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Le miasme et la jonquille 
CORBIN Alain, Aubier, Montaigne, 1982
Diverses éditions augmentées, en version papier et numérique, d'une
fiche de lecture
1
 
Le XIXème siècle marque un tournant dans les perceptions olfactives ex la sensibilité aux
mauvaises odeurs s'est accentuée faisant de nous des êtres intolérants à tout ce qui vient rompre
le silence olfactif de notre environnement. Notre refus des odeurs ne résulte pas du seul progrès
des techniques (vaporisateur, déodorant corporel) mais traduit l'aboutissement de la modification
de notre perception des odeurs.
Alain Corbin propose d'analyser ce qu'il appelle la révolution olfactive qui s'est opérée à partir des
premières découvertes scientifiques, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, et s'est achevée
avec le triomphe des théories pasteuriennes, à la fin du XIXème siècle.
En s'intéressant à ce qui nous paraît le plus naturel et personnel, il met en évidence que l'odorat est
un construit social qui évolue au cours du XIXème siècle en fonction des représentations des
savants, des élites et des individus. L'auteur défend l'idée d'une révolution non linéaire et très lente
qui se profile parallèlement à l'affirmation de la bourgeoisie sur la scène politique et économique
(au détriment de l'aristocratie).
Sa réflexion sur le corps individuel est indissociable d'une réflexion plus générale sur le corps social
(à travers les tentatives pour réorganiser les villes et les recommandations des médecins-
hygiénistes).
Il met ainsi en évidence les étroites relations qu'entretiennent les deux niveaux d'analyse.
1
 ​Fiche de lecture réalisée par Sandrine Roque (ENS Lyon) et librement adaptée pour les besoins de la formation. 
1 
Première partie. Révolution perceptive ou l'odeur suspecte
1.1 L'air et la menace putride
Avant 1750, l'air est considéré comme un fluide élémentaire et non comme le
résultat d'une combinaison chimique, mise en évidence par la chimie
pneumatique. L'air est considéré comme un fluide et possède des qualités
physiques variables suivant le temps, le lieu. Il règle l'expansion des fluides et
la tension des fibres du corps à travers la pression qu'il exerce sur les
organismes. Se met ainsi en place un équilibre instable, sans cesse rétabli par
les pets, les rots, les vents, les mécanismes d'ingestion et d'inhalation, entre
l'air externe et l'air interne à l'organisme.
Dans une telle perspective, l'air est considéré comme une substance élémentaire qui joue le rôle de support inerte, par
exemple il véhicule un amas de particules (calories, électricité, particules magnétiques) qui lui sont étrangères. L'odorat
ne joue aucun rôle déterminant dans la perception des odeurs. La mesure des qualités physique de l'air passe par le
toucher et des instruments scientifiques aux résultats très imprécis.
Pour contrer cette imprécision, les chimistes, entre 1770 et 1780 formulent un double projet. Exemple : procéder à
l'inventaire et à la dénomination des mixtes présents dans chacun des fluides et créer de fait un langage olfactif.
D'autre part, ils souhaitent repérer les rythmes de putréfaction et les situer sur une échelle olfactive.
Dès lors, l'odorat s'affirme comme un sens privilégié pour l'observation, à côté d'un instrument scientifique
(l'eudiomètre). En l'espace de quelques années se constitue un tableau des airs respirables.
Bien que la classification soit confuse et mouvante, des tendances se dessinent. Exemples : l'air fixé, l'acide sulfureux,
l'air inflammable, l'alcali volatil et le foie de soufre. Désormais, l'air n'est plus considéré comme une combinaison de
mixtes mais comme un mélange de gaz dont les proportions respectives déterminent sa qualité (oxygène, azote, …).
Le début du XVIIIème amorce une révolution dans laquelle l'odorat joue un rôle ; l'eudiomètre ayant rapidement révélé
ses limites. Parallèlement aux expériences sur la putréfaction se construit une signification sociale de ce que nous
considérons aujourd'hui comme nauséabond. Associer une signification sociale à une odeur est un construit dont les
premières bases s'élaborent avec ces expériences.
« L'attention olfactive au putride traduit l'angoisse de l'être du corps qui ne peut fixer, retenir les éléments qui le
composent, qu'il tient des êtres précédents et qui permettront la combinaison des êtres nouveaux. » Alain Corbin
Cette corrélation entre le putride et l'angoisse est aussi présente chez Schlegel pour qui le putride est assimilé au
démoniaque, la puanteur aux profondeurs de l'enfer.
Pour aller plus loin !
La fiche du CDI :​​http://9740001h.esidoc.fr/id_9740001h_34054.html
France Culture : ​http://www.franceculture.fr/oeuvre-le-miasme-et-la-jonquille-de-alain-corbin
La ficheBNF : ​http://gallica.bnf.fr/VisuSNE?id=oai_demarque_1162&r=&lang=FR
La Fiche auteur : ​http://data.bnf.fr/11897641/alain_corbin/
 
 
2 
1.2 Les pôles de la vigilance olfactive
Les rues, l'espace public sont marqués par une intensité olfactive de
l'environnement excrémentiel. Cette périphrase sert à désigner l'état de
puanteur des villes. Au XVIIIème et une bonne partie du XIXème,
l'excrément s'étale partout, les cadavres et les charognes traînent.
Les vidangeurs d'urine, pour s'éviter d'aller jusqu'aux voiries déversent
leurs tonneaux dans le ruisseau. La puanteur n'a pas de géographie.
Exemple : Paris comme centre des arts, des sciences, des modes et du
goût s'impose comme le centre de la puanteur. Versailles connaît les
même problèmes : le parc, les jardins, le château font soulever le chœur
par leurs mauvaises odeurs. L'existence d'ordonnances de police consacrées à ce problème ne changent rien, elles sont
inappliquées.
Les scientifiques considèrent l'eau avec méfiance : elle relâche les fibres, entraîne la colliquation des humeurs et dispose
à la putréfaction. Les lavages intempestifs sont déconseillés.
L'endroit par excellence qui attire l'attention des scientifiques est celui du marais. Il est à la fois source de fascination (un
cycle de vie se déroule à l'abri de la croûte que voile la surface) et à la fois un repoussoir nauséabond où se mêlent les
végétaux, déchets organiques, cadavres d'animaux… en décomposition. C'est à partir de l'observation des rythmes
olfactifs calqués sur le rythme de rotation entre le jour et la nuit que les scientifiques se gardent de faire une assimilation
entre malsain et nauséabond. Cette précaution étant valable pour les effluves du corps.
1.3 Les émanations du social
La médecine savante de la fin du XVIIIème reprend une croyance héritée de la science
antique selon laquelle chaque espèce animale, et par conséquent chaque individu,
possède sa propre odeur.
Trois conditions ordonnent le propos vitaliste : chaque partie du corps vivant à sa
manière d'être, d'agir, de sentir, de se mouvoir.
Aussi chaque organe répand autour de lui des émanations qui ont pris son ton et ses
allures (le foie teint de la bile tout ce qui l'environne).
Enfin, les humeurs, véritables laboratoires, véhiculent en permanence une vapeur
excrémentielle qui atteste la purgation et la réparation incessante de l'organisme.
Cette purgation s'achève par l'élimination des excréta que sont le produit de la menstruation, des sueurs, des urines, des
matières fécales...
Les variations olfactives des êtres vivants résultent de la composition des humeurs, du fonctionnement des organes et de
l'intensité de la purgation. Tout ce qui peut engendrer une modification de l'un des ces éléments (climat, passions,
travail) provoque une modification de l'odeur dégagée par l'individu. L'intensité des effluves, signe de l'animalité, atteste
de la vigueur de l'individu et de la race. Une telle conviction conduit à beaucoup de réticence à l'égard de l'hygiène
individuelle.
Le pire des scandales olfactifs au niveau macro-social réside dans la prison et dans l'hôpital. Dans la première, la
puanteur est celle d'une putréfaction vivante et collective des détenus due à l'absence de lumière et à la surpopulation.
Les malheureux qui ont connu les prisons de Louis XIV disaient que l'air vicié était le plus grand des supplices.
Dans la seconde moitié du XIXème, le discours sur la puanteur de la cellule du prisonnier inspire la description du
logement ouvrier citadin et de la maison paysanne mal tenue. Le cachot est le modèle à partir duquel s'élabore dès le
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XVIIIème l'interminable diatribe contre l'habitat insalubre. L'autre institution marquée par l'odeur putride est l'hôpital.
Dans les récits, la visite et la description font figure d'épreuves initiatiques pour tous ceux qui se préoccupent d'hygiène
publique. S'entremêlent l'odeur des cadavres, des crachats de vieux, des plaies, des sueurs des malades, des
médicaments.
Pour résumer les descriptions faites par Tenon à l'hôtel Dieu en 1788, avant sa transformation en machine à guérir,
l'hôpital est une fétide machine à infecter (Corbin). Outre la prison et l'hôpital, d'autres lieux d'entassement dispensent
l'infection : les salles d'audience des tribunaux, les casernes, les salles de spectacles. Il n'existe pas de partage entre
l'odeur des riches et des pauvres. C'est la foule qui est putride.
