3. Avertissement
Les entrées précédées d’un astérisque renvoient au Jargon, ou Langage de l’argot
moderne…; voir ABBAYE RUFFANTE, p. 4.
Les entrées précédées de deux astérisques renvoient aux ballades en langage argo-
tique de Villon; voir ARGUCHE (fin de l’article, p. 6).
Certains termes d’argot ne font pas l’objet d’une entrée particulière mais sont
expliqués dans un article plus générique, c’est le cas de toutes les entrées mises entre
crochets par l’éditeur.
Nous avons respecté le classement des articles de l’édition originale, il n’est pas
toujours strictement alphabétique.
Abréviations
adj. : adjectif s. m. : substantif masculin
adv. : adverbe v. : verbe
p. p. : pronom personnel v. a. : verbe actif
s. : substantif v. n. : verbe neutre
s. f. : substantif féminin v. p. : verbe passif
3
4. ABADIS
A
ABADIS s. f. Foule, multitude, rassem- * ABBAYE RUFFANTE s. f. Four chaud.
blement. Ce mot appartient au vieux langage
argotique, il est précédé d’un astérisque
ABAT-RELUI s. m. Abat-jour.
ainsi que tous ceux qui sont empruntés
ABBAYE DE MONTE-À-REGRET ou DE à un petit ouvrage très rare, publié au
MONTE-À-REBOURS s. f. Nos roman- commencement du seizième siècle, et
ciers modernes, Victor Hugo même, qui est intitulé : Le Jargon, ou Langage de
qui, dans Le Dernier Jour d’un condamné, l’argot moderne, comme il est à présent en
paraît avoir étudié avec quelque soin le usage parmi les bons pauvres; tiré et
langage bigorne, donnent ce nom à la recueilli des plus fameux argotiers de ce
guillotine, quoiqu’il soit bien plus temps; composé par un pilier de bou-
ancien que la machine inventée par tanche qui maquille en molanche, en la
Guillotin, et qu’il ne s’applique qu’à la vergne de Tours; à Troyes, et se vend à
potence ou à l’échafaud. Paris, chez Jean Musier, marchand
Celui qui jadis était condamné à libraire, rue Petit-Pont, à l’image Saint-
passer tous ses jours à la Trappe ou aux Jean.
Camaldules, ne voyait pas sans éprouver
ABÈQUER v. a. Nourrir un enfant ou
quelques regrets se refermer sur lui les
quelqu’un gratuitement.
portes massives de l’abbaye. La potence
était pour les voleurs ce que les abbayes ABÈQUEUSE s. f. Nourrice.
étaient pour les gens du monde; l’espoir
n’abandonne qu’au pied de l’échafaud ABLOQUIR v. a. Acheter à prix d’argent;
celui qui s’est fait à la vie des prisons et se dit aussi pour acquérir.
des bagnes; les portes d’une prison doi- ABLOQUISSEUR-EUSE s. Celui qui
vent s’ouvrir un jour, on peut s’évader achète ou qui acquiert.
du bagne; mais lorsque le voleur est
arrivé au centre du cercle dont il a par- ABOULAGE ACRÉ s. f. Abondance.
couru toute la circonférence, il faut qu’il
ABOULER v. a. Venir.
dise adieu à toutes ses espérances, aussi
a-t-il nommé la potence l’Abbaye de ABOULER DE MACQUILLER v. a. Venir
Monte-à-Regret. de faire une chose ou une autre.
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5. ABOYEUR
ABOYEUR s. m. Celui qui dans une * AMADOU s. m. Les argotiers du temps
prison est chargé d’appeler les prison- passé nommaient ainsi une drogue dont
niers demandés au parloir. ils se frottaient pour devenir jaunes et
ABREUVOIR À MOUCHES s. f. Grande paraître malades.
plaie d’où coule le sang; ce terme est * AMBYER v. a. Fuir.
passé dans la langue populaire; je le ANDOUILLE s. m. Homme qui a peu de
trouve dans le Vocabulaire de Vailly, édi- vigueur, qui est indolent, sans caractère.
tion de 1831.
* ANGLUCE s. f. Oie.
ACCENT (FAIRE L’) v. p. Voir ci-après
ANGUILLE s. f. Ceinture.
ARÇON (FAIRE L’).
À NIORT (ALLER) v. a. Nier un fait.
ACCROCHE-CŒURS s. m. Favoris.
ANTIFLER v. a. Marier.
ACHAR’ s. m. Acharnement.
AGRÉ-ÉE adj. Fort-e. ANTONNE s. f. Église. Terme des
voleurs parisiens.
AFFRANCHI-IE adj. Être corrompu, con-
naître et pratiquer une ou plusieurs des ANTROLLER v. a. Emporter.
nombreuses manières de voler. (Affran- APÔTRE s. m. Doigt.
chir des Latins.) AQUIGER v. a. Battre, blesser. On aquige
AFFRANCHIR v. a. Corrompre, aussi les cartes pour les reconnaître au
apprendre à quelqu’un les ruses du passage, et les filer au besoin.
métier de fripon; ainsi l’on dira : affran- ARBALÈTE s. f. Croix que les femmes
chir un sinve avec de l’auber, corrompre portent au col.
un honnête homme avec de l’argent,
* ARBALÈTE DE CHIQUE, D’ANTONNE,
l’engager à taire la vérité; affranchir un
DE PRIANTE s. f. Croix d’église.
sinve pour grinchir, faire un fripon d’un
honnête homme. ARCASIEN ou ARCASINEUR s. m. Celui
qui écrit des lettres de Jérusalem. (Voir ce
AFFURAGE s. m. Bénéfice, profit.
mot, p. 81.)
AFFURER v. a. Gagner. (Vient probable-
ARCAT s. m. Le fait d’écrire une lettre de
ment de fur, voleur.)
Jérusalem.
* AFLUER v. a. Tromper.
ARCHE DE NOÉ s. f. Académie.
AIDANCE s. m. Service.
ARCHI-SUPPÔT DE L’ARGOT s. m. (Voir
AIGUILLE s. f. Clé. Terme dont se servent CAGOUX, p. 16.)
les voleurs de campagne.
ARÇON (FAIRE L’) v. p. Faire le signal qui
AILE s. m. Bras. sert aux voleurs, et plus particulière-
AILE (SOUS L’) adv. Sous le bras. ment aux assassins de profession, pour
ALARMISTE s. m. Chien de garde. se reconnaître entre eux. Ce signal se
fait de cette manière : le bruit d’un cra-
ALENTOIR adv. Alentour, aux environs.
chement et simuler un C sur la joue
ALTÈQUE adj. Beau, bon, excellent. droite et près du menton, avec le pouce
(Altur), d’où dérive le mot altier, changé de la main droite. On fait aussi l’arçon
en altèque. pour avertir celui qui se dispose à tra-
ALLUMER v. a. Regarder attentivement. vailler (à voler), de ne pas commencer,
5
6. ARGANEAU
attendu qu’il est observé ou en danger entre eux; langage animé, pittoresque,
d’être saisi. énergique comme tout ce qui est
ARGANEAU ou ORGANEAU s. m.
l’œuvre des masses, auquel très souvent
Anneau de fer placé au milieu de la la langue nationale a fait des emprunts
chaîne qui joint entre eux les forçats sus- importants. Que sont les mots propres à
pects. chaque science, à chaque métier, à
chaque profession, qui n’ont point de
ARGOTIER s. m. Celui qui parle argot, racines grecques ou latines, si ce ne sont
sujet du grand Coësré. (Voir ce mot, des mots d’argot? Ce qu’on est convenu
p. 28.) d’appeler la langue du palais, n’est vrai-
ARGUEMINES s. f. Mains. Terme des ment pas autre chose qu’un langage
voleurs flamands. argotique.
ARGUCHE s. m. Argot. Plus que tous les autres, les voleurs, les
escrocs, les filous, continuellement en
Jargon des voleurs et des filous, qui
guerre avec la société, devaient
n’est compris que par eux seuls; telle est
éprouver le besoin d’un langage qui leur
du moins la définition du Dictionnaire
donnât la faculté de converser librement
de l’Académie. Cette définition ne me
sans être compris; aussi, dès qu’il y eut
paraît pas exacte; argot, maintenant, est
des corporations de voleurs, elles eurent
plutôt un terme générique destiné à
un langage à elles, langage perdu
exprimer tout jargon enté sur la langue
comme tant d’autres choses.
nationale, qui est propre à une corpora-
tion, à une profession quelconque, à Il n’existe peut-être pas une langue qui
une certaine classe d’individus; quel ait un point de départ connu; le propre
autre mot, en effet, employer pour des langues est d’être imparfaites
exprimer sa pensée, si l’on veut désigner d’abord, de se modifier, de s’améliorer
le langage exceptionnel de tels ou tels avec le temps et la civilisation; on peut
hommes : on dira bien, il est vrai, le bien dire telle langue est composée,
jargon des petits-maîtres, des coquettes, dérive de telles ou telles autres; telle
etc., etc., parce que leur manière de langue est plus ancienne que telle autre,
parler n’a rien de fixe, d’arrêté, parce mais je crois qu’il serait difficile de
qu’elle est soumise aux caprices de la remonter à la langue primitive, à la mère
mode; mais on dira l’argot des soldats, de toutes; il serait difficile aussi de faire
des marins, des voleurs, parce que, dans pour un jargon ce qu’on ne peut faire
le langage de ces derniers, les choses pour une langue; je ne puis donc assi-
sont exprimées par des mots et non par gner une date précise à la naissance du
une inflexion de voix, par une manière langage argotique, mais je puis du moins
différente de les dire; parce qu’il faut constater ces diverses époques, c’est
des mots nouveaux pour exprimer des l’objet des quelques lignes qui suivent.
choses nouvelles. Le langage argotique n’est pas de créa-
Toutes les corporations, toutes les pro- tion nouvelle; il était aux quatorzième,
fessions ont un jargon (je me sers de ce quinzième et seizième siècles celui des
mot pour me conformer à l’usage mendiants et gens de mauvaise vie, qui,
général), qui sert aux hommes qui com- à ces diverses époques, infestaient la
posent chacune d’elles à s’entendre bonne ville de Paris, et trouvaient dans
6
7. ARGUCHE
les ruelles sombres et étroites, alors Mans, à Rouen, chez Martin Lemesgis-
nommées cour des Miracles, un asile sier, près l’église Saint-Lô, 1589, exem-
assuré. Il n’est cependant pas possible plaire de la Bibliothèque royale,
d’en rien découvrir avant l’année 1427, n° 1208.)
