La fondation Terra Nova suggère quelques orientations pour permettre au droit du travail d'évoluer vers un avenir "socialement responsable".
Afin de revoir le code du travail pour libérer la croissance et débloquer l'insertion professionelle des populations sensibles, il est impératif de passer par une négociation collective entre partenaires sociaux représentatifs et légitimes.
La France doit faire évoluer son taux de syndicalisation, l'un des plus faible des pays de l'OCDE (7.7% en 2012), via par exemple l'instauration d'un chèque syndical.
Par ailleurs, les conseils de prud'hommes doivent contenir des magistrats professionnels et repenser sa politique vers plus de conciliation.
La politique sociale francaise tiraillée de toutes parts !
Refonte du droit du travail - Une négociation sociale collective
1. 0123
JEUDI 3 SEPTEMBRE 2015
Droitdutravail:lespistesderéformesseprécisent
Dansunrapportpubliéjeudi,TerraNovaproposedeprivilégierlesnormesissuesdelanégociationsociale
M
anuel Valls l’a af
firmé, dimanche
30 août, lors de
l’université d’été
du PS à La Rochelle : il faut « re-
voir en profondeur la manière
même de concevoir notre régle-
mentation » applicable aux rela-
tions entre les patrons et leurs
personnels. « Nous devons don-
ner plus de latitude aux em-
ployeurs, aux salariés et à leurs re-
présentants pour décider eux-mê-
mes de leur politique de
formation, d’organisation du tra-
vail, d’insertion des jeunes par des
négociations au plus près de leurs
besoins », a-t-il ajouté.
Résolu à en faire une des priori-
tés du gouvernement pour cette
fin d’année, M. Valls a confié, dé-
but avril, au conseiller d’Etat
Jean-Denis Combrexelle une mis-
sion de réflexion sur la place à
donner à la négociation collective
dans « l’élaboration des normes
[sociales] ». Si les recommanda-
tions de ce dernier ne seront con-
nues que dans quelques jours,
plusieurs pistes de réformes sont
déjà avancées.
Notamment par la fondation
Terra Nova, un cercle de réflexion
prochedela« deuxièmegauche »,
qui publie, jeudi 3 septembre, Ré-
former le droit du travail (Odile Ja-
cob, 176 p., 19,90 euros), un rap-
port dont l’ambition est de faire
« larévolutiondudroitdutravail ».
Celui-ci s’ajoute à d’autres contri-
butions récentes : celle de l’uni-
versitaire Pascal Lokiec – à travers
son livre Il faut sauver le droit du
travail ! (Odile Jacob, 176 p.,
19,90 euros) ; celle de Robert Ba-
dinter et d’Antoine Lyon-Caen
avec leur ouvrage Le Travail et la
Loi (Fayard, 80 p., 8 euros) ; celle,
enfin, de l’Institut Montaigne, un
think tank libéral qui vient de
boucler une étude intitulée « Sau-
ver le dialogue social : priorité à la
négociation d’entreprise ».
Le rapport de la fondation Terra
Nova a été réalisé par des spécia-
listes, l’avocat Jacques Barthé-
lémy et l’économiste Gilbert
Cette. Les deux hommes avaient
déjà produit ensemble plusieurs
travaux sur la « refondation du
droit social », en particulier
en 2010 pour le compte du Con-
seil d’analyse économique (CAE).
Leur nouvel opus diffusé à partir
de jeudi s’inscrit dans la conti-
nuité de ce qu’ils ont coécrit au
cours des cinq dernières années.
« Profusion de textes »
Il y a « urgence », estiment-ils. Si
le chômage de masse s’est en-
kysté en France depuis près de
quatre décennies, c’est, selon eux,
en partie à cause d’une « inadap-
tation » des règles régissant la vie
économique. Le droit du travail,
forgé par le législateur et mis en
musique par l’administration, est
basé « sur une profusion de textes
constituant un ensemble d’une
complexité sans équivalent »
parmi les pays développés. Accor-
dant trop peu d’espace aux parte-
naires sociaux, il « bride la possi-
bilité » de ficeler des « compro-
mis » satisfaisant à la fois « les
attentes des salariés et les besoins
des entreprises ».
