voit,
inanimé, flottant sur le ventre à la surface du plan d'eau, risquant se noyer.
Unis 24
28. Cycle Beta
Il voit Reno, le peureux, se lancer sans réfléchir pour le récupérer. Il voit
intimement, agir, vibrer, celui qui est à la fois l'assassin de son Zymbreke,
son sauveur et le responsable de tous ses malheurs.
Alsyen est bouleversé. Glyon est mort. Il est seul dans le labo. Il a envie
de le rejoindre. Reno finit son histoire. Alsyen le pousse à montrer ce qu'il
a dans le sac. Reno lutte. Non, il ne veut pas. Alsyen insiste. Reno a peur
aussi des représailles du commandement. Alsyen le rassure, puis l'incite à
nouveau. Reno vide sa brique de C'fet et conclut.
« Et ce matin, j'ai retrouvé le singe. C'est mon ami. Il est là. »
Il sort Alsyen du sac. Celui-ci se colle à lui contre l'épaule un instant,
puis s'y perche. La salle se tait. Alsyen voit ces trois-cents têtes tournées
vers lui et les affronte du regard. Il saute sur le bar, fait mine de boire du
C'fet à la paille. L'éclat de rire est général.
Le spectacle est retransmis à la passerelle. Le chef d'escadre responsable
de Reno est blanc comme un linge.
L'amiral contre toute attente sourit. Alsyen a goûté à un hamburger, l'a
jeté par terre puis se régale avec des cacahuètes, en jette une en l'air, la
rattrape dans la bouche. Et ainsi de suite... Il effectue des tours de plus en
plus difficiles et cabotins. Il exécute aussi quelques pas de danse
improvisés sur le bar, deux trois cabrioles et tout le monde s'esclaffe. Les
sous-officiers n'arrivent pas à passer pour les rejoindre. L'amiral se tourne
vers le chef d'escadre.
— Mon cher Patrick, j'aimerai beaucoup voir ce jeune homme avec son
animal dans mon bureau dans dix minutes.
— Je donne les ordres Monsieur.
— C'est ça. Amenez-les moi.
Il sort ... prestement. L'Amiral s'adresse alors au reste de son staff, avec
un petit sourire en coin qu'on ne lui connaissait pas.
— De temps en temps, une petite mise au point est nécessaire non ?
J'attends pour demain matin le résultat par escadre de toutes les
« découvertes ». Je pense que le bilan est très positif et la leçon bonne à
prendre…
Le chef de section et son adjoint encadrent Reno et Alsyen. Ils ont
essayé de les séparer, mais Alsyen s'est agrippé à Reno de toutes ses forces
en poussant des cris perçants quand ils lui ont tiré sur les membres pour
Unis 25
29. Cycle Beta
tenter de le faire lâcher sa prise. Reno s'est emporté, contre toute attente de
la part d'une jeune recrue. Alsyen les a intérieurement couverts de honte et
ils ont préféré capituler.
Le chef d'escadre marmonne sa vengeance entre les dents. Il ne veut rien
dire avant la décision de l'amiral, mais Reno comprend qu'il ne perd rien
pour attendre. La sanction sera exemplaire. Il finira comme cireur de
godasses pour toute l'escadre.
Alsyen a retrouvé un peu le moral. Il en veut moins à Reno qui s'est mis,
pour lui, dans une sacrée mauvaise passe. Seulement, c'est aussi sa survie
qui se joue.
Dans la salle d'attente, malgré les sièges confortables, personne ne
s'assoit. L'amiral est en vidéo-contact permanent, supervisant la fin des
inspections en cours dans les derniers secteurs qu'il a décidé de mener à
leur terme. Il faut dire, qu'ironie de l'histoire, on a retrouvé sa cantine
égarée depuis vingt-sept ans relatifs. Il n'était alors que jeune lieutenant
muté sur ce vaisseau-école pour se préparer à la conquête des dernières
planètes delta. Avec trois de ses camarades, disparus aujourd'hui, ils
avaient été bizutés et ils avaient dû se débrouiller sans leurs affaires
personnelles durant deux semaines. Par contre, lui avait dû faire sans
jusqu'à aujourd'hui. À l'époque, il n'y avait qu'une roue centrale. Une
excellente nouvelle donc.
Qu'ont-ils bien pu retrouver d'autre qu'ils n'ont pas signalé ? Finalement
ce vaisseau avait bien besoin d'un peu de remise en ordre. Il n'empêche que
s'il tenait le petit malin qui à l'époque avait collé l'étiquette « Jouets
d'enfants 0-3ans » sur sa cantine et l'avait planquée dans une salle
d'archives... Un pseudo camarade d'alors, sans doute, qui a bien dû se
moquer de lui dans son dos...mort certainement depuis, avec son petit
secret.
N'a-t-il donc survécu que pour la retrouver ? Il sait qu'à l'intérieur, il y
avait laissé les photos de sa vieille Jessie, une chienne de quinze ans morte
deux jours avant son embarquement et avec laquelle il avait vécu
quasiment toute son enfance.
Alors il a une idée. Une idée pas bien nouvelle puisque elle a juste été
perdue à l'occasion des débuts de la conquête spatiale.
Unis 26
30. Cycle Beta
Il va restaurer la tradition des mascottes à bord. Les fouilles ont mis à
jour un cheptel assez conséquent qui en démontre le besoin. Il sait aussi
que les vétérans cachent une créature bizarre qui ne doit jamais être
montrée à d'autres. Alors ce petit singe extra-terrestre va devenir la
mascotte du vaisseau, et ce jeune homme qui a su gagner sa confiance en
sera le responsable.
Le scientifique tripailleur et collectionneur de bocaux quant à lui sera
responsable de l'hygiène et de la santé de tous les animaux classifiés
« familiers ».
Pour le désordre induit par cette recherche effrénée, ce seront tous les
magouilleurs et les tarés qui paieront les pots cassés. L'humanité traîne
avec elle une fange que l'espace doit permettre de purifier. Mais la vie, si
rare dans l'univers, est sacrée. Même les rats seront adoptables. Cependant
leur reproduction va être régulée.
En plus de la charge d'entretien du petit singe, le jeune va tout de même
récupérer une corvée moins glorieuse. Le risque sanitaire est un risque à
prendre au sérieux.
Une sanction doit donc s'appliquer. Il va devenir durant deux heures par
cycle jour de douze heures responsable de l'entretien des latrines jusqu'à la
fin de sa formation. Cela dissuadera les amateurs d'adoption en douce
d'espèces extra-terrestres à bord. La prochaine planète d'exercice est en
effet peuplée par une faune parfois redoutable.