époque de la première apparition des La version du Dr Fourette est, il me
Bohémiens à Paris, ainsi l’on pourrait semble, la plus vraisemblable; quoi qu’il
conclure de là que les premiers éléments en soit, je n’ai pu, malgré beaucoup de
de ce jargon ont été apportés en France recherches, me procurer sur le langage
par ces enfants de la basse Égypte, si des argotique des renseignements plus posi-
assertions d’une certaine valeur ne tifs que ceux qui précèdent. Quoique
venaient pas détruire cette conclusion. son origine ne soit pas parfaitement
Sauval (Antiquités de Paris, t. I) assure constatée, il est cependant prouvé que
que des écoliers et des prêtres débau- primitivement ce jargon était plutôt
chés ont jeté les premiers germes du lan- celui des mendiants que celui des
gage argotique. (Voir CAGOUX ou voleurs. Ces derniers, selon toute appa-
ARCHI-SUPPÔT DE L’ARGOT, p. 16.) rence, ne s’en emparèrent que vers le
milieu du dix-septième siècle, lors-
L’auteur inconnu du Dictionnaire argo-
qu’une police mieux faite et une civilisa-
tique dont il est parlé ci-dessus (voir
tion plus avancée eurent chassé de Paris
ABBAYE RUFFANTE, p. 4), et celui de la
les derniers sujets du dernier roi des
lettre adressée à M. D***, insérée dans
argotiers.
l’édition des poésies de Villon, 1722,
exemplaire de la Bibliothèque royale, La langue gagna beaucoup entre les
pensent tous deux que le langage argo- mains de ces nouveaux grammairiens;
tique est le même que celui dont con- ils avaient d’autres besoins à exprimer;
vinrent entre eux les premiers merciers il fallut qu’ils créassent des mots nou-
et marchands porte-balles qui se rendi- veaux, suivant toujours une échelle
rent aux foires de Niort, de Fontenay et ascendante; elle semble aujourd’hui
des autres villes du Poitou. Le Dr Fou- être arrivée à son apogée; elle n’est plus
rette (Livre de la vie des gueux) est du seulement celle des tavernes et des mau-
même avis; mais il ajoute que le langage vais lieux, elle est aussi celle des théâ-
argotique a été enrichi et perfectionné tres; encore quelques pas et l’entrée des
par les cagoux ou archi-suppôts de salons lui sera permise.
l’argot, et qu’il tient son nom du premier Les synonymes ne manquent pas dans
Coësré qui le mit en usage; Coësré, qui se le langage argotique, aussi on trouvera
nommait Ragot, dont, par corruption, souvent dans ce Dictionnaire plusieurs
on aurait fait argot. L’opinion du Dr mots pour exprimer le même objet (et
Fourette est en quelque sorte confirmée cela ne doit pas étonner, les voleurs
par Jacques Tahureau, gentilhomme du étant dispersés sur toute l’étendue de la
Mans, qui écrivait sous les règnes de France, les mots, peuvent avoir été créés
François Ier et de Henri II, qui assure simultanément). J’ai indiqué, toutes les
que de son temps le roi ou le chef d’une fois que je l’ai pu, à quelle classe appar-
association de gueux qu’il nomme Belis- tenait l’individu qui nommait un objet
tres, s’appelait Ragot. (Voir Dialogues de de telle ou telle manière, et quelle était
Jacques Tahureau, gentilhomme du la contrée qu’il habitait ordinairement;
7
8. ARICOTAGE
un travail semblable n’a pas encore été ARPAGAR s. Arpajon.
fait. ARPIONS s. m. Pieds.
Quoique la syntaxe et toutes les dési-
ARQUEPINCER v. a. Saisir vivement.
nences du langage argotique soient
entièrement françaises, on y trouve ARSONNEMENT s. m. Masturbation.
cependant des étymologies italiennes, ARSONNER (S’) v. p. Se masturber.
allemandes, espagnoles, provençales,
basques et bretonnes; je laisse le soin de * ARTIE s. m. Pain.
les indiquer à un philologue plus instruit * ARTIE DU GROS GUILLAUME s. m.
que moi. Pain noir.
Le poète Villon a écrit plusieurs bal- * ARTIE DE MEULAN s. m. Pain blanc.
lades en langage argotique, mais elles
ASPIC s. m. Médisant, calomniateur.
sont à peu près inintelligibles; voici, au
reste, ce qu’en dit le célèbre Clément ASPIQUERIE s. m. Médisance, calomnie.
Marot, un de ses premiers éditeurs : ASTICOT s. m. Vermicelle.
« Touchant le jargon, je le laisse à
ATOUSER v. a. Encourager.
exposer et corriger aux successeurs de
Villon en l’art de la pince et du croc. » ATOUT s. m. Estomac.
Le lecteur trouvera marqué d’un ATOUT (AVOIR DE L’) s. m. Être coura-
double astérisque les mots extraits de geux, hardi.
ces ballades dont la signification m’était
ATTACHE s. m. Boucle.
connue.
* ATTRIMER v. a. Prendre.
ARICOTAGE s. m. Le supplice de la
ATTRIQUER v. a. Acheter des effets
roue.
volés.
ARICOTER v. a. Rompre.
AUBER s. m. Argent monnayé.
ARICOTEUR s. m. Le bourreau. Celui qui AUMÔNIER. Voir DÉTOURNEUR, p. 35.
rompt.
AUTAN s. m. Grenier.
ARLEQUINS s. m. Morceaux de viande
AUTOR (D’) s. f. D’autorité.
de diverses sortes, provenant de la des-
serte des bonnes tables et des restaura- AVALER LE LURON v. a. Communier.
teurs, qui se vendent à un prix modéré AVALE TOUT CRU. Voir DÉTOURNEUR,
dans plusieurs marchés de Paris. Ce mot p. 35.
est passé dans la langue populaire.
AVALOIR s. m. Gosier.
ARNACHE s. m. Tromperie.
AVERGOTS s. m. Œufs.
ARNACHE (À L’). En trompant de toute AVOIR DU BEURRE SUR LA TÊTE v. p.
manière. Être couvert de crimes; proverbe argo-
tique des voleurs juifs; ils disent en
ARNELLERIE s. m. Rouennerie (marchan-
dise). hébreu : « Si vous avez du beurre sur la
tête, n’allez pas au soleil : il fond et
ARNELLE s. Rouen. tache. »
8
9. BABEL (TOUR DE)
B
BABEL (TOUR DE) s. f. Chambre des BAGUE s. m. Nom propre.
députés. BAIGNEUSE s. f. Chapeau de femme.
BABILLARD s. m. Confesseur. BAITE s. f. Maison.
BABILLARD s. m. Livre. BALADER v. a. Choisir, chercher. Dans le
BABILLARDE-BABILLE s. f. Lettre. langage populaire ce mot signifie mar-
BABILLER v. a. Lire. cher sans but, flâner.
* BACCON s. m. Pourceau. BALAIS s. m. Gendarme. Terme des
camelots ou marchands ambulants.
BACHASSE s. Travaux forcés, galères.
BALANCER v. a. Jeter.
BACHES (FAIRE LES) ou BACHOTTER
v. a. Terme dont se servent les floueurs, BALANCER LE CHIFFON ROUGE v. a.
et qui signifie établir les paris dans une Parler.
partie. BALANCER SA CANNE v. a. De vaga-
BACHOTTEUR s. m. Le bachotteur est bond devenir voleur.
chargé du deuxième rôle dans une BALANCER SES HALÈNES v. a. Cesser
partie jouée ordinairement au billard, et d’être voleur.
dont tous les détails seront donnés à BALANÇOIRE s. f. Fraude.
l’article EMPORTEUR, p. 40. Le bachot-
teur doit être intelligent, et ne pas man- BALANÇONS s. m. Barreaux.
quer de hardiesse; c’est lui qui arrange BALLE ou BALLE D’AMOUR s. f. Physio-
la partie, qui tient les enjeux et qui va à nomie, jolie physionomie.
l’arche (chercher de l’argent) lorsque la BALOCHE s. m. Testicule.
dupe, après avoir vidé ses poches, a
perdu sur parole, ce qui arrive souvent. BALOCHER v. a. Tripoter, faire des
Tout en coopérant activement à la ruine affaires illicites.
du sinve (dupe), il semble toujours vou- BALUCHON s. m. Paquet.
loir prendre ses intérêts. BANQUETTE s. m. Menton.
BACLER v. a. Fermer. BARBAUDIER DU CASTU s. m. Gardien
BAGOUT s. m. Nom propre. d’hôpital.
9
10. BARBEROT
BARBEROT s. m. Forçat chargé de raser étui à tous les yeux, et la promptitude
ses camarades. Quoiqu’il ne soit point avec laquelle ils coupaient les plus forts
alloué d’appointements aux barberots, barreaux et se débarrassaient de leurs
l’emploi qu’ils exercent est toujours chaînes, a longtemps fait croire qu’ils
vivement sollicité, et l’administration ne con-naissaient une herbe ayant la pro-
l’accorde qu’à celui qu’elle croit capable priété de couper le fer; l’herbe n’était
de pouvoir lui rendre quelques services. autre chose qu’un ressort de montre
Le barberot est donc en même temps dentelé, et parfaitement trempé.
frater et agent de surveillance officieux. BATIF-FONNE adj. Neuf, neuve.
Ses fonctions ne se bornent pas à cela,
BATOUSE ou BATOUZE s. f. Toile.
c’est lui qui est chargé de laver, avec de
l’eau et du sel, les plaies du forçat qui BATTANT s. m. Cœur.
vient de recevoir la bastonnade. BATTERIE s. m. Mensonge, patelinage.
Le barberot est déferré, il ne va pas à BATTRE COMTOIS v. a. Servir de
la fatigue, il peut parcourir librement compère à un marchand ambulant.
tous les quartiers du bagne, et il reçoit
BATTRE JOB ou BATTRE ENTIFLE v. a.
tous les jours environ trois demi-setiers
de vin en sus de sa ration; les forçats Dissimuler, faire le niais.
donnent aux barberots le titre de sous- BATTRE MORASSE v. a. Crier au voleur.
officier de galères. BATTEUR-EUSE s. Menteur.
BARBICHON s. m. Capucin.
* BAUCHER v. a. Moquer.
BARBILLON s. m. Souteneur de filles.
BAUCOTER v. a. Impatienter.
BARBOT s. m. Canard.
* BAUDE s. m. Mal vénérien.
BARBOTE s. f. Fouille d’un détenu à son
* BAUGE s. m. Coffre.
entrée en prison.
