1. Dossier
LE GOÛT DE LA VIE
VIE BONNE,
MODES D’EMPLOI
DossierDossier
ET AUJOURD’HUI ?
André Comte-Sponville
Penseur matérialiste conscient
du tragique de l’existence,
il trace un chemin escarpé
vers le bonheur.
à lire : Le Bonheur,
désespérément
(Librio, Flammarion, 2000).
Luc Ferry
Proposant une spiritualité
sans Dieu, il cherche dans
l’histoire de la philosophie des
ressources pour une sagesse
orientée vers le bonheur.
à lire : Sept Façons
d’être heureux
(XO Éditions, 2016).
Martha Nussbaum
Elle relit Aristote pour définir
la « vie bonne ». Le bonheur
repose sur la liberté qu’ont les
individus de choisir réellement
ce qu’ils jugent bien, ce qu’elle
appelle les « capabilités ».
à lire : La Fragilité du bien
(Éditions de l’Éclat, 2016).
LES HÉDONISTES CHRÉTIENS
Augustin (354-430)
Après avoir connu le concubinage, il raconte que
sa quête de satisfaction a été comblée, non par les
plaisirs charnels, mais par sa rencontre avec Dieu.
à lire : Les Confessions.
Érasme (v. 1469-1536)
Si, pour lui, « les plus grands épicuriens sont
les chrétiens qui vivent pieusement », c’est qu’ils
jouissent des plaisirs terrestres mais également
spirituels. Ces derniers sont élevés au-dessus
des plaisirs charnels, comme l’âme l’est par
rapport au corps.
à lire : L’Épicurien.
Friedrich Nietzsche (1844-1900)
Le bonheur n’est pour lui ni l’absence de douleur,
ni l’acceptation résignée de l’existence ; il est amor
fati, amour du destin qui embrasse aussi
le malheur. Exister pleinement, c’est alors consentir
de manière franche et joyeuse à la vie.
à lire : Le Gai Savoir.
LES ÉTHIQUES DE LA JOIE
Elles font de la joie l’expression même
du déploiement de l’être. Ce n’est
donc pas une simple émotion passagère
mais le signe de la puissance de vie.
LES ADEPTES
DE LA JOIE CRÉATRICE
Baruch Spinoza (1632-1677)
« Bien faire et se tenir en joie » : voici la vertu
pour Spinoza. C’est que la joie est la passion
qui résulte de l’élan du conatus, cette puissance
d’exister qui nous fait persévérer dans notre être.
à lire : Éthique.
Henri Bergson (1859-1941)
La joie nous oriente : elle est le signe que nous
allons dans le bon sens. Et Bergson de remarquer
que « partout où il y a joie, il y a création ».
La vertu ? Cultiver l’émotion créatrice qu’est la joie.
à lire : L’Énergie spirituelle.
Simone Weil (1909-1943)
« L’intelligence ne grandit et ne porte de fruits
que dans la joie », affirme-t-elle. Elle montre ainsi
la nécessité de la joie dans la maturation de l’esprit
et de l’être.
à lire : Attente de Dieu.
Gilles Deleuze (1925-1995)
Pour la lettre J de son Abécédaire, il choisit
la Joie entendue en son sens spinoziste. La Joie
est bonne en soi, parce qu’elle exprime la puissance
de vie, à distinguer du pouvoir qui opprime.
à lire : Spinoza. Philosophie pratique.
LES PARTISANS
DE L’ABANDON JOYEUX
Nagarjuna (v. 150-v. 250)
Selon ce sage bouddhiste, la clé du bonheur tient
à la compréhension et à l’acception de la vacuité de
toute chose… et au dépassement de ce nihilisme !
à lire : Traité du milieu.
ET AUJOURD’HUI ?
Robert Misrahi
Spécialiste de Spinoza,
il s’en inspire pour proposer
une philosophie de la joie.
à lire : La Joie d’amour.
Pour une érotique du
bonheur (Autrement, 2014).
Clément Rosset
Penseur du réel, il considère
qu’il existe une joie pure,
sans objet, qui est approbation
totalisante de la vie elle-même.
à lire : La Force majeure
(Éd. de Minuit, 1983).
Charles Pépin
Notre chroniqueur a écrit
un roman qui est une mise
à l’épreuve de la théorie
de Rosset selon laquelle
la joie est possible, même
quand le réel est déplaisant.
à lire : La Joie
(Allary Éditions, 2015).
Frédéric Lenoir
Lecteur de Spinoza, fortement
influencé par la pensée
chrétienne, il a contribué
à donner une vaste audience
aux éthiques de la joie, par
opposition au culte du bonheur.
à lire : La Puissance
de la joie (Fayard, 2015).
Bonheur, joie et plaisir ne sont pas synonymes.
Ils renvoient à des choix et à des traditions
philosophiques bien distinctes. Pour vous
y retrouver, consultez notre carte. Par Yseult Rontard
48 Philosophie magazine n°140
JUILLET 2020
2. LES ÉTHIQUES DU BONHEUR
Elles estiment que toute notre vie et notre activité morale sont dirigées
vers la recherche du bonheur (eudaimonia en grec, ce qui a donné
le terme « eudémonisme » en français), posé comme Souverain Bien.
Leur définition du bonheur diffère néanmoins.
