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Les pédagogies actives
1. Les « pédagogies actives »
aujourd’hui et demain :
quelle Ecole ?
Philippe Meirieu
Genève - 16 mai 2006
2. Introduction
J’ai rencontré d’abord Freinet comme une
« image », une « icône »…
Puis, j’ai été amené, en travaillant sur ses
textes, à percevoir les contradictions qui
traversent son œuvre…
J’ai observé, en particulier, à quel point tout
son travail était structuré par la volonté de
concilier la finalisation et la formalisation…
3. Finaliser…
pour faire émerger
les savoirs dans la
dynamique même
du développement
de l’enfant…
au risque de faire
l’impasse…
Formaliser…
pour permettre de
vérifier les
acquisitions et
garantir à tous la
maîtrise des
savoirs…
au risque de passer
son temps à faire
l’inventaire…
4. Pour dépasser cette tension Freinet a imaginé
plusieurs types de dispositifs…
la juxtaposition des activités obéissant aux deux
logiques (correspondance, journal scolaire, enquêtes,
d’un côté, « bandes enseignantes » de l’autre),
l’articulation de ces logiques par le « conseil » au cas
par cas,
l’articulation de ces logiques par le système des brevets
(brevets obligatoires et brevets facultatifs) ; cette
formule permet de travailler sur le problème rémanent
des « méthodes actives » : « Comment éviter que la
prégnance de la finalisation n’entraîne l’exclusion des
moins compétents ? »
5. Cette réflexion sur Freinet m’a amené à penser la
question pédagogique autrement…
à partir d’une analyse épistémologique des discours
pédagogiques comme « catégorie littéraire »,
en observant comment ces discours témoignent des
contradictions constitutives du projet d’éduquer,
en cherchant comment les pédagogues, plus ou moins
délibérément, ont tenté de dépasser ces contradictions
par l’invention de dispositifs »,
en explicitant le statut « scientifique » original de ces
dispositifs : créations bricolées pour faire exister dans
la temporalité ce qui reste une aporie tant qu’on est
dans l’idéologie.
6. Mes hypothèses de travail
développées dans La pédagogie entre le dire et le faire (Paris, ESF,
1995) et Faire l’Ecole, faire la classe (Paris, ESF, 2004) :
Le discours pédagogique de l’Education
nouvelle et des « méthodes actives » est
traversé de contradictions…
Ces contradictions sont fécondes dès
lors qu’elles ouvrent un espace à
l’invention qui permet de les dépasser…
7. Une contradiction fondatrice du
discours pédagogique :
« Tous les élèves
peuvent apprendre »
« On ne peut contraindre
un élève à apprendre »
Principe d’éducabilité Principe de liberté
C’est en assumant la tension entre ces deux principes
que l’action pédagogique se définit comme
« construction, sans cesse à remettre en chantier, de
situations permettant aux élèves d’engager leur liberté
8. D’autres contradictions fondatrices
du discours pédagogique :
On n’apprend bien que si l’on donne du sens
à ce que l’on apprend en l’inscrivant dans un
projet.
L’apprentissage nécessite une démarche
formalisée et suppose progressivité et
exhaustivité.
On ne peut enseigner qu’en s’appuyant sur
ce que la personne est et sait déjà.
On ne peut faire progresser un sujet qu’en
l’aidant à transgresser le donné.
Il faut s’appuyer sur l’intérêt des élèves. Il ne faut pas enfermer les élèves dans leurs
préoccupations immédiates.
Il faut aimer les enfants et entretenir avec eux
des « bonnes relations ».
Il faut aider les enfants à se dégager de toute
forme de dépendance, y compris à notre
égard.
La punition est toujours un échec et il faut
l’éviter.
La punition est formatrice car elle permet
« l’attribution » au sujet de ses propres actes.
« On n’enseigne pas ce qu’on sait, mais ce
qu’on est. »
Il n’y a d’éducation que dans la transmission
de savoirs qui dépassent ceux qui les
transmettent.
9. Un même modèle est possible pour penser, à la
fois, l’acte d’apprendre et l’Ecole…
Ce modèle articule :
1. un projet politique permettant de « faire
société »,
2. la volonté d’instruire et d’émanciper en même
temps,
3. des situations structurées et ouvertes à la fois,
4. la prise en compte et la subversion du donné,
5. des démarches permettant de s’impliquer et
de progresser,
10. 1- Un projet politique permettant
de « faire société »…
Des apprentissages qui
donnent à l’enfant la
possibilité d’entrer en
relation avec l’altérité,
d’entendre le point de
vue de l’autre, de le
prendre en compte pour
accéder aux savoirs et
élaborer le bien commun.
Une Ecole qui rend
possible l’exercice de la
délibération
démocratique en formant
des hommes pour qui la
recherche de la
précision, de la rigueur,
de la vérité, du bien
commun l’emporte sur
les rapports de force.
11. Mettre en œuvre des apprentissages centrés sur le conflit
socio-cognitif : que les personnes aient assez de choses
en commun pour pouvoir se parler et assez de différences
pour avoir quelques chose à se dire.
Pour promouvoir une Ecole qui accompagne l’enfant dans
son développement indissociablement psychologique,
intellectuel, social et politique : la capacité à articuler
centration et décentration doit être au cœur de toute la
démarche.
Un projet politique permettant de « faire
société »…
12. 2 - La volonté d’instruire et
d’émanciper en même temps…
Des apprentissages
qui, dans le même
mouvement,
transmettent et
émancipent, grâce à
la démarche
expérimentale et à la
recherche
documentaire.
