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ÉCHAUFFEMENT
CLIMATIQUE
PAR THIBAUT SCHEPMAN. ILLUSTRATIONS GEORGES/LA SUITE
E N Q U Ê T E
29
07/11
2020
Supplément de L’Équipe n° 24208
À l’heure de la prise de conscience
écologique, le monde du sport commence
doucement à prendre la mesure de l’urgence
et des efforts qu’il peut accomplir. Mais le
chemin est encore long.
L
e 14 janvier dernier, la joueuse de tennis slo-
vène Dalila Jakupovic tombait à genoux en
suffoquant en plein match de qualification de
l’Open d’Australie, avant d’abandonner. La
faute à la pollution de l’air, causée par une
vague d’incendies géants. Trois semaines plus tard,
la course de ski de fond la Transjurassienne était
annulée faute de neige. Pendant une bonne partie de
l’hiver – le plus doux jamais enregistré en Europe –,
la pratique du ski fut difficile dans plusieurs massifs
du continent. Depuis le printemps, la totalité des
événements sportifs ont été perturbés, reportés ou
annulés à cause de la crise sanitaire, laquelle
s’explique aussi par nos actions sur la nature (défo-
restation, braconnage d’espèces sauvages...). Et si
cette année noire était l’occasion de s’interroger sur
les effets du sport sur l’environnement et sur les
façons d'en faire un meilleur élève en termes de pra-
tique écologique? Nombre de grands spécialistes du
climat se sont penchés sur ces sujets. Valérie Mas-
son-Delmotte, l’une des climatologues les plus esti-
mées dans le monde, est
cycliste, judoka, et appar-
tient à une famille de pas-
sionnés de sport
impliqués dans la vie
d’associations locales.
« Le sport véhicule des
valeurs telles que
l’importance de l’effort ou
la solidarité, dit-elle. Il
peut être au cœur de
l’adaptation face à un cli-
mat qui change, pour que
l’on puisse tous continuer
à pratiquer le sport qu’on
aime.»L’économistespé-
cialiste du climat Céline
Guivarch, elle aussi cycliste, confirme: «La plupart
des sports sont totalement liés à notre environne-
mentetànotrerelationàlanature.Celaexpliqueque
nombre de sportifs se sentent concernés par ces
sujets.Lesportalepouvoirderassembleretd’inspi-
rer,laprisedeconscienceyestdoncvraimentnéces-
saire.» En France, cette prise de conscience s’est
matérialisée par la rédaction en 2017 d’une «Charte
des 15 engagements éco-responsables » par le
ministère des Sports et le WWF, ONG spécialisée
dans la protection de la nature. Cette initiative a inci-
té au moins 300 grands événements à mettre en pla-
ce desmesures. Ces actions sont-elles à la hauteur?
Le défi global est connu et chiffré. Les travaux du
Giec (le Groupe d’experts intergouvernemental sur
l’évolution du climat), organisme chargé de synthéti-
ser les connaissances scientifiques sur le réchauffe-
ment climatique et ses conséquences, grâce au
travail de centaines d’experts du monde entier,
recommandent de diviser impérativement par deux
d’ici à 2030 nos émissions de gaz à effet de serre par
rapport à leur niveau de 2010. D’ici à 2050, il faudrait
selon ces experts atteindre une division par six, au
moins. Sans cela, les dégradations de nos conditions
de vie et les conflits et inégalités sociales engendrés
par celles-ci rendraient impossible la tenue réguliè-
reetéquitabled’ungrandnombred’épreuves.Céline
Guivarch explique comment, selon elle, on peut par-
venir à ces objectifs très ambitieux: «La démarche
standard, c'est de commencer par mesurer précisé-
ment son impact sur le climat et l'environnement.
Ensuite, il faut agir pour le réduire en ciblant au
maximum les domaines où l’on émet le plus. Enfin,
on peut communiquer sur sadémarche pour inspi-
rer, en étant le plus transparent possible. »
Les acteurs du sport français sont très rares à faire
les choses dans cet ordre. Un exemple avec la Ligue
professionnelle de football. Celle-ci communique
depuis 2017 sur les engagements des clubs pros.
Son dernier rapport liste des bons points: 70% des
clubs « sélectionnent des produits locaux » pour
nourrir le public ou les joueurs. Ce texte insiste aussi
sur le fait que « 65 % des
clubs proposent des pou-
belles “double flux” au
public ». Le tri des
déchets est pourtant déjà
obligatoire pour toutes
les entreprises depuis
2016.
Faute d’étude préalable
comme d’objectif chiffré
de réduction des émis-
sions, difficile de mesurer
la portée de ces engage-
ments. Certaines infor-
mations clés sur les
déplacements des
joueurs et spectateurs ne
figurent pas dans ce rapport. Or les études réalisées
à l’occasion d’autres événements sportifs montrent
que c’est souvent de très loin le principal facteur
d’émissions.LaLFPprécisequ’elletravailleàmesu-
rer l’impact de ses championnats. Et confirme que
l’avion a encore été utilisé pour 65% des déplace-
ments des équipes pour la saison 2019-2020. Valérie
Masson-Delmotte le regrette: «Continuer à prendre
l’avion systématiquement, même quand d’autres
moyens de transport sont possibles, c’est véhiculer
l’image que certains privilégiés sont moins concer-
nés par l’urgence d’agir. Le sportif communique
malgré lui une image de réussite sociale qui va ame-
ner d'autres à souhaiter faire la même chose.» Mais
le sport doit-il être plus vertueux que la société ?
D’autres acteurs ont déjà réalisé un bilan carbone,
sansendiffuserlesrésultats.C’estlecasduLOSCou
encore du Tour de France. Chez ASO, l’organisateur
de la Grande Boucle (qui appartient au même groupe
que L’Équipe), Jean-Baptiste Durier, directeur RSE
(Responsabilité sociale des entreprises), justifie:
LE TOUR INFORME
SON PUBLIC SUR
LES ÉCOSYSTÈMES
TRAVERSÉS PAR
LE PELOTON
E N Q U Ê T E
30
«Nous préférons communiquer sur des faits.» Ain-
si, les 2 000 véhicules du Tour sont maintenant
hybrides, les emballages alimentaires distribués
par la caravane sont recyclables et l’organisation
offre des vélos ou des cours pour initier à la pratique
ducyclisme.LeTourinformeaussisonpublicsurles
écosystèmes traversés par le peloton, avec des
vidéos présentant à chaque étape une espèce ou un
espace protégé. Une idée intéressante aux yeux de
Valérie Masson-Delmotte, qui invite à aller encore
plus loin : «Le Tour pourrait communiquer sur les
impactsdéjàconcretsetvisiblesduchangementcli-
matique dans les territoires traversés (lire p.50), ou
encore mettre en valeur les infrastructures locales
qui facilitent les déplacements à vélo, pour promou-
voir une pratique populaire et accessible à tous.»
Le chiffrage des émissions de CO2 est aujourd’hui
encore un sujet tabou. Pour certains, la transparen-
ce serait pourtant nécessaire. Renaud Bettin, expert
en transition écologique des entreprises, explique :
« Il faut d’abord dire combien on émet au départ.
Ensuite, on estime si c’est bien ou non, et on se fixe
des objectifs. Puis on explique comment on va y arri-
ver.Lerisque,sinon,c’estdefairecroirequ’onpeuty
arriver facilement.» Le Marathon de Paris est l’un
des rares événements sportifs à communiquer de
façon précise sur son bilan carbone : 25000tonnes
de CO2. Pas moins de 94 % de ces émissions pro-
viennent des transports, notamment des coureurs
venant de l’étranger.
Le budget carbone prévu pour les Jeux Olympiques
de 2024 à Paris est lui aussi plombé par les déplace-
ments internationaux que ce grand rendez-vous va
engendrer. Dès la candidature, le projet a été pensé
pour émettre deux fois moins de CO2 que les édi-
tions précédentes, notamment en recourant princi-
palement à des installations sportives existantes.
