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Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
1
Introduction
La Palestine au 1er
siècle :
une pax romana sous tensions
Depuis l’an 6 de notre ère, la turbulente Judée est sous l’administration directe de Rome. Son préfet, Ponce
Pilate, a pour mission d’y maintenir l’ordre et d’assurer la rentrée des impôts…
Quel est le contexte politique de la prédication
de Jésus ?
Jésus fut jugé assez dangereux pour être mené au
supplice. Par qui ? Pourquoi ? Le contexte politique et social
de la prédication de Jésus nous donne des éléments de
réponse décisifs à la question délicate et controversée de sa
mort.
Depuis le début du IIe
siècle av. J.-C., la Palestine (et
l’Orient en général) est dans l’orbite romaine. La naissance
de Jésus (quelle qu’en soit l’année exacte) se place à mi-
chemin entre deux dates capitales de cette domination. Elle se
situe en effet entre -63, date à laquelle la main de Rome
s’alourdit sur la Judée (Pompée s’empare de Jérusalem, abat
ses murailles, impose un tribut aux juifs) et 66 après J.-C. : les
effets de cette mainmise aboutissent alors à la « guerre juive »
racontée par Flavius Josèphe. Pour autant, la grande
puissance ne s’empare pas directement de la Judée. Pendant
une soixantaine d’années, sa domination s’exerce par
l’intermédiaire de royaumes dépendants. C’est le cas
d’Hérode, roi de Judée (-40 à -4).
Ensuite, sa succession compliquée ouvre une période
intermédiaire. Son royaume est divisé entre ses trois fils.
Hérode Philippe reçoit la région située à l’est du Jourdain.
Archelaüs règne sur les Judéens, les Samaritains et les
Iduméens. Hérode Antipas gouverne la région de Galilée et de
Pérée. Une grande partie de la vie de Jésus se passe sous la
juridiction de ce dernier.
Cette distribution des pouvoirs ne dure pas. En 6 apr. J.-C.,
sur décision d’Auguste qui lui reproche d’avoir dressé la
population contre lui, Archelaüs est exilé à Vienne, près de
Lyon. Rome ne s’embarrasse plus de roitelet fantoche. La
Judée passe sous administration romaine : elle est sous
l’autorité d’un préfet, placé lui-même sous la tutelle du
gouverneur de Syrie.
Sous Auguste, les provinces romaines de l’empire sont
partagées entre provinces sénatoriales et impériales. Les
premières sont gouvernées par des proconsuls ; les secondes,
situées aux confins de l’empire et nécessitant la présence de
légions, sont sous l’autorité de l’empereur. La Syrie, dont la
Judée dépend, en fait partie. En poste de 26 à 36, Ponce
Pilate est le cinquième préfet de Judée. Sa tâche est de
maintenir l’ordre, et de veiller à la levée des impôts. Pour
assurer l’ordre, il dispose de troupes auxiliaires recrutées
parmi la population non juive. Il réside à Césarée plutôt qu’à
Jérusalem.
Il semble que certains préfets aient trouvé dans la collecte des
impôts le moyen d’accaparer une fortune rapide. Les
témoignages de Philon et de Flavius Josèphe soulignent la
cupidité des gouverneurs romains de Judée, à commencer par
Pilate. De fait, la création de la province romaine s’est traduite
par une forte augmentation des impôts.
En Galilée, administrée par le roitelet Hérode Antipas, la
situation n’est guère plus favorable. La difficulté de la situation
transparaît dans certaines paroles de Jésus, comme dans
l’Evangile de Luc (6,20-21) : « Heureux vous les pauvres… ».
Pour le recouvrement des impôts dans la province de Judée,
les Romains avaient eu l’habileté de faire jouer un rôle
intermédiaire au Sanhédrin, ce Conseil de 71 personnes
chargé de régir la vis des juifs notamment dans le domaine
religieux. Il joue le rôle d’un organisme centralisateur. En
accord avec le préfet, il confie le recouvrement des impôts à
des notables locaux.
Il ne faut donc pas imaginer la Judée comme un pays
occupé, quadrillé par les légions romaines.
J.-P. Lémonon souligne que le pouvoir romain reposait pour
partie sur l’intérêt des notables. Mais au-delà même de
l’intérêt, ce pouvoir « faisait aussi impression sur les âmes et
s’entourait de vénération de type religieux, celle qui alimente et
vivifie le culte impérial […]. A l’avènement d’un nouvel
empereur, dans les cités des provinces, on organisait un
serment collectif de fidélité à l’empereur sur la place
publique. »
Même si ce serment était formel, il n’est pas interdit de penser
que certains habitants de Judée aient ressenti au moins de la
reconnaissance pour Rome. Celle-ci respecte le calendrier des
juifs, notamment le septième jour chômé. En outre, dans un
temps où se développe le culte impérial, les juifs en étaient
tacitement dispensés.
Malgré ces concessions de l’empire, l’image d’une pax
romana plus acceptée que subie par la population doit
être fortement nuancée. La plus grande partie des juifs était
surtout sensible à l’augmentation des impôts.
Sur le plan strictement religieux, la tolérance romaine
envers les juifs était toujours fragile, toujours menacée. Ce
fut le cas par exemple sous Pilate.
Certes, Rome avait conservé certaines des institutions juives,
comme le Sanhédrin et le grand prêtre (qui le préside), mais
en les encadrant de manière très stricte. En particulier, le droit
de vie et de mort était l’apanage du gouverneur de Judée,
non du Sanhédrin. Le Talmud de Jérusalem dit explicitement
que quarante ans avant la destruction du Temple, le
Sanhédrin perdit le droit de condamner à mort.
Cette précision historique est lourde de sens. Elle invalide la
version des Evangiles (sauf celui de Jean) comme le souligne
très bien l’exégète Simon Légasse dans un remarquable petit
livre intitulé « Qui a tué Jésus ? ». Les Evangiles, notamment
les deux premiers, racontent un « procès juif » : Jésus est jugé
et condamné à mort par le Sanhédrin. Or, tout porte à croire
que ce « procès juif » n’a jamais eu lieu.
Le procès de Jésus fut romain. Ce qui n’exonère pas la
responsabilité de l’autorité juive, puisque son arrestation fut
opérée sous les ordres du grand prêtre Caïphe. Une telle
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
2
présentation des faits s’explique très bien si l’on tient compte
du contexte historique des années 70 et 80, moment où furent
rédigés les Evangiles : « Les premiers chrétiens, en conflit
avec les juifs, forçaient la culpabilité du côté juif en épargnant
les romains, maîtres du monde connu », souligne Simon
Légasse.
Cette mainmise sur le Sanhédrin s’accompagnait d’un
contrôle vigilant du grand prêtre qui le dirigeait. S’il ne se
conformait pas aux volontés de Rome, il pouvait être destitué.
Les grand prêtres devaient se montrer des collaborateurs
zélés de l’empire.
Ce fut sans doute le cas de Caïphe : il demeura 19 ans en
charge, de 18 à 37 après J.-C., alors que la durée moyenne
des vingt-huit derniers pontificats était seulement de quatre
ans. Bref, c’était un homme de confiance des romains. Pilate
savait qu’il pouvait compter sur lui. On peut donc supposer que
si cet homme a estimé que Jésus représentait un quelconque
danger (notamment parce qu’il s’attaquait au Temple) et l’a
présenté à Pilate comme une menace à l’ordre public ou de
soulèvement, l’issue de faisait aucun doute : il n’est même pas
sûr que Pilate ait pris le temps de se laver les mains…
L’ostensible dépendance du Sanhédrin et de son grand prêtre
envers le pouvoir romain était très mal ressentie par les juifs.
Si l’on ajoute à cela les différentes provocations ou
maladresses des romains, les juifs ont pu finir par
considérer que leur religion était menacée. Vers 40,
l’empereur Caligula voulut que sa propre image soit adorée à
Jérusalem. Sa mort en 41 fut perçue comme une délivrance
inespérée.
Bien avant la guerre juive de 66, la domination romaine s’était
traduite par des émeutes parfois très graves : ce fut le cas à la
mort d’Hérodote (une sédition fait 3000 morts). En l’an 6,
lorsque le légat de Rome Quirinus voulut faire un recensement
à des fins d’imposition, une grave rébellion s’ensuivit, menée
par « Judas le Galiléen ». Ensuite les années 20 et 30, celles
de la prédication de Jésus, dénotent une relative accalmie.
Mais plus tard, vers le milieu du siècle, le geste obscène d’un
soldat aux portes du Temple provoque une émeute : 1000
morts.
Si l’on ajoute à cela les mouvements prophétiques qui se
multiplient, on a une bonne idée de l’atmosphère fiévreuse qui
s’empare de la Judée au 1er
siècle : une pax romana dont les
coutures sont en train de craquer…
[In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-F.MONDOT, p. 7
à 13]
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
3
Jésus face à l’Archéologie & à l’Histoire
CADRE DE VIE
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
4
CADRE DE VIE
Chapitre 1
Jérusalem : entre luxe, beauté et ambiguïté
Au Ier siècle, sous l’impulsion d’Hérode, Jérusalem se pare de mille feux. Temple des Israélites et palais
romains rivalisent, jusqu’à s’arroger « neuf des dix mesures de beauté descendues sur Terre ».
I. Le Temple
Le Temple de Jérusalem brille. Il reflète le soleil et attire les
regards. C’est Flavius Josèphe qui nous le dit : « De quelque
endroit qu’on le contemplât, le Sanctuaire avait tout ce qu’il
fallait pour éblouir l’esprit et les yeux. Renvoyés dans toutes
les directions par les énormes plaques d’or, les premiers
rayons du soleil reflétaient d’énormes rayonnements de feu qui
forçaient ceux qui les contemplaient à détourner les regards
comme s’ils avaient observé directement le soleil. Aux
étrangers qui s’approchaient, il ressemblait à distance à une
montagne couverte de neige car tout ce qui n’était pas couvert
par de l’or était d’un blanc éblouissant… »
C’est le roi Hérode, originaire d’Idumée (région correspondant
à l’ancien royaume d’Edom qui avait été traditionnellement en
lutte avec les Israélites), considéré par le peuple comme un
demi-juif qui avait construit cette merveille. Il était soucieux de
gloire et désireux de se concilier la sympathie des juifs : or,
ceux-ci voyaient d’un mauvais œil ce fidèle allié de Rome, qui
ne cachait pas son goût pour la culture romaine et
hellénistique.
Le complexe du Temple était un espace très hiérarchisé.
D’abord il y avait une séparation stricte entre païens
(« gentils ») et juifs. Les païens pouvaient se rendre sur
l’esplanade du Temple. Mais le mur percé de treize portes les
empêchait d’aller plus loin. Une inscription en latin ou en grec,
présente à chaque porte disait : « Aucun gentil ne peut franchir
la barrière qui entoure le Temple. Toute personne prise en
défaut est comptable envers elle-même de la mort qui
s’ensuivra ».
Au-delà de cette limite, se trouvait la Cour des femmes.
Ensuite on pénétrait par la porte de Nicanor dans la « cour des
Israélites » qui était séparée par une nouvelle barrière de la
« cour des prêtres ». C’est là que se trouvaient le grand autel
(14 m², 7 m de haut), le bassin (une immense cuve de bronze
dans laquelle les prêtres se purifiaient) et les tables, piliers,
crocs servant à l’abattage et la préparation des bêtes pour le
sacrifice.
En face, le Temple lui-même : il était divisé en trois (vestibule,
Saint, Saint des Saints). Les prêtres étaient seuls autorisés à
pénétrer dans le Lieu saint : deux fois par jour, ils y faisaient
l’offrande de l’encens et entretenaient le chandelier à sept
branches. A l’extrémité occidentale du Lieu saint se trouvait le
voile, double rideau qui cachait à la vue la partie la plus retirée
du sanctuaire : « Là, il n’y avait absolument rien. Inaccessible,
inviolable, invisible à tous, on l’appelait le Saint des Saints. »
(Flavius Josèphe).
Le Temple attirait à Jérusalem les juifs du monde entier.
Depuis la réforme de Josias (VIIe
siècle av. J.-C.), c’est à
Jérusalem que l’on devait immoler l’agneau pascal. C’est là
aussi que l’on apportait les prémices de la récolte. Là encore
que les mères se purifiaient, après une naissance. La femme
soupçonnée d’adultère y était amenée pour le jugement de
Dieu. Tout juif mâle devait acquitter pour le Temple un impôt.
Les juifs étaient également tenus de dépenser à Jérusalem le
dixième du revenu de leur terre.
De manière générale, comme le résume très bien Joachim
Jeremias (« Jérusalem au temps de Jésus »), « le terme
Israélite a pour périphrase “celui qui va à Jérusalem“ ».
Le poids du Temple était inscrit dans la topographie de la ville.
La Jérusalem du 1er
siècle s’organisait selon une opposition
ville haute (autour du Temple) – ville basse. Bien entendu la
ville haute était la plus favorisée.
L’importance du Temple avait aussi des incidences très
fortes sur l’économie locale. Sans lui, Jérusalem n’aurait été
qu’une modeste ville de montagne, plutôt défavorisée par les
facteurs naturels.
Pour les produits les plus courants, Jérusalem était obligée de
recourir à des importations massives. Il faut donc imaginer le
défilé incessant des caravanes de chameaux (ou d’ânes)
chargées d’approvisionner les différents marchés de la ville.
Détournons les yeux un instant de l’aveuglante blancheur du
Temple. La Jérusalem du 1er
siècle comportait d’autres
bâtiments remarquables, également commandés par Hérode.
II. Jérusalem, au-delà du Temple
Au nord-ouest de l’esplanade du Temple, comme une
sentinelle vigilante, se trouvaient l’Antonia et ses tours. Une
garnison romaine y séjournait. Cette forteresse était l’édifice le
plus élevé de la ville. Par sa hauteur, par son allure, il était tout
à fait éloquent : il disait que ce Temple majestueux, fierté du
judaïsme, était sous tutelle. Que les vrais maîtres étaient
romains. Un autre bâtiment, tout aussi impressionnant, tenait
le même discours.
Il s’agissait du Palais royal, encore construit par Hérode. Le
palais était entouré d’une muraille de 15 m de hauteur, avec
des tours ornementales régulièrement espacées. Aucun
vestige de ce palais n’a été découvert à ce jour.
Mais ce n’est pas tout. Hérode avait édifié un théâtre dans
l’enceinte, et aussi un stade pour les démonstrations
d’athlétisme et les courses de chars. Avec le Temple et le
Palais royal, tous ces monuments donnaient à Jérusalem un
éclat extraordinaire.
Les différents monuments de Jérusalem résument bien
l’ambivalence de cette ville, capitale du culte juif et soumise à
l’influence de l’hellénisme et à la domination de Rome. A
Jérusalem se renforcent et s’accusent tous les contrastes du
judaïsme de l’époque.
Mais d’autres hiérarchies, plus subtiles, existaient, fondées sur
la pureté de l’origine L’opposition entre riches et pauvres était
également très marquée. Autour du Temple se pressaient des
nuées de mendiants.
Et nous en revenons au Temple. Dépositaire d’une énorme
richesse grâce à l’impôt annuel versé par tous les juifs, le
Temple avait aussi un rôle d’assistance.
[In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-F.MONDOT, p.
21 à 27]
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
5
CADRE DE VIE
Chapitre 2
Césarée : un havre conquis sur l’eau
Plus vaste que le Pirée d’Athènes, mais aussi plus sophistiqué : le port de Césarée, construit en eau profonde,
est doté de digues artificielles pour contrer les assauts des vagues. Il est achevé en 10 av. J.-C.
En -22, Hérode le Grand, roi de Palestine, vassal favori de
l’empereur Auguste, entreprend de bâtir, sur les ruines
hellénistiques de la tour de Straton, antique cité phénicienne,
une ville nouvelle.
La situation, pour un tel aménagement, est à la fois idéale et
désastreuse. Idéale d’un point de vue économique, puisque,
comme le précise l’historien juif Flavius Josèphe (« La guerre
des juifs contre les romains »), cette portion de la côte est « si
dépourvue de port que ceux qui veulent aller de la Phénicie en
Egypte sont contraints de relâcher en haute mer, tant ils
appréhendent le vent nommé Africus », le vent de sud-ouest.
La situation est désastreuse du point de vue topographique
car la côte, à cet endroit, n’offre aucune formation naturelle qui
puise servir de point de départ à l’établissement d’un abri sûr.
Néanmoins, Hérode, qui ne s’appelait pas le Grand pour rien,
« se rendit, par ses soins, par sa dépense et par son amour de
la gloire, victorieux de la nature ».
A l’issue de douze années de travaux, la ville de Césarée s’est
dotée d’un port, plus grand que celui du Pirée. Tout navire en
route vers l’Egypte trouve refuge dans le port de Césarée et ils
sont nombreux.
Le port de Césarée grouille de vie. On y parle toutes les
langues de l’empire. Nommé Sebastos, Auguste en grec, en
hommage à l’empereur, il honore son parrain. Le souverain
veille d’ailleurs symboliquement sur les lieux. Au sommet
d’une butte artificielle qui domine le port et fait face à l’entrée,
se dresse un temple de pierre blanche dédié à César.
Du site monumental qui a tant impressionné ses visiteurs, rien
de visible ne subsiste aujourd’hui. On se perd aujourd’hui en
conjectures sur les raisons d’une décadence aussi rapide.
L’hypothèse d’un tremblement de terre a été avancée. Plus
simplement, les causes du déclin du port de Césarée sont
sans doute assez prosaïques. Hérode disparaît en -4. Le
commerce qu’il entretenait avec l’empire s’étiole. Son royaume
est divisé entre ses fils, qui se déchirent. L’entretien du port de
Césarée, immense, fastueux, sophistiqué, coûte cher.
[In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-B.GOUYON, p.
38 à 43]
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
6
CADRE DE VIE
Chapitre 3
Lac de Tibériade : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes »
Le royaume de Dieu est proche : Jésus l’annonce sur les bords du lac de Tibériade. Une région de pêcheurs
parmi lesquels le Christ choisit ses premiers compagnons. L’archéologie s’est intéressée à ces villages et a
identifié Capharnaüm, le village de l’apôtre Pierre.
Le lac de Tibériade est une vaste étendue d’eau de 65 km de
circonférence, dont le niveau moyen se trouve à 240 mètres
en dessous de celui de la mer. Les abords en sont très
contrastés selon la rive laquelle on se trouve. Au sud, elle est
escarpée, les falaises qui bordent le lac culminent à 500
mètres.
Cette partie sud du lac est également une zone de géothermie
des plus anciennes.
A l’opposé, aussi bien cardinal que géophysique, la partie nord
présente un visage bien moins tourmenté. Les rives
sablonneuses descendent en pente douce jusqu’à l’eau. Au-
dessus s’étend une plaine fertile. C’est ici que le Jourdain se
jette dans le lac. Les eaux de l’embouchure, riches en
matières organiques, sont poissonneuses. Les hameaux de
pêcheurs sont, de ce fait, nombreux.
Traversé à plusieurs reprises par Jésus au cours de son
ministère, le lac est une frontière naturelle entre la Galilée, la
Décapole (regroupement de dix cités hellénistiques de Syrie-
Palestine) et la région située sous l’autorité d’Hérode Philippe.
Le « concordisme », cette attitude qui cherche dans les
découvertes la preuve de ce que « la Bible a dit vrai », a
permis de reconnaître en trois endroits différents le village de
pêcheurs de Bethsaïde, donné dans les Evangiles pour la
patrie de trois des apôtres : Philippe, André et Pierre.
La localisation de Capharnaüm, sur la rive nord-ouest du
lac, ne souffre d’aucune incertitude. Là encore, il s’agit d’un
modeste village de pêcheurs : toutefois y était installé un poste
de douane. Celui qui voulait se rendre de Galilée en Décapole
devait acquitter un péage.
En plus des pêcheurs, vivaient donc là des collecteurs d’impôt
et les soldats d’une garnison. Exclusivement juive, la
population était imperméable à l’influence de l’Empire romain.
Dans ce modeste bourg, la tradition orale a fait vénérer, dès le
1er
siècle, une demeure en particulier. Les restes de l’édifice se
trouvaient sous les ruines d’une basilique byzantine
octogonale du début du Ve
siècle. Abondamment fouillée
depuis les années 1960, cette habitation est le bâtiment le
mieux connu du Capharnaüm du 1er
siècle. Elle se distingue
des autres par un grand nombre de graffitis en grec, hébreu et
syriaque, exécutés à même le sol, sur un pavement en chaux
battu, autre particularité de la maison. Elle présente en outre
les signes de nombreux aménagements successifs, destinés à
en faire un lieu de culte, une domus ecclesia.
Cette maison est considérée, aujourd’hui encore par les
pèlerins, comme celle de l’apôtre Pierre. Jésus aurait habité là
quand il venait à Capharnaüm, base de son périple en Galilée.
C’est de là qu’il serait parti pour se rendre, par exemple, à
Magdala, à une dizaine de kilomètres en suivant la rive
ouest du lac. Autant Capharnaüm était juive et pieuse, autant
la ville d’origine de Marie-Madeleine, la fameuse pécheresse,
était païenne et dissolue. Au 1er
siècle, très peu de juifs y
vivaient, le mode de vie des magdaléniens était fortement
teinté d’hellénisme.
Une autre ville fortement romanisée se trouve au bord du
lac : Tibériade, dans laquelle les Evangiles ne font pas passer
Jésus. Du reste, au commencement de son ministère, la ville
devait être à peine achevée. Hérode Antipas en fait débuter
les travaux vers 18-20 ap. J.-C. Il la nomme en hommage à
l’empereur Tibère, par lequel il a été éduqué.
L’endroit choisi pour l’établissement de la ville est, d’après
Flavius Josèphe, « le plus favorable de Galilée ». Toutefois,
Tibériade repose sur un cimetière, ce qui rend le site impur
aux yeux des juifs. Dès lors, pour peupler sa ville, Hérode
Antipas déplace des populations.
Certains manuscrits de l’Evangile de Jean situent la
multiplication des pains à proximité de Tibériade. Mais pour les
premiers chrétiens, le site était un peu plus au nord, au lieu-dit
Tabgha, ou en grec Heptapégon, ce qui signifie « sept
sources ». A cet endroit, sur la route entre Capharnaüm et
Magdala, un sanctuaire fut construit à l’époque byzantine pour
vénérer une pierre plate sur laquelle Jésus aurait déposé les
pains multipliés.
[In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-B.GOUYON, p.
44 à 51]
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
7
CADRE DE VIE
Chapitre 4
Une Galilée prospère mais agitée
Ses campagnes fertiles nourrissent des villes à demi-païennes et grouillant d’étrangers. Arrêtons-nous à
Nazareth, village où – selon les Evangiles – Jésus a grandi, et à Sepphoris, une capitale qui, à l’époque,
portait les couleurs honnies de Rome.
En grec, le toponyme « Galilée » vient de l’hébreu « gelil ha-
Goyim ». L’expression signifie « le district des non-juifs » et
désigne la partie nord de l’ancien royaume d’Israël. Zone
frontalière, limitée au nord-ouest par la Phénicie, à l’est parla
Décapole et au sud par la Samarie, la Galilée est un lieu de
passage de nombreuses caravanes. C’est une terre de
brassages ethnique et culturel, ce qui n’est pas sans générer
tensions et antagonismes entre la population locale, à majorité
rurale, et les « étrangers » qui viennent dans ses villes.
La majorité des galiléens vivent dans des bourgs, voire des
hameaux agricoles. L’un d’eux, Nazareth, a fait l’objet d’une
étude très poussée. Et pour cause, les Evangiles y font grandir
Jésus.
