1. L’angiologue est-il un (bon) prescripteur ?
Editorial à quatre mains. JP.BENIGNI, M CAZAUBON
Nous ne sommes pas reconnus comme spécialistes et l’une des constatations, sinon des
reproches émanant de responsables de la santé publique est que l’angéiologue prescrit peu.
Mais la question posée mérite débat ? Et voilà qui n’est pas simple ! En fait cette simple
question en soulève trois autres :
1) Qu’est-ce qu’un prescripteur ?
2) Qu’est-ce qu’un bon prescripteur ?
3) Pour qui l’angiologue est-il un bon prescripteur ?
Selon le Littré, le prescripteur c’est celui qui ordonne, qui commande. Certes, en se
cantonnant à cette définition stricte, nous prescrivons peu ; nous ne sommes pas en mesure
de contredire les données des organismes payeurs et des industriels de la santé.
Qu’est qu’un bon prescripteur ? Le prescripteur est par définition lié à sa prescription. C’est
une recommandation que le médecin peut faire à son patient par écrit ou oralement. Le
médecin prescrit ou ordonne. Il ordonne par écrit et ordonne par oral. En anglais les 2
termes sont confondus. Il est beaucoup plus simple de quantifier l’écrit que de qualifier
l’oral. Et pourtant avec un peu d’imagination, il serait possible de quantifier le qualitatif.
L’angiologue prescrit dans des domaines divers plutôt plus que moins au regard des
prescripteurs potentiels de profession mais surtout il conseille dans des domaines qui
dépassent souvent l’horizon de pratiques (prévention cardio-vasculaire, amélioration de
l’hygiène de vie, dermo-cosmétologie…).
Prenons quelques exemples :
Une enquête récente réalisée au sein de la SFA permet de constater que dans le domaine
particulier de l’Artériopathie Oblitérante des Membres Inférieurs (AOMI) , l’angéiologue
intervient dans la prise en charge thérapeutique, en se basant sur les recommandations des
Autorités de Santé et en corrigeant ou du moins en améliorant le traitement des patients
lorsqu’il estime que l’objectif thérapeutique n’est pas atteint . Bien sur, on peut rétorquer
que les répondeurs de cette enquête sont les « bons élèves « et ne représentent pas
l’ensemble de notre spécialité, mais les résultats sont là et encourageants, ne serait ce que
pour démontrer notre rôle au sein des réseaux de soin.
2. Après un diagnostic de thrombose veineuse, combien d’entre nous téléphone à son médecin
correspondant pour l’informer du diagnostic et lui conseiller une conduite à suivre… Pas
d’ordonnance dans ce cas !
L’angiologue est le médecin spécialiste de la compression médicale, il prescrit une première
fois et conseille de revoir le médecin habituel pour un renouvellement d’ordonnance.
En cas de varices importantes, combien d’entre nous conseillent un traitement chirurgical et
un chirurgien compétent.
Enfin, pour qui l’angéiologue est-il un bon prescripteur :
Si l’on se place du côté des organismes payeurs, prescrire bien, c’est ne pas prescrire trop de
médicaments, favoriser les produits génériques, mais aussi limiter le recours aux examens
complémentaires, bref , être en même temps un économiste de santé et un thérapeute.
Pour les industriels, la réponse est simple : un bon prescripteur, c’est celui qui prescrit
beaucoup et certes, de leur point de vue, notre rôle est sous-estimé.
Pour nos confrères et autres professionnels des « réseaux « bien prescrire, c’est être capable
d’expliquer son choix par des informations simples et une argumentation claire. Cela nous
oblige à suivre à la « trace » les recommandations les plus récentes et justifie tous nos
efforts de formation continue et d’évaluation des pratiques professionnelles.
Pour le patient, c’est variable. Parfois ils apprécient le médecin qui leur donne peu de
médicaments, parfois l’inverse. Mais ils privilégient tous celui qui sait les soigner et diminuer
sinon faire disparaître les motifs qui les ont amené à consulter.
Pour la santé publique, bien prescrire c’est surement un peu de tout ça !
Mais notre rôle de médecin méritant le titre de spécialiste ne s’arrête pas à la rédaction
d’une ordonnance loin de là et d’autres éléments plaident en faveur de notre rôle
irremplaçable dans la sphère cardio-vasculaire. On peut imaginer trois contextes particuliers
nous mettant dans le feu de l’acte médical : l’urgence, le suivi des patients vasculaires et
aussi le dépistage.
L’urgence, c’est notre quotidien devant une suspicion de thrombose artérielle ou veineuse,
mais aussi de rupture d’anévrysme de l’aorte abdominale ou de dissection des artères
cervicales…Agir vite, bien et confier le patient sans perte de temps au centre spécialisé.
Le suivi du patient c’est sa prise en charge thérapeutique, médicale ou chirurgicale résultant
d’une concertation avec tous les spécialistes vasculaires, cardiologues, neurologues,
radiologues et chirurgiens. Sur quels documents vont-ils tous se baser : sur le résultat de nos
examens fonctionnels vasculaires et des renseignements anatomiques mais aussi
hémodynamiques qu’ils ont apportés et qui permettent de répondre à cette question
fondamentale : les symptômes du patient sont- ils expliqués par une artériopathie ? C’est
peut –être dans ce cadre que nous sommes les « spécialistes « et non pas simplement des
3. photographes. Nous n’allons pas traiter des images mais des symptômes expliqués par nos
explorations. Non seulement nous sommes des prescripteurs mais en plus des prescripteurs
« éclairés « certains de traiter à bon escient !
Le dépistage enfin, périodiquement si cher à nos autorités de tutelle mais sombrant parfois
dans l’oubli ou l’utopisme. L’angéiologue dispose de deux « outils « reconnus, validés dans
le monde entier pour le dépistage de l’athérosclérose infra clinique, la mesure de l‘Indice de
Pression Systolique à la Cheville et la mesure de l’Epaisseur Intima Média (EIM). Nos
interventions ont une implication directe dans la gestion des facteurs de risque et du mode
de vie de nos patients ; nous disposons tous de fiches de conseils spécifiques pour ces
patients qui viennent judicieusement compléter l’ordonnance des médicaments adaptés !
Rappelons- nous que nos patients évoluent mais leurs connaissances médicales aussi, grâce
ou à cause de l’internet et de la multiplication de ses sites consacrés à la santé. Notre
information dans le domaine thérapeutique se doit d’être à la hauteur, conscients de notre
rôle de prescripteurs, directs ou indirects.
Ce subtil distinguo entre ordonnance et prescription devrait s’accentuer à l’avenir. Avec le
vieillissement de notre population, des pathologies vont voir augmenter leur prévalence
(diabète, œdème chronique, plaies des membres inférieurs). Les réseaux de soins vont se
développer, l’angiologue sera l’un des correspondants capables d’explorer, de conseiller un
pansement, une compression et de proposer un suivi sans jamais rédiger une ordonnance.
Voilà de quoi troubler plus d’un chef de produit, de rassurer un contrôleur de la Sécurité
Sociale… et de rendre un fieffé service à nos patients. Et c’est bien là l’essentiel… Nous
sommes de bons prescripteurs !