Unis 27
31. Nouvelle vie
À peine sorti de chez l'amiral, Reno est devenu le VIP de l'escadre. Mais
les jeunes évitent pour l'instant de lui manifester leur sympathie car la tête
sinistre des deux cadres de la section qui l'accompagnent en dit long sur sa
popularité dans la hiérarchie.
Pourtant, après que l'amiral l'ait tout de même tancé pour avoir cacher
l'animal recherché, Reno a été un peu interrogé sur le déroulement de son
instruction. Il n'a pas critiqué ses chefs malgré les brimades plus ou moins
légères et au bon goût contestable subies durant sa formation initiale, puis
au quotidien durant la formation complémentaire actuelle. Il a parlé de la
peur de voir l'animal disséqué par le vétérinaire scientifique alors qu'il
pensait lui avoir sauvé la vie pour justifier son acte. Mais Reno n'en menait
pas large et ses cadres auraient préféré présenter au « grand chef »un
« velu » plus représentatif de la qualité de leur instruction.
L'énoncé de la peine ne les a pas satisfaits. Eux vont devoir subir les
avanies de leurs collègues pour les fouilles entreprises et leurs
conséquences dérangeantes. Ce Reno porte-poisse est vraiment la pire
chose qui leur soit arrivée. Il ne manquait plus qu'il devienne un
« chouchou » intouchable à haut niveau.
Alsyen, sentant l'animosité des deux humains vis-à-vis de Reno, prend
parti pour celui-ci même sans en comprendre la raison. (il ne connaît pas
encore leur langage). Il décide de stimuler un peu plus leur sentiment de
frustration, ce qui leur serre bien la gorge. Il prend soin aussi de rassurer
Reno, plutôt bouleversé.
Heureusement, l'amiral a donné quartier libre pour le reste de la journée
à toutes les recrues non prises par le service, afin de remettre de l'ordre
dans leurs affaires. Autre largesse : malgré les rations distribuées, le repas
chaud devra être prêt pour le soir. Ce sera le premier signe du « retour à
l'ordre ».
Nouvelle vie 28
32. Cycle Beta
Le sergent Coll quant à lui hérite d'une demande de punition pour avoir
dissimulé dans son casier un Neurovid avec des contenus pornographiques
interdits. Ceux-ci montrent des humaines en pleine action avec des
Alcychiens, animaux pacifiques de la planète Alcyde, domestiqués pour
protéger les alentours de la base, et dont la tendance aux câlins profonds à
l'attention des femmes de colons est légendaire.
Il va aussi subir un examen médical complet, suivi d'une rééducation
psychologique de plusieurs semaines. À l'origine, un Neurovid était prévu
pour se connecter directement sur le cerveau à travers les tempes. Une
émission de rayon photonique à travers le crâne permettait de modifier les
perceptions visuelles et donc de montrer en grand des scènes virtuelles.
Mais ils furent interdits après des accidents qui rendirent leurs usagers
aveugles : les synapses des neurones cognitifs au contact des neurones
optiques subissaient de graves dommages dus à une sur-stimulation
d'acétylcholine, et divers autres neuro-transmetteurs habituellement
sécrétés en quantité infinitésimale. Facteur aggravant : le principe avait
évolué avec la distribution de ce produit à grande échelle. Le Neurovid
ressemblait à un simple baladeur avec des écouteurs. Le signal visuel cette
fois était transmis au cerveau via les nerfs auditifs. Cela permit aux
premières victimes de l'ancienne technologie de retrouver la vue grâce à
une caméra fixée sur des lunettes reliées au Neurovid. Mais malgré toutes
les précautions, à la longue, des troubles auditifs, acouphènes comme
hypoacousie apparaissaient, ainsi que des altérations irréversibles de
l'oreille interne.
Les Neurovids auraient donc dû rapidement tomber dans l'oubli si un
trafiquant minable n'avait pas eu l'idée de les utiliser pour du porno. Afin
de s'assurer des clients, il avait fait évoluer le dispositif. Commercialement
rebaptisé Porn-Neurovid, l'engin fait parvenir par les nerfs optiques non
seulement des scènes obscènes, mais aussi des signaux « fleshy »,
provoquant une excitation sexuelle artificielle directement au niveau du
cerveau, puis par réaction, au reste du corps. Un effet de dépendance
survient alors assez vite, surtout chez des hommes privés de relations
sexuelles durant de longues périodes, comme ceux contraints à de longs
trajets dans l'espace par exemple.
Nouvelle vie 29
33. Cycle Beta
Le corps des FCP ne peut tolérer la moindre dépendance psychologique,
surtout lorsque elle s'accompagne de dégénérescence mentale et physique.
Le sergent Coll risque se retrouver débarqué au retour sur Bêta prime pour
redevenir simple colon durant la durée de son contrat initial de vingt ans.
S'il est reconnu inapte, il va être dégradé et affecté à des tâches
primaires.
Cela, les jeunes recrues l'ignorent totalement pour l'instant mais le chef
de section sait qu'il va regretter ce sergent prometteur, moins « bourrin »
que le reste de l'encadrement, physiquement « chat maigre » et dont le
commandement impose naturellement le respect sans contrainte aux
jeunes.
Un peu ce qu'il aurait souhaité pour lui-même, mais qu'il n'était pas
parvenu à réaliser. Trop ambitieux, trop pressé pour prendre le temps
d'atteindre les objectifs dans les règles de l'art, il s'était rabattu sur « les
bonnes vieilles méthodes » pour tenter d'y parvenir quand même.
Dans la chambre de Reno, les recrues se passent et se repassent Alsyen.
Tout le monde veut le toucher, l'amadouer et Reno n'a pas le coeur de
refuser ce plaisir à ses camarades. Alsyen n'apprécie pas vraiment mais il
sent la sympathie communicative de tous ces jeunes humains et il se laisse
faire avec bonne grâce. Néanmoins, il ne recommence pas son numéro au
milieu des briques de C'fet. Sinon, la chambre risque devenir un music-hall
et il estime que même un « animal » doit avoir droit à sa dignité.
Au réfectoire, Alsyen n'a pu que regarder les humains manger. Son
dernier repas est assez loin. Heureusement Jean-Louis y pense.
— Et qu'est ce qu'il mange ton singe ?
— Pour l'instant, je suis sûr qu'il aime les biscuits, les cacahuètes mais
pas les hamburgers
— On a eu des rations. On n'a qu'à les ouvrir et voir ce qui lui plaît
— Excellente idée.