BAUGE s. m. Ventre.
BARBOTER v. a. Fouiller.
BAYAFE s. m. Pistolet. Terme des voleurs
BARBOTIER-ÈRE s. Guichetier chargé de de grande route du midi de la France.
la fouille. Femme chargée des mêmes
fonctions envers les visiteuses. BAYAFER v. a. Fusiller, passer par les
armes.
* BARRE s. f. Aiguille.
BEAUSSE s. m. Riche bourgeois. Terme
* BAS DE TIRE s. m. Bas de chausses; des voleurs flamands.
vêtement qui jadis remplaçait le pan-
BÉLIER s. m. Cocu.
talon.
BÉCHER v. a. Injurier, calomnier.
BASOURDIR v. a. Tuer, étourdir.
BÈGUE s. f. Avoine.
BASTRINGUE s. m. Étui de fer-blanc,
d’ivoire, d’argent, et quelquefois même BÉQUILLER v. a. Pendre.
d’or, de quatre pouces de long sur BÉQUILLEUR s. m. Bourreau, celui qui
environ douze lignes de diamètre, qui pend.
peut contenir des pièces de vingt francs,
BERIBONO s. m. Homme simple.
un passeport, des scies et une monture,
que les voleurs cachent dans l’anus. La BERICAIN s. m. Homme simple.
facilité qu’ils trouvaient à dérober cet BERLUE s. f. Couverture.
10
11. BESOUILLE
BESOUILLE s. f. Ceinture. BISCAYE s. Bicêtre. (Voir TUNE ou
BÊTE s. m. Dans la partie de billard dont TUNEBÉE, p. 160.)
les détails seront donnés à l’article BLANQUETTE s. f. Argenterie.
EMPORTEUR, la bête est celui qui tient la BLANQUETTÉ adj. Argenté.
queue.
BLASÉ adj. Enflé.
BÊTE À CORNES s. f. Fourchette.
BLAVIN s. m. Mouchoir de poche.
* BETTANDER v. a. Mendier.
BLAVINISTE s. m. Voleur de mouchoirs.
BEURRE s. m. Argent monnayé. (Voir PÉGRIOT, p. 104.)
BEURRIER s. m. Banquier. * BLER v. a. Aller.
BIBLOT s. m. Outil d’artisan. BLEU s. m. Manteau.
BIDET s. m. Le bidet est un moyen de BLOQUIR v. a. Vendre des objets volés.
correspondance très ingénieux, et
BLOT ou BON BLOT s. m. Bon prix, bon
cependant fort simple, qui sert aux pri-
marché.
sonniers, qui pour une raison quel-
conque ont été séparés, à correspondre BOBINO s. m. Montre. Terme des tireurs
entre eux de toutes les parties du bâti- parisiens.
ment dans lequel ils sont enfermés; une BOCCARD s. m. Bordel.
corde passée à travers les barreaux de BOCCARI s. Beaucaire.
leur fenêtre, et qu’ils font filer suivant le
besoin en avant ou en arrière, porte une BOGUE s. f. Montre. Terme des voleurs
lettre et rapporte la réponse; il est inu- parisiens et floueurs.
tile de dire que ce n’est que la nuit qu’ils BOGUISTE s. m. Horloger.
se servent de ce moyen de correspon- BOIS POURRI s. m. Amadou.
dance.
BOÎTE s. f. Chambre.
** BIFFER v. a. Manger goulûment.
BOÎTE À PANDORE s. f. Boîte contenant
BIGORNE s. m. Argot. (Voir ARGUCHE, de la cire molle propre à prendre
p. 6.) l’empreinte des clés.
BIGOTTER v. a. Prier. BOITEUX D’UN CHÂSSE s. m. Borgne.
BILLE s. m. Argent monnayé. BONHOMME s. m. Saint.
BINELLE s. f. Banqueroute. BONIMENT s. m. Long discours adressé
BINELLIER-ÈRE s. Banqueroutier-ère. à ceux que l’on désire se rendre favora-
* BILOU s. m. Membre de femme. bles. Annonce d’un charlatan ou d’un
banquiste.
BIRBASSE s. f. Vieille.
BONIR v. a. Dire, assurer.
BIRBASSERIE s. f. Vieillerie.
BONIQUE s. m. Vieux. Terme des
BIRBE s. m. Vieillard. voleurs normands.
BIRBE-DABE s. m. Grand-père. BONJOUR (VOL AU). Voir ci-dessous
BIRLIBIBI s. m. On nomme ainsi le jeu BONJOURIER ou CHEVALIER GRIMPANT.
des dés et coquilles de noix. BONJOURIER ou CHEVALIER GRIM-
BISARD s. m. Soufflet de cheminée. PANT s. m. Voleur au bonjour. La
11
12. BONJOURIER
Gazette des tribunaux a souvent entre- lement, puisent leurs éléments dans
tenu ses lecteurs des bonjouriers ou che- l’Almanach du commerce; ils peuvent
valiers grimpants; les vols au bonjour, à la donc au besoin citer un nom connu, et,
tire, à la détourne, qui peuvent être autant que possible, ils ne s’introduisent
classés dans la catégorie des délits sim- dans la maison où ils veulent voler, que
ples, justiciables seulement de lorsque le portier est absent; quelque-
l’article 401 du Code pénal, sont ordi- fois ils procèdent avec une audace vrai-
nairement les premiers exploits de ceux ment remarquable; à ce propos on me
qui débutent dans la carrière; aussi la permettra de rapporter un fait qui s’est
physionomie des bonjouriers, des passé il y a quelques années. Un bonjou-
tireurs, des détourneurs n’a-t-elle rien rier était entré dans un appartement
de bien caractéristique. Le costume du après avoir frappé plusieurs fois; et,
bonjourier est propre, élégant même; il contre son attente, le propriétaire était
est toujours chaussé comme s’il était présent, mais il était à la fenêtre, et
prêt à partir pour le bal, et un sourire qui paraissait contempler avec beaucoup
ressemble plus à une grimace qu’à toute d’attention un régiment qui passait dans
autre chose, est continuellement stéréo- la rue, enseignes déployées et musique
typé sur son visage. en tête, il venait probablement de se
Rien n’est plus simple que sa manière faire la barbe, car un plat d’argent
de procéder. Il s’introduit dans une encore plein d’eau était sur le lavabo
maison à l’insu du portier, ou en lui placé près de lui; les obstacles ne décou-
demandant une personne qu’il sait ragent pas le bonjourier, il s’approche,
devoir y demeurer; cela fait, il monte prend le plat, le vide et sort : le domicile
jusqu’à ce qu’il trouve une porte à du receleur n’était pas éloigné, et il est à
laquelle il y ait une clé, il ne cherche pas présumer que le plat à barbe était déjà
longtemps, car beaucoup de personnes vendu lorsque son propriétaire vit qu’il
ont la détestable habitude de ne jamais avait été volé. L’auteur de ce vol, qui
retirer leur clé de la serrure; le bonjou- s’est illustré depuis dans une autre car-
rier frappe d’abord doucement, puis rière, rira bien sans doute si ce livre
plus fort, puis encore plus fort; si tombe entre ses mains.
personne n’a répondu, bien certain alors Rien ne serait plus facile que de mettre
que sa victime est absente ou profondé- les bonjouriers dans l’impossibilité de
ment endormie, il tourne la clé, entre et nuire; qu’il y ait dans la loge de chaque
s’empare de tous les objets à sa concierge un cordon correspondant à
convenance; si la personne qu’il vole se une sonnette placée dans chaque appar-
réveille pendant qu’il est encore dans tement, et qu’ils devront tirer lorsqu’un
l’appartement, le bonjourier lui inconnu viendra leur demander un des
demande le premier nom venu, et se habitants de la maison. Qu’on ne per-
retire après avoir prié d’agréer ses mette plus aux domestiques de cacher la
excuses; le vol est quelquefois déjà clé du buffet qui renferme l’argenterie,
consommé lorsque cela arrive. quelque bien choisie que soit la
Il se commet tous les jours à Paris un cachette, les voleurs sauront facilement
grand nombre de vols au bonjour; les la découvrir, cette mesure est donc une
bonjouriers, pour procéder plus faci- précaution pour ainsi dire inutile : il faut
12
13. BONNE (ÊTRE DE LA)
autant que possible garder ses clés sur silence d’un témoin, l’indulgence d’un
soi. juge.
Lorsqu’un bonjourier a volé une BOUCARD s. f. Boutique.
assiette d’argent ou toute autre pièce BOUCARDIER s. m. Voleur de nuit dans
plate, il la cache sous son gilet; si ce sont les boutiques.
des couverts, des timbales, un huilier,
son chapeau couvert d’un mouchoir lui * BOUCHON s. f. Bourse.
sert à céler le larcin. Ainsi, si l’on ren- * BOUCLE DE ZOZE s. m. Pain bis.
contre dans un escalier un homme à la BOUCLER v. a. Enfermer les détenus
tournure embarrassée, tournant le dos à dans leur cabanon.
la rampe, et portant sous le bras un cha-
* BOUDIN s. m. Verrou.
peau couvert d’un mouchoir, il est
permis de présumer que cet homme est BOULÉE ou BOUYS s. Le fouet. Peine
un voleur. Il serait donc prudent de le qui autrefois était infligée aux petits
suivre jusque chez le portier, et de ne le voleurs et aux filles de mauvaise vie.
laisser aller que lorsqu’on aurait acquis BOUFFARDE s. f. Pipe.
la certitude qu’il n’est point ce qu’il
BOUFFARDIÈRE s. f. Cheminée, esta-
paraît être.
minet, tabagie.
Les grinchisseurs à la desserte sont une
BOUGIE s. f. Canne.
variété de bonjouriers, dont il sera parlé
ci-après. (Voir GRINCHIR À LA DES- * BOUIS s. m. Bordel.
SERTE, p. 73.) BOULANGER s. m. Le diable.
BONNE (ÊTRE DE LA) v. p. Être heureux. BOULE s. f. Foire ou fête.
Terme générique et qui est employé BOULE s. f. Tête.
pour exprimer toutes les situations heu-
BOULE JAUNE s. m. Potiron.
reuses de la vie d’un voleur.
BOULER v. a. Aller.
BONNE (ÊTRE À LA) v. p. Être aimé.
BOULET À QUEUE s. m. Melon.
BONNE (AVOIR À LA) v. p. Aimer.
BOULIN s. m. Trou fait dans une
BONNETEUR s. m. Celui qui tient dans muraille.
les campagnes des jeux de cartes aux-
BOULINE s. f. Bourse.
quels on ne gagne jamais.
