#ETHNOMEDECINE
✅ Un diplôme universitaire d’ethnomédecine, unique en Europe, a été lancé à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
⏩ "Faire une place au regard des anthropologues sur le domaine de la santé, permettre aux étudiants d’avoir une meilleure connaissance et compréhension de la médecine traditionnelle..."
La création de ce diplôme s’inscrit aussi dans une époque marquée par un intérêt croissant pour les médecines dites douces ou alternatives.
1. Pourquoi l’ouverture d’un cursus
d’ethnomédecine représente
une petite révolution dans
le milieu universitaire ?
Parce qu’il permet, enfin, de faire une
place au regard des anthropologues
sur le domaine de la santé. Plus large-
ment, c’est l’idée qu’un établissement
d’enseignement supérieur reconnu
comme l’Inalco, spécialisé dans l’étu-
de des langues et civilisations orien-
tales, valorise la richesse du croise-
ment des sciences humaines et de la
médecine. La création de ce diplôme
s’inscrit aussi dans une époque mar-
quée par un intérêt croissant pour les
médecines dites douces ou alternati-
ves. Et dans un contexte international
où, rappelons-le, la médecine tradi-
tionnelle est reconnue par l’Organisa-
tion mondiale de la santé.
À quel point la médecine
traditionnelle effraye-t-elle
encore la pensée académique ?
Dans le monde de la médecine occi-
dentale et universitaire, la méfiance et
les amalgames sont tenaces. Quand
j’ai lancé ce diplôme, j’ai reçu des
attaques très violentes. On a crié au
scandale, on m’a accusée de faire
entrer les charlatans à l’université, de
promouvoir l’obscurantisme, la pen-
sée sectaire et j’en passe. Des postu-
res qui montrent combien toute
l’ignorance et la peur autour des prati-
ques non académiques font dire
n’importe quoi.
Mais les charlatans existent bien…
Oui, de dangereux promoteurs de
pratiques délétères abusent psycho-
logiquement et financièrement de la
crédulité de milliers de personnes.
On a pu le voir encore pendant cette
crise sanitaire du Covid-19. Mais l’eth-
nomédecine permet justement d’étu-
dier et ainsi mieux faire reculer ce qui
relève du charlatanisme. Ce diplôme
n’est pas là pour former des rebou-
teux, décréter ce qui est acceptable
ou non, mais permettre aux étudiants
d’avoir une meilleure connaissance
et compréhension de la médecine
traditionnelle. Sans jamais l’opposer
ou la préférer à la biomédecine. C’est
pourquoi notre cursus décrypte le
sujet d’un point de vue médical mais
aussi historique, géographique, légal,
économique…
Pourquoi ce cursus avait-il déjà été
créé à l’université de La Réunion ?
Nous y avons lancé ce diplôme dès
2011. Dans ce département, comme
dans d’autres territoires d’outre-mer,
la médecine traditionnelle n’est pas
un tabou. Au contraire, la biomédeci-
ne cohabite depuis des siècles avec
des parcours et pratiques thérapeuti-
ques traditionnels et non convention-
nels. La population a recours au quo-
tidien à des gestes de soin, des
savoirs et rituels hérités de leur pays,
de leur culture, de leur religion… Les
premiers habitants, esclaves venus
d’Inde, d’Asie, d’Afrique, n’ont pas
attendu la médecine moderne pour
se soigner. Aujourd’hui, il est courant
qu’un médecin conseille aussi à son
patient de doubler sa prescription et
son diagnostic d’une visite chez un
tradipraticien. Ce mélange d’une
vision mécanique du corps et du
recours au sacré, au magico-religieux
ou encore aux plantes médicinales,
très présentes sur l’île, ne choque
personne.
Quel est le profil des étudiants
du cursus ?
Beaucoup de professionnels de san-
té, ce qui montre l’intérêt du rappro-
chement entre anthropologues et
médecins. Même si chez certains,
nous sommes encore vus comme
des soixante-huitards attardés,
fumeurs de joints (rires). Il y a des
généralistes, des pharmaciens, des
infirmiers, des sages-femmes, des
kinés… À La Réunion, certains sont
venus de l’Hexagone parce qu’il n’y
avait pas de cursus en métropole.