— Moi j'ai une numéro 3 avec du porc aux patates.
— Et moi une 7 avec mouton haricots.
— Il préférera peut-être la 11 avec des cannelloni.
— Je suis sûr qu'il aime les corn-flakes au chocolat…
La table commune se couvre de victuailles industrielles et Reno pose
Alsyen à côté en lui proposant un biscuit. Alsyen prend le biscuit, le
Nouvelle vie 30
34. Cycle Beta
mange puis, oh quelle intelligence, se met à renifler tout ce qui est sur la
table.
I l n e m a n g e j a m a i s d e v i a n d e o u d e p o i s s o n . Q u e s t i o n
d'éducation. Néanmoins, il lui arrive assez souvent de manger sur Myrna
certains gros insectes et des sortes d'escargots à condition qu'ils soient
servis vivants. Les oeufs d'oiseaux comme de reptiles sont aussi des mets
de choix mais il n'en abuse pas. Les Niumis ne consomment pas de
nourriture cuite. Omnivores, ils s'astreignent à un régime carné minimum.
Ils lyophilisent quand même la nourriture pour mieux la conserver sous
vide ensuite car il s'agit d'une technique dérivée du séchage des fruits.
Friands de nombreuses espèces de graines,, ils n'ont jamais ressenti le
besoin d'en faire de la farine pour la cuire. Au contraire, le grain entier se
conserve mieux dans les filets silos. Déjà, les biscuits plaisent beaucoup à
Alsyen. Contraints de goûter pour survivre, Alsyen découvre avec plaisir
les corn-flakes au miel. Ceux au chocolat sont un pur délice. Le fromage
par contre l'intrigue beaucoup. De peu, il évite de se trahir, tenté un bref
moment de prendre le verre de lait à la main, malgré sa grosse taille pour
lui. Il se met donc à laper pour la « première » fois. Par la suite, pour en
boire d'une manière plus civilisée, il fera quelques simulacres d'imitation,
feignant ainsi d' « apprendre » à boire au verre.
Néanmoins, il va lui falloir tout d'abord apprendre à communiquer
comme un animal mais surtout à comprendre réellement les humains, c'est
à dire leur langue en plus de leurs émotions et de leurs motivations (Alsyen
jusqu'à maintenant « sent » le geste de l'humain avant qu'il ne le réalise).
Ensuite, il lui faudra savoir lire. Malgré son extraordinaire mémoire et
son intelligence par rapport à un humain, un apprentissage non organisé est
toujours pénible. Impossible dans son cas de demander un abécédaire avec
des images, des enregistrements sonores et un professeur.
Il y a un mot facile à apprendre. Allez, c'est pour maintenant. Alsyen
prend une poignée de raviolis et la lance sur Reno. Tout le monde rit sauf
l'intéressé qui part dans une diatribe négative incompréhensible. Donc,
Alsyen recommence. « Non, arrête » dit Reno. Alsyen reprend une
poignée. Reno retient son bras. « Non » répète t-il. Alsyen relâche son bras
puis va pour lancer. Reno le retient à nouveau et lui présente sa main près
de la tête, comme pour le frapper. « Non » insiste t-il. Alsyen repose les
Nouvelle vie 31
35. Cycle Beta
raviolis dans la boite. « Oui, c'est bien » dit Reno. Alsyen se lèche la main,
alors qu'il préférerait se l'essuyer, puis va pour se coller contre Reno.
« Oui, c'est bien. Gentil le singe »
Reno le caresse. Alsyen peut sentir l'affection qui lui est destinée. Pas
rancunier l'humain.
Jean-Louis alors pose la question fatidique.
— D'abord c'est même pas un singe. Et puis, on va l'appeler
comment ?
— Je ne sais pas.
— Moi je sais. Caubard ! »
Tout le monde rit. Donner le nom du chef de section au singe, c'est
amusant, mais plutôt déconseillé. L'humour risquerait ne pas être partagé
par les cadres.
— Et pourquoi pas Willy ?
— C'est nul comme idée.
— Tarzan.
— Léon.
— Non, moi je sais. Flipper.
— Pff.
— Nikita !
— C'est un mâle ! Arrête de l'appeler comme ça.
— Rex.
— C'est pas un chien.
— Nabudochonossor.
— C'est Nabuchodonosor et c'est trop long.
— Rocky.
— Riton.
— P'tit louis.
— Dicentim.
— Non. Ça va pas. Mais on peut organiser un vote.
— Oui. On sélectionne plusieurs trucs parmi les meilleures idées et on
choisit.
— Ça lui irait bien Coco Barge.
— On reconnaîtrait encore le chef et ça fait perroquet.
Nouvelle vie 32
36. Cycle Beta
Jean-Louis s'approche de l'oreille d'Alsyen et doucement l'appelle
« Bleno !». Alsyen tourne la tête et Jean-Louis fait « Vous avez vu ?
Bleno réagit »
Reno secoue la tête de gauche à droite. Vraiment, ils sont tous nuls.
Mais c'est vrai, comment l'appeler ?
Nouvelle vie 33
37. Alsyen s'implique
Alsyen s'est installé sur les cuisses de Reno et fait mine de jouer avec le
hochet lumineux à variation de spectre en le tournant dans tous les sens et
en le mordillant. En fait, il observe les doigts de Reno et l'écran. La
mémoire d'Alsyen lui permettrait déjà de se connecter car sans comprendre
les caractères, il les a déjà tous retenus, comme enregistré la réaction de
chacun d'eux à l'écran.
Les Niumis utilisent des ordinateurs depuis une vingtaine de siècles.
Néanmoins, leur planète n'est industrialisée qu'à moitié et les Niumis n'ont
fait aucune découverte technique. Depuis plus de cent-mille ans, ils ont
évolué de concert avec les Zymbrekes. D'abord symbiotique et animale, la
relation avec les Zymbrekes a connu les rapports maître-esclave pendant
cinquante-mille ans. Puis cette situation est devenue insupportable aux
Niumis, qui, ayant acquis une certaine sagesse, commençaient à influencer
les cerveaux des Zymbrekes pour les faire accéder à l'intelligence.
Trente-mille ans plus tard, des colons xhantiens débarquèrent sur Myrna la
Forestière. Ils s'installèrent près des fleuves, dans les plaines et chassèrent
les Niumis à coup de désintégrateurs. Mal leur en prit. À chaque violence
commise par un groupe de colons, ceux-ci se retrouvaient rapidement
décimés par des Zymbrekes, ayant parvenu mystérieusement à s'introduire
derrière les barrières de sécurité les plus sophistiquées.
