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MEMOIRE DE RECHERCHE APPLIQUEE
Présenté et soutenu par
Camille Lajugie
Le 28 août 2017
LA PERCEPTION DES FUSIONS-ACQUISITIONS
MSc 2 Analyse Financière Internationale
2016-2017
Directeur de mémoire : Pascal Barneto, Directeur MSc Analyse Financière Internationale
TABLE DES MATIERES
GLOSSAIRE 1
INTRODUCTION GENERALE 2
1 PARTIE 1 : FONDEMENTS THEORIQUES ET COMPORTEMENT DES ACTEURS
VIS-A-VIS DES FUSIONS-ACQUISITIONS 8
1.1 Théories classiques en lien avec les fusions-acquisitions 8
1.1.1 Théorie des signaux 8
1.1.2 Théorie des synergies 10
1.1.3 Théorie des coûts de transaction 11
1.1.4 Pouvoir de marché et théorie du market for corporate control 12
1.1.5 Théorie de l’agence 13
1.2 Finance comportementale dans les fusions-acquisitions 15
1.2.1 Hubris 16
1.2.2 Gestion des impressions 17
1.2.3 Cognitions dans les décisions en finance 18
1.2.4 Heuristique 19
1.2.5 Rationalité des acteurs et efficience des marchés 20
1.3 Destruction de valeur liée aux fusions-acquisitions : explication des causes 21
1.3.1 Efficacité des modèles 22
1.3.2 Réalisation des synergies 23
1.3.3 Prix de la cible 24
1.3.4 Gouvernance 26
1.3.5 Communication financière 27
2 PARTIE 2 : ETUDES DE CAS DE DESTRUCTION DE VALEUR ACTIONNARIALE
EN LIEN AVEC LES FUSIONS-ACQUISITIONS 30
2.1 Le cas HP : acquisitions d’Electronic Data System et Autonomy Corporation 30
2.1.1 Contexte 30
2.1.2 HP avant les dépréciations 31
2.1.3 HP post dépréciations 33
2.1.4 Destruction de valeur actionnariale : facteurs d’approbation des actionnaires
34
2.1.4.1 Prix de la cible 35
2.1.4.2 Communication 38
2.2 Le cas Publicis – Omnicom : égo dans les fusions entre égaux 41
2.2.1 Contexte 41
2.2.1.1 Publicis 41
2.2.1.2 Omnicom 42
2.2.1.3 Le projet de fusion 43
2.2.2 Raisons pour lesquelles réaliser la fusion 44
2.2.2.1 Chez Publicis 45
2.2.2.2 Chez Omnicom 45
2.2.3 Raisons de l’échec de la fusion 46
2.2.4 Conséquences de l’échec de la fusion pour l’actionnaire 48
CONCLUSION GENERALE 51
BIBILOGRAPHIE 53
WEBOGRAPHIE 57
ANNEXES 60
TABLE DES MATIERES 104
1	
GLOSSAIRE
ACTIF ECONOMIQUE : Somme des immobilisations nettes et du besoin en fonds de
roulement
EBIT (Earnings Before Interest and Taxes) : Correspond au chiffre d’affaires retranché des
charges d’exploitation et des dotations aux amortissement et dépréciations des actifs
immobilisés.
EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization) : Correspond au
chiffre d’affaires retranché des charges d’exploitation.
EMPLOYED CAPITAL : Somme des non current assets (actifs non courants) et du working
requirement capital (besoin en fonds de roulement).
EVA (Economic Value Added) : Mesure annuelle de la création de valeur de l'entreprise établie
par comparaison du coût du capital investi à sa rentabilité : Actif économique x (Rentabilité
économique - coût du capital).
MVA (Market Value Added) : Mesure la création de valeur boursière. Différence entre la
capitalisation boursière + valeur de la dette - actif économique. La MVA est égale à la somme
des EVA attendues pour les années à venir actualisées au coût moyen pondéré des capitaux.
ROCE (Return on Capital Employed = Rentabilité Economique) : Détermine la rentabilité en
fonction des capitaux investis : EBITDA / Actif Economique.
WACC (Weighted Average Cost of Capital = Coût Moyen Pondéré du Capital) : Représente le
taux de rentabilité annuel moyen attendu par les actionnaires en retour de leur investissement :
Vcp x Kcp + Vd x Kd x (1-IS) / Vcp + Vd
2	
INTRODUCTION GENERALE
Pas un jour ne se passe sans que la presse n’annonce une nouvelle opération de fusion-
acquisition, et tous les secteurs sont concernés : pharma, banques, nouvelles technologies…
Pour faire face à la mutation du contexte économique dû à la mondialisation galopante
des économies, aux développements technologiques extrêmement rapides, et à l’arrivée à
maturité de nombreux marchés, les dirigeants des grandes entreprises ont dû trouver un
processus approprié sur lequel compter afin de dépasser les difficultés au sein de leurs
entreprises. En effet, il leur est nécessaire de faire face à la vive évolution des marchés, ou de
lutter contre une concurrence accrue. Ce processus mis en œuvre se trouve être la fusion-
acquisition. La fusion-acquisition peut apparaître comme la solution la plus rapide et efficace
pour faire face à cette nouvelle donne, pour augmenter sa part de marché, entrer sur de nouveaux
marchés, ou améliorer sa compétitivité. La lecture de la presse économique nous montre que ce
phénomène « fusions-acquisitions » ne cesse de prendre de l’ampleur. Ainsi la médiatisation
croissance de ces opérations fait de ce phénomène une composante à part entière de la vie des
entreprises.
Après un ralentissement de trois ans après la crise financière de 2008, le nombre de
fusions-acquisitions réalisées est repartie depuis 2011. 2015 fut une année doublement record,
avec le montant jusqu’alors jamais atteint de près de 4.600 milliards de dollars de fusions-
acquisitions, et un nombre de méga transactions, supérieures à 5 milliards de dollars, qui a
progressées de 54%. Le montant du rapprochement entre les deux géants du Big Pharma, Pfizer
et Allergan, s’est élevé à 191 milliards de dollars, ce qui est l’un des montant les plus important
de l’histoire des fusions-acquisitions, tandis que que celui entre les brasseurs Ab Inbev et
SABMiller s’est conclu à 120 milliards de dollars.
La tendance pour l’année 2016 est à la baisse (-17%), avec moins de méga deal, mais le
montant reste élevé (3.630 milliards de dollars), avec des opérations impliquant des géants de
leurs secteurs. Le deal entre Microsoft et Linkedin s’est conclu à 26.3 milliards de dollars et
celui de St.Jude Medical et Abbott pour 25 milliards de dollars en janvier 2017.
2017 s’annonce comme une très bonne année pour la fusion-acquisition, avec de gros
deals déjà prévus comme ceux d’Essilor et Luxottica, ou d’Actelion avec Johnson&Johnson, et
peut-être Safran et Zodiac.
Néanmoins, l’engouement pour ce mode de croissance ne doit pas être confondu avec
le succès. En effet, il faut distinguer la question de la réalisation de ce type d’opération, de la
performance qu’elles génèrent. Ce n’est pas parce que les deux entités ont trouvé un terrain
3	
d’entente pour concrétiser leur rapprochement, que la transaction se révèlera fructueuse, tant
pour l’acquéreur que pour la cible. Selon les études, très nombreuses, déjà réalisées sur le sujet,
il ressort que c’est finalement l’inverse qui se produit habituellement. Ces études font état de
résultats négatifs, pour les initiateurs de ces opérations principalement, alors même que ceux-
ci engagent des sommes toujours plus importantes pour réaliser ces fusions-acquisitions. C’est
le cas de l’étude publiée dans The Journal of Finance (Agrawal et al.) en 1992 : les actionnaires
des entreprises acquéreuses subissent une perte de valeur d’environ 10% au cours de la période
de cinq ans post-fusion. L’étude de 1999 de KPMG (Annexe 1) va plus loin : dans 80% des cas,
les fusions-acquisitions ne génèrent pas de valeur pour l’actionnaire de l’incitateur, et sur les
700 opérations étudiées entre 1996 et 1998, seules 17% avaient crée de la valeur pour la
nouvelle structure.
A la lumière de ces éléments, il est légitime de s’interroger sur les raisons qui incitent
les dirigeants à pousser l’entreprise dont ils sont à la tête dans ces opérations, certes
stratégiques, mais aussi très risquées pour l’actionnaire.
Les initiateurs de ces fusions-acquisitions s’appuient sur différentes théories pour
motiver leurs ambitions de rapprochement.
La théorie des synergies est utilisée pour justifier une opération de fusion-acquisition
grâce à laquelle des gains de croissance ou des économies de coûts (dont les économies
d’échelle) vont être réalisés. Une fusion-acquisition réalisée pour des motifs de synergie sera
en principe accompagnée d’une création de valeur. Selon le domaine dans lequel les entités
fusionnées évoluent, il peut cependant y avoir un risque de redondance des compétences, ou
une non complémentarité de ces dernières (Singh et Zollo, 2004).
La théorie des coûts de transaction explique l’intérêt de la fusion-acquisition dans la
suppression de coûts en amont (fournisseur) ou en aval (client) de là où se crée initialement la
valeur. Cependant, à trop internaliser, cette théorie peut ne plus fonctionner, et les coûts liés à
la gestion d’un ensemble trop gros, se révéler supérieurs aux gains liés à l’économie de coûts
de transaction (Coase, 1937). C’est également la conclusion à laquelle arrive Shim (2011), dans
le cas où les coûts supplémentaires, liés à la gestion de la nouvelle entité post méga transaction,
ne couvrent plus les gains qui peuvent en être retirés.
La valeur en fusion-acquisition découle également du pouvoir du marché induit par
l’opération. Le pouvoir de marché signifie ici le pouvoir de l’entreprise à fixer son prix de vente
et / ou à augmenter ses marges bénéficiaires. L’acquisition d’une entreprise par une autre, en
diminuant le nombre de concurrents, permet de réduire la pression concurrentielle et ainsi
d’accroitre le pouvoir de marché de l’entreprise acquéreuse.
4	
De toutes ces théories est censé découler de la création de valeur pour l’actionnaire.
Pour qu’il y ait création de valeur pour l’actionnaire, la rentabilité de l’actif économique
(ROCE) doit être supérieure au Coût Moyen Pondéré du Capital (WACC). Du point de vue de
l’actionnaire, on peut mesurer la création de valeur par la MVA (Market Value Added), qui est
la somme des EVA (Economic Value Added) attendus pour les années à venir et mesure la
création de valeur boursière (Vernimmen.net).
Or, les nombreuses études réalisées sur l’impact de la création de valeur actionnariale
des fusions-acquisitions nous montrent que ces opérations détruisent plus souvent de la valeur
qu’elles n’en créent.
Partant du constat que les gains espérés et donc la création de valeur pour l’actionnaire
ne se concrétisent que peu à la suite de ces opérations, nous nous sommes intéressés à d’autres
théories, liées aussi à la réalisation d’opérations de fusions-acquisitions. Celle-ci ne placent pas
la création de valeur pour l’actionnaire au centre des raisons pour lesquelles les fusions-
acquisitions se réalisent.
Une des théories classiques est celle de l’agence (Jensen et Meckling, 1976). La
divergence des intérêts des dirigeants de l’entreprise et des actionnaires de l’entreprise est au
cœur de la réflexion. L’intérêt pour l’actionnaire est l’augmentation de la valeur, tandis que le
dirigeant servirait plutôt ses intérêts personnels avant ceux des actionnaires de l’entreprise.
Pour Roll (1986), les dirigeants surestiment les gains qu’ils pourraient tirer d’un
rapprochement avec une autre entreprise. C’est la théorise de l’hubris, qui place l’ego du
dirigeant au centre de la décision de réaliser une opération de fusion-acquisition. Cette théorie
introduit également la notion de bais cognitif.
Cela ouvre le champ de recherche à des travaux plus récents, et qui concernent le
comportement des acteurs du marché : la finance comportementale (Kahneman et Smith ;
annexe 2). Il s’agit d’un des secteurs de la nouvelle « économie comportementale », qui consiste
à appliquer la psychologie à la finance. Cette théorie, par opposition à l’hypothèse des marchés
efficients, met en avant les situations dans lesquelles les marchés ne sont pas rationnels, et en
explique les causes par la psychologie des investisseurs. Le marché n’obéit pas à des règles
purement rationnelles. En effet, l’investisseur n’est pas toujours rationnel et ses sentiments sont
soumis à des erreurs de jugement (biais cognitifs) ou a des facteurs émotionnels comme l’excès
de confiance, qui interfèrent lors de la prise de décision. « … la rivalité qui oppose ce dernier
(Patrick Drahi) à Xavier Niel. Ils se battaient déjà en Israël par téléopérateurs interposés,
raconte un dirigeant de Free. Puis Niel a acheté un quotidien, Le Monde ; Drahi a alors acquis
Libération. Puis Niel a racheté l’Obs et Drahi L’Express… » (L’usine nouvelle, 2016).
5	
Ces biais cognitifs observés sont l’ancrage mental, qui consiste à se fier à la première
impression, le fait de se concentrer sur un seul aspect d’un problème, ou les heuristiques. Les
heuristiques sont des raccourcis de raisonnement qui peuvent aider à la prise de décision.
Cependant, elles introduisent des biais dans le raisonnement, qui devient plus analogique que
logique : « L’accueil fait par le marché aux fusions-acquisitions et aux introductions en bourse
dépend largement du succès des dernières opérations similaires, avec des conséquences
identiques pour les performances ultérieures » (Mangot, 2008). L’information facilement
disponible occupe une place prépondérante dans les raisonnements. De plus, parmi les
informations disponibles, certaines sont privilégiées par rapport à d’autres : le biais de
conservatisme traduit la tendance à surévaluer les informations qui confirment son opinion, et
à minimiser les informations discordantes. La finance comportementale peut donc être d’une
aide déterminante pour comprendre l’engouement pour les opérations de fusions-acquisitions,
qui selon certaines théories n’apportent rien de plus aux entreprises (Roll 1986), ou qui se
réalisent alors qu’elles ne sont pas rationnelles, ce qui va à l’encontre de la plus grande partie
des théories classiques.
A la lumière de ces études et théories, la question que nous nous posons donc est la
suivante : Pourquoi les fusion-acquisitions sont-elles généralement perçues favorablement,
alors qu’elles sont souvent destructrices de valeur pour l’actionnaire ?
La littérature est très dense sur les motivations pour la réalisation de fusions-
acquisitions, sur les raisons des échecs de ces dernières, mais pas sur le fait que ces opérations
sont très largement approuvées, alors que tout montre qu’elles ne sont que très rarement dans
l’intérêt de l’actionnaire, propriétaire de l’entreprise.
Il semble important ici de définir ce qu’est une opération de fusion-acquisition, car il
s’agit du sujet central de ce mémoire. Sous le terme générique de fusion-acquisition sont
regroupé plusieurs variantes d’opérations ayant pour finalité le regroupement d’entreprises. La
nature de l’opération sera variable en fonction notamment du devenir juridique de la cible après
l’opération, et du mode de financement, soit en titres, soit en liquidités. Dans ce mémoire, nous
ne distinguerons pas les opérations selon leurs caractéristiques, mais les traiterons dans leur
globalité.
La démarche suivie pour répondre à cette problématique a consisté dans un premier
temps à étudier les théories classiques émises par les grands auteurs, qui justifient et expliquent
la réalisation de ces opérations. La lecture des articles publiés par ces derniers a servi de base à
notre travail. Les conclusions de ces théories classiques sont en faveur de la réalisation de
fusions-acquisitions. Ces dernières étant le plus souvent destructrices, nous avons cherché à
6	
comprendre si le facteur humain ne rentrait pas en jeu dans le résultat de ces fusions-
acquisitions. Pour cela, c’est sur la lecture d’ouvrages et articles traitant de la finance
comportementale que nous nous sommes appuyé. Forts de ces apprentissages, nous avons
élaboré une réponse personnelle à la problématique, que nous avons validée par l’étude de deux
cas.
Pour répondre à notre interrogation, nous avons divisé la première partie de notre travail
en trois chapitres. Notre recherche porte donc sur les théories classiques qui donnent du sens à
la réalisation des fusions-acquisitions, puis sur la finance comportementale appliquée à ces
opérations, pour enfin comprendre le cheminement qui mène à ces décisions. Nous nous
placerons toujours du point de vue de l’initiateur de l’opération, l’acquéreur.
Le premier chapitre est l’occasion d’étudier les théories classiques qui sous-tendent les
opérations de fusions-acquisitions. En effet aujourd’hui, l’ensemble de la finance étant
gouvernée par ces théories classiques il est important de les connaître pour comprendre quelles
sont les justifications que trouvent les initiateurs à ces opérations.
Nous aborderons dans le deuxième chapitre des éléments de finance comportementale,
qui apportent un éclairage sur le comportement des acteurs de marché, et les conséquences sur
le sujet de notre travail, les fusion-acquisitions. Pour prendre en compte le fait que les théories
classiques se révèlent inefficaces dans certaines conditions, nous nous sommes intéressés aux
acteurs en tant qu’humains par le prisme de la finance comportementale. Imaginer que les
dirigeants sont uniquement des homo economicus rationnels obéissant aux théories classiques
et uniquement cela nous paraissait bien réducteur et en dehors de la réalité.
Enfin dans un troisième chapitre, nous apporterons les explications relatives à cette non
création de valeur pour l’actionnaire, résultant des opérations de fusion-acquisitions. Nous nous
attacherons, pour chacune des causes de destruction de valeur identifiée, à déterminer une
explication, en nous appuyant sur les éléments abordés dans les deux premiers chapitres, ce qui
nous mènera à formuler des réponses à la problématique.
La seconde partie de notre travail sera l’occasion de valider les hypothèses émises pour
répondre à la problématique de ce mémoire. Nous avons étudié des fusions-acquisitions dans
deux cas d’entreprises dans lesquels les fusions-acquisitions étaient approuvées alors qu’elles
se sont révélées, comme dans de nombreux cas, non conformes aux intérêts des actionnaires. Il
s’agit de deux exemples concrets de destruction de valeur actionnariale en rapport avec des
opérations de fusions-acquisitions. Le premier cas concerne HP et les acquisitions d’Electronic
Data System (EDS) en 2008 et d’Autonomy Corporation en 2011, qui ont été suivies par un
impairment équivalent au prix d’acquisition. Le second cas concerne l’univers de la publicité.
7	
Nous étudierons la fusion ratée « entre égaux » de Publicis, numéro trois mondial de la publicité,
avec Omnicom, le numéro deux du secteur. Leur fusion était annoncée et actée, jusqu’à ce que
des considérations bien éloignées de la seule dimension financière viennent mettre un terme au
projet.
8	
PARTIE 1 : FONDEMENTS THEORIQUES ET COMPORTEMENTS DES ACTEURS
VIS-A-VIS DES FUSIONS ACQUISITIONS
Afin de comprendre les mécanismes qui poussent les entreprises à initier de plus en plus
de fusions-acquisitions, nous allons nous intéresser aux théories explicatives de la réalisation
de ces opérations. En effet après l’année record 2015, le premier trimestre 2017 a vu les valeurs
européennes exploser. Environ 2500 deals ont déjà été réalisés, pour un montant d’environ 700
milliards de dollars.
Afin d’apporter un autre éclairage à ces illustres théories, nous allons nous intéresser dans
un second temps aux acteurs qui œuvrent pour la réalisation de ces opérations de fusions-
acquisitions, en nous penchant sur les recherches faites en matière de finance comportementale.
Ces éléments nous permettrons de comprendre le fonctionnement des acteurs de marchés, et les
conséquences de leurs comportements.
Enfin, à la lumière des deux précédents chapitres, nous apporterons des éléments de
réponse quant à la non création de valeur issue des opérations de fusions-acquisitions.
1.1 Théories classiques en lien avec les fusions-acquisitions
1.1.1 Théorie des signaux
L’étude du nombre de fusions-acquisitions montre que ces opérations se réalisent par
vagues. Ces vagues sont calquées sur le marché. Plus le marché est haussier et les valorisations
boursières élevées, et plus le nombre d’opérations de rapprochement augmente.
9	
Ce graphique (source : Bloomberg) montre la corrélation entre la valeur des fusions-
acquisitions et l’évolution de la bourse. En blanc est représenté l’évolution de la capitalisation
de l’indice boursier mondial Bloomberg World Exchange » et en jaune, la valeur totale des
fusions-acquisitions à l’échelle mondiale. En 2014, on pouvait lire sur zonebourse.com : « les
marchés actions s’inscrivent dans une tendance haussière actuellement, les M&A devraient
donc poursuivre leur essor pour décrocher de nouveaux records dans les années à venir ».
Force est de constater que l’avenir et l’année record 2015 n’ont pas tardé à leur donner raison.
Lorsque le marché est haut, les managers veulent profiter d’une survalorisation de leur
entreprise. Cela leur permet d’utiliser leurs actions comme monnaie, pour acquérir des cibles
qu’ils pensent sous-évaluées (Shleifer et Vishny, 2003).
La théorie des signaux apporte donc des éléments d’explication à la réaction des
marchés à certains évènements. La théorie repose sur l’idée d’une certaine asymétrie
d’information entre les dirigeants, les mieux à même à connaître la valeur réelle de leur
entreprise, et les investisseurs et les marchés financiers. En effet, l’annonce d’un évènement ne
peut provoquer une réaction sur le marché uniquement si les différents acteurs n’ont pas le
même niveau d’information. Les investisseurs tirent donc des conclusions sur la valeur de
l’entreprise en fonction des décisions prises par les dirigeants. La théorie des signaux expose
donc qu’un signal positif émis par les dirigeants d’une entreprise permet d’anticiper de
meilleures performances futures et d’engendrer une hausse du cours du titre de la société.
Actuellement, les fusions-acquisitions sont extrêmement médiatisées par les entreprises
acquéreuses. Cela s’explique par la volonté de donner l’image d’une opération bien pensée
stratégiquement et ayant du sens, élément essentiel pour garder la confiance des investisseurs.
Nous verrons que la communication financière faite autour des opérations de fusions-
acquisitions est stratégique pour les entreprises initiatrices. Mais un autre point essentiel est
l’image que renvoie cette décision vis-à-vis de la confiance en l’avenir qu’à l’entreprise
acquéreuse. En effet, cela montre le signe d’une entreprise qui se sent capable de mener à bien
une telle opération, et qui a les moyens de financer cette opération, donc qui croit en la
croissance future du résultat du nouvel ensemble. Etant donné que selon le mode de
financement de la cible, c’est la remontée de cash généré par cette dernière qui financera
l’acquisition, dans tous les cas, l’acquéreur doit avoir confiance en l’avenir économique de
l’entreprise.