AlainCorbin se refuse d'envisager les individus ayant vécu aux siècles antérieurs comme particulièrement mal odorants. Il
considère qu'il faut aussi s'intéresser au rapport qu'ont les individus aux odeurs.
1.4 Redéfinir l'insupportable
L'abaissement du seuil de tolérance est un processus clairement perçu dans les comportements des individus, mais
difficile à dater et ses origines restent indéterminées.
Corbin met en garde contre la tentation de voir dans les dénonciations des élites éclairées l'origine de ce processus. Elles
ont certes mis en œuvre des procédures d'alarme pour dénoncer les risques d'infection mais ces clameurs anxieuses se
heurtent aux résistances populaires contre la désodorisation.
Toutefois, il ne s'agit pas de basculer dans une stricte séparation entre les élites et la base concernant la perception des
odeurs.
Quelques signes précurseurs d'un abaissement du seuil de tolérance apparaissent dans les milieux populaires. Des
historiens (Ph. Aries, P. Chaunes) ont souligné, notamment à propos de Paris, l'intensité de la campagne menée par les
citadins afin d'éloigner les cadavres et les cimetières des vivants. Ainsi, c'est toute une série de doléances populaires
orchestrées par les boutiquiers de la rue de la Lingerie qui provoque en 1780 la fermeture du cimetière des Innocents.
Si l'abaissement du seuil de tolérance olfactive apparaît comme un fait historique bien perçu et présent dans de
nombreux témoignages (riverains, savants, administrations), deux séries causales coexistent dans l'explication du
phénomène.
La première confère aux savants un rôle prépondérant. La diffusion des découvertes de chimistes au sein de la
population suscite une modification de l'état d'esprit des individus face aux odeurs. La sensibilité nouvelle se diffuse de
haut en bas de la pyramide sociale.
En proposant un système d'images du sain et du malsain ordonné en grande partie par les analyses de l'odorat ce qui
était et n'a point changé est devenu insupportable. Mais le système d'images véhiculées opère une confusion entre
miasme et puanteur, nauséabond et malsain ; le discours qui se veut scientifique est parfois chargé d'incertitudes et
fantasmes qui accentuent la peur populaire de l'hôpital et de la prison.
Le second type d'explication, qui s'inscrit dans une perspective lacanienne, propose une interprétation centrée sur la
lente construction d'un Etat fort. La puanteur serait devenue intolérable à mesure que se privatise l'excrément avec la
diffusion de fosses d'aisance.
Le point de départ du processus se situe dans l'écrit de Villers-Côtterets qui enjoint à tout
particulier de conserver ses excréments par devers lui. AlainCorbin propose une autre
série d'explications et considère les deux précédentes comme relevant de la préhistoire
de la révolution olfactive. Cette préhistoire de la révolution olfactive, dont je prétends
que l'acte décisif s'est joué à partir du milieu du XVIIIème , a tout d'abord concerné le
langage. Le français classique a été épuré, lavé de son vocabulaire nauséabond [afin] de le
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rendre imputrescible. De là apparaissent des unités linguistiques (grammaire, sons) pour désigner le sentir et
l'excrément. Concernant la désodorisation, AlainCorbin partage la seconde perspective et date la révolution olfactive
entre 1760 et 1840, période pendant laquelle l'hygiéniste est promu au rang des héros qui traque les plus tenaces des
répugnances. Ils préparent l'ode immense à la propreté chantée par le XIXème siècle.
Parallèlement à ce lent processus d'abaissement du seuil de tolérance, les aromates sont utilisés. L'homme aromatisé
corrige son atmosphère par de fortes senteurs de musc, de civette, d'aune. Se parfumer à outrance c'est se préserver en
faisant une moyenne entre l'odeur sentie et l'odeur environnante et purifier l'air ambiant. La tradition veut qu'en
période d'épidémie, les individus se préservent en se bardant d'aromates. La marjolaine, la menthe, la sauge, le romarin,
le thym… permettent d'échapper à la peste (propos tenus par un scientifique en 1800).
Lors de la grande peste à Marseille en 1720, les équipes de désinfection procèdent à des fumigations à base de plantes
aromatiques. Les discours sur les vertus thérapeutiques de ces dernières s'insinuent dans les cales de navire, les
hôpitaux, les Eglises, les étables en période d'épizootie. Les aromates servent à conter l'odeur de la putréfaction et de la
fermentation. Cette mode ne disparaît pas subitement. Le déclin n'est pas linéaire et variable suivant les milieux.
Dès la seconde moitié du XVIIIème, les savants mettent en garde contre les odeurs entêtantes des aromates qui
modifient les comportements des individus qui en sont porteurs. Ainsi la préparation de l'eau des 1000 fleurs à base
d'aromate et de merde d'individus sains et vigoureux devient la cible des hygiénistes et des chimistes. Le renversement
radical s'effectue d'une part avec les progrès de l'hygiène corporelle au sein de l'élite et d'autre part avec la diffusion de
la mentalité bourgeoise.
1.5 Le nouveau calcul du plaisir olfactif
L'abaissement du seuil de tolérance ne fait pas que susciter l'intolérance à l'égard des
odeurs excrémentielles. Il conduit à souligner la fonction sociale de la toilette intime.
Les individus doivent se garder des parfums insistants comme des odeurs corporelles
indiscrètes sous peine d'incommoder autrui. D'une part, les odeurs aromatiques sont
abandonnées au profit des effluves de fleurs et des prairies printanières. D'autre part,
dès la fin du XVIIIème, Platner énumère les dangers théoriques de la malpropreté
corporelle : obstruction des pores, rétention des humeurs excrémentales,
accélérateur de fermentation et putréfaction de la matière.
La crasse, à travers la fine pellicule, gêne les échanges d'air nécessaires à l'équilibre du corps. Les ablutions du visage, des
mains et des pieds sont recommandées et de temps en temps le corps tout entier. La toilette du corps en entier n'est pas
envisagée à cause de nombreux freins : perte de la vitalité des fibres due à l'eau, tentation érotique (l'intimité n'est pas à
l'abri de la séduction).
Cette nouvelle conception de l'odeur et de l'eau touche d'abord les élites et notamment les gens de cour. Se met en
place un clivage entre pauvres et riches : l'odeur forte, devenue archaïsme, se fait l'apanage des vieilles coquettes [c'est à
dire des prostituées] et des paysannes. La senteur animale dénonce le peuple. Dès lors, les riches cherchent à s'éloigner
du peuple ex : la campagne et la ville sont fuies. Le jardin, la montagne et la mer sont l'antithèse des lieux putrides et
sont parés de vertus salvatrices (cf. les développements dans la littérature consacrés aux plaisirs de la nature).
Les stratégies de désodorisation mises en œuvre à partir du milieu du 18ème sont le fruit des injonctions médicales
destinées à refouler le miasme, de l'anxiété métaphysique engendrée par la putréfaction des bas fonds, de la volonté de
se tenir à l'écoute de la nature, de la peur résultant des émanations sociales encore confuses et indifférenciées. Ces faits
contribuent à l'abaissement du seuil de tolérance à l'égard des puanteurs, à l'émergence des parfums délicats et aux
prémices de l'hygiène corporelle.
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Partie 2. Purifier l'espace public
2.1 La stratégie de désodorisation
Les premières préoccupations des hygiénistes qui émergent à la fin du 18ème permettent la mise en place de stratégie
sanitaire non plus épisodiques (comme au temps des épidémies) mais de façon durable.
Les premières réponses apportées consistent à isoler l'espace aérien des émanations telluriques :
1. se protéger contre les remontée
2. empêcher l'imprégnation du sol
3. enfermer les puanteurs
Les rues sont pavées sur le modèle des voies romaines (ex. Caen), les trottoirs sont mis en place (le premier apparaît à
Paris en 1782 dans la rue d'Odéon), les murs sont blanchis, crépis, peints, les fosses d'aisance sont dallées. L'eau qui
s'écoule sur ces nouveaux revêtements doit permettre de drainer et emporter la saleté avec elle (elle n'est pas perçue
comme un moyen de nettoyer), conformément au modèle de circulation sanguine. Le contraire du salubre est le
mouvement. Par ailleurs, la police sanitaire s'affirme et tend à devenir quotidienne. Les réformateurs caressent le projet
d'évacuer à la fois les odeurs, le vagabond, l'immondice et l'infection sociale.
La seconde réponse apportée par les hygiénistes repose sur
la ventilation. Le flux qu'il importe de contrôler est celui de
l'air vicié. Ventiler permet de restaurer la qualité
antiseptique de l'air environnant, purifier et désodoriser
l'eau stagnante et balayer les basses couches d'air. (p. ex.
l'air est perçu comme un fluide et non comme un gaz). Ce
souci concerne aussi bien l'espace public que privé. Il conduit
à dénoncer les dangers des caves, des souterrains et pièces
enfouies, soumis à la fois aux émanations du sol et privées de
la circulation de l'air. Cette préoccupation scientifique a des
répercussions sur les projets de ville idéale. Pour reprendre
l'analyse de la ville saine de l'abbé Jacquin en 1762, celle-ci
est bâtie sur un coteau : les hautes murailles sont tombées, les métiers responsables des mauvaises odeurs sont rejetés
en dehors des murs (tanneurs, teinturiers) ainsi que les hôpitaux et les boucheries. Les manufactures sont installées dans
les faubourgs.