Les Xhantiens avaient installé une station orbitale. Au télescope, ils
purent observer Niumis et Zymbrekes découvrant les objets technologiques
abandonnés, puis apprenant à s'en servir.
Ils comprirent alors que les massacres à coups de griffes n'étaient donc
qu'une mise en scène. Dès le départ, ils auraient pu retourner les armes des
envahisseurs contre eux. Il s'agissait d'espèces intelligentes : il fallait agir
autrement.
Alsyen s'implique 34
38. Cycle Beta
La troisième expédition xhantienne fut donc précédée d'une navette
diplomatique sans aucun armement. Un groupe de volontaires se porta à la
rencontre des Zymbrekes. Lorsque ceux-ci voulurent lancer l'assaut, les
Xhantiens présentèrent des objets en cadeau. Il n'y eut cette fois aucune
victime et les trois races sympathisèrent.
Les armes saisies sur les cadavres furent restituées aux Xhantiens
spontanément au bout de quelques jours. Alors, les colons xhantiens
débarquèrent non armés et purent s'installer là où ils le souhaitaient.
Des couples Niumis-Zymbrekes (Deux Niumis et deux Zymbrekes) se
présentèrent au devant des implantations et manifestèrent leur désir de
vivre au sein de la communauté xhantienne. En réciprocité, certains
Xhantiens durent aller vivre avec les colonies des Niumis.
En moins d'un siècle, il y avait deux types de quartiers dans les villes de
Myrna. Celui qui était adapté au mode de vie autochtone, et celui adapté
aux Xhantiens. Les Xhantiens sont des créatures humanoïdes à la peau
sombre et écailleuse. Leur nez est presque plat, à quatre fentes. Leurs
oreilles sont petites et cylindriques de part et d'autre de la tête. Enfin, ils
mesurent plus de deux mètres cinquante. L'habitat ne peut donc être
commun avec les Niumis, hauts de quarante centimètres maxi sur la pointe
des pattes ayant leurs « propres appartements » à l'étage auxquels ils
accèdent par un pilier-tronc, tandis que le rez-de-chaussée est réservé aux
Zymbrekes, mesurant environ un mètre cinquante, se déplaçant sur des
tentacules et souhaitant vivre en permanence sur un sol nu et naturel.
La « villa-immeuble » est d'ailleurs conçue pour protéger une colonie de
Niumis à l'étage, avec le nombre équivalent de Zymbrekes au
rez-de-chaussée.
Les Niumis permirent aux Xhantiens de régler leurs problèmes
ethniques sur leur planète, par leur philosophie et leur pacifisme,
rapidement à la mode au sein de l'élite xhantienne. Ils devinrent très vite
ambassadeurs adjoints, au service de chaque partie, afin d'arbitrer et régler
les problèmes internes des Xhantiens avec pragmatisme. Leur
collectivisme permit aussi de rationaliser la production, de mettre en place
un partage équitable des ressources et de maintenir la motivation de tous
les individus en récompensant le travail accompli par des fournitures
inédites, cependant non vitales. Ils firent aussi redécouvrir aux Xhantiens
Alsyen s'implique 35
39. Cycle Beta
les charmes d'une pharmacopée naturelle grâce à leur excellente
connaissance de la flore myrnienne, encore intacte et riche en plantes
médicamenteuses. Les chimistes xhantiens parvinrent d'abord à synthétiser
les molécules actives, et finalement prirent le parti de la culture des plantes
elle-mêmes, avec les quelques manipulations génétiques adéquates pour
améliorer leur rendement et en permettre un développement contrôlé sur
les sols déserts ou pollués de Xhantios. Diverses techniques d'extraction
des principes actifs s'avérèrent bien plus profitables que de jouer
industriellement avec des éprouvettes...
En échange, les Xhantiens devinrent partenaires pour la réalisation
d'usines de produits manufacturés pour les Niumis et les Zymbrekes, dont
la nudité fut déclarée « choquante ». Les Niumis découvrirent donc les
heures de travail (seulement la moitié de la journée un jour sur deux) pour
pouvoir se procurer ces produits. Le binôme Zymbreke (avec ses bras et
tentacules) et Niumi était quand même aussi efficace que six Xhantiens.
Myrna exporta très rapidement des produits pour Xhantiens fabriqués
grâces aux ressources naturelles de la planète et grâce au travail
niumio-zymbreke. Puis, il y eu très rapidement des techniciens, des
concepteurs et des créateurs niumis car leur vive intelligence était étayée
par une mémoire phénoménale.
Enfin, en dehors de leurs heures de travail, les Niumis élaborèrent des
dictionnaires, des méthodes d'apprentissage, des bilans de découvertes...
sur leur réseau informatique global. Ils accédèrent ainsi à une culture de
l'écrit, une révolution, car jusqu'alors, toute la transmission des savoirs et
des traditions était orale et télépathique. Aucunement pervertis par une
histoire sanglante et des idéologies hégémoniques, tout à fait innocents
face à l’oedipe, incapables de comprendre le besoin de richesses, leur
motivation était la recherche de la connaissance et de la sagesse.
La possibilité de voyager loin allait perturber quelques équilibres. Pour
pouvoir s'offrir des vaisseaux spatiaux, il fallait quand même gagner
beaucoup de crédits. De plus, les plaisirs d'une drogue concentrée (alors
que les Niumis en consommaient seulement sous forme naturelle le soir
pour se détacher l'esprit), interdite de surcroît encouragèrent quelques
comportements déviants comme l'escroquerie et la masturbation en public.
Mais il n'y eu jamais violence ou meurtre en effet secondaire.
Alsyen s'implique 36
40. Cycle Beta
Alsyen faisait donc partie d'une famille aisée. Ele possédait d'ailleurs
deux vaisseaux spatiaux. Celui qu'il avait « emprunté » pour sa petite virée
funeste dans l'espoir d'un « détachement » plus jouissif retournerait de
lui-même au bercail après une centaine d'alternances jour/nuit …
Tenir compagnie à Reno durant ses cours l'avait déjà amené à apprendre
notre alphabet dans l'ordre des touches du clavier. De plus, comme souvent
Reno répondait au logiciel en parlant à voix basse mais perceptible par un
micro d'oreille interprétant les vibrations des os de la mâchoire, et que le
logiciel de synthèse vocale affichait la réponse dans les cadres de saisie,
Alsyen connaissait déjà un certain nombre de phonèmes à la fin de la
journée.
