Le deficit des regimes de retraite tunisiens ezzeddine mbarek
1. LE DEFICIT DES REGIMES DE RETRAITE TUNISIENS : causes et
propositions de solutions
Ezzeddine M’BAREK
économiste
C’est aujourd’hui un constat sans appel que les régimes privés ou publics de
retraite connaissent des déficits alarmants et ce depuis plusieurs années.
Les ajustements utilisés pour rétablir l’équilibre entre les dépenses et les
recettes sont essentiellement basés sur le relèvement des taux de cotisation. Mais
en vain, l’équilibre ne perdure qu’éphémèrement ou n’ait jamais atteint.
Toutefois, ce taux de cotisation devient très élevé (20,7% dans le secteur public
à la charge de l’employeur 12,5% et du salarié 8,2%) à tel point qu’il a eu un
effet négatif sur le revenu disponible des ménages et par conséquent sur leur
consommation des biens et services.
De l’autre coté, le coût du travail devient plus important pour les employeurs qui
désirent recruter davantage et ceci décourage la demande de l’emploi dans une
économie qui cherche à sortir du gouffre du chômage.
Les causes de cette situation sont multiples et principalement :
1. Un régime de répartition très généreux : Le régime de retraite tunisien,
fondé sur la solidarité entre les générations, est depuis sa création et aussi par la
suite donne des avantages aux pensionnés qui ne respectaient pas les règles
actuarielles et prudentielles. C’est l’aisance financière de l’époque du régime
d’une part et les démagogies politiciennes d’autre part qui ont poussé les
pouvoirs publics en place à aller dans ce chemin sans avoir une vision
stratégique et de longue durée.
2. Une croissance économique qui ne génère pas assez de postes d’emplois :
Puisque la stratégie adoptée repose sur une économie orientée vers la
spéculation, l’encouragement du secteur tertiaire et le libéralisme non contrôlé.
La richesse est entre les mains d’une minorité d’individus qui n’investissent que
peu dans des projets de grande taille alors que l’Etat quitte progressivement la
scène économique.
3. Une mauvaise gouvernance : C’est d’abord lors de la création du régime et
surtout en 1985 que les importants excédents financiers enregistrés ont eu un
effet sur la décision d’octroyer des prestations à des niveaux très élevés qui ne
seraient viables qu’à court terme et ce à des fins politiques et non économiques
et rationnelles.
Les caisses sociales sont sous l’autorité de l’Etat et ne peuvent pas bâtir une
politique propre et compte tenu de leurs moyens financiers malgré qu’elles
bénéficient de l’autonomie financière avec de surcroît un conseil
d’administration qui siège le plus souvent pour mettre l’aval sur les propositions
du ministère du tutelle ou du gouvernement.
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2. 4. Intervention de l’Etat : L’autonomie financière des caisses n’était pas réelle
puisque les caisses ont contribué dans des projets qui n’entrent pas dans leurs
domaines en prenant en charge certaines prestations qui relèvent de l’assistance
sociale et non de l’assurance sociale.
De même, certains investissements et placements financiers ont été orientés vers
des projets peu rentables compte tenu des directives des pouvoirs publics alors
que les marchés financiers offraient plus de rentabilité et d’opportunités.
5. La démographie : Pour se désengager de la responsabilité du déficit, tout le
monde crie que la cause principale du déficit c’est la démographie et plus
précisément l’augmentation plus forte du nombre des retraités par rapports aux
actifs cotisants.
Mais au concret cet indice appelé rapport démographique c’est en quelque sorte
l’arbre qui cache la forêt. En effet, le problème d’un régime de répartition c’est
le nombre des recrus du coté des recettes c’est-à-dire l’arrivée sur le marché de
l’emploi de nouveaux demandeurs d’emplois et ceci et bien évidemment lié avec
les montants investis dans des projets créateurs d’emplois.
De ce fait et puisque on a un grand nombre de chômeurs avoisinant maintenant
un million, le problème démographique ne se pose que du coté des dépenses et
c’est normal que l’espérance de vie à la naissance s’améliore pour que les
retraités vivent plus longtemps.
