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Bjcl1701web jurisprudence 399656et399699
1. Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17 41
CC Contentieux des collectivités locales
Existe-t-il une obligation d’allotir
les délégations de service public ?
La violation des dispositions de l’article L. 420-2
du code de commerce prohibant les abus de position
dominante peut-elle être invoquée devant le juge
des référés précontractuels ?
Résumé Aucune disposition
législative ni aucun principe général
n’impose à la collectivité publique
qui entend confier à un opérateur
économique la gestion de services
dont elle a la responsabilité de
conclure autant de conventions
qu’il y a de services distincts. La
méconnaissance éventuelle des
dispositions de l’article L. 420-2 du
code de commerce prohibant les
abus de position dominante n’est
pas au nombre des manquements
dont peut être saisi le juge des réfé-
rés précontractuels.
Abstrats Contentieux
administratif des collectivités
locales – Procédures d’urgence –
Référé précontractuel (art. L. 551-1
CJA) – Violation de l’article L. 420-2
du code de commerce prohibant
les abus de position dominante –
Manquement susceptible d’être
invoqué – Absence.
CE (7/2 CHR) 21 septembre 2016,
Communauté urbaine du Grand
Dijon, n° 399656, et Société Keolis,
n° 399699 – M. Pichon de Vendeuil,
Rapp. – M. Pellissier, Rapp. public
– SCP Matuchansky, Poupot,
Valdelievre, SCP Coutard, Munier-
Apaire, SCP Potier de La Varde, Buk
Lament, SCP Garreau, Bauer-Violas,
Feschotte-Desbois, SCP Gatineau,
Fattaccini, Av.
➥➥Décision mentionnée dans les
tables du Recueil Lebon.
Conclusions
Gilles PELLISSIER, rapporteur public
Les affaires qui viennent d’être appelées vous permet-
tront d’apporter deux précisions à vos jurisprudences rela-
tives d’une part à la recevabilité du référé précontractuel,
d’autre part aux contraintes qui s’imposent à la collectivité
au moment de définir le contenu du service ou des services
qu’elle entend déléguer.
La communauté urbaine du Grand Dijon (CUGD) a publié
au mois de juillet 2015 un avis d’appel à la concurrence
en vue de la conclusion d’une délégation de service public
d’une durée de 6 ans « portant sur l’exploitation des ser-
vices de la mobilité » sur son territoire et comprenant prin-
cipalement la gestion et l’exploitation du service public
de transport urbain (tramway et bus), l’aménagement et
l’exploitation d’un système de location de vélos, l’exploita-
tion et la commercialisation de 9 parcs de stationnement,
la gestion du service de stationnement payant sur voirie et
l’exploitation du service de fourrière automobile. D’autres
prestations plus accessoires étaient également incluses
dans ce contrat, sur lesquelles nous aurons l’occasion de
revenir.
Seules deux sociétés se sont portées candidates.
Presque neuf mois après la date limite de remise des offres,
alors que les négociations avec les candidates étaient en
cours, trois sociétés, Q Park, Indigo infra et SAGS, spécia-
lisées dans l’exploitation de parcs de stationnement, ont
saisi le juge du référé du tribunal administratif de Dijon de
conclusions tendant à l’annulation de la procédure. Il y a fait
droit par une ordonnance du 25 avril 2016 contre laquelle
la CUGD et la société Keolis, par deux requêtes que vous
pourrez joindre, se pourvoient en cassation. Leurs moyens
sont très proches.
La CUGD a lancé une nouvelle procédure à la suite de
cette annulation, qui a de nouveau été annulée par le juge
du référé précontractuel, dont l’ordonnance fait l’objet
d’un pourvoi en cassation pendant devant vous. Non seu-
lement le périmètre de la concession était sensiblement
différent, mais aucun contrat n’a été conclu au terme de
cette nouvelle procédure. Le pourvoi contre l’ordonnance
initiale conserve donc son objet, contrairement à ce que
soutiennent les sociétés défenderesses.
Fin de non-recevoir écartée ?
Vous écarterez tout d’abord la fin de non recevoir sou-
levée par la société Indigo infra à l’encontre du pourvoi
2. Contentieux des collectivités locales
42 Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17
formé par la société Keolis et tirée de ce que cette société
ne s’étant présentée devant le juge du référé qu’en qualité
d’intervenante en défense, elle n’aurait pas qualité pour se
pourvoir en cassation contre l’ordonnance.
Toutefois, si en principe seules les parties à l’instance
peuvent se pourvoir en cassation contre la décision à
laquelle cette instance a donné lieu 1
et qu’un intervenant
n’est pas une partie 2
, vous admettez qu’un intervenant
puisse se pourvoir en cassation lorsqu’il aurait eu qua-
lité, s’il n’était pas intervenu, pour former tierce opposition
contre la décision 3
. Cette solution s’explique aisément :
peuvent former tierce opposition les personnes aux droits
desquelles la décision litigieuse préjudicie (art. R. 832-1
du code de justice administrative), c’est-à-dire ceux qui
auraient dû être parties à l’instance, auxquels la juridiction
aurait dû notifier la requête afin de les constituer défen-
deurs. Leur intervention spontanée en défense répare cet
oubli et il est logique qu’elles bénéficient des mêmes droits
de contester la décision rendue que si elles avaient été
appelées à l’instance par la juridiction.
En l’espèce, l’ordonnance attaquée, qui annule une pro-
cédure d’attribution d’une délégation de service public,
nous paraît préjudicier aux droits de la société Keolis qui
était l’une des deux candidates à avoir remis une offre. Les
droits auxquels la décision doit porter préjudice pour que
puisse être formé contre elle un recours en tierce opposi-
tion ne sont pas nécessairement des droits acquis mais
plutôt une vocation suffisamment sérieuse à accéder à
une situation juridique 4
. Elle doit cependant être plus forte
qu’un simple intérêt, qui peut donner qualité à intervenir
mais pas à faire tierce opposition 5
.
L’application de ces principes à la contestation d’une
ordonnance rendue en référé précontractuel doit tenir
compte de la particularité d’une décision qui porte sur la
procédure d’attribution d’un droit et intervient avant qu’il
soit conféré. Vous avez ainsi admis que le candidat sélec-
tionné pouvait faire tierce opposition contre une ordon-
nance de référé précontractuel annulant la procédure dont
il est sorti victorieux, alors même qu’il ne peut encore se
prévaloir d’aucun droit à l’obtention du contrat, que la per-
sonne publique peut toujours décider de ne pas conclure 6
.
Le candidat qui a remis une offre dont il n’est pas allégué
qu’elle était irrecevable et qui est en cours de négociation
n’a certes pas une vocation aussi forte à l’attribution du
contrat que le candidat sélectionné, mais il a une chance
d’obtenir le contrat, chance en l’espèce d’autant plus
sérieuse qu’il n’a qu’un seul concurrent, de sorte qu’il nous
semble possible de reconnaître que l’annulation de la pro-
1
CE 20 décembre 2000, Commune de Ville-d’Avray, n° 209329 : Rec., T., p. 1194.