Il pouvait ainsi reconnaître dans une phrase un objet nommé en sa
présence assez rapidement. Il y avait tout de même une difficulté
particulière à la langue humaine. Aucune des trois langues (Niumi,
Zymbreke, Xhantien) connues d'Alsyen ne comportaient d'articles et il
existait quatre genres : masculin, féminin, neutre et associatif (genre
réservé au binôme Niumi-Zymbreke). Avec le nombre et la fonction dans
la phrase, tout était une question de déclinaison à la fin du mot. Le verbe
était donné accordé en début de phrase, puis suivait l'adverbe éventuel, le
groupe sujet, (un groupe est composé d'adjectifs invariables car c'est le
nom commun qui porte la marque du genre et nombre) toujours sans
subordonnée à l'intérieur, et enfin le groupe action, suivis des groupes
circonstanciels, toujours sans subordonnées. Voila pour le langage parlé.
Dans le langage écrit par contre, après le dernier groupe circonstanciel, on
introduisait les subordonnées par un pronom qui indiquait, soit le groupe
objet, soit le groupe action, soit enfin le numéro du groupe circonstanciel.
Les pronoms personnels sujets n'existaient pas puisque le verbe, accordé
par un suffixe à la bonne personne du singulier ou du pluriel, indiquait déjà
les renseignements. Cela donnait des phrases du genre « Boije » (je bois).
« Boije eau quiobjet coule dans grande forêt qui1 recouvre verte planète ».
La négation, quant à elle, se plaçait devant le verbe quand il y avait lieu.
Quelques autres règles avec des conjonctions de coordination
régentaient les règles de position, d'appartenance, d'antériorité etc. etc.
Alsyen allait avoir au début un peu de mal à s'y retrouver, malgré son
intelligence et sa mémoire. Les langages de la terre avaient fusionné en un
Alsyen s'implique 37
41. Cycle Beta
franglais extrêmement compliqué à cause de l'exception culturelle d'un
petit pays de trente millions d'habitants. Celui-ci, héritier d'une « Grande
Histoire de Lui-Même », avait voulu, et obtenu par influence une
académie planétaire composée « d'immortels » pour régenter le bon emploi
des mots et leur certification, comptant ainsi éviter des termes « locaux »
même dans les futures terres conquises.
Le pire vint ensuite des huit cents « immortels », menant de grandes
luttes d'influence et d'ego tout en prétendant sauvegarder l'étymologie des
mots alors qu'ils devaient être homogénéisés. Quant aux phrases, les
grammairiens menaient d'épiques batailles pour défendre telle ou telle
exception dans les règles universelles. Sans les correcteurs
orthographiques ou les logiciels de synthèse vocale, nul n'écrirait de terrien
académiquement correct.
D'où un retour à un langage parlé universel assez fruste qui
correspondait très bien à l'action en ces périodes d'émancipation. Mêmes
certaines onomatopées pouvaient être lourdes de sens chez quelques
taciturnes, significations très accessibles à la télépathie d'Alsyen se basant
sur les émotions et les motivations liées au déclenchement de l'usage de la
parole. Mieux, Alsyen pouvait sentir le mensonge ou la méchanceté
derrière chaque message apparemment sibyllin chez la plupart des
créatures intelligentes.
*
* *
À la mi-journée, alors que toute la section finissait son repas, Reno
amena Alsyen en chambre dans les locaux de la section. Il croisa le sergent
Coll, ou plutôt l'ombre du sergent Coll. Celui-ci revenait de la visite
médicale et les résultats d'analyse étaient mauvais. Le docteur avait décidé
de temporiser la décision du commandement en prévoyant une
contre-visite trente cycles/jour plus tard pour jauger d'une éventuelle
amélioration après suppression par le sujet de l'usage de sa Neurovid.
Néanmoins, il pensait certains dommages irréversibles.
À sa vue, et sans connaître la cause de sa tristesse, Reno proposa de bon
coeur au sergent Coll une C'fet et celui-ci accepta. La conversation resta
anodine et tourna autour d'Alsyen tandis que celui-ci mangeait. Alsyen
Alsyen s'implique 38
42. Cycle Beta
perçut la détresse du sergent et les dégâts occasionnés par le Neurovid sur
ses zones temporales.
Entraîné par la sympathie de Reno, il décida donc de stimuler certaines
synapses qui allaient relancer la production d'hormones et de
neurotransmetteurs qui eux-mêmes déclencheraient les réparations de
manière naturelle. Le Neurovid « désamorçait » et déréglait trop de
mécanismes pour que la réparation se relance d'elle-même. Il faudrait juste
que pendant deux semaines, Alsyen puisse croiser Coll quotidiennement
pour re-stimuler l'ensemble et ensuite, les choses se soigneraient
d'elles-mêmes progressivement, totalement en quelques mois, mais déjà
aux trois-quarts dans les deux premières semaines.
Coll prit congé de Reno avec un « Merci, c'était sympa de ta part, Reno.
Mais fait gaffe, Caubard t'a dans le nez et il veut ta peau »
Alsyen s'implique 39
43. Cérémonie de baptême
Alsyen va être baptisé au cours d'une petite fête surprise pour les recrues
de l'escadre, mais préparée dans les moindres détails par l'équipe désignée
par le chef d'escadre. En effet, l'Amiral a précédemment décidé une visite
d'inspection dans toutes les unités élémentaires du vaisseau. À l'issue de
celle-ci, la mascotte de chacune de ces unités va connaître son nom. Une
manière de vérifier que la leçon a porté et qu'après les sanctions et les
mises au point, les escadres sont à nouveau irréprochables et dignes de la
confiance de leur chef.
Cela donne aussi l'occasion aux recrues de voir leur chef suprême à des
millions de kilomètres à la ronde. Les chambres ont été rangées « au
carré », les couloirs ont leurs parois étincelantes, les lourdes portes
coulissent au petit poil et toutes les ampoules fonctionnent. Les sanitaires
eux aussi ont eu droit à un nettoyage en règle, et durant les deux heures
précédant la visite, puis pendant l'heure d'inspection, personne n'a eu le
droit de les utiliser, d'où quelques grimaces de la part de certains.
Les deux-cents recrues non prises par le service sont maintenant au
garde-à-vous devant leur amiral, section par section, avec leur
encadrement, dans le réfectoire réaménagé pour l'occasion…
La corvée de Reno pour cette cérémonie a été de nettoyer Alsyen et de
mettre en valeur sa fourrure. Il a fait ça au labo du « tripailleur », dans le
bac d'une paillasse.
