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(Plaidoyer d'un petit-fils de bagnard)
"La Relégation, un scandale de la
République"*
Je confirme...
*Robert Badinter (voir son témoignage)
On pourra trouver plus d'infos sur le thème de la Relégation (genèse, textes de loi) sur
d'autres publications du même site...
Tous les commentaires portant sur l'Administration Pénitentiaire sont à replacer dans
le contexte de l'époque (particulièrement "tumultueuse"). Ils sont obsolètes
aujourd'hui.
Préambule:(un peu long, certes, mais on comprendra que j'ai grand besoin de m'exprimer...)
Dans le cadre d'une biographie familiale , je me suis intéressé, bien sûr à mes parents et à
quelques membres de ma famille qui connurent bien des vicissitudes, mais aussi à la destinée
de mes aïeuls les plus proches; j’ai pu ainsi comprendre pourquoi une commotion d’obus au
combat* valut à l’un d’entre eux, au cours de la "Grande Guerre" de finir ses jours en asile
psychiatrique dans l’isolement le plus complet, pourquoi le second fut rappelé pour aller sur
le front, alors qu’il était âgé de trente-quatre ans, veuf et père de trois enfants..
Le premier fut quand même cité deux fois :
- “a pris part à l’offensive de Champagne avec le 99e Régiment d’Infanterie […] cité à
l’ordre de l’armée, comme il suit : s’est affirmé dans sa brillante offensive du 25 septembre
au cours de l’assaut, puis d’une manœuvre d’encerclement, comme une Troupe valeureuse,
disciplinée et parfaitement instruite ” (Combats de Champagne septembre-octobre 1915).
- “a été cité à l’ordre de la Brigade n° 27 en date du 27 août 1916, pour le motif suivant :
soldat très énergique, intelligent, ayant beaucoup d’entrain ; le 1er août 1916, son chef de
pièce ayant été blessé a pris le commandement des servants et a assuré la continuité du tir sur
les assaillants parvenus à moins de 100 mètres ” (D’après l’historique de ce régiment, cet
événement se situe pendant la bataille de Verdun). L’épisode de la “commotion d’obus”
intervint tout juste un mois après ce deuxième acte de bravoure.
Enfin, en reconstruisant l’histoire de mon grand-père paternel ("trajectoire" complètement
méconnue dans ma famille), j’ai ouvert, avec la collaboration de l’historien Jean-Lucien
Sanchez un chapitre de l’histoire judiciaire, celui de la Relégation, dont notre pays ne peut se
glorifier. Comme tant d’autres petits délinquants (en commençant par les vagabonds...) dont
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les prisons de la métropole souhaitaient se débarrasser, celui qui se présentait comme artiste
lyrique fut condamné à cette peine démesurée pour une récidive dans des délits que l’on
considérerait comme mineurs de nos jours.
*appelée encore “obusite” (âmes sensibles s'abstenir...)
Certains s’accordent à dire que la loi sur la relégation fut une des plus scélérates de la IIIe
République, ce que confirment les propos de Robert Badinter. Qui plus est, elle fut un échec
vis-à-vis du projet sous - jacent d’intégration des condamnés dans une perspective de
colonisation de la Guyane.
Pourquoi tant d'acharnement: mon grand-père, comme son fils, feront l'objet de dénigrements
dépassant l'entendement, sans pudeur ni discernement et que certain(e)s prendront plaisir à
répandre dans la famille, sans aucun état d'âme. Mon père lança une "recherche dans l'intérêt
des familles" pour tenter, sinon de retrouver son géniteur au moins connaître son devenir.
Lorsqu'il apprit, par de vagues informations, que ce dernier finit ses jours au bagne, le ciel lui
tomba sur la tête. (Sincèrement, je pense que si j'avais été à sa place, j'aurais "pété un
câble").Avec l'accumulation d'autres facteurs: sérieux déboires qui éclaboussèrent sa famille,
contrariétés, espoirs ou illusions tant de fois déçus, envolés... (et – élément que beaucoup
ignorent – travail dans la poussière de ciment pour nourrir ses enfants après fermeture de son
commerce)* ce nouveau choc psychologique lui fut peut-être fatal pour expliquer cette
déchéance abominable, indescriptible que ses proches garderont à jamais en mémoire, suite à
l'apparition d'un cancer du larynx avant d'atteindre la quarantaine en 1963…(Je n'apprendrai
rien à celles et ceux qui ont pu vivre pareille situation à une époque où les soins palliatifs
n'étaient pas ceux d'aujourd'hui...).
*Ce commerce d’épicerie se situait à Viverols (Puy-de Dôme) et après sa débâcle, mon père
n’eut pas d’autre choix que d’accepter la “main tendue” d’un ancien ami de Saint-Chamond
qui l’embaucha dans sa fabrique de moellons…
J'ai trouvé quelques divergences dans la chronologie des différentes étapes ayant conduit
Gaston de la dernière maison d'arrêt (Riom) jusqu'en Guyane, entre le dossier officiel
(Archives départementales du Puy-de-Dôme) et les écrits de Jean – Lucien Sanchez (pages
71 et suivantes). Ces discordances portent par exemple sur la durée du séjour à la citadelle de
St-Martin - de - Ré* et sur les formalités qui devaient y être accomplies. Il est possible que
Jean-Lucien ait fait quelques "impasses"(involontaires), compte tenu de la quantité de
documents qu'il a eu à dépouiller...Je dis dans ma biographie (dates officielles à l'appui) que
"Gaston passa à peine plus d’une semaine à Saint-Martin-de-Ré, comme si sa sortie de la
Maison d’arrêt de Riom avait été programmée en vue du prochain convoi en partance pour la
Guyane". Il est possible que cette "précipitation "ait un lien avec la remarque de F.Sénateur
(voir en fin de document): accroissement du "flux" des forçats à l'époque où Gaston fit "le
grand voyage"...
* C'est à Saint-Martin de Ré que les condamnés embarquaient sur le bateau "La Martinière",
appelé aussi "bateau cage" ou "bagne flottant". Pour information : des vidéos films de “La
Marinière” tournées quelques années avant le départ de Gaston (1)(2). Ces deux documents
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sont assez voisins mais le second montre l’attroupement des curieux assistant à
l’embarquement ; il en sera de même lors de l’arrivée en Guyane. On pourra noter que les
"voyageurs" ne semblent pas particulièrement abattus. Ignorant tout du sort qui leur était
réservé, ils étaient nombreux à manifester un certain optimisme ; sortant de prison, ils étaient
persuadés que leur nouvelle condition s’apparenterait à une liberté sous condition de
résidence obligatoire. Pour beaucoup, cette destination représentait aussi l’espoir d’une
évasion imminente…
Au passage, j'adresse encore un grand merci à Jean-Lucien qui m'a aidé, sur la base de sa
thèse, à rédiger un premier chapitre sur l'histoire de Gaston...
Quelques généralités.
Aujourd’hui, j'ai vraiment le sentiment de n’avoir pas perdu mon temps mais resterai
toujours frustré de ne disposer d’aucun élément sur la personnalité de mon grand-père
paternel… (Je n'ai jamais eu le plaisir de le connaître et tout ce que je sais repose sur des on-
dit entretenus par son ex-épouse, la famille de celle-ci ayant pris le relais sans retenue). Je
suis un homme d'honneur (hérédité peut-être, formation AET sûrement) et je n'ai jamais pu
me contenter des stéréotypes du genre "on n'est pas responsable du passé de ses ancêtres", et
j'en passe et des meilleures...Jamais je ne me ferai à de telles banalités, préjugés qui
m'horripilent: ne pas endosser la responsabilité des erreurs de parcours d'un aïeul, à la limite
je veux bien, mais ne pas s'y intéresser, voire s'y attacher, constitue pour moi un grave
manquement à ses devoirs. (D'ailleurs, même si son intérêt est controversé aujourd'hui, la
psycho généalogie est devenue paradoxalement très en vogue...). Je n'en veux pas aux
personnes concernées qui ne peuvent pas savoir, pas comprendre...Je profite de l'occasion
pour adresser un conseil à celles et ceux qui souhaitent "se lancer" dans la reconstitution du
parcours de leurs ancêtres: commencez donc d'abord à vous intéresser à vos proches, tant
qu'ils sont en vie, par le "jeu des questions-réponses". Pour ma part, et alors que nous avions
une oreille attentive à tout ce que nous rapportait mon père – et Dieu sait qu'il n'était pas
avare de confidences –, j'ai eu beaucoup de regrets, après qu'il nous ait quittés (39 ans pour
rappel), de n'avoir retenu que quelques fragments de certaines parties son parcours; le
perfectionniste que je suis en est vraiment frustré...À titre d'exemples non limitatifs: je sais
qu'il a fait successivement un parcours chez les "Compagnons de France" puis les "Chantiers
de Jeunesse" mais une question demeure dans les deux cas : dans quelle région ???. Comme
il a pas mal “bourlingué” dans sa (courte) vie, je n’ai pas réussi à trouver de témoignages
fiables...
En homme intègre, j'ai pris tout naturellement le parti de construire l’intégralité de mon récit
biographique "sans tabou ni langue de bois" ce qui fut traduit dans la presse par "une
biographie sans concession" ou "il fallait se résoudre à..."et encore, (bien que celle-ci me
mit plutôt mal à l’aise) : “Michel Cartier se met à poil” , tandis que certaines personnes de
mon entourage ont utilisé le terme de "courage", d'autres de "masochisme"…Même mon
regretté frère J.Paul, qui fut le seul à suivre de près mes investigations essaya de me
dissuader de parler de notre ancêtre, avec toutes les "vieilles casseroles" que nous avions
déjà eu à traîner dans notre enfance ... Le bilan final ne fut pas franchement en ma faveur car
l'histoire de Gaston a interpellé des individus ayant peu d’ouverture d’esprit, dont encore
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certains membres de ma famille (ancêtres) à l'orgueil démesuré...Finalement et en bref: "je
ne recueille que ce j'ai semé" ...Je précise que ce document a été rédigé en m’appuyant sur
des documents officiels ; autrement dit, rien n’a été inventé ou romancé. Chaque fois que
j’avais des doutes ou incertitudes, je n’ai pas manqué de le signaler…
Chemin faisant, j'ai participé à des discussions sur un blog pour entrer en contact avec des
personnes (ou familles) qui étaient dans la même problématique que la mienne; j'ai répondu
à pas mal de questions, notamment sur la "stratégie" à suivre pour remonter dans le temps et
connaître le "sort" de ses ancêtres. Je n'ai eu aucun retour mais cela m'a laissé complètement
indifférent, n'estimant n'avoir fait que mon devoir, mais…J’ai eu confirmation d’une réalité
que je n’ignorais pas : le sujet est " on ne peut plus tabou"...J’en serai d'autant plus
convaincu à la suite de nombreux appels téléphoniques au cours desquels je tentai d’obtenir
ou échanger des infos auprès de familles intelligemment sélectionnées, quelques indices me
laissant penser qu’elles étaient concernées ; bien que toujours très bien accueilli, je dois
l’avouer, ma "stratégie" se concrétisa par un échec total. Néanmoins, quelques personnes
n’ont pas hésité à me faire part de leurs propres soucis familiaux (alors qu’elles ne me
connaissaient pas). Au final, je compris que nombre d’ascendants ont tout fait pour
"enterrer" l’histoire de leur(s) proches(s). Pour faire un peu d’humour, je dois signaler qu’un
homme me dit "ah non, pas au courant, mais si vous savez quelque chose, vous pouvez
toujours reprendre contact avec moi !!!" .À ces mots, je lui ai indiqué tout naturellement la
"stratégie" à suivre pour répondre aux questions qu’il devait se poser, sans m’immiscer dans
sa vie familiale...
Je me dois aussi de rapporter un souvenir qui me marquera au fer rouge pour le reste de mon
existence: à l'occasion d'une séance de dédicaces de ma biographie, une enseignante,
accompagnée de deux de ses élèves, fit le tour des différents auteurs pour les interroger sur
leur travail. Lorsque le groupe arriva près de moi pour m'interviewer, bien sûr évoquai-je les
différents points abordés dans mes écrits: 1ère et 2ème guerre mondiale, enfant de troupe, et
j'en passe...Lorsque, à la fin de mon "discours", je prononçai le mot "bagne", la pédago,
quasiment offusquée, dit à ses accompagnants en les empoignant d'un geste brusque: "allez,
on continue les enfants"... (Et moi qui rêvais, fut un temps, non pas de me substituer aux
profs d'histoire, mais, pourquoi pas, apporter mon "modeste" témoignage dans certains
établissements scolaires...)
Via les réseaux sociaux, j'ai pu entrer en contact, incidemment, avec deux personnes:
- L'une se posait les mêmes questions que celles évoquées précédemment et avec les
indications que je lui ai fournies, il daigna m'adresser un grand merci, avec ces mots qui
évidemment m'ont touché: "Ah que ma mère va être contente..."(???) Je n’ai pas souhaité
entrer dans son "intimité familiale"…
- Il y a quelques années, un journaliste parisien prit contact avec moi parce que nous avions
une connaissance commune, en la personne d'un officier travaillant au SHD (Service
Historique de la Défense); j'avais pu discuter longuement avec ce dernier, homme sympa à
qui j’exposai pratiquement toutes mes préoccupations. Lui laissant un document que j’avais
rédigé à l’époque sur Gaston, je lui précisai à l’issue de notre entretien qu’il était autorisé à
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divulguer mes infos à qui bon lui semblait. Et le journaliste en question ne tarda pas à
prendre contact avec moi. Après avoir discuté avec lui au téléphone, j’ai très vite compris
qu’il se posait les mêmes questions sur son propre grand-père et qui plus est ne retrouvait
aucune trace de lui. Quand il me précisa que son aïeul était divorcé et qu’il s’était sûrement
évadé, alors je lui répondis : "ne cherche pas, il a sûrement refait sa vie ailleurs"…Et il
ajouta : "n’en parle surtout à personne, tout le monde ignore dans mon village ce qu'il est
devenu, et je ne veux pas que ça se sache…" (Beaucoup d’épouses divorçaient car elles
savaient qu’elles ne reverraient jamais leur mari, la Relégation, je le rappelle étant une
condamnation à perpétuité...) Je me permets de vous accueillir avec cette photo que je dois à
mon ami de longue date, Daniel Gimenez qui, au sein se l'association Meki Wi Libi Na
Wan s'investit pour mettre au jour, restaurer...des vestiges du camp de le Relégation...Ici, le
"cimetière des Relégués". Bien que cette image inspire la quiétude, que cette clairière
ombragée semble idéalement adaptée au repos, au "sommeil éternel", j’aurais préféré
afficher des documents représentatifs de cette terre paradisiaque qu’est la Guyane
(notamment du point de vue de la faune et de la flore) mais le territoire fut un temps celui du
(ou des) bagne (s) que l'on ne peut pas, que l'on ne doit pas oublier...Libre à chacun(e) d'être
en phase avec mes propos mais je souligne quand même qu’un journaliste américain(§12)
du Miami Herald n'a pas hésité à comparer les pénitenciers guyanais aux camps de
concentration nazis de Buchenwald et de Dachau !!!.