Les différentes enquêtes menées en ce lieu portaient l’espoir
d’identifier les deux maisons attachées, dans les Evangiles, à
l’enfance du Christ. Celle de Marie lorsqu’elle le conçut et celle
de Joseph, où l’enfant grandit. Diverses traditions orales,
toutes séculaires, attribuent cette qualité à quatre
emplacements dans l’ancien village. Chaque époque y a bâti
ses églises, dissimulant toujours davantage d’éventuels
vestiges.
A partir de 1955, lorsque débute les travaux de construction
d’une nouvelle basilique, les restes d’une habitation sont mis à
jour. Le lieu est considéré depuis toujours comme le théâtre de
l’Annonciation.
A en juger par tous les éléments recueillis, la production
agricole de Nazareth devait être foisonnante. Les paysans
écoulaient leur production sur les marchés des agglomérations
voisines, au premier rang desquelles Sepphoris.
Cette cité, située à sept kilomètres au nord-ouest de Nazareth,
est la capitale de la Basse-Galilée. Elle est, selon Flavius
Josèphe, « l’ornement » de la région. Les habitations, bâties à
la mode romaine, s’alignent le long de rues revêtues de
calcaire concassé. Les deux axes les plus importants de la cité
sont le Cardo maximus, orienté nord-sud, et le
Decumanus, orienté est-ouest.
Au carrefour de ces deux voies se dresse une « basilique
civile ». Quel était le rôle du bâtiment ? Sans doute
administratif mais nul ne peut l’affirmer aujourd’hui.
Un système d’adduction d’eau perfectionné parcourait toute la
ville.
Le mode de vie des Sepphoréens porte donc à la fois la
marque de Rome et de la culture hellénistique que véhicule
l’empire.
Toutefois, Sepphoris n’était pas peuplée que de citoyens
romains ou assimilés. Certains des habitants étaient de
religion juive. Cependant, aucune trace de synagogues du 1er
siècle apr. J.-C. n’a été retrouvée.
Siège du pouvoir d’origine romaine qui contrôle la région,
Sepphoris focalise, comme telle, le ressentiment des
populations environnantes.
En 66 après J.-C., Sepphoris obtient l’aide et la protection du
général romain Vespasien contre les populations juives
environnantes, qui se font menaçantes. La ville refuse ensuite
de se dresser contre Rome lorsqu’éclate la fameuse guerre
des Juifs, qui va enflammer toute la Galilée.
[In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-B.GOUYON, p.
52 à 58]
Jésus est-il bien de Nazareth ?
C’est un fait, le nom de Nazareth est absent des sources historiques jusqu’au IIIe
siècle de notre ère. Cela ne signifie pas que le village
n’existait pas avant, la présence humaine sur les lieux remonte à la fin du IIIe
millénaire avant notre ère. Mais il découle de cette lacune
la méconnaissance de la manière dont les habitants du village étaient nommés au 1er
siècle.
L’enracinement du personnage Jésus à Nazareth vient de ce que l’Evangile de Marc le désigne à l’aide de l’adjectif « nazarénien », qui
signifie de « Nazareth ». Toutefois, les Evangiles de Matthieu et Jean n’emploient jamais ce terme, mais celui de « Nazoréen ». Ainsi
que l’indique Marie-Françoise Baslez, professeur d’histoire grecque à l’Université Rennes II, « ce qualificatif est phonétiquement trop
éloigné de Nazara, Nazareth en grec, pour être une indication d’origine, à moins d’envisager une transcription intermédiaire en
araméen ».
Nazoréen renvoie en revanche à une tendance du judaïsme de l’époque, caractérisée par une stricte observance de la loi mosaïque.
On peut y lire aussi une déclinaison du radical hébreu « neser », qui signifie rejeton.
« Une incertitude qui traduit la faiblesse de la tradition orale », conclut M.-F. Baslez.
[In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-B.GOUYON, p. 52 à 58]
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
8
« Fais des recherches et tu verras : de la Galilée, il ne surgit pas de prophètes. » (Jn 7,52)
Il n’est pas exagéré de dire que les textes de la première Alliance, rédigés en grande majorité à partir du royaume de Judée, ont eut
tendance à dévaluer ce qui venait du royaume du nord, Israël : monarques jugés infidèles, temples dissidents, cultes idolâtriques. Cette
attitude, face à laquelle il y a toujours lieu d’être sur ses gardes quand on lit la Bible, a eu longue vie. Il n’est donc pas surprenant que le
quatrième évangéliste mette dans la bouche de certains pharisiens de Judée la parole suivante adressée à Nicodème : « Serais-tu de
Galilée, toi aussi ? Fais des recherches et tu verras : de la Galilée, il ne surgit pas de prophète » (Jn 7,52). Ou qu’après l’échec de la
seconde révolte juive (135), les scribes et les pharisiens, qui fuiront la Judée pour s’installer en Galilée, n’éprouveront encore que
mépris pour le « peuple du pays ».
Au VIIIe
siècle avant notre ère, le royaume du Nord fut envahi par l’Assyrie qui le vida de ses élites, forçant les petits villages galiléens à
suivre leurs propres us et coutumes sans être contrôlés par un gouvernement central. La situation sera la même sous les régimes perse
et hellénistiques. Pendant huit siècles, la Galilée ne fut qu’à peine vingt ans sous influence directe du Sud. Ce fut à la fin du VIIe
siècle,
au temps de Josias, qui envahit le Nord pour en détruire les temples et massacrer les prêtres (2 R 23,15-20), au profit du Temple de
Jérusalem, désormais seul de son espèce. Il est permis de penser que les Galiléens ont longtemps gardé le souvenir des gestes de
Josias, et sont restés peu enclins à transférer leur affection cultuelle au Temple de Jérusalem.
En 104 avant notre ère, profitant de la faiblesse du pouvoir hellénistique situé à Antioche, les Hasmonéens de Judée envahissent le
Nord. Pour la première fois (depuis Salomon ? Cf. « La Bible dévoilée »), la Galilée est soumise aux grands-prêtres de Jérusalem, au
Temple et aux taxes sacerdotales. En 63 avant notre ère, c’est au tour des romains d’envahir le pays. Ils confirment l’hégémonie
hasmonéenne. Des troubles éclatent en Galilée. En 40 avant notre ère, Rome permet à Hérode le Grand de s’emparer de la Galilée. Lui
aussi se doit de faire financer ses imposantes constructions en taxant la population. Des révoltes sporadiques se produisent.
A la mort d’Hérode le Grand, l’insurrection éclate, sous la conduite d’un roi populaire, Judas fils d’Ezéchias. La répression romaine est
dure dans les environs de Nazareth. Hérode Antipas hérite de la Galilée, qu’il gouverne de -4 à 39. Pendant presque tout le 1er
siècle, la
Galilée a une autre administration que celle de la Judée. En 4 avant notre ère, Hérode rebâtit Sepphoris puis, une quinzaine d’années
plus tard, il fonde Tibériade d’où il dirige et taxe la Galilée. Faut-il s’étonner, alors, de cette parole de Flavius Josèphe à propos des
Galiléens : « Ils éprouvaient autant de haine pour les habitants de Tibériade que pour ceux de Sepphoris » (Vie, 384) ?
La Galilée a vécu sa propre façon de comprendre les traditions israélites. Elle a toujours été étrangère à la mystique de la pérennité de
la lignée davidique et à l’attente du roi idéal ou messie qui naîtrait de cette lignée. Elle n’est pas partie prenante de la mise en forme de
la Tora, de l’interprétation judéenne de l’histoire ou de la rédaction du corpus prophétique.
Juif, on l’est, mais pas de la même manière qu’en Judée. Tout cela, on le devine, n’est pas sans importance pour comprendre l’homme
de Nazareth.
C’était un Galiléen
1. Jésus est de Galilée (Jn 7,41-42), vraisemblablement de Nazareth, et non de Judée (Bethléem) où les scribes chrétiens
(judéens d’origine ?) situeront sa naissance (Mt 2,1-6), dans le but évident d’établir un parallèle avec la patrie de David (1 S
16,1-13).
2. Le Nazaréen a passé toute sa vie en territoire occupé.
3. Comme la plupart des Galiléens, Jésus n’a pas étudié (Jn 7,15 ; Ac 4,13). Les conflits des évangiles témoignent des efforts
des classes dirigeantes du Sud pour imposer leur vision de la vie israélite à la Galilée. En Jésus, c’est le peuple de la Galilée
qui résiste aux pressions du Sud.
4. C’est un prophète du Sud, Jean le Baptiste, qui sera le catalyseur d’un changement radical dans la vie du charpentier de
Nazareth. Il revient vite en Galilée, peut-être dès après l’arrestation de Jean (Mc 1,14). Et les deux ou trois dernières années
de sa vie se passent presque exclusivement dans un rectangle d’environ 15 km par 5 km, couvrant le nord/nord ouest du lac
englobant Magdala, la plaine de Génésareth, Capharnaüm, Chorazin et Bethsaïde. Exceptionnellement, il se rend dans la
Décapole ou dans la région de Tyr et de Sidon, mais il évite la Judée (Jn 7,1).
5. S’opposant symboliquement à l’idéal centralisateur du Sud, en particulier à son attente messianique d’un leader idéal issu de
la lignée de David, il annonce un retour à l’antique mode de gouvernement et s’entoure de douze partisans destinés à
gouverner les douze tribus d’Israël (Mt 19,28). Il n’envisage aucune tâche de gouvernement pour lui-même, il ne sera ni chef
de tribu, ni roi populaire selon la tradition du Nord encore moins (voir Jn 7,41).
6. Dans une Galilée dévastée par l’occupant romain et ses alliés de Jérusalem, il œuvre pour redonner la santé à ses gens,
rétablir leur dignité, défendre leurs coutumes, abolir leurs dettes, contrer leur faim, rendre l’espoir possible. Il n’est pas
surprenant qu’on ait rêvé de lui comme d’un roi populaire, capable de libérer son peuple (Jn 6,15).
7. Après deux ou trois ans d’activité, il décide de se rendre à Jérusalem y dénoncer le système mis en place pour opprimer sa
Galilée. Dans un geste symbolique percutant, il annonce la fin du Temple. Son geste ne pouvait rester impuni (voir Jr 7,26).
8. On le crucifie comme prétendant royal : « le roi des Juifs » (Mc 15,26). On ne peut mieux nier le sens de l’engagement le
sens de son engagement.
9. Ses partisans ont fui en Galilée (Mc 14,50).
10. C’est ainsi que l’évènement Jésus se termine, avant que, selon certains, tout ne recommence. En Galilée, bien sûr (Mc
16,7) !
[Le monde de la Bible, hors série 2002, p. 23 à 27. André MYRE, professeur à la faculté de théologie de l’Université de Montréal]
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
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Jésus face à l’Archéologie & à l’Histoire
L’EMERGENCE D’UNE PENSEE
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
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L’EMERGENCE D’UNE PENSEE
Chapitre 1
La terre de tous les particularismes
Au 1er siècle avant J.-C., la Terre promise est loin d’être un pays homogène. Hors de Jérusalem, les juifs sont
noyés dans un ensemble de communautés ouvertes ou soumises à toutes les influences.
Accrochée au flanc de collines ou blottie au creux de vallées,
Jérusalem prospère à l’ombre du Temple. Dans les rues de la
ville millénaire une foule de passants arbore des costumes
aussi divers que leurs dialectes. Jérusalem est en effet un
formidable creuset humain, une référence à l’échelle de la
Palestine tout entière. A la population locale, se mêlent les
étrangers attirés, comme en toute capitale, par leurs affaires et
des juifs de la diaspora venus déposer leurs offrandes au
Temple.
Au début du 1er
siècle de notre ère, Jérusalem vit ses
dernières décennies de relative tranquillité. En 70 s’abattra sur
le peuple juif un des plus grands fléaux de son histoire : la
prise de Jérusalem par les armées de Titus et la destruction
définitive du second et dernier Temple. Mais, pour l’heure, la
ville apparaît sous un jour moins sinistre aux yeux d’un
prophète venu de Nazareth. Les particularismes locaux, forgés
au fil des vicissitudes qu’a connues cette terre, demeurent
toutefois marqués et Jésus doit probablement se sentir
quelque peu étranger en Judée, avec ses usages et son
accent galiléens. La région la plus septentrionale de la
Palestine est en effet considérée avec un certain mépris par
les habitants de Judée, comme en témoigne cette boutade :
« De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? » (Jn
1,46). Il n’y a guère que la Samarie qui l’emporte en discrédit
aux yeux de la population judéenne.
Bien que partageant la même religion, les juifs du 1er
siècle
sont loin de constituer un groupe homogène et majoritaire en
Palestine. Considérons les Judéens (pop. de l’ancien royaume
du Sud – Juda, cap. Jérusalem) et les Samaritains (pop. de
l’ancien royaume du Nord – Israël, cap. Samarie). Les
Samaritains, dénigrés par les premiers, sont eux-mêmes issue
de croisement d’Israélites – non déportés lors de la chute du
royaume du Nord (-722) – avec des immigrés installés par les
conquérants assyriens. Le fossé qui sépare les deux groupes
se creuse au retour d’Exil des Judéens, déportés à leur tour,
lors de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor II (-587).
Judéens et Samaritains s’affrontent en outre sur des questions
théologiques. Les seconds ne reconnaissent ni les écrits
postérieurs au Pentateuque, ni la spécificité du Temple de
Jérusalem, disposant jusqu’à la fin du IIe
siècle av. notre ère
de leur propre sanctuaire sur le mont Garizim.
Revenus de Babylone à l’avènement de la dynastie
achéménide, les juifs de Judée s’étaient rassemblés autour du
Temple reconstruit, sous l’autorité d’un grand prêtre et la
stricte observance d’une même loi. La Torah régit pour ainsi
dire l’ensemble de la vie d’une population dont la spécificité la
distingue de ses voisins parfois jusqu’à l’opposition. Mais bien
vite, l’Empire achéménide fait place à Alexandre et à
l’émergence des royaumes hellénistiques qui étendront
successivement leur domination sur la Palestine. Dès le IVe
siècle avant notre ère, Jérusalem doit faire face à une nouvelle
menace, la séduction de l’hellénisme.
Au début du 1er
siècle de notre ère, les dynasties locales,
asmonéenne (famille juive appelée aussi « Maccabées » qui
sonne la révolte contre les Séleucides et règne sur la Judée de
167 à 63 av. J.-C.) ou hérodienne, ont fait place à des
fonctionnaires romains, garants du pouvoir de l’empereur.
Cette chancellerie, dont le siège se situe à Césarée Maritime,
port créé par Hérode le Grand sur le littoral méditerranéen, se
double d’autorités locales, siégeant à Jérusalem. Dans cette
ville si particulière, politique et religion sont intimement mêlées
et le grand-prêtre, bien que soumis au pouvoir romain, occupe
le sommet de la hiérarchie. Il préside le Sanhédrin ou Conseil
des Anciens qui gère les affaires intérieures. Ces
personnalités instruites, en plus de s’exprimer en hébreu, la
langue liturgique, et en araméen, la langue vernaculaire,
devaient aussi manier le grec sans difficulté.
Cependant, chez la grande majorité de la population de
Jérusalem. L’araméen et l’hébreu dominaient sans conteste.
Enfin, outre cette population de souche locale, il convient de
mentionner les convertis au judaïsme qui, quittant leur terre
d’origine, viennent s’établir avec leur spécificité culturelle et
linguistique au plus près du Temple.
Mais passées les généralités, bien rares sont les témoignages
qui permettent de recueillir des indices concernant l’origine
ethnique d’une population.
Le brassage de populations qui caractérisait la ville sainte du
peuple juif ne devait très probablement pas surprendre Jésus.
La Galilée de son enfance constitue elle aussi une région,
souvent turbulente, où diverses ethnies et cultures se côtoient.
En effet, d’abord concentrés en Judée, les juifs ont
progressivement émigré, dès le IVe
siècle avant J.C., vers des
régions périphériques telles que la Galilée, au nord, l’Idumée,
au sud, la Transjordanie, sur l’autre rive du Jourdain ou la
Syrie du Sud. A ces mouvements de populations, s’ajoutent
les conquêtes militaires qui, aux époques asmonéenne et
hérodienne, engloberont dans ces royaumes successifs une
très grande partie du pays. Ainsi, à l’exception du cas
particulier de Jérusalem et de ses environs immédiats, les juifs
se mêlent pratiquement partout à des païens de souches
diverses, au point de se retrouver parfois minoritaires.
Ces différences ethniques se doublent de divergences
culturelles puisque le judaïsme de Galilée diffère de celui de
Jérusalem. Cantonnées en quelque sorte au nord du pays, loin
du Temple et de ses sacrifices précisément établis, les
célébrations religieuses des Galiléens se concentrent sur les
synagogues qui, déjà présentes, fleuriront après la destruction
du Temple et de l’émigration d’une partie des juifs de Judée
vers le Nord.
Enfin, la côte palestinienne conserve toute sa spécificité.
L’ancienne terre des Phéniciens reste en effet très
majoritairement païenne tandis que plusieurs villes de
l’intérieur du pays gardent le souvenir de leur fondation en tant
que colonie phénicienne.
Cependant, ces différences ne constituent pas les seules
pierres d’achoppement d’une réalité multiple. Aux divergences
qui distinguent les franges de populations de retour de
Babylone et celles qui n’ont jamais quitté la Terre promise,
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
11
s’ajoutent d’autres conflits à partir du IVe
siècle av. J.-C. et la
conquête d’Alexandre. On voit alors s’affronter les clans
traditionnalistes et ceux que le mode de vie grecque fascine au
point d’en maîtriser les usages et la langue. D’abord
relativement discrète, cette opposition se cristallise durant la
première moitié du IIe siècle av. J.-C. lors de la Révolte des
Maccabées, opposés au parti helléniste. Ce soulèvement
contre le royaume séleucide et les partisans locaux de
l’hellénisme donnera naissance à la dynastie asmonéenne.
L’indépendance politique de celle-ci prendra fin en -63, lorsque
les romains interviendront dans les affaires du royaume
confirmant ensuite sur le trône Hérode le Grand (-37). La
domination romaine, loin de calmer les esprits, entraîne des
troubles qui scelleront le sort de Jérusalem au cours de la
seconde moitié du 1er
siècle de notre ère.
A l’occupation romaine privant les juifs de la souveraineté, se
superposent les conséquences d’une crise sociale. Alors que
les notables d’autres provinces s’ouvrent aux habitudes
grecques et romaines et travaillent à leur élévation sociale au
sein de l’Empire, les juifs se recentrent sur leurs
particularismes. Cette instabilité latente constitue ainsi le
ferment d’une agitation endémique laissant le champ libre aux
prédicateurs et figures charismatiques les plus variés,
annonçant l’arrivée d’un messie considéré comme un guide
capable de restaurer un état juif indépendant.
Les quelques réflexions qui précèdent montrent, si besoin en
était, que la Palestine du 1er
siècle de notre ère est loin de
constituer un ensemble équivoque. Ces divergences
culturelles, spirituelles et religieuses intimement liées ont fourni
sans conteste une assise à la prédication d’un prophète venu
de Galilée.
[In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, S.BONATO-
BACCARI, p. 60 à 63]
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
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L’EMERGENCE D’UNE PENSEE
Chapitre 2
Un judaïsme pluriel
Au 1er siècle de notre ère, le judaïsme est en pleine effervescence. Alors même qu’ils sont unis par leur foi en
Dieu et la conviction d’appartenir à une même nation, plusieurs courants s’affrontent et tentent de s’affirmer.
Du judaïsme au 1er
siècle il faut parler au pluriel. Flavius
Josèphe l’avait très bien compris. Dans « Les Antiquités
judaïques », il présente à ses lecteurs trois « hérésies » (du
grec hairesis, qui signifie ici école philosophique) : les
Pharisiens, les Sadducéens, les Esséniens et également une
quatrième option, celle de radicaux qui s’opposent violemment
à Rome.
Un autre courant, celui des baptistes, participe au
bouillonnement du judaïsme di 1er
siècle : Flavius Josèphe ne
les cite pas dans ces « hérésies » mais consacre tout de
même, dans une autre partie de son œuvre, un
développement à Jean le Baptiste.
I. Les Pharisiens
Les Pharisiens sont nombreux (Flavius Josèphe en dénombre
6000 en Palestine) et exercent une influence grandissante. A
l’origine, le terme signifie « séparé ». Leurs adversaires les
accusaient en effet de se séparer soit de la vraie tradition, soit
du pouvoir royal asmonéen. L’ambition des Pharisiens était
d’appliquer la pureté sacerdotale à la vie quotidienne.
Pour que tout Israélite puisse vivre dans l’état de pureté que la
Torah réclamait des seuls membres du sacerdoce, les
Pharisiens ont une approche évolutive : ils n’hésitent pas à se
servir de la tradition voire, le cas échéant, à la rénover pour
rendre la Torah plus praticable.
Mais le pharisaïsme n’était pas monolithique : jusqu’à la
destruction du Temple en 70, deux écoles dominent au sein du
groupe. Elles se réfèrent à deux maîtres, Hillel et Chammaï,
qui ont enseigné sous Hérode le Grand et au début du 1er
siècle. Leurs positions par rapport à la Torah sont souvent
résumées en disant que Hillel « allège » tandis que Chammaï
« aggrave ».
Dans les Evangiles, les Pharisiens sont rudoyés. Ils sont
décrits comme ostentatoires, et formalistes. Dans l’Evangile de
Matthieu, Jésus prononce sept malédictions contre ceux qu’il
traite d’engeance de vipères et de Pharisiens hypocrites. Une
autre phrase tirée de ce même Evangile montre pourtant que
le désaccord n’est pas si grand : « Sur la chaire de Moïse se
sont assis les scribes et les Pharisiens : faites donc et
observez tout ce qu’ils pourront vous dire, mais ne vous réglez
pas sur leurs actes, car ils disent mais ne font pas ».
En fait, soulignent Jérôme Prieur et Gérard Mordillat dans
« Jésus illustre et inconnu », les piques adressées aux
Pharisiens sont le témoignage d’une proximité (donc d’une
rivalité d’autant plus vive) entre la démarche du Christ et la
leur : « Les Pharisiens des Evangiles […] sont des adversaires
auxquels on est prêt à ôter leurs propres qualités pour en
conserver le bénéfice exclusif ».
Une phrase du maître pharisien Hillel montre cette proximité.
Le Talmud de Babylone affirme que toute sa pensée était
réunie dans sa formule : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne
voudrais pas qu’on te fasse à toi-même. Cela est toute la
Torah, le reste n’est que son explication ». On retrouve là des
thèmes de la prédication de Jésus.
II. Les Sadducéens
Aux Pharisiens s’opposent les Sadducéens. Le mot
« sadducéen » est compris habituellement comme faisant
référence à Sadoq, établi par le roi Salomon à la tête des
prêtres de Jérusalem. En se revendiquant de Sadoq, les
Sadducéens affirment la place centrale que doivent avoir les
prêtres, en particulier le grand prêtre du Temple de Jérusalem.
La complexité de la chose vient de ce que les Sadducéens ne
sont pas un groupe strictement sacerdotal.
L’opposition entre Pharisiens et Sadducéens est bien résumée
par Flavius Josèphe : « Je veux maintenant dire simplement
que les Pharisiens avaient introduit dans le peuple beaucoup
de coutumes qu’ils tenaient des anciens, mais qui n’étaient
pas inscrites dans les lois de Moïse et que, pour cette raison,
le groupe des Sadducéens rejetait, soutenant qu’on ne devait
ne considérer comme des lois que ce qui était écrit, et ne pas
observer ce qui était transmis seulement par la Tradition […] ».
