1. N°245 - du 14 décembre au 10 janvier 2011
2012
et
les nouveaux
symboles
2. 2012 et les nouveaux
symboles
Tout particulièrement
pendant une campagne
électorale, il faut commu-
niquer efficacement. Pour
cela rien ne vaut la ren-
contre entre un message
et les grands symboles
collectifs.
Les mots, les actes, les
objets, les couleurs… ne
peuvent trouver leur véri-
table signification qu’en
rencontrant l’inconscient
collectif qui a été structu-
ré par et autour de sym-
boles.
Les symboles varient
beaucoup d’une Nation
à l’autre
En France, à la différence
des Etats-Unis par exem-
ple, nous n’imaginons pas
les symboles suivants :
- placer un drapeau à la
porte de sa maison,
- voir le Président prêter
serment sur une Bible,
- et encore moins termi-
ner chacun de ses dis-
cours par un «que Dieu
vous garde».
Aux Etats-Unis, chaque
élection est dominée par
le culte du «nouveau ma-
tin». Chaque élection pré-
sidentielle Américaine re-
flète le culte du neuf.
A cette occasion, l’électo-
rat exprime son souhait
de repartir sur des bases
nouvelles et parvenir ainsi
à «recommencer le mon-
de».
Chaque élection présiden-
tielle est marquée par
cette logique de rupture.
En 1976, Jimmy Carter
promettait la fin d’une
présidence machiavéli-
que.
En 1980, Reagan mar-
quait le retour d’un pays
qui entendait être inter-
nationalement respecté.
En 1992, la victoire de
Clinton était celle de la
proximité et du retour
aux priorités intérieures.
En 2000, le succès de
Bush était le triomphe
d’une Amérique morale.
En 2008 cette culture a
permis l’émergence puis
la victoire de Barack Oba-
ma.
Sa popularité soudaine a
été le fruit de trois fac-
teurs.
Tout d’abord, la tonalité
originale du contenu mê-
me de ses discours qui
expriment chacune de ses
recommandations à partir
de sa propre vie.
Il ancre ses références
dans l’expérience de son
existence. C’est vrai que
sa vie a été atypique. Son
père a grandi au Kenya et
vivait comme berger d’un
troupeau de chèvres. Il a
gagné une bourse pour
étudier à Hawaï. Là, il a
rencontré une jeune fem-
me originaire du Kansas
et l’a épousée. Barack
Obama naît de cette
union le 04 août 1961. Sa
mère est d’ascendance
2
3. 2012 et les nouveaux symboles
3
Les seniors : la France
qui a peur davantage
que mal
Les seniors représentent ac-
tuellement la France qui a
peur davantage que mal.
Ils sont désemparés par la
perte des symboles, par la dis-
parition des repères classi-
ques.
L’objectivité perdue les plonge
dans un désarroi qui peut être
lourd de conséquences politi-
ques compte tenu de leur
poids croissant.
4. cherokee et le prénom
Barack signifie «béni» en
Swahili. Cette union
prend fin lorsque son père
retourne au Kenya pour y
travailler comme écono-
miste. Sa mère se rema-
rie et la famille emména-
ge à Djakarta. En 1971,
Barack Obama revient à
Hawaï vivre chez ses
grands-parents pour s’as-
surer une meilleure scola-
rité que celle susceptible
de lui être donnée en In-
donésie. Il étudie le droit
l’Université de Columbia à
New York. Il s’installe à
Chicago puis repart étu-
dier le droit à Harvard. A
son retour il devient Pro-
fesseur en droit constitu-
tionnel à Chicago et entre
dans un cabinet juridique.
Ensuite, seconde particu-
larité, il défend tout ce
qui peut rassembler l’A-
mérique. Son discours sur
la guerre d’Irak en est
symbolique. A Boston en
2004, il pointe d’abord
toutes les obligations qui
doivent entourer ceux qui
envoient des troupes en
Irak. Il déclare notam-
ment : «quand nous en-
voyons nos jeunes fem-
mes et hommes, nous
avons une obligation so-
lennelle de ne pas cacher
les mauvaises nouvelles,
de ne pas voiler la vérité
au sujet du pourquoi ils y
vont mais surtout à leur
retour nous devons les
assurer de notre solidarité
matérielle». Et d’ajouter
«qu’il faut immédiate-
ment envoyer assez de
troupes pour gagner la
guerre, faire la paix, ga-
gner le respect du monde
et revenir en Amérique».