Les commentaires de Daniel: j'ai dénombré environ 1200 tombes. C'est un comptage que
j'estime assez fiable pour donner un nombre représentatif. Bien sûr, il faudrait procéder plus
méticuleusement pour approcher de plus près le nombre réel de tombes. Il faudrait aussi
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sûrement faire des recherches et dépouiller l'ensemble des fiches de situation quotidiennes de
la relégation pour infirmer ou non cette approximation.
À ma question:"Le nombre d'individus au cimetière représentait quel pourcentage de la
population à cette époque?", Daniel me répond "Très difficile à estimer. Il faudrait connaitre
le nombre de relégués décédés hors Saint - Jean (camps annexes, relégués individuels,
évasions et supposer que seuls ceux décédés à Saint - Jean sont au cimetière. Je ne connais
aucune étude qui se soit penchée sur cette question"). À partir de ces éléments, que je reçus
en deux étapes: la photo d'abord, puis les commentaires, j'ai vécu une émotion considérable
en visualisant le cliché, me disant: "tiens, c'est la première fois que tu vois ton grand-père de
si près" ! Farfelu penserez-vous peut-être (?) mais il faut savoir que ma grand-mère déchira
tous les documents pouvant avoir un rapport avec son (premier) mari...Par ailleurs, à travers
nombre de contacts que j'ai eus avec les services des Archives, beaucoup ont été étonnés que
je n'aie pas de photo de Gaston, compte tenu de son parcours...
(Au-delà de cette passion, il faut savoir que Daniel, septuagénaire, mobilise toute son énergie
pour poursuivre des études supérieures ; après les "Masters" - Masters Histoire - Université
Paris-Nanterre -, il m’indique que «depuis cette année universitaire (2020-2021), je suis
doctorant, et commence donc le cycle qui doit aboutir à la soutenance d'une thèse dans trois
ans, certainement plutôt dans quatre. Ma recherche porte sur la période qui suit celle du
bagne (1949-1960), période au cours de laquelle des immigrés d'Europe centrale (Personnes
Déplacées en attente dans les camps de réfugiés de la zone française d'occupation en
Allemagne) ont été accueillies en Guyane afin de favoriser la relance du développement
économique local". Cet homme mérite pour moi respect et admiration...
Et puis, après avoir retrouvé mes esprits je suis revenu sur les commentaires de Daniel :
"supposer que seuls ceux décédés à St-Jean sont au cimetière" .Or, Gaston est décédé à St-
Laurent - du - Maroni !!! J'avoue que cette précision, si elle n'a pas manqué de m’interpeller,
n'a rien enlevé de mes premières émotions... (Les cimetières de forçats en Guyane se
dénommaient généralement “bambous”, en référence aux bambous qui poussaient en grand
nombre autour des emplacements destinés à recevoir leurs sépultures. Parmi les plus célèbres
figure celui de Saint - Laurent - du - Maroni qui conserve une simple stèle rappelant aux
visiteurs la présence des dépouilles de bagnards.)
Premières remarques et réflexions:
En m'appuyant sur des documents ou témoignages déjà en ma possession et en laissant
quelque peu libre cours à mon imagination, plusieurs points m'ont interpellé: (pourquoi cette
imagination me direz-vous? tout simplement parce qu'au vu des aberrations dans la
condamnation fatale de Gaston, je ne peux qu'avoir des suspicions sur l'ensemble des
éléments dont je dispose, ce qui me paraît légitime...)
À propos du décès de Gaston:
Je suis tombé incidemment sur une page web qui m'a rempli de doutes: voir le site concerné
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François Adiven
Son sort reste mystérieux: à une lettre de son frère datée du 21 janvier 1907 et demandant de
ses nouvelles, l'AP* répondit qu'il était décédé depuis deux ans; un autre document (levée
d'écrou) précise en revanche qu'il s'est retiré à Cayenne à l'expiration de sa peine.
*Administration Pénitentiaire
Gérard Pinel
Son destin demeure lui aussi mystérieux. Un acte de décès (février 1908) mentionne sa mort
de maladie à Saint - Laurent du - Maroni deux ans après son arrivée au bagne, mais un
procès - verbal fait état de son évasion le 21 mars 1908. Comme le signale Michel
Pierre, "on ne peut que souhaiter que ce grand révolté a pu reconstruire une vie d'homme
libre."
Le lecteur intéressé pourra au passage consulter quelques profils de relégués qui font
indéniablement penser à celui de mon grand-père : François Adiven (déjà cité), Darchain,
Joseph Alabias, Achille Gabriel Albert, Laurent Kerdual…Le paragraphe "quelques cas
significatifs" donne quelques exemples de femmes soumises au même "régime". Celles et
ceux qui ne seraient pas convaincu(e)s pourront constater qu'il s'agit bien d'ignobles et
cruel(les)s bandits, n’est-ce pas ???
- Je ne pouvais rester insensible aux résultats d'une recherche de ma fille Claudine m'ayant
accompagné dans certaines de mes démarches, ses recherches l’ayant conduite à trouver un
parfait homonyme en la personne de Gaston Cartier, vivant en Argentine. Or, on sait que
beaucoup de condamnés, à la suite de leur évasion, ont refait leur vie en Amérique du sud !!!
Nous n'avons pas soumis ce brave garçon, de bonne volonté, au questionnement sur ses
origines, voire à des tests ADN… au risque de le mettre mal à l'aise et d'"encaisser" une
nouvelle désillusion eu égard aux expériences que j’ai déjà vécues.
Pour être clair et mettre fin à quelques unes de mes supputations, je préfère que Gaston soit
décédé* à l'hôpital de St-Laurent, malgré les souffrances qu'il dut endurer, plutôt que de
l'imaginer à l'état d'épave traînant dans les rues de St - Laurent, ce qui sera le sort de nombre
de relégués quelques dizaines d'années après leur libération...Voilà encore un gros paradoxe
qui m’écœure: alors que l'on balayait les rues de la métropole pour se débarrasser, entre
autres, des "cas sociaux" tels que les vagabonds, les mendiants...,on retrouvera ces mêmes
individus dans un état de déchéance inimaginable sur le sol de la Guyane !!! Pour étayer mes
propos, j'ai fait appel au témoignage de Michèle, (épouse de mon ami J.C.Diaz. qui
commanda le GSMA de St-Jean-du-Maroni de 91 à 93)** et qui confirme bien ce constat. La
question que l'on peut se poser est : pourquoi ? Pour ma part, j'imagine que ces individus
avaient perdu toute forme de motivation pour retourner en Métropole: famille inexistante ou
"décomposée", crainte d'être montré du doigt (???) ...
* décès suite à une “infiltration d’urine” (???). Faute de trouver des renseignements précis
dans la littérature, j'ose à peine vous rapporter les commentaires, pour le moins divers et
variés, qui m’ont été rapportés par certains membres de mon entourage sur cette “maladie”:
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- injection d'urine dans le sang pour mettre fin à ses jours (autrement dit suicide);
- sorte de péritonite;
- cancer de la vessie, fréquent à cette époque, dû à l'excès de tafia
**on pourra trouver plus d'infos sur un reportage que j'ai réalisé il y a déjà une dizaine
d'années sur: https://saint-laurent.monsite-orange.fr/ et où je déclare: "Michel Cartier, plus
que jamais attaché à Saint-Laurent"...
Gaston fut "admis" à la relégation individuelle à peu près un an avant son décès. Lorsqu’un
relégué demandait à passer à ce "statut", privilège accordé en fonction de son comportement
au travail et disciplinaire, il devait aussi disposer d’un pécule de réserve suffisant, déterminé
par l’Administration, pour pourvoir à sa réinsertion. Ce pécule était amputé de différents
prélèvements : valeur des effets d’habillement, dépôt de garantie pour frais d’hospitalisation,
attribution éventuelle d’une concession agricole … (J’avoue honnêtement ne pas avoir
trouvé plus d’information sur ce dernier point). J’ai seulement retenu qu’en quelque sorte,
l’obtention de ce statut “se monnayait”.
J'ai entrepris une démarche auprès du CIAP (Service du Patrimoine), moyennant la caution
de Léon Bertrand, maire de St-Laurent – du - Maroni, et le seul élément obtenu après
quelques mois d'attente, est l’acte de décès de Gaston, que j'avais déjà obtenu aux ANOM.
En dépit de quelques séances de "fayotage", la réponse fut claire et nette et je la résume en
quelques mots: "si vous souhaitez en savoir plus, il faut que vous veniez sur place pour faire
les recherches ou faire appel à un généalogiste!!!" Ce dernier et moi-même avons échangé
plusieurs fois des cartes de vœux, ce qui fut pour moi une preuve de bonne entente et
compréhension, mais le résultat final fut d'autant plus déconcertant…
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Mon ami Daniel étant souvent sur place me dit un jour: "Ils ne cherchent pas, ils classent".
Pour revenir au "fayotage", une personne malheureusement disparue m’a donné le nom d’un
AET (architecte ?) impliqué dans la construction du nouvel hôpital de Saint – Laurent – du -
Maroni. Pour l’avoir eu au téléphone, j’ai bien compris qu’il était impuissant, malgré sa
bonne volonté, pour "booster" Léon Bertrand…
Je n'ai aucune rancœur envers Léon Bertrand, bien au contraire. Bien que "n'étant du même
monde”, j’ai été quelque peu décontenancé lorsque la presse fit état de sa condamnation,
n'oubliant pas de mentionner qu'il est petit-fils de bagnard !!! (sans préciser bien sûr de
quelle catégorie). En laissant planer le doute, rien de tel, encore une fois, pour entretenir les
ragots et commérages... Un journaliste avec qui je me suis entretenu à l’époque m'a dit: mais
bien sûr Michel, les lecteurs de journaux s'empressent de lire en priorité les "histoires de
chiens écrasés"...
Et puis, combien de personnages politiques sont tombés dans le même "traquenard" ?
Mais je crois savoir que beaucoup de Saint-Laurentins sont respectueux du travail accompli
par cet élu. N'étant pas sur place, il est possible que je fasse preuve de subjectivité, auquel
cas je demande que l'on m'en excuse...
J'ai personnellement vécu une situation comparable, à savoir l'emprisonnement du
maire (AET pour info) d'un pays d'outremer qui, une fois débarrassé de ses problèmes
juridiques, fut réélu sans difficultés...
Bien sûr, j'ai contacté l'hôpital de St-Laurent pour tenter d'obtenir le certificat
d'hospitalisation de Gaston, qui aurait pu m'apporter des éléments sur son lieu de résidence,
son emploi éventuel. Je fus invité alors à contacter les Archives de Cayenne et la seule
réponse obtenue fut brève et précise: "nous n'avons rien retrouvé concernant Gaston
Cartier...". Je pense avec le recul que ma démarche m’aurait conduit à une impasse car la
plupart des relégués individuels avaient un mal fou à trouver du travail, que ce soit chez les
particuliers, au sein d'une entreprise... En effet, ces individus avaient l'image de "délinquants
incorrigibles" qui leur collait à la peau et les employeurs préféraient faire appel à la main
d’œuvre de transportés, qui "s'acquittaient d'une erreur de parcours"...Aussi, bon nombre de
relégués individuels, complètement désabusés, retournèrent...au camp de la relégation...
J’appris, chemin faisant, qu’il y eut des changements de Directeur(ou direction) aux
Archives de Cayenne. Sans prétendre avoir une vision globale et impartiale de la question,
certaines Archives auraient disparu, parfois momentanément, pour des raisons surprenantes :
exemple1 ; exemple2
Daniel Gimenez fit son possible pour rechercher quelque élément, et à ce titre se rendit au
commissariat de police de St-Laurent pour savoir si Gaston n'avait pas été impliqué dans
quelque délit; réponse: "RAS"; je fis toutefois remarquer à Daniel que Gaston n'était pas
forcément resté dans le commune après sa "libération" (passage au statut de relégué
individuel)...
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Une ancienne amie de Viverols*, Marie-Hélène, qui peut-être comprit tout de suite mon mal-
être (?) me dit un jour: "Michel, je dois me rendre en Guyane; puis-je faire quelque chose
pour toi?", ce à quoi je répondis: "c'est sympa, mais tu vas perdre ton temps, il n'y a rien
d'intéressant à récolter en Guyane". Cette même personne m'invita, il y a déjà bien
longtemps, à une conférence donnée dans la région, par Philippe Colin, (petit-fils de Léon),
devenu historien «par héritage»: "Lorsque Léon Collin, médecin affecté aux bagnes,
débarque en Guyane en 1907, il découvre les réalités de l'enfer vert. Choqué par les
incohérences et les dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire, il fut l’un des
premiers à décrire l’horreur carcérale et à photographier les forçats.... [...]"
*Viverols (Puy de Dôme) est le village d’où sont originaires mes ancêtres et où je passerai
toute mon enfance…
J’avoue honnêtement que si Gaston avait été disculpé dans cette affaire, je ne suis pas certain
qu’il fût définitivement libéré du joug qui pesait sur ses épaules, sauf événement inattendu
dans ses conditions de vie. Nul doute qu’il était affranchi de ce qui l'attendait au prochain
"faux-pas"...D’ailleurs, à l'occasion d'un interrogatoire en maison d'arrêt, il déclara "avoir
peur de la Relégation"...