Derrière cette controverse, une concurrence : Sadducéens et
Pharisiens s’opposent sur le droit d’enseigner la pratique de la
Torah au peuple. Ce droit, dévolu aux prêtres par la Torah, fut
de plus en plus observé par les Pharisiens, mouvement laïque.
III. Les Esséniens
Les Esséniens constituent le troisième courant décrit par
Flavius Josèphe. Leur connaissance a été profondément
renouvelée par la découverte des premiers rouleaux de
Qumrân, en 1947, puis les fouilles de Khirbat Qumrân et Aïn
Fechka. Jusqu’à cette date, on ne connaissait les Esséniens
que par des données littéraires indirectes.
Le sens profond de la démarche des Esséniens est la
refondation d’Israël à partir du désert, loin des autorités et du
Temple de Jérusalem, avec une idée d’urgence : la fin est
proche, un Messie (dédoublé en un Messie-prêtre et un
Messie-roi) est attendu pour bientôt.
Or, pour les Esséniens, les sacrifices accomplis au Temple de
Jérusalem sont incapables d’amener le pardon de Yahvé. Il
faut aller plus loin et se donner pour but d’accomplir la loi de
Moïse dans son extrême rigueur. L’opposition aux Pharisiens
(et à Jésus) est ici très nette.
IV. Les Baptistes
Cette idée que le Temple de Jérusalem ne peut assurer le
pardon de Yahvé se retrouve chez les Baptistes. Le
mouvement de Jean le Baptiste est le mieux connu grâce au
Nouveau Testament, mais la littérature rabbinique ou
patristique mentionne d’autres mouvements, tels les
« hémérobaptistes » (« baptistes quotidiens ») ou mes
« baptistes du matin ».
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
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On peut de prime abord se demander quelle est l’originalité de
ces mouvements, tant l’importance des rites d’eau est grande
chez les Esséniens ou les Pharisiens. Mais chez les Baptistes,
il ne s’agit plus d’ablutions rituelles. « Pratiqués dans l’eau
courante, les rites baptistes entendent bien pardonner les
péchés et se substituer ainsi aux sacrifices prévus par le rituel
du Temple. Là est la grande originalité des groupes
baptistes », explique Jean-Pierre Lémonon dans « Le Monde
où vivait Jésus ». Entre la levée des empêchements rituels, et
la levée des péchés, la différence est considérable. C’est tout
le système du Temple qui est menacé par cette évolution.
Parmi les Baptistes, le mouvement de Jean a frappé les
contemporains. Il est décrit par Flavius Josèphe comme « un
homme de bien qui exhortait les juifs a exercer la vertu, à
pratiquer la justice les uns envers les autres et la piété envers
Dieu, à se réunir par un baptême ».
Le baptême de Jean comprenait deux singularités dont
héritera le baptême chrétien. A la différence des diverses
ablutions juives et même du baptême des hémérobaptistes, le
candidat ne se lave ni ne se baigne lui-même, ce rite lui est
administré par un autre. En outre, ce rite n’est pas réitérable
alors que l’ablution et les autres baptêmes relèvent d’une série
indéfinie. Il est un acte unique « comme est unique et définitif
le jugement qu’il est censé prévenir », (Simon Légasse, cité
dans « Le Monde où vivait Jésus »).
Le ministère de Jean deure probablement de l’automne 27 à la
fin de l’an 28. Il est ensuite exécuté par Hérode Antipas. Les
Evangiles reconnaissent que Jésus devint l’un de ses
disciples, mais ils cherchent tous à marquer la supériorité de
Jésus sur Jean le Baptiste. Dans l’Evangile de Marc, le
Baptiste se revendique comme un simple éclaireur : « Vient
derrière moi celui qui est plus fort que moi, dont je ne suis pas
digne en me courbant de délier la courroie de ses sandales ».
Ensuite, la prédication de Jésus, telle qu’elle est décrite dans
les Evangiles, s’éloigne de celle du Baptiste puisqu’il ne
recourt plus au rite de l’eau. Il est « un Baptiste qui bientôt ne
baptisera plus » (J.-P. Lémonon).
Pharisiens, Sadducéens, Baptistes,
Esséniens… Quand on mentionne ces différents courants,
l’insistance didactique sur ce qui les différencie peut faire
oublier tout ce qui les rassemble. Ces différents groupes sont
cependant reliés par la foi au Dieu unique, la conscience d’être
un peuple de témoins au milieu des nations, la volonté de
refaire d’Israël la parfaite communauté de l’alliance, comme au
temps du désert. Chez beaucoup, aussi, se répand une fièvre
apocalyptique. Le sentiment que la fin n’est pas loin, et que
comme il est dit dans l’Evangile de Matthieu « la cognée se
trouve à la racine des arbres », est largement partagé.
Après 70, ce judaïsme bouillonnant et pluriel va devenir un
judaïsme codifié, unifié, sous l’égide du pharisaïsme, seul
courant à survivre à la guerre juive et à la destruction de
Jérusalem. La tradition rabbinique est l’héritière de ce courant
pharisien.
[In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-F.MONDOT, p.
64 à 68]
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14
Les esséniens de Qumrân : précurseurs du Christ ?
Parmi les manuscrits de la mer Morte, découverts au milieu du XXe siècle, certains textes renseignent sur le mode de
vie et les préceptes de ceux qui les ont écrits : les esséniens. D’aucuns ont voulu y voir des liens entre cette secte juive
et le christianisme naissant.
La tradition veut que ce soit un jeune bédouin de la tribu des Ta’amireh qui soit à l’origine, en 1947, de la découverte de ce qu’il est
depuis convenu d’appeler les Manuscrits de la Mer Morte. Aujourd’hui, en 2004, ces manuscrits ont été presque tous publiés, après
bien des déboires, quelques controverses et beaucoup de suspicion. Un travail de titan a été nécessaire pour établir des textes à partir
du puzzle de ces milliers de fragments épars n’offrant le plus souvent que des brides, très lacunaires, de textes. Sont désormais
accessibles les 95% environ des 800 rouleaux découverts dans les onze grottes surplombant le site de Khirbet Qumrân, initialement
fouillé par le père de Vaux, sur le versant ouest de la mer Morte où les restes d’une communauté essénienne de type monastique ont
été retrouvées. Rédigés en hébreu, en araméen et en grec, ces textes, bien que très fragmentaires à l’exception d’une douzaine
provenant principalement des grottes 1 et 4, ont profondément bouleversé notre connaissance de l’Ancien Testament et apporté un
éclairage nouveau sur la diversité du judaïsme contemporain de la naissance de l’ère chrétienne. Plus particulièrement, ces manuscrits
ont fourni de substantiels renseignements sur la secte essénienne, dont nous ne connaissions guère plus que ce que Philon
d’Alexandrie et Flavius Josèphe en avaient rapporté.
Il s’agit pour une bonne part, de textes bibliques. Ce sont les plus anciens que nous connaissions : avant 1947, nous n’avions à
disposition que des copies médiévales. La rédaction de ces écrits s’échelonne du début du IIe
siècle avant J.-C. à 68 après, date à
laquelle le monastère de Qumrân a été détruit par les romains. L’ensemble des manuscrits de la mer Morte peut être classé selon trois
grandes catégories.
Des écrits bibliques tout d’abord. A l’exception du Livre d’Esther, nous avons là des fragments de tous les textes de la Bible hébraïque
telle qu’elle nous est parvenue aujourd’hui.
Mais outre ces textes canoniques, les anfractuosités dominant Qumrân ont aussi fourni nombre d’apocryphes de l’Ancien Testament. Il
s’agit de textes parabibliques qui nous renseignent sur la diversité des croyances au sein du judaïsme à l’aube de l’ère chrétienne.
Enfin, on y a trouvé une grande quantité de livres sectaires, directement liés à la communauté occupant le site en contrebas et
permettant d’en éclairer la nature.
Sur le site lui-même, les ruines masquent les traces d’une occupation très ancienne, datant de l’âge de fer, probablement du VIIIe
ou
VIIe
siècle avant J.-C. Ce n’est qu’au cours du IIe
siècle que la présence essénienne ne peut être attestée.
Le judaïsme des esséniens est en rupture avec le pharisaïsme sur bien des points. La communauté se veut indépendante du Temple
de Jérusalem qu’elle semble juger illégitime. Les esséniens sont en outre en désaccord avec le Temple à propos du calendrier des
célébrations. Les textes proprement esséniens de Qumrân révèlent enfin l’attente eschatologique et le messianisme de la secte. Le
personnage du « Maître de Justice », fondateur de la communauté est présenté lui-même comme le restaurateur de l’Alliance d’Israël
avec Dieu, et ne semble attendre la venue d’aucun autre Messie. En revanche, d’autres textes, des périodes correspondant à la
naissance du christianisme, se présentent comme des prophéties messianiques. Ce messianisme est même double puisque les textes
annoncent la venue d’une part d’un Messie sacerdotal, un prêtre donc, et d’autre part celle d’un Messie davidique.
Ces caractéristiques de l’essénisme qumrânien ont bien évidemment échauffé de nombreux esprits. Certains ont même cru lire dans
ces manuscrits la mention d’un Messie « crucifié ». Il a parfois été aussi suggéré Jean-Baptiste était essénien.
L’attente eschatologique dont témoignent les écrits esséniens a elle aussi suscité des rapprochements hâtifs entre la secte et le
christianisme naissant. Emile Puech, directeur de recherche au CNRS, peut donc conclure : « En définitive, s’il est difficile de trancher si
Jean a connu ou non les esséniens de Qumrân, il est sûr qu’il n’a jamais été leur adepte, à moins d’avoir totalement changé de cap ».
Jésus était-il une incarnation du Messie davidique attendu par les esséniens ? De fait l’annonce d’un « royaume éternel » grâce à
la venue du « Fils du Très-Haut » que l’on retrouve dans les manuscrits de Qumrân n’est pas sans rappeler l’Evangile de Luc : « Lui, Il
sera grand. Il sera appelé Fils du Très-Haut. Il règnera à jamais et son règne n’aura pas de fin ». Toutefois, même si les rédacteurs des
Evangiles, et en particulier Luc et Matthieu, peuvent être ainsi rapprochés d’une tradition juive, tant du point de vue des thèmes abordés
que des expressions et formes littéraires utilisées, Emile Puech précise que « la présentation messianique des Evangiles diffère
totalement de celle des textes esséniens ». La résurrection qu’annoncent les textes esséniens ne revêt pas le caractère universel des
textes chrétiens mais est réservée aux seuls justes (soit les esséniens seuls). En outre, le respect littéral et sans concession de la Loi
dont font montre les esséniens semble assez incompatible avec l’enseignement du Christ. Emile Puech en conclut que « la dimension
universelle de la figure messianique de Jésus, livré pour le salut de la multitude, tranche d’autant plus sur le caractère fermé du courant
essénien. Le baptême au nom de Jésus pour le pardon des péchés et le don de l’Esprit ne peut en rien se comparer à quelque ablution
rituelle, signifiant une purification passagère et répétitive ». Aussi serait-il exagéré et hâtif de voir dans le christianisme naissant une
extension de l’essénisme. Ce serait minimiser la nouveauté des Evangiles. Tout au plus peut-on voir dans les textes chrétiens les
traces de diverses traditions littéraires juives.
[In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, P.DESCAMPS, p. 70 à 77]
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
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Jésus face à l’Archéologie & à l’Histoire
LES RELIQUES DU CHRIST
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
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LES RELIQUES DU CHRIST
Chapitre Unique
Fragments de preuves ?
Apparues au IVe siècle, les « reliques du Christ » répondent aux attentes des croyants pour lesquels le récit
des Evangiles ne saurait être mis en doute. Ce n’est que bien plus tard qu’elles sont chargées de prouver la
véracité de ces écrits. Mais ont-elles été inventées dans ce but ?
Nul ne mentionne les reliques du Christ pendant les trois
premiers siècles de notre ère. Puis, au IVe
siècle, en 325
précisément, à l’issue du concile de Nicée, qui établit la
première définition de l’orthodoxie chrétienne, l’empereur
romain d’Orient, Constantin le Grand, converti au christianisme
en 310, ordonne à Macaire, évêque de Jérusalem, de faire
rechercher puis dégager le tombeau du Christ. L’année
suivante, l’impératrice Hélène, mère de l’empereur, se rend à
Jérusalem. Alors qu’elle se trouve dans la ville, le Saint-
Sépulcre est retrouvé et, non loin, trois croix sont exhumées :
celles du Christ et des deux larrons. Celle qui sera appelée
traditionnellement la « Vraie Croix » est reconnue lorsqu’un
malade qui la touche est guéri.
Au cours des siècles suivants, cette procédure
d’authentification rapportée dans la légende est la seule qui
sera admise comme valable. Une relique est authentique si
elle joue son rôle de relique : si elle fait des miracles.
Outre la Croix, l’impératrice découvre le titulus, l’écriteau placé
sur la Croix et portant la célèbre mention en trois langues
« Jésus le Nazaréen, roi des Juifs », les clous et la tunique
que portait le Christ sur le chemin de croix. Selon la légende,
elle fit don de ce vêtement à Trêve, sa ville natale…
Lors de son séjour, Hélène localise aussi le Golgotha et le
jardin des Oliviers. De passage à Bethléem elle identifie la
grotte de la Nativité. En tous ces lieux, son fils ordonne la
construction de basiliques, qui deviennent dès lors le but de
nombreux pèlerinages.
Car il s’agit de bâtir un pont entre Jérusalem, pôle religieux et
de l’Empire romain d’Orient, et Constantinople, la capitale
politique. Les premiers empereurs chrétiens de Constantinople
jettent les bases d’un système politique que l’on qualifiera de
« césaropapisme ». Une situation où le religieux est
subordonné au politique. La Croix, inventée par la mère de
l’empereur, appartient symboliquement à ce dernier. En la
laissant à Jérusalem, il affirme sa présence dans la ville. Mais
par le fragment qu’il conserve à Constantinople, l’empereur
signifie la présence du Christ à ses côtés.
A la suite d’Hélène, de fervents pèlerins affluent à Jérusalem.
Les lieux essentiels des Evangiles sont tous repérés.
Jusqu’aux éléments les plus immatériels. En 409, l’évêque
Paulin de Nole raconte que la poussière qui couvre l’endroit où
la tradition situe l’Ascension, conserve l’empreinte des pieds
du Christ.
Tandis que les pèlerins dressent l’inventaire géographique des
lieux saints, le clergé local leur fournit les objets évoqués dans
les Evangiles et qu’ils s’attendent à trouver sur place. Le calice
de la dernière cène, le vase des noces de Cana… Quand à la
question de la conservation à travers le temps, la réponse est
simple : le contact avec le Sauveur les a rendus incorruptibles.
Constantin et ses successeurs engagent pendant ce temps un
vaste mouvement de concentration des reliques du Christ à
Constantinople, jusqu’au VIIe
siècle, où la ville finit par cumuler
les fonctions de capitale politique et religieuse. Car en 638,
Jérusalem, prise par les Arabes, échappe à la chrétienté. Les
reliques disponibles sont alors déplacées à Constantinople.
Instrument politique, les reliques sont aussi une source
considérable de revenus. Jusqu’au XIIIe
siècle, les pèlerins
affluent de tout l’Occident pour les voir ou au moins les
approcher dans la chapelle de la Vierge du Phare, située dans
le palais impérial.
En 1204, les Croisés de la 4ème
croisade s’emparent de la ville
et de ses reliques. Quarante-trois ans plus tard, l’empereur
Baudouin II, ruiné, les met en gage auprès des Vénitiens. Mais
finalement, c’est à Paris qu’elles arrivent. Le roi Louis XI
rachète la dette aux Vénitiens et par là même les reliques.
L’inventaire dressé à cette occasion fait mention de vingt-deux
objets : la sainte Couronne d’épines, la Vraie Croix, la saint
Sang, les vêtements de l’Enfance, du sang sorti d’une icône
du Christ, le carcan en fer de la flagellation, la pierre de Saint-
Sépulcre, le lait de la Vierge, le fer de la lance qui servit à
percer le côté du Christ, le manteau de pourpre dont le
revêtirent les soldats, le roseau qu’ils lui donnèrent comme
sceptre, l’éponge qui servit à lui donner à boire, le Suaire, les
linges du lavement des pieds…
Pour accueillir ces objets sacrés, Saint-Louis fait bâtir, à Paris
dans son palais, la Sainte-Chapelle.
La ville hérite du privilège de Constantinople : l’usage des
reliques du Christ à des fins diplomatiques. Jusqu’à sa mort en
1270, Louis IX procède à douze distributions d’épines de la
couronne et de fragments de la croix pour payer des services
et sceller des alliances. Les reliques sont des outils de pouvoir.
Il est permis de se demander sur quoi reposait ce pouvoir
lorsque l’on apprend qu’à Constantinople, on adorait encore
en 1261 des objets semblables à ceux cédés à Louis XI. Par
ailleurs, la cathédrale d’Aix-la-Chapelle se targuait de
posséder dans sont trésor, et ce depuis 797, une couronne
d’épines, les langes de l’enfance du Christ, la corde qui avait
servi à l’attacher pendant la flagellation, le linge qui entourait
ses reins sur la croix, un morceau de clou et un autre de la
croix. Toutes les reliques offertes à Charlemagne par
l’impératrice Irène de Constantinople.
L’une des premières remises en question de l’authenticité
de ces objets vient d’un moine du XIIe
siècle, Guibert de
Nogent. Le doute l’envahit lorsqu’il vénère la dent de lait du
Christ, le lait de la Vierge ou encore l’un des nombreux chefs
de saint Jean-Baptiste répertoriés à l’époque. Face à la
multiplication des ces objets, Guibert de Nogent ne peut
qu’exposer ses soupçons sur leur authenticité.
En 1543, Calvin reprend ce thème dans le pamphlet qu’il
consacre à la question, le « Traité des Reliques ».
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
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Il faut dire que la nature de certaines des reliques liées au
Christ et proposées à la vénération des fidèles a de quoi faire
sourire aujourd’hui. Dans une église on peut adorer une fiole
présentée comme renfermant le souffle que rendit Jésus sur la
croix. La cathédrale de Laon est fière de posséder son
nombril… Toutefois, qu’il s’agisse de Guibert de Nogent ou de
Jean Calvin, ce n’est pas l’existence historique des
personnages auxquels elles sont reliées qui est mis en doute,
mais bien l’origine des reliques et la nécessité d’un tel culte.
Quelque deux siècles plus tard, dans son essai sur l’esprit des
nations, Voltaire écrit à propos des reliques de la Sainte-
Chapelle : « Ce sont des témoignages de piété plutôt que de
la connaissance de l’antiquité ». Lors de la révolution
française, les reliquaires de la Sainte-Chapelle sont détruits et
la grande majorité de ce qu’ils contenaient brûlé. Quand
s’éteignent les derniers feux de la révolution, certaines reliques
reparaissent.
1898 marque un tournant décisif dans l’histoire du regard
porté sur les reliques du Christ. Cette année-là une
photographie est prise qui jette une lumière particulière sur l’un
de ces objets, le linge conservé à Turin et connu sous le nom
de Suaire de Turin. Un photographe, Secundo Pia, réalise
cette année-là un cliché du suaire sur plaque de verre. Le
négatif montre l’image très nette, en positif, d’un homme nu
alors que sur le suaire on distingue seulement un faible
contour brunâtre que seul un regard attentif permet d’identifier
comme la silhouette d’un corps humain.
Depuis cette photographie, la polémique fait rage. Elle
s’articule autour de deux questions : d’où le suaire provient-il
et comment l’image a-t-elle été portée dessus ? Pour les
tenants du faux, c’est un artefact médiéval. Les partisans de
l’authenticité n’hésitent pas à avancer l’hypothèse du « flash
de la résurrection », sorte d’explosion nucléaire qui aurait
impressionné le tissu lors du retour à la vie du Christ. Le
suaire, une preuve matérielle de la résurrection ? En 1988, la
datation du tissu au carbone 14 indique qu’il a été tissé entre
1260 et 1390. Le clergé s’est officiellement rangé à ce résultat.
Les « pro-suaires » ont hurlé à la fascination.
La dernière « relique » en date, qui aurait pu constituer
une preuve matérielle de l’existence historique de Jésus
est un ossuaire. A la fin de l’année 2002, on annonce la
découverte, chez un collectionneur privé de Tel-Aviv, d’une
caisse en pierre datée de la seconde moitié du 1er
siècle de
notre ère et qui porte l’inscription en araméen « Jacques fils de
Joseph, frère de Jésus ». La nouvelle fait grand bruit. Il
s’agirait de l’ossuaire du frère de Jésus de Nazareth, lapidé en
62 et premier chef de l’église de Jérusalem. Toutefois, ce n’est
pas à proprement parler une relique du Christ, puisque aucun
contact direct entre l’homme et l’objet n’a eu lieu.
La provenance de cet ossuaire est imprécise. L’authenticité de
l’inscription est contestée.
Comme le souligne Emile Puech, directeur de recherche à
l’institut d’épigraphie sémitique du Collège de France, « ce que
l’on a, c’est tout simplement l’attestation d’un Jacques fils de
Joseph ayant eu un frère du nom de Jésus. En dire plus serait
outrepasser largement les conclusions que l’on peut
scientifiquement tirer des données brutes ».
Ainsi, malgré tous les efforts déployés pour l’en faire sortir et
les quelques artefacts appelés à la rescousse, le personnage
historique Jésus s’obstine à demeurer dans l’ombre.
[In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-B.GOUYON, p.
108 à 112]
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
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L’énigme du Saint-Suaire
Le suaire de Turin est-il l’unique témoin – hormis les Ecritures – des ultimes heures de la vie du Christ ou un faux du Moyen Age
destiné à tromper les dévots ? Depuis des décennies, il enflamme les imaginations, attise les passions, divise croyants et savants...
On croyait, en 1988, l’affaire du suaire de Turin classée quand, à la demande de l’archevêque de la ville – alors le cardinal Anastasio
Ballestrero – trois laboratoires, après examen d’échantillons du suaire selon la technique dite du " carbone 14 ", ont rendu leur verdict
de datation : le lin ayant servi à tisser cette pièce a été récolté à la fin du XIIIe siècle ou au début du XIVe. Le suaire ne peut être celui
qui a enveloppé le Christ au tombeau. Les chercheurs se risquent même à avancer une date : entre 1283 et 1385.
Etait-ce la fin d’une belle histoire, d’un modèle de dévotion hors du commun, très supérieur à tout ce que propose l’iconographie
chrétienne et qui a encore attiré à Turin, en 1998, lors de la dernière " ostension " du suaire, trois millions de fidèles ? Non, l’affaire est
loin d’être close. Depuis la datation au carbone 14, de nouvelles recherches relancent l’intérêt, et les lobbies – pour ou contre
l’authenticité du linceul du Christ – affûtent leurs armes. Accusée d’extrême sévérité (" Cherchez le faussaire " !), la hiérarchie
catholique reste, dans ce dossier, d’une parfaite sérénité : la foi dans le Christ mort et ressuscité ne peut pas dépendre d’un bout de
tissu.