BOULINER v. a. Trouer la muraille.
BOSMAR ou BOULE EN DOS s. m.
BOULINOIRE s. m. Vilebrequin.
Bossu.
BOULOTAGE s. f. Assistance.
BOUBANE s. f. Perruque.
BOULOTER v. a. Assister.
BOUC s. m. Cocu.
BOUSCAILLE s. f. Boue.
BOUCANADE s. f. Corruption. L’action
BOUSCAILLEUR s. m. Celui qui est
de corrompre avec de l’argent une per-
chargé d’enlever la boue des rues.
sonne qui connaît un fait que l’on ne
veut pas laisser divulguer; ainsi l’on BOUSSOLE s. m. Tête.
pourra dire : « J’ai coqué la bouca- BOUSSOLE DE SINGE, DE REFROIDI
nade », lorsque l’on aura acheté le s. m. Fromage de Hollande.
13
14. BOUTERNE
BOUTERNE s. f. La bouterne est une boîte Comme on le pense bien, ce n’est pas
carrée, d’assez grande dimension, garnie dans les grandes villes que s’exerce ce
de bijoux d’or et d’argent numérotés, et truc, il s’y trouve trop d’yeux clair-
parmi lesquels les badauds ne manquent voyants; mais on rencontre à toutes les
pas de remarquer la pièce à choisir, qui foires ou fêtes de village des proprié-
est ordinairement une superbe montre taires de bouterne. Ils procèdent sous
d’or accompagnée de la chaîne, des les yeux de MM. les gendarmes, et quel-
cachets, qui peut bien valoir 500 à quefois ils ont en poche une permission
600 francs, et que la bouternière reprend parfaitement en règle du maire ou de
pour cette somme si on la gagne. l’adjoint; cela ne doit pas étonner, s’il
Les chances du jeu de la bouterne, qui est avec le ciel des accommodements, il
est composé de huit dés, sont si bien doit nécessairement en exister avec les
distribuées, qu’il est presque impossible fonctionnaires publics.
d’y gagner autre chose que des baga- BOUTON s. f. Pièce de 20 francs. Terme
telles. Pour avoir le droit de choisir d’argot usité parmi les marchands de
parmi toutes les pièces celle qui con- chevaux.
vient le mieux, il faut amener une rafle
BOTTES DE NEUF JOURS s. f. Bottes
des huit dés, ce qui est fort rare; mais
percées.
ceux qui tiennent le jeu ont toujours à
leur disposition des dés pipés, et ils BOYE s. m. Bourreau d’un bagne, forçat
savent, lorsque cela leur convient, les chargé d’administrer la bastonnade à ses
substituer adroitement aux autres. compagnons d’infortune. Il est déferré.
Ils peuvent donc, lorsqu’ils croient le Le forçat qui doit recevoir la baston-
moment opportun, faire ce qu’ils nom- nade, est étendu sur le ventre et placé
ment un vanage, c’est-à-dire, permettre sur un lit de camp, nu jusqu’à la cein-
à celui qu’ils ont jugé devoir se laisser ture; le boye, armé d’une corde
facilement exploiter, de gagner un objet goudronnée, de quinze à vingt lignes de
d’une certaine importance; si on se diamètre, lui en applique quinze, vingt-
laisse prendre au piège, on peut perdre à cinq ou cinquante coups sur le dos,
ce jeu des sommes considérables. Le chaque coup enlève la peau et quelque-
truc de la bouterne est presque exclusi- fois la chair.
vement exercé par des femmes étroite- Cet horrible châtiment emprunté aux
ment liées avec des voleurs; elles ne mœurs orientales, est administré seule-
manquent jamais d’examiner les lieux ment sur l’ordre du commissaire du
dans lesquels elles se trouvent, et s’il y a bagne, qui est présent à l’exécution, qui
gras (s’il y a du butin à faire), elles ren- souvent encourage le boye de la voix et
seignent le mari ou l’amant, qui a du geste, et le menace même, si, cédant
bientôt dévalisé la maison. C’est une à un mouvement de commisération, il
femme de cette classe qui a indiqué au ne se sert pas de toute la vigueur de son
célèbre voleur Fiancette, dit les Bas- bras.
Bleus, le vol qui fut commis au Mans, Le boye reçoit une carte de vin, environ
chez le notaire Fouret. Je tiens les trois demi-setiers pour chaque exé-
détails de cet article de Fiancette lui- cution; quelquefois il compose avec le
même. patient qui veut être ménagé, et qui a les
14
15. BRAIZE
moyens de payer; pour celui-là, il a un BREMMES s. f. Cartes à jouer.
rotin de coton noirci; mais si la super-
BREMME DE PACQUELINS s. f. Carte de
cherie est découverte, il est bâtonné à géographie.
son tour.
BRICKMONT s. m. Briquet.
La peine de la bastonnade est une
peine immorale, parce qu’elle n’est BRIDE s. f. Chaîne de forçat.
autorisée par aucune loi, parce qu’elle BRIDÉ (ÊTRE) v. p. Être ferré et prêt à
ne corrige pas, puisqu’il est constant partir pour le bagne. (Voir TUNE ou
que c’est presque toujours aux mêmes TUNEBÉE, p. 160.)
forçats qu’elle est infligée. Les armées
françaises et prussiennes sont les seules BRISANT s. m. Vent.
de l’Europe dans lesquelles les puni- BRISEUR-EUSE s. Escroc. Terme auver-
tions corporelles ne sont pas admises, et gnat.
cependant ces armées sont citées à
BRISER v. a. Escroquer. Terme auver-
toutes les autres comme des modèles à
gnat. (Voir ES, p. 43.)
suivre. Lorsque l’expérience a démontré
l’inefficacité d’une mesure, lorsque sur- BRISURE s. m. Escroquerie. Terme des
tout cette mesure n’est pas en harmonie escrocs auvergnats.
avec le caractère et les mœurs du peuple BROBÊCHE s. m. Liard.
chez lequel elle est usitée, on s’étonne
que l’on n’y renonce pas. * BROBUANTE s. f. Bague.
Un forçat qui a reçu six ou huit fois la BRODANCHER v. a. Broder.
bastonnade, meurt ordinairement d’une BRODER v. a. Écrire.
maladie de poumons; cependant il se
BRODEUR s. m. Écrivain.
rencontre quelquefois de ces organisa-
tions vigoureuses qui résistent à tout, et * BROQUE s. m. Double. (Ancienne
parmi celles-là, il faut citer un individu pièce de monnaie.)
nommé Benoit, et surnommé Arrache BROQUILLE s. f. Minute.
l’âme, qui fut bâtonné trente-cinq fois
dans l’espace de seize années, et qui BRUGE s. m. Serrurier. Ce terme appar-
cependant quitta le bagne frais et vigou- tient à la haute pègre.
reux. BRUGERIE s. f. Serrurerie.
BRAIZE s. m. Argent monnayé. BÛCHES PLOMBANTES s. f. Allumettes.
BRANDILLANTE s. f. Sonnette. BUQUER v. a. Voler dans une boutique
en demandant de la monnaie. (Voir
BRANCHER v. a. Pendre. CAREURS, p. 21.)
BRANQUE s. m. Âne. BURLIN s. m. Bureau.
BRELOQUE s. f. Pendule. BUTE s. f. Guillotine.
BUTER v. a. Tuer.
BREMMIER s. m. Fabricant de cartes à
jouer. BUTEUR s. m. Bourreau.
15
16. CABASSER
C
** CABASSER v. a. Tromper. froc aux orties, et des prêtres débau-
CABE s. m. Chien. chés. Le nom de cagoux vient probable-
ment de la cagoule, espèce de capuchon
CABERMONT s. m. Cabaret.
adapté à leur justaucorps, et dont ils
CABESTAN s. m. Officier de paix ou de avaient l’habitude de se couvrir la tête
police. lorsqu’ils ne voulaient pas être connus.
CABOT s. m. Chien. Les cagoux se faisaient passer pour des
CABRIOLET s. m. Hotte de chiffonnier.
personnes de condition ruinées par
quelque malheur imprévu, et leur élo-
CADENNE s. f. Chaîne de col. quence leur donnait les moyens d’extor-
CADET s. m. Pince de voleur. quer aux bonnes âmes des aumônes
CADICHON s. f. Montre. quelquefois considérables.
Les cagoux étaient chargés, par le
* CAFARDE s. f. Lune (la).
grand Coësré, de la conduite des
* CAGNE s. m. Cheval. novices, auxquels ils devaient apprendre
CAGOUX ou ARCHI-SUPPÔT DE le langage argotique et les diverses ruses
L’ARGOT. S’il faut croire les historiens du métier d’argotier.
du temps, et particulièrement Sauval, le Ce n’était qu’après un noviciat de
royaume argotique était mieux organisé quelques semaines, durant lesquelles il
que beaucoup d’autres, car le grand était rudement battu, afin que son corps
Coësré n’accordait les dignités de se fît aux coups, que le novice était
l’empire qu’à ceux de ses sujets qui s’en admis à fournir aux argotiers réunis sous
étaient montrés dignes, soit par leurs la présidence de leur monarque, le pre-
capacités, soit par les services qu’ils mier des deux chefs-d’œuvre qui
avaient rendus; aussi n’était-ce que très devaient lui valoir l’accolade fraternelle;
difficilement que les argotiers obte- à cet effet, une longue corde, à laquelle
naient le titre de cagoux, ou archi-suppôt étaient attachées une bourse et une mul-
de l’argot. titude de petites clochettes, descendait
Les cagoux étaient, pour la plupart, du plafond d’une vaste salle; le novice,
des écoliers chassés des divers collèges les yeux bandés, et se tenant seulement
de Paris, des moines qui avaient jeté le sur une jambe, devait tourner autour de
16
17. CAILLÉ
la corde et couper la bourse, sans que les roulotier; l’amant de la seconde est fai-
clochettes tintassent; s’il réussissait, il seur ou escroc. Il ne faut pas juger sur
était admis à faire le second chef- l’étiquette du sac.
d’œuvre; dans le cas contraire, il était
* CALLOTS s. m. Sujets du grand
roué de coups et remis aux cagoux
Coësré, qui allaient mendiant par les
jusqu’à ce qu’il fût devenu plus adroit.