2
19 janvier 1994, Portel : Rec., T., p. 1120.
3
CE (Sect) 9 janvier 1959, Sieur de Harenne, n° 41383 : Rec., p. 23 ; 3 juillet 2000,
Syndicat des pharmaciens du Nord, n° 196259 : Rec., T., p. 1194 ; CE (Sect)
26 février 2003, Bour : Rec., p. 59, pour le pourvoi en cassation.
4
M. Waline, note sous CE Ass. 29 octobre 1965, Dame Béry : Rec., p. 565, cité
par D. Piveteau dans ses conclusions sur CE 15 juin 2001, Syndicat intercom-
munal d’adduction d’eau potable (SIAEP) de Saint-Martin-en-Ré, n° 228856 :
Rec., T., p. 1040.
5
Cf. conclusions R. Keller sur 17 juillet 2013, Communauté d’agglomération du
Douaisis, n° 347089 : Rec., T., p. 473.
6
15 juin 2001, Syndicat intercommunal d’adduction d’eau potable (SIAEP) de
Saint-Martin-en-Ré, n° 228856 : aux Tables.
cédure préjudicie à son droit à ce qu’elle soit menée à son
terme.
Erreur de droit dans l’appréciation
de la recevabilité
Le premier moyen des pourvois est dirigé contre les
motifs par lesquels le juge du référé a écarté la fin de non-
recevoir soulevée par les sociétés Effia et Keolis et tirée
de ce que les sociétés requérantes n’ayant pas déposé
d’offres ni démontré avoir été dissuadées de le faire, elles
n’étaient pas été recevables à agir. L’auteur de l’ordonnance
attaqué leur a répondu que « les trois sociétés requérantes
ont un intérêt à contester la conclusion de la convention
en litige car, de part leur spécialité, elles avaient vocation à
candidater au moins pour la partie stationnement des mis-
sions déléguées ».
Il a expressément justifié cette solution en interprétant
votre décision du 29 avril 2015, Syndicat de valorisation
des déchets de la Guadeloupe (SYVADE) 7
à la lumière de
nos conclusions, dont il a, ce qui est assez original, cité un
extrait, mais que malheureusement, du moins pour la vali-
dité juridique de son raisonnement, vous n’aviez pas suivies.
Vous avez jugé, par cette décision qui est notamment fichée
sur ce point, « que toute personne est recevable à agir, sur le
fondement de l’article L. 551-1 du code de justice adminis-
trative, lorsqu’elle a vocation, compte tenu de son domaine
d’activité, à exécuter le contrat, y compris lorsqu’elle n’a pas
présenté de candidature ou d’offre si elle en a été dissua-
dée par les manquements aux obligations de publicité et
de mise en concurrence qu’elle invoque ». La définition de
l’intérêt pour agir qui résulte de ces motifs lève une ambi-
guïté tenant à la rédaction d’une décision société Koné du
1er
juin 2011 8
, qui pouvait être lue comme déniant tout inté-
rêt pour agir à une personne qui n’avait pas candidaté, en
rappelant que cette seule circonstance ne saurait par elle-
même faire obstacle à ce qu’elle conteste une procédure à
laquelle elle n’a pas participé, mais ajoute aussi une condi-
tion à la reconnaissance de cet intérêt dans ce cas, condi-
tion tenant à ce qu’elle en ait été « empêchée ou dissuadée
par les manquements aux obligations de publicité et de mise
en concurrence qu’elle invoque ». Or cette dernière précision
ne figurait pas dans l’état antérieur de votre jurisprudence,
résultant de votre décision du 8 août 2008, Région Bour-
gogne 9
qui posait comme seul critère d’appréciation de
l’intérêt pour agir la vocation de la requérante, au regard
de sa spécialité, à exécuter le contrat. Nos conclusions ne
vous invitaient qu’à rappeler cet état antérieur afin de corri-
ger la motivation trop générale de la décision société Koné,
sans prendre en considération au stade de la recevabilité
du recours les raisons pour lesquelles cette vocation n’avait
pu se concrétiser, mais à tenir compte de ces raisons pour
apprécier la lésion qu’elle a subi du fait des manquements
7
N° 386748 : Rec., T., p. 745
8
N° 346405 : au Recueil sur un autre point, p. 266.
9
N° 307143 : Rec., T., p. 819.
3. Contentieux des collectivités locales
Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17 43
qu’elle invoque afin de décider si elle peut utilement s’en pré-
valoir 10
. Cette répartition nous paraissait plus conforme au
principe traditionnel selon lequel la recevabilité du recours
s’apprécie au regard des conclusions et non des moyens.
Mais cette distinction tend à s’estomper dans le contentieux
contractuel et votre décision, comme votre jurisprudence
Département de Tarn-et-Garonne, consacrent une rigueur
dans l’appréciation des intérêts susceptibles de donner
qualité pour agir. La règle est désormais qu’une société qui
ne s’est pas portée candidate à l’attribution d’un contrat
ne peut contester la procédure que si elle avait vocation à
l’exécuter et qu’elle justifie avoir été empêchée ou dissuadée
de le faire par les manquements qu’elle invoque. Nous ne
sommes toujours pas convaincus de la portée de cette évo-
lution, puisque de toute façon cette démonstration doit tou-
jours être faite, et de manière plus approfondie, au stade de
l’opérance du moyen, ainsi que cela ressort de la décision
SYVADE. Mais il ne fait aucun doute que l’auteur de l’ordon-
nance attaquée a commis une erreur de droit en n’appré-
ciant la recevabilité des sociétés requérantes au seul regard
de leur objet social.
Nous vous proposons donc d’annuler l’ordonnance pour
ce motif, ce qui vous dispensera d’examiner les nombreux
autres moyens des pourvois. Mais vous retrouverez l’inté-
ressante question des contraintes qui s’imposent à la per-
sonne publique lors de la détermination de l’objet de la
délégation de service public en réglant l’affaire au titre de
la procédure de référé.
Recevabilité
Vous devrez tout d’abord statuer sur la fin de non-rece-
voir écartée par le premier juge en faisant application du
double critère d’appréciation de l’intérêt pour agir que nous
venons de rappeler. Il nous semble satisfait. Non seule-
ment la spécialisation des trois sociétés dans l’exploitation
de parcs de stationnement leur donnait vocation à exécuter
certaines prestations du contrat, mais elles faisaient valoir
que la réunion dans un contrat unique de services aussi
importants que différents, réunion qui, selon elles, mécon-
naît les principes de liberté et d’égal accès à la commande
publique, ne leur avait pas permis de se porter candidates.
Une d’entre elles, la société SAGS, indiquait même avoir
proposé en vain à la société Transdev de s’associer à elle
pour présenter une offre commune.