La troisième réponse consiste à désentasser les hommes. Le désentassement des corps se joue autour de l'émergence
d'un lit individuel. L'hôpital joue à cet égard un rôle déterminant dans la définition de cette nouvelle norme (p. ex. un lit
par malade est justifié par le métabolisme : il faut laisser chaque malade opérer librement son évolution thermique). Il
importe d'éviter que l'entassement dans un même lit ne crée une chaleur moyenne.
Tous ces préconisations hygiénistes sont d'abord expérimentées à l'hôpital militaire : les malades sont séparés dès 1767,
les ventilateurs sont installés 20 ans plus tard, les excréments étroitement contrôlés.
Les règlements se durcissent, exemple :
● obligation de changer régulièrement de sous vêtements (1 fois par semaine)
● obligation de se soulager dans les endroits prévus à cet effet
En devenant un lieu disciplinaire (cf. Foucault), l'hôpital devient le lieu d'apprentissage de l'hygiène individuelle.
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2.2 Les odeurs et la physiologie sociale
A la fin du 18ème le projet de constituer une histoire naturelle des odeurs a cessé de
faire figure d'impossible. Les tentatives de définition et de classification des odeurs se
multiplient. Deux types de méthode s'affrontent. La première est prônée par la
philosophie sensualiste, dans la lignée de Condillac, et consiste à créer un langage
capable de traduire les perceptions de l'olfaction.
Toutefois, constituer un savoir osphrésiologique implique l'élaboration d'un
vocabulaire scientifique, sous peine de dérive subjective. Or, il apparaît rapidement
que les sensations de l'odorat refusent de se laisser emprisonner par le langage
scientifique. Cette première méthode a le mérite de détacher l'odorat de l'animalité à
laquelle il semblait rivé.
La seconde méthode résulte des découvertes scientifiques. Il est alors admis que
chaque substance a son odeur particulière relative à sa volatilité et à sa solubilité,
suite aux découvertes de Fourcroy et Berthollet.
En 1821, Cloquet publie un impressionnant ouvrage : osphrésiologie ou traité des odeurs, qui demeure la référence
jusqu'au cœur du XXème siècle. La révolution lavoisienne privilégie la seconde méthode aux dépens de la première.
Dans le premier tiers du XIXème (à partir de la Restauration) l'hygiène publique se fait plus cohérente et sa nécessité
s'affirme. L'anxiété olfactive (cf. partie 1) rencontre alors les idées de l'utilitarisme.
Désormais la crainte du miasme se double de la hantise de la perte économique. Les effluves nauséabondes indiquent à
la fois le miasme et le manque à gagner. Toute mauvaise odeur […] signale dans les villes une atteinte à la santé
publique, et dans les campagnes une perte d'engrais (Mille, hygiéniste).
Cette conception est proche de celle des externalités en économie. (Les classiques puis les néoclassiques ultérieurement
n'hésitent pas à se lancer dans des calculs pour évaluer les profits ou les pertes des excréments.).
Dès lors, l'utilitarisme et la nécessité de l'épargne confortent le souci de salubrité : tous trois ordonnent de désodoriser.
La désodorisation de l'espace public passe par la récupération et la valorisation du déchet. Tout comme les projets
hygiénistes avaient caressé l'idée de faire contribuer les mendiants et les prisonniers au ramassage des ordures, les
hygiénistes du début du XIXème pensent aux vieillards et aux indigents pour débarrasser la ville de ses immondices et
rembourser une partie des frais qu'ils occasionnent (sur le modèle de la ville de Bruges).
L'excrément est promu au rang de matière première de l'industrie chimique. Ce souci d'évacuation des déchets (et
notamment des carcasses d'animaux) est la source de nombreuses innovations de procédés d'engrais.
Ainsi la quête du profit conduit la désodorisation de l'espace public plus sûrement que la hantise de la salubrité.
L'hygiène publique passe aussi par l'invention de procédure de désodorisation en 1823. En substituant l'emploi de
chlorure de chaux à celui de chlore, le pharmacien Labarraque découvre le moyen de stopper la putréfaction. Sa
démarche concluante est reprise pour désodoriser latrines et pissoirs de la capitale. Les 3 glorieuses marquent le
triomphe définitif de l'eau chlorurée. Cette découverte s'impose pour désodoriser les lieux d'entassement en plus de
l'utilisation de la circulation de l'air.
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2.3 La politique et les nuisances
L'élaboration d'un code d'hygiène publique met du temps à émerger et passe par des
emprunts aux différentes périodes de l'histoire.
L'histoire de la réglementation publique en matière d'hygiène puise ses racines dans les
lois de 1790 et 1791, respectivement dans les articles sur l'industrie et la salubrité. L'effet
est limité. Il faut attendre 1802 pour voir émerger le conseil de salubrité du
développement de la seine qui dote l'administration d'un organisme stable de
consultation et de contrôle. Les écrits juridiques sous l'Empire se caractérisent par deux
traits : la réglementation est d'inspiration industrialiste (il s'agit de protéger les patrons
pour leur permettre l'expansion de leur entreprise) et la définition de la salubrité est très
restrictive. Elle ne concerne que le dépérissement des végétaux et des métaux (les
vapeurs chimiques n'apparaissent pas comme insalubres). La notion d'incommodité
(réduite à une définition olfactive) supplante la notion d'insalubrité.
L'histoire de la lutte contre l'insalubrité nauséabonde ne se lit pas seulement dans les textes législatifs mais aussi dans la
nouvelle sensibilité qui se dessine. A cet égard, la Monarchie de Juillet représente un tournant : l'épidémie de choléra en
1832 oblige à la définition d'une stratégie de désinfection à l'échelle nationale et le nombre de plaintes formulées contre
la pollution due a l'utilisation du charbon augmentent. La fumée devient un enjeu de préoccupation non pas en raison de
son odeur mais parce qu'elle obscurcit.
Le développement industriel amorce le déclin des préoccupations olfactives dans la gestion publique bien que la ville
reste nauséabonde. Haussmann qui accède à la préfecture de la Seine en 1853 a pour ambition de faire de Paris une ville
moins obscure.
Parallèlement, l'attention portée sur la puanteur réside dans la puanteur du pauvre et non dans celle de l'espace public.
Cette dichotomie sociale de la purification, résultat de la politique urbaine menée par Haussmann, peut être analysée
avec la grille de l'utilitarisme.
La désinfection de l'espace réservé à la bourgeoisie (en rejetant en dehors de cet espace pauvres, mendiants et ouvriers)
contribue à valoriser la propriété. A contrario, assainir l'immeuble où s'entassent les ouvriers n'aboutit qu'à faire croître
les dépenses à la charge du propriétaire.
Ce constat amène AlainCorbin à conclure que la quête du profit, elle même conforte la distribution des odeurs.
Partie 3. Odeurs, symboles et représentations sociales
Alors que la chimie, dans l'élan des découvertes de Lavoisier bouleverse les représentations de l'espace et conduit à
l'abandon de l'aérisme (circulation des fluides), un glissement théorique s'opère et charge les sensations olfactives de
significations sociales. L'olfaction se trouve engagée dans un processus de raffinement des clivages et des pratiques
sociales qui caractérisent le XIXème siècle, marqué par la bourgeoisie.
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3.1 La puanteur du pauvre
 
Le XIXème est marqué par un progrès de l'attention portée aux odeurs sociales. Désormais la réflexion et l'observation se
déplacent de l'espace public à l'espace privé car la salubrité d'une grande ville est la somme de toutes les habitations
privées (Passot, hygiéniste, 1850). L'heure est venue de traquer la désinfection dans la demeure du pauvre.
La montée de la bourgeoisie s'accompagne d'un nouveau sytème de représentations et de nouveaux modèles de
comportement. L'olfaction joue un rôle déterminant dans ce nouveau système. L'absence d'odeur importune permet de
distinguer le bourgeois du peuple puant comme le péché ou la mort. Souligner la fétidité des classes laborieuses permet
de mettre l'accent sur le risque d'infection que leur seule présence comporte et de justifier à la fois la nécessité de la
désinfection et de la soumission du peuple.
Le discours médical s'inscrit aussi dans l'évolution de ces perceptions. Le rapport remis en 1832 relatif à l'épidémie de
choléra de 1830 (suite à une enquête sociale qui focalise son attention sur la misère prolétarienne) accorde une
importance à la sécrétion de la misère et met en évidence l'existence d'une population prolétarienne qui favorise
l'épidémie. Dès lors, l'anxiété liée à l'excrément se maintient dans la classe dominante mais la cause de cette anxiété
s'est modifiée. La vision du bourgeois sur le peuple est structurée par son horreur pour la saleté. Il y a une sorte de
projection sur le pauvre de ce que le bourgeois tente de refouler : en même temps qu'il se débarrasse de la saleté, le
bourgeois se débarrasse du pauvre (ou du moins le met à distance).