Enfin, Barack Obama in-
carne l’honnêteté dans la
présentation de son pro-
pre cursus personnel. Il
dévoile ses erreurs, des
travers et il est loin de
dresser un tableau idylli-
que de son passé.
Ces trois traits sont le so-
cle de sa percée. Ils sont
empreints d’une très
grande originalité dans
l’Amérique de GW Bush.
En effet, la culture politi-
que dominante est faite
d’uniformité dans le cur-
sus des responsables poli-
tiques, d’oppositions in-
cessantes entre les Répu-
blicains et les Démocrates
et surtout d’une présenta-
tion des cursus individuels
minutieusement nettoyés
de toute aspérité.
Barack Obama porte sur
sa peau la marque de sa
nouveauté en défendant
une cause historique : le
premier Président métis
de l’Histoire. Le symbole
du «nouveau matin» pou-
vait frapper.
Des symboles français
très différents
Comment est-il donc pos-
sible d’identifier les princi-
paux symboles français ?
Dans l’univers culturel
français, tout est tourné
2012 et les nouveaux symboles
4
5. vers une symbolique styli-
sée qui accorde une place
forte où la forme exprime
le fond. Ainsi, exemple
caricatural, en 1974, VGE
va corriger son côté aris-
tocrate en recourant au
chandail et en jouant de
l’accordéon.
Le système symbolique
national français a été
longtemps bâti sur deux
socles :
- à partir de la Révolution
française le sentiment
d’universalisme potentiel.
D’où une considération
permanente particulière
sur le thème de la place
de la France dans le mon-
de,
- une place très forte ac-
cordée au passé qui a un
très fort pouvoir d’évoca-
tion.
Dans l’univers culturel
français, le passé et le
présent se mêlent en per-
manence.
Si les Français sont au-
jourd’hui à la recherche
de leur identité c’est que
ces deux socles vacillent
pour le moins.
A l’extérieur de la France,
les exemples objectifs
d’abaissement du statut
international de ce pays
fourmillent. La langue, la
culture, la présence mili-
taire, la présence écono-
mique sont très éloignées
d’une splendeur univer-
selle.
Sur le plan intérieur, la
même déstabilisation est
connue et remarquée par
les Français.
Les jeunes sont aujourd-
’hui probablement plus
nombreux à connaître le
rap que la signification,
voire le mot même, de
«bonnet phrygien».
Les matières fortes nou-
velles ne portent pas un
contenu proche des sym-
boles français : informati-
que, économie…
L’élection présidentielle
2007 a été probablement
la première à intervenir
dans un univers symboli-
que aussi contesté, fragi-
lisé, incertain. Cet univers
symbolique a été considé-
rablement déstabilisé de-
puis 2007.
Cette situation ouvre trois
nouveaux chantiers :
- est-il possible de cons-
tater la caducité de cet
univers symbolique tradi-
tionnel ?
- est-il possible de lui
substituer un nouvel uni-
vers symbolique adapté à
la modernité ?
- si c’est possible, est-ce
que la présidentielle 2012
sera marquée par la nais-
sance de cette nouvelle
symbolique ?
Même délicate, cette éta-
pe est probablement le
point de passage obligé
vers une réconciliation
des Français avec eux-
La France et son rap-
port au passé
La France baigne dans son
histoire. Les témoignages
du passé sont innombrables
sur son territoire. 40 000
monuments historiques sont
p r o t é gé s p a r l’ E t a t
(châteaux, cathédrales, égli-
ses, monastères…).
Si chaque monument était
visité à hauteur de 1 monu-
ment par jour, il faudrait
109 ans pour les voir tous…
Par sa présence, le passé
cerne donc les Français. Si
les Français ont un rapport
apaisé simple avec leur his-
toire lointaine, il en est tout
autrement du proche passé.
Cette situation est très im-
portante dans la construc-
tion intellectuelle classique
des Français avec le temps.
Le passé occupe une place
permanente à part entière
dans la culture française.