10	
1.1.2 Théorie des synergies
Une des raisons principalement évoquées pour justifier la réalisation d’opérations de
fusions-acquisitions est la réalisation de synergies entre les deux entités fusionnées :
Ve (fusionnée) = Ve (acquéreur) + Ve (cible) + synergies
Dans le communiqué de presse émis par Danone en date du 7 Juillet 2016, qui annonce
la signature d’un accord en vue de l’acquisition de WhiteWave, le point intitulé « Forte création
de valeur », est avant tout soutenu par :
« Des synergies importantes représentant 300 millions de dollars de résultat
opérationnel en année pleine, à horizon 2020, soit 8% du chiffre d’affaires et 80% du résultat
opérationnel de Whitewave en 2015. »
Les synergies correspondent au surplus de valeur généré suite au rapprochement de deux
entités, comparé à la valeur qu’elles génèrent séparément (mazars.fr). Cette idée a été
développée par Bradley et al. (1988) :
« synergy theory posits that the acquisition of control over the target enables the
acquirer to redeploy the combined assets of the two firms toward higher-valued uses. »
La synergie est donc directement en lien avec la création de valeur, qui est considérée
comme le principal motif de fusion-acquisition. La théorie des synergies se base sur l’idée que
l’entreprise est un lieu de mise en commun de ressources (Penrose, 1959). Si les synergies se
réalisent comme elles sont prévues et annoncées dans les communiqués de presse, la valeur
actionnariale doit être plus forte après la fusion-acquisition que la somme des valeurs apportées
par chacune des entreprises avant l’opération.
11	
Ces synergies peuvent se concrétiser par une hausse des revenus ou par une baisse des coûts.
L’augmentation des revenus peut être générée par une complémentarité de gamme, une prise
de parts de marché supplémentaire, la mise en commun de savoir-faire ou de technologies, la
création d’une barrière à l’entrée, protégeant ainsi la nouvelle entité de l’émergence de
nouveaux concurrents. Les réductions de coûts induites par les synergies se traduisent par des
économies d’échelle (ex : rationalisation et regroupement des achats permettant d’avoir accès
à de meilleures conditions commerciales), une diminution des coûts de production, la réduction
du risque opérationnel, la mise en commun d’activités, permettant notamment de supprimer des
postes qui existaient dans chacune des entités mais qui n’ont pas besoin d’être en nombre aussi
important dans l’entreprise nouvellement crée. La fusion-acquisition permet en général au
minimum l’économie d’une direction générale (DG, adjoints, secrétaires…). Le délai de
réalisation des synergies doit cependant être assez court. On considère que si les synergies
prévues et escomptées n’ont pas été réalisées dans un délai de 18 mois à 3 ans, elles ne se
concrétiseront jamais.
1.1.3 Théories des coûts de transaction
A l’origine de cette théorie est Ronald Coase. Il publie en 1937 l’article intitulé « The
Nature of the firm ». Il mène dans son étude une réflexion qui permettrait de faire un choix
entre croissance interne et croissance externe pour une entreprise. En effet, pour lui le coût
explique la formation d’entités collectives comme les entreprises, qui ainsi formées, permettent
de réduire les coûts. Son étude permet de s’interroger sur les opérations de fusions-acquisitions
de nature verticale, c’est à dire le rachat d’un fournisseur ou d’un client. Le coût de transaction
défini par Williamson (1975, 1985) découle des travaux de Coase (1937). Ces coûts de
transaction sont les coûts qui découlent de l’échange (biens, services : les transactions) entre
entreprises. Si l’entreprise produits elle même ces biens ou services, ces coûts seront des coûts
internes, tandis que si elle fait appel à un fournisseur, les coûts seront externes. Les coûts
externes sont plus élevés que des coûts internes. Ces coûts peuvent être des coûts liés au
transport, au traitement administratif, à la négociation… Ces coûts sont également déterminés
par la fréquence de réalisation des ces transactions, et la spécificité des actifs (degré de
complexité des biens et services échangés) (Williamson 1985).
On trouve un exemple de cette théorie dans la grande distribution avec l’enseigne
Intermarché. Ils ont même fait de l’étiquette distributeur producteur (« fiers d’être producteurs
et commerçants ») une marque de fabrique et un argument de vente. Le groupement est très
12	
connu pour posséder sa propre flotte de bateaux de pêche, ainsi que ses propres usines pour la
production de certains produits à marque propre.
Un autre cas, un peu différent car on parle d’entités distinctes juridiquement, est celui
de l’aéronautique. Les sous-traitant aéronautiques étant implantés à proximité immédiate des
usines Airbus à Blagnac par exemple. Sans être totalement intégré, cette proximité
géographique permet une économie de coût de transaction, par l’économie de coûts de transport
ou la réactivité qu’elle procure à l’activité. Ces entités de sont pas juridiquement liées,
cependant si on prend en compte la dépendance du sous-traitant vis-à-vis de l’avionneur, et la
notion de contrôle dont elle dispose donc à son sujet (cf. IFRS 10), on peut considérer que le
cas rentre tout à fait dans une économie de coût de transaction générée par une fusion-
acquisition.
La création de valeur liée aux opérations de fusions-acquisitions est donc liée à ces
économies de coûts de transaction, rendues possibles par l’internalisation d’activités qui étaient
jusqu’alors en amont, tels que les fournisseurs, ou en aval, tels des clients, de l’activité
historique de l’entreprise acquéreuse.
1.1.4 Pouvoir de marché et théorie du market for corporate control
Selon Coriat et Weinstein (1995), si les entreprises sont de poids (taille) égal, elles n’ont
pas de pouvoir les unes sur les autres. Dans la recherche d’un pouvoir de marché, la taille est
en revanche une variable stratégique. La solution réside donc dans la concentration et le fait de
devenir plus gros que les autres. Cela confère à l’entreprise le pouvoir de se soustraire au moins
en partie à la concurrence, ce qui permet ainsi à l’entreprise d’augmenter ses profits. Les
fusions-acquisitions, par le gain de taille et de pouvoir qu’elles confèrent aux entreprises, sont
donc naturellement plébiscitées.
La théorie du marché de la prise de contrôle (« market for corporate control »), dans le
cadre des fusions-acquisitions, est basée sur la théorie de l’agence et les divergences d’intérêts
et d’objectifs qui existent entre les actionnaires et les dirigeants. Dans un marché efficient, le
cours reflète la valeur réelle de l’entreprise, donc sa comparaison avec les concurrents, ou
entreprises similaires, doit refléter la qualité de la gestion opérée dans l’entreprise. Lorsque le
cours d’une entreprise est faible par rapport aux concurrents, les actionnaires devraient donc
remettre en cause la gestion de l’équipe dirigeante en place. Cette théorie du market for
corporate control repose donc sur l’idée que les dirigeants sont en concurrence les uns par
rapport aux autres. Les dirigeants les moins performants sont donc sanctionnés et remplacés
13	
lors des opérations de fusions-acquisitions. Les fusions-acquisitions auraient donc un rôle
disciplinaire (Alchian et Demsetz 1972), et permettraient aux actionnaires de remplacer les
dirigeants lorsque les résultats escomptés ne sont pas conformes aux attendus. Cela permet donc
de remplacer ces dirigeants incompétents par des dirigeants plus experts dans le domaine. Une
des vertus des fusions-acquisitions serait donc de faire en sorte que la direction des entreprises
soit assurée par des équipes dirigeantes compétentes. La théorie du market for corporate control
permettrait donc de réduire les coûts d’agence, car les fusions-acquisitions joueraient le rôle
d’agent disciplinaire des dirigeants, ainsi qu’un rôle régulateur.
Afin d’éclairer notre propos, nous allons maintenant donner plus de de détails sur la
théorie de l’agence et les coûts qu’elle suppose.
1.1.5 Théorie de l’agence
La relation d’agence est initiée par Adam Smith (1776) qui selon cette citation connue:
« les directeurs de ces sortes de compagnies (les sociétés par actions) étant les régisseurs de
l’argent d’autrui plutôt que de leur propre argent, on ne peut guère s’attendre à ce qu’ils y
apportent cette vigilance exacte et soucieuse que les associés apportent souvent dans le
maniement de leurs fonds. » met en lumière les intérêts divergents des dirigeants et des
actionnaires d’une entreprise.
La relation d’agence est définie par Jensen et Meckling (1976) comme « un contrat par
lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engagent une autre personne (l’agent) pour
accomplir quelques services en leur nom, impliquant la délégation d’une partie de l’autorité
de prise de décision à l’agent. ». L’agent de cette définition est le dirigeant, qui gère et contrôle
l’activité de l’entreprise, et prend toutes les décisions, y compris celles stratégiques. Les intérêts
du dirigeant seraient de s’approprier une partie des ressources de l’entreprise pour son propre
compte (dont une revalorisation de la rémunération), de renforcer sa position à la tête de
l’entreprise, de maximiser certains indicateurs, plutôt que d’autres qui génèreraient plus de
profit pour l’actionnaire. Ceci dans le but de servir les intérêts de l’entreprise (et les siens par
la même occasion), avant ceux de l’actionnaire ; les intérêts de l’actionnaire étant la distribution
de dividendes ainsi que l’augmentation de la valeur des actions. On retrouve dans cette théorie
la notion d’asymétrie d’information : le dirigeant en sait plus sur l’entreprise que le principal,
c’est à dire l’actionnaire, ainsi que la différence d’horizon temporel. Enfin cette relation
d’agence suppose, toujours selon Jensen et Meckling (1976) des coûts : dépenses de
surveillance (motiver et orienter le comportement de l’agent), des coûts d’obligation
14	
(engagement de l’agent), et des coûts d’opportunité (perte subie suite à des décisions prises par
l’agent qui ont des intérêts contraires au principal).
Fama (1980), en plus de la divergence d’intérêts citée plus haut, apporte une notion
supplémentaire avec la différence des risques encourus. En effet, le risque pour l’actionnaire
est de perdre son apport, ou de ne pas le valoriser autant que cela aurait été possible, tandis que
le dirigeant risque de perdre son emploi et sa valeur sur le marché du travail. Le risque étant
plus grand pour le dirigeant, ils peuvent être tentés de faire des investissements moins risqués
que ce qui serait conforme aux intérêts de l’actionnaire.
La théorie de l’enracinement managérial (Shleifer et Vishny, 1989) découle de la théorie
de l’agence. On retrouve l’idée que les dirigeants font plus pour augmenter leur propre
patrimoine plutôt que créer de la valeur pour les actionnaires de l’entreprise. Ils préfèreraient
investir dans les fusions-acquisitions surpayées, plutôt que distribuer des dividendes.
Jensen et Meckling indiquent également que les Free Cash Flow peuvent être source de
fusions-acquisitions destructrices de valeur. En effet l’existence de cash flow « libres » peut
entraîner des décisions contraires aux intérêts des actionnaires : les dirigeants seraient disposés
plus facilement à se lancer dans des fusions-acquisitions destructrices de valeur, car trop
diversifiées, et sans connaissance suffisante des dirigeants de ces nouveaux secteurs (Jensen,
1986).
Cependant, vu la combinaison particulière d’activités qui découle de ces fusions-
acquisitions très diversifiées, il devient difficile pour les actionnaires de remplacer les équipes
dirigeantes. Ces derniers, par ces stratégies, assurent donc leurs propres intérêts.
15	
Nous venons d’étudier les théories qui sous-tendent les fusions-acquisitions. La théorie
de l’agence commence à introduire des notions de comportement, avec des comportements
différents selon le statut d’agent ou dirigeant, ou le statut de principal, c’est à dire actionnaire
de l’entreprise.
Nous allons donc maintenant étudier plus en détail le comportement des agents. Car les
éléments énoncées ci-dessus sont bien des théories, mais ceux qui sont censés être au cœur de
ces dernières sont des humains, aux comportements qui ne calquent pas toujours ces éléments
théoriques.
1.2 Finance comportementale dans les fusions-acquisitions
La finance comportementale est l’application de la psychologie à la finance. La finance
comportementale étudie les comportements des agents et leurs effets sur les marchés financiers.
Ces effets peuvent se traduire par des prix ou des rendements anormaux. On peut expliquer les
phénomènes de tendance boursière (marché haussier ou baissier) par des sur ou sous-réactions
des agents aux informations. Ce sont ces tendances qui peuvent entraîner des niveaux de prix
extrêmement décorrélés des fondamentaux économiques, qui à terme forment des bulles
financières qui entraînent parfois jusqu’aux krachs boursiers et aux crises financières. La
finance comportementale est donc en opposition avec l’hypothèse d’efficience des marchés,
qui indique que le prix ou le cours reflète parfaitement la valeur réelle de l’entreprise ou du
titre, tout en remettant également en cause la rationalité des acteurs du marché.
Nous allons aborder successivement cinq points qui nous apporterons un éclairage quant
aux comportements des acteurs vis-à-vis des opérations de fusions-acquisitions. En effet,
comme dit précédemment dans ce mémoire, le nombre d’opérations de fusions-acquisitions est
en constante augmentation. Un grand nombre d’études concluent que les opérations de fusions-
acquisitions détruisent de la valeur actionnariale plus souvent qu’elles n’en créent. Partant de
ces conclusions, nous allons essayer de comprendre ce qui pousse les acteurs et intervenants
sur le marché, dans leur comportement et par leur psychologie, à approuver ces opérations,
connaissant les résultats plus que mitigés de ces études.
16	
1.2.1 Hubris
Nous avons vu que la raison principale avancée pour la réalisation d’opérations de
fusions-acquisitions est la création de valeur actionnariale, ceci étant rendu possible en grande
partie, selon les entreprises acquéreuses, par la réalisation de synergies futures entre les deux
entités formant le nouvel ensemble. Cependant, les conclusions des études (KPMG, 1999) nous
montrent que la création de valeur qui est annoncée n’est que très rarement au rendez-vous.
Comment se fait-il donc que ces opérations se réalisent en aussi grand nombre, et avec autant
d’engouement ? Nous trouverons une des réponses dans l’étude du comportement des
dirigeants, notamment à travers la notion d’hubris.
L’hubris (ou hybris) est une notion grecque qui se traduit souvent par « démesure ».
C’est un sentiment violent inspiré des passions, particulièrement l’orgueil. Les grecs lui
opposaient la tempérance et la modération. Deux discours de Démosthène, « Contre Midas »
et « Contre Conon » en sont deux exemples. C’est la tentation de démesure ou de folie
imprudente des hommes, tentés de rivaliser avec les Dieux (Wikipédia). Appliqué à notre
travail, nous pouvons remplacer les Dieux par le marché.
L’hubris revoie donc à l’excès de confiance en soi et au narcissisme (Roll, 1986). Ce
biais cognitif, relatif à l’orgueil trop démesuré des dirigeants, affecte leur processus de prise de
décision. L’hubris donne donc une image de soi surévaluée au dirigeant, ainsi que de ses
compétences et de ses réalisations. Ce défaut de perception de soi serait donc ce qui conduit les
dirigeants à surestimer les synergies qu’ils vont être capable de réaliser à la suite de l’opération
de fusion-acquisition. Se faisant excessivement confiance, ils pensent soit que la cible est sous-
évaluée par le marché, et ils sont donc prêt à payer des primes là encore surévaluées pour
l’acquérir, soit ils pensent être capable d’en tirer plus de synergies que ce n’est le cas en réalité
(Malmendier et Tate, 2008).
Cette vision erronée de la réalité ne peut donc donner lieu qu’à des jugements erronés.
Roll (1986) émet l’hypothèse que les fusions-acquisitions ne sont aucunement génératrices de
valeur, et que les gains de synergie espérés ne trouvent leur source que dans l’imaginaire de soi
surévalué du dirigeant. Les primes, surévaluées elles aussi, payées par les dirigeants pour
réaliser ces opérations ne seraient finalement qu’une illustration de leur hubris. L’entreprise ne
serait pour ces dirigeants qu’un lieu leur permettant de satisfaire leurs ambitions personnelles,
et les opérations de fusions-acquisitions seraient donc destructrices de valeurs car initiées pour
des raisons erronées et mal évaluées, en raison de l’ego du dirigeant. Notons cependant que ces
17	
décisions prises par ego font ensuite l’objet d’une tentative de rationalisation économique par
le dirigeant auprès des actionnaires notamment.
1.2.2 Gestion des impressions
Dans notre quête de réponse concernant les raisons qui poussent les actionnaires à réagir
favorablement aux fusions-acquisitions, nous allons nous pencher sur la gestion des
impressions. En effet, si les actionnaires accueillent de manière favorable toutes ces opérations
de fusions-acquisitions, c’est peut-être car on les incite à croire que c’est une décision qui leur
est favorable. La gestion des impressions fait référence au contrôle de la perception des
performances de l’entreprise. Il s’agit pour la direction de sélectionner l’information à mettre
en avant, et la présenter de manière à modeler la perception des destinataires sur les réalisations
de l’entreprise (Godfrey et al., 2003). Le but recherché dans la déformation du discours est de
présenter une image plus favorable qu’elle ne l’est réellement de l’action entreprise au
destinataire de la communication, l’actionnaire. Les communications visées sont le rapport
annuel, ou les communiqués de presse, qui sont le moyen généralement utilisé pour annoncer
les opérations de fusions-acquisitions. Dans ces communications, les dirigeants peuvent
modeler leur discours afin de mettre en évidence ou à contrario, minimiser voire passer sous
silence certains éléments. Ces communications seraient un moyen dont se serviraient les
dirigeants pour modeler l’opinion sur les performances de l’entreprise (Godfrey et al., 2003).
Cette gestion des impressions serait donc utilisée lorsqu’il y a un écart entre l’entreprise
telle qu’elle est perçue par les dirigeants et les attentes des actionnaires vis-à-vis de cette
dernière. Nous avons vu précédemment, notamment dans la théorie de l’agence ou de l’hubris,
ces divergences d’intérêts entre dirigeants et actionnaires de l’entreprise. La gestion des
impressions est utilisée par les dirigeants lorsqu’ils pensent que les actionnaires ne seront pas
favorables aux décisions stratégiques qu’ils ont prises ou comptent prendre, afin de remodeler
le discours pour qu’il paraisse finalement à leur avantage. Ils utiliseraient plutôt cette méthode
afin de se protéger et/ou maximiser leurs intérêts personnels, c’est à dire principalement leur
rémunération, aux dépends des actionnaires. Là encore, cette théorie donne les mêmes
conséquences que la théorie de l’agence.
Les nombreuses études sur la performance des fusions-acquisitions montrent que les
gains escomptés sont souvent inférieurs aux attentes, voire que ces opérations détruisent de la
valeur pour l’actionnaire de l’entreprise acquéreuse ; cependant dans le même temps, les
intérêts privés des dirigeants augmentent (Grinstein et Hribar, 2004).
18	
Considérant l’écart entre les attentes des actionnaires (augmentation de la valeur de leurs
titres) et les conclusions des études, les dirigeants doivent les convaincre que ces opérations
sont nécessaires à l’entreprise. Si le discours qu’ils leur adressent ne les convainc pas les
actionnaires risquent de ne pas approuver le projet de fusion-acquisition. Or nous avons vu que
ces opérations sont extrêmement favorables aux dirigeants, le contexte est donc favorable à la
gestion des impressions. La gestion des impressions appliquée aux discours des dirigeants est
une première explication à la réalisation de ces opérations, bien que majoritairement
défavorables aux actionnaires.
1.2.3 Cognition dans les décisions en finance
La cognition désigne l’ensemble des structures et activités psychologiques dont la
fonction est la connaissance (par opposition aux domaines de l’affectivité) (Larousse.fr). De
manière un peu plus détaillée, Codol (1989) définit la cognition comme « l’ensemble des
activités par lesquelles toutes les informations (que l’individu reçoit) sont traitées par un
appareil psychique : comment il les reçoit, comment il les sélectionne, comment il les
transforme et les organise, et comment il construit ainsi les représentations de la réalité et
élabore des connaissances ».
La psychologie est devenue cognitive, c’est à dire basée sur des fonctions adaptatives et
régulatrices, et on parle aujourd’hui de la psychologie des investisseurs tandis que la finance se
base toujours sur des théories néo-classiques. Les acteurs du marché ne font pas qu’appliquer
ces théories, mais agissent en fonction de ce qu’ils pensent (Schneider et Angelmar, 1993).
Nous devons donc nous intéresser à la formation de ces pensées, ou représentations de la réalité,
afin de comprendre la raison d’être des comportements des agents. Les sciences cognitives
tiennent comptes des limites inhérentes à l’être humain : le décideur a une rationalité limitée et
utilisera des heuristiques afin d’appréhender son environnement.
Selon Schermerhorn et al. (2002), les facteurs influençant les perceptions sont l’agent
lui même, dont les perceptions sont influencées entre autres par ses connaissances, expériences,
motivations personnelles. L’environnement et le contexte au sein duquel vont s’appliquer ces
perceptions jouent aussi un rôle important, tout comme l’objet perçu en lui-même. Dans le cadre
de cette étude, c’est la décision de réaliser une opération de fusion-acquisition.
19	
1.2.4 Heuristique
L’heuristique fait référence à l’art de trouver, d’inventer, de faire des découvertes. Il
s’agit davantage d’une réflexion sur le procédé intellectuel qui mène à trouver, que sur
l’application d’une méthodologie d’obtention de solutions. En psychologie, domaine sur lequel
nous nous penchons actuellement dans notre réflexion, une heuristique de jugement désigne
une opération mentale, rapide et intuitive (Wikipédia). Une heuristique est une méthode de
résolution des problèmes qui ne s’appuie pas sur une analyse détaillée du problème, mais
s’appuie, par exemple, sur des similitudes avec des problèmes déjà traités pour trouver la
solution. Selon Le Moigne (1999), « une heuristique est un raisonnement formalisé de
résolution de problème dont on tient pour plausible, mais non pour certain, qu’il conduira à la
détermination d’une solution satisfaisante du problème ».
Les heuristiques sont donc des raccourcis utilisés par les agents afin de simplifier les
opérations mentales. Elles permettent également un gain de temps, car permettent de trouver
une solution sans avoir à étudier le problème dans toute sa complexité.
L’heuristique de représentativité fait aussi se comporter les agents plus par analogie que
par logique. Ils auront tendance à considérer quelque chose de vrai ou vraisemblable car il a
expérimenté la même situation récemment, ou à percevoir des tendances là où il n’y en a pas.
Les investisseurs surestiment la probabilité qu’un évènement se produise dans le futur d’autant
plus qu’ils l’ont observé récemment (effet momentum). Cela mène à formuler des jugements
de probabilité qui sont totalement erronés. Selon Mangot (2008), « l’accueil fait par le marché
aux fusions-acquisitions et aux introductions en bourse dépend largement du succès des
dernières opérations similaires, avec des conséquences identiques pour les performances
ultérieures ». Lorsqu’à la lumière des études sur les fusions-acquisitions, on connaît les résultats
en terme de création de valeur, on comprend pourquoi malgré les échecs, ces opérations
continuent à être plébiscitées. Selon cette heuristique, les fusions-acquisitions appellent donc
d’autres opérations du même type. Le succès des opérations précédentes étant parfois, comme
vu précédemment, fait grâce à une bonne gestion des impressions, et les agents réfléchissant
par analogie plus que par logique, alors, en dépit de résultats tout à fait non conforme aux
attentes des investisseurs, ces opérations vont continuer à se réaliser.