Nota ex : L'anthropologie du 18ème se passionne pour l'odeur du corps. Sans le relier à l'état de misère, elle s'efforce d'y
lire l'effet du climat, de la profession, du tempérament. Ainsi le vieillard, l'ivrogne, la gangreneux, le palefrenier… ont
une odeur particulière mais rarement de miséreux. Seuls les juifs, les prostituées, les fous les homosexuels…ont une
odeur d'ordure et de puanteur.
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Près d'un quart de siècle à compter des années 1830, la mauvaise odeur du
prolétaire est stéréotypée : au riche, l'air, la lumière, l'horizon dégagé, la
réserve du jardin. Au pauvre, l'espace sombre et clos, les plafonds bas et les
caves, la puanteur et les mauvaises conditions de travail. Ce stéréotype
poussé à l'extrême voit dans l'odeur quelque chose qui imprègne, pénètre,
colle à la peau. Durant la seconde moitié du XIXème, la puanteur du pauvre
se fait moins obsédante. L'odeur menaçante, celle qui va focaliser l'attention
est désormais celle de la race. L'odeur du nègre demeure la même, quelques
soins de propreté ou de nourriture qu'il prenne. Elle appartient à l'espèce
comme le musc ou le chevrotin qu'il le produit […] (Car Vogt, in leçons sur
l'homme, 1865.)
La perception du pauvre qui s'impose à partir de la Monarchie de Juillet impose de désodoriser et de désinfecter.
L'hygiéniste qui prévaut à cette époque a des implications morales : faire perdre au peuple sa fétidité animale, le tenir à
distance de l'excrément, participe de la thérapeutique déployée à l'encontre de la pathologie sociale. Toutefois, être
propre ne signifie pas se soumettre à une hygiène corporelle.
Les mesures d'hygiène qui s'imposent consistent à transformer les communs en privés, réservés aux seuls habitants d'un
immeuble. Un mouvement de privatisation des excréments s'amorce. Par ailleurs, émerge un mouvement d'inspection
de l'habitat populaire suite à l'épidémie de 1830 : des commissions détectent les causes d'insalubrité et imposent aux
propriétaires de respecter les règlements. Dans le quartier du Luxembourg, 920 propriétaires sont visités et 10 000
rapports ont émané des commissions constituées par quartier. Finalement, une loi sur les habitations insalubres voit le
jour en 1850 (cf. chronologie sur le logement en France).
3.2 Les parfums de l'intimité
Une nouvelle gestion des odeurs accompagne le mouvement de privatisation de l'espace intime au sein de l'habitation
bourgeoise ainsi qu'une nouvelle mise en scène de la femme. Désormais, l'intensité du signe olfactif est réduit en même
temps qu'il se valorise. Par ailleurs, les interdits qui frappent la vue imposent une promotion de l'odorat. Pour reprendre
les mots d'AlainCorbin, l'atmosphère de la femme devient l'élément trouble de son sex appeal. Susciter le désir sans
trahir la pudeur, tel est le nouveau rôle dévolu à l'olfaction dans le jeu amoureux.
Le souci de propreté trouve sa justification dans les arguments médicaux. Ceux-ci incitent à des pratiques qui doivent
éliminer la crasse putride afin d'éliminer les risques d'infection. Le rituel de la toilette est ordonné : la propreté des
mains, des pieds, des aisselles, de l'aine et des organes génitaux devient
impérative suite aux découvertes de Broussais.
Pour reprendre les termes d'AlainCorbin, si décrotter le pauvre équivaut à
l'assagir, convaincre le bourgeois de se laver, c'est le préparer à l'exercice des
vertus de sa classe. La propreté est acceptée car elle entre dans l'arsenal des
moyens pour lutter contre la perte : elle endigue le gaspillage vestimentaire (un
des premiers soins corporels promus par les savants consistent à changer de
vêtements pour être propre) et facilite le repérage, le contrôle voire la
récupération (!) du déchet.
Toutefois, persistent des freins au progrès de l'hygiène corporelle : la lenteur des
équipements de la maison et la méfiance des médecins-hygiénistes à l'égard de
l'eau. Se plonger dans un bain ne constitue pas encore une pratique banale de
propreté mais une aventure risquée qu'il faut savoir maîtriser en fonction de son
âge, son sexe, la température de l'eau et la saison. La croyance en une action
négative sur l'organisme est encore présente (risque de débilité, d'infertilité pour
10 
les femmes.) Des lors, le bain d'agrément est fonction des prescriptions du médecin. Aussi l'innovation majeure réside
dans les bains partiel (pédiluves, manucures...).
La multiplication des lotions accompagne celle des ablutions et des toilettes fragmentées. Il est recommandé de ne pas
se laver la tête mais de se démêler et passer au peigne fin la chevelure. Les senteurs prononcées de la chevelure d'une
femme sont ses plus sûrs atouts (le shampoing ne se développe que sous la IIIème République). Plus encore que d'une
scrupuleuse pratique de l'hygiène la fraîcheur des odeurs corporelles dépend de la propreté du linge de corps : un
renouvellement hebdomadaire est promu par les hygiénistes.
Ces pratiques ne se diffusent que très lentement parmi la bourgeoisie et encore moins rapidement dans le peuple. Leur
diffusion est variable entre la ville et la campagne et prend encore plus de temps dans le second cas. Les pratiques
d'hygiène corporelle ne se banalisent qu'à partir des années 1930 dans le Nivernais. Les individus ont de nouveaux
rapports aux odeurs.
Depuis la Monarchie de Juillet, l'homme élégant a cessé de se parfumer. La seule odeur qui doit émaner de lui est celle
du linge propre. C'est justement l'absence d'odeur forte qui est le signe du bon goût. La femme en tant que signe de la
réussite sociale de l'homme, se voit réserver un luxe ostentatoire (soyeuses, draperies, couleurs vives...). Ce luxe en étant
synonyme de gaspillage place la femme au dessus de tout soupçon de travail. Les femmes utilisent de doux parfums qui
rappellent les senteurs de la nature. Ceux-ci ne doivent pas être déposés directement sur la peau mais davantage
imprégnés les linges de l'armoire, mouchoirs, éventails…
Il y a une sorte de mise à distance du corps avec le parfum qui sert la séduction entre hommes et femmes.) La beauté est
identifiée à l'élégante propreté : les poudres et les fards sont abandonnés. Les cosmétiques recommandés sont des
lotions et onctions qui permettent d'adoucir et assouplir la peau (p. ex. huile, beurre de cacao...). L'heure est à la
douceur et à la suavité. Les senteurs pénétrantes et suffocantes sont l'image de l'animalité, signe d'une éducation ratée
et de débauche. Par ailleurs, il s'agit pour le bourgeois qui incarne la nouvelle élite de marquer la rupture avec l'Ancien
Régime et l'aristocratie.
AlainCorbin propose d'élargir le propos pour justifier le changement du rapport qu'a la bourgeoisie aux parfums. Le
XIXème privilégie la pudeur. L'interdit qui frappe le parfum indiscret et le maquillage entre dans un système de
représentations à la fois morales, esthétiques et visuelles. L'image de la femme fleur naturelle révèle la ferme volonté de
contenir les affects. Les délicates senteurs sont le signe d'un corps qui laisse passer la lumière sans être transparent; une
sorte de corps comme reflet de l'âme. Cette symbolique a pour effet de déboucher sur l'image de la femme innocente
(voire mièvre) et surtout pas féline ou carnassière.
Dénouement. Les odeurs de Paris
Au cours de l'été 1880, la mauvaise odeur atteint dans Paris une telle intensité
que l'opinion s'émeut : "Sentez-vous ? Quelle puanteur !". La situation est
assimilée à une calamité publique. L'affaire des odeurs de Paris prouve
l'abondance et la rapide diffusion des découvertes pasteuriennes.
En 1880, aucun expert ne met en cause les nouvelles théories : les savants ont
désormais acquis la conviction que les germes infectieux assurent la transmission
du mal. La menace "morbifique" et la mauvaise odeur sont dissociées. Tout ce qui
pue ne tue pas, et tout ce qui tue ne pue pas. La disparition du rôle pathogénique
de la puanteur conforte le recul de l'olfaction dans la sémiologie clinique. Le
médecin a cessé d'être l'analyste privilégié des odeurs. C'est l'ingénieur chimiste
qui fait désormais figure d'expert en olfaction.
11 
L'odorat est relégué au bas de la hiérarchie des sens. Tour à tour considéré comme le sens de l'animalité pour Buffon, en
dehors du champ esthétique pour Kant, affecté à l'analité pour Freud, l'odorat mérite un minimum d'attention.