Les organisateurs ont mis en place des outils de
mesure très précis de leurs émissions et pris de
nombreux engagements pour limiter leur impact.
Ainsi l’énergie utilisée sera entièrement renouvela-
ble, un objectif «zéro déchet» a été affiché grâce
notamment au réemploi et à l’économie circulaire.
Enfin, pour résoudre certains défis, des solutions
innovantes sont recherchées, comme le moyen de
coupler les billets d’accès aux stades avec des
billets de transport en commun. Restent 1,5 million
de tonnes de CO2 prévues par les organisateurs,
dont au moins un tiers lié aux transports.
Pour comparaison, l’Islande émet 6 millions de ton-
nes de CO2 par an, le Burkina-Faso, 3 millions. Les
transports pèsent aussi très lourd dans le bilan
31
environnemental des sportifs professionnels eux-
mêmes. Le champion de trail Kilian Jornet, par
exemple, revendique un mode de vie très vert: végé-
tarien, il consomme principalement des légumes de
sonproprepotager;ilrouleenvéhiculeélectriqueet
sechauffeaveclesmoyenslesplussobres.Maisson
bilan carbone, publié dans les colonnes de L’Obs,
n’est pas bon: 14,8 tonnes de CO2 par an. Soit pres-
que dix fois plus que la limite recommandée. Face à
ce constat, l'athlète s'est récemment engagé à ne
plus faire qu’un seul voyage en avion par an.
Comment agir sur les transports autour des événe-
ments sportifs, si gros facteurs d'émissions? C’est
l’un des défis des années à venir. Et une question,
au-delàdusport,deplusenplusdansl’airdutemps.
Jusqu’ici, les personnes qui traversaient la planète
en avion pour encourager leur équipe étaient vues
comme des supporters en or. Demain, peut-être
félicitera-t-on davantage ceux qui parviendront à se
déplacer autrement et ceux qui manifesteront leur
soutien en fédérant près de chez eux? «On pourrait
encourager les retransmissions locales sur écran
géant, en travaillant pour recréer une vraie ambian-
ce», suggère l’économiste Céline Guivarch.
Face à l’épidémie de Covid-19, plusieurs organisa-
teurs de trails ou de marathons annulés en tout ou
partie (comme à Londres, où seule l’élite à couru),
ont, eux, proposé aux inscrits de participer à une
Il n’y en a pas encore des hordes, mais des sportifs
s’attachent, personnellement, à remédier à leurs
émissions de gaz à effet de serre. En changeant leur
mode de vie et/ou en passant à la compensation
carbone, c’est-à-dire en s’engageant dans des projets
destinés à réduire leur impact sur l’environnement.
La surfeuse française Justine Dupont, par exemple.
Elle qui prend l’avion pour aller chercher des grosses
vagues et doit utiliser un jet ski pour se faire tracter
et assurer sa sécurité a décidé de convertir en euros
son bilan carbone. Avec son partenaire, la MAIF, ils
font 50-50 pour remettre un chèque de ce montant à
l’association œuvrant pour le reboisement de la forêt
de Chiberta, à Anglet, qui a brûlé l’été dernier.
L’équipe suédoise de ski alpin s’est, elle, demandé
« à quel point elle contribuait elle-même à détruire
son sport », vu que chaque membre de l’équipe
d’André Myhrer, champion olympique de slalom 2018,
émettait en moyenne 44 tonnes de CO2 par an, soit
quatre fois plus qu’un Suédois ordinaire. Les skieurs
se sont donc imposé, en 2017, comme objectif de
diviser par deux leur impact sur l’environnement d’ici
aux Jeux d’hiver de Pékin, en 2022. Pour ça, ils ont
recruté un coach climat, qui a fait passer les voitures
au biocarburant et les chauffeurs à l’écoconduite,
signé un contrat avec la compagnie aérienne scandi-
nave SAS pour compenser les émissions, et fourni
aux athlètes des recettes avec moins de viande et
plus de produits locaux et de saison. Consciente que
ses « déplacements ont un véritable coût pour notre
planète et l'environnement », la joueuse de tennis
française Alizé Cornet s’est, elle aussi, engagée,
cette année, avec l’entreprise Pur Projet, pour com-
penser ses émissions carbone grâce à un programme
« de restauration de la nature et d’agroforesterie » au
Pérou. La Niçoise soutient un projet local de verger
conservatoire. « Je vais planter 70 arbres de variétés
anciennes et rares dans le verger de l’abbaye de
Lérins. Juste en face de chez moi ! » Sinon, il y a
aussi Lewis Hamilton, champion du monde de F1,
qui a vendu son jet privé et roule en smart électrique.
L’an passé, le pilote britannique devenu vegan
affirmait que plus personne, autour de lui, n’avait le
droit d’acheter du plastique, qu’il fallait que tout soit
recyclable « jusqu’au déodorant et au dentifrice ».
CHRYSTELLE BONNET
Dupont, Cornet, Hamilton…
Ces champions qui pensent à compenser
«coursevirtuelle».L'idéeaséduit:partoutdescou-
reurs (ils étaient 36000dans le cadre du Marathon
de Londres) ont participé chacun de leur côté sur un
terrain de leur choix, avant de partager les résultats
sur une même plate-forme.
Les athlètes pros ont eux aussi leurs idées. Dans
L’Équipe, la star du handball Nikola Karabatic expli-
quait en mai dernier : « On pourrait produire une
charte obligeant les clubs à se déplacer en train sur
le territoire national dès que c'est possible et que
tout le monde soit logé à la même enseigne. »
L’ancien international de rugby Julien Pierre (lire
p.49)défenddesoncôtéuneréductiondunombrede
matchs joués, pour des raisons écologiques autant
que sportives: «Ce sport est tellement dur, ça tape
tellement fort, c’est trop, il y a trop de matches. Bien
sûr, c'est facile pour moi de dire ça aujourd'hui, j'ai
arrêté ma carrière. Mais je sais que pour un joueur,
c’est très dur d’enchaîner. Je sais aussi que les mat-
ches qui font le plus vibrer, ce sont souvent les mat-
ches locaux, les derbies.»
Ces changements sont, bien sûr, complexes à met-
tre en place sans sacrifier l’essence et le plaisir du
sport. Mais certaines mesures, disent les experts,
auraient une valeur symbolique et un effet d’entraî-
nement sur le grand public. À l'heure actuelle, les
restrictions de déplacement semblent encore inau-
dibles pour beaucoup de responsables sportifs,
E N Q U Ê T E
33
«neutre en carbone ». Cassignol précise : « C’est un
programme qui a aussi des vertus sociales, il permet
notamment aux populations de gagner du temps en
réduisant le temps passé à ramasser du bois.» Mal-
gré tout, ce genre de communication dérange nom-
bre d’observateurs. « Dire qu’on est neutre en
carbone, ça donne l’impression que l’on n’a aucun
impact, estime Jonathan Guyot, cofondateur de
l’association all4trees. Mais ce n’est pas vrai. Il y a eu
des émissions dans l’atmosphère.» Renaud Bettin
dresse une comparaison: «C’est bien de financer ce
genre de projets. Mais si on ne réduit pas d'abord
significativement ses émissions, cela revient à com-
mencer par la fin. C'est un peu comme un gros
fumeur qui dirait : “Je continue à fumer, mais je vais
faire du sport.”» Arnaud Gandais, directeur du Paris
Volley (lire p.45), souligne: «Ce n’est pas un modèle
séduisant. Au contraire, il faut proposer des solu-
tions que tout le monde peut etaenviede répliquer.»
Ledirecteur duParisVolleysaitdequoiilparle.Grâce
àunpland’actionsmélangeantdegroschangements
structurels et de bonnes idées, il a réussi à faire de
son club un modèle en termes de réduction d’émis-
sionsdeCO2etàentirerdesbénéficesimportantsen
termes d’image. Le club, comme l’écologie, en sor-
tentgagnants.l THIBAUT SCHEPMAN
même les plus engagés sur le sujet. Ni Georgina
Grenon, directrice de l'excellence environnementa-
le pour les JO 2024, ni Édouard Cassignol, directeur
du Marathon de Paris, n’envisagent de limiter la
venue de spectateurs internationaux. Au LOSC, le
service communication assure: « Ce n’est souvent
pas raisonnable de rentrer en bus, pour des raisons
de logistique et de récupération des joueurs.»