Repères historiques
On trouve une trace pour la première fois en France, en l’an 1335, de cette tunique de lin qui mesure 4,36 mètres de long sur 1,10
mètre de large. Elle a enveloppé un corps d’homme d’environ 1,78 mètre, recouvert de traces de coups et de taches rose pâle
correspondant à des hémorragies. Les premières ostensions du suaire ont lieu dans la collégiale de Geoffroy de Charny, à Lirey, près
de Troyes. L’épouse de ce seigneur compte un ancêtre croisé, Othon de La Roche, qui aurait ramené cette précieuse relique du sac de
Constantinople en 1204. Avant elle, aucun document ne mentionne la présence de ce linceul, malgré l’identification encore faite avec le
mandylion, ce portrait du Christ " non fait de main d’homme ", autrefois vénéré à Edesse, au sud de l’actuelle Turquie, puis à
Constantinople, inspirant l’art iconographique avant de disparaître lorsque la ville fut pillée par les croisés il y a exactement huit siècles.
Les ostensions de Lirey sont vite interdites par les évêques de Troyes, très méfiants quant à l’authenticité de cette toile. Le pape
Clément VII (1523-1534) les autorise sous la pression populaire, mais exige que cesse toute fraude et affirme que " ladite figure en
représentation n’est pas le vrai suaire de Notre Seigneur ". A la suite de conflits de propriété, la tunique échoue en 1453 entre les mains
du duc de Savoie. Elle circule entre Nice, Milan et Turin où elle échoue et se fixe en 1578. Les papes vont ensuite autoriser son culte
qui attirera dans le Piémont les princes et des flots de simples pèlerins. La dévotion ne va plus cesser.
Le verdict de la datation
La surprise est énorme quand, en 1898, un photographe turinois, Secundo Pia, est autorisé à prendre des photos du suaire. Il plonge
ses plaques de verre dans un bain de révélateur et voit apparaître, au lieu de négatifs, l’image en positif d’un visage et d’un corps
supplicié ! La thèse de l’authenticité gagne un point décisif. Le " négatif-positif " fait apparaître des traces de blessures qui
correspondent très exactement aux récits de la Passion et de la mort du Christ : le couronnement d’épines, la flagellation, le port de la
croix, etc. Le suaire devient un évangile vivant ! Les dévots du suaire exultent : comment cette image inversée, et si nette, aurait-elle pu
être fabriquée par un faussaire ? Bien plus, les marques de sang ne révèlent pas de traces d’arrachement. Comme si le cadavre avait
été détaché de son enveloppe ! N’est-ce pas la preuve de la dématérialisation de la sortie du tombeau, de la résurrection du Christ ?
Autant dire que, dans un tel climat d’exaltation, les résultats de l’examen au carbone 14 en 1988 ont fait l’effet d’une douche froide.
Cette technique repose sur la mesure de la teneur en carbone14 de l’échantillon à analyser. Cet isotope radioactif du carbone est
absorbé par tous les organismes vivants végétaux ou animaux. Dès la mort de l’organisme, il n’est plus renouvelé et son taux se met à
baisser (il diminue de moitié tous les 5570 ans). Par ce biais, on peut donc dater toute matière organique. Les équipes de chercheurs
qui ont examiné le suaire, venant de trois laboratoires indépendants de Zurich, d’Oxford et de Tucson (Arizona), sont formelles et
donnent une fiabilité de 95% à leur fourchette de datation (1283-1385).
La polémique
Mais les tenants de l’authenticité du linceul du Christ ne se découragent pas pour autant. Ils mettent en cause les défaillances des
méthodes de prélèvement, contestent l’intérêt des fragments de tissu soumis à examen. Prélevés sur des franges, hors de l’image du
crucifié, ces échantillons ne seraient pas fiables. Des pollutions, comme des dépôts de bactéries et virus, auraient pu former sur le lin
une sorte de revêtement bioplastique susceptible de le surcharger en carbone 14 et de fausser les résultats de la datation. C’est l’avis
de deux chercheurs : un Américain, Leoncio Garcia Valdés, et un Russe, Dimitri Kouznetsov. Selon une autre thèse développée en
1993 par le congrès du CIELT (Centre international d’études sur le linceul de Turin), un incendie survenu en 1532 dans la chapelle de
Chambéry où se trouvait alors le linceul aurait pu faire fondre la châsse et abîmer le tissu.
Mais pour des spécialistes comme Jacques Evin, directeur du laboratoire des radiocarbones de Lyon, ou Gabriel Vial, expert en tissus
anciens qui a assisté au prélèvement des échantillons du suaire, le doute n’est plus permis. Dans les congrès chargés d’examiner les
contestations des travaux de datation au carbone 14, le cas du suaire n’est même pas examiné. La publication, dans une revue
scientifique comme Nature, des travaux effectués par les trois laboratoires sur la datation du tissu prouve, pour Jacques Evin, que " la
méthodologie du traitement et le détail des analyses isotopiques sont incontestables ".
Les demandes s’accumulent pourtant pour que l’Eglise accepte que soit scientifiquement repris l’ensemble des questions soulevées.
Elles sont encouragées par des découvertes plus récentes. Ainsi l’étude des pollens retrouvés sur le linceul : Max Frei, un criminologue
de Zurich, confirmé par un spécialiste israélien, Avinoam Danon, a pu établir que cinquante-huit traces de pollen viennent bien du
Moyen-Orient. De même, grâce à la numérisation des photographies du suaire, un chercheur comme André Marion, de l’Institut
d’optique théorique d’Orsay, a réussi à déchiffrer et à identifier des inscriptions autour du visage du crucifié. Notamment le mot "
innecem ", qui serait une abréviation latine pour in necem ibis – " Tu iras à la mort " –, soit l’arrêt de mort. Ou encore le mot Nazarenus
– " le Nazaréen ". André Marion est très frappé par la topographie des traces des blessures qui correspondent exactement à celles de
la tunique d’Argenteuil que le Christ aurait portée au moment de son chemin de croix.
Les seules certitudes sont les suivantes : les empreintes retrouvées sur le suaire n’ont pas été peintes. Elles viennent d’un homme qui a
été crucifié, soumis aux mêmes traitements que ceux décrits dans les récits évangéliques de la Passion. Reste à savoir si ce crucifié
est contemporain de Jésus ou si ce crucifié a été supplicié au Moyen Age ! Mais au Moyen Age, on ne crucifiait plus personne.
L’énigme reste entière, et pour longtemps.
[TINCQ HENRI - Publié le 1 novembre 2004 - Le Monde des Religions n°8]
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
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A-t-on retrouvé le tombeau de Jésus ?
En 1980, des promoteurs immobiliers mettent au jour un tombeau à Talpiot, à Jérusalem. Dix ossuaires du 1er
siècle y sont découverts,
que l'autorité israélienne des antiquités entrepose puis oublie. Mais en 2005, deux réalisateurs de documentaires retrouvent la
nécropole. D'après eux, il s'agit du tombeau de Jésus et de sa famille.
En 1980, une sépulture du 1er
siècle est découverte à trois kilomètres au sud de Jérusalem, à Talpiot. La coutume voulait alors que les
juifs de familles aisées ensevelissent leurs défunts dans des nécropoles comme celle de Talpiot. Les corps étaient enveloppés dans un
drap et « séchés » pendant une ou deux années. Le deuil terminé, la famille revenait au tombeau déposer les ossements dans un
ossuaire, coffret en pierre de la longueur d'un fémur et de la largeur d'un crâne. Une façon de libérer de l'espace.
Dépêché sur les lieux de la découverte, l'archéologue Shimon Gibson relève la présence de dix ossuaires, dont six portent des
inscriptions de noms : Maria, Yosé et Matia (en hébreu), « Jésus fils de Joseph » et « Judas fils de Jésus » (en araméen), enfin
«Mariame Kai Mara » (écrit en grec et en araméen).
Si cette concentration de noms proches de ceux du Nouveau Testament peut s'avérer troublante, la découverte elle-même n'émeut
alors personne : il n'y a pas plus de spécificités à cette nécropole qu'aux 900 autres retrouvées dans un rayon de quatre kilomètres
autour de la vieille ville de Jérusalem, commente, dans son rapport d'authentification des fouilles, en 1996, le plus grand spécialiste des
tombeaux de la ville sainte, l'archéologue israélien Amor Kloner.
Puis la tombe a été refermée, les ossuaires ont été déposés dans l'entrepôt archéologique de Beth Shemesh et l'urbanisme du quartier
s'est développé.
En mars 2007, coup de tonnerre. Après trois années d'enquête, deux cinéastes canadiens (dont Simcha Jacobovici qui est aussi
israélien) formulent une nouvelle thèse : la tombe de Talpiot serait celle de Jésus, on y aurait enfermé ses ossements, mais aussi ceux
de sa mère, Marie, de sa femme, Mariame Kai Mara, dite... Marie-Madeleine, de leur fils présumé Judas (âgé d'une douzaine
d'années), de Yosé, l'un de ses quatre frères, et de Matia, un autre membre de sa famille. Leur thèse donne simultanément lieu à un
documentaire et à un livre (1). S'agit-il d'une imposture ? Ou d'une découverte susceptible d'ébranler les fondements du christianisme ?
En effet, l'existence des ossements du Christ irait à l'encontre des quatre Évangiles, qui affirment la résurrection de Jésus, dont le
tombeau a été retrouvé vide au troisième jour (Jean 20). Et, comme l'écrit saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens (Paul,
15,14) : « Si le Christ n'est pas ressuscité, alors notre prédication est vide, vide aussi votre foi. »
La thèse du documentaire produit par James Cameron repose sur un certain nombre d'arguments.
D'abord, la probabilité que ces noms, regroupés dans le même caveau, ne soient pas ceux de la famille de Jésus-Christ est d'une
chance sur 600, comme l'affirme, dans le documentaire, après de savants calculs, Andrey Feuerverger, professeur de statistiques et de
mathématiques à l'Université de Toronto. Pour obtenir ce chiffre, l'universitaire a multiplié entre elles les fréquences des noms à
l'époque (« 1 personne sur 190 se nommait Jésus fils de Joseph, 1 sur 160 s'appelait Mariamne, 1 sur 20 s'appelait Yosé... »), puis a
introduit différentes pondérations.
Par ailleurs, l'analyse des ADN des restes retrouvés dans les ossuaires portant les noms de Jésus et Mariame Kai Mara révèle que les
deux personnages n'ont aucun lien sanguin, donc aucune raison de se retrouver dans la même tombe, sauf à être... époux. Une union
déjà rêvée par l'écrivain grec Nikos Kazantzakis dans la Dernière tentation (1951) puis fantasmée par l'Américain Dan Brown dans Da
Vinci Code (2003).
La tombe de Talpiot est-elle vraiment celle de Jésus ? Un certain nombre de scientifiques et d'archéologues affirment que non. Ils ne
sont pas forcément mus par leurs croyances : « Je n'exclus pas qu'on puisse trouver un tombeau de Jésus, souligne ainsi l'archéologue
Jean-Sylvain Caillou, auteur d'une thèse sur les tombeaux royaux de Judée. Mais la méthode employée par ces cinéastes est très loin
d'être fiable à 100 % ! » Certaines cautions scientifiques du film se rétractent : « Ils se sont bien gardé de me dire pourquoi ils avaient
voulu m'interviewer ! » s'exclame François Bovon, professeur de Nouveau Testament à la Divinity School de l'Université Harvard, outré
d'avoir été « utilisé » comme garant universitaire dans un film qu'il classe dans la catégorie « science fiction ».
Le Monde des Religions a repris l'enquête. D'abord, sur la fréquence des noms gravés sur les ossuaires : ils étaient trop courants à
l'époque pour qu'on puisse en tirer un enseignement. 25 % des femmes s'appelaient Marie, 10 % des hommes Joseph, 10 % Jésus,
indique André Lemaire, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, spécialiste de philologie et d'épigraphie hébraïque et
araméenne. En se livrant au calcul de probabilité le plus favorable au documentaire, l'archéologue Jean-Sylvain Caillou et le
polytechnicien David Diano, se basant à la fois sur les inscriptions et les analyses ADN, estiment qu'il y a moins d'une chance sur 200
pour que l'hypothèse de Jocobovici (Jésus père de Judas, enterré avec sa femme Mariamne et deux de ses frères) soit la bonne. «
Même si cela était le cas, ajoutent-ils, rien ne prouverait que Mariamne corresponde à la Marie-Madeleine des Évangiles et Jésus père
de Judas à Jésus de Nazareth ! » Le débat reste donc ouvert entre statisticiens.
L'ADN ? La recherche d'ADN n'a pu, en fait, être réalisée sur les ossements. Les documentaristes n'ont eu accès qu'aux résidus
d'ossements collés aux parois internes des ossuaires. La raison ? « La loi juive d'Israël qui exige de confier les ossements à la
communauté juive orthodoxe de Jérusalem qui les inhume dans des fosses communes réservées à cet effet », explique Simcha
Jacobovici.
Ils ont limité leurs analyses à deux ossuaires, ceux de Jésus et de « Mariame Kai Mara ». Ils n'ont pas le même ADN mitochondrial,
donc pas la même mère. Qu'en est-il pour le père ? Motus. « Pourquoi ne pas avoir étudié les ADN de tous les défunts et diagnostiqué
l'âge des morts ? », reproche Jean-Sylvain Caillou. Seul l'ossuaire de Judas avait la taille d'un ossuaire d'enfant, ce qui fait dire à
Simcha Jacobovici que Judas était « un enfant de douze ans ».
Autre argument, la distance (trois kilomètres) qui sépare Talpiot du Calvaire, considéré comme le lieu où Jésus est mort et a été
enseveli. Citant saint Matthieu, Simcha Jacobovici affirme que, selon les coutumes juives, « le corps de Jésus a été transporté par ses
disciples jusqu'à sa tombe familiale ». L'Évangile de Matthieu (Mt 28,11-15) est en fait plus explicite : la thèse du transport du corps de
Jésus par les disciples aurait été inventée par les prêtres juifs afin d'expliquer au gouverneur romain la mystérieuse disparition du corps.
Autre objection à la localisation de la tombe familiale à Talpiot : le père Christian Eeckhout, professeur de topographie à l'École biblique
et archéologique française de Jérusalem, note que la famille de Jésus, originaire de Nazareth en Galilée et sans liens avec Jérusalem,
n'avait aucune raison d'enterrer ses membres si loin de chez elle, au sud de Jérusalem. Le père Eeckhout ajoute qu'elle était d'ailleurs
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
20
bien trop pauvre pour posséder une tombe aussi coûteuse. En outre, aucun Évangile ne mentionne la possession par la famille du
Christ d'une tombe ou d'ossuaires.
D'autre part, précisent le professeur Bovon et l'archéologue Levi Yizhaq Rahmani, pour les défunts juifs ensevelis hors de leur région,
l'origine devait être inscrite sur la tombe à côté du nom. Or, nulle trace d'un « Jésus le Nazaréen » sur les ossuaires de Talpiot.
Quant à l'historienne Michèle Jarton, à la fois théologienne et sociologue, elle note que si la famille de Jésus avait été inhumée en tant
que chrétienne, aucun nom n'aurait été indiqué : « À l'époque, les premières communautés chrétiennes étaient persécutées et la
prudence leur commandait de ne pas graver leurs noms sur les tombes au risque d'être découvertes et condamnées. » A fortiori, la
famille de Jésus de Nazareth ! Les biblistes notent par ailleurs que Jésus de Nazareth n'a jamais été nommé « fils de Joseph ». Arnaud
Sérandour, chercheur à l'institut d'études sémitiques du Collège de France est encore plus sceptique et estime que l'utilisation de
différentes langues sur les ossuaires contredit la thèse d'une tombe familiale. « Talpiot était une tombe communautaire comme celle
d'Aggée sur le Mont des Oliviers. »
Gravées dans la pierre à la hâte pour identifier les ossuaires, les inscriptions sont aujourd'hui très difficiles à déchiffrer. Dans son
catalogue des ossuaires juifs de 1994, l'archéologue Rahmani a d'ailleurs fait suivre le nom de Jésus d'un point d'interrogation sur
l'ossuaire attribué à « Jésus ( ? ), fils de Joseph ». Il ne déduit ce nom qu'en lisant l'inscription - plus lisible - de l'ossuaire voisin, «
Judas, fils de Jésus ».
L'interprétation de l'inscription « Mariame Kai Mara » est également ambiguë. Pour certains, elle annonce, dans le même ossuaire, la
présence d'une ou de deux femmes, voire d'un homme et d'une femme. Pour les cinéastes, qui le lisent Mariamene, il s'agit de la Marie-
Madeleine des Évangiles. Leur argument ? Ils identifient Mariamene à Mariamne, un nom qui apparaît dans les Actes de Philippe, texte
apocryphe du IVe siècle, et que François Bovon a rapproché du personnage de Marie-Madeleine. Toutefois, Bovon récuse, lui, le lien
entre la Mariamne des Actes et la Mariamene de Talpiot.
La majorité des archéologues rejette même avec mépris la thèse de Jacobovici. « Accepter de la commenter aboutirait à crédibiliser
des charlatans aux prétentions pseudo-scientifiques qui se servent d'une cohérence qui n'est qu'apparente pour écrire un roman »,
assène Pierre de Miroschedji, archéologue et directeur du Centre de recherche français de Jérusalem (CRFJ).
Au grand dam de Simcha Jacobovici qui, joint par téléphone, s'emporte contre « ces archéologues qui parlent statistiques et ces
statisticiens qui parlent archéologie ».
Même si son documentaire ne le mentionne à aucun moment, un tombeau du Christ existe pourtant déjà. « C'est le Saint Sépulcre,
situé dans la vieille ville de Jérusalem, et choisi par la tradition », rappelle le père Christian Eeckhout. L'endroit a été identifié par « la
chaîne du souvenir depuis le IVe siècle » comme étant le lieu de « l'ensevelissement et de la Résurrection du Christ », explique
l'historienne Michèle Jarton.
Et si les ossements de Jésus étaient un jour découverts ? « Ils n'ébranleraient pas la foi chrétienne traditionnelle », affirme le père Henri
de Villefranche, professeur à l'École Cathédrale, qui prône une lecture moins matérialiste des textes. « Il y a une distance à opérer entre
le Jésus de l'histoire et le Christ de la foi. »
Mgr di Falco, ancien porte-parole des Évêques de France, affiche, lui, une sérénité à toute épreuve. Il invite « les archéologues à
poursuivre leurs recherches » et affirme, on ne peut plus confiant, que « l'Église n'a pas peur de la vérité ».
1.Le Tombeau de Jésus, de Simcha Jacobovici et Charles Pellegrino, version française chez Michel Laffont, 2007
[GAETANE DE LANSALUT Publié le 1 juillet 2007 - Le Monde des Religions n°24]
L'enterrement de Jésus selon les Évangiles
Écrits entre l'an 60 et l'an 100 de notre ère, les Évangiles
placent le tombeau du Christ dans une carrière à ciel ouvert
d'abord située « près des murs de Jérusalem » mais plus tard
réintégrée à l'intérieur de la vieille ville grâce aux remparts
d'Hérode Agrippa (au Ier siècle de notre ère). Le fond de cette
carrière était rempli de terre (pour planter des jardins) ; en son
milieu subsistait un rocher de quatre mètres de haut, appelé le
Calvaire (ou Golgotha, « crâne » en araméen), surmonté de
nombreuses croix pour crucifier les condamnés - une pratique
très courante à l'époque, généralement réservée aux criminels
romains. Des tombes étaient creusées sur les flancs de la
carrière. L'une d'elle, neuve, appartenant au riche Joseph
d'Arimathie, ami secret de Jésus, deviendra celle du
Nazaréen.
Le jour de la Crucifixion (la veille de Pâque, un vendredi 7 avril
30) et pour s'assurer que Jésus serait enterré selon la loi juive,
Joseph d'Arimathie a réclamé son corps au procurateur romain
Pilate, l'a descendu de la croix et enveloppé d'un linceul, avec
de la myrrhe et de l'aloès. Il fallait faire vite car les cadavres
des condamnés devaient être enterrés avant la tombée de la
nuit. Joseph d'Arimathie est entré par une porte basse en
roulant une grosse pierre devant l'entrée et a enseveli le corps.
La sépulture ne devait être que provisoire. Mais le troisième
jour, le lendemain du sabbat, des femmes, Marie de
Magdalena en tête, vinrent s'enquérir du mort. Elles
découvrirent alors la pierre de l'entrée déplacée. Le tombeau
était vide, Jésus ressuscité.
L'ossuaire manquant de Talpiot : celui de
Jacques le Mineur ?
L'Autorité israélienne des antiquités, qui avait entreposé les dix
ossuaires de Talpiot en 1980, n'en a montré que neuf à
Simcha Jacobovici. Aucune raison n'a été avancée pour
expliquer une disparition, mais le réalisateur est formel :
l'ossuaire manquant est celui de « Jacques fils de Joseph frère
de Jésus ». Celui-ci était en effet apparu sur le marché des
antiquités en 2002. Ses arguments ? La patine (le matériau qui
adhère à la pierre), de la même composition que celle des
ossuaires de Talpiot ; et l'inscription, qui correspond
vraisemblablement à celle de l'apôtre Jacques le Mineur. Une
présence en ce lieu qui, selon le statisticien Feuerverger,
porterait à 29 999 chances sur 30 000 la probabilité que la
tombe de Talpiot soit celle de Jésus. Mais c'est ignorer deux
éléments contraires : l'ossuaire de Jacques a été vu, par
André Lemaire, le spécialiste d'épigraphie hébraïque et
araméenne, sur une photographie datant des années 1970,
donc avant l'ouverture de la tombe de Talpiot (1980) et ses
dimensions ne correspondent pas à celles de l'ossuaire
manquant.
Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire
LAURENT SAILLY
21
Shimon Gibson, archéologue : « Il ne s'agit pas de la tombe de Jésus. »
Professeur d'archéologie à Jérusalem et spécialiste de l'époque biblique, Shimon Gibson a découvert la nécropole de Talpiot. Il reste
sceptique quant aux conclusions des auteurs du documentaire le Tombeau de Jésus.
Vous êtes en quelque sorte à l'origine de cette affaire puisque c'est vous qui avez découvert cette tombe...
En 1980, sous la direction de l'archéologue Yossef Gat, j'ai effectivement découvert une tombe datant de l'époque du Second Temple
dans la proche banlieue de Jérusalem. Ce type de fouilles était courant il y a une trentaine d'années. Jérusalem s'agrandissait et les
promoteurs tombaient souvent sur des vestiges de l'Antiquité en procédant aux fondations. Somme toute, cette découverte nous
paraissait assez banale et nous n'avons alors établi aucun lien avec des personnages du Nouveau Testament. Les prénoms qui
apparaissaient sur la tombe (Jésus, Marie, Joseph...) étaient très répandus à l'époque. Et puis, il était mentionné, entre autres, « Judas,
fils de Jésus » ce qui ne correspondait en rien aux Écritures. On n'a donc jamais imaginé que cela puisse être un caveau de la famille
de Jésus.
Vous êtes présenté par les réalisateurs comme une des principales cautions scientifiques du documentaire. Est-ce à dire que
vous avez changé d'avis ?
Je voudrais bien préciser les choses. Il est exact que j'ai donné des conseils aux réalisateurs de ce documentaire. Concernant la
conférence de presse, je voulais être sur place pour répondre aux questions du public et donner des informations scientifiques. Cela ne
veut pas dire que je soutiens la thèse de Cameron et de Jacobovici. J'ai dit dès le début que j'étais très sceptique quant à leurs
conclusions. Jusqu'à aujourd'hui, je reste convaincu qu'il ne s'agit pas de la tombe de Jésus ni même d'un caveau regroupant des
membres de sa famille.
Pourquoi ?