LES EUDÉMONISTES VERTUEUX
Platon (428-348 av. J.-C.)
Pour lui, le bonheur résulte d’une harmonie intérieure et politique atteinte
grâce à quatre vertus (sagesse, courage, tempérance, justice).
à lire : République.
Aristote (v. 384-322 av. J.-C.)
Le bonheur se trouve dans la vertu entendue comme adéquation parfaite de l’être et de sa fonction.
Le propre de l’homme étant la raison, il trouvera son bonheur dans la contemplation intellectuelle
et dans l’action réglée par la raison.
à lire : Éthique à Nicomaque.
Sénèque (v. 4 av. J.-C.-65 apr. J.-C.)
Le bonheur sera atteint par un accord volontaire de soi-même avec l’ordre cosmique en distinguant
ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas. La vertu est le nom donné à cette harmonie.
à lire : De la vie heureuse.
Søren Kierkegaard (1813-1855)
Choisissant le pseudonyme de l’« Assesseur Vilhelm » pour incarner le stade éthique, il prône un bonheur
qui s’enracine dans « le choix de soi-même » : des engagements de vie qui offrent une continuité
existentielle à la personnalité (le mariage, un travail, des amitiés fidèles…).
à lire : Ou bien… Ou bien.
LES HÉDONISTES
RAISONNÉS
Épicure (341-270 av. J.-C.)
La discrimination des désirs
naturels nécessaires et
des autres permet d’atteindre
un bonheur fondé sur l’absence
de trouble de l’âme et du corps
(ataraxie).
à lire : Lettre à Ménécée.
Jeremy Bentham (1748-1832)
L’acte moralement bon sera
celui qui tend à accroître
la somme de bien-être pour
le plus grand nombre,
selon un principe dit d’utilité.
à lire : Introduction
aux principes de morale
et de législation.
LES ÉTHIQUES DU PLAISIR
Elles font de la recherche du plaisir et de l’évitement de la souffrance
le but de l’existence. Le plaisir a ici une valeur éthique intrinsèque,
bien qu’il puisse faire l’objet d’un calcul rationnel pour certains.
LES HÉDONISTES ATHÉES
Aristippe de Cyrène (435-356 av. J.-C.)
Fondateur de l’école cyrénaïque (originaire de la ville de Cyrène dans l’actuelle
Libye), il prône une morale hédoniste qui préfère le plaisir présent à tout plaisir futur.
Sa quête ? Jouir des plaisirs de la vie, sans se laisser posséder par eux.
à lire : Diogène Laërce consacre une partie du livre II de Vies et doctrines
des philosophes illustres à l’école cyrénaïque.
Julien Offray de La Mettrie (1709-1751)
Pour ce farouche matérialiste, le plaisir physique est l’essence même de la vie. Son mot
d’ordre ? Jouir ! « Que toutes les voluptés viennent, tour à tour, tantôt amuser, tantôt
enchanter nos âmes ; et quelque courte que soit la vie, nous aurons vécu », écrit-il.
à lire : L’Art de Jouir.
Denis Diderot (1713-1784)
Son matérialisme le conduit à prôner une morale hédoniste. « Vive la sagesse
de Salomon : boire du bon vin, se gorger de mets délicats, se rouler sur de jolies femmes
[…] ; excepté cela, le reste n’est que vanité », fait-il dire à l’un de ses personnages.
à lire : Le Neveu de Rameau.
Chamfort (1741-1794)
Le moraliste français exprime sa profession de foi hédoniste : « Jouis et fais jouir,
sans faire de mal ni à toi, ni à personne, voilà je crois, toute la morale. »
à lire : Maximes et Pensées.
Søren Kierkegaard (1813-1855)
Chez le philosophe danois, la figure de « Johannes le Séducteur »
incarne le stade esthétique, une vie fragmentée autour d’instants de plaisir intense.
Un bonheur immédiat qui se mue en déchirure interne : l’esthéticien souffre du manque
d’unité intérieure.
à lire : Le Journal du séducteur.
Wilhelm Reich (1897-1957)
Psychanalyste hétérodoxe, libertaire et marxiste, il entend émanciper le prolétariat
par les mœurs sexuelles en critiquant la morale bourgeoise. Son cheval de bataille ?
Promouvoir l’orgasme comme indispensable à la santé psychique et somatique.
à lire : La Révolution sexuelle.
Simone de Beauvoir (1908-1986)
Elle a reçu une éducation religieuse, mais sa trajectoire est celle
d’une émancipation sociale et érotique qui passe par le refus du mariage,
la liberté amoureuse et la bisexualité.
à lire : La Force de l’âge.
ET AUJOURD’HUI ?
Michel Onfray
Il a beaucoup participé
à la redécouverte de l’école
cyrénaïque et de l’hédonisme
antique, dont sa pensée
propose un prolongement
actuel.
à lire : L’Invention du
plaisir (Le Livre de poche,
2002) et La Puissance
d’exister. Manifeste
hédoniste (Grasset, 2006).
Pascal Bruckner
Il s’interroge sur la difficile
conciliation du sentiment
amoureux et de la liberté
érotique, en proposant
un modèle permettant de ne
renoncer à aucun des deux.
à lire : Le Paradoxe
amoureux (Grasset, 2009).
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