La compensation des émissions carbone séduit en
revanche beaucoup plus. Début 2019, plusieurs
grands acteursdusport dont le LOSC,laFormule1et
le Marathon de Paris se sont engagés sur la voie de la
«neutralité carbone» en 2030. Faut-il comprendre
que ces structures ont ou vont réduire considérable-
ment leurs émissions? En réalité, pas vraiment. La
neutralité carbone affichée est le fruit d’un calcul
mathématique. Ceux qui s’y engagent financent des
projets, certifiés, qui ont pour effet de réduire les
émissions de CO2, voire d’en capter. Par exemple, le
Marathon de Paris subventionne au Kenya un pro-
grammequiconsisteàremplacerdesfourstradition-
nels par des fours plus efficaces consommant 60%
deboisenmoins.Lecalculestlesuivant:onsoustrait
les émissions de CO2 potentiellement évitées des
tonnes de gaz à effet de serre effectivement émises
par l’événement. Si l’on arrive à zéro, on peut se dire
E N Q U Ê T E
34
«I
l est plus que jamais nécessaire de proté-
gerlesjoueurs.Nousdevonsprendresoin
d’eux et les préserver contre les risques
auxquels ils sont exposés. » Pendant la
première vague de Covid-19, Sylvain Kas-
tendeuch, le coprésident de l’UNFP, avait
délivré un message clair. La santé des
joueurs doit passer avant tout le reste. Une prise de position
forte qui vient se confronter, plus que jamais, à la réalité.
Depuis la parution de sa tribune dans Le Monde, le 20 avril,
nombre de joueurs ont été contaminés par le virus. Aucun n’a
développé de forme grave, à
l’exception de Junior Sambia.
Admis en réanimation en avril der-
nier, le Montpelliérain de 24 ans a
rapidement retrouvé l’intégralité
de ses moyens physiques et
enchaîne les matches depuis le
début de la saison.
La deuxième vague est là, le
Championnat se poursuit, mais
une autre menace, plus sournoise,
plane sur la santé des joueurs : la
qualité de l’air. Car celui qu’ils res-
pirent est loin d’être sain. Il est
même tellement médiocre que
notre pays a été condamné le 24 octobre dernier, par la Cour
de justice européenne, pour non-respect de sa qualité dans
une douzaine d’agglomérations, notamment Paris, Mar-
seille,Lyon,Nice,Strasbourg,MontpellierouencoreReims*.
Autant de villes qui comptent des clubs de Ligue 1.
Tous les joueurs de notre Championnat ont été exposés à une
fortepollutionatmosphériqueetilsenontabsorbébeaucoup
plus que le commun des mortels. « Plus on fait d’exercice,
plus on inhale d’air, donc plus on absorbe de polluants »,
explique Gilles Dixsaut, médecin et président de la Fondation
du souffle. « Durant un exercice intense, les athlètes peuvent
respirer plus de 6 000 litres par heure. C’est six fois plus que
Le fond de l’air
est sale
À l’origine de 48 000 décès en France chaque année, la pollution
atmosphérique pourrait particulièrement impacter la santé des
footballeurs, qui inhalent beaucoup de polluants puisqu’ils jouent
souvent dans des stades situés près des axes routiers. PAR ALEXIS DANJON
pendant un exercice léger, celui d’un sportif amateur, et c’est
jusqu’à douze fois plus qu’au repos. Un sportif inhale donc
douze fois plus de polluants qu’un citadin lambda », détaille
Rachel Nadif, responsable de l’équipe d’épidémiologie respi-
ratoire intégrative à l’INSERM, qui effectue des recherches
sur le lien entre la qualité de l’air et la santé des athlètes.
Ces polluants pénètrent directement dans le corps des foot-
balleurs, puisqu’ils respirent par la bouche et ne bénéficient
pas de la protection – relative – de leurs filtres nasaux. Pêle-
mêle, ils inhalent de l’ozone, du dioxyde d’azote, des particu-
les fines (PM10, PM2.5) et ultrafines (PM 0.1), dont le
diamètre est inférieur à 10, 2,5 et
0,1 micromètres (millièmes de
millimètre). À titre de comparai-
son, un cheveu humain est environ
20 fois plus gros qu’une particule
PM2,5.
Dans ce cocktail, ces dernières
particules, formées principale-
ment par le trafic routier, sont les
plus problématiques. « Plus elles
sont fines, plus elles vont descen-
dre profondément dans l’arbre
bronchique, jusqu’à passer dans la
circulation sanguine », éclaire
Rachel Nadif. Elles sont particuliè-
rement présentes dans les stades de Ligue 1 situés à quel-
ques mètres d’axes routiers à très fort trafic pour en faciliter
l’accès : des périphériques (Rennes, Nantes et Paris), des
routes nationales (Dijon, Montpellier et Lille) et des autorou-
tes (c’est le cas de 12 stades, dont Lyon, Nîmes ou de nouveau
Lille).«C’estuneâneriedelesavoirconstruitsàcesendroits,
peste le Dr Dixsaut. On met en danger la santé des joueurs. »
Même si, reconnaît-il, « à l’époque de la construction de cer-
tains stades, on ne connaissait pas les risques liés à la pollu-
tion atmosphérique ».
« Inhaler des polluants à doses trop importantes, de manière
fréquente et régulière, a des incidences sur la santé. Ça a été
«PLUS ON FAIT
D’EXERCICE, PLUS
ON ABSORBE
DE POLLUANTS »
Gilles Dixsaut, médecin et président
de la Fondation du souffle
37
E N Q U Ê T E
À Marseille, le premier confinement a permis de réduire le niveau d’oxyde
d’azote de 69 %. En 2018, on avait enregistré dans un stade de la ville un taux de
dioxyde d’azote de 109,9 μg/m3: près de trois fois le taux préconisé par l’OMS.
du sport », répond Gilles Foret, physico-chimiste de l’atmos-
phère. « Il n’y a pas de valeur en dessous de laquelle il n’y a
aucun risque », complète Gilles Dixsaut, avant d’ajouter : « Il
est plus facile de se protéger de ce coronavirus avec des
moyensappropriésquedelapollutionatmosphériquecontre
laquelle il n’existe aucune possibilité claire de protection. »
Alors que le Championnat a repris avec d’extrêmes précau-
tions pour limiter les contaminations au Covid-19, il n’existe
aucun point de règlement consa-
cré à la qualité de l’air dans les
règlements de la LFP. Aucun
match n’a été reporté à cause d’un
pic de pollution.
Ce danger est pourtant suffisam-
ment pris au sérieux, notamment
par l’IAAF, la Fédération mondiale
d’athlétisme, qui a installé des
capteurs dans tous ses stades.
Concernant le foot, une solution
serait de limiter la circulation rou-
tière autour des enceintes : selon
le ministère de la Transition écolo-
gique, le trafic routier est à lui seul responsable de 57 % des
émissions d’oxyde d’azote et d’une part significative des
émissions directes de particules fines. « Ce serait efficace en
hiverouauprintemps,oùl’ontrouvelestauxdeparticulesles
plus élevés, estime Gilles Foret. Mais ce serait inefficace
l’été, lorsque le polluant principal est l’ozone. » La seule
solution serait donc de réduire les émissions à la source. « Il
faudrait non seulement diminuer la circulation mais aussi
rendre les véhicules plus propres », résume Gilles Foret.
De la théorie à la pratique, le premier confinement est passé
par là. En Île-de-France, les concentrations de particules
ultrafines ont baissé de 50 %. Du jamais vu en quarante ans.