C’est la facilité d’accès à l’information (heuristique de disponibilité) qui va aussi parfois
déterminer la réponse apportée par l’agent. Toujours selon Mangot, l’information disponible
occupe une place prépondérante dans les raisonnements. Faute d’information plus pertinente,
les investisseurs recourent volontiers à des raisonnements rapides par analogie, achetant par
20	
exemple des titres après la hausse de titres comparables. Les informations disponibles à
l’annonce d’une fusion-acquisition émanent généralement de l’acquéreur, initiateur de
l’opération et nous avons vu précédemment que l’initiateur allait communiquer de manière à
ce que sa proposition paraisse la plus favorable possible aux actionnaires. C’est cette
information là, tout à fait conforme aux espérances de l’acquéreur, qui va être accessible le plus
facilement pour l’actionnaire. Si ce dernier est dans un raisonnement heuristique (de facilité),
il n’aura aucun mal à approuver la décision prise par le dirigeant.
Ces heuristiques peuvent être utiles, voire indispensables dans certaines situations, mais
elles génèrent des biais. « Un biais est une distorsion (déviation systématique par rapport à
une norme) que subit une information en entrant dans le système cognitif ou en sortant. Dans
le premier cas le sujet opère une sélection des informations, dans le second, il réalise une
sélection des réponses » (Le Ny, 1991). Le biais représente l’écart entre la pensée réelle et ce
qu’elle devrait être.
Un des biais introduit par cette théorie comportementale est le biais de conservatisme.
Il traduit la tendance à surévaluer les informations qui confirment son opinion, et à minimiser
les informations discordantes (Mangot, 2005). Ce biais est à l’origine d’une sous-réaction des
investisseurs aux informations publiques, et a pour conséquence de minimiser l’information
présente par rapport à l’information historique (Shleifer et Vishny 1989).
Parmi les informations disponibles, certaines sont donc privilégiées par rapport à
d’autres. La théorie du comportement décisionnel montre que l’individu construit une
représentation mentale du problème auquel il fait face, et distingue ce qui lui paraît pertinent
de ce qui ne l’est pas. Ces heuristiques facilitent le quotidien par la facilité, le gain de temps
dans la prise de décision. Cependant, en ne prenant pas en compte les données statistiques
réelles, ces heuristiques font apparaître des biais, c’est à dire des représentations distordues de
la réalité, qui mèneront à des prises de décisions erronées. Selon Mangot, on arrive à cet état de
fait par la méconnaissance des probabilités par les investisseurs. En effet celles-ci donnent des
résultats bien dissemblables de ceux induits pas les différentes heuristiques.
1.2.5 Rationalité des acteurs et efficience des marchés
La finance classique base ses théories sur la rationalité des acteurs et l’efficience des
marchés.
Le premier postulat, la rationalité des acteurs, est remise en cause par les théories de
finance comportementale étudiées précédemment. La finance comportementale réfute la
21	
rationalité substantielle et s’appuie sur les travaux cognitifs avec en premier chef la théorie des
perspectives de Kahneman et Tversky (1979). Leur théorie viendrait en remplacement de la
théorie de l’utilité espérée (Morgenstern et Von Neuman, 1944) pour comprendre la décision
en situation de risque. La théorie des perspectives décrit le comportement réel des individus,
dans leur manière d’évaluer de manière asymétrique leurs perspectives de gain et de perte. A
contrario, la théorie de l’utilité espérée se base sur un modèle d’optimisation mathématique,
mais qui ne reflète pas le comportement des gens. Les anomalies de rationalité des acteurs
économiques montrent que l’individu se dégage souvent du calcul coûts / avantages pour se
concentrer majoritairement sur la partie avantages de son analyse.
Fama (1991) préfère remettre en cause de son côté l’hypothèse de rationalité (parfaite)
des agents.
Ensuite, c’est la théorie d’efficience des marchés, c’est à dire que le cours reflète la
valeur de l’entreprise sur le long terme (Bachelier, 1900), ou que le cours intègre
instantanément toute information disponible (Fama, 1965) qui sera invalidé, par la permanence
d’anomalies. Ces anomalies sont des sur réactions, ou des effets saisonniers tels l’effet janvier
ou l’effet lundi. On peut aussi parler de rationalité limitée (Simon, 1947), qui décrit les limites
des capacités et connaissances des individus dans un environnement incertain et complexe. Les
capacités cognitives et l’information disponible feront s’arrêter l’individu à son premier choix.
En cela, le concept de Simon rejoint la thématique d’heuristique de jugement (Kahneman et
Tversky, 1979).
A partir de l’approche financière enrichie par les travaux issus de la théorie de l’agence
et de l’enracinement des dirigeants, Andrade et al. (2001) montrent que seuls les objectifs non
rationnels liés au comportement des dirigeants sont susceptibles d’expliquer le recours à des
opérations de fusions-acquisitions.
1.3 Destruction de valeur liée aux fusions-acquisitions : explication des causes
Au cours de ce chapitre, nous allons nous intéresser aux facteurs impliqués dans la
réussite, sur le plan de la valeur actionnariale pour l’acquéreur, des opérations de fusion-
acquisitions. Nous allons aborder ces différents facteurs, tels les synergies ou le prix de la cible,
sous l’angle du comportement des acteurs vis-à-vis de ces éléments. Cela nous permettra de
comprendre pourquoi de mauvaises décisions, sur le plan de la valeur actionnariale, sont prises
par ces acteurs.
22	
1.3.1 Efficacité des modèles
Comme nous l’avons vu précédemment, la réalisation de fusions-acquisitions trouve sa
légitimité dans les théories classiques de la finance. La modélisation de la finance a été élaborée
à partie des années 1950 par les économistes américains Markowitz (1952), Black, Scholes,
Merton (1973). Les théories classiques sont corrélées à des théorèmes mathématiques qui
valident ces modèles. Ces modèles fonctionnement effectivement lorsque les hypothèses sur
lesquelles ils sont basées sont au rendez-vous. Or, ces hypothèses ne traduisent pas en
permanence la réalité économique de la période sur laquelle on applique ces modèles. La crise
financière de 2008 a été la parfaite illustration de l’inefficacité de certains modèles, ceux pour
lesquels les modèles se vérifient uniquement lorsque les hypothèses ne changent pas (Chesny,
M., 2009).
Tout le monde est d’accord pour dire que ces modèles montrent leurs limites dans
certaines conditions. Seulement, près de dix ans après le début de la crise financière de 2008,
ce sont toujours ces théories, basées sur les mêmes modèles, qui régissent la pensée en finance.
Ces modèles sont-ils donc seulement inefficaces en temps de crise, ou sont-ils tout simplement
limités car établis selon des règles mathématiques qui ne peuvent nécessairement pas prendre
en compte l’irrationalité des acteurs, ou les évènements rares qui peuvent survenir.
La modélisation a plusieurs limites comme la simplification, qui ne lui permet pas
d’intégrer toutes les hypothèses, son caractère artificiel et son impuissance à prédire le
comportement humain, qui logiquement s’explique plus par la sociologie ou la psychologie que
par les mathématiques. Les humains ne sont pas capables de reproduire uniquement des
comportements rationnels calqués sur des théories basées sur des modèles mathématiques. Leur
irrationalité ébranle donc les modèles existants. Selon Benoît Mandelbrot (2005), le problème
viendrait du fait que la théorie appliquée (celle de Merton, Black et Scholes) est trop simplifiée
et ne prend pas en compte certaines données essentielles du fonctionnement de l’économie.
Finance trop mathématisée ou mathématiques mal adaptées, la question de l’efficacité des
théories se pose toujours.
Ainsi les modèles existant et utilisés sont évidemment d’excellentes bases mais ils ne
prennent pas tous les facteurs en compte. Ils facilitent le travail car ils répondent à un grand
nombre de situations. En cela, on rejoint l’idée d’heuristique de disponibilité : les modèles
existent, donc il est plus facile de s’en servir que de chercher autrement une solution ou une
explication.
23	
Pour revenir à notre sujet des opérations de fusions-acquisitions, les théories qui les
sous-tendent doivent donc servir de base, mais elles ne devraient pas être le seul angle de vue
à prendre en compte dans la décision ou l’acceptation de leur réalisation.
1.3.2 Réalisation des synergies
La réalisation de synergies est une des raisons les plus fréquemment invoquée pour
justifier la réalisation d’opérations de fusion-acquisition. Le concept de synergie va de pair avec
la théorie de l’efficience selon laquelle les fusions-acquisitions créent de la valeur grâce à la
réalisation de synergies entre l’entreprise acquéreuse et sa cible. Les synergies en question
peuvent être opérationnelles, c’est à dire générées par l’optimisation des activités du nouvel
ensemble et correspondre à de la croissance supplémentaire, ou à des gains en terme
d’économie de coûts (économies d’échelle). Les synergies peuvent également être de nature
financière, par l’augmentation de la capacité d’endettement, des économies sur le terrain de la
fiscalité, ou la diminution du coût du capital. Enfin, les synergies peuvent être managériales,
par des transferts de connaissances entre l’entreprise acquéreuse et la cible par exemple.
La réalisation de synergies est donc une des raisons sont donc extrêmement importantes
dans le processus de décision pour la réalisation d’une opération de fusion-acquisition. La non
réalisation de ces synergies, qui étaient la raison d’être de nombreux rapprochements, est un
des facteurs de destruction de valeur pour l’actionnaire.
Selon une enquête du Boston Consulting Group reprise dans l’article du 16 novembre
2016 (The real deal on M&A, Synergies, and Value) les acquéreurs qui créent de la valeur
présentent trois caractéristiques spécifiques :
- Ils limitent la prime de contrôle qu’ils paient, sur la base d’une évaluation rigoureuse
des synergies
- Ils sont sincères avec leurs actionnaires concernant leurs attentes en terme de
synergies, et les décrivent explicitement
- L’intégration post fusion est rigoureuse afin de capturer pleinement les synergies, et
ils sont transparents avec les investisseurs sur leurs progrès.
24	
On retrouve dans deux critères sur trois la notion de transparence et de sincérité. Nous
avons vu précédemment que la gestion des impressions est fréquemment utilisée pour toutes
les communications financières. Selon Ravaonrohanta (2016), le discours est un élément clé du
processus d’approbation des fusions-acquisitions. Les dirigeants vont chercher à donner la
meilleure image possible de leur projet, et ils choisiront les éléments à transmettre, quitte à
légèrement les modifier, à cette fin. Dans le but de modeler l’image de leur discours, ils vont
émettre un contenu ciblé, positif, avec des indicateurs quantitatifs présentés de manière à aller
dans leur sens.
Pour conclure sur cette théorie, les synergies font donc partie du discours justifiant la
réalisation d’une opération de fusion-acquisition, mais ce discours manipulé et manquant de
sincérité, peut induire une non réalisation des synergies invoquées, et donc une destruction de
valeur pour l’actionnaire.
Ceci nous apporte un élément de réponse sur le fait que les acteurs du marché pensent
que les opérations de fusions-acquisitions sont une bonne chose, alors qu’elles sont dans de
nombreux cas, destructrices de valeur pour l’investisseur.
1.3.3 Prix de la cible
L’article cité précédemment du Boston Consulting Group donne également comme
raison la prime payée pour l’acquisition de la cible comme explication à la destruction de valeur
qui découle des opérations de fusions-acquisitions. Le niveau de cette prime serait injustifié
dans de nombreux cas, entrainant de la destruction de valeur pour l’actionnaire, plutôt que de
la création.
25	
Les investisseurs sont connus pour leur nature versatile et leur capacité à changer de
perception. Depuis plusieurs années, le marché est haussier et actuellement, les investisseurs
sont plutôt dans une humeur « euphorique » et accueillent favorablement quasiment toutes les
annonces.
Nous avons vu précédemment qu’il existe une corrélation entre la tendance du marché
et le nombre d’opérations de fusions-acquisitions qui se réalisent. Plus le marché est haussier
et plus de rapprochements d’entreprises sont noués. Cela implique donc que ces opérations se
paient de plus en plus cher. Dans ce contexte, il n’y a pas toujours de lien évident entre la valeur
réelle de la cible et le prix que l’acquéreur est prêt à avancer pour acquérir la cible.
Le prix et la valeur sont des choses différentes. Les cibles se paient plus que leur valeur,
en raison des avantages économiques futurs qu’elles génèreront aux entreprises acquéreuses.
Cependant ces écarts trop importants sont source de destruction de valeur. Une des méthodes
habituelles pour valoriser une cible est la méthode des Discounted Cash Flow. Les éléments de
calcul de cette méthode sont très aléatoires. Le business plan qui sert de base est élaboré sur des
projections plus ou moins réalistes ou optimistes, sans compter le WACC et son calcul et le
taux d’actualisation qui peuvent faire varier significativement la valeur d’entreprise.
Enfin, les entreprises se livrent à une course à la taille, avec en toile de fond l’idée
qu’une entreprise n’a que deux issues : grossir ou mourir. Si elles veulent continuer à exister,
les entreprises doivent donc grossir. Ce sont les entreprises qui seront les plus grosses le plus
tôt, qui pourront bénéficier de tous les avantages que cela peut conférer (pouvoir sur le marché,
économies d’échelle…), qui auront les meilleurs résultats. La croissance externe étant plus
rapide de la croissance organique, elles se tournent vers des fusions-acquisitions. Lorsqu’une
cible de qualité se présente, il existe un risque pour l’acquéreur qu’un concurrent la lui ravisse
si l’offre qu’il propose n’est pas assez intéressante pour les actionnaires de la cible. A cause de
ce genre de raisons, les acquéreurs paient des primes exagérées pour acheter ces cibles. S’en
suivent des difficultés pour rentabiliser l’investissement, et une potentielle destruction de valeur
pour l’actionnaire.
Les opérations de fusions-acquisitions sont donc approuvées par les actionnaires car
stratégiquement elles sont cohérentes, mais ils oublient de prendre en compte la notion de
création de valeur en déterminant la prime payée. Cela est une nouvelle explication à la
destruction de valeur qui suit une fusion-acquisition.
L’autre cause explicative à ces primes démesurées se trouve dans la théorie de l’hubris.
Se croyant sur puissant par rapport aux autres, et notamment au dirigeant actuel de la cible, le
26	
dirigeant de l’acquéreur aura tendance à considérer que cette dernière est mal gérée, et que ses
compétences supérieures lui permettront de réaliser de gros gains.
1.3.4 Gouvernance
Les éléments déjà étudiés dans ce mémoire montrent que les intérêts des actionnaires et
ceux des dirigeants ne sont pas forcément les mêmes, et les dirigeants privilégient parfois leurs
intérêts privés, en dépit de ceux des actionnaires, propriétaires de l’entreprise. La gouvernance
devrait logiquement limiter les opérations de fusions-acquisitions, car elles se révèlent selon les
études, contraire aux intérêts des actionnaires dans plus de la moitié des cas. Nous avons vu
que dans la théorie de l’agence, des mesures sont prises afin d’empêcher que les dirigeants
prennent des décisions qui vont à l’encontre de la création de valeur pour l’actionnaire.
La principale structure de gouvernance de l’entreprise est le conseil d’administration
(Fama et Jensen, 1983). Selon le collège des administrateurs de sociétés (2009), « le conseil
d’administration occupe une place prépondérante dans le système de gouvernance des
entreprises. Son rôle principal est de veiller aux intérêts de l’entreprise et de ses actionnaires
tout en se souciant des impacts de leurs décisions sur les parties prenantes. En d’autres mots,
la mission première d’un administrateur est de s’assurer de la pérennité de l’entreprise avec
comme objectif de créer de la valeur pour l’actionnaire ». Les actionnaires sont donc
représentés par le conseil de surveillance dans leur veille pour que les intérêts des dirigeants ne
passent pas avant ceux des actionnaires. Lorsque l’idée d’une fusion-acquisition est soulevée
par les dirigeants, le conseil d’administration a pour rôle d’étudier ce projet, d’un point de vue
stratégique bien sûr, mais aussi du point de vue de la création de valeur pour l’actionnaire, ce
qui est une des ses missions les plus importante. Le conseil d’administration se prononcera ainsi
sur l’acceptation ou non du projet de fusion-acquisition.
Un exemple récent montre que l’implication et la recherche de la création de valeur pour
l’actionnaire du conseil d’administration dans les décisions de fusions-acquisitions peut être
déterminant. En effet, sur la fusion SAFRAN – ZODIAC, le fonds américain TCI, actionnaire
de SAFRAN, fait barrage à l’opération sous l’angle de la destruction de valeur : « Safran n’avait
clairement pas une information suffisante pour se faire un avis informé et intelligent sur la
fusion. La situation est bien pire que quand les termes de l’accord ont été négociés. Si vous
n’annulez pas l’opération, il sera clair que vous n’êtes pas compétent pour continuer à présider
Safran, nous demanderons donc aux actionnaires de Safran de vous démettre du conseil
d’administration lors de l’assemblée général en juin » (Challenges, 16 mars 2017).
27	
L’indépendance du conseil d’administration est donc un garde-fou important pour
réguler et contrôler les velléités de fusion-acquisition des dirigeants. En France les dernières
recommandations sont que la proportion d’administrateurs indépendants soit de moitié (société
au capital dispersé) ou au moins d’un tiers. Le rapport Bouton définit un administrateur
indépendant comme un administrateur qui n’entretient aucune relation de quelque nature que
ce soit avec les société, son groupe ou sa direction, pouvant compromettre l’exercice de sa
liberté de jugement (lexique financier Les Echos). La subtilité de la notion d’indépendance et
le pourcentage d’indépendants recommandé ne semblent toutefois pas permettre de garantir une
totale indépendance du conseil d’administration. C’est à la même conclusion que semble arriver
l’enquête sur l’étude de la gouvernance des sociétés du CAC 40 (Image 7 – Septembre 2015),
qui reprend le non respect des dispositions du code AFEP / MEDEF. D’après une étude du
cabinet Heidrick et Struggles (2011), dans chaque conseil d’administration de sociétés du CAC
40, près de la moitié de l’effectif d’un board siègent dans au moins trois autres conseils de
sociétés cotées, et on observe beaucoup de situations avec des administrateurs par ailleurs PDG
d’une autre société cotée.
Le fait que le conseil d’administration puisse être partial dans ses décisions peut aussi
amener des éléments de réponse quant à l’approbation d’opérations de fusions-acquisitions qui
n’auraient pas pour intérêt premier l’actionnaire mais le dirigeant. Une autre explication, ne
remettant pas en cause l’indépendance du conseil d’administration, serait que les informations
nécessaires à la bonne prise de décision (cf. TCI) ne sont pas parvenues jusqu’au conseil
d’administration.
1.3.5 Communication financière
Les communiqués de presse des acquéreurs comportent toujours au moins un des trois
mots « magiques » que sont « relution » sur les résultats, « synergies » et « caractère
stratégique ». En revanche, les investisseurs oublient complètement la notion de création de
valeur, ou dans tous les cas, ne sont pas freinés dans leur décision d’approbation des fusions-
acquisitions par le fait de ne pas retrouver cet élément dans les communiqués de presse des
acquéreurs.
Communiqué de presse de Vivendi – 11 mai 2017 :
Vivendi remet une offre indicative à Groupe Bolloré concernant l’acquisition de sa
28	
participation dans Havas pour construire un leader mondial de contenus, médias et
communication
[…] Cette opération, réalisée à un prix cohérent avec les multiples du secteur, aura un effet
relutif sur le résultat net par action de Vivendi et […]
Ce projet stratégique permettra à Vivendi […]
Si les opérations de fusions-acquisitions sont toujours plus nombreuses, c’est que les
administrateurs et actionnaires ont donné leur accord à un moment donné. Le discours délivré
par les initiateurs de l’opération est donc un élément de réponse à l’adhésion des actionnaires
aux projets de fusions-acquisitions. Les actionnaires ont adhéré au projet car la manière dont
celui-ci leur a été présenté le rendait attractif, même si, in fine, il ne répondait pas à ce que
recherchait en premier l’actionnaire, à savoir la création de valeur. On en revient ici à la gestion
des impressions, précédemment développée.
Nous avons essayé dans cette première partie de comprendre ce qui mène les agents
présents sur le marché à approuver les opérations de fusions-acquisitions alors que dans la
plupart des cas elles détruisent de la valeur plus qu’elles n’en créent. Pour cela, nous nous
somme appuyés sur les théories classiques telles celle de Ronald Coase des coûts de transaction,
ou encore celle de l’agence, de Michael C. Jensen et William H. Meckling. Nous avons ensuite
confronté ces théories à celles plus récente qui font appel à la psychologie des investisseurs
financiers : la finance comportementale. L’étude des ces théories nous a permis de trouver des
éléments de réponse quant à l’engouement pour les opérations de fusions-acquisitions, malgré
les résultats défavorables, voire désastreux, pour l’actionnaire.
Dans la deuxième partie de notre travail, nous allons étudier des cas d’entreprises qui
ont eu recours à la croissance externe pour assurer leur croissance, et pour lesquelles cela a été
un échec du point de vue de la création de valeur actionnariale. L’étude de ces cas nous
permettra de confirmer les conclusions de notre première partie.
Nous allons étudier dans un premier temps le cas HP, et particulièrement les acquisitions
d’Electronic Data System (EDS) en 2008 et d’Autonomy Corporation en 2011, qui ont été
suivies de dépréciations équivalentes à plus de 80% de leur prix d’acquisition. Ces
dépréciations, d’un montant de quasiment 20 milliards, ont considérablement détruit de la
valeur pour les actionnaires d’HP. Nous allons donc nous attacher à expliquer, sur la base des
éléments évoqués en première partie de ce travail, comment et pourquoi ces acquisitions ont
été approuvées.
29	
Dans un second temps, nous allons nous intéresser à la fusion avortée, en 2014, entre
deux géants de la publicité, qui sont Publicis, plus gros publicitaire européen et troisième acteur
mondial, et Omnicom, leader américain et deuxième acteur mondial. Toujours à la lumière des
éléments étudiés dans la première partie de ce travail, nous allons étudier les raisons qui ont
conduit à un échec du rapprochement entre Publicis et Omnicom. Cet exemple aura pour intérêt
d’illustrer plus particulièrement les notions de finance comportementale abordées
précédemment. En effet, nous allons constater que ce sont avant tout des facteurs liés à l’humain
qui ont fait échouer le deal, plutôt que des notions purement financières.
30	
PARTIE 2 : ETUDES DE CAS DE DESTRUCTION DE VALEUR ACTIONNARIALE
EN LIEN AVEC LES FUSIONS-ACQUISITIONS
2.1 Le cas HP : Acquisitions d’Electronic Data System et Autonomy Corporation
2.1.1 Contexte
HP, pour Hewlett Packard, a été crée en 1939 par William Hewlett et Davis Packard,
deux ingénieurs en électronique. Leurs premiers produits sont des instruments électroniques
d’essai et de mesure. A la fin des années 60, l’entreprise réoriente ses activités vers les
ordinateurs. La société prendra son essor dans les années 1970 avec le décollage de
l’informatique, en vendant des calculatrices, des ordinateurs puis des imprimantes. Le début
des années 1980 voit débuter la commercialisation des imprimantes. Le début des années 1990
voit commencer une politique d’acquisitions très agressive. Entre 1989 et 1999, ce sont
quarante acquisitions qui sont réalisées, et les années 2000 voient plus de 50 opérations se
concrétiser. Ces acquisitions ont permis à HP de se développer dans les ordinateurs et
imprimantes, ainsi que dans les services informatiques. Jusqu’en 2012, HP était le numéro 1
mondial des PC. Ses activités sont scindées en trois pôles distincts. L’activité « Products »
regroupe la fabrication et la distribution d’ordinateurs, imprimantes, et accessoires et
périphériques. La division « Services » abrite toutes les activités qui ont trait aux services
informatiques comme les logiciels ou les data center. Enfin, la branche financements est logée
dans l’activité « Financing ».