D'abord, comme je vous l'ai dit, à cause de la banalité des prénoms inscrits sur la tombe. Si vous aviez crié ces prénoms sur un marché
de la Jérusalem antique, des dizaines de personnes se seraient retournées. Ensuite, les réalisateurs estiment que le prénom «
Mariyamné » correspond en fait à « Marie-Madeleine » en se basant sur les Actes de Philippe, un écrit publié 350 ans après la mort de
Jésus. Mais selon mes recherches, il s'agirait plutôt de deux prénoms, Myriam et Mara, probablement une mère et sa fille, ou bien deux
sœurs. Encore une fois, il n'y a aucun rapport avec les Évangiles. Pour que la thèse soutenue dans le documentaire soit crédible, il
aurait fallu trouver des indices plus tangibles comme, par exemple, « Jésus de Nazareth » écrit sur la tombe.
Estimez-vous que vous avez été utilisé par Cameron et Jacobovici ?
Comme je leur ai donné des conseils, ils ont fait croire que je partageais leurs idées. Je ne trouve pas le procédé très honnête. Cela dit,
même si j'ai dit à Cameron que je n'étais pas d'accord avec lui, je soutiens son droit à faire un tel film. Le passé n'appartient pas qu'aux
archéologues ou aux historiens, il appartient à tout le monde. Chacun peut livrer sa version des choses. D'une certaine manière, j'envie
la liberté de ces réalisateurs. Moi, quand je dis quelque chose, c'est basé sur trente années de recherches, sur des écrits, sur des
fouilles, des expériences etc. Eux, ils s'en tiennent à des déductions qui leur semblent logiques. Le problème, c'est que la logique
d'aujourd'hui n'est pas forcément celle d'il y a deux mille ans.
[Propos recueilli par STEPHANE AMAR - Publié le 1 juillet 2007 - Le Monde des Religions n°24]

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  • 1. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 1 Introduction La Palestine au 1er siècle : une pax romana sous tensions Depuis l’an 6 de notre ère, la turbulente Judée est sous l’administration directe de Rome. Son préfet, Ponce Pilate, a pour mission d’y maintenir l’ordre et d’assurer la rentrée des impôts… Quel est le contexte politique de la prédication de Jésus ? Jésus fut jugé assez dangereux pour être mené au supplice. Par qui ? Pourquoi ? Le contexte politique et social de la prédication de Jésus nous donne des éléments de réponse décisifs à la question délicate et controversée de sa mort. Depuis le début du IIe siècle av. J.-C., la Palestine (et l’Orient en général) est dans l’orbite romaine. La naissance de Jésus (quelle qu’en soit l’année exacte) se place à mi- chemin entre deux dates capitales de cette domination. Elle se situe en effet entre -63, date à laquelle la main de Rome s’alourdit sur la Judée (Pompée s’empare de Jérusalem, abat ses murailles, impose un tribut aux juifs) et 66 après J.-C. : les effets de cette mainmise aboutissent alors à la « guerre juive » racontée par Flavius Josèphe. Pour autant, la grande puissance ne s’empare pas directement de la Judée. Pendant une soixantaine d’années, sa domination s’exerce par l’intermédiaire de royaumes dépendants. C’est le cas d’Hérode, roi de Judée (-40 à -4). Ensuite, sa succession compliquée ouvre une période intermédiaire. Son royaume est divisé entre ses trois fils. Hérode Philippe reçoit la région située à l’est du Jourdain. Archelaüs règne sur les Judéens, les Samaritains et les Iduméens. Hérode Antipas gouverne la région de Galilée et de Pérée. Une grande partie de la vie de Jésus se passe sous la juridiction de ce dernier. Cette distribution des pouvoirs ne dure pas. En 6 apr. J.-C., sur décision d’Auguste qui lui reproche d’avoir dressé la population contre lui, Archelaüs est exilé à Vienne, près de Lyon. Rome ne s’embarrasse plus de roitelet fantoche. La Judée passe sous administration romaine : elle est sous l’autorité d’un préfet, placé lui-même sous la tutelle du gouverneur de Syrie. Sous Auguste, les provinces romaines de l’empire sont partagées entre provinces sénatoriales et impériales. Les premières sont gouvernées par des proconsuls ; les secondes, situées aux confins de l’empire et nécessitant la présence de légions, sont sous l’autorité de l’empereur. La Syrie, dont la Judée dépend, en fait partie. En poste de 26 à 36, Ponce Pilate est le cinquième préfet de Judée. Sa tâche est de maintenir l’ordre, et de veiller à la levée des impôts. Pour assurer l’ordre, il dispose de troupes auxiliaires recrutées parmi la population non juive. Il réside à Césarée plutôt qu’à Jérusalem. Il semble que certains préfets aient trouvé dans la collecte des impôts le moyen d’accaparer une fortune rapide. Les témoignages de Philon et de Flavius Josèphe soulignent la cupidité des gouverneurs romains de Judée, à commencer par Pilate. De fait, la création de la province romaine s’est traduite par une forte augmentation des impôts. En Galilée, administrée par le roitelet Hérode Antipas, la situation n’est guère plus favorable. La difficulté de la situation transparaît dans certaines paroles de Jésus, comme dans l’Evangile de Luc (6,20-21) : « Heureux vous les pauvres… ». Pour le recouvrement des impôts dans la province de Judée, les Romains avaient eu l’habileté de faire jouer un rôle intermédiaire au Sanhédrin, ce Conseil de 71 personnes chargé de régir la vis des juifs notamment dans le domaine religieux. Il joue le rôle d’un organisme centralisateur. En accord avec le préfet, il confie le recouvrement des impôts à des notables locaux. Il ne faut donc pas imaginer la Judée comme un pays occupé, quadrillé par les légions romaines. J.-P. Lémonon souligne que le pouvoir romain reposait pour partie sur l’intérêt des notables. Mais au-delà même de l’intérêt, ce pouvoir « faisait aussi impression sur les âmes et s’entourait de vénération de type religieux, celle qui alimente et vivifie le culte impérial […]. A l’avènement d’un nouvel empereur, dans les cités des provinces, on organisait un serment collectif de fidélité à l’empereur sur la place publique. » Même si ce serment était formel, il n’est pas interdit de penser que certains habitants de Judée aient ressenti au moins de la reconnaissance pour Rome. Celle-ci respecte le calendrier des juifs, notamment le septième jour chômé. En outre, dans un temps où se développe le culte impérial, les juifs en étaient tacitement dispensés. Malgré ces concessions de l’empire, l’image d’une pax romana plus acceptée que subie par la population doit être fortement nuancée. La plus grande partie des juifs était surtout sensible à l’augmentation des impôts. Sur le plan strictement religieux, la tolérance romaine envers les juifs était toujours fragile, toujours menacée. Ce fut le cas par exemple sous Pilate. Certes, Rome avait conservé certaines des institutions juives, comme le Sanhédrin et le grand prêtre (qui le préside), mais en les encadrant de manière très stricte. En particulier, le droit de vie et de mort était l’apanage du gouverneur de Judée, non du Sanhédrin. Le Talmud de Jérusalem dit explicitement que quarante ans avant la destruction du Temple, le Sanhédrin perdit le droit de condamner à mort. Cette précision historique est lourde de sens. Elle invalide la version des Evangiles (sauf celui de Jean) comme le souligne très bien l’exégète Simon Légasse dans un remarquable petit livre intitulé « Qui a tué Jésus ? ». Les Evangiles, notamment les deux premiers, racontent un « procès juif » : Jésus est jugé et condamné à mort par le Sanhédrin. Or, tout porte à croire que ce « procès juif » n’a jamais eu lieu. Le procès de Jésus fut romain. Ce qui n’exonère pas la responsabilité de l’autorité juive, puisque son arrestation fut opérée sous les ordres du grand prêtre Caïphe. Une telle
  • 2. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 2 présentation des faits s’explique très bien si l’on tient compte du contexte historique des années 70 et 80, moment où furent rédigés les Evangiles : « Les premiers chrétiens, en conflit avec les juifs, forçaient la culpabilité du côté juif en épargnant les romains, maîtres du monde connu », souligne Simon Légasse. Cette mainmise sur le Sanhédrin s’accompagnait d’un contrôle vigilant du grand prêtre qui le dirigeait. S’il ne se conformait pas aux volontés de Rome, il pouvait être destitué. Les grand prêtres devaient se montrer des collaborateurs zélés de l’empire. Ce fut sans doute le cas de Caïphe : il demeura 19 ans en charge, de 18 à 37 après J.-C., alors que la durée moyenne des vingt-huit derniers pontificats était seulement de quatre ans. Bref, c’était un homme de confiance des romains. Pilate savait qu’il pouvait compter sur lui. On peut donc supposer que si cet homme a estimé que Jésus représentait un quelconque danger (notamment parce qu’il s’attaquait au Temple) et l’a présenté à Pilate comme une menace à l’ordre public ou de soulèvement, l’issue de faisait aucun doute : il n’est même pas sûr que Pilate ait pris le temps de se laver les mains… L’ostensible dépendance du Sanhédrin et de son grand prêtre envers le pouvoir romain était très mal ressentie par les juifs. Si l’on ajoute à cela les différentes provocations ou maladresses des romains, les juifs ont pu finir par considérer que leur religion était menacée. Vers 40, l’empereur Caligula voulut que sa propre image soit adorée à Jérusalem. Sa mort en 41 fut perçue comme une délivrance inespérée. Bien avant la guerre juive de 66, la domination romaine s’était traduite par des émeutes parfois très graves : ce fut le cas à la mort d’Hérodote (une sédition fait 3000 morts). En l’an 6, lorsque le légat de Rome Quirinus voulut faire un recensement à des fins d’imposition, une grave rébellion s’ensuivit, menée par « Judas le Galiléen ». Ensuite les années 20 et 30, celles de la prédication de Jésus, dénotent une relative accalmie. Mais plus tard, vers le milieu du siècle, le geste obscène d’un soldat aux portes du Temple provoque une émeute : 1000 morts. Si l’on ajoute à cela les mouvements prophétiques qui se multiplient, on a une bonne idée de l’atmosphère fiévreuse qui s’empare de la Judée au 1er siècle : une pax romana dont les coutures sont en train de craquer… [In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-F.MONDOT, p. 7 à 13]
  • 3. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 3 Jésus face à l’Archéologie & à l’Histoire CADRE DE VIE
  • 4. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 4 CADRE DE VIE Chapitre 1 Jérusalem : entre luxe, beauté et ambiguïté Au Ier siècle, sous l’impulsion d’Hérode, Jérusalem se pare de mille feux. Temple des Israélites et palais romains rivalisent, jusqu’à s’arroger « neuf des dix mesures de beauté descendues sur Terre ». I. Le Temple Le Temple de Jérusalem brille. Il reflète le soleil et attire les regards. C’est Flavius Josèphe qui nous le dit : « De quelque endroit qu’on le contemplât, le Sanctuaire avait tout ce qu’il fallait pour éblouir l’esprit et les yeux. Renvoyés dans toutes les directions par les énormes plaques d’or, les premiers rayons du soleil reflétaient d’énormes rayonnements de feu qui forçaient ceux qui les contemplaient à détourner les regards comme s’ils avaient observé directement le soleil. Aux étrangers qui s’approchaient, il ressemblait à distance à une montagne couverte de neige car tout ce qui n’était pas couvert par de l’or était d’un blanc éblouissant… » C’est le roi Hérode, originaire d’Idumée (région correspondant à l’ancien royaume d’Edom qui avait été traditionnellement en lutte avec les Israélites), considéré par le peuple comme un demi-juif qui avait construit cette merveille. Il était soucieux de gloire et désireux de se concilier la sympathie des juifs : or, ceux-ci voyaient d’un mauvais œil ce fidèle allié de Rome, qui ne cachait pas son goût pour la culture romaine et hellénistique. Le complexe du Temple était un espace très hiérarchisé. D’abord il y avait une séparation stricte entre païens (« gentils ») et juifs. Les païens pouvaient se rendre sur l’esplanade du Temple. Mais le mur percé de treize portes les empêchait d’aller plus loin. Une inscription en latin ou en grec, présente à chaque porte disait : « Aucun gentil ne peut franchir la barrière qui entoure le Temple. Toute personne prise en défaut est comptable envers elle-même de la mort qui s’ensuivra ». Au-delà de cette limite, se trouvait la Cour des femmes. Ensuite on pénétrait par la porte de Nicanor dans la « cour des Israélites » qui était séparée par une nouvelle barrière de la « cour des prêtres ». C’est là que se trouvaient le grand autel (14 m², 7 m de haut), le bassin (une immense cuve de bronze dans laquelle les prêtres se purifiaient) et les tables, piliers, crocs servant à l’abattage et la préparation des bêtes pour le sacrifice. En face, le Temple lui-même : il était divisé en trois (vestibule, Saint, Saint des Saints). Les prêtres étaient seuls autorisés à pénétrer dans le Lieu saint : deux fois par jour, ils y faisaient l’offrande de l’encens et entretenaient le chandelier à sept branches. A l’extrémité occidentale du Lieu saint se trouvait le voile, double rideau qui cachait à la vue la partie la plus retirée du sanctuaire : « Là, il n’y avait absolument rien. Inaccessible, inviolable, invisible à tous, on l’appelait le Saint des Saints. » (Flavius Josèphe). Le Temple attirait à Jérusalem les juifs du monde entier. Depuis la réforme de Josias (VIIe siècle av. J.-C.), c’est à Jérusalem que l’on devait immoler l’agneau pascal. C’est là aussi que l’on apportait les prémices de la récolte. Là encore que les mères se purifiaient, après une naissance. La femme soupçonnée d’adultère y était amenée pour le jugement de Dieu. Tout juif mâle devait acquitter pour le Temple un impôt. Les juifs étaient également tenus de dépenser à Jérusalem le dixième du revenu de leur terre. De manière générale, comme le résume très bien Joachim Jeremias (« Jérusalem au temps de Jésus »), « le terme Israélite a pour périphrase “celui qui va à Jérusalem“ ». Le poids du Temple était inscrit dans la topographie de la ville. La Jérusalem du 1er siècle s’organisait selon une opposition ville haute (autour du Temple) – ville basse. Bien entendu la ville haute était la plus favorisée. L’importance du Temple avait aussi des incidences très fortes sur l’économie locale. Sans lui, Jérusalem n’aurait été qu’une modeste ville de montagne, plutôt défavorisée par les facteurs naturels. Pour les produits les plus courants, Jérusalem était obligée de recourir à des importations massives. Il faut donc imaginer le défilé incessant des caravanes de chameaux (ou d’ânes) chargées d’approvisionner les différents marchés de la ville. Détournons les yeux un instant de l’aveuglante blancheur du Temple. La Jérusalem du 1er siècle comportait d’autres bâtiments remarquables, également commandés par Hérode. II. Jérusalem, au-delà du Temple Au nord-ouest de l’esplanade du Temple, comme une sentinelle vigilante, se trouvaient l’Antonia et ses tours. Une garnison romaine y séjournait. Cette forteresse était l’édifice le plus élevé de la ville. Par sa hauteur, par son allure, il était tout à fait éloquent : il disait que ce Temple majestueux, fierté du judaïsme, était sous tutelle. Que les vrais maîtres étaient romains. Un autre bâtiment, tout aussi impressionnant, tenait le même discours. Il s’agissait du Palais royal, encore construit par Hérode. Le palais était entouré d’une muraille de 15 m de hauteur, avec des tours ornementales régulièrement espacées. Aucun vestige de ce palais n’a été découvert à ce jour. Mais ce n’est pas tout. Hérode avait édifié un théâtre dans l’enceinte, et aussi un stade pour les démonstrations d’athlétisme et les courses de chars. Avec le Temple et le Palais royal, tous ces monuments donnaient à Jérusalem un éclat extraordinaire. Les différents monuments de Jérusalem résument bien l’ambivalence de cette ville, capitale du culte juif et soumise à l’influence de l’hellénisme et à la domination de Rome. A Jérusalem se renforcent et s’accusent tous les contrastes du judaïsme de l’époque. Mais d’autres hiérarchies, plus subtiles, existaient, fondées sur la pureté de l’origine L’opposition entre riches et pauvres était également très marquée. Autour du Temple se pressaient des nuées de mendiants. Et nous en revenons au Temple. Dépositaire d’une énorme richesse grâce à l’impôt annuel versé par tous les juifs, le Temple avait aussi un rôle d’assistance. [In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-F.MONDOT, p. 21 à 27]
  • 5. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 5 CADRE DE VIE Chapitre 2 Césarée : un havre conquis sur l’eau Plus vaste que le Pirée d’Athènes, mais aussi plus sophistiqué : le port de Césarée, construit en eau profonde, est doté de digues artificielles pour contrer les assauts des vagues. Il est achevé en 10 av. J.-C. En -22, Hérode le Grand, roi de Palestine, vassal favori de l’empereur Auguste, entreprend de bâtir, sur les ruines hellénistiques de la tour de Straton, antique cité phénicienne, une ville nouvelle. La situation, pour un tel aménagement, est à la fois idéale et désastreuse. Idéale d’un point de vue économique, puisque, comme le précise l’historien juif Flavius Josèphe (« La guerre des juifs contre les romains »), cette portion de la côte est « si dépourvue de port que ceux qui veulent aller de la Phénicie en Egypte sont contraints de relâcher en haute mer, tant ils appréhendent le vent nommé Africus », le vent de sud-ouest. La situation est désastreuse du point de vue topographique car la côte, à cet endroit, n’offre aucune formation naturelle qui puise servir de point de départ à l’établissement d’un abri sûr. Néanmoins, Hérode, qui ne s’appelait pas le Grand pour rien, « se rendit, par ses soins, par sa dépense et par son amour de la gloire, victorieux de la nature ». A l’issue de douze années de travaux, la ville de Césarée s’est dotée d’un port, plus grand que celui du Pirée. Tout navire en route vers l’Egypte trouve refuge dans le port de Césarée et ils sont nombreux. Le port de Césarée grouille de vie. On y parle toutes les langues de l’empire. Nommé Sebastos, Auguste en grec, en hommage à l’empereur, il honore son parrain. Le souverain veille d’ailleurs symboliquement sur les lieux. Au sommet d’une butte artificielle qui domine le port et fait face à l’entrée, se dresse un temple de pierre blanche dédié à César. Du site monumental qui a tant impressionné ses visiteurs, rien de visible ne subsiste aujourd’hui. On se perd aujourd’hui en conjectures sur les raisons d’une décadence aussi rapide. L’hypothèse d’un tremblement de terre a été avancée. Plus simplement, les causes du déclin du port de Césarée sont sans doute assez prosaïques. Hérode disparaît en -4. Le commerce qu’il entretenait avec l’empire s’étiole. Son royaume est divisé entre ses fils, qui se déchirent. L’entretien du port de Césarée, immense, fastueux, sophistiqué, coûte cher. [In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-B.GOUYON, p. 38 à 43]
  • 6. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 6 CADRE DE VIE Chapitre 3 Lac de Tibériade : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes » Le royaume de Dieu est proche : Jésus l’annonce sur les bords du lac de Tibériade. Une région de pêcheurs parmi lesquels le Christ choisit ses premiers compagnons. L’archéologie s’est intéressée à ces villages et a identifié Capharnaüm, le village de l’apôtre Pierre. Le lac de Tibériade est une vaste étendue d’eau de 65 km de circonférence, dont le niveau moyen se trouve à 240 mètres en dessous de celui de la mer. Les abords en sont très contrastés selon la rive laquelle on se trouve. Au sud, elle est escarpée, les falaises qui bordent le lac culminent à 500 mètres. Cette partie sud du lac est également une zone de géothermie des plus anciennes. A l’opposé, aussi bien cardinal que géophysique, la partie nord présente un visage bien moins tourmenté. Les rives sablonneuses descendent en pente douce jusqu’à l’eau. Au- dessus s’étend une plaine fertile. C’est ici que le Jourdain se jette dans le lac. Les eaux de l’embouchure, riches en matières organiques, sont poissonneuses. Les hameaux de pêcheurs sont, de ce fait, nombreux. Traversé à plusieurs reprises par Jésus au cours de son ministère, le lac est une frontière naturelle entre la Galilée, la Décapole (regroupement de dix cités hellénistiques de Syrie- Palestine) et la région située sous l’autorité d’Hérode Philippe. Le « concordisme », cette attitude qui cherche dans les découvertes la preuve de ce que « la Bible a dit vrai », a permis de reconnaître en trois endroits différents le village de pêcheurs de Bethsaïde, donné dans les Evangiles pour la patrie de trois des apôtres : Philippe, André et Pierre. La localisation de Capharnaüm, sur la rive nord-ouest du lac, ne souffre d’aucune incertitude. Là encore, il s’agit d’un modeste village de pêcheurs : toutefois y était installé un poste de douane. Celui qui voulait se rendre de Galilée en Décapole devait acquitter un péage. En plus des pêcheurs, vivaient donc là des collecteurs d’impôt et les soldats d’une garnison. Exclusivement juive, la population était imperméable à l’influence de l’Empire romain. Dans ce modeste bourg, la tradition orale a fait vénérer, dès le 1er siècle, une demeure en particulier. Les restes de l’édifice se trouvaient sous les ruines d’une basilique byzantine octogonale du début du Ve siècle. Abondamment fouillée depuis les années 1960, cette habitation est le bâtiment le mieux connu du Capharnaüm du 1er siècle. Elle se distingue des autres par un grand nombre de graffitis en grec, hébreu et syriaque, exécutés à même le sol, sur un pavement en chaux battu, autre particularité de la maison. Elle présente en outre les signes de nombreux aménagements successifs, destinés à en faire un lieu de culte, une domus ecclesia. Cette maison est considérée, aujourd’hui encore par les pèlerins, comme celle de l’apôtre Pierre. Jésus aurait habité là quand il venait à Capharnaüm, base de son périple en Galilée. C’est de là qu’il serait parti pour se rendre, par exemple, à Magdala, à une dizaine de kilomètres en suivant la rive ouest du lac. Autant Capharnaüm était juive et pieuse, autant la ville d’origine de Marie-Madeleine, la fameuse pécheresse, était païenne et dissolue. Au 1er siècle, très peu de juifs y vivaient, le mode de vie des magdaléniens était fortement teinté d’hellénisme. Une autre ville fortement romanisée se trouve au bord du lac : Tibériade, dans laquelle les Evangiles ne font pas passer Jésus. Du reste, au commencement de son ministère, la ville devait être à peine achevée. Hérode Antipas en fait débuter les travaux vers 18-20 ap. J.-C. Il la nomme en hommage à l’empereur Tibère, par lequel il a été éduqué. L’endroit choisi pour l’établissement de la ville est, d’après Flavius Josèphe, « le plus favorable de Galilée ». Toutefois, Tibériade repose sur un cimetière, ce qui rend le site impur aux yeux des juifs. Dès lors, pour peupler sa ville, Hérode Antipas déplace des populations. Certains manuscrits de l’Evangile de Jean situent la multiplication des pains à proximité de Tibériade. Mais pour les premiers chrétiens, le site était un peu plus au nord, au lieu-dit Tabgha, ou en grec Heptapégon, ce qui signifie « sept sources ». A cet endroit, sur la route entre Capharnaüm et Magdala, un sanctuaire fut construit à l’époque byzantine pour vénérer une pierre plate sur laquelle Jésus aurait déposé les pains multipliés. [In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-B.GOUYON, p. 44 à 51]
