Les premiers enseignements de la réponse hospitalière aux « attentats de Paris »
1. REVUE MÉDICALE SUISSE
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2 décembre 20152304
point de vue
Les premiers enseignements de la réponse hospitalière
aux « attentats de Paris »
Face au développement des actions
terroristes, quelles sont, quelles seront,
les réactions des structures sanitaires du
Vieux Continent ? C’est là une question
médicale mais aussi politique ; un sujet de
santé publique en lien direct avec la
confiance que les citoyens des Etats démo
cratiques peuvent avoir dans leur organi
sation sociale et politique. La médecine
est ici aux côtés de la police et de la jus
tice – comme elle peut être, ailleurs, avec
les forces armées. De ce point de vue,
après les attentats de Madrid (2004) et de
Londres (2005), la réaction des médecins
et des soignants de l’Assistance Publique-
Hôpitaux de Paris (AP-HP) après les atten
tats du vendredi 13 novembre (130 morts)
est riche d’enseignements.
Ce jour-là, Martin Hirsch, directeur
général de l’AP-HP a déclenché le « Plan
blanc » à 22h30 dans les trente-neuf éta
blissements de ce groupe. En pratique,
deux dispositifs coordonnés d’accueil des
blessés ont été mis en place : un dispositif
de « médecine de catastrophe » sur les
lieux des attentats ; une mobilisation des
hôpitaux. Ces réponses s’inscrivent dans
le cadre du plan Orsan (Organisation de
la réponse du système de santé en situa
tion sanitaire exceptionnelle) élaboré en
2014.1
Au sein de chaque hôpital, il s’agissait
de mettre en place une cellule de crise.
Chaque direction avait pour mission de
rappeler leur personnel d’astreinte, de
procéder à la réouverture de lits, d’évaluer
la capacité à prendre en charge des blessés
selon le type de blessure et les disponi
bilités des blocs opératoires. Les services
de chirurgie thoracique étaient tout parti
culièrement sollicités du fait du type des
blessures par balle. Plusieurs chirurgiens
ont parlé de « chirurgie de guerre ».
Dès l’annonce des premiers blessés,
une cellule de coordination a été mise en
place au SAMU de Paris (hôpital Necker).
Le bâtiment du SAMU de Paris a été sécu
risé par la police (un risque d’attentat de
la cellule de coordination avait été identi
fié). La coordination des opérations était
faite en collaboration avec la Préfecture
de police de Paris, l’Agence régionale de
santé, les sapeurs-pompiers et la protec
tion civile. Les SAMU et SMUR de banlieue
ont aussi été mis à contribution, notam
ment le SAMU 93 (attaques du Stade de
France). Après les attaques dans des bars
et des restaurants, un premier tri était
régulé par le SAMU et les blessés évacués
directement vers les établissements hos
pitaliers.
A proximité du « Bataclan » (la salle de
spectacle cible d’une attaque massive), un
poste médical avancé (PMA) a été mis en
place et géré sur le mode « médecine de
catastrophe ». Les blessés sont alors classés
en « Urgence Absolue », « Urgence Grave »,
« Urgence ». Ce poste médical avancé avait
fini son tri deux heures après la fin de l'as
saut du Bataclan. Les blessés en « Urgence
Absolue U1 » étaient dirigés pour la plu
part directement dans les salles de réveil
au plus près des services de réanimation
et de blocs opératoires (blessés par balle,
souvent avec atteinte multiple, qui néces
sitaient des soins de chirurgie thoracique,
digestive et orthopédique. Les cas « Ur
gence Relative U2 » étaient pris en charge
Jean-Yves Nau
jeanyves.nau@gmail.com
lu pour vous
La guerre tue
A l’heure où la Commission européenne pré-
voit que 3 millions de réfugiés arriveront sur
le sol européen d’ici 2017,1
plusieurs articles
soulignent la précarité de l’état de santé des
populations déplacées et l’importance d’une
prise en charge adaptée. 1er
constat : la guerre
tue et les civils sont les plus touchés. C’est un
truisme, mais fuir la mort est le principal motif
d’émigration des zones de conflit. A partir de
différentes sources, Guha-Sapir et coll.2
ont
analysé la mortalité des victimes du conflit
syrien (250 000 morts depuis mars 2011). 23 %
des victimes sont des enfants, ils meurent sous
les obus, les bombardements et les armes chi
miques. Les femmes sont les secondes victimes
préférentielles de ce type d’armes, alors que les
hommes meurent sous les balles lors d’affron-
tements directs ou d’exécutions. 2e
constat :
les routes migratoires sont périlleuses. Les
images des naufragés et des marcheurs haras-
sés qui saturent nos écrans depuis quelques
mois sont un pâle reflet de la réalité. Selon les
estimations d’IOM (International organization
for migrations) de janvier à octobre 2015,
772 979 personnes ont traversé la Méditerra-
née et 3423 en sont mortes.3
3e
constat : les
réfugiés qui arrivent en Europe ont besoin de
soins. En témoignent des pédiatres 4
qui, sous
des tentes dressées en face de la gare centrale
de Munich, ont offert des premiers soins aux
réfugiés arrivés par milliers en Allemagne à la fin
de l’été. Déshydratation, hypothermie, tuber-
culose et autres maladies transmissibles, mais
aussi séquelles de bombardement et de torture
qui n’épargnaient pas les enfants. 4e
constat :
des mesures de santé publique sont néces-
saires : structurer l’accueil sanitaire des réfu-
giés, organiser le dépistage des maladies infec-
tieuses et des problèmes de santé mentale
(PTSD) et les soigner de manière « équitable
et solidaire ».5
Ces mesures auront un double
impact : immédiat sur l’état de santé et à long
terme sur l’intégration dans la société d’accueil.
Or, les économistes prévoient que l'afflux de
réfugiés aura un « impact faible mais positif »
sur la croissance européenne :1
leur état de
santé influencera sûrement cette croissance.
Dr Sophie Durieux-Paillard
Programme santé migrants, Service de médecine
de premier recours, HUG, Genève
1 www.letemps.ch/monde/2015/11/05/bruxelles-
predit-arrivee-3-millions-migrants-2017
2 Guha-Sapir D, Rodrigues-Llane JM, Hicks MH, et al.
Civilian deaths from weapons used in the Syrian
conflict. BMJ 2015;351:h4736.
3 www.iom.int/news/mediterranean-migrants-and-
refugees-latest-arrivals-and-fatalities
4 Nicolai T, Fuchs O, von Mutius E. Caring for the
wave of refugees in Munich. N Engl J Med 2015;373:
1593-5.
5 Morabia A, Benjamin GC. The refugee crisis in the
middle East and Public Health. Am J Public Health
2015;105: 2405-6.
D.R.
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