Tout est présenté comme
constituant une chaîne de
solidarité dans le temps
avec des devoirs de conti-
nuité.
Pour les Français, le passé
oblige, crée des devoirs.
Cette conception n’est pas
celle de toutes les Nations.
Ainsi, pour les Américains,
le passé n’oblige à rien.
C’est du temps «passé» qui
est derrière et ce qui comp-
te c’est le présent.
Ce rapport privilégié des
Français avec le passé en-
traîne de nombreuses
conséquences qu’il importe
de gérer avec beaucoup de
précautions.
2012 et les nouveaux symboles
5
6. La fin du «modèle Français» ?
La France aime être référence. Comment
garder ce statut ?
Cette question est d’autant plus importante
quand au même moment des «modèles
français» s’effondrent manifestement.
Cette interrogation est malheureusement
peu traitée en raison de la baisse considéra-
ble d’influence des intellectuels sur la vie
publique française.
En effet, la vie publique française est frap-
pée par un vide conceptuel d’une rare ni-
veau.
L’influence réelle des intellectuels vis-à-vis
du grand public a connu ces trente dernières
années un déclin sans précédent. Dans les
derniers et rares domaines où les intellec-
tuels aspirent à garder une forme d’expres-
sion, ils n’ont plus de réelle crédibilité. Cette
crédibilité qui naît de l’honnêteté de leur en-
gagement tant vis-à-vis d’eux-mêmes que
de leur exigence vis-à-vis de ceux qui sui-
vent leur engagement.
Cette situation handicape dans l’adaptation
de la France au changement.
En effet, les modifications sont tellement
profondes qu’il ne peut être question de se
référer en permanence au passé pour cher-
cher une clef d’analyse ou d’interprétation.
C’est l’ensemble d’un système ancien qui
s’est effondré sans être remplacé par un
nouveau système.
Cette transition vers un objectif encore ab-
sent explique pour partie cette résistance au
changement et cette aptitude à chercher des
boucs émissaires généralisés que l’on va pu-
nir pour ne pas avoir à traiter les problèmes
de fond.
mêmes.
Aujourd’hui une double
«haine de la France» se
développe. A l’extérieur,
l’arrogance française est
de plus en plus dénoncée.
Que traduit ce reproche ?
C’est le constat objectif
de l’écart excessif entre le
ton du pays et sa capacité
à s’exprimer ainsi.
Sur le plan intérieur, une
situation identique s’est
développée. Une distan-
ciation considérable est
intervenue entre les fran-
çais et leur pays.
Le vrai enjeu conceptuel
de la présidentielle réside
probablement dans la re-
définition de cet univers
symbolique moderne. Au-
cun candidat ne s’est vé-
ritablement ouvertement
avancé encore à ce jour
sur ce domaine.
Si cette situation persiste,
il faudra attendre les pre-
mières semaines de cam-
pagne pour voir si l’uni-
vers symbolique suscite
l’adhésion des français.
Une nouvelle fois, janvier
risque d’être le vrai mois
charnière de l’élection
présidentielle. Depuis
1981, l’élection présiden-
tielle s’est toujours jouée
lors du mois de janvier de
l’année de l’élection.
Par la bonne utilisation
des symboles, un élu ou
un candidat prouve qu’il
est capable de «lire l’heu-
re des citoyens» et qu’il
vit au même rythme
qu’eux.
La première fonction du
bon usage des symboles
collectifs c’est ainsi de dé-
montrer qu’il n’y a pas de
décalage entre le déten-
teur d’un pouvoir et les
citoyens.
Par définition, cette
«heure du citoyen» évo-
lue.
Pour le moment, cette
heure est aux tendances
suivantes :
- l’attente de lisibilité de
l’avenir : l’avenir est trop
inconnu. L’ offre politique
est très segmentée, écla-
tée apportant des répon-
ses à portée limitée, caté-
gorielle. La prochaine pré-
sidentielle sera un temps
2012 et les nouveaux symboles
6
7. privilégié, probablement
unique, pour donner une
grille globale de lecture
de cet avenir collectif.
- Face aux menaces de
plus en plus redoutables
et redoutées, il ne peut
plus être seulement ques-
tion de «rester en vie». Il
y a un besoin de protec-
tion. Par conséquent, cet-
te grille de lecture doit
aussi, voire d’abord, être
une nouvelle grille de
sens avec des buts collec-
tifs et des indicateurs in-
dividuels.