Depuis 2010, vingt-trois acquisitions supplémentaires ont eu lieu. Parmi ces acquisitions
figure Electronic Data System (EDS), numéro 2 mondial des services informatiques en 2008
pour 13,9 milliards de dollars. Il s’agit de l’opération de rachat d’une SSII la plus importante
jamais réalisée jusque là. Cette acquisition avait à l’époque été saluée par tout l’écosystème IT,
car elle annonçait la bifurcation de HP vers les logiciels et services informatiques, comme son
principal concurrent, IBM. En 2011, HP rachète l’éditeur Autonomy Corporation pour 12
milliards de dollars, toujours dans le secteur des services informatiques. Cette fois ci, dès
l’annonce du deal et de son montant, l’opération avait été controversée.
L’acquisition d’EDS pour 13,9 milliards de dollars s’est soldée quatre ans plus tard par
un impairment de près de 11 milliards de dollars. Autonomy Corporation, acquise pour 12
milliards de dollars, a subi un sort équivalent avec une dépréciation de près de 9 milliards de
dollars. Le cours de l’action (HPQ) qui était à 28$ au début de 2012, a baissé à 19,70$ suite à
31	
l’annonce le 8 août 2012 de la dépréciation d’EDS. La même année 3 mois plus tard, HP
annonce une nouvelle dépréciation : celle d’Autonomy Corporation, acquise en mai de l’année
précédente. Le cours subit une nouvelle dégringolade, tombant à 12,44$ le 23 novembre 2012.
Nous allons d’abord étudier la situation de HP avant ces dépréciations ainsi qu’après. Cela nous
permettra de démontrer la destruction de valeur pour l’actionnaire suite à ces deux évènements.
Enfin, nous étudierons les raisons qui ont conduit à cette situation, catastrophique pour les
actionnaires.
2.1.2 HP avant les dépréciations
HP a connu une très belle croissance, grâce à sa volonté d’innovation ainsi que sa
politique d’acquisitions agressive. Entre 2007 et 2011, le chiffre d’affaires du groupe a
progressé de 22%, 2011 marquant une pause dans la croissance (+0,9%).
Nous trouvons ci-dessous les ratios principaux de HP pour l’année 2011. Ces ratios vont
nous servir afin de calculer la création de valeur actionnariale pour l’année 2011.
On constate que pour 2011, HP présente des ratios satisfaisant. Le ROCE est supérieur
à la marge opérationnelle, ce qui montre que l’outil industriel est bien dimensionné pour
l’activité du groupe à cette époque là. La structure financière est saine (gearing inférieur à 1),
32	
l’endettement est de seulement 58% par rapport aux capitaux propres. De plus, le ROE à
18,31% démontre la bonne rentabilité des capitaux apportés par les actionnaires. Cependant,
ces derniers ne sont pas nécessairement très bien rémunérés par le groupe, qui propose un ratio
de distribution de seulement 12%.
Notre but maintenant est de connaître l’EVA (Economic Value Added) générée par HP
pour ses actionnaires avant que ne se produise les dépréciations, donc pour l’année 2011. Nous
savons que le WACC (Weighted Average Cost of Capital) de HP pour l’année 2011 était de
6,51%. C’est donc ce pourcentage au minimum que les actionnaires attendent pour le ROCE.
En effet il y a création de valeur pour l’actionnaire à partir du moment ou le ROCE est supérieur
au coût du capital.
Afin de calculer le ROCE offert aux actionnaires, nous avons fait le calcul suivant :
EBIT / EMPLOYED CAPITAL
L’employed capital étant la somme des non current assets et du working requirement
capital.
Cela nous donne un résultat de 12,23%
Nous avons ensuite calculé l’EVA. Pour cela, nous avons soustrait l’EBIT au ROCE
minimum attendu par les actionnaires. Le ROCE minimum attendu par les actionnaires n’est
autre que l’employed capital multiplié par le WACC.
Cela nous donne le résultat suivant :
EBIT 2011 (Millions de dollars) 9 677
EMPLOYED CAPITAL 79 115
WACC 6,51%
ROCE Mini Attendu 5 150
EVA 4 527
Pour l’année 2011, la création de valeur pour l’actionnaire était donc réelle. Le ROCE
offert était de 12,23%, et le WACC de 6,51%. Cela donne donc une création de valeur pour
l’actionnaire de 4,527 milliards de dollars.
Sur la base de cette année là, l’hypothèse de destruction de valeur par les acquisitions
ne se vérifie pas, quelles que soient les raisons invoquées pour les réaliser.
33	
Nous allons voir maintenant qu’à plus long terme, ces acquisitions détruisent de la
valeur pour l’actionnaire.
2.1.3 HP post dépréciations
L’année 2012 va être une année très difficile pour HP. Successivement en août puis en
novembre, elle va procéder à des dépréciations d’actifs résultant de l’acquisition de EDS et
Autonomy Corporation.
L’acquisition d’EDS s’était conclu à 13,9 milliard de dollars, dont 10,5 de goodwill.
Autonomy Corporation avait été acquis pour 12 milliards de dollars, se traduisant dans les
comptes par un goodwill de 6,9 milliards de dollars.
Nous allons maintenant montrer les effets de ces dépréciations sur la valeur
actionnariale.
Certains des ratios se trouvant avant l’impairment du goodwill restent corrects. En effet,
la marge brute reste inchangée, et la marge opérationnelle, même si elle a diminué, reste
correcte à 7,72%. Le ROCE en partant du ROC reste supérieur à la marge opérationnelle.
Cependant, l’impairment du goodwill, d’un montant de plus de 18 milliards de dollars va se
révéler catastrophique pour l’entreprise et ses actionnaires. Le ROE est devenu négatif avec -
34	
55,40% ; le résultat est négatif à -12 650 k$. Le gearing est passé à 97% (ou 127% en prenant
en compte les dettes financières à court terme). Le ratio de distribution devient aussi négatif
étant donné que le résultat est négatif. Des dividendes sont tout de même distribués pour 1 015
k$.
Nous savons que le WACC (Weighted Average Cost of Capital) de HP pour l’année
2012 était de 4,89%. C’est donc ce pourcentage au minimum que les actionnaires attendent
pour le ROCE. Comme dit précédemment, il y a création de valeur pour l’actionnaire à partir
du moment ou le ROCE est supérieur au coût du capital.
Afin de calculer le ROCE offert aux actionnaires, nous avons fait le calcul suivant :
EBIT / EMPLOYED CAPITAL
Cela nous donne un résultat négatif, l’EBIT étant négatif, à -19,25%.
Nous avons ensuite calculé l’EVA, pour mesurer la destruction, cette fois ci, de valeur
pour l’actionnaire de HP.
EBIT 2012 (Millions de dollars) 9 677
EMPLOYED CAPITAL 57 448
WACC 4,89%
ROCE Mini Attendu 2 809
EVA -13 866
Ces résultats nous montrent donc clairement la destruction de valeur pour l’actionnaire.
Cette destruction de valeur représente 80% du goodwill enregistré pour l’acquisition de ces
deux entreprises, et près de 60% du montant total du prix payé pour ces acquisitions.
2.1.4 Destruction de valeur actionnariale : facteurs d’approbation des actionnaires
Nous venons de montrer par ces chiffres que les acquisitions de EDS en 2008 et
d’Autonomy Corporation en 2011 se sont soldées par une destruction très importante de la
valeur actionnariale, à cause des dépréciations qui ont dû être réalisée sur les deux entreprises.
Ces dépréciations ont eu lieu respectivement quatre ans et un an et demi après acquisition.
L’objet de ce sous-chapitre est donc, en relation avec l’étude théorique que nous avons menée
35	
dans la première partie de ce travail, de comprendre pourquoi les actionnaires ont approuvé ces
opérations, alors qu’elles étaient destructrices de valeur.
Bien que nous ayons défini la valeur actionnariale par l’Economic Value Added dans
ce mémoire, l’évolution du cours de bourse de HP est une bonne illustration des événements
qui ont eu lieu. Depuis novembre 2015, le cours HP nommé « HPQ » est celui de HP Inc, issu
du spin off de HP en deux entités : HP Inc et HP ES (Enterprise Services).
Graphique cours HPQ Yahoo Finance - MSN Money - Reuters 02/06/2017
2.1.4.1 Prix de la cible
2.1.4.1.1 EDS
Le communiqué de presse émis par HP le 13 mai 2008 indique en titre le montant payé
par le groupe pour l’acquisition de EDS : « HP to Acquire EDS for $13.9 Billion », soit 25
dollars par action, payés en cash. EDS réalisait à cette époque 22 milliards de dollars de chiffre
d’affaires et était le numéro deux mondial du secteur, derrière IBM. HP réalisait un chiffre
d’affaires de 107,7 milliards de dollars.
L’EBITDA d’EDS en 2007 était de 2,35 Milliards de dollars. La dette nette pour EDS
en 2007 était de 0,2 milliards de dollars, avec une trésorerie et équivalent à 3,1 milliards de
36	
dollars et une dette totale de 3,3 milliards de dollars (Moody’s). L’acquisition s’est donc
réalisée sur un multiple de 6 fois l’EBITDA.
Sur la base d’une acquisition à 13,9 milliards de dollars, ce sont 10,5 milliards qui ont
été enregistrés en goodwill (HPQ FORM 10-Q), ce qui donne une valeur d’actif pour EDS de
3,4 milliards. L’impairment passé en 2008, de 10,8 milliards de dollars, correspond donc à la
totalité du goodwill enregistré.
L’acquisition s’est réalisée en mai 2008. La crise des subprimes avait déjà touché les
Etats Unis, mais la crise financière n’allait réellement débuter qu’à l’automne 2008. Le
marché était encore haut à cette époque, et comme nous l’avons vu dans la première partie,
lorsque le marché est haut, les cibles se paient (trop) cher. « HP admet ainsi avoir surpayé
certaines de ses acquisitions passées parmi lesquelles Compaq et EDS » (Le Mag IT, 23 août
2012).
Enfin, HP a aussi surpayé cette cible car il entendait combler un retard qu’il avait pris
vis-à-vis de son principal concurrent dans le secteur des services informatiques, IBM, et
l’annonce de l’acquisition avait alors accueillie favorablement : « […] EDS, une SSII qu’il avait
racheté en 2008. Une acquisition que tout l’écosystème IT avait pourtant salué à l’époque. Car
elle annonçait la mutation du modèle économique de HP vers les logiciels et les services, à
l’instar de son grand rival, IBM » (channelbp.com, 20 novembre 2012). Une des raisons pour
lesquelles de la valeur actionnariale a été détruite est donc le prix trop élevé payé pour
l’acquisition d’EDS. Nous avons vu que ce prix déconnecté était dû à la tendance du marché au
moment de l’acquisition, et que cette acquisition était stratégique d’un point de vue de la
concurrence, avec IBM notamment. Dans un contexte de marché haut où les cibles se paient
cher, on comprend pourquoi ce prix exorbitant n’a pas alerté les actionnaires. Comme nous
l’avons vu avec la finance comportementale, les investisseurs ont tendance à se remémorer
plutôt des évènements récents. Donc si les cibles se sont payés sur des multiples trop élevés
récemment, les actionnaires des entreprises initiatrices n’auront donc pas de mal à l’accepter.
Ensuite, l’acquisition était cohérente d’un point de vue stratégique, et les investisseurs se sont
contentés des explications avancées dans le communiqué de presse, qui pourtant n’évoque à
aucun moment la création de valeur pour l’actionnaire de HP.
Communiqué de presse du 13 mai 2008 : « HP to Acquire EDS for $13.9 Billion » :
« The combination of HP and EDS will create a leading force in global IT services," said Hurd.
"Together, we will be a stronger business partner, delivering customers the broadest, most
37	
competitive portfolio of products and services in the industry. This reinforces our commitment
to help customers manage and transform their technology to achieve better results."
Rittenmeyer said, "First and foremost, this is a great transaction for our stockholders,
providing tremendous value in the form of a significant premium to our stock price. It's also
beneficial to our customers, as the combination of our two global companies and the collective
skills of our employees will drive innovation and enhance value for them in a wide range of
industries. In addition, our Agility Alliance will be significantly strengthened."
Nous pouvons aussi imaginer que HP a dû payer cher sa cible car il avait un retard à
combler vis-à-vis de IBM. Si un autre concurrent mettait la main sur EDS (qui était une cible
du fait de sa fragilité financière à ce moment là), HP, déjà en retard sur les services
informatiques, qui étaient censés prendre le relai de la croissance du groupe suite à
l’essoufflement de la branche « Products », aurait été à son tour en danger.
2.1.4.1.2 Autonomy Corporation
HP a annoncé l’acquisition d’Autonomy Corporation par communiqué de presse le 18
août 2011. La prime annoncée est de 58 à 64%. Cela représente une prix d’achat de 12 milliard
de dollars. Dès l’annonce, certains comme Larry Ellisson, le patron d’Oracle, avait de gros
doutes quant à la valorisation offerte à Autonomy : « Oracle […] affirmait que l’anglais
Autonomy, spécialisé dans les logiciels d’entreprise, l’avait contacté en début d’année afin de
se faire racheter pour environ 6 milliards de dollars. Oracle avait alors refusé l’offre, jugeant
cette dernière franchement trop élevée. Or en rachetant Autonomy pour 11,7 milliards de
dollars, HP a quasi doublé une somme qu’Oracle trouvait pourtant surévaluée »
(nextimpact.com, 21 novembre 2012).
De graves accusation ont été faites quant à des possibles irrégularités comptables, qui
auraient gonflé le résultat d’Autonomy, et ainsi gonflé la valorisation. Ces accusations ont
toujours été réfutées par le fondateur d’Autonomy. Il a selon lui vendu une entreprise
florissante, en progression depuis 10 ans, et sur laquelle nombre d’auditeurs et banquiers
d’affaires se sont penchées afin de déterminer les conditions du deal. Près de 300 personnes
ayant travaillé sur l’opération, s’il y avait eu des irrégularités, elles auraient été découvertes.
L’autorité de lutte contre la fraude et la corruption anglaise (SFO) a enquêté sur les faits
reprochés et finalement classé l’affaire au début de 2015.
38	
Une fois encore pour HP, l’actionnaire serait donc lésé à cause d’erreurs de jugement
sur la valeur des cibles et la tendance à les surpayer. Il aurait malgré tout approuvé pour les
mêmes raisons que pour EDS : les biais introduits par les heuristiques de jugement ou de
disponibilité. Ils mènent à des raisonnements faciles, ne prenant pas en compte tous les facteurs.
Les opérations aux paramètres aussi complexes que les fusions-acquisitions ne devraient
souffrir d’aucun biais pour décider de leur réalisation. HP met en cause les perspectives de
croissance trop ambitieuses vendues par Autonomy Corporation. Les dirigeants de HP avaient
sûrement envie d’y croire, et on retrouve une explication dans la finance comportementale, à
savoir que l’on ira plus facilement vers un raisonnement qui va dans le sens de ce que l’on
souhaite, ou de ce dont on est convaincu.
2.1.4.2 Communication
2.1.4.2.1 EDS
De même que pour Autonomy Corporation, les termes habituels de synergie et relutivité
sont donnés comme caution pour la réalisation de l’opération d’acquisition d’EDS par HP.
HP to Acquire EDS for $13.9 Billion (communiqué de presse du 18 mai 2008) :
« HP anticipates that the transaction will be accretive to fiscal 2009 non-GAAP
earnings and accretive to 2010 GAAP earnings. Significant synergies are expected as a result
of the combination. »
« Acquiring EDS advances HP's stated objective of strengthening its services business
[…]. The combination will provide extensive experience in offering solutions to customers in
the areas of government, healthcare, manufacturing, financial services, energy, transportation,
communications, and consumer industries and retail. »
Ce sont des éléments assez vagues qui sont avancés comme arguments à l’opération de
fusion-acquisition. Si les arguments en faveur d’une opération stratégique pour l’entreprise
peuvent être entendus sans peine, les arguments appuyant le fait que cette acquisition est une
bonne opération pour les actionnaires sont les grands absents de la communication. Pour autant,
les actionnaires ont approuvé l’opération. Cela signifie que les arguments avancés en faveur de
la réalisation de l’opération les ont assez convaincus. On peut cependant imaginer qu’avant
39	
même de regarder quelconque argument, ils aient été convaincus du caractère favorable de
l’acquisition. En effet, en se basant sur des éléments de finance comportementale étudiés dans
la première partie de notre travail, l’hypothèse selon laquelle les investisseurs agissent souvent
par analogie plus que par logique nous explique ce résultat. Comme nous l’avons vu dans la
rapide présentation de l’historique du groupe HP, ce dernier s’est beaucoup développé grâce à
des acquisitions. Et cela s’est révélé une stratégique gagnante car HP est devenu un des plus
grands groupes du monde. Les acquisitions ayant été le moteur de la croissance du groupe, et
s’étant déroulées de manière plutôt réussie, les investisseurs n’étudient plus en profondeur
chaque acquisition et se laissent guider par leurs croyances et les dernières opérations. Ils
approuvent car la stratégie du groupe a été fructueuse jusqu’à présent, et laissent de côté des
éléments qui seraient pourtant essentiels à étudier.
2.1.4.2.2 Autonomy Corporation
Cette fois-ci, la création de valeur au profit de l’acquéreur, HP, n’a pas été la grande
oubliée du communiqué de presse. Cependant, aucune explication n’est donnée quant aux
moyens mis en œuvre pour réaliser la croissance de valeur actionnariale légitimement attendue.
En revanche les très attendus, « synergies », « caractère stratégique » et « effet relutif » sont
bien au rendez-vous.
HP to Acquire Leading Enterprise Information Management Software Company
Autonomy Corporation plc (communiqué de presse du 18 août 2011) :
« […] Complements HP’s existing technology portfolio and enterprise strategy:
Autonomy offers solutions that are synergistic across HP’s enterprise offerings and strengthens
capabilities for data analytics, the cloud, industry capabilities and workflow management
[…]. ».
« […] “Autonomy presents an opportunity to accelerate our strategic vision to
decisively and profitably lead a large and growing space,” said Léo Apotheker, HP president
and chief executive officer. […] ».
« […] Accretive to HP’s earnings: HP expects the acquisition to be accretive to non-
GAAP earnings per share for HP shareholders in the first full year following completion. […] ».
40	
Les raisons évoquées quant à l’approbation du deal pour EDS peuvent être reprises
également pour l’acquisition d’Autonomy.
Cette étude des acquisitions de EDS et Autonomy Corporation par HP a illustré certaines
des hypothèses avancées pour déterminer pourquoi les actionnaires approuvent les fusions-
acquisitions, alors que les très nombreuses études portant sur le sujet nous montrent qu’elles se
révèlent dans la plupart des cas destructrices de valeur pour eux.
En premier lieu, nous avons étudié le prix de la cible. En effet, pour les deux
acquisitions, EDS et Autonomy Corporation, tout le monde s’accordait pour dire que la prime
était beaucoup trop élevée, Autonomy Corporation ayant même été payée par HP le double de
ce qu’Autonomy Corporation avait elle même demandé à un autre acquéreur potentiel (Oracle)
peu de temps auparavant. Cependant, ce prix a été à un moment donné validé chez HP,
notamment par le conseil d’administration, représentant des actionnaires. Nous avons établi que
cela provenait entre autre de biais cognitifs comme l’heuristique de disponibilité, ou de
jugement.
Nous avons ensuite essayé de comprendre comment, malgré tous ces éléments
défavorables, les acquisitions ont tout de même été approuvées, et cela par le biais de la
communication qui a été faite concernant ces acquisitions. Nous en sommes arrivés à des
conclusions identiques que concernant le prix de la cible. Ces opérations ont été accueillies
favorablement car dans les éléments de communication, les mots habituellement employés pour
justifier ces opérations ont également été utilisés. Etant donné que les fusions-acquisitions
précédentes avaient donné un résultat satisfaisant, les actionnaires, en simplifiant leur
raisonnement, ont déduit que les mêmes causes produiraient les mêmes effets. Las, ils n’ont pas
pris en compte tous les éléments, simplifiant trop leur raisonnement, et cela les a menés à être
favorable à des décisions destructrices de valeur pour eux.
L’étude empirique portant sur HP a illustré la partie ayant trait aux biais cognitifs, aux
différentes heuristiques, décrits dans la finance comportementale. La gestion des impressions,
par l’emploi de termes choisis avec grand soin dans la communication financière des initiateurs
de fusions-acquisitions, est aussi illustrée par les exemples de communiqués de presse des
annonces de réalisation de rapprochement entre HP et EDS et Autonomy Corporation. Nous
allons maintenant illustrer les autres hypothèses que nous avons avancées pour expliquer
comment on arrive à ce que les actionnaires approuvent des décisions qui leurs sont
défavorables. C’est donc sous l’angle de l’hubris (qui signifie « démesure ») et de l’ego, que
41	
nous allons aborder les opérations de fusions-acquisitions, et notamment celle, ratée, de Publicis
et Omnicom.
2.2 Le cas Publicis – Omnicom : égo dans les fusions entre égaux
L’étude de Hayward et Hambrick (1997) se penche sur le rôle de l’hubris du dirigeant,
ou son excès de confiance, par le bais les primes très élevées payées par les dirigeants. Le prix
des primes payées (dont le montant surélevé est une des causes de destruction de valeur pour
une opération de fusion-acquisition) est associé à l’hubris de différentes manières. Les
performances passées récentes, un récent éloge du dirigeant dans les médias, la mesure de
l’importance personnelle du dirigeant, voire ces trois éléments combinés, sont associés. De
plus, cette étude nous montre que la relation entre prime payée et hubris du dirigeant est encore
plus étroite lorsque le conseil d’administration manque de vigilance, ou que celui-ci présente
peu d’administrateurs externes.
En lien avec l’hubris, qui englobe la perception du dirigeant dans les médias, ou son
importance personnelle, l’ego joue un rôle extrêmement important dans la décision de réaliser
une opération de fusion-acquisition pour une entreprise. Les dirigeant en panne de stratégie ou
de vision, développent une « égo-stratégie » (Gouali, 2009). Cette égo-stratégie se base sur des
actions spectaculaires censés créer de la valeur pour l’actionnaire, mais qui sont avant tout un
outil d’autopromotion, de développement de l’hubris, qui ainsi vont induire en erreur les
actionnaires et le marché. Les méga fusions-acquisitions sont une illustration de cet égo des
dirigeants. Ils vont payer des primes très élevées pour des opérations de fusions-acquisitions
qui feront parler d’eux. Ou bien, comme dans le cas que nous allons étudier maintenant,
l’opération ne se réalise pas pour cause d’égos incompatibles de dirigeants. Dans le telles
batailles d’égo, on peut se demande dans quelle mesure la création de valeur pour l’actionnaire
à pris part aux décisions…
2.2.1 Contexte
2.2.1.1 Publicis
Publicis est un groupe de communication, français, créé dans les années 20 en France.