Si Alsyen ne craint pas l'eau, il n'a pas du tout apprécié le savon au
citron mais Reno, malgré les sollicitations télépathiques a été intraitable.
Lui aussi a donc été abondamment mouillé malgré le tablier en plastique
que lui a prêté le « tripailleur ». Le plus pénible a été le nettoyage de la
tête. Même les poissons dans leur aquarium se sont cachés suite à
l'émission de détresse télépathique d'Alsyen, le passage de la tête sous l'eau
étant équivalent pour sa race à un véritable supplice.
Cérémonie de baptême 40
44. Cycle Beta
Sorti du bac, Alsyen semblait squelettique et pitoyable. Son air outré fit
sourire Reno et Alsyen dut s'incliner et rire de son propre ridicule. Il se
laissa donc faire durant la séance de sèche-cheveux, puis Reno le brossa en
faisant bouffer les poils très fins. Alsyen reprit ainsi une forme plus
présentable. Reno lui coupa au carré les poils qui sortaient des oreilles.
Alsyen se trouva beau dans la glace que lui présenta Reno.
Il dut aussi enfiler l'uniforme réalisé par le maître-tailleur d'après les
images prises par l'ordinateur spécialisé. Alsyen résista un peu pour la
forme. Il était censé être un primate sauvage à peine apprivoisé.
Néanmoins, ce cadeau imprévu qui lui redonnait toute sa prestance de
Niumi civilisé lui fit énormément plaisir.
Un grand soin spécifique avait été apporté à sa conception. Sa queue
avait son propre compartiment interne mais n'était pas visible de l'extérieur
afin certainement d'éviter qu'elle puisse rester coincée dans une porte. Le
tissu, multicouche, était bien sûr indéchirable. Les agrafes pour y fixer de
façon étanche une capuche sous casque scaphandre afin de sortir dans
l'espace étaient présentes. En avait-il un prévu pour lui ? (Plus tard, il
s'avéra que oui. Reno reçut ainsi un paquetage complet pour son protégé,
avec même des vêtements civils et une trousse de toilette adaptée. Ah, les
applications du règlement parfois).
Cette combinaison était auto-respirante, anti-allergique, anti-odeur.
Équipée d'un convecteur, elle récupérait la chaleur corporelle de l'individu
pour recharger ses batteries, partie prenantes de la matière du vêtement
elle-même. La polarisation variable des fibres permettait le détachage de
toute matière organique interne et externe, ce qui permettait au vêtement
de rester toujours propre. Plusieurs couches totalement isolantes pouvaient
s'activer d'elles-mêmes en fonction de la température extérieure (sécurité)
ou sur commande. D'anti-transpirant, le vêtement devenait alors totalement
étanche. La transpiration collectée au niveau de la peau s'accumulait dans
la doublure, comme les excréments liquides. Sel et eau était récupérés et
utilisables en cas de besoin.
Ainsi, le recyclage des liquides, avec élimination des déchets dangereux
permettaient à un naufragé de survivre plus longtemps. La plupart du
temps, dès le retour dans une atmosphère sécurisée, il suffisait de vider les
poches réservoir situées à l'extérieur des cuisses. Leur contenu était recyclé
Cérémonie de baptême 41
45. Cycle Beta
une deuxième fois à bord du vaisseau, car dans ce cas-là, personne ne
pensait plus à l'origine de l'eau.
Les hommes ne portaient pas cette tenue en permanence. Mais elle leur
servait aussi d'uniforme d'apparat, en particulier lors des escales. Le tissu
infroissable, brillant et coupé sur mesure impressionnait les colons. Dans
l'espace, en cas d'alerte, les hommes devaient l'enfiler au plus vite. Un
autre modèle de combat au sol, plus résistant, prévu pour emporter armes,
munitions, protégeant aussi des rayons laser de faible intensité, des impacts
de projectiles de première catégorie et des champs magnéto-soniques, était
rangé dans les casiers de chaque recrue. Différents modèles de bottes
avaient aussi été conçus pour la compléter efficacement en fonction des
circonstances. (température au sol, dans l'espace, résistance à l'eau, à
l'incendie, poids et souplesse si long déplacement pédestre...)
Après essayage des gants et des chaussons à doigts pour Alsyen, ceux-ci
lui furent retirés et rangés dans une poche dans son dos. Ainsi, en temps
normal, il gardait toute son « adhérence naturelle » à Reno.
*
* *
La cérémonie commence.
Après la présentation des troupes par le chef d'escadre, l'amiral ordonne
le « repos » puis entame son petit discours traditionnel. Il les félicite pour
l'état impeccable de leurs quartiers pourtant vétustes puisqu'ils sont logés
dans la roue la plus ancienne du vaisseau. Il félicite en particulier les
cadres qui donnent le meilleur d'eux-mêmes pour la formation et les
recrues ayant les meilleurs résultats aux tests continus. Il leur annonce un
nouveau décor pour la prochaine simulation tactique globale, sans en trahir
le secret du thème. « Mais il va y avoir de l'action et chacun devra être au
maximum de son potentiel ».
Pour conclure, avant que chacun puisse goûter ce que l'excellente équipe
de cuisiniers a préparé comme buffet, il décide de présenter une nouvelle
recrue à l'escadre, dans la nouvelle fonction de mascotte.
Reno s'avance donc droit comme un « i » et au pas vers l'Amiral, avec
Alsyen tenu sous les aisselles au bout de ses bras. Un haut tabouret est
amené près de l'Amiral et Reno y dépose Alsyen. Celui-ci ne fait pas
d'histoire, mais joue un peu l'apeuré, sans se forcer vraiment car il a aussi
Cérémonie de baptême 42
46. Cycle Beta
le trac d'avoir tous ces yeux fixés sur lui.
L'amiral sourit, puis se tourna vers les troupes.
— J'ai choisi pour notre ami un nom prestigieux de notre histoire. Un
militaire bien sûr, qui s'est battu pour la grandeur de sa cité, pour ses
valeurs, pour sa survie, son expansion et son rayonnement sur le monde
d'alors. Je vous présente Scipion.
Il y a un blanc. Tout le monde ne connaît pas ce général romain. Puis les
cadres de haut rang commencent à applaudir, vite suivis par le reste de
l'assemblée.
« Et maintenant, la main dessus » (Vieille expression terrienne dont
l'origine s'est perdue signifiant qu'on peut se servir au buffet).
Dans un joyeux brouhaha, tout le monde se rend auprès des tables
chargées de boissons et de toasts disposées contre les cloisons.