  • 7. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 7 CADRE DE VIE Chapitre 4 Une Galilée prospère mais agitée Ses campagnes fertiles nourrissent des villes à demi-païennes et grouillant d’étrangers. Arrêtons-nous à Nazareth, village où – selon les Evangiles – Jésus a grandi, et à Sepphoris, une capitale qui, à l’époque, portait les couleurs honnies de Rome. En grec, le toponyme « Galilée » vient de l’hébreu « gelil ha- Goyim ». L’expression signifie « le district des non-juifs » et désigne la partie nord de l’ancien royaume d’Israël. Zone frontalière, limitée au nord-ouest par la Phénicie, à l’est parla Décapole et au sud par la Samarie, la Galilée est un lieu de passage de nombreuses caravanes. C’est une terre de brassages ethnique et culturel, ce qui n’est pas sans générer tensions et antagonismes entre la population locale, à majorité rurale, et les « étrangers » qui viennent dans ses villes. La majorité des galiléens vivent dans des bourgs, voire des hameaux agricoles. L’un d’eux, Nazareth, a fait l’objet d’une étude très poussée. Et pour cause, les Evangiles y font grandir Jésus. Les différentes enquêtes menées en ce lieu portaient l’espoir d’identifier les deux maisons attachées, dans les Evangiles, à l’enfance du Christ. Celle de Marie lorsqu’elle le conçut et celle de Joseph, où l’enfant grandit. Diverses traditions orales, toutes séculaires, attribuent cette qualité à quatre emplacements dans l’ancien village. Chaque époque y a bâti ses églises, dissimulant toujours davantage d’éventuels vestiges. A partir de 1955, lorsque débute les travaux de construction d’une nouvelle basilique, les restes d’une habitation sont mis à jour. Le lieu est considéré depuis toujours comme le théâtre de l’Annonciation. A en juger par tous les éléments recueillis, la production agricole de Nazareth devait être foisonnante. Les paysans écoulaient leur production sur les marchés des agglomérations voisines, au premier rang desquelles Sepphoris. Cette cité, située à sept kilomètres au nord-ouest de Nazareth, est la capitale de la Basse-Galilée. Elle est, selon Flavius Josèphe, « l’ornement » de la région. Les habitations, bâties à la mode romaine, s’alignent le long de rues revêtues de calcaire concassé. Les deux axes les plus importants de la cité sont le Cardo maximus, orienté nord-sud, et le Decumanus, orienté est-ouest. Au carrefour de ces deux voies se dresse une « basilique civile ». Quel était le rôle du bâtiment ? Sans doute administratif mais nul ne peut l’affirmer aujourd’hui. Un système d’adduction d’eau perfectionné parcourait toute la ville. Le mode de vie des Sepphoréens porte donc à la fois la marque de Rome et de la culture hellénistique que véhicule l’empire. Toutefois, Sepphoris n’était pas peuplée que de citoyens romains ou assimilés. Certains des habitants étaient de religion juive. Cependant, aucune trace de synagogues du 1er siècle apr. J.-C. n’a été retrouvée. Siège du pouvoir d’origine romaine qui contrôle la région, Sepphoris focalise, comme telle, le ressentiment des populations environnantes. En 66 après J.-C., Sepphoris obtient l’aide et la protection du général romain Vespasien contre les populations juives environnantes, qui se font menaçantes. La ville refuse ensuite de se dresser contre Rome lorsqu’éclate la fameuse guerre des Juifs, qui va enflammer toute la Galilée. [In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-B.GOUYON, p. 52 à 58] Jésus est-il bien de Nazareth ? C’est un fait, le nom de Nazareth est absent des sources historiques jusqu’au IIIe siècle de notre ère. Cela ne signifie pas que le village n’existait pas avant, la présence humaine sur les lieux remonte à la fin du IIIe millénaire avant notre ère. Mais il découle de cette lacune la méconnaissance de la manière dont les habitants du village étaient nommés au 1er siècle. L’enracinement du personnage Jésus à Nazareth vient de ce que l’Evangile de Marc le désigne à l’aide de l’adjectif « nazarénien », qui signifie de « Nazareth ». Toutefois, les Evangiles de Matthieu et Jean n’emploient jamais ce terme, mais celui de « Nazoréen ». Ainsi que l’indique Marie-Françoise Baslez, professeur d’histoire grecque à l’Université Rennes II, « ce qualificatif est phonétiquement trop éloigné de Nazara, Nazareth en grec, pour être une indication d’origine, à moins d’envisager une transcription intermédiaire en araméen ». Nazoréen renvoie en revanche à une tendance du judaïsme de l’époque, caractérisée par une stricte observance de la loi mosaïque. On peut y lire aussi une déclinaison du radical hébreu « neser », qui signifie rejeton. « Une incertitude qui traduit la faiblesse de la tradition orale », conclut M.-F. Baslez. [In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-B.GOUYON, p. 52 à 58]
  • 8. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 8 « Fais des recherches et tu verras : de la Galilée, il ne surgit pas de prophètes. » (Jn 7,52) Il n’est pas exagéré de dire que les textes de la première Alliance, rédigés en grande majorité à partir du royaume de Judée, ont eut tendance à dévaluer ce qui venait du royaume du nord, Israël : monarques jugés infidèles, temples dissidents, cultes idolâtriques. Cette attitude, face à laquelle il y a toujours lieu d’être sur ses gardes quand on lit la Bible, a eu longue vie. Il n’est donc pas surprenant que le quatrième évangéliste mette dans la bouche de certains pharisiens de Judée la parole suivante adressée à Nicodème : « Serais-tu de Galilée, toi aussi ? Fais des recherches et tu verras : de la Galilée, il ne surgit pas de prophète » (Jn 7,52). Ou qu’après l’échec de la seconde révolte juive (135), les scribes et les pharisiens, qui fuiront la Judée pour s’installer en Galilée, n’éprouveront encore que mépris pour le « peuple du pays ». Au VIIIe siècle avant notre ère, le royaume du Nord fut envahi par l’Assyrie qui le vida de ses élites, forçant les petits villages galiléens à suivre leurs propres us et coutumes sans être contrôlés par un gouvernement central. La situation sera la même sous les régimes perse et hellénistiques. Pendant huit siècles, la Galilée ne fut qu’à peine vingt ans sous influence directe du Sud. Ce fut à la fin du VIIe siècle, au temps de Josias, qui envahit le Nord pour en détruire les temples et massacrer les prêtres (2 R 23,15-20), au profit du Temple de Jérusalem, désormais seul de son espèce. Il est permis de penser que les Galiléens ont longtemps gardé le souvenir des gestes de Josias, et sont restés peu enclins à transférer leur affection cultuelle au Temple de Jérusalem. En 104 avant notre ère, profitant de la faiblesse du pouvoir hellénistique situé à Antioche, les Hasmonéens de Judée envahissent le Nord. Pour la première fois (depuis Salomon ? Cf. « La Bible dévoilée »), la Galilée est soumise aux grands-prêtres de Jérusalem, au Temple et aux taxes sacerdotales. En 63 avant notre ère, c’est au tour des romains d’envahir le pays. Ils confirment l’hégémonie hasmonéenne. Des troubles éclatent en Galilée. En 40 avant notre ère, Rome permet à Hérode le Grand de s’emparer de la Galilée. Lui aussi se doit de faire financer ses imposantes constructions en taxant la population. Des révoltes sporadiques se produisent. A la mort d’Hérode le Grand, l’insurrection éclate, sous la conduite d’un roi populaire, Judas fils d’Ezéchias. La répression romaine est dure dans les environs de Nazareth. Hérode Antipas hérite de la Galilée, qu’il gouverne de -4 à 39. Pendant presque tout le 1er siècle, la Galilée a une autre administration que celle de la Judée. En 4 avant notre ère, Hérode rebâtit Sepphoris puis, une quinzaine d’années plus tard, il fonde Tibériade d’où il dirige et taxe la Galilée. Faut-il s’étonner, alors, de cette parole de Flavius Josèphe à propos des Galiléens : « Ils éprouvaient autant de haine pour les habitants de Tibériade que pour ceux de Sepphoris » (Vie, 384) ? La Galilée a vécu sa propre façon de comprendre les traditions israélites. Elle a toujours été étrangère à la mystique de la pérennité de la lignée davidique et à l’attente du roi idéal ou messie qui naîtrait de cette lignée. Elle n’est pas partie prenante de la mise en forme de la Tora, de l’interprétation judéenne de l’histoire ou de la rédaction du corpus prophétique. Juif, on l’est, mais pas de la même manière qu’en Judée. Tout cela, on le devine, n’est pas sans importance pour comprendre l’homme de Nazareth. C’était un Galiléen 1. Jésus est de Galilée (Jn 7,41-42), vraisemblablement de Nazareth, et non de Judée (Bethléem) où les scribes chrétiens (judéens d’origine ?) situeront sa naissance (Mt 2,1-6), dans le but évident d’établir un parallèle avec la patrie de David (1 S 16,1-13). 2. Le Nazaréen a passé toute sa vie en territoire occupé. 3. Comme la plupart des Galiléens, Jésus n’a pas étudié (Jn 7,15 ; Ac 4,13). Les conflits des évangiles témoignent des efforts des classes dirigeantes du Sud pour imposer leur vision de la vie israélite à la Galilée. En Jésus, c’est le peuple de la Galilée qui résiste aux pressions du Sud. 4. C’est un prophète du Sud, Jean le Baptiste, qui sera le catalyseur d’un changement radical dans la vie du charpentier de Nazareth. Il revient vite en Galilée, peut-être dès après l’arrestation de Jean (Mc 1,14). Et les deux ou trois dernières années de sa vie se passent presque exclusivement dans un rectangle d’environ 15 km par 5 km, couvrant le nord/nord ouest du lac englobant Magdala, la plaine de Génésareth, Capharnaüm, Chorazin et Bethsaïde. Exceptionnellement, il se rend dans la Décapole ou dans la région de Tyr et de Sidon, mais il évite la Judée (Jn 7,1). 5. S’opposant symboliquement à l’idéal centralisateur du Sud, en particulier à son attente messianique d’un leader idéal issu de la lignée de David, il annonce un retour à l’antique mode de gouvernement et s’entoure de douze partisans destinés à gouverner les douze tribus d’Israël (Mt 19,28). Il n’envisage aucune tâche de gouvernement pour lui-même, il ne sera ni chef de tribu, ni roi populaire selon la tradition du Nord encore moins (voir Jn 7,41). 6. Dans une Galilée dévastée par l’occupant romain et ses alliés de Jérusalem, il œuvre pour redonner la santé à ses gens, rétablir leur dignité, défendre leurs coutumes, abolir leurs dettes, contrer leur faim, rendre l’espoir possible. Il n’est pas surprenant qu’on ait rêvé de lui comme d’un roi populaire, capable de libérer son peuple (Jn 6,15). 7. Après deux ou trois ans d’activité, il décide de se rendre à Jérusalem y dénoncer le système mis en place pour opprimer sa Galilée. Dans un geste symbolique percutant, il annonce la fin du Temple. Son geste ne pouvait rester impuni (voir Jr 7,26). 8. On le crucifie comme prétendant royal : « le roi des Juifs » (Mc 15,26). On ne peut mieux nier le sens de l’engagement le sens de son engagement. 9. Ses partisans ont fui en Galilée (Mc 14,50). 10. C’est ainsi que l’évènement Jésus se termine, avant que, selon certains, tout ne recommence. En Galilée, bien sûr (Mc 16,7) ! [Le monde de la Bible, hors série 2002, p. 23 à 27. André MYRE, professeur à la faculté de théologie de l’Université de Montréal]
  • 9. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 9 Jésus face à l’Archéologie & à l’Histoire L’EMERGENCE D’UNE PENSEE
  • 10. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 10 L’EMERGENCE D’UNE PENSEE Chapitre 1 La terre de tous les particularismes Au 1er siècle avant J.-C., la Terre promise est loin d’être un pays homogène. Hors de Jérusalem, les juifs sont noyés dans un ensemble de communautés ouvertes ou soumises à toutes les influences. Accrochée au flanc de collines ou blottie au creux de vallées, Jérusalem prospère à l’ombre du Temple. Dans les rues de la ville millénaire une foule de passants arbore des costumes aussi divers que leurs dialectes. Jérusalem est en effet un formidable creuset humain, une référence à l’échelle de la Palestine tout entière. A la population locale, se mêlent les étrangers attirés, comme en toute capitale, par leurs affaires et des juifs de la diaspora venus déposer leurs offrandes au Temple. Au début du 1er siècle de notre ère, Jérusalem vit ses dernières décennies de relative tranquillité. En 70 s’abattra sur le peuple juif un des plus grands fléaux de son histoire : la prise de Jérusalem par les armées de Titus et la destruction définitive du second et dernier Temple. Mais, pour l’heure, la ville apparaît sous un jour moins sinistre aux yeux d’un prophète venu de Nazareth. Les particularismes locaux, forgés au fil des vicissitudes qu’a connues cette terre, demeurent toutefois marqués et Jésus doit probablement se sentir quelque peu étranger en Judée, avec ses usages et son accent galiléens. La région la plus septentrionale de la Palestine est en effet considérée avec un certain mépris par les habitants de Judée, comme en témoigne cette boutade : « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ? » (Jn 1,46). Il n’y a guère que la Samarie qui l’emporte en discrédit aux yeux de la population judéenne. Bien que partageant la même religion, les juifs du 1er siècle sont loin de constituer un groupe homogène et majoritaire en Palestine. Considérons les Judéens (pop. de l’ancien royaume du Sud – Juda, cap. Jérusalem) et les Samaritains (pop. de l’ancien royaume du Nord – Israël, cap. Samarie). Les Samaritains, dénigrés par les premiers, sont eux-mêmes issue de croisement d’Israélites – non déportés lors de la chute du royaume du Nord (-722) – avec des immigrés installés par les conquérants assyriens. Le fossé qui sépare les deux groupes se creuse au retour d’Exil des Judéens, déportés à leur tour, lors de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor II (-587). Judéens et Samaritains s’affrontent en outre sur des questions théologiques. Les seconds ne reconnaissent ni les écrits postérieurs au Pentateuque, ni la spécificité du Temple de Jérusalem, disposant jusqu’à la fin du IIe siècle av. notre ère de leur propre sanctuaire sur le mont Garizim. Revenus de Babylone à l’avènement de la dynastie achéménide, les juifs de Judée s’étaient rassemblés autour du Temple reconstruit, sous l’autorité d’un grand prêtre et la stricte observance d’une même loi. La Torah régit pour ainsi dire l’ensemble de la vie d’une population dont la spécificité la distingue de ses voisins parfois jusqu’à l’opposition. Mais bien vite, l’Empire achéménide fait place à Alexandre et à l’émergence des royaumes hellénistiques qui étendront successivement leur domination sur la Palestine. Dès le IVe siècle avant notre ère, Jérusalem doit faire face à une nouvelle menace, la séduction de l’hellénisme. Au début du 1er siècle de notre ère, les dynasties locales, asmonéenne (famille juive appelée aussi « Maccabées » qui sonne la révolte contre les Séleucides et règne sur la Judée de 167 à 63 av. J.-C.) ou hérodienne, ont fait place à des fonctionnaires romains, garants du pouvoir de l’empereur. Cette chancellerie, dont le siège se situe à Césarée Maritime, port créé par Hérode le Grand sur le littoral méditerranéen, se double d’autorités locales, siégeant à Jérusalem. Dans cette ville si particulière, politique et religion sont intimement mêlées et le grand-prêtre, bien que soumis au pouvoir romain, occupe le sommet de la hiérarchie. Il préside le Sanhédrin ou Conseil des Anciens qui gère les affaires intérieures. Ces personnalités instruites, en plus de s’exprimer en hébreu, la langue liturgique, et en araméen, la langue vernaculaire, devaient aussi manier le grec sans difficulté. Cependant, chez la grande majorité de la population de Jérusalem. L’araméen et l’hébreu dominaient sans conteste. Enfin, outre cette population de souche locale, il convient de mentionner les convertis au judaïsme qui, quittant leur terre d’origine, viennent s’établir avec leur spécificité culturelle et linguistique au plus près du Temple. Mais passées les généralités, bien rares sont les témoignages qui permettent de recueillir des indices concernant l’origine ethnique d’une population. Le brassage de populations qui caractérisait la ville sainte du peuple juif ne devait très probablement pas surprendre Jésus. La Galilée de son enfance constitue elle aussi une région, souvent turbulente, où diverses ethnies et cultures se côtoient. En effet, d’abord concentrés en Judée, les juifs ont progressivement émigré, dès le IVe siècle avant J.C., vers des régions périphériques telles que la Galilée, au nord, l’Idumée, au sud, la Transjordanie, sur l’autre rive du Jourdain ou la Syrie du Sud. A ces mouvements de populations, s’ajoutent les conquêtes militaires qui, aux époques asmonéenne et hérodienne, engloberont dans ces royaumes successifs une très grande partie du pays. Ainsi, à l’exception du cas particulier de Jérusalem et de ses environs immédiats, les juifs se mêlent pratiquement partout à des païens de souches diverses, au point de se retrouver parfois minoritaires. Ces différences ethniques se doublent de divergences culturelles puisque le judaïsme de Galilée diffère de celui de Jérusalem. Cantonnées en quelque sorte au nord du pays, loin du Temple et de ses sacrifices précisément établis, les célébrations religieuses des Galiléens se concentrent sur les synagogues qui, déjà présentes, fleuriront après la destruction du Temple et de l’émigration d’une partie des juifs de Judée vers le Nord. Enfin, la côte palestinienne conserve toute sa spécificité. L’ancienne terre des Phéniciens reste en effet très majoritairement païenne tandis que plusieurs villes de l’intérieur du pays gardent le souvenir de leur fondation en tant que colonie phénicienne. Cependant, ces différences ne constituent pas les seules pierres d’achoppement d’une réalité multiple. Aux divergences qui distinguent les franges de populations de retour de Babylone et celles qui n’ont jamais quitté la Terre promise,
  • 11. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 11 s’ajoutent d’autres conflits à partir du IVe siècle av. J.-C. et la conquête d’Alexandre. On voit alors s’affronter les clans traditionnalistes et ceux que le mode de vie grecque fascine au point d’en maîtriser les usages et la langue. D’abord relativement discrète, cette opposition se cristallise durant la première moitié du IIe siècle av. J.-C. lors de la Révolte des Maccabées, opposés au parti helléniste. Ce soulèvement contre le royaume séleucide et les partisans locaux de l’hellénisme donnera naissance à la dynastie asmonéenne. L’indépendance politique de celle-ci prendra fin en -63, lorsque les romains interviendront dans les affaires du royaume confirmant ensuite sur le trône Hérode le Grand (-37). La domination romaine, loin de calmer les esprits, entraîne des troubles qui scelleront le sort de Jérusalem au cours de la seconde moitié du 1er siècle de notre ère. A l’occupation romaine privant les juifs de la souveraineté, se superposent les conséquences d’une crise sociale. Alors que les notables d’autres provinces s’ouvrent aux habitudes grecques et romaines et travaillent à leur élévation sociale au sein de l’Empire, les juifs se recentrent sur leurs particularismes. Cette instabilité latente constitue ainsi le ferment d’une agitation endémique laissant le champ libre aux prédicateurs et figures charismatiques les plus variés, annonçant l’arrivée d’un messie considéré comme un guide capable de restaurer un état juif indépendant. Les quelques réflexions qui précèdent montrent, si besoin en était, que la Palestine du 1er siècle de notre ère est loin de constituer un ensemble équivoque. Ces divergences culturelles, spirituelles et religieuses intimement liées ont fourni sans conteste une assise à la prédication d’un prophète venu de Galilée. [In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, S.BONATO- BACCARI, p. 60 à 63]
  • 12. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 12 L’EMERGENCE D’UNE PENSEE Chapitre 2 Un judaïsme pluriel Au 1er siècle de notre ère, le judaïsme est en pleine effervescence. Alors même qu’ils sont unis par leur foi en Dieu et la conviction d’appartenir à une même nation, plusieurs courants s’affrontent et tentent de s’affirmer. Du judaïsme au 1er siècle il faut parler au pluriel. Flavius Josèphe l’avait très bien compris. Dans « Les Antiquités judaïques », il présente à ses lecteurs trois « hérésies » (du grec hairesis, qui signifie ici école philosophique) : les Pharisiens, les Sadducéens, les Esséniens et également une quatrième option, celle de radicaux qui s’opposent violemment à Rome. Un autre courant, celui des baptistes, participe au bouillonnement du judaïsme di 1er siècle : Flavius Josèphe ne les cite pas dans ces « hérésies » mais consacre tout de même, dans une autre partie de son œuvre, un développement à Jean le Baptiste. I. Les Pharisiens Les Pharisiens sont nombreux (Flavius Josèphe en dénombre 6000 en Palestine) et exercent une influence grandissante. A l’origine, le terme signifie « séparé ». Leurs adversaires les accusaient en effet de se séparer soit de la vraie tradition, soit du pouvoir royal asmonéen. L’ambition des Pharisiens était d’appliquer la pureté sacerdotale à la vie quotidienne. Pour que tout Israélite puisse vivre dans l’état de pureté que la Torah réclamait des seuls membres du sacerdoce, les Pharisiens ont une approche évolutive : ils n’hésitent pas à se servir de la tradition voire, le cas échéant, à la rénover pour rendre la Torah plus praticable. Mais le pharisaïsme n’était pas monolithique : jusqu’à la destruction du Temple en 70, deux écoles dominent au sein du groupe. Elles se réfèrent à deux maîtres, Hillel et Chammaï, qui ont enseigné sous Hérode le Grand et au début du 1er siècle. Leurs positions par rapport à la Torah sont souvent résumées en disant que Hillel « allège » tandis que Chammaï « aggrave ». Dans les Evangiles, les Pharisiens sont rudoyés. Ils sont décrits comme ostentatoires, et formalistes. Dans l’Evangile de Matthieu, Jésus prononce sept malédictions contre ceux qu’il traite d’engeance de vipères et de Pharisiens hypocrites. Une autre phrase tirée de ce même Evangile montre pourtant que le désaccord n’est pas si grand : « Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les Pharisiens : faites donc et observez tout ce qu’ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent mais ne font pas ». En fait, soulignent Jérôme Prieur et Gérard Mordillat dans « Jésus illustre et inconnu », les piques adressées aux Pharisiens sont le témoignage d’une proximité (donc d’une rivalité d’autant plus vive) entre la démarche du Christ et la leur : « Les Pharisiens des Evangiles […] sont des adversaires auxquels on est prêt à ôter leurs propres qualités pour en conserver le bénéfice exclusif ». Une phrase du maître pharisien Hillel montre cette proximité. Le Talmud de Babylone affirme que toute sa pensée était réunie dans sa formule : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse à toi-même. Cela est toute la Torah, le reste n’est que son explication ». On retrouve là des thèmes de la prédication de Jésus. II. Les Sadducéens Aux Pharisiens s’opposent les Sadducéens. Le mot « sadducéen » est compris habituellement comme faisant référence à Sadoq, établi par le roi Salomon à la tête des prêtres de Jérusalem. En se revendiquant de Sadoq, les Sadducéens affirment la place centrale que doivent avoir les prêtres, en particulier le grand prêtre du Temple de Jérusalem. La complexité de la chose vient de ce que les Sadducéens ne sont pas un groupe strictement sacerdotal. L’opposition entre Pharisiens et Sadducéens est bien résumée par Flavius Josèphe : « Je veux maintenant dire simplement que les Pharisiens avaient introduit dans le peuple beaucoup de coutumes qu’ils tenaient des anciens, mais qui n’étaient pas inscrites dans les lois de Moïse et que, pour cette raison, le groupe des Sadducéens rejetait, soutenant qu’on ne devait ne considérer comme des lois que ce qui était écrit, et ne pas observer ce qui était transmis seulement par la Tradition […] ». Derrière cette controverse, une concurrence : Sadducéens et Pharisiens s’opposent sur le droit d’enseigner la pratique de la Torah au peuple. Ce droit, dévolu aux prêtres par la Torah, fut de plus en plus observé par les Pharisiens, mouvement laïque. III. Les Esséniens Les Esséniens constituent le troisième courant décrit par Flavius Josèphe. Leur connaissance a été profondément renouvelée par la découverte des premiers rouleaux de Qumrân, en 1947, puis les fouilles de Khirbat Qumrân et Aïn Fechka. Jusqu’à cette date, on ne connaissait les Esséniens que par des données littéraires indirectes. Le sens profond de la démarche des Esséniens est la refondation d’Israël à partir du désert, loin des autorités et du Temple de Jérusalem, avec une idée d’urgence : la fin est proche, un Messie (dédoublé en un Messie-prêtre et un Messie-roi) est attendu pour bientôt. Or, pour les Esséniens, les sacrifices accomplis au Temple de Jérusalem sont incapables d’amener le pardon de Yahvé. Il faut aller plus loin et se donner pour but d’accomplir la loi de Moïse dans son extrême rigueur. L’opposition aux Pharisiens (et à Jésus) est ici très nette. IV. Les Baptistes Cette idée que le Temple de Jérusalem ne peut assurer le pardon de Yahvé se retrouve chez les Baptistes. Le mouvement de Jean le Baptiste est le mieux connu grâce au Nouveau Testament, mais la littérature rabbinique ou patristique mentionne d’autres mouvements, tels les « hémérobaptistes » (« baptistes quotidiens ») ou mes « baptistes du matin ».