rues de l’ancien Paris; ils feignaient
Le lendemain les cagoux accompa-
d’être récemment guéris de la teigne, et
gnaient dans un lieu de réunion
de venir de Sainte-Reine. « Sainte-Cha-
publique celui qui était sorti victorieux
pelle où toutes les années il s’opérait, dit
de la première épreuve, et lorsqu’ils
Félibien, un grand nombre de guérisons
avaient avisé un bourgeois portant, sui-
vraiment miraculeuses. »
vant la coutume du temps, sa bourse
suspendue à sa ceinture, ils lui ordon- CALOQUÉ s. m. Chapeau.
naient d’aller la couper; puis, s’adres-
CALOTS s. m. Coquilles de noix; au
sant à ceux qui se trouvaient là : « Voilà,
singulier, dé à coudre.
disaient-ils, un homme qui va voler la
bourse de ce bourgeois », ce qui avait CALVIGNE s. f. Vigne.
lieu en effet. Le pauvre novice alors était
CALVIN s. m. Raisin.
encore battu, non seulement par les
spectateurs désintéressés, mais encore CAMBRIOLLE s. f. Chambre.
par ses compagnons, qui, cependant,
trouvaient le moyen de protéger sa fuite CAMBRIOLEUR-EUSE s. On reconnaît un
lorsqu’à la faveur du tumulte qu’ils soldat, même lorsque qu’il a quitté
avaient fait naître, ils avaient fait une l’uniforme pour endosser l’habit bour-
ample moisson dans les poches des bons geois, on peut se mettre à sa fenêtre,
habitants de Paris. (Voir le premier regarder ceux qui passent dans la rue et
volume de l’excellent roman de Victor dire, sans craindre de se tromper, celui-
Hugo, Notre-Dame de Paris.) ci est un tailleur, cet autre est un
cordonnier; il y a dans les habitudes du
CAILLÉ s. m. Poisson. corps de chaque homme un certain je-
CALÈGE s. f. Quoiqu’on ne rencontre ne-sais-quoi qui décèle la profession
pas la calège sur la voie publique, elle qu’il exerce, et que seulement ceux qui
n’est pas cependant une femme hon- ne savent pas voir ce qui frappe les yeux
nête; ses appas sont la marchandise de tout le monde ne peuvent pas saisir;
qu’elle débite, mais elle vend très cher eh bien, si l’on voulait s’en donner la
ce que la PONANTE et la DOSSIÈRE (voir peine, il ne serait guère plus difficile de
ces mots, p. 108, p. 37), livrent à un prix reconnaître un voleur qu’un soldat, un
modéré, sa toilette est plus fraîche, ses tailleur ou un cordonnier. Comme il faut
manières plus polies, mais ses mœurs que ce livre soit pour les honnêtes gens
sont les mêmes; la ponante danse le le fil d’Ariane destiné à les conduire à
chahut à la Courtille; la calège danse le travers les sinuosités du labyrinthe,
cancan au bal Musard; l’une boit du vin j’indique les diagnostics propres à faire
à quinze et se grise; l’autre boit du reconnaître chaque genre; si après cela
champagne et s’enivre; la première a ceux auxquels il est destiné ne savent
pour amant un cambrioleur ou un pas se conduire, tant pis pour eux.
17
18. CAMBRIOLEUR-EUSE
Les cambrioleurs sont les voleurs de (suivre) la personne qui doit être volée,
chambre soit à l’aide de fausses clés soit dans la crainte qu’un oubli ne la force à
à l’aide d’effraction. Ce sont pour la plu- revenir au logis; s’il en est ainsi, celui
part des hommes jeunes encore, qui est chargé de cette mission la
presque toujours ils sont proprement devance, et vient prévenir ses cama-
vêtus, mais quel que soit le costume rades, qui peuvent alors s’évader avant
qu’ils aient adopté, que ce soit celui le retour du mézière.
d’un ouvrier ou celui d’un dandy, le bout Si, tandis que les cambrioleurs tra-
de l’oreille perce toujours. Les couleurs vaillent, quelqu’un monte ou descend,
voyantes, rouge, bleu ou jaune, sont et qu’il désire savoir ce que font dans
celles qu’ils affectionnent le plus; ils l’escalier ces individus qu’il ne connaît
auront de petits anneaux d’or aux pas, on lui demande un nom en l’air :
oreilles; des colliers en cheveux, tro- une blanchisseuse, une sage-femme,
phées d’amour dont ils aimeront à se une garde-malade; dans ce cas, le voleur
parer; s’ils portent des gants ils seront interrogé balbutie plutôt qu’il ne parle,
d’une qualité inférieure; si d’aventure il ne regarde pas l’interrogateur, et
l’un d’eux ne se fait pas remarquer par empressé de lui livrer le passage, il se
l’étrangeté de son costume il y aura dans range contre la muraille, et tourne le dos
ses manières quelque chose de contraint à la rampe.
qui ne se remarque pas dans l’honnête Si les voleurs savent que le portier est
homme; ce ne sera point de la timidité, vigilant, et s’ils présument que le vol
ce sera une gêne, résultat de l’appréhen- consommé ils auront de gros paquets à
sion de se trahir. Ces diverses observa- sortir, l’un d’eux entre tenant un paquet
tions ne sont pas propres seulement aux sous le bras; ce paquet, comme on le
cambrioleurs, elles peuvent s’appliquer pense bien, ne contient que du foin, qui
à tous les membres de la grande famille est remplacé, lorsqu’il s’agit de sortir,
des trompeurs. Les escrocs, les faiseurs, par les objets volés.
les chevaliers d’industrie, sont les seuls
Quelques cambrioleurs se font accom-
qui se soient fait un front qui ne rougit
pagner, dans leurs expéditions, par des
jamais.
femmes portant une hotte ou un panier
Les cambrioleurs travaillent rarement de blanchisseuse, dans lesquels les
seuls; lorsqu’ils préméditent un coup, ils objets volés peuvent être facilement
s’introduisent trois ou quatre dans une déposés; la présence d’une femme sor-
maison, et montent successivement; tant d’une maison, et surtout d’une
l’un d’eux frappe aux portes, si per- maison sans portier, avec un semblable
sonne ne répond, c’est bon signe, et l’on attirail, est donc une circonstance qu’il
se dispose à opérer; aussitôt, pour se est important de remarquer, si, surtout,
mettre en garde contre toute surprise, l’on croit voir cette femme pour la pre-
pendant que l’un des associés fait sauter mière fois.
la gâche ou jouer le rossignol, un autre Il y a aussi les cambrioleurs à la flan
va se poster à l’étage supérieur, et un (voleurs de chambre au hasard) qui
troisième à l’étage au-dessous. s’introduisent dans une maison sans
Lorsque l’affaire est donnée ou nourrie, auparavant avoir jeté leur dévolu; ces
l’un des voleurs se charge de filer improvisateurs ne sont sûrs de rien, ils
18
19. CAMBRIOLEUR-EUSE
vont de porte en porte, où il y a ils pren- ces messieurs, avant de tenter une
nent, où il n’y a rien, le voleur, comme le entreprise, savent prendre toutes les
roi, perd ses droits. Le métier de cam- précautions propres à en assurer le
brioleur à la flan, qui n’est exercé que succès; ils connaissent les habitudes de
par ceux qui débutent dans la carrière, la personne qui habite l’appartement
est très périlleux et très peu lucratif. qu’ils veulent dévaliser; ils savent quand
Les voleurs ont des habitudes qu’ils elle sera absente, et si chez elle il y a du
conservent durant tout le temps de leur butin à faire.
exercice; à une époque déjà éloignée, ils Le meilleur moyen à employer pour
se faisaient tous chausser chez une cor- mettre les cambrioleurs dans l’impossi-
donnière que l’on nommait la mère bilité de nuire, est de toujours tenir la
Rousselle, et qui demeurait rue de la clé de son appartement dans un lieu sûr;
Vannerie; à la même époque, Gravès, ne la laissez jamais à votre porte, ne
rue de la Verrerie, et Tormel, rue Cul- l’accrochez nulle part, ne la prêtez à per-
ture-Sainte-Catherine, étaient les seuls sonne, même pour arrêter un saigne-
tailleurs qui eussent le privilège ment de nez; si vous sortez, et que vous
d’habiller ces messieurs. Le contact a ne vouliez pas la porter sur vous,
corrompu les deux tailleurs, pères et fils cachez-la le mieux qu’il vous sera pos-
sont à la fin devenus voleurs, et ont été sible. Cachez aussi vos objets les plus
condamnés; la cordonnière, du moins je précieux; cela fait, laissez à vos meubles
le pense, a été plus ferme; mais, quoi toutes vos autres clés : vous épargnerez
qu’il en soit, sa réputation était si bien aux voleurs la peine d’une effraction qui
faite et ses chaussures si remarquables, ne les arrêterait pas, et à vous le soin de
que lorsqu’un individu était arrêté et faire réparer le dégât que sans cela ils ne
conduit à M. Limodin, interrogateur, il manqueraient pas de commettre.
était sans miséricorde envoyé à Bicêtre
Les plus dangereux cambrioleurs sont,
si pour son malheur il portait des sou-
sans contredit, les nourrisseurs; on les
liers sortis des magasins de la mère
nomme ainsi parce qu’ils nourrissent des
Rousselle. Une semblable mesure était
affaires. Nourrir une affaire, c’est l’avoir
arbitraire sans doute, mais cependant
toujours en perspective, en attendant le
l’expérience avait prouvé son utilité.
