1. Causeclimatique:
troisraisonsd’ycroire
Hortense Goulard
@HortenseGoulard
Il suffit maintenant d’ouvrir les
yeux pour voir les effets du change-
mentclimatique.Lesforêtsfrançai-
ses, en ce début de septembre, sont
en grande partie desséchées : les
feuilles des arbres sont racornies,
les conifères roussis. Une épaisse
couche de feuilles mortes couvre le
sol. C’est la conséquence de l’un
des étés les plus chauds et les plus
secs jamais enregistrés depuis que
Météo France a commencé à enre-
gistrer les températures.
Sur la côte ouest des Etats-Unis,
les mêmes causes ont conduit ces
derniers jours à des incendies
dévastateurs : plus de 800.000 hec-
tares brûlés, des centaines de mil-
liers de personnes évacuées. Dans
le monde entier, les signes s’accu-
mulent, de la fonte des glaces
recordenArctiqueetauGroenland
à des tornades à répétition aux
Etats-Unis,enpassantpardesinon-
dations record en Asie du Sud-Est.
Pendant ce temps, les émissions
de gaz à effet de serre continuent
d’augmenter. Elles ont à peine
reculélorsdel’épidémiedecorona-
virus, qui a pourtant paralysé l’éco-
nomie mondiale pendant de longs
mois.Faceàceconstat,ilesttentant
de baisser les bras. Pourtant,
des marges de manœuvre existent
pour contrer le réchauffement
climatique.
Première bonne nouvelle, les
sources d’énergie les plus propres
sont maintenant parfois les moins
chères. « Les énergies renouvelables,
etenparticulierl’énergiesolaire,sont
devenues de plus en plus compétiti-
ves ces dernières années », explique
le directeur de l’Agence internatio-
nale de l’énergie, Fatih Birol.
« L’énergiesolaireestd’oresetdéjàla
source d’énergie la moins chère dans
de nombreuses régions du monde. »
L’éolien en mer devrait lui aussi
croître de façon exponentielle ces
prochaines années.
Pour garantir la sécurité du sys-
tème électrique, il faudra aussi
investir dans des capacités de stoc-
kage – batteries, mais aussi barra-
ges hydroélectriques ou encore
électrolyseurs, qui permettent de
transformer l’électricité en gaz et
donc de la stocker sur de longues
périodes de temps – et dans les
réseaux électriques. Ces technolo-
gies,demoinsenmoinschèreselles
aussi, pourront être déployées à
grande échelle.
Dans un rapport publié récem-
ment,l’AIEestimequelestechnolo-
gies déjà rentables permettront
d’éliminer 60 % environ de nos
émissionsdegazàeffetdeserre.Les
40 % restants, les plus difficiles à
« décarboner », proviennent sur-
tout de l’industrie – production de
métaux et de ciment, industrie chi-
mique en particulier – et des trans-
ports. Des solutions existent déjà :
l’électrification des transports du
quotidien et d’une partie de l’indus-
trie, les biocarburants pour l’avia-
tion, l’hydrogène, ou encore le cap-
tage et le stockage de carbone pour
les industries lourdes.
Cependant,lecoûtdecestechno-
logies est encore trop élevé pour
qu’elles soient utilisées à grande
échelle, sans aide financière des
Etats. « Le défi est maintenant
d’amener ces technologies à un stade
où elles sont viables commerciale-
ment », explique l’auteur de cette
étude. Ce qui nécessitera des inves-
tissements massifs dans les pro-
chaines années.
Le rôle du secteur public et des
gouvernementsmondiauxestdonc
crucial. Valérie Masson Delmotte,
paléoclimatologue, qui copréside
l’un des groupes du Giec (Groupe
d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat), constate une
« prise de conscience partout dans le
monde » qui est « particulièrement
vive chez les plus jeunes ».
C’est la deuxième bonne nou-
velle : depuis les accords de Paris en
2015,ledébatachangé,etlaprisede
consciencedesdécideurspublicsest
désormais un acquis. Après la crise
financière de 2009, les plans de
relance économique, par exemple,
netenaientaucuncompteduclimat,
ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
« EnEurope,entoutcas,onchercheà
trouver un équilibre entre transition
écologique et compétitivité de l’indus-
trie »,notelascientifique.
Les pays européens ne sont pas
seuls à agir. La conscience d’être
en première ligne du changement
climatique est particulièrement
aiguë dans les pays en développe-
ment, surtout chez les plus jeunes.
Denombreuxpaysémergents,dont
la Chine et l’Inde, commencent à
réduirelapollutiondel’air,devenue
un problème majeur de politique
publique.
Enfin, la prise de conscience est
réelle aussi dans les entreprises.
Certaines se positionnent sur des
secteurs vitaux pour la transition
énergétique, comme le danois
Ørsted, spécialiste des énergies
renouvelables, ou le français Sch-
neider Electric, qui propose des
solutions pour réduire les émis-
sions des bâtiments.
D’autres annoncent des objectifs
ambitieux, bien que difficilement
vérifiables, de réduction de leurs
émissions de gaz à effet de serre,
dont les géants du numérique Goo-
gleetApple.Mêmelesmajorspétro-
lières, qui ont le plus contribué au
changementclimatique,reconnais-
sent désormais que cette partie de
leur activité devra décliner dans les
prochaines années.
« Aujourd’hui, les sujets climati-
ques sont souvent traités au niveau
du comité exécutif, car on touche au
financement qui est une question
majeure », explique Benoît Leguet,
directeur du think tank I4CE.
« Cela vient de l’intérieur de l’entre-
prise, mais ces changements sont
aussi facilités par la pression des
investisseurs. » n
L’ANALYSE
DE LA RÉDACTION
Face à la multiplica-
tion des événements
extrêmes liés
au changement
climatique, il est facile
de céder au désespoir
ou au fatalisme.
Pourtant, il existe
aussi de nombreuses
raisons d’être
optimiste sur nos
chances de combattre
ce bouleversement.
Les progrès
technologiques
en font partie, mais
aussi la pression de
plus en plus forte des
opinions publiques.
D
Les points à retenir
•Les sources d’énergie les
plus propres sont maintenant
parfois les moins chères.
•L’AIE estime que les
technologies déjà rentables
permettront d’éliminer 60 %
environ de nos émissions
de gaz à effet de serre.
•Depuis les accords de Paris
en 2015, le débat a changé,
et la prise de conscience des
décideurs publics est
désormais un acquis.
•La prise de conscience
est réelle aussi
dans les entreprises.
Les Echos Lundi 21 septembre 2020