Une véritable révolution perceptive a lieu avant le silence olfactif de notre environnement actuel. L'acte décisif de cette
révolution s'est joué entre 1750 et 1880, moment du triomphe des théories pasteuriennes. Vers 1750, les travaux de
Pringle et Mac Bride sur les substances putrides, l'émergence de la chimie pneumatique, le fantasme de la pathologie
urbaine suggèrent de nouvelles inquiétudes. C'est à l'odorat qu'il convient de détecter le miasme afin d'exorciser la
menace nauséabonde.
12 

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Miasme 2

  • 1. Le miasme et la jonquille  CORBIN Alain, Aubier, Montaigne, 1982 Diverses éditions augmentées, en version papier et numérique, d'une fiche de lecture 1   Le XIXème siècle marque un tournant dans les perceptions olfactives ex la sensibilité aux mauvaises odeurs s'est accentuée faisant de nous des êtres intolérants à tout ce qui vient rompre le silence olfactif de notre environnement. Notre refus des odeurs ne résulte pas du seul progrès des techniques (vaporisateur, déodorant corporel) mais traduit l'aboutissement de la modification de notre perception des odeurs. Alain Corbin propose d'analyser ce qu'il appelle la révolution olfactive qui s'est opérée à partir des premières découvertes scientifiques, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, et s'est achevée avec le triomphe des théories pasteuriennes, à la fin du XIXème siècle. En s'intéressant à ce qui nous paraît le plus naturel et personnel, il met en évidence que l'odorat est un construit social qui évolue au cours du XIXème siècle en fonction des représentations des savants, des élites et des individus. L'auteur défend l'idée d'une révolution non linéaire et très lente qui se profile parallèlement à l'affirmation de la bourgeoisie sur la scène politique et économique (au détriment de l'aristocratie). Sa réflexion sur le corps individuel est indissociable d'une réflexion plus générale sur le corps social (à travers les tentatives pour réorganiser les villes et les recommandations des médecins- hygiénistes). Il met ainsi en évidence les étroites relations qu'entretiennent les deux niveaux d'analyse. 1  ​Fiche de lecture réalisée par Sandrine Roque (ENS Lyon) et librement adaptée pour les besoins de la formation.  1 
  • 2. Première partie. Révolution perceptive ou l'odeur suspecte 1.1 L'air et la menace putride Avant 1750, l'air est considéré comme un fluide élémentaire et non comme le résultat d'une combinaison chimique, mise en évidence par la chimie pneumatique. L'air est considéré comme un fluide et possède des qualités physiques variables suivant le temps, le lieu. Il règle l'expansion des fluides et la tension des fibres du corps à travers la pression qu'il exerce sur les organismes. Se met ainsi en place un équilibre instable, sans cesse rétabli par les pets, les rots, les vents, les mécanismes d'ingestion et d'inhalation, entre l'air externe et l'air interne à l'organisme. Dans une telle perspective, l'air est considéré comme une substance élémentaire qui joue le rôle de support inerte, par exemple il véhicule un amas de particules (calories, électricité, particules magnétiques) qui lui sont étrangères. L'odorat ne joue aucun rôle déterminant dans la perception des odeurs. La mesure des qualités physique de l'air passe par le toucher et des instruments scientifiques aux résultats très imprécis. Pour contrer cette imprécision, les chimistes, entre 1770 et 1780 formulent un double projet. Exemple : procéder à l'inventaire et à la dénomination des mixtes présents dans chacun des fluides et créer de fait un langage olfactif. D'autre part, ils souhaitent repérer les rythmes de putréfaction et les situer sur une échelle olfactive. Dès lors, l'odorat s'affirme comme un sens privilégié pour l'observation, à côté d'un instrument scientifique (l'eudiomètre). En l'espace de quelques années se constitue un tableau des airs respirables. Bien que la classification soit confuse et mouvante, des tendances se dessinent. Exemples : l'air fixé, l'acide sulfureux, l'air inflammable, l'alcali volatil et le foie de soufre. Désormais, l'air n'est plus considéré comme une combinaison de mixtes mais comme un mélange de gaz dont les proportions respectives déterminent sa qualité (oxygène, azote, …). Le début du XVIIIème amorce une révolution dans laquelle l'odorat joue un rôle ; l'eudiomètre ayant rapidement révélé ses limites. Parallèlement aux expériences sur la putréfaction se construit une signification sociale de ce que nous considérons aujourd'hui comme nauséabond. Associer une signification sociale à une odeur est un construit dont les premières bases s'élaborent avec ces expériences. « L'attention olfactive au putride traduit l'angoisse de l'être du corps qui ne peut fixer, retenir les éléments qui le composent, qu'il tient des êtres précédents et qui permettront la combinaison des êtres nouveaux. » Alain Corbin Cette corrélation entre le putride et l'angoisse est aussi présente chez Schlegel pour qui le putride est assimilé au démoniaque, la puanteur aux profondeurs de l'enfer. Pour aller plus loin ! La fiche du CDI :​​http://9740001h.esidoc.fr/id_9740001h_34054.html France Culture : ​http://www.franceculture.fr/oeuvre-le-miasme-et-la-jonquille-de-alain-corbin La ficheBNF : ​http://gallica.bnf.fr/VisuSNE?id=oai_demarque_1162&r=&lang=FR La Fiche auteur : ​http://data.bnf.fr/11897641/alain_corbin/     2 
  • 3. 1.2 Les pôles de la vigilance olfactive Les rues, l'espace public sont marqués par une intensité olfactive de l'environnement excrémentiel. Cette périphrase sert à désigner l'état de puanteur des villes. Au XVIIIème et une bonne partie du XIXème, l'excrément s'étale partout, les cadavres et les charognes traînent. Les vidangeurs d'urine, pour s'éviter d'aller jusqu'aux voiries déversent leurs tonneaux dans le ruisseau. La puanteur n'a pas de géographie. Exemple : Paris comme centre des arts, des sciences, des modes et du goût s'impose comme le centre de la puanteur. Versailles connaît les même problèmes : le parc, les jardins, le château font soulever le chœur par leurs mauvaises odeurs. L'existence d'ordonnances de police consacrées à ce problème ne changent rien, elles sont inappliquées. Les scientifiques considèrent l'eau avec méfiance : elle relâche les fibres, entraîne la colliquation des humeurs et dispose à la putréfaction. Les lavages intempestifs sont déconseillés. L'endroit par excellence qui attire l'attention des scientifiques est celui du marais. Il est à la fois source de fascination (un cycle de vie se déroule à l'abri de la croûte que voile la surface) et à la fois un repoussoir nauséabond où se mêlent les végétaux, déchets organiques, cadavres d'animaux… en décomposition. C'est à partir de l'observation des rythmes olfactifs calqués sur le rythme de rotation entre le jour et la nuit que les scientifiques se gardent de faire une assimilation entre malsain et nauséabond. Cette précaution étant valable pour les effluves du corps. 1.3 Les émanations du social La médecine savante de la fin du XVIIIème reprend une croyance héritée de la science antique selon laquelle chaque espèce animale, et par conséquent chaque individu, possède sa propre odeur. Trois conditions ordonnent le propos vitaliste : chaque partie du corps vivant à sa manière d'être, d'agir, de sentir, de se mouvoir. Aussi chaque organe répand autour de lui des émanations qui ont pris son ton et ses allures (le foie teint de la bile tout ce qui l'environne). Enfin, les humeurs, véritables laboratoires, véhiculent en permanence une vapeur excrémentielle qui atteste la purgation et la réparation incessante de l'organisme. Cette purgation s'achève par l'élimination des excréta que sont le produit de la menstruation, des sueurs, des urines, des matières fécales... Les variations olfactives des êtres vivants résultent de la composition des humeurs, du fonctionnement des organes et de l'intensité de la purgation. Tout ce qui peut engendrer une modification de l'un des ces éléments (climat, passions, travail) provoque une modification de l'odeur dégagée par l'individu. L'intensité des effluves, signe de l'animalité, atteste de la vigueur de l'individu et de la race. Une telle conviction conduit à beaucoup de réticence à l'égard de l'hygiène individuelle. Le pire des scandales olfactifs au niveau macro-social réside dans la prison et dans l'hôpital. Dans la première, la puanteur est celle d'une putréfaction vivante et collective des détenus due à l'absence de lumière et à la surpopulation. Les malheureux qui ont connu les prisons de Louis XIV disaient que l'air vicié était le plus grand des supplices. Dans la seconde moitié du XIXème, le discours sur la puanteur de la cellule du prisonnier inspire la description du logement ouvrier citadin et de la maison paysanne mal tenue. Le cachot est le modèle à partir duquel s'élabore dès le 3 