Les niveaux d’oxyde d’azote ont également diminué partout
en France, a dévoilé l’AASQA, le réseau des associations qui,
chaque jour, surveille, mesure et informe sur la qualité de
l’air. Une baisse de 75 % à Nantes, 73 % à Paris ou encore
69 % à Marseille, ce qui aurait évité 1 230 morts dans notre
pays, selon le Centre for Research
on Energy and Clean Air. Depuis la
fin du premier confinement, la
repriseprogressivedutraficacon-
duit à une remontée des quantités
de polluants à des niveaux équiva-
lents à 80 % des émissions obser-
vées auparavant.
L’amélioration de la qualité de l’air
profiterait à l’ensemble de la
société, et donc en premier lieu
aux footballeurs. Le gouverne-
ment a d’ailleurs récemment pro-
mis la création d’une dizaine de
zones à faibles émissions d’ici à 2021. Et a annoncé le renfor-
cementdudispositifdesurveillanceenyintégrantlespestici-
des, que l’on retrouve dans toutes les pelouses des terrains
de foot et qui présenteraient également des dangers pour la
santé. Pour les footballeurs, les risques du métier sont peut-
êtrebienplusélevésquecequ’ilsimaginent.l adanjon@lequipe.fr
* Toulouse, Grenoble, Clermont-Ferrand, Toulon et la vallée de
l’Arve, au pied du mont Blanc, sont les autres zones concernées.
AUCUN MATCH
N’A ÉTÉ REPORTÉ
À CAUSE D’UN PIC
DE POLLUTION
40
La Savoyarde Liv Sansoz, ex-championne d’escalade,
privilégie les sorties près de chez elle afin de limiter
les déplacements et leur impact sur l’environnement.
ALLEZ
LES
VERTSIls sont champions ou anciens sportifs de haut
niveau, équipementier ou encore dirigeant de
club. Ils incarnent une génération convaincue que
l’amour de la planète et celui du maillot sont
parfaitement compatibles. Ils le prouvent dans
leur vie quotidienne et en parlent très bien.
Rencontres.
P O RT R A I T S
43
La sportive outdoor Liv Sansoz
Depuis 2017, l’ancienne championne du monde et d’Europe d’escalade ne s’est pas
convertie qu’à l’alpinisme. Elle prône également l’aventure près de chez soi.
U
n décollage en parapente depuis le sommet du
Mont-Blanc suivi d'une arrivée à domicile, à Cha-
monix, le 11 septembre 2018. À l’échelle de la car-
rière riche en exploits de Liv Sansoz, la scène
pourraitparaîtrebanale.Elleestpourtantl’aboutis-
sement d’une grande aventure physique et personnelle.
Reprenons. La Savoyarde a d’abord excellé dans l’escalade
dans les années 1990, raflant à deux reprises le titre de
championne du monde. Après une grave blessure en 2001,
elle s’est reconvertie dans le base jump. L’occasion pour
l’athlète de voir son environnement se dégrader de plus en
plus vite : « Petite, je vivais à Bourg-Saint-Maurice. En
décembre, je pouvais sauter du balcon dans la neige. Aujour-
d’hui, en plein hiver, on peut souvent faire du vélo en T-shirt.
Chaque été, on voit que les glaciers rétrécissent. À l’échelle
de ma vie, tout a été bouleversé et j’ai compris qu'il fallait que
je sois actrice d'un changement.»
C’est ainsi qu’a germé l’envie de vivre des aventures et de
lancer des expéditions plus proches de chez elle, avec moins
de déplacements et d'impacts sur l'environnement. Liv
Sansoz formalise son projet en 2016 : enchaîner
l’ascension des quatre-vingt-deux sommets de plus
de 4 000 m des Alpes en ne recourant jamais aux
remontées mécaniques. L’ex-grimpeuse démarre
en mars 2017 par le Grand Paradis (4061m), en Ita-
lie, et termine donc un an et demi plus tard avec la
fameuse descente en parapente depuis le Mont-
Blanc. Elle en tire une bien meilleure connaissance
de son environnement et cette conclusion : «Vivre
l’aventure près de chez soi donne une autre saveur,
un autre sens à ce que l’on fait.»
Depuis, la Savoyarde, 43 ans, s’est engagée à voya-
ger moins souvent mais plus longtemps : elle parti-
ra un an sur deux. L’athlète sait que son approche
est plus à même de séduire les sportifs amateurs ou
retraités que les pros en pleine carrière. Elle invite
pourtant ces derniers à explorer d'autres voies :
réduire leur consommation de protéines animales,
par exemple –«Je suis végétarienne depuis trente
ans ça n’empêche pas du tout d’enchaîner les
efforts longs et difficiles » –, tenter de regrouper
leurs déplacements et privilégier les moyens de
transport peu polluants. l
Et aussi
En 2018, le coureur de trail américain Dakota Jones
a remporté le Pikes Peak Marathon en 3h et 32
minutes. À cette performance s'en ajoute une autre,
réalisée les jours précédents. Afin de réduire son
impact environnemental, il avait choisi d'effectuer
le trajet entre son domicile et la ligne de départ -
400k m tout de même - entièrement à vélo !
LesalpinistesInesPapertetCarolineNorthontcou-
plé en août une traversée de la Suisse et l’ascension
de plusieurs sommets en ne se déplaçant qu’à vélo.
Une aventure appelée cyclo escalade.
P O RT R A I T S
44
45
Q
uand l’équipe du Paris Volley, neuf fois championne
de France, se déplace pour ses matches de Ligue A,
elle le fait la plupart du temps en train. L’avion n’est
plus utilisé que pour se rendre en Corse et à Nice.
À Paris, les joueurs sont tous logés à proximité de la
salleomnisportsCharpy,avenuePierredeCoubertin,dansle
XIIIe
arrondissement, afin de pouvoir se rendre à l’entraîne-
ment à pied ou en trottinette. Vous ne les verrez pas boire
dansdesbouteillesd’eauenplastique:celles-ciontétérem-
placées par des gourdes individuelles.
Ces changements montrent le virage écologique pris par le
club, actuel 10e
du Championnat, depuis septembre 2019 et
l’arrivée d’un nouveau directeur général à sa tête, Arnaud
Gandais, 43 ans : «Nous pensons que notre rôle dépasse le
simple fait que des gens jouent à la balle, dit cet ancien
entraîneur et manager de handball. On peut réussir à faire en
sorte que tout le monde se bouge sur des questions comme
l’environnement ou la solidarité. On a commencé à mettre en
place toute une batterie d’actions afin d’être exemplaires.»
L’impactdecesmesures,détailléessurlaplateformeZei,est
concret et mesurable. La seule réduction des déplacements,
en particulier en avion, a ainsi permis de diviser par deux
l’ensemble des émissions carbone du club parisien. Le DG
Le dirigeant
de club
Arnaud
Gandais
Depuis un peu plus d’un
an, le nouveau boss du
Paris Volley a ancré son
club dans une démarche
résolument solidaire
et durable.
voit d’autres vertus à cette révolution : « On supprime des
actions inutiles, on rationalise ou on donne une seconde vie
aux choses, donc on fait des économies. Cela compense lar-
gement certains surcoûts, comme le choix de produits éco-
responsables. Ensuite, c'est bon en termes d’image. Ce n'est
pas le but premier de notre démarche, mais les marques ont
davantage envie d'associer leur nom à des clubs qui pren-
nent ce genre d’engagements.» Le club entend prolonger
son élan, notamment, lorsque la situation sanitaire le per-
mettra de nouveau, en encourageant financièrement les
supportersquiviennentaustadeàvélo,entransportencom-
mun ou en covoiturage. Il cherche également à accompagner
d’autres clubs dans leur transition écologique par le biais de
Match for green, une communauté relayée sur le site du club.
ArnaudGandaisespèreconvaincrepasmoinsde200clubsde
les rejoindre d’ici à la fin de l’année. l
Et aussi
Le club de foot anglais Forest Green Rovers FC a renoncé aux
protéines animales, fait certifier bio sa pelouse et va démar-
rer la construction d’un stade en bois éco-conçu. Le club de
foot d’Amiens s’est fixé l’objectif de devenir un club «zéro
déchets».