— Venez avec nous au buffet officiel mon garçon , dit le second à Reno
qui vient de récupérer Alsyen. Scipion est parfait. Il ne lui manque plus
que la parole.
Cérémonie de baptême 43
47. Leçon de dressage
Tout le monde observe de son lit ou d'une chaise le duo Alsyen-Reno.
Le spectacle attendu est une pièce comique.
Reno dépose Alsyen à une extrémité de la pièce. Puis il va à l'autre bout,
tenant à la main une petite boite de croquettes de chocolat.
— Scipion ici ! ordonne-t-il.
Reno a décidé de dresser Alsyen. Maintenant qu'il a un nom, il va
pouvoir le lui apprendre. Alsyen comprend déjà une bonne partie du
langage courant et s'est même habitué à son rôle. Mais là, sa fierté en prend
un coup. Il a décidé de se jouer de son dresseur dès qu'il le pourra.
Donc, Scipion ne bouge pas. Reno répète en lui tendant les bras. Scipion
fait mine de se gratter les fesses.
- Allez, viens ici Scipion ! Insiste Reno en secouant la boite de
croquettes.
Cette fois, Alsyen est d'accord. Aucun animal n'est censé refuser un
appel direct à l'estomac.
— Bien Scipion bien, dit Reno en lui refilant une croquette.
Il s'éloigne et Alsyen le suit. Alors Reno revient et lui dit « Pas
bouger ». Scipion s'assied donc. Reno repart. Alsyen aussi. « Non, Scipion,
non ».
Reno le pose à nouveau au sol. « Scipion pas bouger ». Il parcourt un
mètre. Scipion le regarde sans bouger. Reno revient, lui donne une
croquette en lui disant « Bien, Scipion, bien ».
— Scipion, pas bouger.
Il s'éloigne et Scipion suit. Même jeu une dizaine de fois. Reno ne peut
pas s'éloigner de plus de deux mètres après avoir donné une croquette.
Puis Alsyen le laisse traverser la pièce. Reno revient. Le félicite. Lui
donne une croquette. Il le laisse sans rien dire. Alsyen le suit donc. Retour
sur l'endroit, « pas bouger Scipion » puis Reno se place à l'autre bout de la
Leçon de dressage 44
48. Cycle Beta
salle
— Viens, Scipion. Viens, ordonne Reno.
Scipion s'étire. Le regarde, avance un peu. « Allez oui, viens Scipion ».
Il décide de ne pas se presser. Reno secoue la boite. Alsyen s'arrête.
— Il n'a plus faim, fait Jean-Louis.
— Il est trop bête, ajoute Paulo.
— Allez viens Scipion, implore Reno.
Sur ce ton-là, Alsyen veut bien. Nouvelle croquette et deux trois
caresses. « Pas bouger Scipion » et Reno s'éloigne.
— Viens, Scipion, viens.
Il en a assez Alsyen, et il tient à le faire savoir. À mi-parcours, il s'arrête
et défèque.
Toute la chambre écarquille les yeux. Scipion n'a jamais fait cela
auparavant. Et d'ailleurs personne ne sait ce qu'il fait d'habitude. Bien sûr
que jamais personne n'a pu penser que Scipion pouvait ne rien faire. Mais,
on s'imaginait qu'il allait plus loin, durant les périodes nocturnes, qu'une
autre section devait nettoyer sans rien dire…
Tout le monde rit, sauf Reno qui sait qu'il va devoir nettoyer.
— Scipion vilain, sermonne Reno.
— Il faut le gronder, dit Jean-Louis,. Il y a un truc qui marche bien, c'est
lui mettre le nez dedans.
Alsyen sent tout son poil se hérisser. « Non, Reno, non. Tu ne vas pas
faire ça ? » songe t-il effrayé.
Reno se rapproche d'Alsyen. Si, il va le faire ! Alsyen s'enfuit mais la
porte est fermée. Il tente en sautant d'atteindre le bouton, mais le manque
sous la précipitation.
— Pas bête le singe, dit Jean-Louis, on dirait qu'il a compris. Attrape-le
avant qu'il réussisse à se tirer ailleurs.
Reno l'attrape au vol.
Alsyen s'accroche à son bras, lui envoie télépathiquement des ondes de
remords de sa part, de honte pour lui s'il lui faisait subir ça… Reno sait que
tout le monde le regarde. Il ne peut plus reculer, sinon, il est bon pour
nettoyer en permanence. Les corvées du matin et du soir lui suffisent.
Alsyen appelle à l'aide toute la chambrée, se crispe, jette sa tête en arrière,
fait les gros yeux gémit bruyamment mais rien n'y fait et Reno inflexible
Leçon de dressage 45
49. Cycle Beta
lui souille la truffe.
Les griffes rétractiles d'Alsyen, oubliées par Reno habitué aux ventouses
qui les dissimulent jaillissent et en un éclair lacèrent Reno aux bras,
déchirant combinaison et peau comme un simple film de plastique. Il lâche
Alsyen, qui en profite pour se dissimuler sous un lit, en répandant des
ondes de honte à la ronde.
Fin de la leçon d'aujourd'hui. Les deux ont appris plus qu'ils n'auraient
voulu et chacun d'eux le regrette car chacun a sa part de responsabilité.
Alsyen finalement ému par le désarroi de Reno cesse ses stimulations
télépathiques. Reno nettoie les dégâts et personne ne rit. Il se promet
demain de consulter en ligne les principes d'un bon dressage plutôt que
d'improviser. Un animal, ça se respecte. Jean-Louis va chercher dans sa
trousse individuelle des pansements hémostatiques et désinfectants à base
de cyanoacrylate en tube (Les modèles en bombe sont interdits dans
l'espace).
Alsyen remonte alors télépathiquement le moral des troupes et suggère
une petite soif de C'fet à tous. Quand les premiers rires fusent à nouveau, il
sort de sa cachette et va se blottir contre Reno qui discrètement le serre
contre lui avec une effusion qu'il tente de masquer.
Leçon de dressage 46
50. Progrès et découvertes
Quinze cycles jours se sont écoulés. Aujourd'hui, Alsyen est capable de
comprendre l'intégralité des conversations en cours autour de lui. Il sait
aussi lire. Ayant mémorisé le code d'accès de Reno, il va pouvoir se
connecter sur le réseau interne du vaisseau et étendre sa connaissance de la
culture des humains.
