1. 3 septembre 2012
Au coeur des marchés
Paradoxes de crise
Michel Juvet
Analyste financier et Associé de Bordier & Cie
B
ientôt trois ans se seront écoulés depuis le (Espagne et Italie) ont eux dû subir les impatiences
début de la crise des dettes publiques occi- de leurs créanciers et de fortes hausses sur leurs taux
dentales. Pourtant, la situation sur ce front de financement.
ne semble guère évoluer, et les réponses des Etats
sont disparates et confuses. Doit-on alors pour autant demander aux pays suren-
dettés d’abandonner leurs coupes budgétaires? Non,
De la fin de 2009 à la fin de cette année, à l’exception car on l’a vu à de nombreuses reprises, lorsque la pres-
de la Grèce, et pour cause d’abandon de créances par sion des marchés s’évapore, les gouvernements ne
ses créanciers, aucun pays occidental endetté n’aura s’intéressent plus à la réduction de leur endettement.
pu, si ce n’est réduire, du moins contenir son endet- Doit-on faire aveuglément confiance aux politiques
tement public. Pire, les dettes publiques en absolu pro-croissance pour régler le surendettement? Non
devraient même, quelles que soient les politiques également, car la croissance restera durablement
budgétaires menées, avoir progressé de 10% en faible et ne pourra seule régler la charge des intérêts
Italie (le bon élève!) à 75% en Irlande. L’Amérique annuels sur la dette.
silencieuse devrait voir sa dette publique augmenter
de près de 30%. Quant à la vertueuse Allemagne, L’Europe est à nouveau à un moment clé pour effacer
son score devrait ressembler à celui de son mauvais les paradoxes et faire converger les différences. Elle
grand voisin français, soit une hausse supérieure à pourra dès la semaine prochaine, avec les proposi-
20%… Ces mauvais résultats sont d’autant plus tions de Mario Draghi, arrêter le dysfonctionnement
troublants qu’ils apparaissent dans des pays qui de sa politique monétaire et contenir les charges
mènent soit des politiques d’austérité orientées sur financières des Etats fragiles, afin qu’ils puissent
la baisse des dépenses (Espagne, Italie, Irlande), soit mener une austérité raisonnable.
des politiques budgétaires myopes et favorables à
la croissance (Amérique). L’Amérique doit se préparer à affronter presque
les mêmes enjeux. Elle a déjà bénéficié du soutien
B OR DIE R & C IE
Les créanciers, eux, ont pourtant choisi de récom- illimité de sa banque centrale pour garder les taux
penser les pays qui évitent l’austérité, Ainsi, malgré le plus bas possible, mais sourde et aveugle comme
l’accroissement de l’endettement public, les taux des Européens, elle n’a pas redressé ses finances
allemands et américains à long terme ont baissé de publiques. Elle imagine probablement qu’au pire,
220 à 240 points de base pendant cette période, alors c’est le cours du dollar et donc les étrangers qui
que les pays contraints par des politiques d’austérité paieront l’addition… Passera-t-on alors en 2013 de
la crise européenne à la crise américaine?
Article de Michel Juvet paru dans Le Temps du 3 septembre 2012 1/1
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