  • 13. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 13 On peut de prime abord se demander quelle est l’originalité de ces mouvements, tant l’importance des rites d’eau est grande chez les Esséniens ou les Pharisiens. Mais chez les Baptistes, il ne s’agit plus d’ablutions rituelles. « Pratiqués dans l’eau courante, les rites baptistes entendent bien pardonner les péchés et se substituer ainsi aux sacrifices prévus par le rituel du Temple. Là est la grande originalité des groupes baptistes », explique Jean-Pierre Lémonon dans « Le Monde où vivait Jésus ». Entre la levée des empêchements rituels, et la levée des péchés, la différence est considérable. C’est tout le système du Temple qui est menacé par cette évolution. Parmi les Baptistes, le mouvement de Jean a frappé les contemporains. Il est décrit par Flavius Josèphe comme « un homme de bien qui exhortait les juifs a exercer la vertu, à pratiquer la justice les uns envers les autres et la piété envers Dieu, à se réunir par un baptême ». Le baptême de Jean comprenait deux singularités dont héritera le baptême chrétien. A la différence des diverses ablutions juives et même du baptême des hémérobaptistes, le candidat ne se lave ni ne se baigne lui-même, ce rite lui est administré par un autre. En outre, ce rite n’est pas réitérable alors que l’ablution et les autres baptêmes relèvent d’une série indéfinie. Il est un acte unique « comme est unique et définitif le jugement qu’il est censé prévenir », (Simon Légasse, cité dans « Le Monde où vivait Jésus »). Le ministère de Jean deure probablement de l’automne 27 à la fin de l’an 28. Il est ensuite exécuté par Hérode Antipas. Les Evangiles reconnaissent que Jésus devint l’un de ses disciples, mais ils cherchent tous à marquer la supériorité de Jésus sur Jean le Baptiste. Dans l’Evangile de Marc, le Baptiste se revendique comme un simple éclaireur : « Vient derrière moi celui qui est plus fort que moi, dont je ne suis pas digne en me courbant de délier la courroie de ses sandales ». Ensuite, la prédication de Jésus, telle qu’elle est décrite dans les Evangiles, s’éloigne de celle du Baptiste puisqu’il ne recourt plus au rite de l’eau. Il est « un Baptiste qui bientôt ne baptisera plus » (J.-P. Lémonon). Pharisiens, Sadducéens, Baptistes, Esséniens… Quand on mentionne ces différents courants, l’insistance didactique sur ce qui les différencie peut faire oublier tout ce qui les rassemble. Ces différents groupes sont cependant reliés par la foi au Dieu unique, la conscience d’être un peuple de témoins au milieu des nations, la volonté de refaire d’Israël la parfaite communauté de l’alliance, comme au temps du désert. Chez beaucoup, aussi, se répand une fièvre apocalyptique. Le sentiment que la fin n’est pas loin, et que comme il est dit dans l’Evangile de Matthieu « la cognée se trouve à la racine des arbres », est largement partagé. Après 70, ce judaïsme bouillonnant et pluriel va devenir un judaïsme codifié, unifié, sous l’égide du pharisaïsme, seul courant à survivre à la guerre juive et à la destruction de Jérusalem. La tradition rabbinique est l’héritière de ce courant pharisien. [In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-F.MONDOT, p. 64 à 68]
  • 14. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 14 Les esséniens de Qumrân : précurseurs du Christ ? Parmi les manuscrits de la mer Morte, découverts au milieu du XXe siècle, certains textes renseignent sur le mode de vie et les préceptes de ceux qui les ont écrits : les esséniens. D’aucuns ont voulu y voir des liens entre cette secte juive et le christianisme naissant. La tradition veut que ce soit un jeune bédouin de la tribu des Ta’amireh qui soit à l’origine, en 1947, de la découverte de ce qu’il est depuis convenu d’appeler les Manuscrits de la Mer Morte. Aujourd’hui, en 2004, ces manuscrits ont été presque tous publiés, après bien des déboires, quelques controverses et beaucoup de suspicion. Un travail de titan a été nécessaire pour établir des textes à partir du puzzle de ces milliers de fragments épars n’offrant le plus souvent que des brides, très lacunaires, de textes. Sont désormais accessibles les 95% environ des 800 rouleaux découverts dans les onze grottes surplombant le site de Khirbet Qumrân, initialement fouillé par le père de Vaux, sur le versant ouest de la mer Morte où les restes d’une communauté essénienne de type monastique ont été retrouvées. Rédigés en hébreu, en araméen et en grec, ces textes, bien que très fragmentaires à l’exception d’une douzaine provenant principalement des grottes 1 et 4, ont profondément bouleversé notre connaissance de l’Ancien Testament et apporté un éclairage nouveau sur la diversité du judaïsme contemporain de la naissance de l’ère chrétienne. Plus particulièrement, ces manuscrits ont fourni de substantiels renseignements sur la secte essénienne, dont nous ne connaissions guère plus que ce que Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe en avaient rapporté. Il s’agit pour une bonne part, de textes bibliques. Ce sont les plus anciens que nous connaissions : avant 1947, nous n’avions à disposition que des copies médiévales. La rédaction de ces écrits s’échelonne du début du IIe siècle avant J.-C. à 68 après, date à laquelle le monastère de Qumrân a été détruit par les romains. L’ensemble des manuscrits de la mer Morte peut être classé selon trois grandes catégories. Des écrits bibliques tout d’abord. A l’exception du Livre d’Esther, nous avons là des fragments de tous les textes de la Bible hébraïque telle qu’elle nous est parvenue aujourd’hui. Mais outre ces textes canoniques, les anfractuosités dominant Qumrân ont aussi fourni nombre d’apocryphes de l’Ancien Testament. Il s’agit de textes parabibliques qui nous renseignent sur la diversité des croyances au sein du judaïsme à l’aube de l’ère chrétienne. Enfin, on y a trouvé une grande quantité de livres sectaires, directement liés à la communauté occupant le site en contrebas et permettant d’en éclairer la nature. Sur le site lui-même, les ruines masquent les traces d’une occupation très ancienne, datant de l’âge de fer, probablement du VIIIe ou VIIe siècle avant J.-C. Ce n’est qu’au cours du IIe siècle que la présence essénienne ne peut être attestée. Le judaïsme des esséniens est en rupture avec le pharisaïsme sur bien des points. La communauté se veut indépendante du Temple de Jérusalem qu’elle semble juger illégitime. Les esséniens sont en outre en désaccord avec le Temple à propos du calendrier des célébrations. Les textes proprement esséniens de Qumrân révèlent enfin l’attente eschatologique et le messianisme de la secte. Le personnage du « Maître de Justice », fondateur de la communauté est présenté lui-même comme le restaurateur de l’Alliance d’Israël avec Dieu, et ne semble attendre la venue d’aucun autre Messie. En revanche, d’autres textes, des périodes correspondant à la naissance du christianisme, se présentent comme des prophéties messianiques. Ce messianisme est même double puisque les textes annoncent la venue d’une part d’un Messie sacerdotal, un prêtre donc, et d’autre part celle d’un Messie davidique. Ces caractéristiques de l’essénisme qumrânien ont bien évidemment échauffé de nombreux esprits. Certains ont même cru lire dans ces manuscrits la mention d’un Messie « crucifié ». Il a parfois été aussi suggéré Jean-Baptiste était essénien. L’attente eschatologique dont témoignent les écrits esséniens a elle aussi suscité des rapprochements hâtifs entre la secte et le christianisme naissant. Emile Puech, directeur de recherche au CNRS, peut donc conclure : « En définitive, s’il est difficile de trancher si Jean a connu ou non les esséniens de Qumrân, il est sûr qu’il n’a jamais été leur adepte, à moins d’avoir totalement changé de cap ». Jésus était-il une incarnation du Messie davidique attendu par les esséniens ? De fait l’annonce d’un « royaume éternel » grâce à la venue du « Fils du Très-Haut » que l’on retrouve dans les manuscrits de Qumrân n’est pas sans rappeler l’Evangile de Luc : « Lui, Il sera grand. Il sera appelé Fils du Très-Haut. Il règnera à jamais et son règne n’aura pas de fin ». Toutefois, même si les rédacteurs des Evangiles, et en particulier Luc et Matthieu, peuvent être ainsi rapprochés d’une tradition juive, tant du point de vue des thèmes abordés que des expressions et formes littéraires utilisées, Emile Puech précise que « la présentation messianique des Evangiles diffère totalement de celle des textes esséniens ». La résurrection qu’annoncent les textes esséniens ne revêt pas le caractère universel des textes chrétiens mais est réservée aux seuls justes (soit les esséniens seuls). En outre, le respect littéral et sans concession de la Loi dont font montre les esséniens semble assez incompatible avec l’enseignement du Christ. Emile Puech en conclut que « la dimension universelle de la figure messianique de Jésus, livré pour le salut de la multitude, tranche d’autant plus sur le caractère fermé du courant essénien. Le baptême au nom de Jésus pour le pardon des péchés et le don de l’Esprit ne peut en rien se comparer à quelque ablution rituelle, signifiant une purification passagère et répétitive ». Aussi serait-il exagéré et hâtif de voir dans le christianisme naissant une extension de l’essénisme. Ce serait minimiser la nouveauté des Evangiles. Tout au plus peut-on voir dans les textes chrétiens les traces de diverses traditions littéraires juives. [In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, P.DESCAMPS, p. 70 à 77]
  • 15. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 15 Jésus face à l’Archéologie & à l’Histoire LES RELIQUES DU CHRIST
  • 16. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 16 LES RELIQUES DU CHRIST Chapitre Unique Fragments de preuves ? Apparues au IVe siècle, les « reliques du Christ » répondent aux attentes des croyants pour lesquels le récit des Evangiles ne saurait être mis en doute. Ce n’est que bien plus tard qu’elles sont chargées de prouver la véracité de ces écrits. Mais ont-elles été inventées dans ce but ? Nul ne mentionne les reliques du Christ pendant les trois premiers siècles de notre ère. Puis, au IVe siècle, en 325 précisément, à l’issue du concile de Nicée, qui établit la première définition de l’orthodoxie chrétienne, l’empereur romain d’Orient, Constantin le Grand, converti au christianisme en 310, ordonne à Macaire, évêque de Jérusalem, de faire rechercher puis dégager le tombeau du Christ. L’année suivante, l’impératrice Hélène, mère de l’empereur, se rend à Jérusalem. Alors qu’elle se trouve dans la ville, le Saint- Sépulcre est retrouvé et, non loin, trois croix sont exhumées : celles du Christ et des deux larrons. Celle qui sera appelée traditionnellement la « Vraie Croix » est reconnue lorsqu’un malade qui la touche est guéri. Au cours des siècles suivants, cette procédure d’authentification rapportée dans la légende est la seule qui sera admise comme valable. Une relique est authentique si elle joue son rôle de relique : si elle fait des miracles. Outre la Croix, l’impératrice découvre le titulus, l’écriteau placé sur la Croix et portant la célèbre mention en trois langues « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs », les clous et la tunique que portait le Christ sur le chemin de croix. Selon la légende, elle fit don de ce vêtement à Trêve, sa ville natale… Lors de son séjour, Hélène localise aussi le Golgotha et le jardin des Oliviers. De passage à Bethléem elle identifie la grotte de la Nativité. En tous ces lieux, son fils ordonne la construction de basiliques, qui deviennent dès lors le but de nombreux pèlerinages. Car il s’agit de bâtir un pont entre Jérusalem, pôle religieux et de l’Empire romain d’Orient, et Constantinople, la capitale politique. Les premiers empereurs chrétiens de Constantinople jettent les bases d’un système politique que l’on qualifiera de « césaropapisme ». Une situation où le religieux est subordonné au politique. La Croix, inventée par la mère de l’empereur, appartient symboliquement à ce dernier. En la laissant à Jérusalem, il affirme sa présence dans la ville. Mais par le fragment qu’il conserve à Constantinople, l’empereur signifie la présence du Christ à ses côtés. A la suite d’Hélène, de fervents pèlerins affluent à Jérusalem. Les lieux essentiels des Evangiles sont tous repérés. Jusqu’aux éléments les plus immatériels. En 409, l’évêque Paulin de Nole raconte que la poussière qui couvre l’endroit où la tradition situe l’Ascension, conserve l’empreinte des pieds du Christ. Tandis que les pèlerins dressent l’inventaire géographique des lieux saints, le clergé local leur fournit les objets évoqués dans les Evangiles et qu’ils s’attendent à trouver sur place. Le calice de la dernière cène, le vase des noces de Cana… Quand à la question de la conservation à travers le temps, la réponse est simple : le contact avec le Sauveur les a rendus incorruptibles. Constantin et ses successeurs engagent pendant ce temps un vaste mouvement de concentration des reliques du Christ à Constantinople, jusqu’au VIIe siècle, où la ville finit par cumuler les fonctions de capitale politique et religieuse. Car en 638, Jérusalem, prise par les Arabes, échappe à la chrétienté. Les reliques disponibles sont alors déplacées à Constantinople. Instrument politique, les reliques sont aussi une source considérable de revenus. Jusqu’au XIIIe siècle, les pèlerins affluent de tout l’Occident pour les voir ou au moins les approcher dans la chapelle de la Vierge du Phare, située dans le palais impérial. En 1204, les Croisés de la 4ème croisade s’emparent de la ville et de ses reliques. Quarante-trois ans plus tard, l’empereur Baudouin II, ruiné, les met en gage auprès des Vénitiens. Mais finalement, c’est à Paris qu’elles arrivent. Le roi Louis XI rachète la dette aux Vénitiens et par là même les reliques. L’inventaire dressé à cette occasion fait mention de vingt-deux objets : la sainte Couronne d’épines, la Vraie Croix, la saint Sang, les vêtements de l’Enfance, du sang sorti d’une icône du Christ, le carcan en fer de la flagellation, la pierre de Saint- Sépulcre, le lait de la Vierge, le fer de la lance qui servit à percer le côté du Christ, le manteau de pourpre dont le revêtirent les soldats, le roseau qu’ils lui donnèrent comme sceptre, l’éponge qui servit à lui donner à boire, le Suaire, les linges du lavement des pieds… Pour accueillir ces objets sacrés, Saint-Louis fait bâtir, à Paris dans son palais, la Sainte-Chapelle. La ville hérite du privilège de Constantinople : l’usage des reliques du Christ à des fins diplomatiques. Jusqu’à sa mort en 1270, Louis IX procède à douze distributions d’épines de la couronne et de fragments de la croix pour payer des services et sceller des alliances. Les reliques sont des outils de pouvoir. Il est permis de se demander sur quoi reposait ce pouvoir lorsque l’on apprend qu’à Constantinople, on adorait encore en 1261 des objets semblables à ceux cédés à Louis XI. Par ailleurs, la cathédrale d’Aix-la-Chapelle se targuait de posséder dans sont trésor, et ce depuis 797, une couronne d’épines, les langes de l’enfance du Christ, la corde qui avait servi à l’attacher pendant la flagellation, le linge qui entourait ses reins sur la croix, un morceau de clou et un autre de la croix. Toutes les reliques offertes à Charlemagne par l’impératrice Irène de Constantinople. L’une des premières remises en question de l’authenticité de ces objets vient d’un moine du XIIe siècle, Guibert de Nogent. Le doute l’envahit lorsqu’il vénère la dent de lait du Christ, le lait de la Vierge ou encore l’un des nombreux chefs de saint Jean-Baptiste répertoriés à l’époque. Face à la multiplication des ces objets, Guibert de Nogent ne peut qu’exposer ses soupçons sur leur authenticité. En 1543, Calvin reprend ce thème dans le pamphlet qu’il consacre à la question, le « Traité des Reliques ».