  • 4. XVIIIème l'interminable diatribe contre l'habitat insalubre. L'autre institution marquée par l'odeur putride est l'hôpital. Dans les récits, la visite et la description font figure d'épreuves initiatiques pour tous ceux qui se préoccupent d'hygiène publique. S'entremêlent l'odeur des cadavres, des crachats de vieux, des plaies, des sueurs des malades, des médicaments. Pour résumer les descriptions faites par Tenon à l'hôtel Dieu en 1788, avant sa transformation en machine à guérir, l'hôpital est une fétide machine à infecter (Corbin). Outre la prison et l'hôpital, d'autres lieux d'entassement dispensent l'infection : les salles d'audience des tribunaux, les casernes, les salles de spectacles. Il n'existe pas de partage entre l'odeur des riches et des pauvres. C'est la foule qui est putride. AlainCorbin se refuse d'envisager les individus ayant vécu aux siècles antérieurs comme particulièrement mal odorants. Il considère qu'il faut aussi s'intéresser au rapport qu'ont les individus aux odeurs. 1.4 Redéfinir l'insupportable L'abaissement du seuil de tolérance est un processus clairement perçu dans les comportements des individus, mais difficile à dater et ses origines restent indéterminées. Corbin met en garde contre la tentation de voir dans les dénonciations des élites éclairées l'origine de ce processus. Elles ont certes mis en œuvre des procédures d'alarme pour dénoncer les risques d'infection mais ces clameurs anxieuses se heurtent aux résistances populaires contre la désodorisation. Toutefois, il ne s'agit pas de basculer dans une stricte séparation entre les élites et la base concernant la perception des odeurs. Quelques signes précurseurs d'un abaissement du seuil de tolérance apparaissent dans les milieux populaires. Des historiens (Ph. Aries, P. Chaunes) ont souligné, notamment à propos de Paris, l'intensité de la campagne menée par les citadins afin d'éloigner les cadavres et les cimetières des vivants. Ainsi, c'est toute une série de doléances populaires orchestrées par les boutiquiers de la rue de la Lingerie qui provoque en 1780 la fermeture du cimetière des Innocents. Si l'abaissement du seuil de tolérance olfactive apparaît comme un fait historique bien perçu et présent dans de nombreux témoignages (riverains, savants, administrations), deux séries causales coexistent dans l'explication du phénomène. La première confère aux savants un rôle prépondérant. La diffusion des découvertes de chimistes au sein de la population suscite une modification de l'état d'esprit des individus face aux odeurs. La sensibilité nouvelle se diffuse de haut en bas de la pyramide sociale. En proposant un système d'images du sain et du malsain ordonné en grande partie par les analyses de l'odorat ce qui était et n'a point changé est devenu insupportable. Mais le système d'images véhiculées opère une confusion entre miasme et puanteur, nauséabond et malsain ; le discours qui se veut scientifique est parfois chargé d'incertitudes et fantasmes qui accentuent la peur populaire de l'hôpital et de la prison. Le second type d'explication, qui s'inscrit dans une perspective lacanienne, propose une interprétation centrée sur la lente construction d'un Etat fort. La puanteur serait devenue intolérable à mesure que se privatise l'excrément avec la diffusion de fosses d'aisance. Le point de départ du processus se situe dans l'écrit de Villers-Côtterets qui enjoint à tout particulier de conserver ses excréments par devers lui. AlainCorbin propose une autre série d'explications et considère les deux précédentes comme relevant de la préhistoire de la révolution olfactive. Cette préhistoire de la révolution olfactive, dont je prétends que l'acte décisif s'est joué à partir du milieu du XVIIIème , a tout d'abord concerné le langage. Le français classique a été épuré, lavé de son vocabulaire nauséabond [afin] de le 4 
  • 5. rendre imputrescible. De là apparaissent des unités linguistiques (grammaire, sons) pour désigner le sentir et l'excrément. Concernant la désodorisation, AlainCorbin partage la seconde perspective et date la révolution olfactive entre 1760 et 1840, période pendant laquelle l'hygiéniste est promu au rang des héros qui traque les plus tenaces des répugnances. Ils préparent l'ode immense à la propreté chantée par le XIXème siècle. Parallèlement à ce lent processus d'abaissement du seuil de tolérance, les aromates sont utilisés. L'homme aromatisé corrige son atmosphère par de fortes senteurs de musc, de civette, d'aune. Se parfumer à outrance c'est se préserver en faisant une moyenne entre l'odeur sentie et l'odeur environnante et purifier l'air ambiant. La tradition veut qu'en période d'épidémie, les individus se préservent en se bardant d'aromates. La marjolaine, la menthe, la sauge, le romarin, le thym… permettent d'échapper à la peste (propos tenus par un scientifique en 1800). Lors de la grande peste à Marseille en 1720, les équipes de désinfection procèdent à des fumigations à base de plantes aromatiques. Les discours sur les vertus thérapeutiques de ces dernières s'insinuent dans les cales de navire, les hôpitaux, les Eglises, les étables en période d'épizootie. Les aromates servent à conter l'odeur de la putréfaction et de la fermentation. Cette mode ne disparaît pas subitement. Le déclin n'est pas linéaire et variable suivant les milieux. Dès la seconde moitié du XVIIIème, les savants mettent en garde contre les odeurs entêtantes des aromates qui modifient les comportements des individus qui en sont porteurs. Ainsi la préparation de l'eau des 1000 fleurs à base d'aromate et de merde d'individus sains et vigoureux devient la cible des hygiénistes et des chimistes. Le renversement radical s'effectue d'une part avec les progrès de l'hygiène corporelle au sein de l'élite et d'autre part avec la diffusion de la mentalité bourgeoise. 1.5 Le nouveau calcul du plaisir olfactif L'abaissement du seuil de tolérance ne fait pas que susciter l'intolérance à l'égard des odeurs excrémentielles. Il conduit à souligner la fonction sociale de la toilette intime. Les individus doivent se garder des parfums insistants comme des odeurs corporelles indiscrètes sous peine d'incommoder autrui. D'une part, les odeurs aromatiques sont abandonnées au profit des effluves de fleurs et des prairies printanières. D'autre part, dès la fin du XVIIIème, Platner énumère les dangers théoriques de la malpropreté corporelle : obstruction des pores, rétention des humeurs excrémentales, accélérateur de fermentation et putréfaction de la matière. La crasse, à travers la fine pellicule, gêne les échanges d'air nécessaires à l'équilibre du corps. Les ablutions du visage, des mains et des pieds sont recommandées et de temps en temps le corps tout entier. La toilette du corps en entier n'est pas envisagée à cause de nombreux freins : perte de la vitalité des fibres due à l'eau, tentation érotique (l'intimité n'est pas à l'abri de la séduction). Cette nouvelle conception de l'odeur et de l'eau touche d'abord les élites et notamment les gens de cour. Se met en place un clivage entre pauvres et riches : l'odeur forte, devenue archaïsme, se fait l'apanage des vieilles coquettes [c'est à dire des prostituées] et des paysannes. La senteur animale dénonce le peuple. Dès lors, les riches cherchent à s'éloigner du peuple ex : la campagne et la ville sont fuies. Le jardin, la montagne et la mer sont l'antithèse des lieux putrides et sont parés de vertus salvatrices (cf. les développements dans la littérature consacrés aux plaisirs de la nature). Les stratégies de désodorisation mises en œuvre à partir du milieu du 18ème sont le fruit des injonctions médicales destinées à refouler le miasme, de l'anxiété métaphysique engendrée par la putréfaction des bas fonds, de la volonté de se tenir à l'écoute de la nature, de la peur résultant des émanations sociales encore confuses et indifférenciées. Ces faits contribuent à l'abaissement du seuil de tolérance à l'égard des puanteurs, à l'émergence des parfums délicats et aux prémices de l'hygiène corporelle. 5 
  • 6. Partie 2. Purifier l'espace public 2.1 La stratégie de désodorisation Les premières préoccupations des hygiénistes qui émergent à la fin du 18ème permettent la mise en place de stratégie sanitaire non plus épisodiques (comme au temps des épidémies) mais de façon durable. Les premières réponses apportées consistent à isoler l'espace aérien des émanations telluriques : 1. se protéger contre les remontée 2. empêcher l'imprégnation du sol 3. enfermer les puanteurs Les rues sont pavées sur le modèle des voies romaines (ex. Caen), les trottoirs sont mis en place (le premier apparaît à Paris en 1782 dans la rue d'Odéon), les murs sont blanchis, crépis, peints, les fosses d'aisance sont dallées. L'eau qui s'écoule sur ces nouveaux revêtements doit permettre de drainer et emporter la saleté avec elle (elle n'est pas perçue comme un moyen de nettoyer), conformément au modèle de circulation sanguine. Le contraire du salubre est le mouvement. Par ailleurs, la police sanitaire s'affirme et tend à devenir quotidienne. Les réformateurs caressent le projet d'évacuer à la fois les odeurs, le vagabond, l'immondice et l'infection sociale. La seconde réponse apportée par les hygiénistes repose sur la ventilation. Le flux qu'il importe de contrôler est celui de l'air vicié. Ventiler permet de restaurer la qualité antiseptique de l'air environnant, purifier et désodoriser l'eau stagnante et balayer les basses couches d'air. (p. ex. l'air est perçu comme un fluide et non comme