CAT devant une Thrombose veineuse superficielle .pptx
Suivi orthophonique d'une enfant de 7 ans
1. Claudine Duez
Vignette clinique exposée lors de la conférence de Mme Frédérique F. Berger
le 25 juin 2016
Suivi orthophonique d’une enfant de 7 ans d’origine cambodgienne
dans le cadre d’un CMPP
La 1ère
demande
Les parents d’Anna téléphonent fin juin pour prendre rendez-vous au CMPP sur les conseils de
l’école. Anna est en fin de CP, elle a appris à lire mais a du mal à comprendre les textes et surtout
les consignes en mathématiques. Elle se montre très timide, ne parle presque pas sinon elle ne pose
pas de problèmes particuliers en classe.
La demande ressemble à beaucoup d’autres, tout va bien sauf à l’école ! Le médecin décide de les
accueillir pour un premier rendez-vous. Elle tachera d’explorer un peu plus cette demande. Le
rendez-vous est donné pour fin novembre, liste d’attente oblige !
La consultation
Les deux parents d’Anna sont présents. D’origine cambodgienne l’un et l’autre, ils ont fui le
Cambodge avec leurs familles en transitant par les camps de Thaïlande. Accueillis en France au titre
de réfugiés, ils sont arrivés à X au centre d’accueil, c’est là qu’ils se sont connus. Toute la famille
de madame est en France, monsieur a encore de la famille au Cambodge. La grand-mère de
madame vit avec eux. Le papa s’exprime assez bien en français, il travaille et il est très occupé par
son travail, il ne pourra pas se libérer. La maman dit que Anna ne pourra pas venir seule, elle
l’accompagnera car c'est une enfant très timide, elle enchaîne en disant qu’elle-même a du mal à
s’exprimer en français, qu’elle ne peut pas travailler car elle ne sait pas lire et écrire notre langue
elle avait juste fait un an de français à l’école avant la guerre. Elle ne peut pas aider Anna pour ses
devoirs
Anna est l’aînée, elle a 7 ans et est rentrée au CE1 malgré ses difficultés. Elle a fréquenté
l’école maternelle à partir de trois ans. L'entrée à l’école s’est bien passée, mais « elle a toujours été
timide » dit la maman. Elle a deux petits frères de 5 et 3 ans. Eux aussi sont scolarisés. Les trois
enfants parlent français entre eux, le papa parle français ou cambodgien avec ses enfants, la maman
parle plus volontiers le cambodgien, la grand-mère ne s’exprime qu’en cambodgien.
L'anamnèse ne révèle rien de particulier : la grossesse, l’accouchement, tout s’est bien passé.
« C’était un gentil bébé » dit la maman. En conclusion, tout va bien à la maison …. C’est l’école
qui demande et l’école c’est important. Pendant l’entretien, Anna ne dit rien, elle fait un très beau
dessin et à la fin de l’entretien, elle dit au médecin qu’elle voudrait qu’on l’aide pour mieux
travailler à l’école. Le médecin explique que nous allons réfléchir ensemble à la meilleure façon de
l’aider.
En synthèse, le médecin insiste sur le fait que la famille n’est pas prête à aborder autre chose
2. que la difficulté d’apprentissage, et suggère un bilan orthophonique pour faire le point des
difficultés de langage. Un contact sera pris avec l’école après accord des parents et d’Anna.
La discussion tourne autour du lien entre Anna et sa mère, de cette maman qui n’a pas pu
apprendre, qui a du mal à parler, qui ne peut aider sa fille. Cette maman semble en grande
souffrance et sa petite fille si timide, si réservée, n’apprend pas mais fait de superbes dessins !
Un autre entretien avec le médecin sera proposé à Anna seule, après le bilan orthophonique. Je la
reçois donc en bilan, accompagnée de sa mère. Cette dernière me confirme : Anna a parlé à un âge
normal mais parle peu que ce soit en cambodgien ou en français. Elle aime dessiner, elle est calme.
A la maison, elle aide la maman dans les tâches ménagères. Pendant ce temps, Anna dessine tout en
regardant sa mère, son regard est vif, attentif. Elle commente volontiers son dessin, « il y a une
maison, des fleurs et du soleil... ». Quand je propose de la garder seule pour le bilan, sa mère se
lève, elle la retient par la manche et me regarde fixement. Je propose à la maman de rester, grand
sourire d’Anna. La maman s’assoit un peu en retrait, le bilan du langage oral est bon avec une petite
difficulté au niveau du vocabulaire et de la compréhension des structures complexes et des temps de
verbes. La lecture est acquise, mais reste un peu mécanique et il n’y a pas de mémorisation, ce qui
correspond aux difficultés annoncées. Je note, cependant, qu’Anna prend plaisir au travail proposé.
La maman s’intéresse mais n’intervient pas. En fin de bilan, quand je propose de contacter l’école,
la maman acquiesce, mais Anna refuse. Je lui dis que ce n’est pas un problème et que je respecterai
son avis.