Nous ne pensons pas qu’il faille exiger davantage des
requérantes, au stade de la recevabilité de leur recours,
que d’invoquer des manquements de nature à les avoir
empêchés ou dissuadés de présenter une offre, sans
avoir à démontrer qu’ils ont eu effectivement cet effet, car
alors cela reviendrait à confondre purement et simplement
condition de recevabilité du recours et bien fondé et opé-
rance des moyens. En contestant l’ampleur du périmètre
de la délégation de service public et en faisant valoir
que, compte tenu de leur spécialité qui ne leur donnait
10
CE S. 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, n° 305420 : Rec., p. 324.
vocation à l’exécution que de certaines prestations, elles
n’avaient pu se porter candidates, les sociétés requérantes
démontrent suffisamment leur intérêt à demander l’annula-
tion de la procédure.
Règles de détermination du périmètre
de la délégation
La plupart des moyens soulevés par les sociétés requé-
rantes tendent à contester l’ampleur de l’objet de la délé-
gation de service public. Ils vous donneront l’occasion de
rappeler les règles qui s’imposent à la personne publique
dans la détermination du périmètre de la convention qu’elle
entend conclure.
Ces règles établissent trois catégories de contraintes,
matérielle, financière et procédurale.
La première est relative à l’objet du contrat. Outre la
prohibition générale de déléguer l’exécution de missions
régaliennes qui ne peuvent être exercées que par des per-
sonnes publiques, la délégation de service public soumise
aux dispositions de l’article L. 1411-1 du code général des
collectivités territoriales dans leur rédaction antérieure à
l’ordonnance du 29 janvier 2016 doit porter sur un service
public. Vous vérifiez que les activités déléguées constituent
l’exécution de tout ou partie d’un service public et, pour
celles qui n’ont pas ce caractère, qu’elles sont le complé-
ment normal et nécessaire de l’exécution du service public
délégué 11
. Votre appréhension de l’objet de la délégation
de service public est globale et seule l’inclusion d’activi-
tés sans aucun rapport avec les services publics délégués
pourrait être censurée. Cette contrainte est désormais
encore plus légère depuis que l’ordonnance du 29 janvier
2016 permet aux personnes publiques de concéder des
services qui n’ont pas nécessairement à recevoir la qualifi-
cation de service public.
Outre cette condition propre à la délégation de service
public qui imposait de ne déléguer qu’un service public
ou un service complémentaire à un service public, aucune
disposition ne limite le pouvoir de la personne publique
de définir l’objet de la convention qu’elle entend passer.
La loi Sapin ne comportait aucune disposition applicable
aux délégations de service public semblable à l’ancien
article 10 du code des marchés publics ou à l’article 32
de l’ordonnance du 23 juillet 2015 qui obligent en prin-
cipe les pouvoirs adjudicateurs à passer leurs marchés en
autant de lots séparés qu’il y a de prestations distinctes,
afin de susciter la plus large concurrence. Ni la directive
2014/23 du 26 février 2014 relative aux contrats de conces-
sion, ni l’ordonnance du 29 janvier 2016 qui la transpose ne
contiennent une telle obligation, cette dernière envisageant
11
CE S. 18 décembre 1959, Sieur Delansorme et autres, n° 22536 : Rec., p. 692 :
locations de longue durées jugées complémentaires à l’exploitation d’un parc
souterrain ; CE 28 juin 2006, Syndicat intercommunal d’alimentation en eau
de la moyenne vallée du Gier, n° 288459 : activités formant partie du service
public ; CE 13 juillet 2012, Commune d’Aix-en-Provence, n° 358512 : Rec., T.,
p. 841 : activités de service public et d’intérêt général dont l’ensemble constitue
une mission de service public.
4. Contentieux des collectivités locales
44 Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17
d’ailleurs plusieurs hypothèses de contrats mixtes portant
sur plusieurs activités (art. 20 et suivants).
Ni vous, ni la Cour de justice de l’Union européenne
n’avez jamais tiré des principes généraux de la commande
publique une obligation générale d’allotir qui s’impose-
rait aussi aux délégations de service public. La règle de
l’allotissement des marchés publics réserve d’ailleurs de
nombreuses possibilités de dérogation. Nous ne voyons
donc pas comment vous pourriez, de manière prétorienne,
imposer une telle contrainte au nom d’une ouverture à la
concurrence alors que les normes en vigueur qui pour-
suivent cet objectif ne le font pas.
En l’absence de dispositions imposant l’allotissement
des délégations ou concessions de service, le choix du
périmètre de la convention relève de l’organisation par les
collectivités des services publics dont elles ont la respon-
sabilité, qui est d’abord un choix politique, et de la défi-
nition de leurs besoins, choix sur lesquels vous n’exercez
qu’un contrôle restreint 12
.
Reste tout de même qu’il nous semble qu’il vous faudrait
censurer une convention qui impliquerait, sans justification
tenant à leur bonne exécution, la dévolution de services hété-
roclites, sans liens entre eux. Une telle décision de l’autorité
concédante, en plus de heurter l’exigence d’une cohérence
minimale de l’action administrative, aurait pour effet d’écar-
ter sans raison de la commande publique un certain nombre
d’opérateurs spécialisés ou de les contraindre à des regrou-
pements difficiles. Elle porterait donc atteinte aux principes
généraux de la commande publique que nous avons cités.
Elle alimenterait les soupçons de favoritisme ou de détour-
nement de procédure. Pour toutes ces raisons, nous pen-
sons qu’il convient de réserver la possibilité d’un contrôle
du choix de l’autorité concédante quant au périmètre de la
concession, mais un contrôle qui, compte tenu de la liberté
que lui laissent les textes, doit être limité à l’erreur manifeste
d’appréciation, comme l’ont d’ailleurs suggéré plusieurs de
ceux qui nous ont précédés à ce pupitre 13
. Seul le regrou-
pement au sein d’une même convention de services n’ayant
manifestement aucun lien entre eux constituerait ainsi un
manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de
mise en concurrence.
La deuxième est financière et prolonge en partie la pré-
cédente. Elle figurait au 11e
alinéa de l’article L. 1411-2 du
même code, qui prévoyait que : « Les conventions de délé-
gation de service public ne peuvent contenir de clauses
par lesquelles le délégataire prend à sa charge l’exécution
de services ou de paiements étrangers à l’objet de la délé-
gation. » Cette interdiction, qui est l’une des manifestations
14
du principe jurisprudentiel selon lequel les tarifs des ser-
vices publics à caractère industriel et commercial doivent
trouver leur contrepartie directe dans le service rendu aux
12
Voir, par exemple, 28 mai 1986, Époux Genevois et Vincent, n° 61062 : Rec., T.,
p. 555.