- Parce que tout s’accélè-
re et que cette accé-
lération est p e r ç u e
comme une menace, c e
projet doit contenir de
nouveaux espaces de
«lenteur» qui seront per-
çus comme autant d’a-
ménagements de protec-
tion, des espaces de res-
piration, d’adaptation
douce. La vitesse est dé-
sormais perçue comme
l’expression de la compé-
tition. Cette compétition
qui peut tout remettre en
question du «jour au len-
demain».
La vitesse et la compéti-
tion sont d’ailleurs moins
compatibles avec les at-
tentes d’une population
qui vieillit. L’énergie sur le
mode accéléré inquiétera
de plus en plus. L’opinion
attend de la lenteur sélec-
tive et de la douceur.
Ces trois nouvelles ten-
dances sont en attente de
symboles perçus par l’opi-
nion. Ce qui explique l’ac-
tuel désarroi.
Une interrogation sur
le fond avec des indica-
teurs de plus en plus
contestés
Ce désarroi est d’autant
plus profond que, sans
réponse sur le fond, l’opi-
nion est déstabilisée par
trois réalités nouvelles.
Tout d’abord, l’opinion a
constaté une mathémati-
2012 et les nouveaux symboles
7
8. de crédit des chiffres,
l’objectivité parait perdue.
C’est probablement la si-
tuation la plus délicate :
cette société sans repère
admis désempare. C’est
l’illusion généralisée. Il
faut chercher derrière
l’apparence d’une affirma-
tion. C’est la suspicion
généralisée.
Enfin, troisième phéno-
mène, le besoin d’émo-
tions qui réveillent. Dans
cet univers du ressenti
puisque l’objectif est ab-
sent il faut trouver des
exemples qui font penser,
qui responsabilisent, qui
considèrent. C’est la ba-
taille du sens qui s’annon-
ce : au moins partager un
objectif.
Le discours présidentiel
2012 ne pourra rester à
l’écart de ces tendances.
Face à ces tendances, il
existe beaucoup de retard
dans le discours politique
français.
C’est ce vide qui ouvre
des espaces inédits lors
de la présidentielle 2012.
Les symboles doivent être
actualisés. Le candidat
qui y parviendra préemp-
tera probablement la vic-
toire au printemps 2012
tant l’attente est désor-
mais forte en la matière.
sation des réalités. Les
chiffres étaient censés
permettre d’établir un
diagnostic fiable. Or il n’y
a plus un seul chiffre qui
ne soit pas sérieusement
contesté ouvertement : le
nombre de manifestants,
celui d’établissements
scolaires occupés, les files
d’attente sur les routes
les soirs de neige … : plus
un chiffre ne s’impose.
C’est une société de perte
de repères simples. Une
perte de repère sur tous
les sujets y compris les
plus essentiels : inflation,
chômage … La dernière
illustration est la non pu-
blication des chiffres sur
les voitures brulées pen-
dant la nuit du 31 décem-
bre. C’est la caricature de
la perte de la place du
chiffre dans le débat pu-
blic. Confrontés à la réali-
té, les chiffres disparais-
sent.
Le sujet majeur du divor-
ce concerne probable-
ment la crise et la situa-
tion des banques. C’est le
domaine où le discours
officiel clive le plus avec
la situation ressentie (cf
page 07 sondage Ifop Hu-
manité de septembre
2010).
Ensuite, phénomène com-
plémentaire de la perte
Editeur :
Newday
www.exprimeo.fr
2012 et les nouveaux symboles
8
9. Barack Obama à la recherche d’une nouvelle identité
9
Début 2011, les Républicains
s’installent suite aux élections
du 2 novembre 2010. Ils pren-
nent le pouvoir à la Chambre
des Représentants et seront
plus influents au Sénat. A la
même date, les comités offi-
ciels pour la présidentielle
2012 vont se multiplier. Bref,
un nouveau rythme politique
s’impose.
C’est aussi le temps choisi par
Barack Obama pour engager
la reconquête. Quels défis
prioritaires pour cette nouvelle
donne ?
Parution le : 11 janvier 2011.