Le sergent Coll est enfin sorti d'affaire avec ses problèmes médicaux. Le
médecin de bord ne s'explique pas la régénérescence aussi rapide des
neurones endommagés et le sevrage sans troubles psychologiques au
Neurovid. Sur la feuille de soin, il a présumé d'une détérioration très rapide
mais non définitive, donc réversible grâce à un emploi antérieur très peu
fréquent. Cette conclusion de « très peu fréquent » permet aussi d'appliquer
un bémol à la punition en cours et ne remet plus en cause de manière
catégorique la suite de la carrière du jeune gradé.
Coll trouvant Reno très sympathique, il interagit sur le chef de groupe
en titre de celui-ci, le sergent Sancruz afin de le convaincre de cesser les
petites vexations quotidiennes imposées à Reno. D'ailleurs Alsyen lui aussi
encourage le tourmenteur à plus de retenue, surtout verbale en lui simulant
des goûts écoeurants lors de l'emploi de termes blessants à l'égard de son
subordonné. Le sergent Sancruz va finir par devenir poli avec tout le
monde à la longue, bien conscient de ce « problème » dont il n'ose parler à
qui que ce soit.
Quant à Reno, il prend du poil de la bête. Son assurance s'affirme
vis-à-vis de ses camarades et il est moins gaffeur dans la vie quotidienne. Il
faut dire qu'il bénéficie de l'aura de « responsable de mascotte ». Il est
devenu une célébrité sur le vaisseau. Son singe savant en jette tout de
même plus que les cochons d'Inde ou les souris blanches des autres unités.
Alsyen n'est pas étranger à cet état.
Progrès et découvertes 47
51. Cycle Beta
Il a de moins en moins besoin d'influer sur le rythme cardiaque ou les
nerfs de son protégé/partenaire. En effet, il a corrigé le petit défaut
congénital de Reno en stimulant quelques neurones jouant sur les
sécrétions de l'hypophyse. Il a aussi un peu modifié les taux de sécrétions
hormonales et bidouillé quelques neurones du cervelet pour finir de
« câbler » les hémisphères cérébraux. Reno dispose aujourd'hui du double
de neurones cognitifs par rapport à la grande majorité de ses congénères.
Les performances de sa mémoire et de ses dispositifs mentaux en sont
sur-multipliés. Reste à les lui faire utiliser à autre chose que ses maigres
cours théoriques et le comptage de chaussettes auxquels il est destiné dans
le cadre de son orientation initiale.
Alsyen a aussi corrigé le caractère naturellement indolent de Reno.
Rêveur timide et maladroit, Reno ne se donnait que des buts étriqués à
atteindre afin de ne pas être dépassé et son manque d'ambition pouvait le
cantonner aux échelons subalternes de la hiérarchie. Aujourd'hui, Reno a
envie de faire du sport, de progresser dans tous les domaines possibles. Il
attribue cette nouvelle boulimie d'intérêts à la relative inactivité après ses
classes à bord du vaisseau. Heureusement, il peut accéder à une salle de
sport, et il commence à s'y rendre de plus en plus souvent en dehors des
heures obligatoires en section. Les premiers progrès sont très
encourageants et sa maîtrise de mouvement, qu'il s'agisse de sport de
combat ou de geste technique, s'est bien améliorée, surtout qu'auparavant,
trop craintif, il tremblait presque d'appréhension à chaque mise à l'épreuve,
ce qui l'inhibait totalement. Alsyen, toujours à ses côtés veille au grain.
Comme ce fameux jour de la dernière décade... Reno s'entraînait à la
boxe française contre un simple sac rembourré de mousse. Les trois
sergents de la section sont arrivés pour s'entraîner entre eux. Surpris par la
présence d'une recrue en ces lieux en dehors des heures imposées, Sancruz
a décidé de le prendre pour adversaire au « full contact ». Reno monta
alors sur le ring la tête basse.
Les trente premières secondes, ce fut un massacre. Reno tentait de parer,
mais les coups de poing mêmes amortis par les gants, l'étourdissaient. Son
adversaire en profitait pour l'accabler sous une grêle de coups de plus en
plus appuyés et précis en toute liberté. Alsyen dissipa alors ses malaises en
augmentant son rythme cardiaque, en stimulant quelques glandes pour
Progrès et découvertes 48
52. Cycle Beta
dilater les veines, puis coupa les récepteurs de la douleur, simula en Reno
une sourde colère et lui suggéra quelques enchaînements. Deux minutes
après, un uppercut envoyait proprement Sancruz au tapis, alors que les
deux autres n'avaient rien remarqué d'étrange en ce subit revirement de
situation. Alsyen calma instantanément Reno avant qu'il n'y ait risque de
débordement et celui-ci, avec sa gentillesse habituelle proposa alors sa
main à son adversaire pour l'aider à se relever. Sancruz préféra refuser
l'aide inattendue, prétexta une douleur au poignet et quitta le ring, baignant
dans un mélange de surprise et de dépit. Reno n'en ressentit pas
immédiatement de la fierté car Alsyen bloqua ce sentiment. Il ne fallait pas
que la métamorphose semblât trop rapide.
Mais depuis cette raclée inattendue, Sancruz choisissait un autre cobaye
pour ses démonstrations au niveau section et les vexations se raréfièrent
pour disparaître totalement.
Reno doit encore intellectuellement beaucoup progresser, pour parvenir
au niveau souhaité par Alsyen. Celui-ci stimule les centres de la curiosité,
mais l'emploi du temps est chargé et les accès aux informations sont
peut-être analysés. Alsyen s'oblige à la prudence et apprend simultanément
les mêmes choses que Reno.
Lorsque la « roue » est endormie, Reno en profite pour allumer un des
ordinateurs intégrés dans la table de la chambre. Il trouve enfin un
descriptif du vaisseau école, avec une représentation visuelle et un
descriptif technique, dans les grandes lignes. Derrière lui, Alsyen est
horrifié. Les humains ont un tel retard technologique. Mais on ne peut leur
dénier un certain sens pratique et un sacré courage pour s'embarquer sur de
telles casseroles.
Le vaisseau est composé d'une base propulsive circulaire. À chaque
extrémité d'un diamètre, deux grandes colonnes s'élèvent
perpendiculairement à cette base. Ces deux colonnes supportent un axe les
reliant entre elles. Cet axe est aussi celui de cinq roues internes (Mais on
pourrait encore en rajouter deux à l'intérieur des colonnes). Rien
n'interdirait d'avoir un jour des roues tournant à l'extérieur des colonnes,
mais pour l'instant, il y a deux roues cylindriques stables de part et d'autre
de l'ensemble.
Progrès et découvertes 49