Alors que j'en étais au stade du projet (ou "prototype") pour la diffusion de ce document sous
forme d’un site Web, j'ai eu la surprise de le voir attaché en référence à la Relégation des
Récidivistes (Wikipédia). Je me suis bien sûr posé la question de savoir qui pouvait être à
l'origine de cette action (sans doute un historien?); si mon hypothèse est bonne, alors je suis
rassuré à l'idée que je n'ai (ou plutôt que nous n'avons) pas trop raconté trop de bêtises, ce
que confirme implicitement F.Sénateur…
L’analyse de cette dernière condamnation donne néanmoins matière à s’interroger sur la
rigueur des procédures, des magistrats, de l’Administration Pénitentiaire en général…
D’après la chronologie des événements, il semble qu’il se soit engagé dans cette voie après le
décès prématuré de ses parents (Gaston avait alors à peine plus de vingt ans) et sa séparation
conjugale. Ces événements furent peut-être de nature à le déstabiliser au point qu'il vivra à la
façon d'un "marginal", passant la plus grande partie de son temps dans les rues malfamées
(Lyon, Paris…) qui vivaient la nuit, avec présence d’un cabaret bien sûr où il exerçait son
"art" mais aussi de maisons de jeu et de passe…(Voir photo ci-après de son dernier domicile
- rue Quincampoix à Paris) .
Les personnes vivant ou ayant vécu en région Rhône-Alpes (dont je fais partie), se
souviennent certainement avoir entendu parler de la "rue Mercière" à Lyon, connue pour être
un lieu de "distraction" et de débauche au sens large …Sur la page de Brassai où l'on peut
noter la présence de la rue Quincampoix, je vois une certaine ressemblance, même si elle
n’est qu’imaginaire, avec la rue Mercière… (D’autres clichés sur le site de ce photographe
sont intéressants pour les "amateurs de voyeurisme")...Par chance - si j'ose dire - cette photo
date de l'époque où Gaston fréquenta ces lieux...
Mon insatiable curiosité m’a permis de confirmer la présence (et plus encore l’historique)
d’un cabaret dit “de l’épée de bois” établi au numéro 54 en 1658. Il a laissé place à
11
l’Académie Royale de Musique qui est ensuite devenue l’opéra de la rue Mazarine.
Toutefois, un cabaret a continué son activité dans la rue jusqu’en 1958. En 1719, il devint un
lieu de débauche et d’orgie, ce qui attira énormément de monde y compris des gens célèbres
comme Racine, Marivaux ou Madame de Tencin...
12
Quelques brèves remarques sur le bagne :
- La littérature sur le bagne en général ne manque pas mais encore faut-il faire preuve de
circonspection…Les éléments que je rapporte sont issus de sources fiables et je me suis bien
gardé de m'inspirer d'éléments douteux, quelquefois farfelus, dont je ne citerai que deux
exemples:
- le premier, directement en rapport avec Gaston est issu d'une discussion sur un blog et dans
lequel l'auteur me dit:" votre grand-père, mort à l’hôpital, a peut être été autopsié" (il y avait
beaucoup de jeunes médecins qui se "faisaient encore la main sur les cadavres" ) .Or, sans
toutefois avoir fait le tour de la question, je crois savoir que cette pratique, qui a peut être
existé dans un passé très lointain, avait disparu à l'époque où Gaston purgeait sa peine...
- le deuxième est relatif aux conditions dans lesquelles on se "débarrassait" des forçats
décédant sur les îles: "jetés en pâture aux requins qui rappliquaient au son de la cloche
annonçant le festin"... Cette information est confirmée par plusieurs témoignages mais le
prolongement dans la durée de ce rituel tient plutôt de la légende...Je ferais davantage
confiance aux propos suivants, validés par l'historien J.Lucien Sanchez :"Aux îles du Salut,
leurs cadavres étaient installés au sein d'un cercueil dont le fond coulissait et étaient
simplement immergés en pleine mer". Je n’ose pas vous parler des conditions d’
"inhumation" des relégués, ce terme méritant sûrement d’être précisé… La littérature fait état
d’éléments souvent contradictoires, peu fiables mais qui dans tous les cas sont de nature à
vous "mettre la chair de poule"…Aussi, dans ses propos relatifs au cimetière des relégués
Daniel précise : "Par contre, nous ne savons pas exactement comment étaient inhumés les
relégués. Il avait été question un temps, en discussion avec un responsable du service
départemental des Affaires Culturelles, de fouiller une tombe pour déterminer le mode
d'inhumation. Mais, dernièrement, lorsque j'ai relancé le nouveau responsable, la réponse fut
que les morts aussi ont droit au respect ... De ce fait nous ne connaissons pas l'état de
conservation. Je peux toutefois préciser qu'au cimetière des bagnards de Saint-Louis, qui se
situe à l'entrée du territoire de la relégation, et qui a été mis au jour il y a quelques années à
l'occasion de fouilles préventives, un squelette en très bon état de conservation a pu être
observé. Tout dépend de l'acidité de la terre localement ...". Et il ajoute ensuite: sur un autre
document: "chaque tombe est uniquement identifiable par le trou qu’elle forme, le cercueil
de bois ayant disparu avec le temps... L’association Meki Wi Libi Na Wan qui s’occupe du
site a choisi de laisser pousser des fougères dans ces trous et d’entretenir les passages entre
les tombes pour les visiteurs..."(cf. la 1ère photo).
Je me permets de refaire une petite mise au point (très résumée): les bagnards étaient répartis
en 3 catégories: déportés (p.ex. Dreyfus), transportés (p.ex."Papillon"*, Seznec), relégués
(p.ex. mon grand-père paternel et, environ un siècle plus tôt, le célèbre Vidocq, personnage
singulier qui ne fréquenta que les bagnes portuaires et fit beaucoup parler de lui...). Les
relégués dont on parle aujourd'hui étaient auteurs de petits délits commençant par la
mendicité, le vagabondage,...et étaient condamnés à rester à vie en Guyane, contrairement
aux précédentes catégories... C’est sous la pression des Bourgeois, que le gouvernement
Waldeck-Rousseau (alors ministre de l’intérieur) adopta la loi sur la Relégation pour
débarrasser les rues des indésirables (les prisons étaient déjà pleines!). 17 000 hommes et
13
femmes, jusqu'en 1953, en seront les victimes… Pour se donner bonne conscience, le
Gouvernement revendiqua un projet "humanitaire" à savoir le repeuplement de la colonie
mais ce fut, comme d’ailleurs le bagne dans sa globalité, un échec…Le bagne dut sa
fermeture à plusieurs acteurs : Albert Londres, qui diffusa un reportage particulièrement
douloureux et bien argumenté sur les conditions de vie dans les camps, Gaston Monnerville
député guyanais, le Front Populaire… (Un journaliste américain du Miami Herald n'a pas
hésité à comparer les pénitenciers guyanais aux camps de concentration nazis de
Buchenwald et de Dachau !!!...)
*Remarque à propos de "Papillon" (Henri Charrière): lorsque l'on évoque le bagne, beaucoup
de personnes pensent instantanément à lui mais peu d'entre elles savent que ses écrits sont la
compilation d'aventures vécues par ses compagnons (ce qui n'enlève rien à son mérite...). Je
me permets de rêver encore: je préférerais que l'aventure de Gaston rappelle celle de Jean
Valjean, que tout le monde doit connaître ("les Misérables" de Victor Hugo).
J'ai pu faire le constat qu'une grande majorité de la population , par manque d'information,
faisait un amalgame entre ces différentes catégories de condamnés et pourtant, tout le monde
pourra comprendre qu'il n'y a aucun point commun entre un "déporté", pour des raisons
politiques, et un "transporté", souvent auteur de crime (s) de sang...Quant aux Relégués, leur
statut se distingua se façon presque naturelle, car ils étaient considérés comme des "minus"
et méprisés par les "caïds", à savoir les "Transportés"(de même que par les gardiens...), les
délits commis par ces deux catégories étant sans commune mesure...
La condamnation fatale
En 2019, et l’effet du hasard m’ayant beaucoup aidé, j'ai fini par lever un gros "bug" en
analysant la condamnation fatale ayant envoyé Gaston en Guyane. On pourra trouver cette
analyse dans les documents qui suivent. Avec mon esprit cartésien, je n'ai pas douté un
instant de la pertinence de mes commentaires, mais, comme nul n'est infaillible, j'ai quand
même fait le choix de les faire valider par des amis, dont un AET, un historien dont les
commentaires seront rapportés dans leur intégralité.
Concrètement, le dossier de "relégué" de Gaston est constitué de pas moins d’une vingtaine
de pages format A3 et à peu près l’équivalent au format A4. Parmi les points significatifs,
j’ai pu relever:
Que Gaston, comptable de métier, est un “dangereux(?) malfaiteur et en bonne santé” ;
évidemment, c’est ce qui lui valut d’être condamné aux travaux les plus pénibles (au moins
pour un temps):travaux d'aménagements routiers, forestiers. Or, je rappelle que ses délits,
ayant toujours fait l’objet de circonstances atténuantes*, relèvent de quelques “ filouteries”
que l’on considérerait comme banales aujourd’hui : "vol au rendez-moi " ou
encore escroquerie. Quoique ce terme soit accessible à tout un chacun (j’avais dans un
premier temps fait une relation étroite avec les "bonimenteurs" que l’on pouvait rencontrer
dans le passé…), sa définition est plus difficile à comprendre au plan juridique. Il est
vraisemblable que l’éducation de Gaston dans ce domaine se fit “sur le tas”, c'est-à-dire
14
d’une part lors de ses séjours en prison, d’autre part dans les lieux malfamés qu’il sera amené
à fréquenter pour exercer son "art".
*Voir un exemple ci-après, choisi parmi les textes de condamnations les plus lisibles. En
l’occurrence, il s'agit ici d'"escroquerie" et plus précisément "emploi de
manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou
d'un crédit imaginaire", relevé plusieurs fois dans les condamnations de Gaston... Ce type
d'"arnaque" fait bien partie des différents cas recensés par les instances judiciaires...
Les seuls jugements positifs concernent d’une part la moralité (“rien à signaler”), d’autre part
son travail en détention avec le commentaire “bonnes dispositions”.
Dans la suite de son parcours, et alors que les premières appréciations sur Gaston le
déclarèrent "sans aptitude aux travaux de type administratif" (rédaction, comptabilité…) , il
fut classé, à l'occasion d'une visite médicale, "travaux légers permanents" pour faiblesse,
(avec comme commentaire " tout accompli aux travaux pénibles") et employé comme
comptable au service des "écritures", un des postes les plus prisés, comme la plupart des
activités assurées à l’intérieur du camp.
15
Ayant exercé pour un temps le métier de comptable aux usines Berliet, ses compétences
dans ce domaine sont incontestables, si l’on se réfère aux tests de dictée et de calcul auxquels
il a été soumis en Maison d’Arrêt (voir ci-dessus). Sans remonter très loin dans le passé, je
reconnais bien là la “calligraphie” de nos ancêtres, en particulier celle de nos enseignants…
“Exposé des faits” selon un document transmis par le Parquet Général à la Maison d’Arrêt
de Riom (Département du Puy de Dôme) pour élaboration du dossier final de la
condamnation à la Relégation (voir ci-après). Il s'agit du premier document que j'ai eu en
mains, en fouillant de façon quelque peu anarchique dans le dossier de Gaston, ce qui
explique ma démarche quasi instantanée auprès des Archives Départementales que j'évoque
plus loin. Avec ces premiers éléments, et sans être expert judiciaire, quiconque comprendrait
que le scénario décrit est complètement rocambolesque :
- Qu’est-ce qui prouve que le 3è individu était un complice ou "compère" (terme employé
dans les jugements) ? Pour savoir que le tenancier accumulait sa recette derrière le comptoir,
peut-être était un habitué du bistrot, sans pour autant connaître les deux premiers?
- Pour que l'un au moins des "comparses" ait imaginé un tel scénario, il fallait être un fin
stratège ; or, la fuite, si elle avait fait partie du plan d'action, est en totale contradiction avec
l'hypothèse d'une stratégie bien calculée, car les individus auraient dû se douter que pour être
tous deux détenteurs d’un casier judiciaire, ils allaient être immédiatement confondus...
- Laissant encore libre cours à mon imagination, je me pose aussi cette question : conscient
du sort qui l’attendait, n’ayant plus rien à perdre, pourquoi Gaston n’a pas "balancé" le
coupable du vol, si c’était vraiment un complice ? Certes il courait des risques mais cette
issue n’aurait pas été pire que le sort qui l’attendait : décès 4 ans après au bagne…
Les commentaires additionnels de l’ami Daniel Deliancourt, particulièrement sympa et
coopératif (AET – ancien du Lycée Militaire d'Autun):
- Pourquoi monter ce coup à 3, alors que les 2 amis auraient très bien pu se débrouiller
seuls ?
- Qu’est ce qui les empêchait de "faire simple", c'est-à-dire, commander le Graves, faisant
ainsi descendre le bougnat* dans la cave et partir aussitôt avec la recette ?
- Étant sur place, pourquoi n’auraient-ils pas tranquillement refermé la trappe de la cave et
gagné un temps précieux dans leur fuite ?
*J’avoue humblement que je pensais que mon camarade faisait de l’humour jusqu’à ce qu’il me
rappelle, à juste titre, que "le bougnat" est le nom donné aux Auvergnats de Paris. Historiquement,
les bougnats vendaient des matières premières (charbon, bois…) et il n’était pas rare qu’ils
tiennent un café dans la capitale.
En résumé, j’ai pu donc constater que nombre de pages sont incomplètement remplies, par pure
négligence, ce qui est grave ; d’autres, n’ayant aucun rapport avec le "cas Gaston" n’étaient
16
d’aucune utilité. À croire que l’Administration Pénitentiaire employait des stagiaires pour faire ce
travail et/ou que le nombre de condamnés dépassait le nombre habituel de cas à traiter.
Nota1 :c’est pour ne pas être suspecté d’avoir falsifié le document dont il est question ici que
j’ai demandé aux AD du Puy-de-Dôme d’apposer un tampon “copie certifiée conforme”.