13
Conclusions N. Boulouis, précitées ; B. Dacosta sur Commune d’Aix-en-Pro-
vence : « Il est vrai qu’une délégation dont le périmètre engloberait des pres-
tations totalement distinctes et qui aurait ainsi pour effet d’écarter de l’accès à
la commande publique des opérateurs spécialisés dans les unes ou dans les
autres, sans que ce choix soit justifié par un motif tenant à la bonne exécution
du service public, pourrait prêter à critiques et, sans doute, donner prise à un
contrôle juridictionnel. »
14
Cf. conclusions N. Boulouis sur décision SA Groupe Partouche.
usagers, est désormais posée par l’article 30 de l’ordon-
nance du 29 janvier 2016. Comme vous l’avez fait à pro-
pos de l’objet de la convention, vous avez consacré une
approche holistique de l’application de ces dispositions en
jugeant qu’elles « ne font pas obstacle à ce qu’une conven-
tion de délégation de service public mette à la charge
du cocontractant des prestations accessoires dès lors
qu’elles présentent un caractère complémentaire à l’objet
de la délégation » 15
.
La troisième est procédurale. Les règles de passation des
marchés publics étant plus contraignantes que celles qui
régissent la passation des délégations de service public et,
aujourd’hui, des concessions de service, l’inclusion de mar-
chés publics dans une délégation de service public passée
selon les règles applicables à cette dernière serait suscep-
tible de méconnaître les règles applicables aux premiers.
Les dispositions applicables au présent litige n’envisagent
pas ce cas de figure. Nous pensons cependant que vous
devrez aborder la question dans la même perspective glo-
bale que précédemment, comme le font d’ailleurs les nou-
velles dispositions résultant de la directive 2014/23/UE du
Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur
l’attribution de contrats de concession et de sa transposi-
tion par l’ordonnance du 29 janvier 2016. Des prestations
donnant lieu au paiement d’un prix par la personne publique
peuvent être incluses dans un contrat de délégation de
service public passé selon la procédure applicable à ces
contrats si elles ont un lien suffisant avec le service public
délégué et si elles demeurent accessoires, c’est-à-dire si le
financement global du contrat reste essentiellement assuré
par les résultats de l’exploitation ou, pour le dire en des
termes plus actuels, si le risque lié à l’exploitation du service
demeure à la charge du cocontractant. L’article 20.4 de la
directive 2014/23 et l’article 22 de l’ordonnance du 29 janvier
2016 prévoient que les prestations relevant des contrats de
concession et celles relevant des marchés publics doivent
en principe être distinguées pour faire l’objet de contrats
conclus selon les procédures respectivement applicables à
ces catégories contractuelles, sauf si les prestations sont
indissociables. Dans ce cas, le contrat est soumis aux dis-
positions applicables à son objet principal.
Violation des règles de détermination
de l’objet du contrat ?
En l’espèce, la communauté urbaine de Dijon n’a outre-
passé aucune de ces trois limites à son pouvoir de détermi-
nation de l’objet du contrat qu’elle entend conclure.
En ce qui concerne en premier lieu le regroupement des
différents services délégués, ils constituent tous des ser-
vices publics ou des accessoires complémentaires à ces
services publics se rattachant à la mobilité. Les transports
urbains collectifs, le stationnement et la mise en fourrière
et la location de vélos en libre-service sont des activités de
service public. Certaines prestations ne constituent effecti-
15
CE 19 mars 2012, SA Groupe Partouche, n° 341562 : Rec., p. 91.
5. Contentieux des collectivités locales
Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17 45
vement pas, comme le font valoir les sociétés requérantes,
des activités de service public : tel est le cas des missions
de vérification de la performance du sous-système élec-
trique du tramway et du système d’hybridation des bus,
de maîtrise d’œuvre pour le déploiement des matériels de
péage et d’assistance à la maîtrise d’ouvrage du projet
« prioribus », qui font l’objet de sous-contrats de partena-
riat. Le dispositif est curieux mais il ne fait aucun doute que
ces prestations sont des compléments nécessaires au bon
fonctionnement des services publics délégués.
Par ailleurs, la réunion au sein d’une même convention
de ces différents services ne nous paraît pas entachée
d’erreur manifeste d’appréciation. Il s’agit de services liés à
la mobilité que l’article L. 5215-20 du code général des col-
lectivités territorial réunit dans l’organisation de la mobilité
dont il confie la responsabilité aux communautés urbaines
et qui porte sur « la création, l’aménagement et entretien de
voirie ; la signalisation ; les parcs et aires de stationnement ;
le plan de déplacements urbains ». La loi du 27 janvier 2014
de modernisation de l’action publique territoriale et d’affir-
mation des métropoles, dont est issue la rédaction actuelle
de cet alinéa, a entendu ce faisant promouvoir une action
« multimodale » des pouvoirs publics visant à décourager
la circulation automobile au profit des circulations collec-
tives et douces. Dans cette perspective, il est cohérent
de confier au même opérateur les différents leviers qui lui
permettront de mener une action coordonnée sur les diffé-
rents modes de transports urbains, dont les usagers sont
en majeure partie les mêmes.
S’agissant en deuxième lieu du financement de ces ser-
vices, il n’est pas établi ni même allégué que la convention
de délégation de service public aurait pour effet de faire
prendre en charge par les usagers des prestations étran-
gères à l’objet du service, en méconnaissance de l’article
L. 1411-2 du CGCT. En tout état de cause, une telle irrégula-
rité n’affecte pas les principes de liberté d’accès à la com-
mande publique, d’égalité des candidats ni de transparence
des procédures et ne pourrait donc être utilement invoquée
dans le cadre d’un référé précontractuel. Elle ne serait pas
non plus la cause de l’absence de candidature des requé-
rantes, qui ne pourraient donc utilement l’invoquer.
En troisième lieu, les requérantes font valoir que les pres-
tations que nous avons évoquées comme ne constituant
pas des services publics devaient être attribuées selon la
procédure de passation des marchés publics.
Il est cependant tout d’abord permis de se demander,
compte tenu à la fois du caractère marginal de ces pres-
tations et de leur objet, qui est étranger à l’objet social
des requérantes, qui ne concerne que le stationnement, si
cette irrégularité, à la supposer établie, est susceptible de
les léser.
Le moyen ne nous paraît en tout état de cause pas fondé.
Ces prestations sont accessoires aux services délégués
puisqu’elles portent sur des modalités de leur exécution
et difficilement dissociables, de sorte qu’elles pouvaient
faire partie de la convention de délégation. Il n’est par ail-
leurs pas allégué que leur paiement par un prix versé par
le pouvoir adjudicateur ferait disparaître tout risque pour le
délégataire quant à l’exécution de la convention dans son
ensemble.
Nous vous proposons donc de répondre aux requé-
rantes qu’en décidant de conclure un contrat unique pour
ces différentes prestations, la communauté urbaine du
Grand Dijon n’a méconnu aucune des règles applicables à
la commande publique.
Le dernier moyen des sociétés requérantes, tiré de ce
que l’objet du contrat constituerait ou risquerait de consti-
tuer un abus de position dominante, est inopérant dans
le cadre d’un référé précontractuel, cette voie de recours
n’ayant pas pour objet de sanctionner des atteintes, en tant
que telles, au droit de la concurrence 16
.