A la date du projet de fusion avec Omnicom en 2014, il est le numéro trois mondial de la
publicité, avec un chiffre d’affaires de près de 7 milliards d’euros pour 816 millions d’euros de
42	
résultat net, et environ 60.000 employés dans le monde. Sa capitalisation boursière est à l’été
2013 de 12,5 milliard d’euros (15,6 milliard de dollars). Publicis est déjà présent sur les cinq
continents, à travers des implantations dans une centaine des pays. Le groupe est dirigé depuis
1976 par Maurice Levy, jusqu’à sa nomination au poste de Président Directeur Général en 1987,
lorsque le fondateur de Publicis, Marcel Bleunstein-Blanchet passe la main. Le groupe s’est
hissé à la troisième place mondiale à coup d’acquisitions à partir des années 2000. L’acquisition
de Saatchi&Saatchi en 2000 le mène à la cinquième place mondiale. Près de trente acquisitions
plus tard (telles celles de Performics Search Media, Satrcom Media Vest, ou encore Razofish,
Rosetta ou Healthcare Consulting) en 2013, le groupe Publicis est le troisième publicitaire
mondial.
2.2.1.2 Omnicom
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  • 1. MEMOIRE DE RECHERCHE APPLIQUEE Présenté et soutenu par Camille Lajugie Le 28 août 2017 LA PERCEPTION DES FUSIONS-ACQUISITIONS MSc 2 Analyse Financière Internationale 2016-2017 Directeur de mémoire : Pascal Barneto, Directeur MSc Analyse Financière Internationale
  • 2. TABLE DES MATIERES GLOSSAIRE 1 INTRODUCTION GENERALE 2 1 PARTIE 1 : FONDEMENTS THEORIQUES ET COMPORTEMENT DES ACTEURS VIS-A-VIS DES FUSIONS-ACQUISITIONS 8 1.1 Théories classiques en lien avec les fusions-acquisitions 8 1.1.1 Théorie des signaux 8 1.1.2 Théorie des synergies 10 1.1.3 Théorie des coûts de transaction 11 1.1.4 Pouvoir de marché et théorie du market for corporate control 12 1.1.5 Théorie de l’agence 13 1.2 Finance comportementale dans les fusions-acquisitions 15 1.2.1 Hubris 16 1.2.2 Gestion des impressions 17 1.2.3 Cognitions dans les décisions en finance 18 1.2.4 Heuristique 19 1.2.5 Rationalité des acteurs et efficience des marchés 20 1.3 Destruction de valeur liée aux fusions-acquisitions : explication des causes 21 1.3.1 Efficacité des modèles 22 1.3.2 Réalisation des synergies 23 1.3.3 Prix de la cible 24 1.3.4 Gouvernance 26 1.3.5 Communication financière 27 2 PARTIE 2 : ETUDES DE CAS DE DESTRUCTION DE VALEUR ACTIONNARIALE EN LIEN AVEC LES FUSIONS-ACQUISITIONS 30
  • 3. 2.1 Le cas HP : acquisitions d’Electronic Data System et Autonomy Corporation 30 2.1.1 Contexte 30 2.1.2 HP avant les dépréciations 31 2.1.3 HP post dépréciations 33 2.1.4 Destruction de valeur actionnariale : facteurs d’approbation des actionnaires 34 2.1.4.1 Prix de la cible 35 2.1.4.2 Communication 38 2.2 Le cas Publicis – Omnicom : égo dans les fusions entre égaux 41 2.2.1 Contexte 41 2.2.1.1 Publicis 41 2.2.1.2 Omnicom 42 2.2.1.3 Le projet de fusion 43 2.2.2 Raisons pour lesquelles réaliser la fusion 44 2.2.2.1 Chez Publicis 45 2.2.2.2 Chez Omnicom 45 2.2.3 Raisons de l’échec de la fusion 46 2.2.4 Conséquences de l’échec de la fusion pour l’actionnaire 48 CONCLUSION GENERALE 51 BIBILOGRAPHIE 53 WEBOGRAPHIE 57 ANNEXES 60 TABLE DES MATIERES 104
  • 4. 1 GLOSSAIRE ACTIF ECONOMIQUE : Somme des immobilisations nettes et du besoin en fonds de roulement EBIT (Earnings Before Interest and Taxes) : Correspond au chiffre d’affaires retranché des charges d’exploitation et des dotations aux amortissement et dépréciations des actifs immobilisés. EBITDA (Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization) : Correspond au chiffre d’affaires retranché des charges d’exploitation. EMPLOYED CAPITAL : Somme des non current assets (actifs non courants) et du working requirement capital (besoin en fonds de roulement). EVA (Economic Value Added) : Mesure annuelle de la création de valeur de l'entreprise établie par comparaison du coût du capital investi à sa rentabilité : Actif économique x (Rentabilité économique - coût du capital). MVA (Market Value Added) : Mesure la création de valeur boursière. Différence entre la capitalisation boursière + valeur de la dette - actif économique. La MVA est égale à la somme des EVA attendues pour les années à venir actualisées au coût moyen pondéré des capitaux. ROCE (Return on Capital Employed = Rentabilité Economique) : Détermine la rentabilité en fonction des capitaux investis : EBITDA / Actif Economique. WACC (Weighted Average Cost of Capital = Coût Moyen Pondéré du Capital) : Représente le taux de rentabilité annuel moyen attendu par les actionnaires en retour de leur investissement : Vcp x Kcp + Vd x Kd x (1-IS) / Vcp + Vd
  • 5. 2 INTRODUCTION GENERALE Pas un jour ne se passe sans que la presse n’annonce une nouvelle opération de fusion- acquisition, et tous les secteurs sont concernés : pharma, banques, nouvelles technologies… Pour faire face à la mutation du contexte économique dû à la mondialisation galopante des économies, aux développements technologiques extrêmement rapides, et à l’arrivée à maturité de nombreux marchés, les dirigeants des grandes entreprises ont dû trouver un processus approprié sur lequel compter afin de dépasser les difficultés au sein de leurs entreprises. En effet, il leur est nécessaire de faire face à la vive évolution des marchés, ou de lutter contre une concurrence accrue. Ce processus mis en œuvre se trouve être la fusion- acquisition. La fusion-acquisition peut apparaître comme la solution la plus rapide et efficace pour faire face à cette nouvelle donne, pour augmenter sa part de marché, entrer sur de nouveaux marchés, ou améliorer sa compétitivité. La lecture de la presse économique nous montre que ce phénomène « fusions-acquisitions » ne cesse de prendre de l’ampleur. Ainsi la médiatisation croissance de ces opérations fait de ce phénomène une composante à part entière de la vie des entreprises. Après un ralentissement de trois ans après la crise financière de 2008, le nombre de fusions-acquisitions réalisées est repartie depuis 2011. 2015 fut une année doublement record, avec le montant jusqu’alors jamais atteint de près de 4.600 milliards de dollars de fusions- acquisitions, et un nombre de méga transactions, supérieures à 5 milliards de dollars, qui a progressées de 54%. Le montant du rapprochement entre les deux géants du Big Pharma, Pfizer et Allergan, s’est élevé à 191 milliards de dollars, ce qui est l’un des montant les plus important de l’histoire des fusions-acquisitions, tandis que que celui entre les brasseurs Ab Inbev et SABMiller s’est conclu à 120 milliards de dollars. La tendance pour l’année 2016 est à la baisse (-17%), avec moins de méga deal, mais le montant reste élevé (3.630 milliards de dollars), avec des opérations impliquant des géants de leurs secteurs. Le deal entre Microsoft et Linkedin s’est conclu à 26.3 milliards de dollars et celui de St.Jude Medical et Abbott pour 25 milliards de dollars en janvier 2017. 2017 s’annonce comme une très bonne année pour la fusion-acquisition, avec de gros deals déjà prévus comme ceux d’Essilor et Luxottica, ou d’Actelion avec Johnson&Johnson, et peut-être Safran et Zodiac. Néanmoins, l’engouement pour ce mode de croissance ne doit pas être confondu avec le succès. En effet, il faut distinguer la question de la réalisation de ce type d’opération, de la performance qu’elles génèrent. Ce n’est pas parce que les deux entités ont trouvé un terrain
  • 6. 3 d’entente pour concrétiser leur rapprochement, que la transaction se révèlera fructueuse, tant pour l’acquéreur que pour la cible. Selon les études, très nombreuses, déjà réalisées sur le sujet, il ressort que c’est finalement l’inverse qui se produit habituellement. Ces études font état de résultats négatifs, pour les initiateurs de ces opérations principalement, alors même que ceux- ci engagent des sommes toujours plus importantes pour réaliser ces fusions-acquisitions. C’est le cas de l’étude publiée dans The Journal of Finance (Agrawal et al.) en 1992 : les actionnaires des entreprises acquéreuses subissent une perte de valeur d’environ 10% au cours de la période de cinq ans post-fusion. L’étude de 1999 de KPMG (Annexe 1) va plus loin : dans 80% des cas, les fusions-acquisitions ne génèrent pas de valeur pour l’actionnaire de l’incitateur, et sur les 700 opérations étudiées entre 1996 et 1998, seules 17% avaient crée de la valeur pour la nouvelle structure. A la lumière de ces éléments, il est légitime de s’interroger sur les raisons qui incitent les dirigeants à pousser l’entreprise dont ils sont à la tête dans ces opérations, certes stratégiques, mais aussi très risquées pour l’actionnaire. Les initiateurs de ces fusions-acquisitions s’appuient sur différentes théories pour motiver leurs ambitions de rapprochement. La théorie des synergies est utilisée pour justifier une opération de fusion-acquisition grâce à laquelle des gains de croissance ou des économies de coûts (dont les économies d’échelle) vont être réalisés. Une fusion-acquisition réalisée pour des motifs de synergie sera en principe accompagnée d’une création de valeur. Selon le domaine dans lequel les entités fusionnées évoluent, il peut cependant y avoir un risque de redondance des compétences, ou une non complémentarité de ces dernières (Singh et Zollo, 2004). La théorie des coûts de transaction explique l’intérêt de la fusion-acquisition dans la suppression de coûts en amont (fournisseur) ou en aval (client) de là où se crée initialement la valeur. Cependant, à trop internaliser, cette théorie peut ne plus fonctionner, et les coûts liés à la gestion d’un ensemble trop gros, se révéler supérieurs aux gains liés à l’économie de coûts de transaction (Coase, 1937). C’est également la conclusion à laquelle arrive Shim (2011), dans le cas où les coûts supplémentaires, liés à la gestion de la nouvelle entité post méga transaction, ne couvrent plus les gains qui peuvent en être retirés. La valeur en fusion-acquisition découle également du pouvoir du marché induit par l’opération. Le pouvoir de marché signifie ici le pouvoir de l’entreprise à fixer son prix de vente et / ou à augmenter ses marges bénéficiaires. L’acquisition d’une entreprise par une autre, en diminuant le nombre de concurrents, permet de réduire la pression concurrentielle et ainsi d’accroitre le pouvoir de marché de l’entreprise acquéreuse.
  • 7. 4 De toutes ces théories est censé découler de la création de valeur pour l’actionnaire. Pour qu’il y ait création de valeur pour l’actionnaire, la rentabilité de l’actif économique (ROCE) doit être supérieure au Coût Moyen Pondéré du Capital (WACC). Du point de vue de l’actionnaire, on peut mesurer la création de valeur par la MVA (Market Value Added), qui est la somme des EVA (Economic Value Added) attendus pour les années à venir et mesure la création de valeur boursière (Vernimmen.net). Or, les nombreuses études réalisées sur l’impact de la création de valeur actionnariale des fusions-acquisitions nous montrent que ces opérations détruisent plus souvent de la valeur qu’elles n’en créent. Partant du constat que les gains espérés et donc la création de valeur pour l’actionnaire ne se concrétisent que peu à la suite de ces opérations, nous nous sommes intéressés à d’autres théories, liées aussi à la réalisation d’opérations de fusions-acquisitions. Celle-ci ne placent pas la création de valeur pour l’actionnaire au centre des raisons pour lesquelles les fusions- acquisitions se réalisent. Une des théories classiques est celle de l’agence (Jensen et Meckling, 1976). La divergence des intérêts des dirigeants de l’entreprise et des actionnaires de l’entreprise est au cœur de la réflexion. L’intérêt pour l’actionnaire est l’augmentation de la valeur, tandis que le dirigeant servirait plutôt ses intérêts personnels avant ceux des actionnaires de l’entreprise. Pour Roll (1986), les dirigeants surestiment les gains qu’ils pourraient tirer d’un rapprochement avec une autre entreprise. C’est la théorise de l’hubris, qui place l’ego du dirigeant au centre de la décision de réaliser une opération de fusion-acquisition. Cette théorie introduit également la notion de bais cognitif. Cela ouvre le champ de recherche à des travaux plus récents, et qui concernent le comportement des acteurs du marché : la finance comportementale (Kahneman et Smith ; annexe 2). Il s’agit d’un des secteurs de la nouvelle « économie comportementale », qui consiste à appliquer la psychologie à la finance. Cette théorie, par opposition à l’hypothèse des marchés efficients, met en avant les situations dans lesquelles les marchés ne sont pas rationnels, et en explique les causes par la psychologie des investisseurs. Le marché n’obéit pas à des règles purement rationnelles. En effet, l’investisseur n’est pas toujours rationnel et ses sentiments sont soumis à des erreurs de jugement (biais cognitifs) ou a des facteurs émotionnels comme l’excès de confiance, qui interfèrent lors de la prise de décision. « … la rivalité qui oppose ce dernier (Patrick Drahi) à Xavier Niel. Ils se battaient déjà en Israël par téléopérateurs interposés, raconte un dirigeant de Free. Puis Niel a acheté un quotidien, Le Monde ; Drahi a alors acquis Libération. Puis Niel a racheté l’Obs et Drahi L’Express… » (L’usine nouvelle, 2016).
  • 8. 5 Ces biais cognitifs observés sont l’ancrage mental, qui consiste à se fier à la première impression, le fait de se concentrer sur un seul aspect d’un problème, ou les heuristiques. Les heuristiques sont des raccourcis de raisonnement qui peuvent aider à la prise de décision. Cependant, elles introduisent des biais dans le raisonnement, qui devient plus analogique que logique : « L’accueil fait par le marché aux fusions-acquisitions et aux introductions en bourse dépend largement du succès des dernières opérations similaires, avec des conséquences identiques pour les performances ultérieures » (Mangot, 2008). L’information facilement disponible occupe une place prépondérante dans les raisonnements. De plus, parmi les informations disponibles, certaines sont privilégiées par rapport à d’autres : le biais de conservatisme traduit la tendance à surévaluer les informations qui confirment son opinion, et à minimiser les informations discordantes. La finance comportementale peut donc être d’une aide déterminante pour comprendre l’engouement pour les opérations de fusions-acquisitions, qui selon certaines théories n’apportent rien de plus aux entreprises (Roll 1986), ou qui se réalisent alors qu’elles ne sont pas rationnelles, ce qui va à l’encontre de la plus grande partie des théories classiques. A la lumière de ces études et théories, la question que nous nous posons donc est la suivante : Pourquoi les fusion-acquisitions sont-elles généralement perçues favorablement, alors qu’elles sont souvent destructrices de valeur pour l’actionnaire ? La littérature est très dense sur les motivations pour la réalisation de fusions- acquisitions, sur les raisons des échecs de ces dernières, mais pas sur le fait que ces opérations sont très largement approuvées, alors que tout montre qu’elles ne sont que très rarement dans l’intérêt de l’actionnaire, propriétaire de l’entreprise. Il semble important ici de définir ce qu’est une opération de fusion-acquisition, car il s’agit du sujet central de ce mémoire. Sous le terme générique de fusion-acquisition sont regroupé plusieurs variantes d’opérations ayant pour finalité le regroupement d’entreprises. La nature de l’opération sera variable en fonction notamment du devenir juridique de la cible après l’opération, et du mode de financement, soit en titres, soit en liquidités. Dans ce mémoire, nous ne distinguerons pas les opérations selon leurs caractéristiques, mais les traiterons dans leur globalité. La démarche suivie pour répondre à cette problématique a consisté dans un premier temps à étudier les théories classiques émises par les grands auteurs, qui justifient et expliquent la réalisation de ces opérations. La lecture des articles publiés par ces derniers a servi de base à notre travail. Les conclusions de ces théories classiques sont en faveur de la réalisation de fusions-acquisitions. Ces dernières étant le plus souvent destructrices, nous avons cherché à
  • 9. 6 comprendre si le facteur humain ne rentrait pas en jeu dans le résultat de ces fusions- acquisitions. Pour cela, c’est sur la lecture d’ouvrages et articles traitant de la finance comportementale que nous nous sommes appuyé. Forts de ces apprentissages, nous avons élaboré une réponse personnelle à la problématique, que nous avons validée par l’étude de deux cas. Pour répondre à notre interrogation, nous avons divisé la première partie de notre travail en trois chapitres. Notre recherche porte donc sur les théories classiques qui donnent du sens à la réalisation des fusions-acquisitions, puis sur la finance comportementale appliquée à ces opérations, pour enfin comprendre le cheminement qui mène à ces décisions. Nous nous placerons toujours du point de vue de l’initiateur de l’opération, l’acquéreur. Le premier chapitre est l’occasion d’étudier les théories classiques qui sous-tendent les opérations de fusions-acquisitions. En effet aujourd’hui, l’ensemble de la finance étant gouvernée par ces théories classiques il est important de les connaître pour comprendre quelles sont les justifications que trouvent les initiateurs à ces opérations. Nous aborderons dans le deuxième chapitre des éléments de finance comportementale, qui apportent un éclairage sur le comportement des acteurs de marché, et les conséquences sur le sujet de notre travail, les fusion-acquisitions. Pour prendre en compte le fait que les théories classiques se révèlent inefficaces dans certaines conditions, nous nous sommes intéressés aux acteurs en tant qu’humains par le prisme de la finance comportementale. Imaginer que les dirigeants sont uniquement des homo economicus rationnels obéissant aux théories classiques et uniquement cela nous paraissait bien réducteur et en dehors de la réalité. Enfin dans un troisième chapitre, nous apporterons les explications relatives à cette non création de valeur pour l’actionnaire, résultant des opérations de fusion-acquisitions. Nous nous attacherons, pour chacune des causes de destruction de valeur identifiée, à déterminer une explication, en nous appuyant sur les éléments abordés dans les deux premiers chapitres, ce qui nous mènera à formuler des réponses à la problématique. La seconde partie de notre travail sera l’occasion de valider les hypothèses émises pour répondre à la problématique de ce mémoire. Nous avons étudié des fusions-acquisitions dans deux cas d’entreprises dans lesquels les fusions-acquisitions étaient approuvées alors qu’elles se sont révélées, comme dans de nombreux cas, non conformes aux intérêts des actionnaires. Il s’agit de deux exemples concrets de destruction de valeur actionnariale en rapport avec des opérations de fusions-acquisitions. Le premier cas concerne HP et les acquisitions d’Electronic Data System (EDS) en 2008 et d’Autonomy Corporation en 2011, qui ont été suivies par un impairment équivalent au prix d’acquisition. Le second cas concerne l’univers de la publicité.
  • 10. 7 Nous étudierons la fusion ratée « entre égaux » de Publicis, numéro trois mondial de la publicité, avec Omnicom, le numéro deux du secteur. Leur fusion était annoncée et actée, jusqu’à ce que des considérations bien éloignées de la seule dimension financière viennent mettre un terme au projet.
  • 11. 8 PARTIE 1 : FONDEMENTS THEORIQUES ET COMPORTEMENTS DES ACTEURS VIS-A-VIS DES FUSIONS ACQUISITIONS Afin de comprendre les mécanismes qui poussent les entreprises à initier de plus en plus de fusions-acquisitions, nous allons nous intéresser aux théories explicatives de la réalisation de ces opérations. En effet après l’année record 2015, le premier trimestre 2017 a vu les valeurs européennes exploser. Environ 2500 deals ont déjà été réalisés, pour un montant d’environ 700 milliards de dollars. Afin d’apporter un autre éclairage à ces illustres théories, nous allons nous intéresser dans un second temps aux acteurs qui œuvrent pour la réalisation de ces opérations de fusions- acquisitions, en nous penchant sur les recherches faites en matière de finance comportementale. Ces éléments nous permettrons de comprendre le fonctionnement des acteurs de marchés, et les conséquences de leurs comportements. Enfin, à la lumière des deux précédents chapitres, nous apporterons des éléments de réponse quant à la non création de valeur issue des opérations de fusions-acquisitions. 1.1 Théories classiques en lien avec les fusions-acquisitions 1.1.1 Théorie des signaux L’étude du nombre de fusions-acquisitions montre que ces opérations se réalisent par vagues. Ces vagues sont calquées sur le marché. Plus le marché est haussier et les valorisations boursières élevées, et plus le nombre d’opérations de rapprochement augmente.
  • 12. 9 Ce graphique (source : Bloomberg) montre la corrélation entre la valeur des fusions- acquisitions et l’évolution de la bourse. En blanc est représenté l’évolution de la capitalisation de l’indice boursier mondial Bloomberg World Exchange » et en jaune, la valeur totale des fusions-acquisitions à l’échelle mondiale. En 2014, on pouvait lire sur zonebourse.com : « les marchés actions s’inscrivent dans une tendance haussière actuellement, les M&A devraient donc poursuivre leur essor pour décrocher de nouveaux records dans les années à venir ». Force est de constater que l’avenir et l’année record 2015 n’ont pas tardé à leur donner raison. Lorsque le marché est haut, les managers veulent profiter d’une survalorisation de leur entreprise. Cela leur permet d’utiliser leurs actions comme monnaie, pour acquérir des cibles qu’ils pensent sous-évaluées (Shleifer et Vishny, 2003). La théorie des signaux apporte donc des éléments d’explication à la réaction des marchés à certains évènements. La théorie repose sur l’idée d’une certaine asymétrie d’information entre les dirigeants, les mieux à même à connaître la valeur réelle de leur entreprise, et les investisseurs et les marchés financiers. En effet, l’annonce d’un évènement ne peut provoquer une réaction sur le marché uniquement si les différents acteurs n’ont pas le même niveau d’information. Les investisseurs tirent donc des conclusions sur la valeur de l’entreprise en fonction des décisions prises par les dirigeants. La théorie des signaux expose donc qu’un signal positif émis par les dirigeants d’une entreprise permet d’anticiper de meilleures performances futures et d’engendrer une hausse du cours du titre de la société. Actuellement, les fusions-acquisitions sont extrêmement médiatisées par les entreprises acquéreuses. Cela s’explique par la volonté de donner l’image d’une opération bien pensée stratégiquement et ayant du sens, élément essentiel pour garder la confiance des investisseurs. Nous verrons que la communication financière faite autour des opérations de fusions- acquisitions est stratégique pour les entreprises initiatrices. Mais un autre point essentiel est l’image que renvoie cette décision vis-à-vis de la confiance en l’avenir qu’à l’entreprise acquéreuse. En effet, cela montre le signe d’une entreprise qui se sent capable de mener à bien une telle opération, et qui a les moyens de financer cette opération, donc qui croit en la croissance future du résultat du nouvel ensemble. Etant donné que selon le mode de financement de la cible, c’est la remontée de cash généré par cette dernière qui financera l’acquisition, dans tous les cas, l’acquéreur doit avoir confiance en l’avenir économique de l’entreprise.