17
Nota 2 : On ne trouvera le nom de Meunier - Blanchon que dans les jugements qui suivirent
l’arrestation, cet homme s’étant présenté aux forces de l’ordre avec une fausse identité car il
était interdit de séjour. Ce profil, sur lequel je reviendrai par la suite, tend bien à illustrer le
piège dans lequel Gaston s’était "empêtré" à partir de relations plus que douteuses…
Un autre document est aussi à classer dans les “annales”: alors que des ordres stricts sont
donnés pour remplir le questionnaire, la plupart des réponses sont “on l’ignore” !!! Idem
pour la question : exerçait-il bien sa profession ?...Je pense qu’il n’était nul besoin de faire
appel à un bataillon pour vérifier, valider tous ces éléments….Mais le plus étonnant est que
ces renseignements seront précisés dans le dossier final et définitif ; alors, ce travail
18
d’enquête aurait-il été réalisé deux fois ??? Probablement…
Et encore…
Après 3 condamnations successives à au moins 3 mois de prison, Gaston avait réuni les
conditions nécessaires (cf. la loi) pour être envoyé en Guyane au prochain "dérapage”. À
noter que les juges faisaient preuve d’excès de zèle, le dernier jugement faisant état d’une
peine de 3 mois et un jour (!) d’emprisonnement… Je précise (ou rappelle) que selon la loi,
il fallait cumuler des peines de prison d’au moins 3 mois …)
L'essentiel de son parcours fut celui d’un s.d.f. (il se présenta d’ailleurs comme tel au moins
dans un jugement) puisque j’ai retrouvé des condamnations dans plusieurs villes : de Metz à
Périgueux en passant par Grenoble…
19
L’analyse de sa condamnation donne matière à s’interroger sur la rigueur des procédures, des
magistrats, de l’Administration Pénitentiaire De toute évidence, Gaston devint peut-être un
filou, mais pas un bandit…
Parmi les contradictions, j’ai pu noter, entre autres, les lieux et dates d’emprisonnement qui
furent pris en compte pour la condamnation fatale, mais j’y accorde peu d’importance, dans
la mesure où Gaston avait "le quota" nécessaire.
J’ai tendance à faire davantage confiance aux forces de l’ordre qui sont intervenues,
interviewant scrupuleusement les différents protagonistes…alors que le "scribe" a bâclé son
travail de routine en s’appuyant sur de vagues informations. (C’était certainement monnaie
courante, tant ces fonctionnaires avaient à faire…).
Les incohérences entre l’ "exposé des faits" rapporté par le Parquet Général ou les
termes du jugement en appel et… les déclarations de la victime:
Bien que toutes les inepties rapportées jusqu'ici ne sont vraiment pas en faveur de
l'Administration Pénitentiaire, j'ai pris très au sérieux le rapport des forces de l’ordre,
intervenues pratiquement et par chance dans les minutes qui suivirent. Leur déposition met
fin aux spéculations, affabulations…des magistrats qui s’engageront dans la voie de la
facilité pour accabler les deux comparses, peut-être parce qu’eux-mêmes n’y voyaient pas
clair face à un scénario pour le moins abracadabrant. Je précise que les divergences relèvent
quelquefois de subtilités, d’abus de langage… de nature à tromper assez facilement un
lecteur qui, comme je l’ai fait moi-même dans un premier temps, ne prendrait pas
connaissance simultanément des documents (j’avais lancé une première requête aux
Archives de la Préfecture de Police de Paris il y a 4 ans, restée sans suite, mais ma
persévérance a fini par payer…Par ailleurs, et une fois encore, ces services ne m'ont
demandé aucune participation financière...).
Les termes du jugement en appel: (voir texte original ci- après)
"Statuant sur l’appel interjeté par Cartier, Meunier-Blanchon et le (???) du jugement sus
énoncé et y faisant droit : Considèrent qu’il résulte de l’instruction et des débats que le 7
janvier 1934 à Paris Cartier et Meunier- Blanchon se sont rendus coupables (complices ?)
d’un individu non identifié auteur d’un vol de 4 232 francs au préjudice du sieur
Goudemèche, en aidant ou assistant ces derniers dans les faits qui l’ont préparé ou facilité et
notamment ils ont facilité le vol en commandant une deuxième bouteille de Graves pour
provoquer l’absence de Goudemèche qui était allé chercher la bouteille dans la cave et
permettre à leur compère l’exécution du vol.
Considérant qu’il y a lieu, en raison de la gravité des faits, de faire aux prévenus une
application plus sévère de la loi.
Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, élève à deux années la peine
d’emprisonnement prononcée contre chacun des prévenus Cartier et Meunier-Blanchon et
pour le surplus confirme le jugement dont est appel condamne Cartier à la Relégation."
20
À quelques lacunes ou incertitudes près qui restent sans incidence sur le fond (quelques mots
illisibles, notamment au niveau d’une marge), j’ai copié intégralement le document, d’une
part sous sa forme originale (scan ci-dessous), d’autre part après une remise en forme
facilitant la lecture. (Le premier manuscrit est diffusé pour que je ne sois pas suspecté de
partialité). Remarque : quoique d’importance minime, j’ai personnellement été
impressionné-effrayé par le nombre de signatures !!!
Le rapport des forces de Police :
Mes commentaires :
"Un 3ème individu entre quelques instants plus tard" : faux ; il était déjà présent dans
l’établissement puisque le patron déclare que, pendant qu’il descendait à la cave "un 3ème
individu […] dérobé un sac en cuir jaune […] ".
"Non identifié" : litigieux puisque le tenancier déclare le connaître de vue pour l’avoir déjà
accueilli comme client (peut-être était il venu dans l’établissement au préalable pour faire
une reconnaissance des lieux et repérer où se trouvait la sacoche…)
"Meunier-Blanchon et Cartier le suivirent aussitôt" : faux car ces deux hommes ne prirent la
fuite que lorsque le patron donna l’ordre d’appeler les agents.
21
Rien ne permet de considérer le 3ème individu comme un compère des deux premiers.
Il est clair que dans l’affolement ou la précipitation, l’un et l’autre n’avaient que faire du soi-
disant billet de 100F…
Je ne pense pas qu’il faille remettre en cause les déclarations de Gaston qui prétend avoir pris
la fuite, comme je l’imaginais dans ma précédente analyse du scénario parce qu’il sait,
compte tenu de ses antécédents judiciaires, qu’il risque gros à l’appel des forces de Police.
Pire pour son compagnon, celui-ci était en délit d’usurpation d’identité - interdit de séjour
(cet élément explique pourquoi son nom d’emprunt Biron, lors du délit, devient Meunier-
Blanchon).
Remarque : et "la cerise sur le gâteau" qui confirme l’absurdité de la loi : tandis que Gaston
fut condamné à la Relégation, son complice qui avait plutôt le profil d’un vrai truand, avec
un casier judiciaire bien chargé que j’ai pu consulter à partir des archives en ligne (en
particulier tentative de détournement de mineure (!) s’en tira avec la même peine que Gaston
et une confirmation d’interdiction de séjour ; "il n’entrait pas dans le moule" …
22
- l’ami AET: "je confirme à la lecture des documents que j'ai pu voir, que ça n'a pas été une
décision de justice mais un jugement expéditif et honteux".
- l'historien Frank Sénateur*: « J'ai bien regardé vos documents, vous avez fait un excellent
travail ! Effectivement votre aïeul n'est pas un grand délinquant, mais bien un de ces
pauvres bougres, emportés par les effets de la crise […] et que la recherche de boulot a
entraîné sur les routes, le mettant à la merci de l'autorité judiciaire avec la lutte contre le
vagabondage…J'ai la triste impression qu'il a été au mauvais moment au mauvais
endroit...Sa fuite précipitée lui a été fatale. Un autre élément me semble important : il n'y
a pas eu de départ vers la Guyane en 1934, donc en 1935(année du départ de Gaston pur
la Guyane) les prisons sont pleines et le Martinière va effectuer 3 voyages cette année là !
Souvent, pour compléter un chargement (facturé par la compagnie nantaise au nombre
d'unités !) les tribunaux adoptaient des positions plus dures !!!Je ne vois rien de
particulier dans la rédaction des pièces administratives (souvent folkloriques) mais bien
un concours de circonstances malheureux. Que pouvez- vous faire maintenant? Une
réhabilitation partielle me parait inutile à demander car ça n'effacerait pas le reste et 80
ans plus tard, je ne sais si vous l'obtiendriez… "
23
*L’historien, qui n’a jamais été cité jusqu’ici, dispose de grandes compétences dans le
domaine; pour en savoir plus, voir sa biographie.
Pour ma part, et sans être juriste, j'estime que beaucoup d'allégations de l'Administration
Pénitentiaire pourraient être assimilés à "des faux en écriture", si je me fie à la définition de
cette expression.
À ce stade, et bien que d’importance secondaire, je me suis tout naturellement interrogé sur
les motifs de l’aggravation de la peine lors du pourvoi en appel (les 13 mois de prison sont
passés à 2 ans), alors que Gaston fut condamné à la Relégation lors du premier jugement.
Dans l’incapacité d’y trouver réponse (comme je l’ai déjà dit, absence des éléments de la
Défense), j’ai interrogé 3 spécialistes sur ce que j’appelle une “stratégie d’accablement”. Les
réponses qui m’ont été apportées sont les suivantes :
-"Sachez qu'en principe, lorsqu'un délit est jugé à nouveau en appel, l'affaire est entièrement
réexaminée et les magistrats de la cour d'appel peuvent décider d'alourdir la peine s'ils
pensent que cela s'impose […] En ce qui concerne votre dossier, il n'est pas exclu que des
individus malintentionnés aient réussi à manipuler les magistrats en calomniant votre grand-
père."
- "Oui c'est une pratique courante dans la mesure où les témoignages étaient le mode de
preuves essentiel à l'époque. Donc oui c'est fréquent qu'il y ait eu recours à des témoignages
"chargés" ou "gonflés” pour emporter la décision de culpabilité."
- "Cette pratique était courante quand on voulait "couler" quelqu'un. Ça ne l'est plus. Pour
preuve, nous devons nous justifier des preuves que nous apportons. Pas simple parfois…”
Mystère :
À l’occasion de ses différents interrogatoires, Gaston déclara que "personne ne pouvait
l’aider", ce qui fut traduit aussi par "a un frère mais ne peut l’aider”. (Le frère en question se
dénommait Georges, habitant lui aussi à Paris). Or, le livret de pécule de Gaston fait
apparaître des versements mensuels (mandats) d’un montant qui était le double de son pécule
issu de son travail…
Je suis reparti pour un nouveau "parcours du combattant" pour essayer de savoir qui était à
l’origine de ces financements : greffiers des prisons par lesquelles il a transité, différents
services d’archivage… et reste à ce jour encore sur ma faim. Sauf hypothèse selon laquelle
Gaston aurait menti (objectivement, je ne vois pas pourquoi…), il m’est apparu intéressant
de rechercher la (ou les) personne (s) concernée(s) ayant donc connu Gaston. Bien sûr, elles
ne sont plus de ce monde mais à partir de leur nom (qui devait être spécifié pour toute rentrée
d’argent), peut-être aurais-je pu, en cherchant du côté de leurs descendants, en savoir
davantage sur mon grand-père (???). Jusqu’ici, je n’ai pu retrouver aucun descendant (s’il en
eut) de Georges…Mon rêve ne serait donc qu’utopie ?
24
Conclusion :
Tout le monde aura compris que mon grand-père Gaston s’est engagé dans un
processus irréversible de marginalisation mais, pour "rassurer" les sceptiques, il ne
commit jamais de meurtre…Ma question reste néanmoins : quels sont les éléments qui
l’ont perturbé à ce point pour expliquer son parcours ? Je sais que je n’aurai jamais de
réponse, mais on comprendra que j’ai matière à m’interroger…
Tout en faisant quelques petites incursions dans des domaines qui m’avaient déjà interpellé,
je me suis attardé longuement sur les pièces constituant le dossier de condamnation de
Gaston et Dieu sait s’il y avait à faire !!! Léon Collin (cité plus haut) déclare avoir été
“choqué par les incohérences et les dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire",
d’autres historiens se ralliant au même constat…Je pense que la plupart de ces témoins et/ou
auteurs font état de la vie au bagne (?).Pour ma part, je peux affirmer que ces défaillances (et
le mot est faible) existaient bien dès la "mise en route" du processus de condamnation et
bien sûr je ne peux qu’en être offusqué, me ralliant tout naturellement aux propos de ceux
qui ont eu le courage de blâmer la loi dans son ensemble…
Bien évidemment, je remercie les "complices" qui m'ont aidé dans cette démarche, les
ami(e)s m'ayant soutenu*, d'autant que ceux-ci se font rares lorsqu'il s'agit de s’impliquer sur
des affaires aussi complexes...Si j’ai dû parfois faire inéluctablement quelques hypothèses
sur des points de détail (à défaut de pouvoir confirmer certaines informations), mon analyse
repose sur des documents officiels ; rien n’a été inventé ou romancé…
*Que l’on se rassure, si j’ose dire, car les ami(e)s ne se “sont pas bousculé(e)s au
portillon”…Pire encore, n’ayant fait que mon devoir en soumettant ce texte aux personnes
nommément citées, j’attends depuis 3 mois (et plus) leur réponse…
Chaque fois que j’ai eu le moral en berne, je me suis accroché au témoignage d’une lectrice
(ayant la tête sur les épaules) :“Je vais me répéter en affirmant que vous êtes un GRAND
HOMME très courageux et remarquable d'avoir vécu puis raconté une vie si tumultueuse!”
À mon humble avis, le sujet de la Relégation a manqué jusqu'ici de médiatisation (j'entends
par là par des moyens accessibles à tout un chacun). Il est possible que quelque (s) autorité(s)
ai(en)t proclamé un jour: "stop, arrêtons de remuer le couteau dans la plaie!!!"J'ajoute
d'ailleurs qu'une journaliste TV devait m'interviewer il y quelques années parce que j'étais un
- sinon le seul (?) - descendant de relégué à oser apporter son témoignage. Ce projet est
"tombé à l'eau" pour une raison que j'ignore...