un gaz). Ce souci concerne aussi bien l'espace public que privé. Il conduit à dénoncer les dangers des caves, des souterrains et pièces enfouies, soumis à la fois aux émanations du sol et privées de la circulation de l'air. Cette préoccupation scientifique a des répercussions sur les projets de ville idéale. Pour reprendre l'analyse de la ville saine de l'abbé Jacquin en 1762, celle-ci est bâtie sur un coteau : les hautes murailles sont tombées, les métiers responsables des mauvaises odeurs sont rejetés en dehors des murs (tanneurs, teinturiers) ainsi que les hôpitaux et les boucheries. Les manufactures sont installées dans les faubourgs. La troisième réponse consiste à désentasser les hommes. Le désentassement des corps se joue autour de l'émergence d'un lit individuel. L'hôpital joue à cet égard un rôle déterminant dans la définition de cette nouvelle norme (p. ex. un lit par malade est justifié par le métabolisme : il faut laisser chaque malade opérer librement son évolution thermique). Il importe d'éviter que l'entassement dans un même lit ne crée une chaleur moyenne. Tous ces préconisations hygiénistes sont d'abord expérimentées à l'hôpital militaire : les malades sont séparés dès 1767, les ventilateurs sont installés 20 ans plus tard, les excréments étroitement contrôlés. Les règlements se durcissent, exemple : ● obligation de changer régulièrement de sous vêtements (1 fois par semaine) ● obligation de se soulager dans les endroits prévus à cet effet En devenant un lieu disciplinaire (cf. Foucault), l'hôpital devient le lieu d'apprentissage de l'hygiène individuelle. 6 
  • 7. 2.2 Les odeurs et la physiologie sociale A la fin du 18ème le projet de constituer une histoire naturelle des odeurs a cessé de faire figure d'impossible. Les tentatives de définition et de classification des odeurs se multiplient. Deux types de méthode s'affrontent. La première est prônée par la philosophie sensualiste, dans la lignée de Condillac, et consiste à créer un langage capable de traduire les perceptions de l'olfaction. Toutefois, constituer un savoir osphrésiologique implique l'élaboration d'un vocabulaire scientifique, sous peine de dérive subjective. Or, il apparaît rapidement que les sensations de l'odorat refusent de se laisser emprisonner par le langage scientifique. Cette première méthode a le mérite de détacher l'odorat de l'animalité à laquelle il semblait rivé. La seconde méthode résulte des découvertes scientifiques. Il est alors admis que chaque substance a son odeur particulière relative à sa volatilité et à sa solubilité, suite aux découvertes de Fourcroy et Berthollet. En 1821, Cloquet publie un impressionnant ouvrage : osphrésiologie ou traité des odeurs, qui demeure la référence jusqu'au cœur du XXème siècle. La révolution lavoisienne privilégie la seconde méthode aux dépens de la première. Dans le premier tiers du XIXème (à partir de la Restauration) l'hygiène publique se fait plus cohérente et sa nécessité s'affirme. L'anxiété olfactive (cf. partie 1) rencontre alors les idées de l'utilitarisme. Désormais la crainte du miasme se double de la hantise de la perte économique. Les effluves nauséabondes indiquent à la fois le miasme et le manque à gagner. Toute mauvaise odeur […] signale dans les villes une atteinte à la santé publique, et dans les campagnes une perte d'engrais (Mille, hygiéniste). Cette conception est proche de celle des externalités en économie. (Les classiques puis les néoclassiques ultérieurement n'hésitent pas à se lancer dans des calculs pour évaluer les profits ou les pertes des excréments.). Dès lors, l'utilitarisme et la nécessité de l'épargne confortent le souci de salubrité : tous trois ordonnent de désodoriser. La désodorisation de l'espace public passe par la récupération et la valorisation du déchet. Tout comme les projets hygiénistes avaient caressé l'idée de faire contribuer les mendiants et les prisonniers au ramassage des ordures, les hygiénistes du début du XIXème pensent aux vieillards et aux indigents pour débarrasser la ville de ses immondices et rembourser une partie des frais qu'ils occasionnent (sur le modèle de la ville de Bruges). L'excrément est promu au rang de matière première de l'industrie chimique. Ce souci d'évacuation des déchets (et notamment des carcasses d'animaux) est la source de nombreuses innovations de procédés d'engrais. Ainsi la quête du profit conduit la désodorisation de l'espace public plus sûrement que la hantise de la salubrité. L'hygiène publique passe aussi par l'invention de procédure de désodorisation en 1823. En substituant l'emploi de chlorure de chaux à celui de chlore, le pharmacien Labarraque découvre le moyen de stopper la putréfaction. Sa démarche concluante est reprise pour désodoriser latrines et pissoirs de la capitale. Les 3 glorieuses marquent le triomphe définitif de l'eau chlorurée. Cette découverte s'impose pour désodoriser les lieux d'entassement en plus de l'utilisation de la circulation de l'air. 7 
  • 8. 2.3 La politique et les nuisances L'élaboration d'un code d'hygiène publique met du temps à émerger et passe par des emprunts aux différentes périodes de l'histoire. L'histoire de la réglementation publique en matière d'hygiène puise ses racines dans les lois de 1790 et 1791, respectivement dans les articles sur l'industrie et la salubrité. L'effet est limité. Il faut attendre 1802 pour voir émerger le conseil de salubrité du développement de la seine qui dote l'administration d'un organisme stable de consultation et de contrôle. Les écrits juridiques sous l'Empire se caractérisent par deux traits : la réglementation est d'inspiration industrialiste (il s'agit de protéger les patrons pour leur permettre l'expansion de leur entreprise) et la définition de la salubrité est très restrictive. Elle ne concerne que le dépérissement des végétaux et des métaux (les vapeurs chimiques n'apparaissent pas comme insalubres). La notion d'incommodité (réduite à une définition olfactive) supplante la notion d'insalubrité. L'histoire de la lutte contre l'insalubrité nauséabonde ne se lit pas seulement dans les textes législatifs mais aussi dans la nouvelle sensibilité qui se dessine. A cet égard, la Monarchie de Juillet représente un tournant : l'épidémie de choléra en 1832 oblige à la définition d'une stratégie de désinfection à l'échelle nationale et le nombre de plaintes formulées contre la pollution due a l'utilisation du charbon augmentent. La fumée devient un enjeu de préoccupation non pas en raison de son odeur mais parce qu'elle obscurcit. Le développement industriel amorce le déclin des préoccupations olfactives dans la gestion publique bien que la ville reste nauséabonde. Haussmann qui accède à la préfecture de la Seine en 1853 a pour ambition de faire de Paris une ville moins obscure. Parallèlement, l'attention portée sur la puanteur réside dans la puanteur du pauvre et non dans celle de l'espace public. Cette dichotomie sociale de la purification, résultat de la politique urbaine menée par Haussmann, peut être analysée avec la grille de l'utilitarisme. La désinfection de l'espace réservé à la bourgeoisie (en rejetant en dehors de cet espace pauvres, mendiants et ouvriers) contribue à valoriser la propriété. A contrario, assainir l'immeuble où s'entassent les ouvriers n'aboutit qu'à faire croître les dépenses à la charge du propriétaire. Ce constat amène AlainCorbin à conclure que la quête du profit, elle même conforte la distribution des odeurs. Partie 3. Odeurs, symboles et représentations sociales Alors que la chimie, dans l'élan des découvertes de Lavoisier bouleverse les représentations de l'espace et conduit à l'abandon de l'aérisme (circulation des fluides), un glissement théorique s'opère et charge les sensations olfactives de significations sociales. L'olfaction se trouve engagée dans un processus de raffinement des clivages et des pratiques sociales qui caractérisent le XIXème siècle, marqué par la bourgeoisie. 8 
  • 9. 3.1 La puanteur du pauvre   Le XIXème est marqué par un progrès de l'attention portée aux odeurs sociales. Désormais la réflexion et l'observation se déplacent de l'espace public à l'espace privé car la salubrité d'une grande ville est la somme de toutes les habitations privées (Passot, hygiéniste, 1850). L'heure est venue de traquer la désinfection dans la demeure du pauvre. La montée de la bourgeoisie s'accompagne d'un nouveau sytème de représentations et de nouveaux modèles de comportement. L'olfaction joue un rôle déterminant dans ce nouveau système. L'absence d'odeur importune permet de distinguer le bourgeois du peuple puant comme le péché ou la mort. Souligner la fétidité des classes laborieuses permet de mettre l'accent sur le risque d'infection que leur seule présence comporte et de justifier à la fois la nécessité de la désinfection et de la soumission du peuple. Le discours médical s'inscrit aussi dans l'évolution de ces perceptions. Le rapport remis en 1832 relatif à l'épidémie de choléra de 1830 (suite à une enquête sociale qui focalise son attention sur la misère prolétarienne) accorde une importance à la sécrétion de la misère et met en évidence l'existence d'une population prolétarienne qui favorise l'épidémie. Dès lors, l'anxiété liée à l'excrément se maintient dans la classe dominante mais la cause de cette anxiété s'est modifiée. La vision du bourgeois sur le peuple est structurée par son horreur pour la saleté. Il y a une sorte de projection sur le pauvre de ce que le bourgeois tente de refouler : en même temps qu'il se débarrasse de la saleté, le bourgeois se débarrasse du pauvre (ou du moins le met à distance). Nota ex : L'anthropologie du 18ème se passionne pour l'odeur du corps. Sans le relier à l'état de misère, elle s'efforce d'y lire l'effet du climat, de la profession, du tempérament. Ainsi le vieillard, l'ivrogne, la gangreneux, le palefrenier… ont une odeur particulière mais rarement de miséreux. Seuls les juifs, les prostituées, les fous les homosexuels…ont une odeur d'ordure et de puanteur. 9 