moment le plus propice pour l’exé-
Les voleuses, de leur côté, avaient cution; les nourrisseurs, qui n’agissent
pour couturière une certaine femme que lorsqu’ils ont la certitude de ne
nommée Mulot; elle seule, disaient- point faire coup fourré, sont ordinaire-
elles, savait avantager la taille, et faire ment de vieux routiers qui connaissent
sur les coutures ce qu’elles nommaient plus d’un tour; ils savent se ménager des
des nervures. intelligences où ils veulent voler; au
Les nuances, aujourd’hui, ne sont besoin même, l’un d’eux vient s’y loger,
peut-être pas aussi tranchées; mais et attend, pour commettre le vol, qu’il
cependant, si un voleur en renom ait acquis dans le quartier qu’il habite
adopte un costume, tous les autres cher- une considération qui ne permette pas
chent à l’imiter. aux soupçons de s’arrêter sur lui. Ce
Je me suis un peu éloigné des cambrio- dernier n’exécute presque jamais, il se
leurs, auxquels je me hâte de revenir; borne seulement à fournir aux exécu-
19
20. CAMBROU-OUZE
tants tous les indices qui peuvent leur exprimer telle action répréhensible, ou
être nécessaires. Souvent même il a la tel vice honteux; on n’en trouve pas un
précaution de se mettre en évidence lors seul pour remplacer ceux de la langue
de l’exécution, afin que sa présence usuelle, qui expriment des idées d’ordre
puisse, en temps opportun, servir à éta- ou de vertu; aussi doit-on s’attendre à
blir un alibi incontestable. trouver, dans un livre destiné à faire
Ce sont ordinairement de vieux connaître leurs mœurs et leur langage,
voleurs qui travaillent de cette manière; des récits peu édifiants. J’ai réfléchi
parmi eux on cite le nommé Godé, dit longtemps avant de me déterminer à
Marquis, dit Capdeville; après s’être leur donner place dans cet ouvrage; je
évadé du bagne, il y a plus de quarante craignais que quelques censeurs sévères
ans, il vint s’établir aux environs de ne m’accusassent d’avoir outragé la
Paris, où il commit deux vols très consi- pudeur, mais après j’ai pensé que le vice
dérables, l’un à Saint-Germain-en-Laye, n’était dangereux que lorsqu’on le pei-
l’autre à Belleville; cet individu est gnait revêtu d’un élégant habit, mais
aujourd’hui au bagne de Brest, où il que, nu, sa laideur devait faire reculer
subit une condamnation à perpétuité. les moins délicats; voilà pourquoi cet
Les vols de chambre sont ordinaire- article et quelques autres semblables se
ment commis les dimanches et jours de trouveront sous les yeux du lecteur;
fête. voilà pourquoi je n’ai pas employé des
CAMBROU-OUZE s. Domestique, périphrases pour exprimer ma pensée;
servante. voilà pourquoi le mot propre est tou-
jours celui qui se trouve sous ma plume.
CAMBROUZE s. f. Province.
Je laisse au lecteur le soin de
CAMBROUZIER s. m. Voleur de m’apprendre si la méthode que j’ai
campagne. adoptée est la meilleure.
CAMÉLÉON s. m. Courtisan. Le canapé est le rendez-vous ordinaire
CAMELOT s. m. Marchand. des pédérastes; les TANTES (voir ce mot,
CAMELOTE s. m. Sperme. p. 153) s’y réunissent pour procurer à
ces libertins blasés, qui appartiennent
CAMELOTE s. f. Toute espèce de presque tous aux classes éminentes de la
marchandises. société, les objets qu’ils convoitent; les
CAMISOLE s. m. Gilet. quais, depuis le Louvre jusqu’au Pont-
CAMOUFLE s. f. Chandelle. Royal, la rue Saint-Fiacre, le boulevard
entre les rues Neuve-du-Luxembourg et
CAMOUFLET s. m. Chandelier.
Duphot, sont des canapés très dange-
CAMOUFLEMENT s. m. Déguisement. reux. On conçoit, jusques à un certain
CAMOUFLER v. a. Déguiser. point, que la surveillance de la police ne
s’exerce sur ces lieux que d’une manière
* CAMUSE s. f. Carpe.
imparfaite; mais ce que l’on ne com-
CANAGE s. f. Agonie, dernière lutte prend pas, c’est que l’existence de cer-
contre la mort. taines maisons, entièrement dévolues
CANAPÉ s. m. On trouve dans le langage aux descendants des Gomorrhéens,
des voleurs, dix, vingt mots même, pour soient tolérées; parmi ces maisons, je
20
21. CANARD SANS PLUMES
dois signaler celle que tient le nommé, CARANTE s. f. Table.
ou plutôt (pour conserver à cet être CARCAGNO s. m. Usurier.
amphibie la qualification qu’il ou elle se
donne), la nommée Cottin, rue de Gre- CARDINALE s. f. Lune. Terme des
nelle-Saint-Honoré, n° 3; la police a voleurs des provinces du Nord.
déjà plusieurs fois fait fermer cette CAR-D’ŒIL ou plutôt QUART-D’ŒIL
maison, réceptacle immonde de tout ce s. m. Commissaire de police.
que Paris renferme de fangeux, et tou- CARER v. a. Voler à la care. (Voir ci-après
jours elle a été rouverte; pourquoi? je CAREUR.)
m’adresse cette interrogation, sans pou-
voir y trouver une réponse convenable; CAREUR-EUSE s. Presque tous les careurs
est-ce parce que quelquefois on a pu y sont des Bohémiens, des Italiens ou des
saisir quelques individus brouillés avec Juifs. Hommes ou femmes, ils se pré-
la justice; je ne puis croire que ce soit sentent dans un magasin achalandé, et
cette considération qui ait arrêté l’auto- après avoir acheté ils donnent en paie-
rité, on sait maintenant apprécier l’uti- ment une pièce de monnaie dont la
lité de ces établissements où les gens valeur excède de beaucoup celle de
vicieux se rassemblent pour corrompre l’objet dont ils ont fait l’acquisition; tout
les honnêtes gens qu’un hasard malheu- en examinant la monnaie qui leur a été
reux y amène. rendue, ils remarquent une ou deux
pièces qui ne sont pas semblables aux
CANARD SANS PLUMES s. m. Nerf de
autres, les anciennes pièces de vingt-
bœuf avec lequel les argousins frappent quatre sous, les écus de six francs à la
les forçats qui sont en route pour le vache ou au double W sont celles qu’ils
,
bagne. remarquent le plus habituellement,
CANELLE s. Caen. parce que l’on croit assez généralement
CANER v. a. Agoniser, être prêt à mourir. qu’il y a dans ces pièces de monnaie une
certaine quantité d’or, et que cette
CANER LA PÉGRENNE v. n. Mourir de
croyance doit donner à la proposition
faim.
qu’ils ont l’intention de faire, une cer-
CANICHE s. m. Ballot carré à oreilles. taine valeur : « Si vous aviez beaucoup
CANTON ou CARRUCHE s. f. Prison. de pièces semblables à celles-ci, nous
C A N T O N N I E R - I È R E s. Prisonnier, vous les prendrions en vous donnant un
prisonnière. bénéfice », disent-ils. Le marchand,
séduit par l’appât du gain, se met à cher-
CAPAHUTER v. a. Assassiner son com-
cher dans son comptoir, et quelquefois
plice pour s’approprier sa part de butin. même dans les sacs de sa réserve, des
CAPITAINAGE s. m. Agiotage. pièces telles que le careur en désire, et si
CAPITAINE s. m. Agioteur. pour accélérer la recherche le marchand
lui permet l’accès de son comptoir, il
CAPITAINER v. a. Agioter.
peut être assuré qu’il y puisera avec une
* CAPONS s. m. Sujet du roi des argo- dextérité vraiment remarquable.
tiers, larrons et coupeurs de bourses. Les careurs ont dans leur sac plusieurs
* CAPRE s. m. Carolus, ancienne pièce ruses dont ils se servent alternative-
de monnaie. ment, mais un échange est le fondement
21
22. CARIBÉNER
de toutes; au reste il est très facile de CAROUBLE s. f. Fausse clé.
reconnaître les careurs, tandis qu’on CAROUBLEUR-EUSE s. Variété de cam-
ouvre le comptoir, ils y plongent la main brioleurs; ils entretiennent des intelli-
comme pour aider au triage et indiquer gences avec les domestiques, frotteurs,
les pièces qu’ils désirent, si par hasard le colleurs de papiers, peintres. Aussi
marchand a besoin d’aller dans son comme ils connaissent parfaitement les
arrière-boutique pour leur rendre sur endroits qui peuvent leur offrir des res-
une pièce d’or, ils le suivent, et il n’est sources, ils vont droit au but; la plupart
sorte de ruses qu’ils n’emploient pour du temps ils se servent de fausses clés
parvenir à mettre la main dans le sac. qu’ils fabriquent eux-mêmes sur les
Que les marchands se persuadent bien empreintes qui leur sont données par les
que les anciennes pièces de vingt-quatre indicateurs leurs complices.
sous, les écus de six francs à la vache ou
CASCARET s. m. Écu de trois francs.
au double W ainsi que les monnaies
,
étrangères n’ont point une valeur CASQUER v. a. Donner aveuglément
exceptionnelle; qu’ils aient l’œil conti- dans tous les pièges.
nuellement ouvert sur les inconnus, CASSANTE s. Noix, dent.
hommes, femmes ou enfants, qui vien- CASSER v. a. Couper.
draient, sous quel prétexte que ce soit,
CASTUC s. f. Prison.
leur proposer un échange, et ils seront à
l’abri de la ruse des plus adroits careurs. CASTUS s. m. Hôpital.
Il y a parmi les careurs, comme parmi CAVALER (SE) v. p. S’enfuir.
les cambrioleurs et autres voleurs, des CAVÉ s. f. Dupe.
nourrisseurs d’affaires; ces derniers, pour
CAYER s. m. Poisson.
gagner la confiance de celui qu’ils veu-
lent dépouiller, lui achètent, jusqu’à ce * CAYMAN s. m. Mendiant.
que le moment opportun soit arrivé, des CERCLE s. m. Argent.
pièces cinq ou six sous au-delà de leur CERCLÉ s. m. Tonneau.
valeur réelle.
CENTRE À L’ESTORGUE s. m. Sobriquet,
Les ROMAMICHELS (voir ce mot,
faux nom.
p. 120) citent parmi les célébrités de leur
corporation, deux careuses célèbres, CENTRE s. m. Nom propre.
nommées la Duchesse et la mère Caron. CERF-VOLANT s. f. Femme qui dépouille
Avant d’exercer ce métier ces femmes les petits enfants dans une allée ou dans
servaient d’éclaireurs à la bande du un lieu écarté.
fameux Sallambier, chauffeur du Nord, * CERT DE CHARRUE s. m. Quart d’écu.
exécuté à Bruges avec trente de ses
CHAHUTER v. a. Faire tapage pour
complices.
s’amuser.
CARIBÉNER v. a. Voler à la care. (Voir
CHAHUTEUR-EUSE s. Tapageur, tapa-
CAREUR, p. 21.)
geuse.
CARLE s. m. Argent monnayé.
CHANOINE-ESSE s. Rentier, rentière.
CARLINE s. f. Mort (la). CHANTER (FAIRE) v. a. Voir ci-après
CARNE s. f. Viande gâtée. CHANTEUR, p. 23.