  • 13. 10 1.1.2 Théorie des synergies Une des raisons principalement évoquées pour justifier la réalisation d’opérations de fusions-acquisitions est la réalisation de synergies entre les deux entités fusionnées : Ve (fusionnée) = Ve (acquéreur) + Ve (cible) + synergies Dans le communiqué de presse émis par Danone en date du 7 Juillet 2016, qui annonce la signature d’un accord en vue de l’acquisition de WhiteWave, le point intitulé « Forte création de valeur », est avant tout soutenu par : « Des synergies importantes représentant 300 millions de dollars de résultat opérationnel en année pleine, à horizon 2020, soit 8% du chiffre d’affaires et 80% du résultat opérationnel de Whitewave en 2015. » Les synergies correspondent au surplus de valeur généré suite au rapprochement de deux entités, comparé à la valeur qu’elles génèrent séparément (mazars.fr). Cette idée a été développée par Bradley et al. (1988) : « synergy theory posits that the acquisition of control over the target enables the acquirer to redeploy the combined assets of the two firms toward higher-valued uses. » La synergie est donc directement en lien avec la création de valeur, qui est considérée comme le principal motif de fusion-acquisition. La théorie des synergies se base sur l’idée que l’entreprise est un lieu de mise en commun de ressources (Penrose, 1959). Si les synergies se réalisent comme elles sont prévues et annoncées dans les communiqués de presse, la valeur actionnariale doit être plus forte après la fusion-acquisition que la somme des valeurs apportées par chacune des entreprises avant l’opération.
  • 14. 11 Ces synergies peuvent se concrétiser par une hausse des revenus ou par une baisse des coûts. L’augmentation des revenus peut être générée par une complémentarité de gamme, une prise de parts de marché supplémentaire, la mise en commun de savoir-faire ou de technologies, la création d’une barrière à l’entrée, protégeant ainsi la nouvelle entité de l’émergence de nouveaux concurrents. Les réductions de coûts induites par les synergies se traduisent par des économies d’échelle (ex : rationalisation et regroupement des achats permettant d’avoir accès à de meilleures conditions commerciales), une diminution des coûts de production, la réduction du risque opérationnel, la mise en commun d’activités, permettant notamment de supprimer des postes qui existaient dans chacune des entités mais qui n’ont pas besoin d’être en nombre aussi important dans l’entreprise nouvellement crée. La fusion-acquisition permet en général au minimum l’économie d’une direction générale (DG, adjoints, secrétaires…). Le délai de réalisation des synergies doit cependant être assez court. On considère que si les synergies prévues et escomptées n’ont pas été réalisées dans un délai de 18 mois à 3 ans, elles ne se concrétiseront jamais. 1.1.3 Théories des coûts de transaction A l’origine de cette théorie est Ronald Coase. Il publie en 1937 l’article intitulé « The Nature of the firm ». Il mène dans son étude une réflexion qui permettrait de faire un choix entre croissance interne et croissance externe pour une entreprise. En effet, pour lui le coût explique la formation d’entités collectives comme les entreprises, qui ainsi formées, permettent de réduire les coûts. Son étude permet de s’interroger sur les opérations de fusions-acquisitions de nature verticale, c’est à dire le rachat d’un fournisseur ou d’un client. Le coût de transaction défini par Williamson (1975, 1985) découle des travaux de Coase (1937). Ces coûts de transaction sont les coûts qui découlent de l’échange (biens, services : les transactions) entre entreprises. Si l’entreprise produits elle même ces biens ou services, ces coûts seront des coûts internes, tandis que si elle fait appel à un fournisseur, les coûts seront externes. Les coûts externes sont plus élevés que des coûts internes. Ces coûts peuvent être des coûts liés au transport, au traitement administratif, à la négociation… Ces coûts sont également déterminés par la fréquence de réalisation des ces transactions, et la spécificité des actifs (degré de complexité des biens et services échangés) (Williamson 1985). On trouve un exemple de cette théorie dans la grande distribution avec l’enseigne Intermarché. Ils ont même fait de l’étiquette distributeur producteur (« fiers d’être producteurs et commerçants ») une marque de fabrique et un argument de vente. Le groupement est très
  • 15. 12 connu pour posséder sa propre flotte de bateaux de pêche, ainsi que ses propres usines pour la production de certains produits à marque propre. Un autre cas, un peu différent car on parle d’entités distinctes juridiquement, est celui de l’aéronautique. Les sous-traitant aéronautiques étant implantés à proximité immédiate des usines Airbus à Blagnac par exemple. Sans être totalement intégré, cette proximité géographique permet une économie de coût de transaction, par l’économie de coûts de transport ou la réactivité qu’elle procure à l’activité. Ces entités de sont pas juridiquement liées, cependant si on prend en compte la dépendance du sous-traitant vis-à-vis de l’avionneur, et la notion de contrôle dont elle dispose donc à son sujet (cf. IFRS 10), on peut considérer que le cas rentre tout à fait dans une économie de coût de transaction générée par une fusion- acquisition. La création de valeur liée aux opérations de fusions-acquisitions est donc liée à ces économies de coûts de transaction, rendues possibles par l’internalisation d’activités qui étaient jusqu’alors en amont, tels que les fournisseurs, ou en aval, tels des clients, de l’activité historique de l’entreprise acquéreuse. 1.1.4 Pouvoir de marché et théorie du market for corporate control Selon Coriat et Weinstein (1995), si les entreprises sont de poids (taille) égal, elles n’ont pas de pouvoir les unes sur les autres. Dans la recherche d’un pouvoir de marché, la taille est en revanche une variable stratégique. La solution réside donc dans la concentration et le fait de devenir plus gros que les autres. Cela confère à l’entreprise le pouvoir de se soustraire au moins en partie à la concurrence, ce qui permet ainsi à l’entreprise d’augmenter ses profits. Les fusions-acquisitions, par le gain de taille et de pouvoir qu’elles confèrent aux entreprises, sont donc naturellement plébiscitées. La théorie du marché de la prise de contrôle (« market for corporate control »), dans le cadre des fusions-acquisitions, est basée sur la théorie de l’agence et les divergences d’intérêts et d’objectifs qui existent entre les actionnaires et les dirigeants. Dans un marché efficient, le cours reflète la valeur réelle de l’entreprise, donc sa comparaison avec les concurrents, ou entreprises similaires, doit refléter la qualité de la gestion opérée dans l’entreprise. Lorsque le cours d’une entreprise est faible par rapport aux concurrents, les actionnaires devraient donc remettre en cause la gestion de l’équipe dirigeante en place. Cette théorie du market for corporate control repose donc sur l’idée que les dirigeants sont en concurrence les uns par rapport aux autres. Les dirigeants les moins performants sont donc sanctionnés et remplacés
  • 16. 13 lors des opérations de fusions-acquisitions. Les fusions-acquisitions auraient donc un rôle disciplinaire (Alchian et Demsetz 1972), et permettraient aux actionnaires de remplacer les dirigeants lorsque les résultats escomptés ne sont pas conformes aux attendus. Cela permet donc de remplacer ces dirigeants incompétents par des dirigeants plus experts dans le domaine. Une des vertus des fusions-acquisitions serait donc de faire en sorte que la direction des entreprises soit assurée par des équipes dirigeantes compétentes. La théorie du market for corporate control permettrait donc de réduire les coûts d’agence, car les fusions-acquisitions joueraient le rôle d’agent disciplinaire des dirigeants, ainsi qu’un rôle régulateur. Afin d’éclairer notre propos, nous allons maintenant donner plus de de détails sur la théorie de l’agence et les coûts qu’elle suppose. 1.1.5 Théorie de l’agence La relation d’agence est initiée par Adam Smith (1776) qui selon cette citation connue: « les directeurs de ces sortes de compagnies (les sociétés par actions) étant les régisseurs de l’argent d’autrui plutôt que de leur propre argent, on ne peut guère s’attendre à ce qu’ils y apportent cette vigilance exacte et soucieuse que les associés apportent souvent dans le maniement de leurs fonds. » met en lumière les intérêts divergents des dirigeants et des actionnaires d’une entreprise. La relation d’agence est définie par Jensen et Meckling (1976) comme « un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engagent une autre personne (l’agent) pour accomplir quelques services en leur nom, impliquant la délégation d’une partie de l’autorité de prise de décision à l’agent. ». L’agent de cette définition est le dirigeant, qui gère et contrôle l’activité de l’entreprise, et prend toutes les décisions, y compris celles stratégiques. Les intérêts du dirigeant seraient de s’approprier une partie des ressources de l’entreprise pour son propre compte (dont une revalorisation de la rémunération), de renforcer sa position à la tête de l’entreprise, de maximiser certains indicateurs, plutôt que d’autres qui génèreraient plus de profit pour l’actionnaire. Ceci dans le but de servir les intérêts de l’entreprise (et les siens par la même occasion), avant ceux de l’actionnaire ; les intérêts de l’actionnaire étant la distribution de dividendes ainsi que l’augmentation de la valeur des actions. On retrouve dans cette théorie la notion d’asymétrie d’information : le dirigeant en sait plus sur l’entreprise que le principal, c’est à dire l’actionnaire, ainsi que la différence d’horizon temporel. Enfin cette relation d’agence suppose, toujours selon Jensen et Meckling (1976) des coûts : dépenses de surveillance (motiver et orienter le comportement de l’agent), des coûts d’obligation
  • 17. 14 (engagement de l’agent), et des coûts d’opportunité (perte subie suite à des décisions prises par l’agent qui ont des intérêts contraires au principal). Fama (1980), en plus de la divergence d’intérêts citée plus haut, apporte une notion supplémentaire avec la différence des risques encourus. En effet, le risque pour l’actionnaire est de perdre son apport, ou de ne pas le valoriser autant que cela aurait été possible, tandis que le dirigeant risque de perdre son emploi et sa valeur sur le marché du travail. Le risque étant plus grand pour le dirigeant, ils peuvent être tentés de faire des investissements moins risqués que ce qui serait conforme aux intérêts de l’actionnaire. La théorie de l’enracinement managérial (Shleifer et Vishny, 1989) découle de la théorie de l’agence. On retrouve l’idée que les dirigeants font plus pour augmenter leur propre patrimoine plutôt que créer de la valeur pour les actionnaires de l’entreprise. Ils préfèreraient investir dans les fusions-acquisitions surpayées, plutôt que distribuer des dividendes. Jensen et Meckling indiquent également que les Free Cash Flow peuvent être source de fusions-acquisitions destructrices de valeur. En effet l’existence de cash flow « libres » peut entraîner des décisions contraires aux intérêts des actionnaires : les dirigeants seraient disposés plus facilement à se lancer dans des fusions-acquisitions destructrices de valeur, car trop diversifiées, et sans connaissance suffisante des dirigeants de ces nouveaux secteurs (Jensen, 1986). Cependant, vu la combinaison particulière d’activités qui découle de ces fusions- acquisitions très diversifiées, il devient difficile pour les actionnaires de remplacer les équipes dirigeantes. Ces derniers, par ces stratégies, assurent donc leurs propres intérêts.
  • 18. 15 Nous venons d’étudier les théories qui sous-tendent les fusions-acquisitions. La théorie de l’agence commence à introduire des notions de comportement, avec des comportements différents selon le statut d’agent ou dirigeant, ou le statut de principal, c’est à dire actionnaire de l’entreprise. Nous allons donc maintenant étudier plus en détail le comportement des agents. Car les éléments énoncées ci-dessus sont bien des théories, mais ceux qui sont censés être au cœur de ces dernières sont des humains, aux comportements qui ne calquent pas toujours ces éléments théoriques. 1.2 Finance comportementale dans les fusions-acquisitions La finance comportementale est l’application de la psychologie à la finance. La finance comportementale étudie les comportements des agents et leurs effets sur les marchés financiers. Ces effets peuvent se traduire par des prix ou des rendements anormaux. On peut expliquer les phénomènes de tendance boursière (marché haussier ou baissier) par des sur ou sous-réactions des agents aux informations. Ce sont ces tendances qui peuvent entraîner des niveaux de prix extrêmement décorrélés des fondamentaux économiques, qui à terme forment des bulles financières qui entraînent parfois jusqu’aux krachs boursiers et aux crises financières. La finance comportementale est donc en opposition avec l’hypothèse d’efficience des marchés, qui indique que le prix ou le cours reflète parfaitement la valeur réelle de l’entreprise ou du titre, tout en remettant également en cause la rationalité des acteurs du marché. Nous allons aborder successivement cinq points qui nous apporterons un éclairage quant aux comportements des acteurs vis-à-vis des opérations de fusions-acquisitions. En effet, comme dit précédemment dans ce mémoire, le nombre d’opérations de fusions-acquisitions est en constante augmentation. Un grand nombre d’études concluent que les opérations de fusions- acquisitions détruisent de la valeur actionnariale plus souvent qu’elles n’en créent. Partant de ces conclusions, nous allons essayer de comprendre ce qui pousse les acteurs et intervenants sur le marché, dans leur comportement et par leur psychologie, à approuver ces opérations, connaissant les résultats plus que mitigés de ces études.
  • 19. 16 1.2.1 Hubris Nous avons vu que la raison principale avancée pour la réalisation d’opérations de fusions-acquisitions est la création de valeur actionnariale, ceci étant rendu possible en grande partie, selon les entreprises acquéreuses, par la réalisation de synergies futures entre les deux entités formant le nouvel ensemble. Cependant, les conclusions des études (KPMG, 1999) nous montrent que la création de valeur qui est annoncée n’est que très rarement au rendez-vous. Comment se fait-il donc que ces opérations se réalisent en aussi grand nombre, et avec autant d’engouement ? Nous trouverons une des réponses dans l’étude du comportement des dirigeants, notamment à travers la notion d’hubris. L’hubris (ou hybris) est une notion grecque qui se traduit souvent par « démesure ». C’est un sentiment violent inspiré des passions, particulièrement l’orgueil. Les grecs lui opposaient la tempérance et la modération. Deux discours de Démosthène, « Contre Midas » et « Contre Conon » en sont deux exemples. C’est la tentation de démesure ou de folie imprudente des hommes, tentés de rivaliser avec les Dieux (Wikipédia). Appliqué à notre travail, nous pouvons remplacer les Dieux par le marché. L’hubris revoie donc à l’excès de confiance en soi et au narcissisme (Roll, 1986). Ce biais cognitif, relatif à l’orgueil trop démesuré des dirigeants, affecte leur processus de prise de décision. L’hubris donne donc une image de soi surévaluée au dirigeant, ainsi que de ses compétences et de ses réalisations. Ce défaut de perception de soi serait donc ce qui conduit les dirigeants à surestimer les synergies qu’ils vont être capable de réaliser à la suite de l’opération de fusion-acquisition. Se faisant excessivement confiance, ils pensent soit que la cible est sous- évaluée par le marché, et ils sont donc prêt à payer des primes là encore surévaluées pour l’acquérir, soit ils pensent être capable d’en tirer plus de synergies que ce n’est le cas en réalité (Malmendier et Tate, 2008). Cette vision erronée de la réalité ne peut donc donner lieu qu’à des jugements erronés. Roll (1986) émet l’hypothèse que les fusions-acquisitions ne sont aucunement génératrices de valeur, et que les gains de synergie espérés ne trouvent leur source que dans l’imaginaire de soi surévalué du dirigeant. Les primes, surévaluées elles aussi, payées par les dirigeants pour réaliser ces opérations ne seraient finalement qu’une illustration de leur hubris. L’entreprise ne serait pour ces dirigeants qu’un lieu leur permettant de satisfaire leurs ambitions personnelles, et les opérations de fusions-acquisitions seraient donc destructrices de valeurs car initiées pour des raisons erronées et mal évaluées, en raison de l’ego du dirigeant. Notons cependant que ces
  • 20. 17 décisions prises par ego font ensuite l’objet d’une tentative de rationalisation économique par le dirigeant auprès des actionnaires notamment. 1.2.2 Gestion des impressions Dans notre quête de réponse concernant les raisons qui poussent les actionnaires à réagir favorablement aux fusions-acquisitions, nous allons nous pencher sur la gestion des impressions. En effet, si les actionnaires accueillent de manière favorable toutes ces opérations de fusions-acquisitions, c’est peut-être car on les incite à croire que c’est une décision qui leur est favorable. La gestion des impressions fait référence au contrôle de la perception des performances de l’entreprise. Il s’agit pour la direction de sélectionner l’information à mettre en avant, et la présenter de manière à modeler la perception des destinataires sur les réalisations de l’entreprise (Godfrey et al., 2003). Le but recherché dans la déformation du discours est de présenter une image plus favorable qu’elle ne l’est réellement de l’action entreprise au destinataire de la communication, l’actionnaire. Les communications visées sont le rapport annuel, ou les communiqués de presse, qui sont le moyen généralement utilisé pour annoncer les opérations de fusions-acquisitions. Dans ces communications, les dirigeants peuvent modeler leur discours afin de mettre en évidence ou à contrario, minimiser voire passer sous silence certains éléments. Ces communications seraient un moyen dont se serviraient les dirigeants pour modeler l’opinion sur les performances de l’entreprise (Godfrey et al., 2003). Cette gestion des impressions serait donc utilisée lorsqu’il y a un écart entre l’entreprise telle qu’elle est perçue par les dirigeants et les attentes des actionnaires vis-à-vis de cette dernière. Nous avons vu précédemment, notamment dans la théorie de l’agence ou de l’hubris, ces divergences d’intérêts entre dirigeants et actionnaires de l’entreprise. La gestion des impressions est utilisée par les dirigeants lorsqu’ils pensent que les actionnaires ne seront pas favorables aux décisions stratégiques qu’ils ont prises ou comptent prendre, afin de remodeler le discours pour qu’il paraisse finalement à leur avantage. Ils utiliseraient plutôt cette méthode afin de se protéger et/ou maximiser leurs intérêts personnels, c’est à dire principalement leur rémunération, aux dépends des actionnaires. Là encore, cette théorie donne les mêmes conséquences que la théorie de l’agence. Les nombreuses études sur la performance des fusions-acquisitions montrent que les gains escomptés sont souvent inférieurs aux attentes, voire que ces opérations détruisent de la valeur pour l’actionnaire de l’entreprise acquéreuse ; cependant dans le même temps, les intérêts privés des dirigeants augmentent (Grinstein et Hribar, 2004).
  • 21. 18 Considérant l’écart entre les attentes des actionnaires (augmentation de la valeur de leurs titres) et les conclusions des études, les dirigeants doivent les convaincre que ces opérations sont nécessaires à l’entreprise. Si le discours qu’ils leur adressent ne les convainc pas les actionnaires risquent de ne pas approuver le projet de fusion-acquisition. Or nous avons vu que ces opérations sont extrêmement favorables aux dirigeants, le contexte est donc favorable à la gestion des impressions. La gestion des impressions appliquée aux discours des dirigeants est une première explication à la réalisation de ces opérations, bien que majoritairement défavorables aux actionnaires. 1.2.3 Cognition dans les décisions en finance La cognition désigne l’ensemble des structures et activités psychologiques dont la fonction est la connaissance (par opposition aux domaines de l’affectivité) (Larousse.fr). De manière un peu plus détaillée, Codol (1989) définit la cognition comme « l’ensemble des activités par lesquelles toutes les informations (que l’individu reçoit) sont traitées par un appareil psychique : comment il les reçoit, comment il les sélectionne, comment il les transforme et les organise, et comment il construit ainsi les représentations de la réalité et élabore des connaissances ». La psychologie est devenue cognitive, c’est à dire basée sur des fonctions adaptatives et régulatrices, et on parle aujourd’hui de la psychologie des investisseurs tandis que la finance se base toujours sur des théories néo-classiques. Les acteurs du marché ne font pas qu’appliquer ces théories, mais agissent en fonction de ce qu’ils pensent (Schneider et Angelmar, 1993). Nous devons donc nous intéresser à la formation de ces pensées, ou représentations de la réalité, afin de comprendre la raison d’être des comportements des agents. Les sciences cognitives tiennent comptes des limites inhérentes à l’être humain : le décideur a une rationalité limitée et utilisera des heuristiques afin d’appréhender son environnement. Selon Schermerhorn et al. (2002), les facteurs influençant les perceptions sont l’agent lui même, dont les perceptions sont influencées entre autres par ses connaissances, expériences, motivations personnelles. L’environnement et le contexte au sein duquel vont s’appliquer ces perceptions jouent aussi un rôle important, tout comme l’objet perçu en lui-même. Dans le cadre de cette étude, c’est la décision de réaliser une opération de fusion-acquisition.