Au rendez-vous avec le médecin, Anna accepte de rester seule, mais reste sur sa réserve sauf à la
fin où elle dit souhaiter venir « avec sa maman », chez la dame qui fait lire.
En réunion, nous sommes tous étonnés par la fermeté des réponses de cette petite fille « timide
et réservée ». Elle qui ne comprend pas à l’école, qui ne sait pas, semble pourtant savoir ce qu’elle
veut. Si tout le monde semble d’accord pour aborder le travail par les problèmes de langue et
d’apprentissage, la question de la présence de la maman porte à discussion. N’est-ce pas la trop
grande proximité d’avec sa mère qui empêche Anna d’apprendre, d’être autonome mais Anna peut-
elle apprendre et progresser tant que sa mère souffre de son « incompétence » à parler, lire, écrire le
français. Des expériences précédentes s’étant avérées positives avec des mères d’origines étrangères
qui souvent restent garantes de leur langue, nous décidons d’engager un travail conjoint avec Anna
et sa maman.
La prise en charge
Au cours des premières séances, Anna et sa mère restent très sérieuses, nous travaillons
surtout la lecture et la compréhension. Peu à peu, la maman et Anna se mettent à parler mais
toujours de l’école, du travail du papa, peu de la vie à la maison. Le maître a dit à la maman
qu’Anna n’ose pas faire le travail seule, qu’elle n’ose pas répondre, montrer ce qu’elle sait.
Pourtant Anna prend de plus en plus plaisir à lire. Elle dit aimer les contes, elle lit et dessine ce
qu’elle a aimé. La maman s’exprime de mieux en mieux en français et arrive à lire elle aussi.
Nous réalisons des lectures de contes à trois voix ! Cependant, à l’école, la situation change peu !
Anna choisit maintenant ses lectures, elle prend aussi des livres à la bibliothèque. Je lui demande
ses préférences et elle me dit que son livre préféré, c’est Barbe Bleu, je suis étonnée !
Quelques temps plus tard, la maman téléphone : Anna et elles ne pourront pas venir car la grand-
mère a fait un malaise cardiaque.
Quinze jours plus tard, elles sont à nouveau présentes, je m’inquiète de la grand-mère. La maman
me dit : « oh cela va mieux, c’était l’émotion, elle a reçu un appel du Cambodge, ils ont retrouvé
3. nos morts ! » Et très émue, elle me raconte l’horreur de la guerre, la famille décimée, la fuite, les
camps. Elle ajoute : « je n’en avais jamais parlé devant les enfants ». Cela faisait plus de six mois
que nous travaillions ensemble.
Ensuite, tout est allé très vite, la maman a cherché et trouvé un travail. Anna a continué à venir en
taxi, elle s’est mise à progresser à l’école et elle a pu entrer dans la classe supérieure. Elle est venue
quelques séances à la rentrée suivante puis nous avons arrêté de nous rencontrer d’un accord
conjoint.
A la réunion de fin de prise en charge, nous nous sommes rappelés que cette petite fille qui ne
savait rien de ce drame, avait su aider sa mère à trouver les mots et que nous avions bien fait de lui
faire confiance ….
Dès le premier entretien, nous sentons la réserve de la famille à aborder ce qui touche à
« l’intime », la maman nous semble en souffrance mais répète qu’à la maison tout va bien !
Comment les aider ? Pourront-elles venir à des entretiens en psychothérapie ? Nous avons craint
une rupture ! Pour le mode de prise en charge : Anna est-elle trop liée à sa mère ? Sa présence va-t-
elle la gêner ou est-elle nécessaire ? Au bilan, la maman est prête à partir …Anna ne s’accroche pas
à sa mère, elle la retient par la manche et me regarde. Cela m’a semblé important !
A quoi correspond cette demande portant sur la compréhension de la langue ? Comprendre les
mots/maux à travers des histoires /leur histoire ? En suivant Anna et sa mère, les avons-nous aidées
à trouver la clef ? Ceci a pris vraiment sens dans l’après coup.
Si nous réfléchissons au symptôme d’Anna apparu au CP , elle apprend à lire mais n’y comprend
rien , c’est bien au moment de l’apprentissage de la langue écrite que les questions du nom et des
origines se posent pour les enfants immigrés mais si on relit le premier entretien ,c’est aussi au
moment où la maman entre au collège et commence à apprendre le français que tout s’écroule pour
elle .Et c’est bien là qu’elle situe sa souffrance , son incompétence à travailler , à aider sa fille .Et
c’est bien là qu’Anna pose sa demande. Si le trauma arrive à se dire suite à un évènement extérieur
dans ce lieu où la mère a pu reprendre avec ou grâce à sa fille le fil de son histoire, nous nous
sommes demandés si ce travail avait aussi permis d’entamer les recherches des morts et ainsi de
reprendre le cours de leur vie.