Et par ces motifs, nous concluons :
–– annulation des articles 2 à 4 de l’ordonnance du tribunal
administratif de Dijon ;
–– rejet des demandes présentées au JRTA ;
–– à ce que vous mettiez à la charge des sociétés Q-Park
France, SAGS et Indigo infra le versement à la communauté
urbaine du Grand Dijon et à la société Keolis de 1 500 €
chacune et 500 € à la société Effia stationnement. n
16
Cf. CE 24 octobre 2001, Collectivité territoriale de Corse : Rec., p. 485 ; CE
10 avril 2015, Gvt de la Nouvelle-Calédonie, n° 385617.
Décision
Vu les procédures suivantes :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Q-Park, la société Indigo Infra et
la Société d’Assistance et de Gestion du Sta-
tionnement (SAGS) ont demandé au tribunal
administratif de Dijon d’annuler la procédure de
passation d’une délégation de service public
portant sur l’exploitation des services de la
mobilité lancée par la communauté urbaine du
Grand Dijon.
Par une ordonnance nos
1600935, 1600948
et 1600986 du 25 avril 2016, le juge des référés
de ce tribunal, statuant en application de l’ar-
ticle L. 551-1 du code de justice administrative,
après avoir admis les interventions volontaires
en défense des sociétés Effia Stationnement et
Keolis, a annulé la procédure de passation de
cette délégation de service public.
Procédure devant le Conseil d’État :
1° Sous le n° 399656, par un pourvoi som-
maire, un mémoire complémentaire et un
mémoire en réplique, enregistrés les 10, 25 mai
et 9 août 2016 au secrétariat du contentieux
du Conseil d’État, la communauté urbaine du
Grand Dijon demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de rejeter les demandes
de première instance des sociétés Q-Park
France, Indigo Infra et SAGS ;
3°) de mettre à la charge des sociétés Q-Park
France, Indigo Infra et SAGS la somme globale
de 7 000 € au titre de l’article L. 761-1 du code
de justice administrative.
2° Sous le n° 399699, par un pourvoi som-
maire, un mémoire complémentaire et trois
autres mémoires, enregistrés les 11, 25 et
6. Contentieux des collectivités locales
46 Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17
30 mai, 30 juin et 10 août 2016 au secrétariat du
contentieux du Conseil d’État, la société Keolis
demande au Conseil d’État :
1°) d’annuler l’ordonnance du 25 avril 2016 ;
2°) statuant en référé, de faire droit à ses
demandes de première instance ;
3°) de mettre à la charge des sociétés Q-Park
France, Indigo Infra et SAGS la somme de
2 000 € chacune au titre de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative. […]
1. Considérant que les pourvois de la
communauté urbaine du Grand Dijon et de
la société Keolis sont dirigés contre la même
décision ; qu’il y a lieu de les joindre pour sta-
tuer par une seule décision ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du
dossier soumis au juge des référés que, par
un avis d’appel public à la concurrence publié
le 13 juillet 2015, la communauté urbaine du
Grand Dijon a lancé, sur le fondement des dis-
positions de l’article L. 1411-1 du code général
des collectivités territoriales, une procédure
d’appel à candidatures en vue de dresser la
liste des candidats admis à remettre ultérieu-
rement une offre pour la conclusion d’une
délégation de service public portant sur « l’ex-
ploitation des services de la mobilité » sur son
territoire pendant une durée de six ans ; que
la communauté urbaine du Grand Dijon et
la société Keolis se pourvoient en cassation
contre l’ordonnance en date du 25 avril 2016
du juge des référés précontractuels du tribunal
administratif de Dijon en tant qu’elle a fait droit
aux conclusions des sociétés Q-Park France,
SAGS et Indigo Infra tendant à l’annulation de
la procédure de passation de cette délégation
de service public ;
Sur les conclusions à fin de non-lieu pré-
sentées par la société Indigo Infra :
3. Considérant que si, à la suite de l’annula-
tion de la procédure par l’ordonnance attaquée,
la communauté urbaine du Grand Dijon a lancé
une nouvelle procédure en vue de la passation
d’une délégation de service public portant,
pour tenir compte de l’ordonnance attaquée,
sur une partie des mêmes prestations, cette
nouvelle procédure n’a pas, à ce jour, abouti à
la signature d’une convention de délégation de
service public, le juge des référés du tribunal
administratif de Dijon ayant de nouveau annulé
la procédure engagée par une ordonnance du
8 juillet 2016 ; que, dans ces conditions, les
conclusions de la société Indigo Infra tendant à
ce que soit prononcé dans la présente instance
un non-lieu à statuer doivent être rejetées ;
Sur les pourvois :
4. Considérant qu’il résulte des pièces sou-
mises au juge des référés que la société Keolis,
intervenante en défense devant lui, faisait par-
tie des entreprises retenues à l’issue de l’appel
public à la concurrence mentionné au point 2
en vue de remettre ultérieurement une offre ;
qu’ainsi, à défaut d’intervention de sa part ou
de mise en cause devant le juge des référés,
elle aurait eu qualité pour former tierce opposi-
tion contre la décision rendue par celui-ci et est
dès lors recevable à se pourvoir en cassation
contre celle-ci ; que, par suite, la fin de non-
recevoir opposée par la société Indigo Infra doit
être écartée ;
5. Considérant qu’aux termes de l’article
L. 551-10 du code de justice administrative :
« Les personnes habilitées à engager les
recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5
sont celles qui ont un intérêt à conclure le
contrat […] et qui sont susceptibles d’être
lésées par le manquement invoqué […] » ; que
toute personne est recevable à agir, sur le fon-
dement de l’article L. 551-1 du code de justice
administrative, lorsqu’elle a vocation, compte
tenu de son domaine d’activité, à exécuter le
contrat, y compris lorsqu’elle n’a pas présenté
de candidature ou d’offre si elle en a été dis-
suadée par les manquements aux obligations
de publicité et de mise en concurrence qu’elle
invoque ;
6. Considérant qu’en ne recherchant pas,
comme il y était invité et alors qu’il ressortait
des pièces du dossier qui lui était soumis que
les sociétés requérantes devant lui n’avaient
pas présenté d’offre à l’occasion de l’appel
public à la concurrence litigieux, si les manque-
ments qu’elles alléguaient étaient la cause de
leur absence de candidature, le juge des réfé-
rés du tribunal administratif de Dijon a entaché
son ordonnance d’une erreur de droit ; que, par
suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les
autres moyens des pourvois, les articles 2 à 4
de son ordonnance doivent être annulés ;
7. Considérant que, dans les circonstances
de l’espèce, il y a lieu, en application de l’article
L. 821-2 du code de justice administrative, de
régler l’affaire au titre de la procédure de référé
engagée ;
Sur les demandes présentées devant le
juge des référés du tribunal administratif
de Dijon :
8. Considérant, ainsi qu’il a été dit au point 5,
qu’une personne qui n’a pas présenté de can-
didature ou d’offre n’est recevable à agir sur
le fondement de l’article L. 551-1 du code de
justice administrative que si elle en a été dis-
suadée par les manquements aux obligations
de publicité et de mise en concurrence qu’elle
invoque ; que les trois sociétés requérantes,