Horreur et stupéfaction…
En parcourant le journal "Le petit Parisien" de l'année 1934 j’ai été outré, en feuilletant les
pages de plusieurs n°, de voir des placards publicitaires vantant les mérites de tel ou tel
produit médicamenteux (préventifs ou curatifs)…Le record est battu avec cette pub :
25
PS(1) : Celles ou ceux qui souhaiteraient faire une visite (virtuelle) du camp de la Relégation
sur lequel s’est implanté le rsma guyane peuvent se reporter à ce document.
PS(2) pour les AET: pourquoi Daniel Deliancourt ? Tout simplement rencontre fortuite sur
facebook ; en échangeant quelques mots, avons réalisé que nous avions chacun un "gamin"
engagé dans le même cursus scolaire en 2021...

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  • 1. 1 (Plaidoyer d'un petit-fils de bagnard) "La Relégation, un scandale de la République"* Je confirme... *Robert Badinter (voir son témoignage) On pourra trouver plus d'infos sur le thème de la Relégation (genèse, textes de loi) sur d'autres publications du même site... Tous les commentaires portant sur l'Administration Pénitentiaire sont à replacer dans le contexte de l'époque (particulièrement "tumultueuse"). Ils sont obsolètes aujourd'hui. Préambule:(un peu long, certes, mais on comprendra que j'ai grand besoin de m'exprimer...) Dans le cadre d'une biographie familiale , je me suis intéressé, bien sûr à mes parents et à quelques membres de ma famille qui connurent bien des vicissitudes, mais aussi à la destinée de mes aïeuls les plus proches; j’ai pu ainsi comprendre pourquoi une commotion d’obus au combat* valut à l’un d’entre eux, au cours de la "Grande Guerre" de finir ses jours en asile psychiatrique dans l’isolement le plus complet, pourquoi le second fut rappelé pour aller sur le front, alors qu’il était âgé de trente-quatre ans, veuf et père de trois enfants.. Le premier fut quand même cité deux fois : - “a pris part à l’offensive de Champagne avec le 99e Régiment d’Infanterie […] cité à l’ordre de l’armée, comme il suit : s’est affirmé dans sa brillante offensive du 25 septembre au cours de l’assaut, puis d’une manœuvre d’encerclement, comme une Troupe valeureuse, disciplinée et parfaitement instruite ” (Combats de Champagne septembre-octobre 1915). - “a été cité à l’ordre de la Brigade n° 27 en date du 27 août 1916, pour le motif suivant : soldat très énergique, intelligent, ayant beaucoup d’entrain ; le 1er août 1916, son chef de pièce ayant été blessé a pris le commandement des servants et a assuré la continuité du tir sur les assaillants parvenus à moins de 100 mètres ” (D’après l’historique de ce régiment, cet événement se situe pendant la bataille de Verdun). L’épisode de la “commotion d’obus” intervint tout juste un mois après ce deuxième acte de bravoure. Enfin, en reconstruisant l’histoire de mon grand-père paternel ("trajectoire" complètement méconnue dans ma famille), j’ai ouvert, avec la collaboration de l’historien Jean-Lucien Sanchez un chapitre de l’histoire judiciaire, celui de la Relégation, dont notre pays ne peut se glorifier. Comme tant d’autres petits délinquants (en commençant par les vagabonds...) dont
  • 2. 2 les prisons de la métropole souhaitaient se débarrasser, celui qui se présentait comme artiste lyrique fut condamné à cette peine démesurée pour une récidive dans des délits que l’on considérerait comme mineurs de nos jours. *appelée encore “obusite” (âmes sensibles s'abstenir...) Certains s’accordent à dire que la loi sur la relégation fut une des plus scélérates de la IIIe République, ce que confirment les propos de Robert Badinter. Qui plus est, elle fut un échec vis-à-vis du projet sous - jacent d’intégration des condamnés dans une perspective de colonisation de la Guyane. Pourquoi tant d'acharnement: mon grand-père, comme son fils, feront l'objet de dénigrements dépassant l'entendement, sans pudeur ni discernement et que certain(e)s prendront plaisir à répandre dans la famille, sans aucun état d'âme. Mon père lança une "recherche dans l'intérêt des familles" pour tenter, sinon de retrouver son géniteur au moins connaître son devenir. Lorsqu'il apprit, par de vagues informations, que ce dernier finit ses jours au bagne, le ciel lui tomba sur la tête. (Sincèrement, je pense que si j'avais été à sa place, j'aurais "pété un câble").Avec l'accumulation d'autres facteurs: sérieux déboires qui éclaboussèrent sa famille, contrariétés, espoirs ou illusions tant de fois déçus, envolés... (et – élément que beaucoup ignorent – travail dans la poussière de ciment pour nourrir ses enfants après fermeture de son commerce)* ce nouveau choc psychologique lui fut peut-être fatal pour expliquer cette déchéance abominable, indescriptible que ses proches garderont à jamais en mémoire, suite à l'apparition d'un cancer du larynx avant d'atteindre la quarantaine en 1963…(Je n'apprendrai rien à celles et ceux qui ont pu vivre pareille situation à une époque où les soins palliatifs n'étaient pas ceux d'aujourd'hui...). *Ce commerce d’épicerie se situait à Viverols (Puy-de Dôme) et après sa débâcle, mon père n’eut pas d’autre choix que d’accepter la “main tendue” d’un ancien ami de Saint-Chamond qui l’embaucha dans sa fabrique de moellons… J'ai trouvé quelques divergences dans la chronologie des différentes étapes ayant conduit Gaston de la dernière maison d'arrêt (Riom) jusqu'en Guyane, entre le dossier officiel (Archives départementales du Puy-de-Dôme) et les écrits de Jean – Lucien Sanchez (pages 71 et suivantes). Ces discordances portent par exemple sur la durée du séjour à la citadelle de St-Martin - de - Ré* et sur les formalités qui devaient y être accomplies. Il est possible que Jean-Lucien ait fait quelques "impasses"(involontaires), compte tenu de la quantité de documents qu'il a eu à dépouiller...Je dis dans ma biographie (dates officielles à l'appui) que "Gaston passa à peine plus d’une semaine à Saint-Martin-de-Ré, comme si sa sortie de la Maison d’arrêt de Riom avait été programmée en vue du prochain convoi en partance pour la Guyane". Il est possible que cette "précipitation "ait un lien avec la remarque de F.Sénateur (voir en fin de document): accroissement du "flux" des forçats à l'époque où Gaston fit "le grand voyage"... * C'est à Saint-Martin de Ré que les condamnés embarquaient sur le bateau "La Martinière", appelé aussi "bateau cage" ou "bagne flottant". Pour information : des vidéos films de “La Marinière” tournées quelques années avant le départ de Gaston (1)(2). Ces deux documents
  • 3. 3 sont assez voisins mais le second montre l’attroupement des curieux assistant à l’embarquement ; il en sera de même lors de l’arrivée en Guyane. On pourra noter que les "voyageurs" ne semblent pas particulièrement abattus. Ignorant tout du sort qui leur était réservé, ils étaient nombreux à manifester un certain optimisme ; sortant de prison, ils étaient persuadés que leur nouvelle condition s’apparenterait à une liberté sous condition de résidence obligatoire. Pour beaucoup, cette destination représentait aussi l’espoir d’une évasion imminente… Au passage, j'adresse encore un grand merci à Jean-Lucien qui m'a aidé, sur la base de sa thèse, à rédiger un premier chapitre sur l'histoire de Gaston... Quelques généralités. Aujourd’hui, j'ai vraiment le sentiment de n’avoir pas perdu mon temps mais resterai toujours frustré de ne disposer d’aucun élément sur la personnalité de mon grand-père paternel… (Je n'ai jamais eu le plaisir de le connaître et tout ce que je sais repose sur des on- dit entretenus par son ex-épouse, la famille de celle-ci ayant pris le relais sans retenue). Je suis un homme d'honneur (hérédité peut-être, formation AET sûrement) et je n'ai jamais pu me contenter des stéréotypes du genre "on n'est pas responsable du passé de ses ancêtres", et j'en passe et des meilleures...Jamais je ne me ferai à de telles banalités, préjugés qui m'horripilent: ne pas endosser la responsabilité des erreurs de parcours d'un aïeul, à la limite je veux bien, mais ne pas s'y intéresser, voire s'y attacher, constitue pour moi un grave manquement à ses devoirs. (D'ailleurs, même si son intérêt est controversé aujourd'hui, la psycho généalogie est devenue paradoxalement très en vogue...). Je n'en veux pas aux personnes concernées qui ne peuvent pas savoir, pas comprendre...Je profite de l'occasion pour adresser un conseil à celles et ceux qui souhaitent "se lancer" dans la reconstitution du parcours de leurs ancêtres: commencez donc d'abord à vous intéresser à vos proches, tant qu'ils sont en vie, par le "jeu des questions-réponses". Pour ma part, et alors que nous avions une oreille attentive à tout ce que nous rapportait mon père – et Dieu sait qu'il n'était pas avare de confidences –, j'ai eu beaucoup de regrets, après qu'il nous ait quittés (39 ans pour rappel), de n'avoir retenu que quelques fragments de certaines parties son parcours; le perfectionniste que je suis en est vraiment frustré...À titre d'exemples non limitatifs: je sais qu'il a fait successivement un parcours chez les "Compagnons de France" puis les "Chantiers de Jeunesse" mais une question demeure dans les deux cas : dans quelle région ???. Comme il a pas mal “bourlingué” dans sa (courte) vie, je n’ai pas réussi à trouver de témoignages fiables... En homme intègre, j'ai pris tout naturellement le parti de construire l’intégralité de mon récit biographique "sans tabou ni langue de bois" ce qui fut traduit dans la presse par "une biographie sans concession" ou "il fallait se résoudre à..."et encore, (bien que celle-ci me mit plutôt mal à l’aise) : “Michel Cartier se met à poil” , tandis que certaines personnes de mon entourage ont utilisé le terme de "courage", d'autres de "masochisme"…Même mon regretté frère J.Paul, qui fut le seul à suivre de près mes investigations essaya de me dissuader de parler de notre ancêtre, avec toutes les "vieilles casseroles" que nous avions déjà eu à traîner dans notre enfance ... Le bilan final ne fut pas franchement en ma faveur car l'histoire de Gaston a interpellé des individus ayant peu d’ouverture d’esprit, dont encore
  • 4. 4 certains membres de ma famille (ancêtres) à l'orgueil démesuré...Finalement et en bref: "je ne recueille que ce j'ai semé" ...Je précise que ce document a été rédigé en m’appuyant sur des documents officiels ; autrement dit, rien n’a été inventé ou romancé. Chaque fois que j’avais des doutes ou incertitudes, je n’ai pas manqué de le signaler… Chemin faisant, j'ai participé à des discussions sur un blog pour entrer en contact avec des personnes (ou familles) qui étaient dans la même problématique que la mienne; j'ai répondu à pas mal de questions, notamment sur la "stratégie" à suivre pour remonter dans le temps et connaître le "sort" de ses ancêtres. Je n'ai eu aucun retour mais cela m'a laissé complètement indifférent, n'estimant n'avoir fait que mon devoir, mais…J’ai eu confirmation d’une réalité que je n’ignorais pas : le sujet est " on ne peut plus tabou"...J’en serai d'autant plus convaincu à la suite de nombreux appels téléphoniques au cours desquels je tentai d’obtenir ou échanger des infos auprès de familles intelligemment sélectionnées, quelques indices me laissant penser qu’elles étaient concernées ; bien que toujours très bien accueilli, je dois l’avouer, ma "stratégie" se concrétisa par un échec total. Néanmoins, quelques personnes n’ont pas hésité à me faire part de leurs propres soucis familiaux (alors qu’elles ne me connaissaient pas). Au final, je compris que nombre d’ascendants ont tout fait pour "enterrer" l’histoire de leur(s) proches(s). Pour faire un peu d’humour, je dois signaler qu’un homme me dit "ah non, pas au courant, mais si vous savez quelque chose, vous pouvez toujours reprendre contact avec moi !!!" .À ces mots, je lui ai indiqué tout naturellement la "stratégie" à suivre pour répondre aux questions qu’il devait se poser, sans m’immiscer dans sa vie familiale... Je me dois aussi de rapporter un souvenir qui me marquera au fer rouge pour le reste de mon existence: à l'occasion d'une séance de dédicaces de ma biographie, une enseignante, accompagnée de deux de ses élèves, fit le tour des différents auteurs pour les interroger sur leur travail. Lorsque le groupe arriva près de moi pour m'interviewer, bien sûr évoquai-je les différents points abordés dans mes écrits: 1ère et 2ème guerre mondiale, enfant de troupe, et j'en passe...Lorsque, à la fin de mon "discours", je prononçai le mot "bagne", la pédago, quasiment offusquée, dit à ses accompagnants en les empoignant d'un geste brusque: "allez, on continue les enfants"... (Et moi qui rêvais, fut un temps, non pas de me substituer aux profs d'histoire, mais, pourquoi pas, apporter mon "modeste" témoignage dans certains établissements scolaires...) Via les réseaux sociaux, j'ai pu entrer en contact, incidemment, avec deux personnes: - L'une se posait les mêmes questions que celles évoquées précédemment et avec les indications que je lui ai fournies, il daigna m'adresser un grand merci, avec ces mots qui évidemment m'ont touché: "Ah que ma mère va être contente..."(???) Je n’ai pas souhaité entrer dans son "intimité familiale"… - Il y a quelques années, un journaliste parisien prit contact avec moi parce que nous avions une connaissance commune, en la personne d'un officier travaillant au SHD (Service Historique de la Défense); j'avais pu discuter longuement avec ce dernier, homme sympa à qui j’exposai pratiquement toutes mes préoccupations. Lui laissant un document que j’avais rédigé à l’époque sur Gaston, je lui précisai à l’issue de notre entretien qu’il était autorisé à