Pour MM. Barthélémy et Cette,
de telles « rigidités » ont des re-
tombées négatives sur le marché
du travail et la productivité, attes-
tées par « une abondante littéra-
ture » économique – notamment
par des études comparatives de
l’OCDE. Dès lors, concluent les
auteurs, un constat s’impose : no-
tre code du travail est doublement
inefficace, à la fois parce qu’il en-
trave la croissance et parce qu’il
pénalise l’insertion profession-
nelle des plus fragiles (jeunes, tra-
vailleurspeuoupasqualifiés,etc.).
Pour sortir de cette situation,
Terra Nova préconise de promou-
voir un droit issu de la négocia-
tion entre partenaires sociaux. Ce
« tissu conventionnel » est la seule
source juridique « capable de con-
cilier efficacité économique et pro-
tection des travailleurs », pensent
MM. Barthélémy et Cette. Dans ce
schéma, la règle est que l’accord
conclu au niveau d’une entre-
prise ou d’une branche déroge à
la loi et au règlement. Chaque so-
ciété peut ainsi moduler diverses
obligations (par exemple sur la
durée du travail, le fonctionne-
ment des institutions représenta-
tives du personnel, les règles de
conduite des négociations, etc.).
C’est un changement radical
dans notre culture juridique, qui
bouleverse la hiérarchie des nor-
mes. Mais ce renversement est
assorti de plusieurs garde-fous,
insistent les auteurs du rapport :
les « deals » signés par les syndi-
cats et par le patronat doivent res-
pecter les textes internationaux,
en particulier ceux mis au point
par l’Union européenne et par
l’Organisation internationale du
travail. De même, tout ce qui a
trait au droit syndical ou à la Sé-
curité sociale reste de la « compé-
tence exclusive du législateur ».
MM. Barthélémy et Cette sou-
haitent également que la négo-
ciation collective puisse modifier
plus facilement certains élé-
ments du contrat de travail, tels
que la durée du travail et, par con-
séquent, la rémunération men-
suelle des salariés. Cette possibi-
lité existe déjà grâce aux accords
de maintien dans l’emploi (AME),
qui prévoient de préserver les ef-
fectifs dans une entreprise en
contrepartie de « sacrifices » de
son personnel (sur le nombre
d’heures effectuées, le niveau de
la paye, etc.). Mais les salariés peu-
vent refuser un AME, ce qui en-
traîne leur licenciement indivi-
duel pour motif économique et le
versement d’indemnités. Le rap-
port suggère que les partenaires
sociaux auraient la possibilité
d’exclure l’octroi d’indemnités
aux salariés susceptibles d’être
congédiés parce qu’ils ne veulent
pas se conformer à un AME.
A l’inverse, les « éléments subs-
tantiels absolus » du contrat de
travail – par exemple, le salaire ho-
raire ou la qualification – ne peu-
vent pas être changés par un ac-
Le think tank
propose
que l’accord
conclu au niveau
d’une entreprise
ou d’une branche
déroge à la loi
cord collectif : il faut recueillir l’ac-
cord individuel de la personne
concernée.
Pour qu’elles puissent être mises
en œuvre, les orientations défen-
dues dans le rapport requièrent la
présence « de partenaires sociaux
représentatifs et légitimes ». Or,
rappellent MM. Cette et Barthé-
lémy, « la France est, avec la Tur-
quie et l’Estonie, le pays de l’OCDE
dans lequel le taux de syndicalisa-
tion est le plus bas » (moins de 8 %
en 2012, contre 17,1 % en moyenne
dansl’OCDE).Ilestprimordial,aux
yeux des auteurs, de développer
l’implantation de représentants
des salariés dans les entreprises,
par exemple en instaurant le chè-
que syndical – un dispositif dans
lequel la direction d’une société
adresse à ses collaborateurs un
chèque que ceux--ci redonnent à
l’organisation de leur choix.
Enfin, souligne le rapport, bon
nombre d’employeurs hésitent à
recruter, de peur d’être happés
dans des litiges très compliqués à
régler. Les conseils de prud’hom-
mes mettent parfois beaucoup de
temps à se prononcer (plus de
quinze mois en moyenne). Et
leurs décisions sont souvent frap-
pées d’appel (près des deux tiers),
ce qui crée de l’insécurité juridi-
que. Le fonctionnement de ces ju-
ridictions doit, en conséquence,
êtreamélioré,notammentenyin-
troduisant des magistrats profes-
sionnels et en redonnant toute sa
place à la conciliation – une procé-
dure où les parties s’entendent
pour résoudre leur différend. p
Bertrand BISSUEL
Annoté ERIC LEGER