qui ont pour domaine d’activité principal la
fourniture de services de stationnement, font
valoir qu’elles ont été dissuadées de présenter
leur candidature au motif que la délégation de
service public portant sur « l’exploitation des
services de la mobilité » était définie trop lar-
gement et ne leur permettait ainsi pas de se
porter utilement candidates ; qu’il suit de là
que, contrairement à ce qui est soutenu par
les intervenantes en défense, leurs demandes
présentées devant le juge des référés précon-
tractuels sont recevables ;
9. Considérant, en premier lieu, qu’aucune
disposition législative ni aucun principe général
n’impose à la collectivité publique qui entend
confier à un opérateur économique la gestion
de services dont elle a la responsabilité de
conclure autant de conventions qu’il y a de
services distincts ; qu’elle ne saurait toutefois,
sans méconnaître les impératifs de bonne
administration ou les obligations générales
de mise en concurrence qui s’imposent à elle,
donner à une délégation un périmètre manifes-
tement excessif ni réunir au sein de la même
convention des services qui n’auraient mani-
festement aucun lien entre eux ; qu’aux termes
du I de l’article L. 5215-20 du code général des
collectivités territoriales : « La communauté
urbaine exerce de plein droit, au lieu et place
des communes membres, les compétences
suivantes : / […] 2° […] b) Organisation des
transports urbains […] ; création ou aménage-
ment et entretien de voirie ; signalisation ; parcs
de stationnement […] » ; que, dans ce cadre,
la communauté urbaine du Grand Dijon a pu,
sans commettre d’erreur manifeste d’appré-
ciation, considérer que les services de trans-
port urbain, de stationnement et de mise en
fourrière, qui concourent à l’organisation de
la mobilité des habitants sur le territoire de la
communauté urbaine, présentaient entre eux
un lien suffisant et décider de les confier à un
délégataire unique afin d’assurer une coordi-
nation efficace entre les différents modes de
transport et de stationnement, dont une partie
significative des usagers est identique ; que les
sociétés requérantes ne sont, par suite, pas
fondées à soutenir qu’elle aurait manqué à ses
obligations de mise en concurrence dans la
détermination de l’objet de la convention qu’elle
entendait conclure ;
10. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux
termes de l’article L. 1411-2 du code général
des collectivités territoriales : « Les conventions
de délégation de service public ne peuvent
contenir de clauses par lesquelles le délé-
gataire prend à sa charge l’exécution de ser-
vices ou de paiements étrangers à l’objet de
la délégation » ; que ces dispositions ne font
pas obstacle à ce qu’une convention de délé-
gation de service public mette à la charge du
cocontractant des prestations accessoires dès
lors qu’elles présentent un caractère complé-
mentaire à l’objet de la délégation ; qu’il résulte
7. Contentieux des collectivités locales
Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17 47
de l’instruction que, eu égard à leur nature et
à leur portée, les missions de vérification de la
performance du sous-système électrique du
tramway et du système d’hybridation des bus
hybrides, de maîtrise d’œuvre pour le déploie-
ment des matériels de péage et d’assistance à
maîtrise d’ouvrage du projet « Prioribus », qui
confient au délégataire le soin de s’assurer du
bon fonctionnement et de l’exploitabilité d’équi-
pements en usage dans le réseau de transport
de l’agglomération dijonnaise, présentent un
caractère complémentaire et accessoire à l’ex-
ploitation des services de transport urbain et
de stationnement ; que, par suite, la délégation
litigieuse n’a méconnu ni les dispositions de
l’article L. 1411-2 du code général des collec-
tivités territoriales ni les règles applicables à la
commande publique ;
11. Considérant, enfin, qu’il résulte des dis-
positions de l’article L. 551-1 du code de jus-
tice administrative que la méconnaissance
éventuelle des dispositions de l’article L. 420-2
du code de commerce prohibant les abus de
position dominante n’est pas au nombre des
manquements dont peut être saisi le juge des
référés précontractuels ; que le moyen tiré de
ce que, au regard de l’objet de la délégation
de service public, la communauté urbaine de
Dijon aurait abusé de sa position dominante
ou serait susceptible de placer des opérateurs
économiques en situation d’abuser d’une telle
position est, par suite, inopérant ;
12. Considérant qu’il résulte de tout ce qui
précède que les sociétés Q-Park France, SAGS
et Indigo Infra ne sont pas fondées à demander
l’annulation de la procédure de passation de la
délégation de service public lancée par la com-
munauté urbaine du Grand Dijon ;
Sur les conclusions présentées au titre
des dispositions de l’article L. 761-1 du
code de justice administrative :
13. Considérant que les dispositions de l’ar-
ticle L. 761-1 du code de justice administrative
font obstacle à ce que les sommes deman-
dées par les sociétés Q-Park France, SAGS
et Indigo Infra soient mises à la charge de la
communauté urbaine de Dijon ou des sociétés
Keolis et Effia Stationnement qui ne sont pas,
dans la présente instance, la partie perdante ;
qu’il y a lieu, en revanche, en application des
mêmes dispositions et au titre de l’ensemble de
la procédure, de mettre à la charge de chacune
de ces trois sociétés une somme de 1 500 €
à verser respectivement à la communauté
urbaine du Grand Dijon et à la société Keolis et
une somme de 500 € à verser à la société Effia
Stationnement ;
DÉCIDE :
Article 1er
: Les articles 2 à 4 de l’ordon-
nance du tribunal administratif de Dijon du
25 avril 2016 sont annulés.
Article 2 : Les demandes présentées devant
le juge des référés du tribunal administratif de
Dijon par les sociétés Q-Park France, SAGS et
Indigo Infra sont rejetées.
Article 3 : La Société d’Assistance et de
Gestion du Stationnement et les sociétés
Q-Park France et Indigo Infra verseront res-
pectivement une somme de 1 500 € chacune
à la communauté urbaine du Grand Dijon et à
la société Keolis, ainsi qu’une somme de 500 €
à la société Effia stationnement, au titre de
l’article L. 761-1 du code de justice administra-
tive. Les conclusions présentées au même titre
devant le Conseil d’État par la Société d’Assis-
tance et de Gestion du Stationnement et par
les sociétés Indigo Infra et Q-Park France sont
rejetées.
[…] n
Observations
L’arrêt du 21 septembre 2016, qui a trait aux conven-
tions de délégation de service public conclues par les
autorités organisatrices de la mobilité (AOM), apporte
d’utiles précisions sur le périmètre des délégations ainsi
que sur les moyens invocables à leur encontre dans le
cadre d’un référé précontractuel (art. L. 551-1 du code
de justice administrative).
La loi n° 2014-58 relative à « la modernisation de l’action
publique territoriale et l’affirmation des métropoles »
(MAPAM), adoptée le 27 janvier 2014, marque l’avène-
ment des autorités organisatrices de la mobilité (AOM)
avec des compétences étendues dans les domaines
des usages partagés de l’automobile (autopartage,
covoiturage), les modes actifs et la logistique urbaine
(art. 51 et 52) 17
.