Nous avons même eu un étudiant du
Canada ! Parce que ce diplôme est
aussi unique en Europe. Nous lui
connaissons seulement un équiva-
lent à Brighton, en Angleterre. Nous
recevons aussi des professionnels
du secteur social, d’ONG qui tra-
vaillent auprès des publics issus de
l’immigration. Comprendre d’autres
formes de soins, c’est aussi mieux
accompagner l’autre. D’ailleurs, les
étudiants en fac de médecine reçoi-
vent maintenant un enseignement de
quelques heures en anthropologie
médicale.
Cet « autre » n’est pas forcément
originaire d’un pays si lointain…
Il y a encore une vision très exotique
de l’ethnomédecine. On pense tout
de suite à la médecine traditionnelle
chinoise, tibétaine, à la médecine
ayurvédique en Inde, aux pratiques
chamaniques… Mais tout près de
nous, dans nos régions françaises,
existent de multiples itinéraires théra-
peutiques non conventionnels.
Exemple, une étudiante a réalisé der-
nièrement une thèse sur les tou-
cheurs en Mayenne.
L’anthropologue Laurence Pourchez a été accusée de « faire entrer les charlatans
à l’université ». | PHOTO : LUCIE WEEGER, OUEST-FRANCE
Laurence Pourchez, anthropologue, a inauguré à l’Institut national des langues et civilisations
orientales (Inalco), à Paris, un diplôme universitaire d’ethnomédecine. Un pari osé.
Elle fait entrer la médecine traditionnelle en fac
Que nous raconte cet appétit
de soins complémentaires ?
En Occident, cet appel aux médeci-
nes alternatives raconte des sociétés
faisant appel à une médecine, certes
performante, mais de plus en plus
pressée par le temps, la rentabilité. Il
est loin le temps des médecins de
famille qui soignaient des généra-
tions entières, écoutaient longue-
ment les patients, les connaissaient
dans leur environnement. Ce rapport
effréné au temps et l’exigence d’effi-
cacité peuvent, en partie, expliquer
aujourd’hui la place de la médecine
traditionnelle.
Comment certains ont-ils flairé
tout l’intérêt économique ?
Le problème majeur de la biopiraterie
l’illustre bien. On est dans un para-
doxe complet : d’un côté, certains
disent, par exemple, que l’ethnophar-
macologie à la fac, c’est une honte ;
de l’autre, parfois les mêmes, se félici-
tent de trouver en pleine forêt et dans
les savoirs autochtones des espèces
aux molécules incroyables et si renta-
bles pour l’industrie pharmaceutique.
Car il faut ne pas l’oublier, 80 % des
molécules de nos médicaments pro-
viennent du monde végétal. Le pou-
voir d’une molécule, ça ne sort pas de
la hotte du Père Noël ! Ça veut dire
que sur place, des femmes et des
hommes ont étudié, testé, validé sur
le terrain leurs propriétés. Des labos
savent très vite y voir des brevets aux
milliards de dividendes. En oubliant,
au passage, les questions fondamen-
tales du droit, de la propriété et de la
valeur de ces savoirs traditionnels.
Propos recueillis par
Valérie PARLAN.
1963. Naissance à Paris, de mère
réunionnaise et de père charentais.
2000. Maîtrise d’ethnologie, DEA let-
tres et sciences sociales (anthropolo-
gie et histoire), doctorat de l’École
des hautes études en sciences socia-
les. Thèse de doctorat en anthropolo-
gie sur la petite enfance en société
créole réunionnaise.
2001. Chargée de recherches au
CNRS, Unité mixte de recherche
Muséum national d’histoire naturelle.
2009. Recrutement comme maîtres-
se de conférences à l’université de La
Réunion (UFR santé).
2011. Ouverture du DU d’ethnoméde-
cine à l’université de La Réunion.
2015. Recrutement comme profes-
seure des universités à l’Inalco et ins-
tallation au Mans (Sarthe).
2020. Lancement, en septembre, à
l’Inalco du diplôme universitaire
d’ethnomédecine.
Repères
dimanche Ouest-France
25 octobre 2020