Un récit juste et simple. Myriam Pommel creuse dans ses souvenirs et dans sa terre où les hommes sont rudes, beaux et puissants. Les femmes attentives veillent sur eux. La genèse d’une vocation dans le creuset ardéchois sensuel, malicieux et généreux. Les chèvres gambadent et les aliénés du centre se promènent. La bergère rencontre le berger. Un regard, une attirance et soudain la rencontre de la misère humaine jusqu’à la nausée. De ces corps déchirés, torturés nait l’amour. Un instant de grâce.
Michel Jurus
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Mémoires de psychiatre – Michel Jurus
1. 15
AFPEP-SNPP BIPP N° 71
Le roman des origines
par le Docteur Myriam Pommel
Je regarde les poules et leurs poussins, le coq à l’écart
m’impressionne. Derrière moi, mon Grand-père scie
du bois, une légère poussière odorante me caresse.
Il me dit : « maintenant que tu sais lire, tu tiendras les
comptes de la belote ». Ce sont les vacances de mon
Cours Préparatoire. Comme mes cousins avant moi, je
vais avoir le privilège de m’installer au bout de la table
familiale, sur un coussin avec un papier et un crayon
et de veiller. Ils sont là les huit hommes de la famille.
Mon Grand-père au regard malicieux, mon parrain
grand et costaud qui me fait un peu peur, mon père et la
lueur de fierté qu’il pose sur moi. Je suis investie d’une
responsabilité, de la justesse des comptes dépend
l’ambiance du jeu. Pendant les parties, je les observe.
Alors qu’ils étaient les hommes de la famille, ils
m’apparaissent un à un à la fois familiers et mystérieux.
Celui qui tape sa carte, celui qui la pose comme une
caresse. Avec les mêmes règles, ils jouent chacun leur
jeu, je suis fascinée.
Fascination aussi devant ce groupe de promeneurs
qui tous les mercredis passent devant la maison. Leur
allure est étrange, ils marchent dans la même direction,
aucun de la même façon et aucun d’un pas habituel. Un
corps raide, un autre comme désarticulé et souple qui
enchaîne ces pas d’un rythme régulier, un autre court le
buste en avant comme à la recherche du déséquilibre,
il s’arrête brutalement, regarde à travers ses doigts
puis reprend sa course. Certains sont beaux, l’un
a la « gueule cassée » il remonte son pantalon tous
les trois pas alors que son voisin tourne sur lui même
en continuant d’avancer. Il fait chaud, ma mère leur
propose des rafraîchissements. Ils s’arrêtent, certains
me fixent, d’autres regardent au loin, il y a quelque
chose de perdu dans ces regards. L’accompagnateur
remercie, il s’appelle Emile, il est doux, il fait battre
mon cœur de petite fille. Son attitude me rassure face
à cette explosion de bizarreries. Il m’apparaît comme le
guide qui parle, l’interprète qui me permet la rencontre
avec l’étranger voire l’aliéné.
Sur la colline, je surveille d’un coin de l’œil une dizaine
de chèvres. Parfois, elles broutent tranquillement et me
laissent le temps de lire, de méditer de rêvasser. Quand
elles partent vers les vignes du voisin, je dois réagir, les
ramener vers les pâturages. Et, comme dit ma Grand-
mère : « pas comme des moutons ». A chaque chèvre
sa personnalité. Blanchette obéit à la douceur, Lanoire
apprécie un peu de sévérité et Joyeuse aime l’humour.
C’est l’été de mes dix-sept ans, pour la première
fois j’entre dans la maison des promeneurs, l’Institut
Médico-pédagogique. J’ai postulé pour un travail
saisonnier, je veux les connaître mieux et peut-être
revoir Emile ! Une religieuse me conduit au pavillon
Saint Roch, celui « des grabataires ». Je suis sidérée.
Ces corps difformes d’enfants allongés ne sont pas
ceux de mes promeneurs, ceux-là ne tiennent pas
debout… Le calme, la sérénité et la douceur de ce lieu
contrastent avec mon bouleversement, j’ai la nausée,
je veux fuir, je reste! Sœur Emilienne me donne la
clef et me dit avec tendresse en inclinant sa tête : « à
demain ». La nuit est longue, peut-être ma première
nuit d’insomnie. Je ne pourrai pas, je vais les appeler,
je suis malade d’ailleurs je sens que j’ai de la fièvre. Je
ferme les yeux et des corps désarticulés envahissent
mon esprit. Le matin, je commence par vomir puis je
prends ma mobylette avec la ferme intention d’avoir un
accident. Je suis devant le pavillon. Ce n’est pas Emile
qui m’accueille mais Marie France. Elle me présente
chacun des enfants, elle les prénomme et me dit les
compétences de chacun, leurs traits de caractère. Je
sens qu’elle les aime, je vais les aimer.
Myriam Pommel
Aubenas – Ardèche
Chers psychiatres, je sais que beaucoup d’entre
vous pensent que le récit de leur parcours
professionnel n’est pas très intéressant et bien
vous vous trompez totalement. Si vos écrits ne
vous plaisent pas, ils peuvent toujours éveiller vos
confrères à la rêverie. Soyez généreux et pensez à
nous.
Je vous invite à m’envoyer vos textes à
docteurmicheljurus@gmail.com.
Mémoires de psychiatre
Un récit juste et simple. Myriam Pommel creuse dans ses souvenirs et dans sa terre où les hommes
sont rudes, beaux et puissants. Les femmes attentives veillent sur eux. La genèse d’une vocation dans
le creuset ardéchois sensuel, malicieux et généreux. Les chèvres gambadent et les aliénés du centre se
promènent. La bergère rencontre le berger. Un regard, une attirance et soudain la rencontre de la misère
humaine jusqu’à la nausée. De ces corps déchirés, torturés nait l’amour. Un instant de grâce.
Michel Jurus