  • 17. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 17 Il faut dire que la nature de certaines des reliques liées au Christ et proposées à la vénération des fidèles a de quoi faire sourire aujourd’hui. Dans une église on peut adorer une fiole présentée comme renfermant le souffle que rendit Jésus sur la croix. La cathédrale de Laon est fière de posséder son nombril… Toutefois, qu’il s’agisse de Guibert de Nogent ou de Jean Calvin, ce n’est pas l’existence historique des personnages auxquels elles sont reliées qui est mis en doute, mais bien l’origine des reliques et la nécessité d’un tel culte. Quelque deux siècles plus tard, dans son essai sur l’esprit des nations, Voltaire écrit à propos des reliques de la Sainte- Chapelle : « Ce sont des témoignages de piété plutôt que de la connaissance de l’antiquité ». Lors de la révolution française, les reliquaires de la Sainte-Chapelle sont détruits et la grande majorité de ce qu’ils contenaient brûlé. Quand s’éteignent les derniers feux de la révolution, certaines reliques reparaissent. 1898 marque un tournant décisif dans l’histoire du regard porté sur les reliques du Christ. Cette année-là une photographie est prise qui jette une lumière particulière sur l’un de ces objets, le linge conservé à Turin et connu sous le nom de Suaire de Turin. Un photographe, Secundo Pia, réalise cette année-là un cliché du suaire sur plaque de verre. Le négatif montre l’image très nette, en positif, d’un homme nu alors que sur le suaire on distingue seulement un faible contour brunâtre que seul un regard attentif permet d’identifier comme la silhouette d’un corps humain. Depuis cette photographie, la polémique fait rage. Elle s’articule autour de deux questions : d’où le suaire provient-il et comment l’image a-t-elle été portée dessus ? Pour les tenants du faux, c’est un artefact médiéval. Les partisans de l’authenticité n’hésitent pas à avancer l’hypothèse du « flash de la résurrection », sorte d’explosion nucléaire qui aurait impressionné le tissu lors du retour à la vie du Christ. Le suaire, une preuve matérielle de la résurrection ? En 1988, la datation du tissu au carbone 14 indique qu’il a été tissé entre 1260 et 1390. Le clergé s’est officiellement rangé à ce résultat. Les « pro-suaires » ont hurlé à la fascination. La dernière « relique » en date, qui aurait pu constituer une preuve matérielle de l’existence historique de Jésus est un ossuaire. A la fin de l’année 2002, on annonce la découverte, chez un collectionneur privé de Tel-Aviv, d’une caisse en pierre datée de la seconde moitié du 1er siècle de notre ère et qui porte l’inscription en araméen « Jacques fils de Joseph, frère de Jésus ». La nouvelle fait grand bruit. Il s’agirait de l’ossuaire du frère de Jésus de Nazareth, lapidé en 62 et premier chef de l’église de Jérusalem. Toutefois, ce n’est pas à proprement parler une relique du Christ, puisque aucun contact direct entre l’homme et l’objet n’a eu lieu. La provenance de cet ossuaire est imprécise. L’authenticité de l’inscription est contestée. Comme le souligne Emile Puech, directeur de recherche à l’institut d’épigraphie sémitique du Collège de France, « ce que l’on a, c’est tout simplement l’attestation d’un Jacques fils de Joseph ayant eu un frère du nom de Jésus. En dire plus serait outrepasser largement les conclusions que l’on peut scientifiquement tirer des données brutes ». Ainsi, malgré tous les efforts déployés pour l’en faire sortir et les quelques artefacts appelés à la rescousse, le personnage historique Jésus s’obstine à demeurer dans l’ombre. [In Les Cahiers de Sciences & Vie n°83 – Octobre 2004, J.-B.GOUYON, p. 108 à 112]
  • 18. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 18 L’énigme du Saint-Suaire Le suaire de Turin est-il l’unique témoin – hormis les Ecritures – des ultimes heures de la vie du Christ ou un faux du Moyen Age destiné à tromper les dévots ? Depuis des décennies, il enflamme les imaginations, attise les passions, divise croyants et savants... On croyait, en 1988, l’affaire du suaire de Turin classée quand, à la demande de l’archevêque de la ville – alors le cardinal Anastasio Ballestrero – trois laboratoires, après examen d’échantillons du suaire selon la technique dite du " carbone 14 ", ont rendu leur verdict de datation : le lin ayant servi à tisser cette pièce a été récolté à la fin du XIIIe siècle ou au début du XIVe. Le suaire ne peut être celui qui a enveloppé le Christ au tombeau. Les chercheurs se risquent même à avancer une date : entre 1283 et 1385. Etait-ce la fin d’une belle histoire, d’un modèle de dévotion hors du commun, très supérieur à tout ce que propose l’iconographie chrétienne et qui a encore attiré à Turin, en 1998, lors de la dernière " ostension " du suaire, trois millions de fidèles ? Non, l’affaire est loin d’être close. Depuis la datation au carbone 14, de nouvelles recherches relancent l’intérêt, et les lobbies – pour ou contre l’authenticité du linceul du Christ – affûtent leurs armes. Accusée d’extrême sévérité (" Cherchez le faussaire " !), la hiérarchie catholique reste, dans ce dossier, d’une parfaite sérénité : la foi dans le Christ mort et ressuscité ne peut pas dépendre d’un bout de tissu. Repères historiques On trouve une trace pour la première fois en France, en l’an 1335, de cette tunique de lin qui mesure 4,36 mètres de long sur 1,10 mètre de large. Elle a enveloppé un corps d’homme d’environ 1,78 mètre, recouvert de traces de coups et de taches rose pâle correspondant à des hémorragies. Les premières ostensions du suaire ont lieu dans la collégiale de Geoffroy de Charny, à Lirey, près de Troyes. L’épouse de ce seigneur compte un ancêtre croisé, Othon de La Roche, qui aurait ramené cette précieuse relique du sac de Constantinople en 1204. Avant elle, aucun document ne mentionne la présence de ce linceul, malgré l’identification encore faite avec le mandylion, ce portrait du Christ " non fait de main d’homme ", autrefois vénéré à Edesse, au sud de l’actuelle Turquie, puis à Constantinople, inspirant l’art iconographique avant de disparaître lorsque la ville fut pillée par les croisés il y a exactement huit siècles. Les ostensions de Lirey sont vite interdites par les évêques de Troyes, très méfiants quant à l’authenticité de cette toile. Le pape Clément VII (1523-1534) les autorise sous la pression populaire, mais exige que cesse toute fraude et affirme que " ladite figure en représentation n’est pas le vrai suaire de Notre Seigneur ". A la suite de conflits de propriété, la tunique échoue en 1453 entre les mains du duc de Savoie. Elle circule entre Nice, Milan et Turin où elle échoue et se fixe en 1578. Les papes vont ensuite autoriser son culte qui attirera dans le Piémont les princes et des flots de simples pèlerins. La dévotion ne va plus cesser. Le verdict de la datation La surprise est énorme quand, en 1898, un photographe turinois, Secundo Pia, est autorisé à prendre des photos du suaire. Il plonge ses plaques de verre dans un bain de révélateur et voit apparaître, au lieu de négatifs, l’image en positif d’un visage et d’un corps supplicié ! La thèse de l’authenticité gagne un point décisif. Le " négatif-positif " fait apparaître des traces de blessures qui correspondent très exactement aux récits de la Passion et de la mort du Christ : le couronnement d’épines, la flagellation, le port de la croix, etc. Le suaire devient un évangile vivant ! Les dévots du suaire exultent : comment cette image inversée, et si nette, aurait-elle pu être fabriquée par un faussaire ? Bien plus, les marques de sang ne révèlent pas de traces d’arrachement. Comme si le cadavre avait été détaché de son enveloppe ! N’est-ce pas la preuve de la dématérialisation de la sortie du tombeau, de la résurrection du Christ ? Autant dire que, dans un tel climat d’exaltation, les résultats de l’examen au carbone 14 en 1988 ont fait l’effet d’une douche froide. Cette technique repose sur la mesure de la teneur en carbone14 de l’échantillon à analyser. Cet isotope radioactif du carbone est absorbé par tous les organismes vivants végétaux ou animaux. Dès la mort de l’organisme, il n’est plus renouvelé et son taux se met à baisser (il diminue de moitié tous les 5570 ans). Par ce biais, on peut donc dater toute matière organique. Les équipes de chercheurs qui ont examiné le suaire, venant de trois laboratoires indépendants de Zurich, d’Oxford et de Tucson (Arizona), sont formelles et donnent une fiabilité de 95% à leur fourchette de datation (1283-1385). La polémique Mais les tenants de l’authenticité du linceul du Christ ne se découragent pas pour autant. Ils mettent en cause les défaillances des méthodes de prélèvement, contestent l’intérêt des fragments de tissu soumis à examen. Prélevés sur des franges, hors de l’image du crucifié, ces échantillons ne seraient pas fiables. Des pollutions, comme des dépôts de bactéries et virus, auraient pu former sur le lin une sorte de revêtement bioplastique susceptible de le surcharger en carbone 14 et de fausser les résultats de la datation. C’est l’avis de deux chercheurs : un Américain, Leoncio Garcia Valdés, et un Russe, Dimitri Kouznetsov. Selon une autre thèse développée en 1993 par le congrès du CIELT (Centre international d’études sur le linceul de Turin), un incendie survenu en 1532 dans la chapelle de Chambéry où se trouvait alors le linceul aurait pu faire fondre la châsse et abîmer le tissu. Mais pour des spécialistes comme Jacques Evin, directeur du laboratoire des radiocarbones de Lyon, ou Gabriel Vial, expert en tissus anciens qui a assisté au prélèvement des échantillons du suaire, le doute n’est plus permis. Dans les congrès chargés d’examiner les contestations des travaux de datation au carbone 14, le cas du suaire n’est même pas examiné. La publication, dans une revue scientifique comme Nature, des travaux effectués par les trois laboratoires sur la datation du tissu prouve, pour Jacques Evin, que " la méthodologie du traitement et le détail des analyses isotopiques sont incontestables ". Les demandes s’accumulent pourtant pour que l’Eglise accepte que soit scientifiquement repris l’ensemble des questions soulevées. Elles sont encouragées par des découvertes plus récentes. Ainsi l’étude des pollens retrouvés sur le linceul : Max Frei, un criminologue de Zurich, confirmé par un spécialiste israélien, Avinoam Danon, a pu établir que cinquante-huit traces de pollen viennent bien du Moyen-Orient. De même, grâce à la numérisation des photographies du suaire, un chercheur comme André Marion, de l’Institut d’optique théorique d’Orsay, a réussi à déchiffrer et à identifier des inscriptions autour du visage du crucifié. Notamment le mot " innecem ", qui serait une abréviation latine pour in necem ibis – " Tu iras à la mort " –, soit l’arrêt de mort. Ou encore le mot Nazarenus – " le Nazaréen ". André Marion est très frappé par la topographie des traces des blessures qui correspondent exactement à celles de la tunique d’Argenteuil que le Christ aurait portée au moment de son chemin de croix. Les seules certitudes sont les suivantes : les empreintes retrouvées sur le suaire n’ont pas été peintes. Elles viennent d’un homme qui a été crucifié, soumis aux mêmes traitements que ceux décrits dans les récits évangéliques de la Passion. Reste à savoir si ce crucifié est contemporain de Jésus ou si ce crucifié a été supplicié au Moyen Age ! Mais au Moyen Age, on ne crucifiait plus personne. L’énigme reste entière, et pour longtemps. [TINCQ HENRI - Publié le 1 novembre 2004 - Le Monde des Religions n°8]
  • 19. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 19 A-t-on retrouvé le tombeau de Jésus ? En 1980, des promoteurs immobiliers mettent au jour un tombeau à Talpiot, à Jérusalem. Dix ossuaires du 1er siècle y sont découverts, que l'autorité israélienne des antiquités entrepose puis oublie. Mais en 2005, deux réalisateurs de documentaires retrouvent la nécropole. D'après eux, il s'agit du tombeau de Jésus et de sa famille. En 1980, une sépulture du 1er siècle est découverte à trois kilomètres au sud de Jérusalem, à Talpiot. La coutume voulait alors que les juifs de familles aisées ensevelissent leurs défunts dans des nécropoles comme celle de Talpiot. Les corps étaient enveloppés dans un drap et « séchés » pendant une ou deux années. Le deuil terminé, la famille revenait au tombeau déposer les ossements dans un ossuaire, coffret en pierre de la longueur d'un fémur et de la largeur d'un crâne. Une façon de libérer de l'espace. Dépêché sur les lieux de la découverte, l'archéologue Shimon Gibson relève la présence de dix ossuaires, dont six portent des inscriptions de noms : Maria, Yosé et Matia (en hébreu), « Jésus fils de Joseph » et « Judas fils de Jésus » (en araméen), enfin «Mariame Kai Mara » (écrit en grec et en araméen). Si cette concentration de noms proches de ceux du Nouveau Testament peut s'avérer troublante, la découverte elle-même n'émeut alors personne : il n'y a pas plus de spécificités à cette nécropole qu'aux 900 autres retrouvées dans un rayon de quatre kilomètres autour de la vieille ville de Jérusalem, commente, dans son rapport d'authentification des fouilles, en 1996, le plus grand spécialiste des tombeaux de la ville sainte, l'archéologue israélien Amor Kloner. Puis la tombe a été refermée, les ossuaires ont été déposés dans l'entrepôt archéologique de Beth Shemesh et l'urbanisme du quartier s'est développé. En mars 2007, coup de tonnerre. Après trois années d'enquête, deux cinéastes canadiens (dont Simcha Jacobovici qui est aussi israélien) formulent une nouvelle thèse : la tombe de Talpiot serait celle de Jésus, on y aurait enfermé ses ossements, mais aussi ceux de sa mère, Marie, de sa femme, Mariame Kai Mara, dite... Marie-Madeleine, de leur fils présumé Judas (âgé d'une douzaine d'années), de Yosé, l'un de ses quatre frères, et de Matia, un autre membre de sa famille. Leur thèse donne simultanément lieu à un documentaire et à un livre (1). S'agit-il d'une imposture ? Ou d'une découverte susceptible d'ébranler les fondements du christianisme ? En effet, l'existence des ossements du Christ irait à l'encontre des quatre Évangiles, qui affirment la résurrection de Jésus, dont le tombeau a été retrouvé vide au troisième jour (Jean 20). Et, comme l'écrit saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens (Paul, 15,14) : « Si le Christ n'est pas ressuscité, alors notre prédication est vide, vide aussi votre foi. » La thèse du documentaire produit par James Cameron repose sur un certain nombre d'arguments. D'abord, la probabilité que ces noms, regroupés dans le même caveau, ne soient pas ceux de la famille de Jésus-Christ est d'une chance sur 600, comme l'affirme, dans le documentaire, après de savants calculs, Andrey Feuerverger, professeur de statistiques et de mathématiques à l'Université de Toronto. Pour obtenir ce chiffre, l'universitaire a multiplié entre elles les fréquences des noms à l'époque (« 1 personne sur 190 se nommait Jésus fils de Joseph, 1 sur 160 s'appelait Mariamne, 1 sur 20 s'appelait Yosé... »), puis a introduit différentes pondérations. Par ailleurs, l'analyse des ADN des restes retrouvés dans les ossuaires portant les noms de Jésus et Mariame Kai Mara révèle que les deux personnages n'ont aucun lien sanguin, donc aucune raison de se retrouver dans la même tombe, sauf à être... époux. Une union déjà rêvée par l'écrivain grec Nikos Kazantzakis dans la Dernière tentation (1951) puis fantasmée par l'Américain Dan Brown dans Da Vinci Code (2003). La tombe de Talpiot est-elle vraiment celle de Jésus ? Un certain nombre de scientifiques et d'archéologues affirment que non. Ils ne sont pas forcément mus par leurs croyances : « Je n'exclus pas qu'on puisse trouver un tombeau de Jésus, souligne ainsi l'archéologue Jean-Sylvain Caillou, auteur d'une thèse sur les tombeaux royaux de Judée. Mais la méthode employée par ces cinéastes est très loin d'être fiable à 100 % ! » Certaines cautions scientifiques du film se rétractent : « Ils se sont bien gardé de me dire pourquoi ils avaient voulu m'interviewer ! » s'exclame François Bovon, professeur de Nouveau Testament à la Divinity School de l'Université Harvard, outré d'avoir été « utilisé » comme garant universitaire dans un film qu'il classe dans la catégorie « science fiction ». Le Monde des Religions a repris l'enquête. D'abord, sur la fréquence des noms gravés sur les ossuaires : ils étaient trop courants à l'époque pour qu'on puisse en tirer un enseignement. 25 % des femmes s'appelaient Marie, 10 % des hommes Joseph, 10 % Jésus, indique André Lemaire, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, spécialiste de philologie et d'épigraphie hébraïque et araméenne. En se livrant au calcul de probabilité le plus favorable au documentaire, l'archéologue Jean-Sylvain Caillou et le polytechnicien David Diano, se basant à la fois sur les inscriptions et les analyses ADN, estiment qu'il y a moins d'une chance sur 200 pour que l'hypothèse de Jocobovici (Jésus père de Judas, enterré avec sa femme Mariamne et deux de ses frères) soit la bonne. « Même si cela était le cas, ajoutent-ils, rien ne prouverait que Mariamne corresponde à la Marie-Madeleine des Évangiles et Jésus père de Judas à Jésus de Nazareth ! » Le débat reste donc ouvert entre statisticiens. L'ADN ? La recherche d'ADN n'a pu, en fait, être réalisée sur les ossements. Les documentaristes n'ont eu accès qu'aux résidus d'ossements collés aux parois internes des ossuaires. La raison ? « La loi juive d'Israël qui exige de confier les ossements à la communauté juive orthodoxe de Jérusalem qui les inhume dans des fosses communes réservées à cet effet », explique Simcha Jacobovici. Ils ont limité leurs analyses à deux ossuaires, ceux de Jésus et de « Mariame Kai Mara ». Ils n'ont pas le même ADN mitochondrial, donc pas la même mère. Qu'en est-il pour le père ? Motus. « Pourquoi ne pas avoir étudié les ADN de tous les défunts et diagnostiqué l'âge des morts ? », reproche Jean-Sylvain Caillou. Seul l'ossuaire de Judas avait la taille d'un ossuaire d'enfant, ce qui fait dire à Simcha Jacobovici que Judas était « un enfant de douze ans ». Autre argument, la distance (trois kilomètres) qui sépare Talpiot du Calvaire, considéré comme le lieu où Jésus est mort et a été enseveli. Citant saint Matthieu, Simcha Jacobovici affirme que, selon les coutumes juives, « le corps de Jésus a été transporté par ses disciples jusqu'à sa tombe familiale ». L'Évangile de Matthieu (Mt 28,11-15) est en fait plus explicite : la thèse du transport du corps de Jésus par les disciples aurait été inventée par les prêtres juifs afin d'expliquer au gouverneur romain la mystérieuse disparition du corps. Autre objection à la localisation de la tombe familiale à Talpiot : le père Christian Eeckhout, professeur de topographie à l'École biblique et archéologique française de Jérusalem, note que la famille de Jésus, originaire de Nazareth en Galilée et sans liens avec Jérusalem, n'avait aucune raison d'enterrer ses membres si loin de chez elle, au sud de Jérusalem. Le père Eeckhout ajoute qu'elle était d'ailleurs
  • 20. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 20 bien trop pauvre pour posséder une tombe aussi coûteuse. En outre, aucun Évangile ne mentionne la possession par la famille du Christ d'une tombe ou d'ossuaires. D'autre part, précisent le professeur Bovon et l'archéologue Levi Yizhaq Rahmani, pour les défunts juifs ensevelis hors de leur région, l'origine devait être inscrite sur la tombe à côté du nom. Or, nulle trace d'un « Jésus le Nazaréen » sur les ossuaires de Talpiot. Quant à l'historienne Michèle Jarton, à la fois théologienne et sociologue, elle note que si la famille de Jésus avait été inhumée en tant que chrétienne, aucun nom n'aurait été indiqué : « À l'époque, les premières communautés chrétiennes étaient persécutées et la prudence leur commandait de ne pas graver leurs noms sur les tombes au risque d'être découvertes et condamnées. » A fortiori, la famille de Jésus de Nazareth ! Les biblistes notent par ailleurs que Jésus de Nazareth n'a jamais été nommé « fils de Joseph ». Arnaud Sérandour, chercheur à l'institut d'études sémitiques du Collège de France est encore plus sceptique et estime que l'utilisation de différentes langues sur les ossuaires contredit la thèse d'une tombe familiale. « Talpiot était une tombe communautaire comme celle d'Aggée sur le Mont des Oliviers. » Gravées dans la pierre à la hâte pour identifier les ossuaires, les inscriptions sont aujourd'hui très difficiles à déchiffrer. Dans son catalogue des ossuaires juifs de 1994, l'archéologue Rahmani a d'ailleurs fait suivre le nom de Jésus d'un point d'interrogation sur l'ossuaire attribué à « Jésus ( ? ), fils de Joseph ». Il ne déduit ce nom qu'en lisant l'inscription - plus lisible - de l'ossuaire voisin, « Judas, fils de Jésus ». L'interprétation de l'inscription « Mariame Kai Mara » est également ambiguë. Pour certains, elle annonce, dans le même ossuaire, la présence d'une ou de deux femmes, voire d'un homme et d'une femme. Pour les cinéastes, qui le lisent Mariamene, il s'agit de la Marie- Madeleine des Évangiles. Leur argument ? Ils identifient Mariamene à Mariamne, un nom qui apparaît dans les Actes de Philippe, texte apocryphe du IVe siècle, et que François Bovon a rapproché du personnage de Marie-Madeleine. Toutefois, Bovon récuse, lui, le lien entre la Mariamne des Actes et la Mariamene de Talpiot. La majorité des archéologues rejette même avec mépris la thèse de Jacobovici. « Accepter de la commenter aboutirait à crédibiliser des charlatans aux prétentions pseudo-scientifiques qui se servent d'une cohérence qui n'est qu'apparente pour écrire un roman », assène Pierre de Miroschedji, archéologue et directeur du Centre de recherche français de Jérusalem (CRFJ). Au grand dam de Simcha Jacobovici qui, joint par téléphone, s'emporte contre « ces archéologues qui parlent statistiques et ces statisticiens qui parlent archéologie ». Même si son documentaire ne le mentionne à aucun moment, un tombeau du Christ existe pourtant déjà. « C'est le Saint Sépulcre, situé dans la vieille ville de Jérusalem, et choisi par la tradition », rappelle le père Christian Eeckhout. L'endroit a été identifié par « la chaîne du souvenir depuis le IVe siècle » comme étant le lieu de « l'ensevelissement et de la Résurrection du Christ », explique l'historienne Michèle Jarton. Et si les ossements de Jésus étaient un jour découverts ? « Ils n'ébranleraient pas la foi chrétienne traditionnelle », affirme le père Henri de Villefranche, professeur à l'École Cathédrale, qui prône une lecture moins matérialiste des textes. « Il y a une distance à opérer entre le Jésus de l'histoire et le Christ de la foi. » Mgr di Falco, ancien porte-parole des Évêques de France, affiche, lui, une sérénité à toute épreuve. Il invite « les archéologues à poursuivre leurs recherches » et affirme, on ne peut plus confiant, que « l'Église n'a pas peur de la vérité ». 1.Le Tombeau de Jésus, de Simcha Jacobovici et Charles Pellegrino, version française chez Michel Laffont, 2007 [GAETANE DE LANSALUT Publié le 1 juillet 2007 - Le Monde des Religions n°24] L'enterrement de Jésus selon les Évangiles Écrits entre l'an 60 et l'an 100 de notre ère, les Évangiles placent le tombeau du Christ dans une carrière à ciel ouvert d'abord située « près des murs de Jérusalem » mais plus tard réintégrée à l'intérieur de la vieille ville grâce aux remparts d'Hérode Agrippa (au Ier siècle de notre ère). Le fond de cette carrière était rempli de terre (pour planter des jardins) ; en son milieu subsistait un rocher de quatre mètres de haut, appelé le Calvaire (ou Golgotha, « crâne » en araméen), surmonté de nombreuses croix pour crucifier les condamnés - une pratique très courante à l'époque, généralement réservée aux criminels romains. Des tombes étaient creusées sur les flancs de la carrière. L'une d'elle, neuve, appartenant au riche Joseph d'Arimathie, ami secret de Jésus, deviendra celle du Nazaréen. Le jour de la Crucifixion (la veille de Pâque, un vendredi 7 avril 30) et pour s'assurer que Jésus serait enterré selon la loi juive, Joseph d'Arimathie a réclamé son corps au procurateur romain Pilate, l'a descendu de la croix et enveloppé d'un linceul, avec de la myrrhe et de l'aloès. Il fallait faire vite car les cadavres des condamnés devaient être enterrés avant la tombée de la nuit. Joseph d'Arimathie est entré par une porte basse en roulant une grosse pierre devant l'entrée et a enseveli le corps. La sépulture ne devait être que provisoire. Mais le troisième jour, le lendemain du sabbat, des femmes, Marie de Magdalena en tête, vinrent s'enquérir du mort. Elles découvrirent alors la pierre de l'entrée déplacée. Le tombeau était vide, Jésus ressuscité. L'ossuaire manquant de Talpiot : celui de Jacques le Mineur ? L'Autorité israélienne des antiquités, qui avait entreposé les dix ossuaires de Talpiot en 1980, n'en a montré que neuf à Simcha Jacobovici. Aucune raison n'a été avancée pour expliquer une disparition, mais le réalisateur est formel : l'ossuaire manquant est celui de « Jacques fils de Joseph frère de Jésus ». Celui-ci était en effet apparu sur le marché des antiquités en 2002. Ses arguments ? La patine (le matériau qui adhère à la pierre), de la même composition que celle des ossuaires de Talpiot ; et l'inscription, qui correspond vraisemblablement à celle de l'apôtre Jacques le Mineur. Une présence en ce lieu qui, selon le statisticien Feuerverger, porterait à 29 999 chances sur 30 000 la probabilité que la tombe de Talpiot soit celle de Jésus. Mais c'est ignorer deux éléments contraires : l'ossuaire de Jacques a été vu, par André Lemaire, le spécialiste d'épigraphie hébraïque et araméenne, sur une photographie datant des années 1970, donc avant l'ouverture de la tombe de Talpiot (1980) et ses dimensions ne correspondent pas à celles de l'ossuaire manquant.
  • 21. Jésus face à l’Archéologie et à l’Histoire LAURENT SAILLY 21 Shimon Gibson, archéologue : « Il ne s'agit pas de la tombe de Jésus. » Professeur d'archéologie à Jérusalem et spécialiste de l'époque biblique, Shimon Gibson a découvert la nécropole de Talpiot. Il reste sceptique quant aux conclusions des auteurs du documentaire le Tombeau de Jésus. Vous êtes en quelque sorte à l'origine de cette affaire puisque c'est vous qui avez découvert cette tombe... En 1980, sous la direction de l'archéologue Yossef Gat, j'ai effectivement découvert une tombe datant de l'époque du Second Temple dans la proche banlieue de Jérusalem. Ce type de fouilles était courant il y a une trentaine d'années. Jérusalem s'agrandissait et les promoteurs tombaient souvent sur des vestiges de l'Antiquité en procédant aux fondations. Somme toute, cette découverte nous paraissait assez banale et nous n'avons alors établi aucun lien avec des personnages du Nouveau Testament. Les prénoms qui apparaissaient sur la tombe (Jésus, Marie, Joseph...) étaient très répandus à l'époque. Et puis, il était mentionné, entre autres, « Judas, fils de Jésus » ce qui ne correspondait en rien aux Écritures. On n'a donc jamais imaginé que cela puisse être un caveau de la famille de Jésus. Vous êtes présenté par les réalisateurs comme une des principales cautions scientifiques du documentaire. Est-ce à dire que vous avez changé d'avis ? Je voudrais bien préciser les choses. Il est exact que j'ai donné des conseils aux réalisateurs de ce documentaire. Concernant la conférence de presse, je voulais être sur place pour répondre aux questions du public et donner des informations scientifiques. Cela ne veut pas dire que je soutiens la thèse de Cameron et de Jacobovici. J'ai dit dès le début que j'étais très sceptique quant à leurs conclusions. Jusqu'à aujourd'hui, je reste convaincu qu'il ne s'agit pas de la tombe de Jésus ni même d'un caveau regroupant des membres de sa famille. Pourquoi ? D'abord, comme je vous l'ai dit, à cause de la banalité des prénoms inscrits sur la tombe. Si vous aviez crié ces prénoms sur un marché de la Jérusalem antique, des dizaines de personnes se seraient retournées. Ensuite, les réalisateurs estiment que le prénom « Mariyamné » correspond en fait à « Marie-Madeleine » en se basant sur les Actes de Philippe, un écrit publié 350 ans après la mort de Jésus. Mais selon mes recherches, il s'agirait plutôt de deux prénoms, Myriam et Mara, probablement une mère et sa fille, ou bien deux sœurs. Encore une fois, il n'y a aucun rapport avec les Évangiles. Pour que la thèse soutenue dans le documentaire soit crédible, il aurait fallu trouver des indices plus tangibles comme, par exemple, « Jésus de Nazareth » écrit sur la tombe. Estimez-vous que vous avez été utilisé par Cameron et Jacobovici ? Comme je leur ai donné des conseils, ils ont fait croire que je partageais leurs idées. Je ne trouve pas le procédé très honnête. Cela dit, même si j'ai dit à Cameron que je n'étais pas d'accord avec lui, je soutiens son droit à faire un tel film. Le passé n'appartient pas qu'aux archéologues ou aux historiens, il appartient à tout le monde. Chacun peut livrer sa version des choses. D'une certaine manière, j'envie la liberté de ces réalisateurs. Moi, quand je dis quelque chose, c'est basé sur trente années de recherches, sur des écrits, sur des fouilles, des expériences etc. Eux, ils s'en tiennent à des déductions qui leur semblent logiques. Le problème, c'est que la logique d'aujourd'hui n'est pas forcément celle d'il y a deux mille ans. [Propos recueilli par STEPHANE AMAR - Publié le 1 juillet 2007 - Le Monde des Religions n°24]