  • 10. Près d'un quart de siècle à compter des années 1830, la mauvaise odeur du prolétaire est stéréotypée : au riche, l'air, la lumière, l'horizon dégagé, la réserve du jardin. Au pauvre, l'espace sombre et clos, les plafonds bas et les caves, la puanteur et les mauvaises conditions de travail. Ce stéréotype poussé à l'extrême voit dans l'odeur quelque chose qui imprègne, pénètre, colle à la peau. Durant la seconde moitié du XIXème, la puanteur du pauvre se fait moins obsédante. L'odeur menaçante, celle qui va focaliser l'attention est désormais celle de la race. L'odeur du nègre demeure la même, quelques soins de propreté ou de nourriture qu'il prenne. Elle appartient à l'espèce comme le musc ou le chevrotin qu'il le produit […] (Car Vogt, in leçons sur l'homme, 1865.) La perception du pauvre qui s'impose à partir de la Monarchie de Juillet impose de désodoriser et de désinfecter. L'hygiéniste qui prévaut à cette époque a des implications morales : faire perdre au peuple sa fétidité animale, le tenir à distance de l'excrément, participe de la thérapeutique déployée à l'encontre de la pathologie sociale. Toutefois, être propre ne signifie pas se soumettre à une hygiène corporelle. Les mesures d'hygiène qui s'imposent consistent à transformer les communs en privés, réservés aux seuls habitants d'un immeuble. Un mouvement de privatisation des excréments s'amorce. Par ailleurs, émerge un mouvement d'inspection de l'habitat populaire suite à l'épidémie de 1830 : des commissions détectent les causes d'insalubrité et imposent aux propriétaires de respecter les règlements. Dans le quartier du Luxembourg, 920 propriétaires sont visités et 10 000 rapports ont émané des commissions constituées par quartier. Finalement, une loi sur les habitations insalubres voit le jour en 1850 (cf. chronologie sur le logement en France). 3.2 Les parfums de l'intimité Une nouvelle gestion des odeurs accompagne le mouvement de privatisation de l'espace intime au sein de l'habitation bourgeoise ainsi qu'une nouvelle mise en scène de la femme. Désormais, l'intensité du signe olfactif est réduit en même temps qu'il se valorise. Par ailleurs, les interdits qui frappent la vue imposent une promotion de l'odorat. Pour reprendre les mots d'AlainCorbin, l'atmosphère de la femme devient l'élément trouble de son sex appeal. Susciter le désir sans trahir la pudeur, tel est le nouveau rôle dévolu à l'olfaction dans le jeu amoureux. Le souci de propreté trouve sa justification dans les arguments médicaux. Ceux-ci incitent à des pratiques qui doivent éliminer la crasse putride afin d'éliminer les risques d'infection. Le rituel de la toilette est ordonné : la propreté des mains, des pieds, des aisselles, de l'aine et des organes génitaux devient impérative suite aux découvertes de Broussais. Pour reprendre les termes d'AlainCorbin, si décrotter le pauvre équivaut à l'assagir, convaincre le bourgeois de se laver, c'est le préparer à l'exercice des vertus de sa classe. La propreté est acceptée car elle entre dans l'arsenal des moyens pour lutter contre la perte : elle endigue le gaspillage vestimentaire (un des premiers soins corporels promus par les savants consistent à changer de vêtements pour être propre) et facilite le repérage, le contrôle voire la récupération (!) du déchet. Toutefois, persistent des freins au progrès de l'hygiène corporelle : la lenteur des équipements de la maison et la méfiance des médecins-hygiénistes à l'égard de l'eau. Se plonger dans un bain ne constitue pas encore une pratique banale de propreté mais une aventure risquée qu'il faut savoir maîtriser en fonction de son âge, son sexe, la température de l'eau et la saison. La croyance en une action négative sur l'organisme est encore présente (risque de débilité, d'infertilité pour 10 
  • 11. les femmes.) Des lors, le bain d'agrément est fonction des prescriptions du médecin. Aussi l'innovation majeure réside dans les bains partiel (pédiluves, manucures...). La multiplication des lotions accompagne celle des ablutions et des toilettes fragmentées. Il est recommandé de ne pas se laver la tête mais de se démêler et passer au peigne fin la chevelure. Les senteurs prononcées de la chevelure d'une femme sont ses plus sûrs atouts (le shampoing ne se développe que sous la IIIème République). Plus encore que d'une scrupuleuse pratique de l'hygiène la fraîcheur des odeurs corporelles dépend de la propreté du linge de corps : un renouvellement hebdomadaire est promu par les hygiénistes. Ces pratiques ne se diffusent que très lentement parmi la bourgeoisie et encore moins rapidement dans le peuple. Leur diffusion est variable entre la ville et la campagne et prend encore plus de temps dans le second cas. Les pratiques d'hygiène corporelle ne se banalisent qu'à partir des années 1930 dans le Nivernais. Les individus ont de nouveaux rapports aux odeurs. Depuis la Monarchie de Juillet, l'homme élégant a cessé de se parfumer. La seule odeur qui doit émaner de lui est celle du linge propre. C'est justement l'absence d'odeur forte qui est le signe du bon goût. La femme en tant que signe de la réussite sociale de l'homme, se voit réserver un luxe ostentatoire (soyeuses, draperies, couleurs vives...). Ce luxe en étant synonyme de gaspillage place la femme au dessus de tout soupçon de travail. Les femmes utilisent de doux parfums qui rappellent les senteurs de la nature. Ceux-ci ne doivent pas être déposés directement sur la peau mais davantage imprégnés les linges de l'armoire, mouchoirs, éventails… Il y a une sorte de mise à distance du corps avec le parfum qui sert la séduction entre hommes et femmes.) La beauté est identifiée à l'élégante propreté : les poudres et les fards sont abandonnés. Les cosmétiques recommandés sont des lotions et onctions qui permettent d'adoucir et assouplir la peau (p. ex. huile, beurre de cacao...). L'heure est à la douceur et à la suavité. Les senteurs pénétrantes et suffocantes sont l'image de l'animalité, signe d'une éducation ratée et de débauche. Par ailleurs, il s'agit pour le bourgeois qui incarne la nouvelle élite de marquer la rupture avec l'Ancien Régime et l'aristocratie. AlainCorbin propose d'élargir le propos pour justifier le changement du rapport qu'a la bourgeoisie aux parfums. Le XIXème privilégie la pudeur. L'interdit qui frappe le parfum indiscret et le maquillage entre dans un système de représentations à la fois morales, esthétiques et visuelles. L'image de la femme fleur naturelle révèle la ferme volonté de contenir les affects. Les délicates senteurs sont le signe d'un corps qui laisse passer la lumière sans être transparent; une sorte de corps comme reflet de l'âme. Cette symbolique a pour effet de déboucher sur l'image de la femme innocente (voire mièvre) et surtout pas féline ou carnassière. Dénouement. Les odeurs de Paris Au cours de l'été 1880, la mauvaise odeur atteint dans Paris une telle intensité que l'opinion s'émeut : "Sentez-vous ? Quelle puanteur !". La situation est assimilée à une calamité publique. L'affaire des odeurs de Paris prouve l'abondance et la rapide diffusion des découvertes pasteuriennes. En 1880, aucun expert ne met en cause les nouvelles théories : les savants ont désormais acquis la conviction que les germes infectieux assurent la transmission du mal. La menace "morbifique" et la mauvaise odeur sont dissociées. Tout ce qui pue ne tue pas, et tout ce qui tue ne pue pas. La disparition du rôle pathogénique de la puanteur conforte le recul de l'olfaction dans la sémiologie clinique. Le médecin a cessé d'être l'analyste privilégié des odeurs. C'est l'ingénieur chimiste qui fait désormais figure d'expert en olfaction. 11 
  • 12. L'odorat est relégué au bas de la hiérarchie des sens. Tour à tour considéré comme le sens de l'animalité pour Buffon, en dehors du champ esthétique pour Kant, affecté à l'analité pour Freud, l'odorat mérite un minimum d'attention. Une véritable révolution perceptive a lieu avant le silence olfactif de notre environnement actuel. L'acte décisif de cette révolution s'est joué entre 1750 et 1880, moment du triomphe des théories pasteuriennes. Vers 1750, les travaux de Pringle et Mac Bride sur les substances putrides, l'émergence de la chimie pneumatique, le fantasme de la pathologie urbaine suggèrent de nouvelles inquiétudes. C'est à l'odorat qu'il convient de détecter le miasme afin d'exorciser la menace nauséabonde. 12