Notre population est encore jeune comme le montre le pyramide des âges
(environ 10% de la population sont âgés de 60 ans et plus) et il est encore très
tôt pour parler d’une croissance démographique nulle.
Si une croissance économique absorbe une partie de la population active
inoccupée actuellement, les régimes de retraite trouvent leur équilibre
normalement ou au moins le déficit serait minime et bien maîtrisé.
Devant cette situation qui s’aggrave au fil des années, il y a lieu de proposer
quelques solutions tout en affirmant qu’il n’y ait pas de remèdes miracles à ce
problème devenu plutôt structurel que conjoncturel.
1. Une croissance économique soutenue : C’est la solution miracle qui peut
nous mener vers l’équilibre sans même penser à des solutions draconiennes voir
un abaissement du niveau des prestations par exemple.
2. Trouver d’autres moyens de financement : Cette manière de voir les choses
repose sur le postulat qui accepte le niveau actuel des prestations eu égard au
bien- être social et de chercher à combler le déficit en misant sur d’autres
sources de financement voir même l’intervention de l’Etat comme c’est le cas de
plusieurs pays dans le monde.
3. Diminuer le niveau des prestations : Etant donné que le niveau du taux de
cotisation atteint son seuil maximum et il est inopportun de jouer sur ce
paramètre à long et à moyen terme, il est donc envisageable de rectifier le tir du
coté des prestations. Mais, on va toucher en plein cœur le droit acquis, notion
très sensible aux syndicats et aux travailleurs. C’est autour d’un compromis et
des négociations sociales qu’on pourrait peut-être arriver à des fins tangibles.
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3. 4. Allonger la durée de l’activité : La plupart des pays du monde maintient
leurs actifs pour plus de 60 ans et ce en corrélation avec l’amélioration de
l’espérance de vie à la naissance. La Tunisie ne peut pas faire l’exception alors
que la durée de vie espérée est d’environ 75 ans ou plus.
De cette façon, on ne gaspille pas nos compétences en ressources humaines,
donnée très importante en matière de compétitivité et de savoir faire et en
laissant aux autorités une marge de manœuvre pour réfléchir sur des solutions
structurelles et bien fondées.
La solution opposée qui propose un départ massif des actifs avant terme pour
résoudre le problème du chômage est contre toute logique puisque le seul
responsable du chômage est la croissance économique conjuguée avec une
inadéquation chronique entre l’offre et la demande dans le marché de l’emploi.
En effet, notre croissance économique n’est pas bien gouverné en ce sens que la
richesse produite est entre les mains d’une minorité qui la gaspille dans des
projets non générateurs de postes d’emplois (biens de luxe, spéculation,
services,…). De même, la répartition de cette richesse est inégalitaire entre les
individus et entre les différentes régions du pays.
Le départ en retraite avant l’âge légal va diminuer le potentiel national en
compétences et par conséquent peut nuire à la compétitivité de l’économie
nationale et par conséquent à la croissance économique.
De plus, un grand nombre de retraités expérimentés dont l’âge varie entre 50 et
60 ans pourraient travailler illégalement dans une économie où l’activité
informelle est importante, ce qui ne réduit pas le chômage.
5. Instaurer un régime basé sur le principe de la capitalisation (les fonds de
pension) : Ce type de financement basé sur ce qu’on appelle les fonds de
pension exige un paysage économique et social bien défini à savoir :
- un salaire élevé pour supporter les taux élevés de contribution sans
compromettre le train de vie normal ;
- un marché financier très développé pour pouvoir absorber un très grand
nombre de titres et générer des intérêts et avantages conséquents sans tomber
dans les crashs financiers et la non solvabilité.
L’économie tunisienne à l’heure actuelle ne peut pas permettre d’entrer dans
cette aventure meurtrière alors qu’il est possible d’essayer ce type de mécanisme
pour une proportion ne dépassant pas 10% afin d’acquérir l’expérience et de voir
les conséquences sans subir un grand risque.
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