  • 5. 5 divulguer mes infos à qui bon lui semblait. Et le journaliste en question ne tarda pas à prendre contact avec moi. Après avoir discuté avec lui au téléphone, j’ai très vite compris qu’il se posait les mêmes questions sur son propre grand-père et qui plus est ne retrouvait aucune trace de lui. Quand il me précisa que son aïeul était divorcé et qu’il s’était sûrement évadé, alors je lui répondis : "ne cherche pas, il a sûrement refait sa vie ailleurs"…Et il ajouta : "n’en parle surtout à personne, tout le monde ignore dans mon village ce qu'il est devenu, et je ne veux pas que ça se sache…" (Beaucoup d’épouses divorçaient car elles savaient qu’elles ne reverraient jamais leur mari, la Relégation, je le rappelle étant une condamnation à perpétuité...) Je me permets de vous accueillir avec cette photo que je dois à mon ami de longue date, Daniel Gimenez qui, au sein se l'association Meki Wi Libi Na Wan s'investit pour mettre au jour, restaurer...des vestiges du camp de le Relégation...Ici, le "cimetière des Relégués". Bien que cette image inspire la quiétude, que cette clairière ombragée semble idéalement adaptée au repos, au "sommeil éternel", j’aurais préféré afficher des documents représentatifs de cette terre paradisiaque qu’est la Guyane (notamment du point de vue de la faune et de la flore) mais le territoire fut un temps celui du (ou des) bagne (s) que l'on ne peut pas, que l'on ne doit pas oublier...Libre à chacun(e) d'être en phase avec mes propos mais je souligne quand même qu’un journaliste américain(§12) du Miami Herald n'a pas hésité à comparer les pénitenciers guyanais aux camps de concentration nazis de Buchenwald et de Dachau !!!. Les commentaires de Daniel: j'ai dénombré environ 1200 tombes. C'est un comptage que j'estime assez fiable pour donner un nombre représentatif. Bien sûr, il faudrait procéder plus méticuleusement pour approcher de plus près le nombre réel de tombes. Il faudrait aussi
  • 6. 6 sûrement faire des recherches et dépouiller l'ensemble des fiches de situation quotidiennes de la relégation pour infirmer ou non cette approximation. À ma question:"Le nombre d'individus au cimetière représentait quel pourcentage de la population à cette époque?", Daniel me répond "Très difficile à estimer. Il faudrait connaitre le nombre de relégués décédés hors Saint - Jean (camps annexes, relégués individuels, évasions et supposer que seuls ceux décédés à Saint - Jean sont au cimetière. Je ne connais aucune étude qui se soit penchée sur cette question"). À partir de ces éléments, que je reçus en deux étapes: la photo d'abord, puis les commentaires, j'ai vécu une émotion considérable en visualisant le cliché, me disant: "tiens, c'est la première fois que tu vois ton grand-père de si près" ! Farfelu penserez-vous peut-être (?) mais il faut savoir que ma grand-mère déchira tous les documents pouvant avoir un rapport avec son (premier) mari...Par ailleurs, à travers nombre de contacts que j'ai eus avec les services des Archives, beaucoup ont été étonnés que je n'aie pas de photo de Gaston, compte tenu de son parcours... (Au-delà de cette passion, il faut savoir que Daniel, septuagénaire, mobilise toute son énergie pour poursuivre des études supérieures ; après les "Masters" - Masters Histoire - Université Paris-Nanterre -, il m’indique que «depuis cette année universitaire (2020-2021), je suis doctorant, et commence donc le cycle qui doit aboutir à la soutenance d'une thèse dans trois ans, certainement plutôt dans quatre. Ma recherche porte sur la période qui suit celle du bagne (1949-1960), période au cours de laquelle des immigrés d'Europe centrale (Personnes Déplacées en attente dans les camps de réfugiés de la zone française d'occupation en Allemagne) ont été accueillies en Guyane afin de favoriser la relance du développement économique local". Cet homme mérite pour moi respect et admiration... Et puis, après avoir retrouvé mes esprits je suis revenu sur les commentaires de Daniel : "supposer que seuls ceux décédés à St-Jean sont au cimetière" .Or, Gaston est décédé à St- Laurent - du - Maroni !!! J'avoue que cette précision, si elle n'a pas manqué de m’interpeller, n'a rien enlevé de mes premières émotions... (Les cimetières de forçats en Guyane se dénommaient généralement “bambous”, en référence aux bambous qui poussaient en grand nombre autour des emplacements destinés à recevoir leurs sépultures. Parmi les plus célèbres figure celui de Saint - Laurent - du - Maroni qui conserve une simple stèle rappelant aux visiteurs la présence des dépouilles de bagnards.) Premières remarques et réflexions: En m'appuyant sur des documents ou témoignages déjà en ma possession et en laissant quelque peu libre cours à mon imagination, plusieurs points m'ont interpellé: (pourquoi cette imagination me direz-vous? tout simplement parce qu'au vu des aberrations dans la condamnation fatale de Gaston, je ne peux qu'avoir des suspicions sur l'ensemble des éléments dont je dispose, ce qui me paraît légitime...) À propos du décès de Gaston: Je suis tombé incidemment sur une page web qui m'a rempli de doutes: voir le site concerné
  • 7. 7 François Adiven Son sort reste mystérieux: à une lettre de son frère datée du 21 janvier 1907 et demandant de ses nouvelles, l'AP* répondit qu'il était décédé depuis deux ans; un autre document (levée d'écrou) précise en revanche qu'il s'est retiré à Cayenne à l'expiration de sa peine. *Administration Pénitentiaire Gérard Pinel Son destin demeure lui aussi mystérieux. Un acte de décès (février 1908) mentionne sa mort de maladie à Saint - Laurent du - Maroni deux ans après son arrivée au bagne, mais un procès - verbal fait état de son évasion le 21 mars 1908. Comme le signale Michel Pierre, "on ne peut que souhaiter que ce grand révolté a pu reconstruire une vie d'homme libre." Le lecteur intéressé pourra au passage consulter quelques profils de relégués qui font indéniablement penser à celui de mon grand-père : François Adiven (déjà cité), Darchain, Joseph Alabias, Achille Gabriel Albert, Laurent Kerdual…Le paragraphe "quelques cas significatifs" donne quelques exemples de femmes soumises au même "régime". Celles et ceux qui ne seraient pas convaincu(e)s pourront constater qu'il s'agit bien d'ignobles et cruel(les)s bandits, n’est-ce pas ??? - Je ne pouvais rester insensible aux résultats d'une recherche de ma fille Claudine m'ayant accompagné dans certaines de mes démarches, ses recherches l’ayant conduite à trouver un parfait homonyme en la personne de Gaston Cartier, vivant en Argentine. Or, on sait que beaucoup de condamnés, à la suite de leur évasion, ont refait leur vie en Amérique du sud !!! Nous n'avons pas soumis ce brave garçon, de bonne volonté, au questionnement sur ses origines, voire à des tests ADN… au risque de le mettre mal à l'aise et d'"encaisser" une nouvelle désillusion eu égard aux expériences que j’ai déjà vécues. Pour être clair et mettre fin à quelques unes de mes supputations, je préfère que Gaston soit décédé* à l'hôpital de St-Laurent, malgré les souffrances qu'il dut endurer, plutôt que de l'imaginer à l'état d'épave traînant dans les rues de St - Laurent, ce qui sera le sort de nombre de relégués quelques dizaines d'années après leur libération...Voilà encore un gros paradoxe qui m’écœure: alors que l'on balayait les rues de la métropole pour se débarrasser, entre autres, des "cas sociaux" tels que les vagabonds, les mendiants...,on retrouvera ces mêmes individus dans un état de déchéance inimaginable sur le sol de la Guyane !!! Pour étayer mes propos, j'ai fait appel au témoignage de Michèle, (épouse de mon ami J.C.Diaz. qui commanda le GSMA de St-Jean-du-Maroni de 91 à 93)** et qui confirme bien ce constat. La question que l'on peut se poser est : pourquoi ? Pour ma part, j'imagine que ces individus avaient perdu toute forme de motivation pour retourner en Métropole: famille inexistante ou "décomposée", crainte d'être montré du doigt (???) ... * décès suite à une “infiltration d’urine” (???). Faute de trouver des renseignements précis dans la littérature, j'ose à peine vous rapporter les commentaires, pour le moins divers et variés, qui m’ont été rapportés par certains membres de mon entourage sur cette “maladie”:
  • 8. 8 - injection d'urine dans le sang pour mettre fin à ses jours (autrement dit suicide); - sorte de péritonite; - cancer de la vessie, fréquent à cette époque, dû à l'excès de tafia **on pourra trouver plus d'infos sur un reportage que j'ai réalisé il y a déjà une dizaine d'années sur: https://saint-laurent.monsite-orange.fr/ et où je déclare: "Michel Cartier, plus que jamais attaché à Saint-Laurent"... Gaston fut "admis" à la relégation individuelle à peu près un an avant son décès. Lorsqu’un relégué demandait à passer à ce "statut", privilège accordé en fonction de son comportement au travail et disciplinaire, il devait aussi disposer d’un pécule de réserve suffisant, déterminé par l’Administration, pour pourvoir à sa réinsertion. Ce pécule était amputé de différents prélèvements : valeur des effets d’habillement, dépôt de garantie pour frais d’hospitalisation, attribution éventuelle d’une concession agricole … (J’avoue honnêtement ne pas avoir trouvé plus d’information sur ce dernier point). J’ai seulement retenu qu’en quelque sorte, l’obtention de ce statut “se monnayait”. J'ai entrepris une démarche auprès du CIAP (Service du Patrimoine), moyennant la caution de Léon Bertrand, maire de St-Laurent – du - Maroni, et le seul élément obtenu après quelques mois d'attente, est l’acte de décès de Gaston, que j'avais déjà obtenu aux ANOM. En dépit de quelques séances de "fayotage", la réponse fut claire et nette et je la résume en quelques mots: "si vous souhaitez en savoir plus, il faut que vous veniez sur place pour faire les recherches ou faire appel à un généalogiste!!!" Ce dernier et moi-même avons échangé plusieurs fois des cartes de vœux, ce qui fut pour moi une preuve de bonne entente et compréhension, mais le résultat final fut d'autant plus déconcertant…
  • 9. 9 Mon ami Daniel étant souvent sur place me dit un jour: "Ils ne cherchent pas, ils classent". Pour revenir au "fayotage", une personne malheureusement disparue m’a donné le nom d’un AET (architecte ?) impliqué dans la construction du nouvel hôpital de Saint – Laurent – du - Maroni. Pour l’avoir eu au téléphone, j’ai bien compris qu’il était impuissant, malgré sa bonne volonté, pour "booster" Léon Bertrand… Je n'ai aucune rancœur envers Léon Bertrand, bien au contraire. Bien que "n'étant du même monde”, j’ai été quelque peu décontenancé lorsque la presse fit état de sa condamnation, n'oubliant pas de mentionner qu'il est petit-fils de bagnard !!! (sans préciser bien sûr de quelle catégorie). En laissant planer le doute, rien de tel, encore une fois, pour entretenir les ragots et commérages... Un journaliste avec qui je me suis entretenu à l’époque m'a dit: mais bien sûr Michel, les lecteurs de journaux s'empressent de lire en priorité les "histoires de chiens écrasés"... Et puis, combien de personnages politiques sont tombés dans le même "traquenard" ? Mais je crois savoir que beaucoup de Saint-Laurentins sont respectueux du travail accompli par cet élu. N'étant pas sur place, il est possible que je fasse preuve de subjectivité, auquel cas je demande que l'on m'en excuse... J'ai personnellement vécu une situation comparable, à savoir l'emprisonnement du maire (AET pour info) d'un pays d'outremer qui, une fois débarrassé de ses problèmes juridiques, fut réélu sans difficultés... Bien sûr, j'ai contacté l'hôpital de St-Laurent pour tenter d'obtenir le certificat d'hospitalisation de Gaston, qui aurait pu m'apporter des éléments sur son lieu de résidence, son emploi éventuel. Je fus invité alors à contacter les Archives de Cayenne et la seule réponse obtenue fut brève et précise: "nous n'avons rien retrouvé concernant Gaston Cartier...". Je pense avec le recul que ma démarche m’aurait conduit à une impasse car la plupart des relégués individuels avaient un mal fou à trouver du travail, que ce soit chez les particuliers, au sein d'une entreprise... En effet, ces individus avaient l'image de "délinquants incorrigibles" qui leur collait à la peau et les employeurs préféraient faire appel à la main d’œuvre de transportés, qui "s'acquittaient d'une erreur de parcours"...Aussi, bon nombre de relégués individuels, complètement désabusés, retournèrent...au camp de la relégation... J’appris, chemin faisant, qu’il y eut des changements de Directeur(ou direction) aux Archives de Cayenne. Sans prétendre avoir une vision globale et impartiale de la question, certaines Archives auraient disparu, parfois momentanément, pour des raisons surprenantes : exemple1 ; exemple2 Daniel Gimenez fit son possible pour rechercher quelque élément, et à ce titre se rendit au commissariat de police de St-Laurent pour savoir si Gaston n'avait pas été impliqué dans quelque délit; réponse: "RAS"; je fis toutefois remarquer à Daniel que Gaston n'était pas forcément resté dans le commune après sa "libération" (passage au statut de relégué individuel)...