C’est ce qui a conduit la communauté urbaine du Grand
Dijon (CUGD) à lancer en juillet 2015, sur le fondement
des dispositions de l’article L. 1411-1 du code général
des collectivités territoriales, une procédure d’appel
à candidatures en vue de dresser la liste des candi-
dats admis à remettre ultérieurement une offre pour la
17
Aux termes de l’article L. 1231-1 du code des transports (tel qu’issu de la loi
n° 2015-991 du 7 août 2015) : « Dans leur ressort territorial, les communes, leurs
groupements, la métropole de Lyon et les syndicats mixtes de transport sont
les autorités compétentes pour organiser la mobilité. »
conclusion d’une délégation de service public portant
sur « l’exploitation des services de la mobilité » sur son
territoire pendant une durée de six ans.
Seules deux sociétés (Keolis et Effia) se sont portées
candidates. Ce n’est que plusieurs mois après la date
limite de remise des offres, et alors que les négociations
avec les candidates étaient en cours, que trois sociétés
(Q Park, Indigo infra et SAGS), spécialisées dans l’ex-
ploitation de parcs de stationnement, ont saisi le juge du
référé précontractuel de Dijon de conclusions tendant
à l’annulation de la procédure. Par une ordonnance du
25 avril 2016, ce dernier a considéré que la consulta-
tion organisée comprenait la commande de « missions »
(prestations d’assistance à maîtrise d’ouvrage, de maî-
trise d’œuvre et d’évaluation des prestations de mainte-
nance de cocontractants de la collectivité locale liés à
elle, et au délégataire, par des contrats de partenariat)
tendant à satisfaire les besoins propres de la collectivité
locale délégante et non à assurer la gestion du service
public – ce qui leur retirait le caractère de délégation de
service public normalement rétribuée par l’exploitation
du service. Il a en conséquence prononcé l’annulation
de l’ensemble de la procédure.
La CUGD et la société Keolis ont formé un pourvoi en
cassation contre l’ordonnance.
8. Contentieux des collectivités locales
48 Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17
1. Fin de non-recevoir et recevabilité
du pourvoi
La première question posée au Conseil d’État était
de savoir si la société Keolis, intervenante en défense
devant le premier juge, avait qualité pour se pourvoir en
cassation. Comme le relève le rapporteur public, Gilles
Pellissier, cette société ayant déposé une offre dans le
cadre de la procédure de passation remise en cause
par le référé précontractuel, « l’annulation de la procé-
dure préjudicie à son droit à ce qu’elle soit menée à son
terme ». Elle avait donc qualité pour se pourvoir en cas-
sation, même si elle n’était pas partie à l’instance ini-
tiale, car elle aurait eu qualité pour faire tierce opposition
(au sens de l’article R. 832-1 du code de justice adminis-
trative) si elle n’était pas intervenue à l’instance devant
le tribunal administratif 18
.
S’agissant de l’action des sociétés requérantes en
référé pré-contractuel (Q Park, Indigo infra et SAGS), qui
n’avaient pas formellement présenté d’offres à l’occasion
de l’appel public à la concurrence litigieux, deux condi-
tions cumulatives devaient être remplies pour qu’elle fût
recevable : une société qui ne s’est pas portée candidate
à l’attribution d’un contrat ne peut en effet contester la
procédure que si elle avait vocation à l’exécuter et qu’elle
justifie avoir été empêchée ou dissuadée de le faire par
les manquements qu’elle invoque. Or, le premier juge
n’avait pas recherché si les manquements qu’elles allé-
guaient étaient la cause de leur absence de candidature.
Le Conseil d’État annule donc pour erreur de droit l’or-
donnance du juge des référés du tribunal administratif de
Dijon et décide de régler l’affaire en application de l’article
L. 821-2 du code de justice administrative.
2. Périmètre de la délégation de service
public
En matière d’objet du contrat, une réelle différence
existe entre le marché public et la délégation de ser-
vice public : l’autorité délégante dispose d’une liberté
contractuelle plus étendue. À partir du moment où elle
se situe dans le cadre de ses compétences 19
, elle peut
définir un périmètre assez large de délégation car est
en cause l’organisation des services publics. Comme le
rappelle Jean-Marie Auby 20
, les actes par lesquels une
18
CE S. 26 février 2003, n° 231558 : la personne qui, devant la cour administrative
d’appel, est régulièrement intervenue en défense, n’est recevable à se pourvoir
en cassation contre l’arrêt rendu contrairement aux conclusions de son inter-
vention que lorsqu’elle aurait eu qualité, à défaut d’intervention de sa part, pour
former tierce opposition contre l’arrêt faisant droit à l’appel.
19
Aux termes du I de l’article L. 5215-20 du code général des collectivités terri-
toriales, « La communauté urbaine exerce de plein droit, au lieu et place des
communes membres, les compétences suivantes : / […] 2° […] b) Organisation
des transports urbains […] ; création ou aménagement et entretien de voirie ;
signalisation ; parcs de stationnement […] ».
20
J. M. Auby, « La notion de concession et les rapports des collectivités locales et
des établissements publics de l’électricité et du gaz dans la loi du 8 avril 1946,
CJEG 1949, p. 2.
personne administrative détermine le mode d’organisa-
tion d’un service public relevant d’elle « se relient à une
compétence essentielle de la personne administrative ».
Ils se fondent sur ce que Bonnard 21
appelle « le droit
inaliénable et discrétionnaire pour l’Administration de
décider du mode d’organisation des services publics »…
Il se traduit non seulement par la compétence de cette
personne pour prendre l’acte d’organisation du service,
mais encore par un certain nombre de prérogatives qui
visent à lui en assurer la maîtrise «.
La délégation de service public peut ainsi ne concerner
qu’une partie de l’aire géographique du service public 22
.
Une commune peut aussi passer une délégation pour
une mission globale de fourrière-refuge – c’est-à-dire
d’accueil et de prise en charge des animaux soit en pro-
venance d’une fourrière, soit donnés par leurs proprié-
taires – et imposer aux sociétés commerciales de four-
rière de s’associer, par la voie d’un groupement ou d’un
contrat de sous-traitance, avec une fondation ou une
association habilitée à gérer la partie refuge de l’activité
déléguée 23
.
Aucune obligation textuelle, sous l’empire de la loi Sapin
du 29 janvier 1993 comme de l’ordonnance du 29 janvier
2016 relative aux concessions, à la différence de ce qui
existe en matière de marchés publics (art. 32 de l’ordon-
nance du 23 juillet 2015), n’impose par ailleurs d’allotir
la délégation 24
.