22
23. CHANTEUR
CHANTEUR s. m. Celui qui fait contri- du roi donne la main, et qui sont salués
buer un individu en le menaçant de par le commissaire de police, il faudra
mettre le public ou l’autorité dans la que je me résolve à écrire un ouvrage
confidence de sa turpitude. Ce serait plus volumineux que la Biographie des
une entreprise pour ainsi dire inexécu- frères Michaud.
table que dévoiler tous les chantages, et
Si quelquefois de très braves gens
seulement esquisser la physiologie de
n’étaient pas les victimes des chanteurs,
tous les chanteurs. Après avoir parlé des
on pourrait, sans qu’il en résultât un
journalistes qui exploitent les artistes
grand mal, laisser ces derniers exercer
dramatiques, auxquels ils accordent ou
paisiblement leur industrie; car ceux
refusent des talents suivant que le
qu’ils exploitent ne valent guère plus
chiffre de leurs abonnements est plus ou
qu’eux; ce sont de ces hommes que les
moins élevé; ceux qui vous menacent, si
lois du Moyen Âge, lois impitoyables il
vous ne leur donnez pas une certaine
est vrai, condamnaient au dernier
somme, d’imprimer dans leur feuille
supplice; de ces hommes dont toutes les
une notice biographique sur vous, votre
père, votre mère ou votre sœur, qui vous actions, toutes les pensées, sont un
offrent à un prix raisonnable l’oraison outrage aux lois imprescriptibles de la
funèbre de celui de vos grands-parents nature; de ces hommes que l’on est
qui vient de rendre l’âme; du vaudevil- forcé de regarder comme des anomalies,
liste qui a des flons-flons pour tous les si l’on ne veut pas concevoir une bien
anniversaires; du poète qui a des dithy- triste idée de la pauvre humanité.
rambes pour toutes les naissances et des Les chanteurs ont à leur disposition de
élégies pour tous les morts, il en reste- jeunes garçons doués d’une jolie physio-
rait encore beaucoup d’autres, chan- nomie, qui s’en vont tourner autour de
teurs par occasion sinon par métier; et tel financier, de tel noble personnage, et
parmi ces derniers il faudrait ranger même de tel magistrat qui ne se rappelle
ceux qui vendent leur silence ou leur de ses études classiques que les odes
témoignage, l’honneur de la femme d’Anacréon à Bathylle, et les passages
qu’ils ont séduite, une lettre tombée par des Bucoliques de Virgile adressés à
hasard entre leurs mains et mille autres Alexis; si le pantre mord à l’hameçon, le
encore; mais comme il n’y a pas de loi Jésus le mène dans un lieu propice, et
qui punisse le fourbe adroit, le calom- lorsque le délit est bien constaté, quel-
niateur, le violateur de la foi jurée; quefois même lorsqu’il a déjà reçu un
comme tous ceux dont je viens de parler commencement d’exécution, arrive un
sont de très « honnêtes gens », je ne agent de police d’une taille et d’une cor-
veux pas m’occuper d’eux. pulence respectables : « Ah! je vous y
Les bornes de cet ouvrage ne me per- prends, dit-il; suivez-moi chez le com-
mettent de parler que des individus que missaire de police. » Le Jésus pleure, le
les articles du Code pénal atteignent; si pécheur supplie; larmes et prières sont
jamais, ce qu’à Dieu ne plaise, je me inutiles. Le pécheur offre de l’argent, le
détermine à écrire le recueil des ruses de faux sergent de ville est incorruptible,
tous les fripons qui pullulent dans le mais le commissaire de police supposé
monde, fripons auxquels le procureur n’est pas inexorable : tout s’arrange,
23
24. CHARLOT
moyennant finance, et le procès-verbal vidu dont l’extérieur n’annonce pas une
est jeté au feu. très vaste conception, et il sait trouver le
Ce n’est point toujours de cette moyen de lier conversation avec lui;
manière que procèdent les chanteurs, tout à coup ils sont abordés par un
c’est quelquefois le frère du jeune quidam, richement vêtu, qui s’exprime
homme qui remplace le sergent de ville, difficilement en français, et qui désire
et son père qui joue le rôle du commis- être conduit, soit au Jardin du roi, soit
saire de police; cette dernière manière au Palais-Royal, soit à la plaine de Gre-
de procéder est même la plus usitée. nelle pour y voir « le petite foussille-
Beaucoup de gens, bien certains qu’ils ment pien choli », mais toujours à un
avaient affaire à des fripons, ont cepen- lieu très éloigné de l’endroit où l’on se
dant financé; s’ils s’étaient plaints, les trouve; il offre pour payer ce léger ser-
chanteurs, il est vrai, auraient été punis, vice une pièce d’or, quelquefois même
mais la turpitude des plaignants aurait deux; il s’est adressé au jardinier, et
été connue : ils se turent et firent bien. celui-ci dit à la dupe : « Puisque nous
Un individu bien connu, le sieur L…, sommes ensemble, nous partagerons
exerce depuis très longtemps, à Paris, le cette bonne aubaine; conduisons cet
métier de chanteur, sans que jamais la étranger où il désire aller, cela nous
police ait trouvé l’occasion de lui cher- promènera. » On ne gagne pas tous les
cher noise; ses confrères, admirateurs jours dix ou vingt francs sans se donner
enthousiastes de son audace et de son si peu de peine, aussi la dupe se garde
adresse, l’ont surnommé le Soprano des bien de refuser la proposition; les voilà
chanteurs. Je ne pense pas cependant partis tous les trois pour leur destina-
qu’il lui manque ce que ne possèdent tion.
pas les sopranos de la chapelle Sixtine. L’étranger est très communicatif. Il
CHARLOT s. m. Bourreau. raconte son histoire à ses deux compa-
gnons; il n’est que depuis peu de jours à
CHARON s. m. Voleur. Paris; il était au service d’un riche
CHARRIAGE s. m. Le mot charriage, dans étranger qui est mort en arrivant en
la langue des voleurs, est un terme géné- France, et qui lui a laissé beaucoup de
rique qui signifie voler un individu en le pièces jaunes, qui n’ont pas cours en
mystifiant. Je donne dans l’article ci- France, et qu’il voudrait bien changer
après (voir CHARRIEURS et POT [VOL contre des pièces blanches; il donnerait
AU], p. 110), quelques détails sur le volontiers une des siennes pour deux de
mode de charriage le plus usité : il sera celles qu’il désire.
parlé des autres à leur ordre respectif. La dupe trouve l’affaire excellente, il y
CHARRIEURS s. m. Les charrieurs sont en a 100 % à gagner à un pareil marché; il
même temps voleurs et mystificateurs, s’entend avec le jardinier, et il est
et presque toujours ils spéculent sur la convenu qu’ils duperont l’américain.
bonhomie d’un fripon qui n’exerce le « Mais, dit le jardinier, les pièces d’or ne
métier que par occasion; ils vont habi- sont peut-être pas bonnes, il faut aller
tuellement deux de compagnie, l’un se les faire estimer. » Ils font comprendre
nomme l’américain, et l’autre le jardi- cette nécessité à l’étranger, qui leur
nier. Le jardinier aborde le premier indi- confie une pièce sans hésiter, et ils vont
24
25. CHARRIEUR À LA MÉCANIQUE
ensemble chez un changeur qui leur * CHASSE NOBLE s. m. Chasse-coquin,
remet huit pièces de cinq francs en suisse de porte.
échange d’une de quarante; ils en C H A SS E À L ’ E S T O R G U E s. m. Œil
remettent quatre à l’américain, qui louche.
paraît parfaitement content, et ils en
CHASSER DES RELUITS v. a. Pleurer.
gardent chacun deux : les bons comptes
font les bons amis; l’affaire est presque CHAT s. m. Concierge de prison.
conclue, l’américain étale ses rouleaux CHATTE s. f. Pièce de six francs. Les
d’or, qu’il met successivement dans un filles publiques sont à peu près les seules
petit sac fermé par un cadenas. qui se servent de ce terme.
« Vous âvre fait estimer mon bièce CHAUD-E (ÊTRE) v. p. Qui se défie, qui
d’or, dit-il alors, moi fouloir aussi savoir se tient sur ses gardes.
si votre archent il être pon. » CHAUDELANCE s. f. Gonorrhée.
« Rien de plus juste », dit le jardinier. CHAUMIR v. a. Perdre.
L’américain ramasse toutes les pièces de
CHEMISE DE CONSEILLER s. m. Linge
cinq francs du pantre, et sort accom-
pagné du jardinier, soi-disant pour aller volé.
les faire estimer. Il va sans dire qu’il a * CHENÂTRE ou CHENU adj. Bon.
laissé en garantie le petit sac qui CHÊNE s. m. Homme.
contient ses rouleaux d’or.
CHENU RELUIT adv. Bonjour.
Le simple est tout à fait tranquille; il
CHENU SORGUE adv. Bonsoir.
attend paisiblement dans la salle du
marchand de vins, chez lequel il s’est CHER adj. Rude.
laissé entraîner, qu’il plaise à ses deux CHER adj. Haut, élevé.
compagnons de revenir; il attend une CHÉRANCE s. f. Ivresse.
demi-heure, puis une heure, puis deux,
CHEVAL DE RETOUR s. m. Celui qui est
puis les soupçons commencent à lui
conduit au bagne pour la deuxième fois.
venir, il ouvre le sac dans lequel au lieu
de rouleaux de pièces d’or, il ne trouve CHEVALIER D’INDUSTRIE s. m. Les che-
que des rouleaux de monnaie de billon. valiers d’industrie, quelles que soient
d’ailleurs les qualités qu’ils possèdent,
CHARRIEUR À LA MÉCANIQUE. Voleur n’ont pas marché avec le siècle, ils sont
qui, avec le mouchoir, attrape un pas- restés stationnaires au milieu des chan-
sant par le col, le porte ainsi sur les gements qui s’opéraient autour d’eux, je
épaules pendant qu’un camarade crois même qu’ils ont reculé au lieu
s’occupe à le dévaliser de manière à le d’avancer; car j’ai beau regarder autour
laisser quelquefois nu et sans vie sur la de moi, je ne reconnais pas, parmi les
route. illustrations contemporaines, les dignes
Lorsque le pantre est mort, ce qui successeurs des Cagliostro, des comte
arrive quelquefois, les charrieurs à la de Saint-Germain, des Casanova, des
mécanique jettent le cadavre dans le chevalier de La Morlière, et de cent
canal; car c’est ordinairement dans ce autres dont les noms m’échappent.
quartier désert qu’ils exercent leur hor- Ces messieurs de l’Ancien Régime
rible industrie. étaient pour la plupart des cadets de
25
26. CHEVALIER D’INDUSTRIE
famille, mousquetaires, chevau-légers maintenant, ne se laissent ni battre, ni
ou chevaliers de Malte, qui, avant de jeter par la fenêtre, mais ils se laissent
devenir fripons, avaient commencé par duper : les chevaliers spéculateurs n’en
être dupes. Ils portaient la cravate, le demandent pas davantage.
jabot et les manchettes de point de Voici l’exposé des qualités physiques et
Bruxelles, l’habit nacarat, la veste gorge- morales que doit absolument posséder
de-pigeon, la culotte noire, les bas de celui qui veut suivre les traces des
soie blancs et les souliers à talons grands hommes de la corporation :
rouges; l’or et les pierreries étincelaient
Un esprit vif et cultivé, une bravoure à
sur toute leur personne; ils étaient tou-
toute épreuve, une présence d’esprit
jours pimpants, frisés, musqués et pou-
inaltérable, une physionomie à la fois
drés, et lorsqu’il le fallait ils savaient se
agréable et imposante, une taille élevée
servir de l’épée qui leur battait le mollet.
et bien prise.