R
omans-sur-Isère, commune de la Drôme d’une
trentaine de milliers d’habitants, fut longtemps la
capitale française de la chaussure. Au cœur des
Trentes Glorieuses, un emploi sur deux y dépendait
de cette industrie. C’était avant que la concurrence
étrangère ne fasse chuter la production et décime les entre-
prises, y compris l’historique usine Charles Jourdan, qui a
fermé ses portes en 2005. Depuis quelques années, plu-
sieurs patrons et patronnes de PME tentent de sauver les
sites et savoir-faire locaux en faisant renaître une filière de la
chaussure française. C’est le cas d’Isabelle Dhume, 42 ans,
qui a lancé en 2014 Milemil, seule marque de chaussures de
foot 100% fabriquées en France.
Passionnée de ski, Isabelle Dhume raconte avoir renoncé à
son sport de prédilection à l’âge de18 ans à la suite d’une
blessuredue,dit-elle,àdeschaussuresmalconçues.Lajeu-
ne femme rebondit en obtenant un BTS spécialisé
dans les métiers de la chaussure, avant de travailler
pour plusieurs grandes marques et équipementiers
sportifs,sansytrouvertotalementsoncompte:«On
produisait à l’autre bout du monde, sans faire atten-
tion aux impacts occasionnés. On essayait toujours
de négocier les coûts au plus bas. Petit à petit, j’ai eu
envie d'avoir une action plus locale, avec du sens.»
En 2012, l’ingénieure de formation croise la route de
Christophe Pinet, un mordu de foot qui collectionne
les chaussures (avec un gros faible pour la Predator
Accelerator, modèle culte d’Adidas notamment por-
téparDelPiero,ZidaneetBeckham)etrêvedefabri-
quer des crampons made in France. Ensemble, ils
travaillent et conçoivent leurs premiers modèles.
Ceux-ci seront fabriqués à Romans par le groupe
Archer, une entreprise de l'économie sociale et soli-
daire, avec du cuir pleine fleur produit localement et
du coton biologique pour la doublure. Aujourd’hui
seule à la tête de l’entreprise, Isabelle Dhume a
diversifié sa production en l’ouvrant à des chaussu-
res de villes et de rugby. Elle distribue une centaine
de paires par mois. Une quantité négligeable à
l’échelle française, mais qui contribue à un écosys-
tème régional en renaissance : «Je fais tous mes déplace-
ments et livraisons à vélo. Avec certains partenaires, nous
avons monté une association des chausseurs de Romans et
contribué à fonder une Cité de la chaussure. Il y a une belle
dynamique sur notre territoire.» Isabelle Dhume se rému-
nère principalement grâce à des prestations auprès d’entre-
prises et d’équipementiers intéressés par son expertise. Ce
qui la conforte dans sa conviction : la chaussure de sport
made in France a de l’avenir. l
Et aussi
Depuis 2010, le Coq Sportif, l’une des plus anciennes mar-
ques de sport mondiales (elle est née en 1882) et partenaire
de l’ensemble des équipes de France pour les Jeux Olympi-
ques de Paris 2024, a relocalisé une partie de sa production à
Romilly-sur-Seine (Aube) et en Europe.
L’équipementier Isabelle Dhume
Avec Milemil, la marque qu’elle a cofondée en 2014, Isabelle Dhume ressuscite
les crampons made in France et sauvegarde l’emploi de sa région.
P O RT R A I T S
46
P
atrik Baboumian est l'un des hommes les plus balè-
zes du monde. Ancien champion cadets d’haltéro-
philie, sacréhommeleplusfortd’Allemagneenaoût
2007 (catégorie -105kg), l’athlète d’origine armé-
nienne et doté de la double nationalité allemande et
iranienne adore soulever des voitures, projeter des fûts de
bière ou encore balancer des machines à laver au loin. Et tout
ça sans manger de viande (depuis 2005), ni même consom-
mer de produits d'origine animale (depuis 2011).
Baboumian défend, par le biais de livres, salons et conféren-
ces, l'idée qu'il est possible et souhaitable de passer à une
alimentation 100% végétale. Il présente cette solution com-
me une façon de «rendre le monde meilleur», selon le célè-
bre principe : «Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais
pas que l'on te fasse » et en s’appuyant sur des études
démontrant que les régimes contenant le moins de viande
ont en moyenne un impact moindre que les autres sur l’envi-
ronnement. En 2019, l'année de ses 40 ans, Baboumian a
participé au documentaire américain The Game Changers. On
y voit de nombreux médecins et spécialistes de la nutrition
matraquer le message qu’il n'est pas nécessaire de manger
des produits d'origine animale pour performer. Plusieurs de
ces médecins et quelques athlètes de renom – parmi les-
quels Arnold Schwarzenegger, Lewis Hamilton ou Novak
Djokovic – y avancent même qu'une alimentation végétale
permet d'améliorer ses résultats sportifs. Les dernières
images de ce documentaire montrent Patrik Baboumian
tractant sur ses épaules un poids de 555kg sur une distance
de 10 mètres, exploit qui a permis au musclor barbu d’1,71m
et 125 kg d’inscrire son nom dans le livre Guinness des
records. Baboumian lançait ensuite : «Il ne s'agit pas d'être
le plus fort ou le plus puissant. Il s'agit de se demander :
“Qu'est-ce que tu vas faire de ta force, qu'est-ce que tu vas
faire du pouvoir que tu as ?”» l
Le musclor vegan Patrik Baboumian
Militant pour l’association Peta, cet Allemand spécialiste du sport de force prouve
qu’on peut soulever du très lourd en allégeant les souffrances animales.
48
L’ancien sportif Julien Pierre
Depuis sa retraite, en 2018, l’ex-international de rugby a fait de la sauvegarde
des espèces menacées le pilier de sa reconversion.
«L
echameau».Voilàcommentlesfansderug-
by surnomment Julien Pierre, 39 ans, le
champion de France (2010) et ancien inter-
national (27 sélections). La faute aux jolies
bosses à l’épaule laissées par une vieille
blessure. Enfant, l’ancien deuxième ligne passé par La
Rochelle, Bourgoin, Clermont et Pau avait déjà des liens très
fort avec les camélidés. L’un de ses voisins était un chameau
nommé Antoine, à qui il rendait visite chaque jour. « Ma
famille gérait le zoo des Sables-d'Olonne, notre maison était
situéedans le zoo.Lematin,c'était le rugissementdu lion qui
nous réveillait. Ma famille, et notamment mon oncle, a tou-
jours travaillé pour conserver les espèces menacées dans
leur milieu naturel. J’ai grandi là-dedans, j’ai été
sensibilisé à tout ça.»
L’ancien rugbyman, dont le grand-père a été le pro-
priétaire du zoo des Sables et le créateur du bioparc
zoologique de Doué-la-Fontaine, a gardé la convic-
tion que l’être humain peut vivre de façon plus har-
monieuse avec le monde sauvage. En 2009, il décide
d’accompagner son oncle dans un voyage en Indo-
nésieconsacréàlasauvegardedutigredeSumatra:
«Quandonestsportifdehautniveau,onvitdansune
bulle dorée. J'ai toujours eu besoin de m'engager
dansdesassociationsenlienaveclesocialoul’envi-
ronnement. Ça remet les pieds sur terre.»
Cetengagementapourtantfaillimettreuntermeàsa
carrière. En 2009, Julien Pierre a en effet contracté le
paludisme au cours de son séjour en Indonésie.«J’ai
été très très mal, je transpirais tout le temps. Mate-
las, couettes, draps, tout était trempé, j’ai tout jeté.
J’ai passé des nuits dans la baignoire d'eau froide
pour faire baisser la température, j’ai perdu presque
20 kilos. Je savais que j'allais surmonter cette épreu-
ve, mais je savais aussi qu’en cas de nouvelles crises,
ma carrière serait en danger.»