Le juge administratif suprême l’affirme clairement
dans l’arrêt commenté : « Aucune disposition législa-
tive ni aucun principe général n’impose à la collectivité
publique qui entend confier à un opérateur économique
la gestion de services dont elle a la responsabilité de
conclure autant de conventions qu’il y a de services
distincts. » Mais il tempère aussitôt cette liberté en
invoquant les impératifs de bonne administration ou
les obligations générales de mise en concurrence qui
s’imposent à elle : la délégation ne saurait avoir un péri-
mètre manifestement excessif ni réunir au sein de la
même convention des services qui n’auraient manifeste-
ment aucun lien entre eux. En l’espèce, la communauté
urbaine du Grand Dijon a pu, sans commettre d’erreur
manifeste d’appréciation 25
, considérer que les services
de transport urbain, de stationnement et de mise en
fourrière, qui concourent à l’organisation de la mobilité
des habitants sur le territoire de la communauté urbaine,
présentaient entre eux un lien suffisant et les confier à
un délégataire unique afin d’assurer une coordination
efficace entre les différents modes de transport et de
21
Précis, 9e
éd., p. 390.
22
CE 8 avril 1998, Ass. pour la promotion et le rayonnement des Orres : BJCP
1998, p. 63, concl. C. Bergeal.
23
CE 13 juillet 2012, Commune d’Aix-en-Provence, n° 358512.
24
V. de Sigoyer et C. McDonagh, « Délégation de service public et allotissement »,
Contrats publics n° 155, juin 2015. L’absence d’allotissement d’un marché de
transport scolaire a été jugée illégale au motif qu’elle favorisait la formation
d’une entente anticoncurrentielle, prohibée par l’article L. 420-1 du code de
commerce (TA Nice 9 novembre 1998, Préfet des Alpes-Maritimes c/ Ville de
Nice, n° 98-1897).
25
Pour sa part, le juge de l’excès de pouvoir contrôle l’erreur manifeste d’appré-
ciation dans le choix du délégataire de service public par le pouvoir adjudica-
teur : CE 7 novembre 2008, Département de la Vendée, n° 291794.
9. Contentieux des collectivités locales
Bulletin Juridique des Collectivités Locales n° 1/17 49
stationnement, dont une partie significative des usagers
est identique. Cette dernière précision est intéressante :
à partir du moment où l’identité d’usagers est établie,
une présomption de lien suffisant entre les services
concernés semble exister.
Le Conseil d’État prend ensuite position sur les missions
de vérification de la performance du sous-système élec-
trique du tramway et du système d’hybridation des bus
hybrides, de maîtrise d’œuvre pour le déploiement des
matériels de péage et d’assistance à maîtrise d’ouvrage
du projet « Prioribus », qui confient au délégataire le soin
de s’assurer du bon fonctionnement et de l’exploitabi-
lité d’équipements en usage dans le réseau de transport
de l’agglomération dijonnaise. Contrairement au pre-
mier juge, il considère que ces missions présentent un
caractère complémentaire et accessoire à l’exploitation
des services de transport urbain et de stationnement
donc qu’il n’y a pas disqualification de la délégation et
requalification en marché public. Les conclusions du
rapporteur sont très claires : des prestations donnant
lieu au paiement d’un prix par la personne publique
peuvent être incluses dans un contrat de délégation de
service public passé selon la procédure applicable à
ces contrats si elles ont un lien suffisant avec le service
public délégué et si elles demeurent accessoires. Il en
découle une assez grande marge de manœuvre pour les
collectivités en la matière.
3. La violation de l’article L. 420-2 du code
de commerce, moyen inopérant
Le référé pré-contractuel n’a pas pour objet de sanc-
tionner des atteintes, en tant que telles, au droit de la
concurrence 26
car le droit de la concurrence nécessite,
comme le relèvent L. Richer et F. Lichère 27
, des investi-
gations trop poussées pour un juge du référé.
C’est ce qui explique l’affirmation, dans l’arrêt du 5 juin
2007, Société Corsica Ferries 28
, selon laquelle « la
méconnaissance éventuelle des dispositions de l’article
L. 420-2 du code de commerce n’est pas au nombre des
manquements dont peut être saisi le juge des référés
précontractuels ; que, par suite, le juge des référés n’a
pas entaché son ordonnance d’insuffisance de motiva-
tion en ne répondant pas au moyen tiré de ce que l’offre
du groupement constitué entre la SNCM et la CMN était
contraire à l’article L. 420-2 du code du commerce relatif
à la prohibition des abus de position dominante, lequel
était inopérant ». Position reprise dans l’arrêt du 21 sep-
tembre 2006. Il faut toutefois noter que la méconnais-
sance du droit de la concurrence par l’autorité respon-
sable de la personne délégante peut parfois constituer
un manquement aux obligations de publicité et de mise
26
CE 24 octobre 2001, Collectivité territoriale de Corse : Rec., p. 485 ; 10 avril
2015, Gvt de la Nouvelle-Calédonie, n° 385617.
27
Droit des contrats administratifs, LGDJ, 10e
éd., n° 313.
28
JCP A 2007, p. 2163, note F. Linditch ; AJDA 2007, p. 1522, note J.-D. Dreyfus.
en concurrence 29
. Et le constat d’un « avantage au sor-
tant » faussant l’égalité entre les candidats et le jeu de
la concurrence sur un marché a déjà conduit le Conseil
d’État à censurer une procédure de passation de délé-
gation de service public en matière de casino 30
.
L’office du juge du référé précontractuel peut être
amené à évoluer. Ainsi, récemment, le Conseil d’État,
qui considérait traditionnellement qu’il ne lui appartenait
pas, lorsqu’une personne morale de droit privé se porte
candidate à l’attribution d’un contrat de commande
publique, de vérifier que l’exécution de ce contrat entre
dans le champ de son objet social, juge qu’il en va dif-
féremment « dans le cas où un texte législatif ou régle-
mentaire a précisément défini son objet social et ses
missions » 31
. Et, dans un arrêt du 18 septembre 2015,
la Haute juridiction a, s’agissant de la candidature d’une
personne morale de droit public, considéré qu’il incombe
au juge du référé précontractuel « de vérifier que l’exé-
cution du contrat en cause entrerait dans le champ de
sa compétence et, s’il s’agit d’un établissement public,
ne méconnaîtrait pas le principe de spécialité auquel il
est tenu » 32
.
Au final, la communauté urbaine du Grand Dijon n’avait
commis aucune irrégularité dans le cadre de la procé-
dure lancée en 2015. Une nouvelle procédure a toutefois
été lancée à la suite de l’ordonnance du 25 avril 2016,
qui a de nouveau été annulée par le juge du référé pré-
contractuel. Un nouveau pourvoi en cassation est pen-
dant devant le Conseil d’État… n
Jean-David DREYFUS
Professeur à l’université Paris-Descartes
(centre Maurice Hauriou)
Avocat au barreau de Paris
29
CE 2 juillet 1999, SA Bouygues, n° 206749.
30
CE S. 10 mars 2006, Commune d’Houlgate, Société d’exploitation du casino
d’Houlgate : Rec., p. 138 ; AJDA 2006, p. 751, note J.-D. Dreyfus.
31
CE 4 mai 2016, n° 396590.
32
CE 18 septembre 2015, Association de gestion du CNAM des Pays de la Loire,
n° 390041 : AJDA 2016, p.153, note T. Rombauts-Chabrol.