  • 10. 10 Une ancienne amie de Viverols*, Marie-Hélène, qui peut-être comprit tout de suite mon mal- être (?) me dit un jour: "Michel, je dois me rendre en Guyane; puis-je faire quelque chose pour toi?", ce à quoi je répondis: "c'est sympa, mais tu vas perdre ton temps, il n'y a rien d'intéressant à récolter en Guyane". Cette même personne m'invita, il y a déjà bien longtemps, à une conférence donnée dans la région, par Philippe Colin, (petit-fils de Léon), devenu historien «par héritage»: "Lorsque Léon Collin, médecin affecté aux bagnes, débarque en Guyane en 1907, il découvre les réalités de l'enfer vert. Choqué par les incohérences et les dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire, il fut l’un des premiers à décrire l’horreur carcérale et à photographier les forçats.... [...]" *Viverols (Puy de Dôme) est le village d’où sont originaires mes ancêtres et où je passerai toute mon enfance… J’avoue honnêtement que si Gaston avait été disculpé dans cette affaire, je ne suis pas certain qu’il fût définitivement libéré du joug qui pesait sur ses épaules, sauf événement inattendu dans ses conditions de vie. Nul doute qu’il était affranchi de ce qui l'attendait au prochain "faux-pas"...D’ailleurs, à l'occasion d'un interrogatoire en maison d'arrêt, il déclara "avoir peur de la Relégation"... Alors que j'en étais au stade du projet (ou "prototype") pour la diffusion de ce document sous forme d’un site Web, j'ai eu la surprise de le voir attaché en référence à la Relégation des Récidivistes (Wikipédia). Je me suis bien sûr posé la question de savoir qui pouvait être à l'origine de cette action (sans doute un historien?); si mon hypothèse est bonne, alors je suis rassuré à l'idée que je n'ai (ou plutôt que nous n'avons) pas trop raconté trop de bêtises, ce que confirme implicitement F.Sénateur… L’analyse de cette dernière condamnation donne néanmoins matière à s’interroger sur la rigueur des procédures, des magistrats, de l’Administration Pénitentiaire en général… D’après la chronologie des événements, il semble qu’il se soit engagé dans cette voie après le décès prématuré de ses parents (Gaston avait alors à peine plus de vingt ans) et sa séparation conjugale. Ces événements furent peut-être de nature à le déstabiliser au point qu'il vivra à la façon d'un "marginal", passant la plus grande partie de son temps dans les rues malfamées (Lyon, Paris…) qui vivaient la nuit, avec présence d’un cabaret bien sûr où il exerçait son "art" mais aussi de maisons de jeu et de passe…(Voir photo ci-après de son dernier domicile - rue Quincampoix à Paris) . Les personnes vivant ou ayant vécu en région Rhône-Alpes (dont je fais partie), se souviennent certainement avoir entendu parler de la "rue Mercière" à Lyon, connue pour être un lieu de "distraction" et de débauche au sens large …Sur la page de Brassai où l'on peut noter la présence de la rue Quincampoix, je vois une certaine ressemblance, même si elle n’est qu’imaginaire, avec la rue Mercière… (D’autres clichés sur le site de ce photographe sont intéressants pour les "amateurs de voyeurisme")...Par chance - si j'ose dire - cette photo date de l'époque où Gaston fréquenta ces lieux... Mon insatiable curiosité m’a permis de confirmer la présence (et plus encore l’historique) d’un cabaret dit “de l’épée de bois” établi au numéro 54 en 1658. Il a laissé place à
  • 11. 11 l’Académie Royale de Musique qui est ensuite devenue l’opéra de la rue Mazarine. Toutefois, un cabaret a continué son activité dans la rue jusqu’en 1958. En 1719, il devint un lieu de débauche et d’orgie, ce qui attira énormément de monde y compris des gens célèbres comme Racine, Marivaux ou Madame de Tencin...
  • 12. 12 Quelques brèves remarques sur le bagne : - La littérature sur le bagne en général ne manque pas mais encore faut-il faire preuve de circonspection…Les éléments que je rapporte sont issus de sources fiables et je me suis bien gardé de m'inspirer d'éléments douteux, quelquefois farfelus, dont je ne citerai que deux exemples: - le premier, directement en rapport avec Gaston est issu d'une discussion sur un blog et dans lequel l'auteur me dit:" votre grand-père, mort à l’hôpital, a peut être été autopsié" (il y avait beaucoup de jeunes médecins qui se "faisaient encore la main sur les cadavres" ) .Or, sans toutefois avoir fait le tour de la question, je crois savoir que cette pratique, qui a peut être existé dans un passé très lointain, avait disparu à l'époque où Gaston purgeait sa peine... - le deuxième est relatif aux conditions dans lesquelles on se "débarrassait" des forçats décédant sur les îles: "jetés en pâture aux requins qui rappliquaient au son de la cloche annonçant le festin"... Cette information est confirmée par plusieurs témoignages mais le prolongement dans la durée de ce rituel tient plutôt de la légende...Je ferais davantage confiance aux propos suivants, validés par l'historien J.Lucien Sanchez :"Aux îles du Salut, leurs cadavres étaient installés au sein d'un cercueil dont le fond coulissait et étaient simplement immergés en pleine mer". Je n’ose pas vous parler des conditions d’ "inhumation" des relégués, ce terme méritant sûrement d’être précisé… La littérature fait état d’éléments souvent contradictoires, peu fiables mais qui dans tous les cas sont de nature à vous "mettre la chair de poule"…Aussi, dans ses propos relatifs au cimetière des relégués Daniel précise : "Par contre, nous ne savons pas exactement comment étaient inhumés les relégués. Il avait été question un temps, en discussion avec un responsable du service départemental des Affaires Culturelles, de fouiller une tombe pour déterminer le mode d'inhumation. Mais, dernièrement, lorsque j'ai relancé le nouveau responsable, la réponse fut que les morts aussi ont droit au respect ... De ce fait nous ne connaissons pas l'état de conservation. Je peux toutefois préciser qu'au cimetière des bagnards de Saint-Louis, qui se situe à l'entrée du territoire de la relégation, et qui a été mis au jour il y a quelques années à l'occasion de fouilles préventives, un squelette en très bon état de conservation a pu être observé. Tout dépend de l'acidité de la terre localement ...". Et il ajoute ensuite: sur un autre document: "chaque tombe est uniquement identifiable par le trou qu’elle forme, le cercueil de bois ayant disparu avec le temps... L’association Meki Wi Libi Na Wan qui s’occupe du site a choisi de laisser pousser des fougères dans ces trous et d’entretenir les passages entre les tombes pour les visiteurs..."(cf. la 1ère photo). Je me permets de refaire une petite mise au point (très résumée): les bagnards étaient répartis en 3 catégories: déportés (p.ex. Dreyfus), transportés (p.ex."Papillon"*, Seznec), relégués (p.ex. mon grand-père paternel et, environ un siècle plus tôt, le célèbre Vidocq, personnage singulier qui ne fréquenta que les bagnes portuaires et fit beaucoup parler de lui...). Les relégués dont on parle aujourd'hui étaient auteurs de petits délits commençant par la mendicité, le vagabondage,...et étaient condamnés à rester à vie en Guyane, contrairement aux précédentes catégories... C’est sous la pression des Bourgeois, que le gouvernement Waldeck-Rousseau (alors ministre de l’intérieur) adopta la loi sur la Relégation pour débarrasser les rues des indésirables (les prisons étaient déjà pleines!). 17 000 hommes et
  • 13. 13 femmes, jusqu'en 1953, en seront les victimes… Pour se donner bonne conscience, le Gouvernement revendiqua un projet "humanitaire" à savoir le repeuplement de la colonie mais ce fut, comme d’ailleurs le bagne dans sa globalité, un échec…Le bagne dut sa fermeture à plusieurs acteurs : Albert Londres, qui diffusa un reportage particulièrement douloureux et bien argumenté sur les conditions de vie dans les camps, Gaston Monnerville député guyanais, le Front Populaire… (Un journaliste américain du Miami Herald n'a pas hésité à comparer les pénitenciers guyanais aux camps de concentration nazis de Buchenwald et de Dachau !!!...) *Remarque à propos de "Papillon" (Henri Charrière): lorsque l'on évoque le bagne, beaucoup de personnes pensent instantanément à lui mais peu d'entre elles savent que ses écrits sont la compilation d'aventures vécues par ses compagnons (ce qui n'enlève rien à son mérite...). Je me permets de rêver encore: je préférerais que l'aventure de Gaston rappelle celle de Jean Valjean, que tout le monde doit connaître ("les Misérables" de Victor Hugo). J'ai pu faire le constat qu'une grande majorité de la population , par manque d'information, faisait un amalgame entre ces différentes catégories de condamnés et pourtant, tout le monde pourra comprendre qu'il n'y a aucun point commun entre un "déporté", pour des raisons politiques, et un "transporté", souvent auteur de crime (s) de sang...Quant aux Relégués, leur statut se distingua se façon presque naturelle, car ils étaient considérés comme des "minus" et méprisés par les "caïds", à savoir les "Transportés"(de même que par les gardiens...), les délits commis par ces deux catégories étant sans commune mesure... La condamnation fatale En 2019, et l’effet du hasard m’ayant beaucoup aidé, j'ai fini par lever un gros "bug" en analysant la condamnation fatale ayant envoyé Gaston en Guyane. On pourra trouver cette analyse dans les documents qui suivent. Avec mon esprit cartésien, je n'ai pas douté un instant de la pertinence de mes commentaires, mais, comme nul n'est infaillible, j'ai quand même fait le choix de les faire valider par des amis, dont un AET, un historien dont les commentaires seront rapportés dans leur intégralité. Concrètement, le dossier de "relégué" de Gaston est constitué de pas moins d’une vingtaine de pages format A3 et à peu près l’équivalent au format A4. Parmi les points significatifs, j’ai pu relever: Que Gaston, comptable de métier, est un “dangereux(?) malfaiteur et en bonne santé” ; évidemment, c’est ce qui lui valut d’être condamné aux travaux les plus pénibles (au moins pour un temps):travaux d'aménagements routiers, forestiers. Or, je rappelle que ses délits, ayant toujours fait l’objet de circonstances atténuantes*, relèvent de quelques “ filouteries” que l’on considérerait comme banales aujourd’hui : "vol au rendez-moi " ou encore escroquerie. Quoique ce terme soit accessible à tout un chacun (j’avais dans un premier temps fait une relation étroite avec les "bonimenteurs" que l’on pouvait rencontrer dans le passé…), sa définition est plus difficile à comprendre au plan juridique. Il est vraisemblable que l’éducation de Gaston dans ce domaine se fit “sur le tas”, c'est-à-dire
  • 14. 14 d’une part lors de ses séjours en prison, d’autre part dans les lieux malfamés qu’il sera amené à fréquenter pour exercer son "art". *Voir un exemple ci-après, choisi parmi les textes de condamnations les plus lisibles. En l’occurrence, il s'agit ici d'"escroquerie" et plus précisément "emploi de manœuvres frauduleuses pour persuader l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou d'un crédit imaginaire", relevé plusieurs fois dans les condamnations de Gaston... Ce type d'"arnaque" fait bien partie des différents cas recensés par les instances judiciaires... Les seuls jugements positifs concernent d’une part la moralité (“rien à signaler”), d’autre part son travail en détention avec le commentaire “bonnes dispositions”. Dans la suite de son parcours, et alors que les premières appréciations sur Gaston le déclarèrent "sans aptitude aux travaux de type administratif" (rédaction, comptabilité…) , il fut classé, à l'occasion d'une visite médicale, "travaux légers permanents" pour faiblesse, (avec comme commentaire " tout accompli aux travaux pénibles") et employé comme comptable au service des "écritures", un des postes les plus prisés, comme la plupart des activités assurées à l’intérieur du camp.
  • 15. 15 Ayant exercé pour un temps le métier de comptable aux usines Berliet, ses compétences dans ce domaine sont incontestables, si l’on se réfère aux tests de dictée et de calcul auxquels il a été soumis en Maison d’Arrêt (voir ci-dessus). Sans remonter très loin dans le passé, je reconnais bien là la “calligraphie” de nos ancêtres, en particulier celle de nos enseignants… “Exposé des faits” selon un document transmis par le Parquet Général à la Maison d’Arrêt de Riom (Département du Puy de Dôme) pour élaboration du dossier final de la condamnation à la Relégation (voir ci-après). Il s'agit du premier document que j'ai eu en mains, en fouillant de façon quelque peu anarchique dans le dossier de Gaston, ce qui explique ma démarche quasi instantanée auprès des Archives Départementales que j'évoque plus loin. Avec ces premiers éléments, et sans être expert judiciaire, quiconque comprendrait que le scénario décrit est complètement rocambolesque : - Qu’est-ce qui prouve que le 3è individu était un complice ou "compère" (terme employé dans les jugements) ? Pour savoir que le tenancier accumulait sa recette derrière le comptoir, peut-être était un habitué du bistrot, sans pour autant connaître les deux premiers? - Pour que l'un au moins des "comparses" ait imaginé un tel scénario, il fallait être un fin stratège ; or, la fuite, si elle avait fait partie du plan d'action, est en totale contradiction avec l'hypothèse d'une stratégie bien calculée, car les individus auraient dû se douter que pour être tous deux détenteurs d’un casier judiciaire, ils allaient être immédiatement confondus... - Laissant encore libre cours à mon imagination, je me pose aussi cette question : conscient du sort qui l’attendait, n’ayant plus rien à perdre, pourquoi Gaston n’a pas "balancé" le coupable du vol, si c’était vraiment un complice ? Certes il courait des risques mais cette issue n’aurait pas été pire que le sort qui l’attendait : décès 4 ans après au bagne… Les commentaires additionnels de l’ami Daniel Deliancourt, particulièrement sympa et coopératif (AET – ancien du Lycée Militaire d'Autun): - Pourquoi monter ce coup à 3, alors que les 2 amis auraient très bien pu se débrouiller seuls ? - Qu’est ce qui les empêchait de "faire simple", c'est-à-dire, commander le Graves, faisant ainsi descendre le bougnat* dans la cave et partir aussitôt avec la recette ? - Étant sur place, pourquoi n’auraient-ils pas tranquillement refermé la trappe de la cave et gagné un temps précieux dans leur fuite ? *J’avoue humblement que je pensais que mon camarade faisait de l’humour jusqu’à ce qu’il me rappelle, à juste titre, que "le bougnat" est le nom donné aux Auvergnats de Paris. Historiquement, les bougnats vendaient des matières premières (charbon, bois…) et il n’était pas rare qu’ils tiennent un café dans la capitale. En résumé, j’ai pu donc constater que nombre de pages sont incomplètement remplies, par pure négligence, ce qui est grave ; d’autres, n’ayant aucun rapport avec le "cas Gaston" n’étaient
  • 16. 16 d’aucune utilité. À croire que l’Administration Pénitentiaire employait des stagiaires pour faire ce travail et/ou que le nombre de condamnés dépassait le nombre habituel de cas à traiter. Nota1 :c’est pour ne pas être suspecté d’avoir falsifié le document dont il est question ici que j’ai demandé aux AD du Puy-de-Dôme d’apposer un tampon “copie certifiée conforme”.