  • 22. 19 1.2.4 Heuristique L’heuristique fait référence à l’art de trouver, d’inventer, de faire des découvertes. Il s’agit davantage d’une réflexion sur le procédé intellectuel qui mène à trouver, que sur l’application d’une méthodologie d’obtention de solutions. En psychologie, domaine sur lequel nous nous penchons actuellement dans notre réflexion, une heuristique de jugement désigne une opération mentale, rapide et intuitive (Wikipédia). Une heuristique est une méthode de résolution des problèmes qui ne s’appuie pas sur une analyse détaillée du problème, mais s’appuie, par exemple, sur des similitudes avec des problèmes déjà traités pour trouver la solution. Selon Le Moigne (1999), « une heuristique est un raisonnement formalisé de résolution de problème dont on tient pour plausible, mais non pour certain, qu’il conduira à la détermination d’une solution satisfaisante du problème ». Les heuristiques sont donc des raccourcis utilisés par les agents afin de simplifier les opérations mentales. Elles permettent également un gain de temps, car permettent de trouver une solution sans avoir à étudier le problème dans toute sa complexité. L’heuristique de représentativité fait aussi se comporter les agents plus par analogie que par logique. Ils auront tendance à considérer quelque chose de vrai ou vraisemblable car il a expérimenté la même situation récemment, ou à percevoir des tendances là où il n’y en a pas. Les investisseurs surestiment la probabilité qu’un évènement se produise dans le futur d’autant plus qu’ils l’ont observé récemment (effet momentum). Cela mène à formuler des jugements de probabilité qui sont totalement erronés. Selon Mangot (2008), « l’accueil fait par le marché aux fusions-acquisitions et aux introductions en bourse dépend largement du succès des dernières opérations similaires, avec des conséquences identiques pour les performances ultérieures ». Lorsqu’à la lumière des études sur les fusions-acquisitions, on connaît les résultats en terme de création de valeur, on comprend pourquoi malgré les échecs, ces opérations continuent à être plébiscitées. Selon cette heuristique, les fusions-acquisitions appellent donc d’autres opérations du même type. Le succès des opérations précédentes étant parfois, comme vu précédemment, fait grâce à une bonne gestion des impressions, et les agents réfléchissant par analogie plus que par logique, alors, en dépit de résultats tout à fait non conforme aux attentes des investisseurs, ces opérations vont continuer à se réaliser. C’est la facilité d’accès à l’information (heuristique de disponibilité) qui va aussi parfois déterminer la réponse apportée par l’agent. Toujours selon Mangot, l’information disponible occupe une place prépondérante dans les raisonnements. Faute d’information plus pertinente, les investisseurs recourent volontiers à des raisonnements rapides par analogie, achetant par
  • 23. 20 exemple des titres après la hausse de titres comparables. Les informations disponibles à l’annonce d’une fusion-acquisition émanent généralement de l’acquéreur, initiateur de l’opération et nous avons vu précédemment que l’initiateur allait communiquer de manière à ce que sa proposition paraisse la plus favorable possible aux actionnaires. C’est cette information là, tout à fait conforme aux espérances de l’acquéreur, qui va être accessible le plus facilement pour l’actionnaire. Si ce dernier est dans un raisonnement heuristique (de facilité), il n’aura aucun mal à approuver la décision prise par le dirigeant. Ces heuristiques peuvent être utiles, voire indispensables dans certaines situations, mais elles génèrent des biais. « Un biais est une distorsion (déviation systématique par rapport à une norme) que subit une information en entrant dans le système cognitif ou en sortant. Dans le premier cas le sujet opère une sélection des informations, dans le second, il réalise une sélection des réponses » (Le Ny, 1991). Le biais représente l’écart entre la pensée réelle et ce qu’elle devrait être. Un des biais introduit par cette théorie comportementale est le biais de conservatisme. Il traduit la tendance à surévaluer les informations qui confirment son opinion, et à minimiser les informations discordantes (Mangot, 2005). Ce biais est à l’origine d’une sous-réaction des investisseurs aux informations publiques, et a pour conséquence de minimiser l’information présente par rapport à l’information historique (Shleifer et Vishny 1989). Parmi les informations disponibles, certaines sont donc privilégiées par rapport à d’autres. La théorie du comportement décisionnel montre que l’individu construit une représentation mentale du problème auquel il fait face, et distingue ce qui lui paraît pertinent de ce qui ne l’est pas. Ces heuristiques facilitent le quotidien par la facilité, le gain de temps dans la prise de décision. Cependant, en ne prenant pas en compte les données statistiques réelles, ces heuristiques font apparaître des biais, c’est à dire des représentations distordues de la réalité, qui mèneront à des prises de décisions erronées. Selon Mangot, on arrive à cet état de fait par la méconnaissance des probabilités par les investisseurs. En effet celles-ci donnent des résultats bien dissemblables de ceux induits pas les différentes heuristiques. 1.2.5 Rationalité des acteurs et efficience des marchés La finance classique base ses théories sur la rationalité des acteurs et l’efficience des marchés. Le premier postulat, la rationalité des acteurs, est remise en cause par les théories de finance comportementale étudiées précédemment. La finance comportementale réfute la
  • 24. 21 rationalité substantielle et s’appuie sur les travaux cognitifs avec en premier chef la théorie des perspectives de Kahneman et Tversky (1979). Leur théorie viendrait en remplacement de la théorie de l’utilité espérée (Morgenstern et Von Neuman, 1944) pour comprendre la décision en situation de risque. La théorie des perspectives décrit le comportement réel des individus, dans leur manière d’évaluer de manière asymétrique leurs perspectives de gain et de perte. A contrario, la théorie de l’utilité espérée se base sur un modèle d’optimisation mathématique, mais qui ne reflète pas le comportement des gens. Les anomalies de rationalité des acteurs économiques montrent que l’individu se dégage souvent du calcul coûts / avantages pour se concentrer majoritairement sur la partie avantages de son analyse. Fama (1991) préfère remettre en cause de son côté l’hypothèse de rationalité (parfaite) des agents. Ensuite, c’est la théorie d’efficience des marchés, c’est à dire que le cours reflète la valeur de l’entreprise sur le long terme (Bachelier, 1900), ou que le cours intègre instantanément toute information disponible (Fama, 1965) qui sera invalidé, par la permanence d’anomalies. Ces anomalies sont des sur réactions, ou des effets saisonniers tels l’effet janvier ou l’effet lundi. On peut aussi parler de rationalité limitée (Simon, 1947), qui décrit les limites des capacités et connaissances des individus dans un environnement incertain et complexe. Les capacités cognitives et l’information disponible feront s’arrêter l’individu à son premier choix. En cela, le concept de Simon rejoint la thématique d’heuristique de jugement (Kahneman et Tversky, 1979). A partir de l’approche financière enrichie par les travaux issus de la théorie de l’agence et de l’enracinement des dirigeants, Andrade et al. (2001) montrent que seuls les objectifs non rationnels liés au comportement des dirigeants sont susceptibles d’expliquer le recours à des opérations de fusions-acquisitions. 1.3 Destruction de valeur liée aux fusions-acquisitions : explication des causes Au cours de ce chapitre, nous allons nous intéresser aux facteurs impliqués dans la réussite, sur le plan de la valeur actionnariale pour l’acquéreur, des opérations de fusion- acquisitions. Nous allons aborder ces différents facteurs, tels les synergies ou le prix de la cible, sous l’angle du comportement des acteurs vis-à-vis de ces éléments. Cela nous permettra de comprendre pourquoi de mauvaises décisions, sur le plan de la valeur actionnariale, sont prises par ces acteurs.
  • 25. 22 1.3.1 Efficacité des modèles Comme nous l’avons vu précédemment, la réalisation de fusions-acquisitions trouve sa légitimité dans les théories classiques de la finance. La modélisation de la finance a été élaborée à partie des années 1950 par les économistes américains Markowitz (1952), Black, Scholes, Merton (1973). Les théories classiques sont corrélées à des théorèmes mathématiques qui valident ces modèles. Ces modèles fonctionnement effectivement lorsque les hypothèses sur lesquelles ils sont basées sont au rendez-vous. Or, ces hypothèses ne traduisent pas en permanence la réalité économique de la période sur laquelle on applique ces modèles. La crise financière de 2008 a été la parfaite illustration de l’inefficacité de certains modèles, ceux pour lesquels les modèles se vérifient uniquement lorsque les hypothèses ne changent pas (Chesny, M., 2009). Tout le monde est d’accord pour dire que ces modèles montrent leurs limites dans certaines conditions. Seulement, près de dix ans après le début de la crise financière de 2008, ce sont toujours ces théories, basées sur les mêmes modèles, qui régissent la pensée en finance. Ces modèles sont-ils donc seulement inefficaces en temps de crise, ou sont-ils tout simplement limités car établis selon des règles mathématiques qui ne peuvent nécessairement pas prendre en compte l’irrationalité des acteurs, ou les évènements rares qui peuvent survenir. La modélisation a plusieurs limites comme la simplification, qui ne lui permet pas d’intégrer toutes les hypothèses, son caractère artificiel et son impuissance à prédire le comportement humain, qui logiquement s’explique plus par la sociologie ou la psychologie que par les mathématiques. Les humains ne sont pas capables de reproduire uniquement des comportements rationnels calqués sur des théories basées sur des modèles mathématiques. Leur irrationalité ébranle donc les modèles existants. Selon Benoît Mandelbrot (2005), le problème viendrait du fait que la théorie appliquée (celle de Merton, Black et Scholes) est trop simplifiée et ne prend pas en compte certaines données essentielles du fonctionnement de l’économie. Finance trop mathématisée ou mathématiques mal adaptées, la question de l’efficacité des théories se pose toujours. Ainsi les modèles existant et utilisés sont évidemment d’excellentes bases mais ils ne prennent pas tous les facteurs en compte. Ils facilitent le travail car ils répondent à un grand nombre de situations. En cela, on rejoint l’idée d’heuristique de disponibilité : les modèles existent, donc il est plus facile de s’en servir que de chercher autrement une solution ou une explication.
  • 26. 23 Pour revenir à notre sujet des opérations de fusions-acquisitions, les théories qui les sous-tendent doivent donc servir de base, mais elles ne devraient pas être le seul angle de vue à prendre en compte dans la décision ou l’acceptation de leur réalisation. 1.3.2 Réalisation des synergies La réalisation de synergies est une des raisons les plus fréquemment invoquée pour justifier la réalisation d’opérations de fusion-acquisition. Le concept de synergie va de pair avec la théorie de l’efficience selon laquelle les fusions-acquisitions créent de la valeur grâce à la réalisation de synergies entre l’entreprise acquéreuse et sa cible. Les synergies en question peuvent être opérationnelles, c’est à dire générées par l’optimisation des activités du nouvel ensemble et correspondre à de la croissance supplémentaire, ou à des gains en terme d’économie de coûts (économies d’échelle). Les synergies peuvent également être de nature financière, par l’augmentation de la capacité d’endettement, des économies sur le terrain de la fiscalité, ou la diminution du coût du capital. Enfin, les synergies peuvent être managériales, par des transferts de connaissances entre l’entreprise acquéreuse et la cible par exemple. La réalisation de synergies est donc une des raisons sont donc extrêmement importantes dans le processus de décision pour la réalisation d’une opération de fusion-acquisition. La non réalisation de ces synergies, qui étaient la raison d’être de nombreux rapprochements, est un des facteurs de destruction de valeur pour l’actionnaire. Selon une enquête du Boston Consulting Group reprise dans l’article du 16 novembre 2016 (The real deal on M&A, Synergies, and Value) les acquéreurs qui créent de la valeur présentent trois caractéristiques spécifiques : - Ils limitent la prime de contrôle qu’ils paient, sur la base d’une évaluation rigoureuse des synergies - Ils sont sincères avec leurs actionnaires concernant leurs attentes en terme de synergies, et les décrivent explicitement - L’intégration post fusion est rigoureuse afin de capturer pleinement les synergies, et ils sont transparents avec les investisseurs sur leurs progrès.
  • 27. 24 On retrouve dans deux critères sur trois la notion de transparence et de sincérité. Nous avons vu précédemment que la gestion des impressions est fréquemment utilisée pour toutes les communications financières. Selon Ravaonrohanta (2016), le discours est un élément clé du processus d’approbation des fusions-acquisitions. Les dirigeants vont chercher à donner la meilleure image possible de leur projet, et ils choisiront les éléments à transmettre, quitte à légèrement les modifier, à cette fin. Dans le but de modeler l’image de leur discours, ils vont émettre un contenu ciblé, positif, avec des indicateurs quantitatifs présentés de manière à aller dans leur sens. Pour conclure sur cette théorie, les synergies font donc partie du discours justifiant la réalisation d’une opération de fusion-acquisition, mais ce discours manipulé et manquant de sincérité, peut induire une non réalisation des synergies invoquées, et donc une destruction de valeur pour l’actionnaire. Ceci nous apporte un élément de réponse sur le fait que les acteurs du marché pensent que les opérations de fusions-acquisitions sont une bonne chose, alors qu’elles sont dans de nombreux cas, destructrices de valeur pour l’investisseur. 1.3.3 Prix de la cible L’article cité précédemment du Boston Consulting Group donne également comme raison la prime payée pour l’acquisition de la cible comme explication à la destruction de valeur qui découle des opérations de fusions-acquisitions. Le niveau de cette prime serait injustifié dans de nombreux cas, entrainant de la destruction de valeur pour l’actionnaire, plutôt que de la création.
  • 28. 25 Les investisseurs sont connus pour leur nature versatile et leur capacité à changer de perception. Depuis plusieurs années, le marché est haussier et actuellement, les investisseurs sont plutôt dans une humeur « euphorique » et accueillent favorablement quasiment toutes les annonces. Nous avons vu précédemment qu’il existe une corrélation entre la tendance du marché et le nombre d’opérations de fusions-acquisitions qui se réalisent. Plus le marché est haussier et plus de rapprochements d’entreprises sont noués. Cela implique donc que ces opérations se paient de plus en plus cher. Dans ce contexte, il n’y a pas toujours de lien évident entre la valeur réelle de la cible et le prix que l’acquéreur est prêt à avancer pour acquérir la cible. Le prix et la valeur sont des choses différentes. Les cibles se paient plus que leur valeur, en raison des avantages économiques futurs qu’elles génèreront aux entreprises acquéreuses. Cependant ces écarts trop importants sont source de destruction de valeur. Une des méthodes habituelles pour valoriser une cible est la méthode des Discounted Cash Flow. Les éléments de calcul de cette méthode sont très aléatoires. Le business plan qui sert de base est élaboré sur des projections plus ou moins réalistes ou optimistes, sans compter le WACC et son calcul et le taux d’actualisation qui peuvent faire varier significativement la valeur d’entreprise. Enfin, les entreprises se livrent à une course à la taille, avec en toile de fond l’idée qu’une entreprise n’a que deux issues : grossir ou mourir. Si elles veulent continuer à exister, les entreprises doivent donc grossir. Ce sont les entreprises qui seront les plus grosses le plus tôt, qui pourront bénéficier de tous les avantages que cela peut conférer (pouvoir sur le marché, économies d’échelle…), qui auront les meilleurs résultats. La croissance externe étant plus rapide de la croissance organique, elles se tournent vers des fusions-acquisitions. Lorsqu’une cible de qualité se présente, il existe un risque pour l’acquéreur qu’un concurrent la lui ravisse si l’offre qu’il propose n’est pas assez intéressante pour les actionnaires de la cible. A cause de ce genre de raisons, les acquéreurs paient des primes exagérées pour acheter ces cibles. S’en suivent des difficultés pour rentabiliser l’investissement, et une potentielle destruction de valeur pour l’actionnaire. Les opérations de fusions-acquisitions sont donc approuvées par les actionnaires car stratégiquement elles sont cohérentes, mais ils oublient de prendre en compte la notion de création de valeur en déterminant la prime payée. Cela est une nouvelle explication à la destruction de valeur qui suit une fusion-acquisition. L’autre cause explicative à ces primes démesurées se trouve dans la théorie de l’hubris. Se croyant sur puissant par rapport aux autres, et notamment au dirigeant actuel de la cible, le
  • 29. 26 dirigeant de l’acquéreur aura tendance à considérer que cette dernière est mal gérée, et que ses compétences supérieures lui permettront de réaliser de gros gains. 1.3.4 Gouvernance Les éléments déjà étudiés dans ce mémoire montrent que les intérêts des actionnaires et ceux des dirigeants ne sont pas forcément les mêmes, et les dirigeants privilégient parfois leurs intérêts privés, en dépit de ceux des actionnaires, propriétaires de l’entreprise. La gouvernance devrait logiquement limiter les opérations de fusions-acquisitions, car elles se révèlent selon les études, contraire aux intérêts des actionnaires dans plus de la moitié des cas. Nous avons vu que dans la théorie de l’agence, des mesures sont prises afin d’empêcher que les dirigeants prennent des décisions qui vont à l’encontre de la création de valeur pour l’actionnaire. La principale structure de gouvernance de l’entreprise est le conseil d’administration (Fama et Jensen, 1983). Selon le collège des administrateurs de sociétés (2009), « le conseil d’administration occupe une place prépondérante dans le système de gouvernance des entreprises. Son rôle principal est de veiller aux intérêts de l’entreprise et de ses actionnaires tout en se souciant des impacts de leurs décisions sur les parties prenantes. En d’autres mots, la mission première d’un administrateur est de s’assurer de la pérennité de l’entreprise avec comme objectif de créer de la valeur pour l’actionnaire ». Les actionnaires sont donc représentés par le conseil de surveillance dans leur veille pour que les intérêts des dirigeants ne passent pas avant ceux des actionnaires. Lorsque l’idée d’une fusion-acquisition est soulevée par les dirigeants, le conseil d’administration a pour rôle d’étudier ce projet, d’un point de vue stratégique bien sûr, mais aussi du point de vue de la création de valeur pour l’actionnaire, ce qui est une des ses missions les plus importante. Le conseil d’administration se prononcera ainsi sur l’acceptation ou non du projet de fusion-acquisition. Un exemple récent montre que l’implication et la recherche de la création de valeur pour l’actionnaire du conseil d’administration dans les décisions de fusions-acquisitions peut être déterminant. En effet, sur la fusion SAFRAN – ZODIAC, le fonds américain TCI, actionnaire de SAFRAN, fait barrage à l’opération sous l’angle de la destruction de valeur : « Safran n’avait clairement pas une information suffisante pour se faire un avis informé et intelligent sur la fusion. La situation est bien pire que quand les termes de l’accord ont été négociés. Si vous n’annulez pas l’opération, il sera clair que vous n’êtes pas compétent pour continuer à présider Safran, nous demanderons donc aux actionnaires de Safran de vous démettre du conseil d’administration lors de l’assemblée général en juin » (Challenges, 16 mars 2017).
  • 30. 27 L’indépendance du conseil d’administration est donc un garde-fou important pour réguler et contrôler les velléités de fusion-acquisition des dirigeants. En France les dernières recommandations sont que la proportion d’administrateurs indépendants soit de moitié (société au capital dispersé) ou au moins d’un tiers. Le rapport Bouton définit un administrateur indépendant comme un administrateur qui n’entretient aucune relation de quelque nature que ce soit avec les société, son groupe ou sa direction, pouvant compromettre l’exercice de sa liberté de jugement (lexique financier Les Echos). La subtilité de la notion d’indépendance et le pourcentage d’indépendants recommandé ne semblent toutefois pas permettre de garantir une totale indépendance du conseil d’administration. C’est à la même conclusion que semble arriver l’enquête sur l’étude de la gouvernance des sociétés du CAC 40 (Image 7 – Septembre 2015), qui reprend le non respect des dispositions du code AFEP / MEDEF. D’après une étude du cabinet Heidrick et Struggles (2011), dans chaque conseil d’administration de sociétés du CAC 40, près de la moitié de l’effectif d’un board siègent dans au moins trois autres conseils de sociétés cotées, et on observe beaucoup de situations avec des administrateurs par ailleurs PDG d’une autre société cotée. Le fait que le conseil d’administration puisse être partial dans ses décisions peut aussi amener des éléments de réponse quant à l’approbation d’opérations de fusions-acquisitions qui n’auraient pas pour intérêt premier l’actionnaire mais le dirigeant. Une autre explication, ne remettant pas en cause l’indépendance du conseil d’administration, serait que les informations nécessaires à la bonne prise de décision (cf. TCI) ne sont pas parvenues jusqu’au conseil d’administration. 1.3.5 Communication financière Les communiqués de presse des acquéreurs comportent toujours au moins un des trois mots « magiques » que sont « relution » sur les résultats, « synergies » et « caractère stratégique ». En revanche, les investisseurs oublient complètement la notion de création de valeur, ou dans tous les cas, ne sont pas freinés dans leur décision d’approbation des fusions- acquisitions par le fait de ne pas retrouver cet élément dans les communiqués de presse des acquéreurs. Communiqué de presse de Vivendi – 11 mai 2017 : Vivendi remet une offre indicative à Groupe Bolloré concernant l’acquisition de sa
  • 31. 28 participation dans Havas pour construire un leader mondial de contenus, médias et communication […] Cette opération, réalisée à un prix cohérent avec les multiples du secteur, aura un effet relutif sur le résultat net par action de Vivendi et […] Ce projet stratégique permettra à Vivendi […] Si les opérations de fusions-acquisitions sont toujours plus nombreuses, c’est que les administrateurs et actionnaires ont donné leur accord à un moment donné. Le discours délivré par les initiateurs de l’opération est donc un élément de réponse à l’adhésion des actionnaires aux projets de fusions-acquisitions. Les actionnaires ont adhéré au projet car la manière dont celui-ci leur a été présenté le rendait attractif, même si, in fine, il ne répondait pas à ce que recherchait en premier l’actionnaire, à savoir la création de valeur. On en revient ici à la gestion des impressions, précédemment développée. Nous avons essayé dans cette première partie de comprendre ce qui mène les agents présents sur le marché à approuver les opérations de fusions-acquisitions alors que dans la plupart des cas elles détruisent de la valeur plus qu’elles n’en créent. Pour cela, nous nous somme appuyés sur les théories classiques telles celle de Ronald Coase des coûts de transaction, ou encore celle de l’agence, de Michael C. Jensen et William H. Meckling. Nous avons ensuite confronté ces théories à celles plus récente qui font appel à la psychologie des investisseurs financiers : la finance comportementale. L’étude des ces théories nous a permis de trouver des éléments de réponse quant à l’engouement pour les opérations de fusions-acquisitions, malgré les résultats défavorables, voire désastreux, pour l’actionnaire. Dans la deuxième partie de notre travail, nous allons étudier des cas d’entreprises qui ont eu recours à la croissance externe pour assurer leur croissance, et pour lesquelles cela a été un échec du point de vue de la création de valeur actionnariale. L’étude de ces cas nous permettra de confirmer les conclusions de notre première partie. Nous allons étudier dans un premier temps le cas HP, et particulièrement les acquisitions d’Electronic Data System (EDS) en 2008 et d’Autonomy Corporation en 2011, qui ont été suivies de dépréciations équivalentes à plus de 80% de leur prix d’acquisition. Ces dépréciations, d’un montant de quasiment 20 milliards, ont considérablement détruit de la valeur pour les actionnaires d’HP. Nous allons donc nous attacher à expliquer, sur la base des éléments évoqués en première partie de ce travail, comment et pourquoi ces acquisitions ont été approuvées.
  • 32. 29 Dans un second temps, nous allons nous intéresser à la fusion avortée, en 2014, entre deux géants de la publicité, qui sont Publicis, plus gros publicitaire européen et troisième acteur mondial, et Omnicom, leader américain et deuxième acteur mondial. Toujours à la lumière des éléments étudiés dans la première partie de ce travail, nous allons étudier les raisons qui ont conduit à un échec du rapprochement entre Publicis et Omnicom. Cet exemple aura pour intérêt d’illustrer plus particulièrement les notions de finance comportementale abordées précédemment. En effet, nous allons constater que ce sont avant tout des facteurs liés à l’humain qui ont fait échouer le deal, plutôt que des notions purement financières.