Un nom illustre, un titre quelconque,
qui leur appartenait réellement, ou Le chevalier qui possède ces diverses
qu’ils savaient prendre, leur ouvrait qualités n’est encore qu’un pauvre sire,
toutes les portes; aussi on les rencon- s’il ne sait pas les faire valoir; ainsi il
trait quelquefois à l’Œil-de-bœuf, au devra, avant de se lancer sur la scène,
petit lever, ou dans les salons de la s’être muni d’un nom d’honnête
favorite; comme les plus grands sei- homme; un chevalier d’industrie ne
gneurs ils avaient leur petite maison, ils peut se nommer ni Pierre Lelong, ni
entretenaient des filles d’opéra; et le Eustache Lecourt.
matin avant de sortir, ils demandaient à Sa carrière est manquée s’il est assez
leur valet s’il avait mis de l’or dans leurs sot pour se donner un nom du genre de
poches, Le Chevalier à la mode de Dan- ceux-ci : Saint-Léon, Saint-Clair, Saint-
court, le marquis du Joueur, et celui de Firmin, ou quelque autre saint que ce
L’École des Bourgeois, sont des types que soit; le saint est usé jusqu’à la corde.
le lecteur connaît aussi bien que moi. Pourvu d’un nom, l’aspirant doit se
À cette époque un homme de bonne pourvoir d’un tailleur. Ses habits,
compagnie devait nécessairement avoir coupés dans le dernier goût, sortiront
des dettes, et surtout ne pas les payer; des ateliers de Humann, de Barde ou de
Don Juan faisait des politesses à Chevreuil : le reste à l’avenant; il
M. Dimanche, mais Don Juan est une prendra ses gants chez Valker, son
spécialité. Les grands seigneurs et les chapeau chez Bandoni, ses bottes chez
chevaliers d’industrie du dix-huitième Concanon, sa canne chez Thomassin; il
siècle faisaient rosser par leurs gens ou ne se servira que de foulards de l’Inde,
jeter par les fenêtres ceux de leurs ou de mouchoirs de fine batiste; il
créanciers qui se montraient récalci- conservera ses cigares dans une boîte
trants. Les chevaliers d’industrie de élégante, des magasins de Susse ou de
l’époque actuelle sont, sauf les qualités Giroux.
qu’ils ne possèdent pas, à peu près ce Il se logera dans une des rues nou-
qu’étaient leurs prédécesseurs, velles de la Chaussée-d’Antin. Des meu-
l’humeur des créanciers est plus bles de palissandre, des draperies
changée que tout le reste; ces messieurs, élégantes, des bronzes, des glaces
26
27. CHEVRONNÉ (ÊTRE)
magnifiques, des tapis de Lamornaix, dire, sans craindre de se tromper, qu’ils
garniront ses appartements. ont des yeux au bout des doigts.
Ses chevaux seront anglais, son tilbury CHIFFARDE s. f. Pipe.
du carrossier à la mode.
CHIFFERTON s. m. Chiffonnier.
Son domestique ne sera ni trop jeune
CHIFFON, BALANCER LE CHIFFON, LE
ni trop vieux; perspicace, prévoyant,
CHIFFON ROUGE s. f. La langue. Parler.
audacieux et fluet, il saura, à propos,
parler des propriétés de monsieur, de CHIFFON s. m. Mouchoir.
ses riches et vieux parents, etc., etc. CHIFFONNIER s. m. Voleur de
Lorsque l’aspirant se sera procuré tout mouchoirs. (Voir PÉGRIOT, p. 104.)
cela, sans débourser un sou, il aura CHIPETTE s. f. Tribade.
gagné ses éperons de chevalier.
CHIQUE s. f. Église.
Un portier complaisant est la première
nécessité d’un chevalier d’industrie, CHIQUER v. a. Battre.
aussi le sien sera choyé, adulé, et surtout CHOLETTE s. m. Demi-litre.
généreusement payé. CHOMIR v. a. Perdre.
Lorsque toutes ses mesures sont
CHOPER v. a. Prendre.
prises, le chevalier entre en lice et
attaque l’ennemi avec l’espoir du CHOPIN s. m. Vol.
succès; alors les marchands et les four- CHOUETTE adj. Excellent.
nisseurs attendent dans son anti-
CHOURIN s. m. Couteau.
chambre qu’il veuille bien les recevoir;
quelquefois même un escompteur CIGOGNE s. f. Préfecture de police.
délicat apporte lui-même de l’argent au CIGALE s. f. Pièce d’or.
grand personnage; à la vérité, cet hon-
* CIGUE s. f. Pièce d’or.
nête usurier vend ses écus au poids de
l’or, il ne prend que 4 ou 5 % par mois, CLOU, ÊTRE AU CLOU. Prison. Être en
et l’intérêt en dedans, de sorte que prison.
l’emprunteur ne reçoit que très peu de COCANGES ou LA ROBIGNOLE. Jeu
chose, mais toujours est-il qu’il reçoit, des coquilles de noix. Le jeu des
tandis qu’il est positif que le marchand coquilles de noix est un des mille et un
d’argent ne recevra jamais rien. trucs employés par les fripons qui cou-
CHEVRONNÉ (ÊTRE) v. p. Être en réci- rent les campagnes pour duper les mal-
dive, être noté comme voleur. heureux qui sont possédés par la funeste
passion du jeu. Les cocangeurs ou robi-
CHIBRE s. m. Membre viril. gnoleurs se réunissent plusieurs sur la
CHICANE (GRINCHIR À LA) v. a. Les place publique d’un village ou d’une
grinchisseurs à la chicane sont les plus petite ville, lorsqu’ils ont obtenu le
adroits tireurs, ceux qui travaillent sans condé franc, ou dans quelque lieu écarté,
compères. Ils se placent devant une per- lorsqu’ils craignent d’être dérangés;
sonne, mettent leur main derrière eux, mais dans l’un et dans l’autre cas ils
et de cette manière lui volent ou sa choisissent de préférence pour exercer,
montre ou sa bourse; certes, ce sont là un jour de marché ou de foire, sachant
d’adroits fripons, et desquels on peut bien que ceux qui se laisseront séduire
27
28. COCASSE
auront ce jour-là les poches mieux gar- COCHEMARD s. m. Cocher.
nies que tout autre. COËNNE DE LARD s. f. Brosse.
Les objets dont ils se servent sont : COËSRÉ s. m. À chaque pas que l’on fai-
1° trois coquilles de grosses noix : les sait dans l’ancien Paris, on rencontrait
cocanges, et une petite boule de liège : la des ruelles sales et obscures qui ser-
robignole. L’un d’eux, après s’être assis vaient de retraite à tout ce que la capi-
par terre, place son chapeau entre ses tale renfermait de vagabonds, gens sans
jambes et les cocanges sur le chapeau; aveu, mendiants et voleurs. Les habi-
cela fait, il couvre et découvre alternati- tants nommaient ces réduits cours des
vement la robignole; après avoir fait Miracles, parce que ceux des mendiants
quelques instants ce manège, il s’arrête qui en sortaient le matin pâles et estro-
et se détourne comme pour se moucher piés, pour aller par la ville solliciter la
ou cracher; un compère alors lève suc- charité des bonnes âmes, se trouvaient
cessivement les trois cocanges, et frais et dispos lorsque le soir ils y ren-
lorsqu’il a découvert la robignole, il dit, traient.
assez haut pour être entendu de celui Le premier de ces asiles, ou cours des
qui doit être dupé : « Elle est là. » C’est Miracles, qui soit cité par les auteurs qui
à ce moment que celui qui tient le jeu ont écrit l’histoire et la monographie de
propose aux curieux assemblés autour la capitale, est la rue du Sablon, dont
de lui, des paris plus ou moins considé- aujourd’hui il ne reste plus rien; cette
rables; le compère, pendant ce temps, rue, qui était située près l’Hôtel-Dieu,
s’est entendu avec la dupe, et ils se met- fut fermée en 1511 à la requête des
tent alors à jouer de moitié; celui qui administrateurs de l’hôpital, « pour
tient le jeu est doué d’une agilité qu’elle ne servît plus de retraite aux
capable de faire honneur au plus habile vagabonds et voleurs qui y menaient
escamoteur, il a su changer adroitement une vie honteuse et dissolue ».
la robignole de place, le reste se devine : Cette rue, dès l’an 1227, servait de
ce coup se nomme le coup de tronche. retraite à ces sortes de gens. Étienne,
On a vu des individus perdre à ce jeu doyen de Notre-Dame, et le chapitre de
des sommes très considérables; ils méri- Paris, ne voulurent consentir à l’agran-
taient sans doute ce qui leur arrivait, car dissement de l’hôpital, qu’à la condition
leur intention était bien celle de tromper expresse qu’il ne serait point fait de
celui que d’abord ils avaient pris pour porte à la rue du Sablon, du côté du
un niais, mais jamais l’intention de la Petit-Pont : « De peur que les voleurs
dupe n’a justifié les méfaits du dupeur, qui s’y réfugiaient ne se sauvassent, par
que l’on punisse le premier, rien de cette rue, chargés de leur butin, et que la
mieux, mais que l’on ne ménage pas le maison de Dieu ne servît d’asile à leurs
second, et bientôt, du moins je l’espère, vols et à leurs crimes. »
on aura vu disparaître cette foule d’indi- La rue de la Grande-Truanderie fut,
vidus qui spéculent sur les passions après celle du Sablon, la plus ancienne
mauvaises. cour des Miracles; son nom lui vient des
gueux et fripons, qu’à cette époque on
COCASSE s. m. Fin.
nommait truands, qui l’ont habitée
COCASSERIE s. f. Finesse. primitivement; la troisième fut établie,
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