Après trois mois loin des terrains, Julien Pierre
retrouve pourtant son niveau, réalise en 2010 le
Grand Chelem dans le Tournoi, gagne le titre de
champion de France avec l’ASM, termine deuxième
delaCoupedumondel'annéesuivanteavecl'équipe
de France. Et sort de ses mésaventures avec une
détermination renforcée : « Voir de mes propres
yeux des écosystèmes dévastés m’a convaincu de
m’engager. Les sportifs ont un rôle à jouer. Un évé-
nement sportif, c’est énormément de parties pre-
nantes, de médiatisation, un moment d'affect. Soit
des opportunités formidables pour agir.» En 2012,
Julien Pierre a créé, en collaboration avec le parc
animalier d’Auvergne, Passerelle conservation, une
fondation qui finance des programmes de sauvegar-
ded’espèces.Letrentenaireaaccompagnépendantdeuxans
la transition écologique de son dernier club, La Section Paloi-
se, où il a évolué de 2015 à 2018. Il lance actuellement une
société, Fair-Play For Planet, qui décline ce genre de services
auprès d’autres acteurs du sport. Mission : «utiliser la puis-
sance de celui-ci pour accélérer la transition écologique». l
Et aussi
Retraitée des bassins, la nageuse Coralie Balmy, 33 ans, a
suivi une formation de soigneuse animalière dans le cadre
d’un projet de sauvetage de tortues marines. La médaillée de
bronze en relais aux JO 2012 a également lancé son associa-
tion de protection de l’environnement, Be Green Ocean.
P O RT R A I T S

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  • 1. ÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE PAR THIBAUT SCHEPMAN. ILLUSTRATIONS GEORGES/LA SUITE E N Q U Ê T E 29 07/11 2020 Supplément de L’Équipe n° 24208 À l’heure de la prise de conscience écologique, le monde du sport commence doucement à prendre la mesure de l’urgence et des efforts qu’il peut accomplir. Mais le chemin est encore long.
  • 2. L e 14 janvier dernier, la joueuse de tennis slo- vène Dalila Jakupovic tombait à genoux en suffoquant en plein match de qualification de l’Open d’Australie, avant d’abandonner. La faute à la pollution de l’air, causée par une vague d’incendies géants. Trois semaines plus tard, la course de ski de fond la Transjurassienne était annulée faute de neige. Pendant une bonne partie de l’hiver – le plus doux jamais enregistré en Europe –, la pratique du ski fut difficile dans plusieurs massifs du continent. Depuis le printemps, la totalité des événements sportifs ont été perturbés, reportés ou annulés à cause de la crise sanitaire, laquelle s’explique aussi par nos actions sur la nature (défo- restation, braconnage d’espèces sauvages...). Et si cette année noire était l’occasion de s’interroger sur les effets du sport sur l’environnement et sur les façons d'en faire un meilleur élève en termes de pra- tique écologique? Nombre de grands spécialistes du climat se sont penchés sur ces sujets. Valérie Mas- son-Delmotte, l’une des climatologues les plus esti- mées dans le monde, est cycliste, judoka, et appar- tient à une famille de pas- sionnés de sport impliqués dans la vie d’associations locales. « Le sport véhicule des valeurs telles que l’importance de l’effort ou la solidarité, dit-elle. Il peut être au cœur de l’adaptation face à un cli- mat qui change, pour que l’on puisse tous continuer à pratiquer le sport qu’on aime.»L’économistespé- cialiste du climat Céline Guivarch, elle aussi cycliste, confirme: «La plupart des sports sont totalement liés à notre environne- mentetànotrerelationàlanature.Celaexpliqueque nombre de sportifs se sentent concernés par ces sujets.Lesportalepouvoirderassembleretd’inspi- rer,laprisedeconscienceyestdoncvraimentnéces- saire.» En France, cette prise de conscience s’est matérialisée par la rédaction en 2017 d’une «Charte des 15 engagements éco-responsables » par le ministère des Sports et le WWF, ONG spécialisée dans la protection de la nature. Cette initiative a inci- té au moins 300 grands événements à mettre en pla- ce desmesures. Ces actions sont-elles à la hauteur? Le défi global est connu et chiffré. Les travaux du Giec (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), organisme chargé de synthéti- ser les connaissances scientifiques sur le réchauffe- ment climatique et ses conséquences, grâce au travail de centaines d’experts du monde entier, recommandent de diviser impérativement par deux d’ici à 2030 nos émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 2010. D’ici à 2050, il faudrait selon ces experts atteindre une division par six, au moins. Sans cela, les dégradations de nos conditions de vie et les conflits et inégalités sociales engendrés par celles-ci rendraient impossible la tenue réguliè- reetéquitabled’ungrandnombred’épreuves.Céline Guivarch explique comment, selon elle, on peut par- venir à ces objectifs très ambitieux: «La démarche standard, c'est de commencer par mesurer précisé- ment son impact sur le climat et l'environnement. Ensuite, il faut agir pour le réduire en ciblant au maximum les domaines où l’on émet le plus. Enfin, on peut communiquer sur sadémarche pour inspi- rer, en étant le plus transparent possible. » Les acteurs du sport français sont très rares à faire les choses dans cet ordre. Un exemple avec la Ligue professionnelle de football. Celle-ci communique depuis 2017 sur les engagements des clubs pros. Son dernier rapport liste des bons points: 70% des clubs « sélectionnent des produits locaux » pour nourrir le public ou les joueurs. Ce texte insiste aussi sur le fait que « 65 % des clubs proposent des pou- belles “double flux” au public ». Le tri des déchets est pourtant déjà obligatoire pour toutes les entreprises depuis 2016. Faute d’étude préalable comme d’objectif chiffré de réduction des émis- sions, difficile de mesurer la portée de ces engage- ments. Certaines infor- mations clés sur les déplacements des joueurs et spectateurs ne figurent pas dans ce rapport. Or les études réalisées à l’occasion d’autres événements sportifs montrent que c’est souvent de très loin le principal facteur d’émissions.LaLFPprécisequ’elletravailleàmesu- rer l’impact de ses championnats. Et confirme que l’avion a encore été utilisé pour 65% des déplace- ments des équipes pour la saison 2019-2020. Valérie Masson-Delmotte le regrette: «Continuer à prendre l’avion systématiquement, même quand d’autres moyens de transport sont possibles, c’est véhiculer l’image que certains privilégiés sont moins concer- nés par l’urgence d’agir. Le sportif communique malgré lui une image de réussite sociale qui va ame- ner d'autres à souhaiter faire la même chose.» Mais le sport doit-il être plus vertueux que la société ? D’autres acteurs ont déjà réalisé un bilan carbone, sansendiffuserlesrésultats.C’estlecasduLOSCou encore du Tour de France. Chez ASO, l’organisateur de la Grande Boucle (qui appartient au même groupe que L’Équipe), Jean-Baptiste Durier, directeur RSE (Responsabilité sociale des entreprises), justifie: LE TOUR INFORME SON PUBLIC SUR LES ÉCOSYSTÈMES TRAVERSÉS PAR LE PELOTON E N Q U Ê T E 30