  • 33. 30 PARTIE 2 : ETUDES DE CAS DE DESTRUCTION DE VALEUR ACTIONNARIALE EN LIEN AVEC LES FUSIONS-ACQUISITIONS 2.1 Le cas HP : Acquisitions d’Electronic Data System et Autonomy Corporation 2.1.1 Contexte HP, pour Hewlett Packard, a été crée en 1939 par William Hewlett et Davis Packard, deux ingénieurs en électronique. Leurs premiers produits sont des instruments électroniques d’essai et de mesure. A la fin des années 60, l’entreprise réoriente ses activités vers les ordinateurs. La société prendra son essor dans les années 1970 avec le décollage de l’informatique, en vendant des calculatrices, des ordinateurs puis des imprimantes. Le début des années 1980 voit débuter la commercialisation des imprimantes. Le début des années 1990 voit commencer une politique d’acquisitions très agressive. Entre 1989 et 1999, ce sont quarante acquisitions qui sont réalisées, et les années 2000 voient plus de 50 opérations se concrétiser. Ces acquisitions ont permis à HP de se développer dans les ordinateurs et imprimantes, ainsi que dans les services informatiques. Jusqu’en 2012, HP était le numéro 1 mondial des PC. Ses activités sont scindées en trois pôles distincts. L’activité « Products » regroupe la fabrication et la distribution d’ordinateurs, imprimantes, et accessoires et périphériques. La division « Services » abrite toutes les activités qui ont trait aux services informatiques comme les logiciels ou les data center. Enfin, la branche financements est logée dans l’activité « Financing ». Depuis 2010, vingt-trois acquisitions supplémentaires ont eu lieu. Parmi ces acquisitions figure Electronic Data System (EDS), numéro 2 mondial des services informatiques en 2008 pour 13,9 milliards de dollars. Il s’agit de l’opération de rachat d’une SSII la plus importante jamais réalisée jusque là. Cette acquisition avait à l’époque été saluée par tout l’écosystème IT, car elle annonçait la bifurcation de HP vers les logiciels et services informatiques, comme son principal concurrent, IBM. En 2011, HP rachète l’éditeur Autonomy Corporation pour 12 milliards de dollars, toujours dans le secteur des services informatiques. Cette fois ci, dès l’annonce du deal et de son montant, l’opération avait été controversée. L’acquisition d’EDS pour 13,9 milliards de dollars s’est soldée quatre ans plus tard par un impairment de près de 11 milliards de dollars. Autonomy Corporation, acquise pour 12 milliards de dollars, a subi un sort équivalent avec une dépréciation de près de 9 milliards de dollars. Le cours de l’action (HPQ) qui était à 28$ au début de 2012, a baissé à 19,70$ suite à
  • 34. 31 l’annonce le 8 août 2012 de la dépréciation d’EDS. La même année 3 mois plus tard, HP annonce une nouvelle dépréciation : celle d’Autonomy Corporation, acquise en mai de l’année précédente. Le cours subit une nouvelle dégringolade, tombant à 12,44$ le 23 novembre 2012. Nous allons d’abord étudier la situation de HP avant ces dépréciations ainsi qu’après. Cela nous permettra de démontrer la destruction de valeur pour l’actionnaire suite à ces deux évènements. Enfin, nous étudierons les raisons qui ont conduit à cette situation, catastrophique pour les actionnaires. 2.1.2 HP avant les dépréciations HP a connu une très belle croissance, grâce à sa volonté d’innovation ainsi que sa politique d’acquisitions agressive. Entre 2007 et 2011, le chiffre d’affaires du groupe a progressé de 22%, 2011 marquant une pause dans la croissance (+0,9%). Nous trouvons ci-dessous les ratios principaux de HP pour l’année 2011. Ces ratios vont nous servir afin de calculer la création de valeur actionnariale pour l’année 2011. On constate que pour 2011, HP présente des ratios satisfaisant. Le ROCE est supérieur à la marge opérationnelle, ce qui montre que l’outil industriel est bien dimensionné pour l’activité du groupe à cette époque là. La structure financière est saine (gearing inférieur à 1),
  • 35. 32 l’endettement est de seulement 58% par rapport aux capitaux propres. De plus, le ROE à 18,31% démontre la bonne rentabilité des capitaux apportés par les actionnaires. Cependant, ces derniers ne sont pas nécessairement très bien rémunérés par le groupe, qui propose un ratio de distribution de seulement 12%. Notre but maintenant est de connaître l’EVA (Economic Value Added) générée par HP pour ses actionnaires avant que ne se produise les dépréciations, donc pour l’année 2011. Nous savons que le WACC (Weighted Average Cost of Capital) de HP pour l’année 2011 était de 6,51%. C’est donc ce pourcentage au minimum que les actionnaires attendent pour le ROCE. En effet il y a création de valeur pour l’actionnaire à partir du moment ou le ROCE est supérieur au coût du capital. Afin de calculer le ROCE offert aux actionnaires, nous avons fait le calcul suivant : EBIT / EMPLOYED CAPITAL L’employed capital étant la somme des non current assets et du working requirement capital. Cela nous donne un résultat de 12,23% Nous avons ensuite calculé l’EVA. Pour cela, nous avons soustrait l’EBIT au ROCE minimum attendu par les actionnaires. Le ROCE minimum attendu par les actionnaires n’est autre que l’employed capital multiplié par le WACC. Cela nous donne le résultat suivant : EBIT 2011 (Millions de dollars) 9 677 EMPLOYED CAPITAL 79 115 WACC 6,51% ROCE Mini Attendu 5 150 EVA 4 527 Pour l’année 2011, la création de valeur pour l’actionnaire était donc réelle. Le ROCE offert était de 12,23%, et le WACC de 6,51%. Cela donne donc une création de valeur pour l’actionnaire de 4,527 milliards de dollars. Sur la base de cette année là, l’hypothèse de destruction de valeur par les acquisitions ne se vérifie pas, quelles que soient les raisons invoquées pour les réaliser.
  • 36. 33 Nous allons voir maintenant qu’à plus long terme, ces acquisitions détruisent de la valeur pour l’actionnaire. 2.1.3 HP post dépréciations L’année 2012 va être une année très difficile pour HP. Successivement en août puis en novembre, elle va procéder à des dépréciations d’actifs résultant de l’acquisition de EDS et Autonomy Corporation. L’acquisition d’EDS s’était conclu à 13,9 milliard de dollars, dont 10,5 de goodwill. Autonomy Corporation avait été acquis pour 12 milliards de dollars, se traduisant dans les comptes par un goodwill de 6,9 milliards de dollars. Nous allons maintenant montrer les effets de ces dépréciations sur la valeur actionnariale. Certains des ratios se trouvant avant l’impairment du goodwill restent corrects. En effet, la marge brute reste inchangée, et la marge opérationnelle, même si elle a diminué, reste correcte à 7,72%. Le ROCE en partant du ROC reste supérieur à la marge opérationnelle. Cependant, l’impairment du goodwill, d’un montant de plus de 18 milliards de dollars va se révéler catastrophique pour l’entreprise et ses actionnaires. Le ROE est devenu négatif avec -
  • 37. 34 55,40% ; le résultat est négatif à -12 650 k$. Le gearing est passé à 97% (ou 127% en prenant en compte les dettes financières à court terme). Le ratio de distribution devient aussi négatif étant donné que le résultat est négatif. Des dividendes sont tout de même distribués pour 1 015 k$. Nous savons que le WACC (Weighted Average Cost of Capital) de HP pour l’année 2012 était de 4,89%. C’est donc ce pourcentage au minimum que les actionnaires attendent pour le ROCE. Comme dit précédemment, il y a création de valeur pour l’actionnaire à partir du moment ou le ROCE est supérieur au coût du capital. Afin de calculer le ROCE offert aux actionnaires, nous avons fait le calcul suivant : EBIT / EMPLOYED CAPITAL Cela nous donne un résultat négatif, l’EBIT étant négatif, à -19,25%. Nous avons ensuite calculé l’EVA, pour mesurer la destruction, cette fois ci, de valeur pour l’actionnaire de HP. EBIT 2012 (Millions de dollars) 9 677 EMPLOYED CAPITAL 57 448 WACC 4,89% ROCE Mini Attendu 2 809 EVA -13 866 Ces résultats nous montrent donc clairement la destruction de valeur pour l’actionnaire. Cette destruction de valeur représente 80% du goodwill enregistré pour l’acquisition de ces deux entreprises, et près de 60% du montant total du prix payé pour ces acquisitions. 2.1.4 Destruction de valeur actionnariale : facteurs d’approbation des actionnaires Nous venons de montrer par ces chiffres que les acquisitions de EDS en 2008 et d’Autonomy Corporation en 2011 se sont soldées par une destruction très importante de la valeur actionnariale, à cause des dépréciations qui ont dû être réalisée sur les deux entreprises. Ces dépréciations ont eu lieu respectivement quatre ans et un an et demi après acquisition. L’objet de ce sous-chapitre est donc, en relation avec l’étude théorique que nous avons menée
  • 38. 35 dans la première partie de ce travail, de comprendre pourquoi les actionnaires ont approuvé ces opérations, alors qu’elles étaient destructrices de valeur. Bien que nous ayons défini la valeur actionnariale par l’Economic Value Added dans ce mémoire, l’évolution du cours de bourse de HP est une bonne illustration des événements qui ont eu lieu. Depuis novembre 2015, le cours HP nommé « HPQ » est celui de HP Inc, issu du spin off de HP en deux entités : HP Inc et HP ES (Enterprise Services). Graphique cours HPQ Yahoo Finance - MSN Money - Reuters 02/06/2017 2.1.4.1 Prix de la cible 2.1.4.1.1 EDS Le communiqué de presse émis par HP le 13 mai 2008 indique en titre le montant payé par le groupe pour l’acquisition de EDS : « HP to Acquire EDS for $13.9 Billion », soit 25 dollars par action, payés en cash. EDS réalisait à cette époque 22 milliards de dollars de chiffre d’affaires et était le numéro deux mondial du secteur, derrière IBM. HP réalisait un chiffre d’affaires de 107,7 milliards de dollars. L’EBITDA d’EDS en 2007 était de 2,35 Milliards de dollars. La dette nette pour EDS en 2007 était de 0,2 milliards de dollars, avec une trésorerie et équivalent à 3,1 milliards de
  • 39. 36 dollars et une dette totale de 3,3 milliards de dollars (Moody’s). L’acquisition s’est donc réalisée sur un multiple de 6 fois l’EBITDA. Sur la base d’une acquisition à 13,9 milliards de dollars, ce sont 10,5 milliards qui ont été enregistrés en goodwill (HPQ FORM 10-Q), ce qui donne une valeur d’actif pour EDS de 3,4 milliards. L’impairment passé en 2008, de 10,8 milliards de dollars, correspond donc à la totalité du goodwill enregistré. L’acquisition s’est réalisée en mai 2008. La crise des subprimes avait déjà touché les Etats Unis, mais la crise financière n’allait réellement débuter qu’à l’automne 2008. Le marché était encore haut à cette époque, et comme nous l’avons vu dans la première partie, lorsque le marché est haut, les cibles se paient (trop) cher. « HP admet ainsi avoir surpayé certaines de ses acquisitions passées parmi lesquelles Compaq et EDS » (Le Mag IT, 23 août 2012). Enfin, HP a aussi surpayé cette cible car il entendait combler un retard qu’il avait pris vis-à-vis de son principal concurrent dans le secteur des services informatiques, IBM, et l’annonce de l’acquisition avait alors accueillie favorablement : « […] EDS, une SSII qu’il avait racheté en 2008. Une acquisition que tout l’écosystème IT avait pourtant salué à l’époque. Car elle annonçait la mutation du modèle économique de HP vers les logiciels et les services, à l’instar de son grand rival, IBM » (channelbp.com, 20 novembre 2012). Une des raisons pour lesquelles de la valeur actionnariale a été détruite est donc le prix trop élevé payé pour l’acquisition d’EDS. Nous avons vu que ce prix déconnecté était dû à la tendance du marché au moment de l’acquisition, et que cette acquisition était stratégique d’un point de vue de la concurrence, avec IBM notamment. Dans un contexte de marché haut où les cibles se paient cher, on comprend pourquoi ce prix exorbitant n’a pas alerté les actionnaires. Comme nous l’avons vu avec la finance comportementale, les investisseurs ont tendance à se remémorer plutôt des évènements récents. Donc si les cibles se sont payés sur des multiples trop élevés récemment, les actionnaires des entreprises initiatrices n’auront donc pas de mal à l’accepter. Ensuite, l’acquisition était cohérente d’un point de vue stratégique, et les investisseurs se sont contentés des explications avancées dans le communiqué de presse, qui pourtant n’évoque à aucun moment la création de valeur pour l’actionnaire de HP. Communiqué de presse du 13 mai 2008 : « HP to Acquire EDS for $13.9 Billion » : « The combination of HP and EDS will create a leading force in global IT services," said Hurd. "Together, we will be a stronger business partner, delivering customers the broadest, most
  • 40. 37 competitive portfolio of products and services in the industry. This reinforces our commitment to help customers manage and transform their technology to achieve better results." Rittenmeyer said, "First and foremost, this is a great transaction for our stockholders, providing tremendous value in the form of a significant premium to our stock price. It's also beneficial to our customers, as the combination of our two global companies and the collective skills of our employees will drive innovation and enhance value for them in a wide range of industries. In addition, our Agility Alliance will be significantly strengthened." Nous pouvons aussi imaginer que HP a dû payer cher sa cible car il avait un retard à combler vis-à-vis de IBM. Si un autre concurrent mettait la main sur EDS (qui était une cible du fait de sa fragilité financière à ce moment là), HP, déjà en retard sur les services informatiques, qui étaient censés prendre le relai de la croissance du groupe suite à l’essoufflement de la branche « Products », aurait été à son tour en danger. 2.1.4.1.2 Autonomy Corporation HP a annoncé l’acquisition d’Autonomy Corporation par communiqué de presse le 18 août 2011. La prime annoncée est de 58 à 64%. Cela représente une prix d’achat de 12 milliard de dollars. Dès l’annonce, certains comme Larry Ellisson, le patron d’Oracle, avait de gros doutes quant à la valorisation offerte à Autonomy : « Oracle […] affirmait que l’anglais Autonomy, spécialisé dans les logiciels d’entreprise, l’avait contacté en début d’année afin de se faire racheter pour environ 6 milliards de dollars. Oracle avait alors refusé l’offre, jugeant cette dernière franchement trop élevée. Or en rachetant Autonomy pour 11,7 milliards de dollars, HP a quasi doublé une somme qu’Oracle trouvait pourtant surévaluée » (nextimpact.com, 21 novembre 2012). De graves accusation ont été faites quant à des possibles irrégularités comptables, qui auraient gonflé le résultat d’Autonomy, et ainsi gonflé la valorisation. Ces accusations ont toujours été réfutées par le fondateur d’Autonomy. Il a selon lui vendu une entreprise florissante, en progression depuis 10 ans, et sur laquelle nombre d’auditeurs et banquiers d’affaires se sont penchées afin de déterminer les conditions du deal. Près de 300 personnes ayant travaillé sur l’opération, s’il y avait eu des irrégularités, elles auraient été découvertes. L’autorité de lutte contre la fraude et la corruption anglaise (SFO) a enquêté sur les faits reprochés et finalement classé l’affaire au début de 2015.
  • 41. 38 Une fois encore pour HP, l’actionnaire serait donc lésé à cause d’erreurs de jugement sur la valeur des cibles et la tendance à les surpayer. Il aurait malgré tout approuvé pour les mêmes raisons que pour EDS : les biais introduits par les heuristiques de jugement ou de disponibilité. Ils mènent à des raisonnements faciles, ne prenant pas en compte tous les facteurs. Les opérations aux paramètres aussi complexes que les fusions-acquisitions ne devraient souffrir d’aucun biais pour décider de leur réalisation. HP met en cause les perspectives de croissance trop ambitieuses vendues par Autonomy Corporation. Les dirigeants de HP avaient sûrement envie d’y croire, et on retrouve une explication dans la finance comportementale, à savoir que l’on ira plus facilement vers un raisonnement qui va dans le sens de ce que l’on souhaite, ou de ce dont on est convaincu. 2.1.4.2 Communication 2.1.4.2.1 EDS De même que pour Autonomy Corporation, les termes habituels de synergie et relutivité sont donnés comme caution pour la réalisation de l’opération d’acquisition d’EDS par HP. HP to Acquire EDS for $13.9 Billion (communiqué de presse du 18 mai 2008) : « HP anticipates that the transaction will be accretive to fiscal 2009 non-GAAP earnings and accretive to 2010 GAAP earnings. Significant synergies are expected as a result of the combination. » « Acquiring EDS advances HP's stated objective of strengthening its services business […]. The combination will provide extensive experience in offering solutions to customers in the areas of government, healthcare, manufacturing, financial services, energy, transportation, communications, and consumer industries and retail. » Ce sont des éléments assez vagues qui sont avancés comme arguments à l’opération de fusion-acquisition. Si les arguments en faveur d’une opération stratégique pour l’entreprise peuvent être entendus sans peine, les arguments appuyant le fait que cette acquisition est une bonne opération pour les actionnaires sont les grands absents de la communication. Pour autant, les actionnaires ont approuvé l’opération. Cela signifie que les arguments avancés en faveur de la réalisation de l’opération les ont assez convaincus. On peut cependant imaginer qu’avant
  • 42. 39 même de regarder quelconque argument, ils aient été convaincus du caractère favorable de l’acquisition. En effet, en se basant sur des éléments de finance comportementale étudiés dans la première partie de notre travail, l’hypothèse selon laquelle les investisseurs agissent souvent par analogie plus que par logique nous explique ce résultat. Comme nous l’avons vu dans la rapide présentation de l’historique du groupe HP, ce dernier s’est beaucoup développé grâce à des acquisitions. Et cela s’est révélé une stratégique gagnante car HP est devenu un des plus grands groupes du monde. Les acquisitions ayant été le moteur de la croissance du groupe, et s’étant déroulées de manière plutôt réussie, les investisseurs n’étudient plus en profondeur chaque acquisition et se laissent guider par leurs croyances et les dernières opérations. Ils approuvent car la stratégie du groupe a été fructueuse jusqu’à présent, et laissent de côté des éléments qui seraient pourtant essentiels à étudier. 2.1.4.2.2 Autonomy Corporation Cette fois-ci, la création de valeur au profit de l’acquéreur, HP, n’a pas été la grande oubliée du communiqué de presse. Cependant, aucune explication n’est donnée quant aux moyens mis en œuvre pour réaliser la croissance de valeur actionnariale légitimement attendue. En revanche les très attendus, « synergies », « caractère stratégique » et « effet relutif » sont bien au rendez-vous. HP to Acquire Leading Enterprise Information Management Software Company Autonomy Corporation plc (communiqué de presse du 18 août 2011) : « […] Complements HP’s existing technology portfolio and enterprise strategy: Autonomy offers solutions that are synergistic across HP’s enterprise offerings and strengthens capabilities for data analytics, the cloud, industry capabilities and workflow management […]. ». « […] “Autonomy presents an opportunity to accelerate our strategic vision to decisively and profitably lead a large and growing space,” said Léo Apotheker, HP president and chief executive officer. […] ». « […] Accretive to HP’s earnings: HP expects the acquisition to be accretive to non- GAAP earnings per share for HP shareholders in the first full year following completion. […] ».
  • 43. 40 Les raisons évoquées quant à l’approbation du deal pour EDS peuvent être reprises également pour l’acquisition d’Autonomy. Cette étude des acquisitions de EDS et Autonomy Corporation par HP a illustré certaines des hypothèses avancées pour déterminer pourquoi les actionnaires approuvent les fusions- acquisitions, alors que les très nombreuses études portant sur le sujet nous montrent qu’elles se révèlent dans la plupart des cas destructrices de valeur pour eux. En premier lieu, nous avons étudié le prix de la cible. En effet, pour les deux acquisitions, EDS et Autonomy Corporation, tout le monde s’accordait pour dire que la prime était beaucoup trop élevée, Autonomy Corporation ayant même été payée par HP le double de ce qu’Autonomy Corporation avait elle même demandé à un autre acquéreur potentiel (Oracle) peu de temps auparavant. Cependant, ce prix a été à un moment donné validé chez HP, notamment par le conseil d’administration, représentant des actionnaires. Nous avons établi que cela provenait entre autre de biais cognitifs comme l’heuristique de disponibilité, ou de jugement. Nous avons ensuite essayé de comprendre comment, malgré tous ces éléments défavorables, les acquisitions ont tout de même été approuvées, et cela par le biais de la communication qui a été faite concernant ces acquisitions. Nous en sommes arrivés à des conclusions identiques que concernant le prix de la cible. Ces opérations ont été accueillies favorablement car dans les éléments de communication, les mots habituellement employés pour justifier ces opérations ont également été utilisés. Etant donné que les fusions-acquisitions précédentes avaient donné un résultat satisfaisant, les actionnaires, en simplifiant leur raisonnement, ont déduit que les mêmes causes produiraient les mêmes effets. Las, ils n’ont pas pris en compte tous les éléments, simplifiant trop leur raisonnement, et cela les a menés à être favorable à des décisions destructrices de valeur pour eux. L’étude empirique portant sur HP a illustré la partie ayant trait aux biais cognitifs, aux différentes heuristiques, décrits dans la finance comportementale. La gestion des impressions, par l’emploi de termes choisis avec grand soin dans la communication financière des initiateurs de fusions-acquisitions, est aussi illustrée par les exemples de communiqués de presse des annonces de réalisation de rapprochement entre HP et EDS et Autonomy Corporation. Nous allons maintenant illustrer les autres hypothèses que nous avons avancées pour expliquer comment on arrive à ce que les actionnaires approuvent des décisions qui leurs sont défavorables. C’est donc sous l’angle de l’hubris (qui signifie « démesure ») et de l’ego, que
  • 44. 41 nous allons aborder les opérations de fusions-acquisitions, et notamment celle, ratée, de Publicis et Omnicom. 2.2 Le cas Publicis – Omnicom : égo dans les fusions entre égaux L’étude de Hayward et Hambrick (1997) se penche sur le rôle de l’hubris du dirigeant, ou son excès de confiance, par le bais les primes très élevées payées par les dirigeants. Le prix des primes payées (dont le montant surélevé est une des causes de destruction de valeur pour une opération de fusion-acquisition) est associé à l’hubris de différentes manières. Les performances passées récentes, un récent éloge du dirigeant dans les médias, la mesure de l’importance personnelle du dirigeant, voire ces trois éléments combinés, sont associés. De plus, cette étude nous montre que la relation entre prime payée et hubris du dirigeant est encore plus étroite lorsque le conseil d’administration manque de vigilance, ou que celui-ci présente peu d’administrateurs externes. En lien avec l’hubris, qui englobe la perception du dirigeant dans les médias, ou son importance personnelle, l’ego joue un rôle extrêmement important dans la décision de réaliser une opération de fusion-acquisition pour une entreprise. Les dirigeant en panne de stratégie ou de vision, développent une « égo-stratégie » (Gouali, 2009). Cette égo-stratégie se base sur des actions spectaculaires censés créer de la valeur pour l’actionnaire, mais qui sont avant tout un outil d’autopromotion, de développement de l’hubris, qui ainsi vont induire en erreur les actionnaires et le marché. Les méga fusions-acquisitions sont une illustration de cet égo des dirigeants. Ils vont payer des primes très élevées pour des opérations de fusions-acquisitions qui feront parler d’eux. Ou bien, comme dans le cas que nous allons étudier maintenant, l’opération ne se réalise pas pour cause d’égos incompatibles de dirigeants. Dans le telles batailles d’égo, on peut se demande dans quelle mesure la création de valeur pour l’actionnaire à pris part aux décisions… 2.2.1 Contexte 2.2.1.1 Publicis Publicis est un groupe de communication, français, créé dans les années 20 en France. A la date du projet de fusion avec Omnicom en 2014, il est le numéro trois mondial de la publicité, avec un chiffre d’affaires de près de 7 milliards d’euros pour 816 millions d’euros de
  • 45. 42 résultat net, et environ 60.000 employés dans le monde. Sa capitalisation boursière est à l’été 2013 de 12,5 milliard d’euros (15,6 milliard de dollars). Publicis est déjà présent sur les cinq continents, à travers des implantations dans une centaine des pays. Le groupe est dirigé depuis 1976 par Maurice Levy, jusqu’à sa nomination au poste de Président Directeur Général en 1987, lorsque le fondateur de Publicis, Marcel Bleunstein-Blanchet passe la main. Le groupe s’est hissé à la troisième place mondiale à coup d’acquisitions à partir des années 2000. L’acquisition de Saatchi&Saatchi en 2000 le mène à la cinquième place mondiale. Près de trente acquisitions plus tard (telles celles de Performics Search Media, Satrcom Media Vest, ou encore Razofish, Rosetta ou Healthcare Consulting) en 2013, le groupe Publicis est le troisième publicitaire mondial. 2.2.1.2 Omnicom