  • 17. 17 Nota 2 : On ne trouvera le nom de Meunier - Blanchon que dans les jugements qui suivirent l’arrestation, cet homme s’étant présenté aux forces de l’ordre avec une fausse identité car il était interdit de séjour. Ce profil, sur lequel je reviendrai par la suite, tend bien à illustrer le piège dans lequel Gaston s’était "empêtré" à partir de relations plus que douteuses… Un autre document est aussi à classer dans les “annales”: alors que des ordres stricts sont donnés pour remplir le questionnaire, la plupart des réponses sont “on l’ignore” !!! Idem pour la question : exerçait-il bien sa profession ?...Je pense qu’il n’était nul besoin de faire appel à un bataillon pour vérifier, valider tous ces éléments….Mais le plus étonnant est que ces renseignements seront précisés dans le dossier final et définitif ; alors, ce travail
  • 18. 18 d’enquête aurait-il été réalisé deux fois ??? Probablement… Et encore… Après 3 condamnations successives à au moins 3 mois de prison, Gaston avait réuni les conditions nécessaires (cf. la loi) pour être envoyé en Guyane au prochain "dérapage”. À noter que les juges faisaient preuve d’excès de zèle, le dernier jugement faisant état d’une peine de 3 mois et un jour (!) d’emprisonnement… Je précise (ou rappelle) que selon la loi, il fallait cumuler des peines de prison d’au moins 3 mois …) L'essentiel de son parcours fut celui d’un s.d.f. (il se présenta d’ailleurs comme tel au moins dans un jugement) puisque j’ai retrouvé des condamnations dans plusieurs villes : de Metz à Périgueux en passant par Grenoble…
  • 19. 19 L’analyse de sa condamnation donne matière à s’interroger sur la rigueur des procédures, des magistrats, de l’Administration Pénitentiaire De toute évidence, Gaston devint peut-être un filou, mais pas un bandit… Parmi les contradictions, j’ai pu noter, entre autres, les lieux et dates d’emprisonnement qui furent pris en compte pour la condamnation fatale, mais j’y accorde peu d’importance, dans la mesure où Gaston avait "le quota" nécessaire. J’ai tendance à faire davantage confiance aux forces de l’ordre qui sont intervenues, interviewant scrupuleusement les différents protagonistes…alors que le "scribe" a bâclé son travail de routine en s’appuyant sur de vagues informations. (C’était certainement monnaie courante, tant ces fonctionnaires avaient à faire…). Les incohérences entre l’ "exposé des faits" rapporté par le Parquet Général ou les termes du jugement en appel et… les déclarations de la victime: Bien que toutes les inepties rapportées jusqu'ici ne sont vraiment pas en faveur de l'Administration Pénitentiaire, j'ai pris très au sérieux le rapport des forces de l’ordre, intervenues pratiquement et par chance dans les minutes qui suivirent. Leur déposition met fin aux spéculations, affabulations…des magistrats qui s’engageront dans la voie de la facilité pour accabler les deux comparses, peut-être parce qu’eux-mêmes n’y voyaient pas clair face à un scénario pour le moins abracadabrant. Je précise que les divergences relèvent quelquefois de subtilités, d’abus de langage… de nature à tromper assez facilement un lecteur qui, comme je l’ai fait moi-même dans un premier temps, ne prendrait pas connaissance simultanément des documents (j’avais lancé une première requête aux Archives de la Préfecture de Police de Paris il y a 4 ans, restée sans suite, mais ma persévérance a fini par payer…Par ailleurs, et une fois encore, ces services ne m'ont demandé aucune participation financière...). Les termes du jugement en appel: (voir texte original ci- après) "Statuant sur l’appel interjeté par Cartier, Meunier-Blanchon et le (???) du jugement sus énoncé et y faisant droit : Considèrent qu’il résulte de l’instruction et des débats que le 7 janvier 1934 à Paris Cartier et Meunier- Blanchon se sont rendus coupables (complices ?) d’un individu non identifié auteur d’un vol de 4 232 francs au préjudice du sieur Goudemèche, en aidant ou assistant ces derniers dans les faits qui l’ont préparé ou facilité et notamment ils ont facilité le vol en commandant une deuxième bouteille de Graves pour provoquer l’absence de Goudemèche qui était allé chercher la bouteille dans la cave et permettre à leur compère l’exécution du vol. Considérant qu’il y a lieu, en raison de la gravité des faits, de faire aux prévenus une application plus sévère de la loi. Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, élève à deux années la peine d’emprisonnement prononcée contre chacun des prévenus Cartier et Meunier-Blanchon et pour le surplus confirme le jugement dont est appel condamne Cartier à la Relégation."
  • 20. 20 À quelques lacunes ou incertitudes près qui restent sans incidence sur le fond (quelques mots illisibles, notamment au niveau d’une marge), j’ai copié intégralement le document, d’une part sous sa forme originale (scan ci-dessous), d’autre part après une remise en forme facilitant la lecture. (Le premier manuscrit est diffusé pour que je ne sois pas suspecté de partialité). Remarque : quoique d’importance minime, j’ai personnellement été impressionné-effrayé par le nombre de signatures !!! Le rapport des forces de Police : Mes commentaires : "Un 3ème individu entre quelques instants plus tard" : faux ; il était déjà présent dans l’établissement puisque le patron déclare que, pendant qu’il descendait à la cave "un 3ème individu […] dérobé un sac en cuir jaune […] ". "Non identifié" : litigieux puisque le tenancier déclare le connaître de vue pour l’avoir déjà accueilli comme client (peut-être était il venu dans l’établissement au préalable pour faire une reconnaissance des lieux et repérer où se trouvait la sacoche…) "Meunier-Blanchon et Cartier le suivirent aussitôt" : faux car ces deux hommes ne prirent la fuite que lorsque le patron donna l’ordre d’appeler les agents.
  • 21. 21 Rien ne permet de considérer le 3ème individu comme un compère des deux premiers. Il est clair que dans l’affolement ou la précipitation, l’un et l’autre n’avaient que faire du soi- disant billet de 100F… Je ne pense pas qu’il faille remettre en cause les déclarations de Gaston qui prétend avoir pris la fuite, comme je l’imaginais dans ma précédente analyse du scénario parce qu’il sait, compte tenu de ses antécédents judiciaires, qu’il risque gros à l’appel des forces de Police. Pire pour son compagnon, celui-ci était en délit d’usurpation d’identité - interdit de séjour (cet élément explique pourquoi son nom d’emprunt Biron, lors du délit, devient Meunier- Blanchon). Remarque : et "la cerise sur le gâteau" qui confirme l’absurdité de la loi : tandis que Gaston fut condamné à la Relégation, son complice qui avait plutôt le profil d’un vrai truand, avec un casier judiciaire bien chargé que j’ai pu consulter à partir des archives en ligne (en particulier tentative de détournement de mineure (!) s’en tira avec la même peine que Gaston et une confirmation d’interdiction de séjour ; "il n’entrait pas dans le moule" …
  • 22. 22 - l’ami AET: "je confirme à la lecture des documents que j'ai pu voir, que ça n'a pas été une décision de justice mais un jugement expéditif et honteux". - l'historien Frank Sénateur*: « J'ai bien regardé vos documents, vous avez fait un excellent travail ! Effectivement votre aïeul n'est pas un grand délinquant, mais bien un de ces pauvres bougres, emportés par les effets de la crise […] et que la recherche de boulot a entraîné sur les routes, le mettant à la merci de l'autorité judiciaire avec la lutte contre le vagabondage…J'ai la triste impression qu'il a été au mauvais moment au mauvais endroit...Sa fuite précipitée lui a été fatale. Un autre élément me semble important : il n'y a pas eu de départ vers la Guyane en 1934, donc en 1935(année du départ de Gaston pur la Guyane) les prisons sont pleines et le Martinière va effectuer 3 voyages cette année là ! Souvent, pour compléter un chargement (facturé par la compagnie nantaise au nombre d'unités !) les tribunaux adoptaient des positions plus dures !!!Je ne vois rien de particulier dans la rédaction des pièces administratives (souvent folkloriques) mais bien un concours de circonstances malheureux. Que pouvez- vous faire maintenant? Une réhabilitation partielle me parait inutile à demander car ça n'effacerait pas le reste et 80 ans plus tard, je ne sais si vous l'obtiendriez… "
  • 23. 23 *L’historien, qui n’a jamais été cité jusqu’ici, dispose de grandes compétences dans le domaine; pour en savoir plus, voir sa biographie. Pour ma part, et sans être juriste, j'estime que beaucoup d'allégations de l'Administration Pénitentiaire pourraient être assimilés à "des faux en écriture", si je me fie à la définition de cette expression. À ce stade, et bien que d’importance secondaire, je me suis tout naturellement interrogé sur les motifs de l’aggravation de la peine lors du pourvoi en appel (les 13 mois de prison sont passés à 2 ans), alors que Gaston fut condamné à la Relégation lors du premier jugement. Dans l’incapacité d’y trouver réponse (comme je l’ai déjà dit, absence des éléments de la Défense), j’ai interrogé 3 spécialistes sur ce que j’appelle une “stratégie d’accablement”. Les réponses qui m’ont été apportées sont les suivantes : -"Sachez qu'en principe, lorsqu'un délit est jugé à nouveau en appel, l'affaire est entièrement réexaminée et les magistrats de la cour d'appel peuvent décider d'alourdir la peine s'ils pensent que cela s'impose […] En ce qui concerne votre dossier, il n'est pas exclu que des individus malintentionnés aient réussi à manipuler les magistrats en calomniant votre grand- père." - "Oui c'est une pratique courante dans la mesure où les témoignages étaient le mode de preuves essentiel à l'époque. Donc oui c'est fréquent qu'il y ait eu recours à des témoignages "chargés" ou "gonflés” pour emporter la décision de culpabilité." - "Cette pratique était courante quand on voulait "couler" quelqu'un. Ça ne l'est plus. Pour preuve, nous devons nous justifier des preuves que nous apportons. Pas simple parfois…” Mystère : À l’occasion de ses différents interrogatoires, Gaston déclara que "personne ne pouvait l’aider", ce qui fut traduit aussi par "a un frère mais ne peut l’aider”. (Le frère en question se dénommait Georges, habitant lui aussi à Paris). Or, le livret de pécule de Gaston fait apparaître des versements mensuels (mandats) d’un montant qui était le double de son pécule issu de son travail… Je suis reparti pour un nouveau "parcours du combattant" pour essayer de savoir qui était à l’origine de ces financements : greffiers des prisons par lesquelles il a transité, différents services d’archivage… et reste à ce jour encore sur ma faim. Sauf hypothèse selon laquelle Gaston aurait menti (objectivement, je ne vois pas pourquoi…), il m’est apparu intéressant de rechercher la (ou les) personne (s) concernée(s) ayant donc connu Gaston. Bien sûr, elles ne sont plus de ce monde mais à partir de leur nom (qui devait être spécifié pour toute rentrée d’argent), peut-être aurais-je pu, en cherchant du côté de leurs descendants, en savoir davantage sur mon grand-père (???). Jusqu’ici, je n’ai pu retrouver aucun descendant (s’il en eut) de Georges…Mon rêve ne serait donc qu’utopie ?
  • 24. 24 Conclusion : Tout le monde aura compris que mon grand-père Gaston s’est engagé dans un processus irréversible de marginalisation mais, pour "rassurer" les sceptiques, il ne commit jamais de meurtre…Ma question reste néanmoins : quels sont les éléments qui l’ont perturbé à ce point pour expliquer son parcours ? Je sais que je n’aurai jamais de réponse, mais on comprendra que j’ai matière à m’interroger… Tout en faisant quelques petites incursions dans des domaines qui m’avaient déjà interpellé, je me suis attardé longuement sur les pièces constituant le dossier de condamnation de Gaston et Dieu sait s’il y avait à faire !!! Léon Collin (cité plus haut) déclare avoir été “choqué par les incohérences et les dysfonctionnements de l'administration pénitentiaire", d’autres historiens se ralliant au même constat…Je pense que la plupart de ces témoins et/ou auteurs font état de la vie au bagne (?).Pour ma part, je peux affirmer que ces défaillances (et le mot est faible) existaient bien dès la "mise en route" du processus de condamnation et bien sûr je ne peux qu’en être offusqué, me ralliant tout naturellement aux propos de ceux qui ont eu le courage de blâmer la loi dans son ensemble… Bien évidemment, je remercie les "complices" qui m'ont aidé dans cette démarche, les ami(e)s m'ayant soutenu*, d'autant que ceux-ci se font rares lorsqu'il s'agit de s’impliquer sur des affaires aussi complexes...Si j’ai dû parfois faire inéluctablement quelques hypothèses sur des points de détail (à défaut de pouvoir confirmer certaines informations), mon analyse repose sur des documents officiels ; rien n’a été inventé ou romancé… *Que l’on se rassure, si j’ose dire, car les ami(e)s ne se “sont pas bousculé(e)s au portillon”…Pire encore, n’ayant fait que mon devoir en soumettant ce texte aux personnes nommément citées, j’attends depuis 3 mois (et plus) leur réponse… Chaque fois que j’ai eu le moral en berne, je me suis accroché au témoignage d’une lectrice (ayant la tête sur les épaules) :“Je vais me répéter en affirmant que vous êtes un GRAND HOMME très courageux et remarquable d'avoir vécu puis raconté une vie si tumultueuse!” À mon humble avis, le sujet de la Relégation a manqué jusqu'ici de médiatisation (j'entends par là par des moyens accessibles à tout un chacun). Il est possible que quelque (s) autorité(s) ai(en)t proclamé un jour: "stop, arrêtons de remuer le couteau dans la plaie!!!"J'ajoute d'ailleurs qu'une journaliste TV devait m'interviewer il y quelques années parce que j'étais un - sinon le seul (?) - descendant de relégué à oser apporter son témoignage. Ce projet est "tombé à l'eau" pour une raison que j'ignore... Horreur et stupéfaction… En parcourant le journal "Le petit Parisien" de l'année 1934 j’ai été outré, en feuilletant les pages de plusieurs n°, de voir des placards publicitaires vantant les mérites de tel ou tel produit médicamenteux (préventifs ou curatifs)…Le record est battu avec cette pub :
  • 25. 25 PS(1) : Celles ou ceux qui souhaiteraient faire une visite (virtuelle) du camp de la Relégation sur lequel s’est implanté le rsma guyane peuvent se reporter à ce document. PS(2) pour les AET: pourquoi Daniel Deliancourt ? Tout simplement rencontre fortuite sur facebook ; en échangeant quelques mots, avons réalisé que nous avions chacun un "gamin" engagé dans le même cursus scolaire en 2021...