  • 3. «Nous préférons communiquer sur des faits.» Ain- si, les 2 000 véhicules du Tour sont maintenant hybrides, les emballages alimentaires distribués par la caravane sont recyclables et l’organisation offre des vélos ou des cours pour initier à la pratique ducyclisme.LeTourinformeaussisonpublicsurles écosystèmes traversés par le peloton, avec des vidéos présentant à chaque étape une espèce ou un espace protégé. Une idée intéressante aux yeux de Valérie Masson-Delmotte, qui invite à aller encore plus loin : «Le Tour pourrait communiquer sur les impactsdéjàconcretsetvisiblesduchangementcli- matique dans les territoires traversés (lire p.50), ou encore mettre en valeur les infrastructures locales qui facilitent les déplacements à vélo, pour promou- voir une pratique populaire et accessible à tous.» Le chiffrage des émissions de CO2 est aujourd’hui encore un sujet tabou. Pour certains, la transparen- ce serait pourtant nécessaire. Renaud Bettin, expert en transition écologique des entreprises, explique : « Il faut d’abord dire combien on émet au départ. Ensuite, on estime si c’est bien ou non, et on se fixe des objectifs. Puis on explique comment on va y arri- ver.Lerisque,sinon,c’estdefairecroirequ’onpeuty arriver facilement.» Le Marathon de Paris est l’un des rares événements sportifs à communiquer de façon précise sur son bilan carbone : 25000tonnes de CO2. Pas moins de 94 % de ces émissions pro- viennent des transports, notamment des coureurs venant de l’étranger. Le budget carbone prévu pour les Jeux Olympiques de 2024 à Paris est lui aussi plombé par les déplace- ments internationaux que ce grand rendez-vous va engendrer. Dès la candidature, le projet a été pensé pour émettre deux fois moins de CO2 que les édi- tions précédentes, notamment en recourant princi- palement à des installations sportives existantes. Les organisateurs ont mis en place des outils de mesure très précis de leurs émissions et pris de nombreux engagements pour limiter leur impact. Ainsi l’énergie utilisée sera entièrement renouvela- ble, un objectif «zéro déchet» a été affiché grâce notamment au réemploi et à l’économie circulaire. Enfin, pour résoudre certains défis, des solutions innovantes sont recherchées, comme le moyen de coupler les billets d’accès aux stades avec des billets de transport en commun. Restent 1,5 million de tonnes de CO2 prévues par les organisateurs, dont au moins un tiers lié aux transports. Pour comparaison, l’Islande émet 6 millions de ton- nes de CO2 par an, le Burkina-Faso, 3 millions. Les transports pèsent aussi très lourd dans le bilan 31
  • 4. environnemental des sportifs professionnels eux- mêmes. Le champion de trail Kilian Jornet, par exemple, revendique un mode de vie très vert: végé- tarien, il consomme principalement des légumes de sonproprepotager;ilrouleenvéhiculeélectriqueet sechauffeaveclesmoyenslesplussobres.Maisson bilan carbone, publié dans les colonnes de L’Obs, n’est pas bon: 14,8 tonnes de CO2 par an. Soit pres- que dix fois plus que la limite recommandée. Face à ce constat, l'athlète s'est récemment engagé à ne plus faire qu’un seul voyage en avion par an. Comment agir sur les transports autour des événe- ments sportifs, si gros facteurs d'émissions? C’est l’un des défis des années à venir. Et une question, au-delàdusport,deplusenplusdansl’airdutemps. Jusqu’ici, les personnes qui traversaient la planète en avion pour encourager leur équipe étaient vues comme des supporters en or. Demain, peut-être félicitera-t-on davantage ceux qui parviendront à se déplacer autrement et ceux qui manifesteront leur soutien en fédérant près de chez eux? «On pourrait encourager les retransmissions locales sur écran géant, en travaillant pour recréer une vraie ambian- ce», suggère l’économiste Céline Guivarch. Face à l’épidémie de Covid-19, plusieurs organisa- teurs de trails ou de marathons annulés en tout ou partie (comme à Londres, où seule l’élite à couru), ont, eux, proposé aux inscrits de participer à une Il n’y en a pas encore des hordes, mais des sportifs s’attachent, personnellement, à remédier à leurs émissions de gaz à effet de serre. En changeant leur mode de vie et/ou en passant à la compensation carbone, c’est-à-dire en s’engageant dans des projets destinés à réduire leur impact sur l’environnement. La surfeuse française Justine Dupont, par exemple. Elle qui prend l’avion pour aller chercher des grosses vagues et doit utiliser un jet ski pour se faire tracter et assurer sa sécurité a décidé de convertir en euros son bilan carbone. Avec son partenaire, la MAIF, ils font 50-50 pour remettre un chèque de ce montant à l’association œuvrant pour le reboisement de la forêt de Chiberta, à Anglet, qui a brûlé l’été dernier. L’équipe suédoise de ski alpin s’est, elle, demandé « à quel point elle contribuait elle-même à détruire son sport », vu que chaque membre de l’équipe d’André Myhrer, champion olympique de slalom 2018, émettait en moyenne 44 tonnes de CO2 par an, soit quatre fois plus qu’un Suédois ordinaire. Les skieurs se sont donc imposé, en 2017, comme objectif de diviser par deux leur impact sur l’environnement d’ici aux Jeux d’hiver de Pékin, en 2022. Pour ça, ils ont recruté un coach climat, qui a fait passer les voitures au biocarburant et les chauffeurs à l’écoconduite, signé un contrat avec la compagnie aérienne scandi- nave SAS pour compenser les émissions, et fourni aux athlètes des recettes avec moins de viande et plus de produits locaux et de saison. Consciente que ses « déplacements ont un véritable coût pour notre planète et l'environnement », la joueuse de tennis française Alizé Cornet s’est, elle aussi, engagée, cette année, avec l’entreprise Pur Projet, pour com- penser ses émissions carbone grâce à un programme « de restauration de la nature et d’agroforesterie » au Pérou. La Niçoise soutient un projet local de verger conservatoire. « Je vais planter 70 arbres de variétés anciennes et rares dans le verger de l’abbaye de Lérins. Juste en face de chez moi ! » Sinon, il y a aussi Lewis Hamilton, champion du monde de F1, qui a vendu son jet privé et roule en smart électrique. L’an passé, le pilote britannique devenu vegan affirmait que plus personne, autour de lui, n’avait le droit d’acheter du plastique, qu’il fallait que tout soit recyclable « jusqu’au déodorant et au dentifrice ». CHRYSTELLE BONNET Dupont, Cornet, Hamilton… Ces champions qui pensent à compenser «coursevirtuelle».L'idéeaséduit:partoutdescou- reurs (ils étaient 36000dans le cadre du Marathon de Londres) ont participé chacun de leur côté sur un terrain de leur choix, avant de partager les résultats sur une même plate-forme. Les athlètes pros ont eux aussi leurs idées. Dans L’Équipe, la star du handball Nikola Karabatic expli- quait en mai dernier : « On pourrait produire une charte obligeant les clubs à se déplacer en train sur le territoire national dès que c'est possible et que tout le monde soit logé à la même enseigne. » L’ancien international de rugby Julien Pierre (lire p.49)défenddesoncôtéuneréductiondunombrede matchs joués, pour des raisons écologiques autant que sportives: «Ce sport est tellement dur, ça tape tellement fort, c’est trop, il y a trop de matches. Bien sûr, c'est facile pour moi de dire ça aujourd'hui, j'ai arrêté ma carrière. Mais je sais que pour un joueur, c’est très dur d’enchaîner. Je sais aussi que les mat- ches qui font le plus vibrer, ce sont souvent les mat- ches locaux, les derbies.» Ces changements sont, bien sûr, complexes à met- tre en place sans sacrifier l’essence et le plaisir du sport. Mais certaines mesures, disent les experts, auraient une valeur symbolique et un effet d’entraî- nement sur le grand public. À l'heure actuelle, les restrictions de déplacement semblent encore inau- dibles pour beaucoup de responsables sportifs, E N Q U Ê T E 33