Une Ecole qui, en même
temps, unit et libère les
hommes : elle les unit
en les faisant accéder à
leur ressemblance ; elle
les libère en leur donner
les moyens de
s’émanciper de la
pression à la norme.
13. Mettre en œuvre des apprentissages visant des objectifs
d’acquisition précisément identifiés, communs pour tous les
élèves et qu’ils peuvent atteindre grâce à des dispositifs
réflexifs.
Pour promouvoir une Ecole capable de transmettre une
véritable culture inscrite dans un processus
d’universalisation et non d’imposition d’un universel a
priori… La culture, en ce sens, libère et unit parce
qu’elle relie l’individuel à l’universel.
La volonté d’instruire et d’émanciper en
même temps…
14. 3 - Des situations structurées et
ouvertes à la fois…
Des apprentissages
finalisés par des tâches,
structurées autour d’une
activité mentale,
effectués grâce à
l’interaction des
consignes et des
matériaux, ouvrant sur
d’autres apprentissages.
Une Ecole finalisée
par un projet
collectif en devenir
qui permet à chacun
d’avoir une place
sans y être enfermé.
15. Mettre en œuvre des apprentissages à partir de
questions simples mais essentielles :
Qu’est-ce que je veux que l’élève apprenne ?
Pour cela, qu’est-ce que je veux que l’élève comprenne ?
Pour cela, qu’est-ce qu’il doit faire mentalement ?
Pour cela, qu’est-ce que je dois lui demander de faire concrètement ?
Pour cela, qu’est ce que je dois lui fournir comme matériaux et
consignes ?
Et comment je peux le rendre conscient du processus que je viens de
mettre en place avec lui ?
Pour promouvoir une Ecole qui permette à chacun de
découvrir qu’il peut apprendre ce qu’on lui propose… et des
tas d’autres choses !
Des situations structurées et ouvertes à la
fois…
16. 4 - La prise en compte et la
subversion du donné…
Des apprentissages
où chacun s’appuie
sur ce qu’il maîtrise
déjà pour découvrir
de nouveaux savoirs.
Une Ecole où
chacun est
accompagné en
fonction de ses
besoins, sans être
classé en fonction
de sa « nature ».
17. Mettre en œuvre des apprentissages…
articulés sur les savoirs, OU les compétences, OU les capacités, OU
les intérêts existants (OU et surtout pas ET),
capables d’ouvrir à de nouveaux savoirs OU de permettre l’accès à de
nouvelles compétences et de nouvelles capacités, OU de faire découvrir
de nouveaux centres d’intérêt.
Pour promouvoir une Ecole qui n’utilise les catégorisations
de toutes sortes que comme des outils provisoires et
permette une redistribution systématique des cartes.
La prise en compte et la subversion du
donné…
18. 5 - Des démarches permettant de
s’impliquer et de progresser…
Des apprentissages
qui articulent
systématiquement :
« projet / obstacles /
ressources /
réinvestissement »
Une Ecole centrée
sur le dépassement
de soi à travers
l’élaboration
exigeante de « chefs
d’œuvres ».
19. Mettre en œuvre des apprentissages qui incarnent au
quotidien la dialectique « question / réponse », en
garantissant :
que les questions sont bien construites,
que les réponses sont bien accessibles,
que la dialectique entre les unes et les autres est bien identifiée
comme telle.
Pour promouvoir une Ecole qui écarte l’évaluation marchande
et permette à chacun de s’investir dans un projet dont il
puisse être fier et dont la réalisation fonctionnera comme
archétype mental.
Des démarches permettant de s’impliquer
et de progresser…
20. 6 - L’institution de cadres qui
favorisent l’émergence de sujets …
Des apprentissages
organisés qui
articulent :
1) focalisation,
2) recherche,
3) formalisation.
Une Ecole qui
« institue », en
structurant l’espace,
le temps, les
relations entre les
personnes, pour
sortir de
l’indifférenciation et
du chaos.
21. Mettre en œuvre des apprentissages qui prennent en
compte les exigences anthropologiques de l’acte mental :
rituels de passage, structuration de l’espace, symbolisation
de l’activité, marquage de l’appartenance, césure
permettant la rupture, etc.
Pour promouvoir une Ecole qui diminue la tension afin de
favoriser l’attention, qui permette aux sujets de se mettre en
jeu… et en je.
L’institution de cadres qui favorisent
l’émergence de sujets…
22. 7- Un modèle qui porte les
conditions de son dépassement…
Des apprentissages
qui permettent, en
permanence, de
faire l’aller-retour
entre les contextes
où ils s’effectuent et
d’autres contextes.
Une Ecole qui sait
préserver sa
spécificité, tout en
faisant circuler les
savoirs entre elle et
1) la vie quotidienne,
2) le monde de la
culture, 3) les réalités
professionnelles.
23. Mettre en œuvre des apprentissages qui fassent, en
permanence et dans les deux sens, des « ponts » entre les
savoirs extérieurs et les modèles proposés en interne.
Pour promouvoir une Ecole qui permette de relier…
la famille et l’univers scolaire,
l’école et la Cité,
le sujet et le monde…
Un modèle qui porte les conditions de son
dépassement…
24. Pour ne pas conclure…
Être fidèle à la dynamique de
l’Education nouvelle et des « méthodes
actives », c’est se donner le droit de
penser autre chose que l’existant,
refuser de prendre les modalités pour
les finalités et s’autoriser à inventer des
nouvelles modalités pour incarner nos
finalités.