  • 5. «neutre en carbone ». Cassignol précise : « C’est un programme qui a aussi des vertus sociales, il permet notamment aux populations de gagner du temps en réduisant le temps passé à ramasser du bois.» Mal- gré tout, ce genre de communication dérange nom- bre d’observateurs. « Dire qu’on est neutre en carbone, ça donne l’impression que l’on n’a aucun impact, estime Jonathan Guyot, cofondateur de l’association all4trees. Mais ce n’est pas vrai. Il y a eu des émissions dans l’atmosphère.» Renaud Bettin dresse une comparaison: «C’est bien de financer ce genre de projets. Mais si on ne réduit pas d'abord significativement ses émissions, cela revient à com- mencer par la fin. C'est un peu comme un gros fumeur qui dirait : “Je continue à fumer, mais je vais faire du sport.”» Arnaud Gandais, directeur du Paris Volley (lire p.45), souligne: «Ce n’est pas un modèle séduisant. Au contraire, il faut proposer des solu- tions que tout le monde peut etaenviede répliquer.» Ledirecteur duParisVolleysaitdequoiilparle.Grâce àunpland’actionsmélangeantdegroschangements structurels et de bonnes idées, il a réussi à faire de son club un modèle en termes de réduction d’émis- sionsdeCO2etàentirerdesbénéficesimportantsen termes d’image. Le club, comme l’écologie, en sor- tentgagnants.l THIBAUT SCHEPMAN même les plus engagés sur le sujet. Ni Georgina Grenon, directrice de l'excellence environnementa- le pour les JO 2024, ni Édouard Cassignol, directeur du Marathon de Paris, n’envisagent de limiter la venue de spectateurs internationaux. Au LOSC, le service communication assure: « Ce n’est souvent pas raisonnable de rentrer en bus, pour des raisons de logistique et de récupération des joueurs.» La compensation des émissions carbone séduit en revanche beaucoup plus. Début 2019, plusieurs grands acteursdusport dont le LOSC,laFormule1et le Marathon de Paris se sont engagés sur la voie de la «neutralité carbone» en 2030. Faut-il comprendre que ces structures ont ou vont réduire considérable- ment leurs émissions? En réalité, pas vraiment. La neutralité carbone affichée est le fruit d’un calcul mathématique. Ceux qui s’y engagent financent des projets, certifiés, qui ont pour effet de réduire les émissions de CO2, voire d’en capter. Par exemple, le Marathon de Paris subventionne au Kenya un pro- grammequiconsisteàremplacerdesfourstradition- nels par des fours plus efficaces consommant 60% deboisenmoins.Lecalculestlesuivant:onsoustrait les émissions de CO2 potentiellement évitées des tonnes de gaz à effet de serre effectivement émises par l’événement. Si l’on arrive à zéro, on peut se dire E N Q U Ê T E 34
  • 6. «I l est plus que jamais nécessaire de proté- gerlesjoueurs.Nousdevonsprendresoin d’eux et les préserver contre les risques auxquels ils sont exposés. » Pendant la première vague de Covid-19, Sylvain Kas- tendeuch, le coprésident de l’UNFP, avait délivré un message clair. La santé des joueurs doit passer avant tout le reste. Une prise de position forte qui vient se confronter, plus que jamais, à la réalité. Depuis la parution de sa tribune dans Le Monde, le 20 avril, nombre de joueurs ont été contaminés par le virus. Aucun n’a développé de forme grave, à l’exception de Junior Sambia. Admis en réanimation en avril der- nier, le Montpelliérain de 24 ans a rapidement retrouvé l’intégralité de ses moyens physiques et enchaîne les matches depuis le début de la saison. La deuxième vague est là, le Championnat se poursuit, mais une autre menace, plus sournoise, plane sur la santé des joueurs : la qualité de l’air. Car celui qu’ils res- pirent est loin d’être sain. Il est même tellement médiocre que notre pays a été condamné le 24 octobre dernier, par la Cour de justice européenne, pour non-respect de sa qualité dans une douzaine d’agglomérations, notamment Paris, Mar- seille,Lyon,Nice,Strasbourg,MontpellierouencoreReims*. Autant de villes qui comptent des clubs de Ligue 1. Tous les joueurs de notre Championnat ont été exposés à une fortepollutionatmosphériqueetilsenontabsorbébeaucoup plus que le commun des mortels. « Plus on fait d’exercice, plus on inhale d’air, donc plus on absorbe de polluants », explique Gilles Dixsaut, médecin et président de la Fondation du souffle. « Durant un exercice intense, les athlètes peuvent respirer plus de 6 000 litres par heure. C’est six fois plus que Le fond de l’air est sale À l’origine de 48 000 décès en France chaque année, la pollution atmosphérique pourrait particulièrement impacter la santé des footballeurs, qui inhalent beaucoup de polluants puisqu’ils jouent souvent dans des stades situés près des axes routiers. PAR ALEXIS DANJON pendant un exercice léger, celui d’un sportif amateur, et c’est jusqu’à douze fois plus qu’au repos. Un sportif inhale donc douze fois plus de polluants qu’un citadin lambda », détaille Rachel Nadif, responsable de l’équipe d’épidémiologie respi- ratoire intégrative à l’INSERM, qui effectue des recherches sur le lien entre la qualité de l’air et la santé des athlètes. Ces polluants pénètrent directement dans le corps des foot- balleurs, puisqu’ils respirent par la bouche et ne bénéficient pas de la protection – relative – de leurs filtres nasaux. Pêle- mêle, ils inhalent de l’ozone, du dioxyde d’azote, des particu- les fines (PM10, PM2.5) et ultrafines (PM 0.1), dont le diamètre est inférieur à 10, 2,5 et 0,1 micromètres (millièmes de millimètre). À titre de comparai- son, un cheveu humain est environ 20 fois plus gros qu’une particule PM2,5. Dans ce cocktail, ces dernières particules, formées principale- ment par le trafic routier, sont les plus problématiques. « Plus elles sont fines, plus elles vont descen- dre profondément dans l’arbre bronchique, jusqu’à passer dans la circulation sanguine », éclaire Rachel Nadif. Elles sont particuliè- rement présentes dans les stades de Ligue 1 situés à quel- ques mètres d’axes routiers à très fort trafic pour en faciliter l’accès : des périphériques (Rennes, Nantes et Paris), des routes nationales (Dijon, Montpellier et Lille) et des autorou- tes (c’est le cas de 12 stades, dont Lyon, Nîmes ou de nouveau Lille).«C’estuneâneriedelesavoirconstruitsàcesendroits, peste le Dr Dixsaut. On met en danger la santé des joueurs. » Même si, reconnaît-il, « à l’époque de la construction de cer- tains stades, on ne connaissait pas les risques liés à la pollu- tion atmosphérique ». « Inhaler des polluants à doses trop importantes, de manière fréquente et régulière, a des incidences sur la santé. Ça a été «PLUS ON FAIT D’EXERCICE, PLUS ON ABSORBE DE POLLUANTS » Gilles Dixsaut, médecin et président de la Fondation du souffle 37
  • 7. E N Q U Ê T E À Marseille, le premier confinement a permis de réduire le niveau d’oxyde d’azote de 69 %. En 2018, on avait enregistré dans un stade de la ville un taux de dioxyde d’azote de 109,9 μg/m3: près de trois fois le taux préconisé par l’OMS. du sport », répond Gilles Foret, physico-chimiste de l’atmos- phère. « Il n’y a pas de valeur en dessous de laquelle il n’y a aucun risque », complète Gilles Dixsaut, avant d’ajouter : « Il est plus facile de se protéger de ce coronavirus avec des moyensappropriésquedelapollutionatmosphériquecontre laquelle il n’existe aucune possibilité claire de protection. » Alors que le Championnat a repris avec d’extrêmes précau- tions pour limiter les contaminations au Covid-19, il n’existe aucun point de règlement consa- cré à la qualité de l’air dans les règlements de la LFP. Aucun match n’a été reporté à cause d’un pic de pollution. Ce danger est pourtant suffisam- ment pris au sérieux, notamment par l’IAAF, la Fédération mondiale d’athlétisme, qui a installé des capteurs dans tous ses stades. Concernant le foot, une solution serait de limiter la circulation rou- tière autour des enceintes : selon le ministère de la Transition écolo- gique, le trafic routier est à lui seul responsable de 57 % des émissions d’oxyde d’azote et d’une part significative des émissions directes de particules fines. « Ce serait efficace en hiverouauprintemps,oùl’ontrouvelestauxdeparticulesles plus élevés, estime Gilles Foret. Mais ce serait inefficace l’été, lorsque le polluant principal est l’ozone. » La seule solution serait donc de réduire les émissions à la source. « Il faudrait non seulement diminuer la circulation mais aussi rendre les véhicules plus propres », résume Gilles Foret. De la théorie à la pratique, le premier confinement est passé par là. En Île-de-France, les concentrations de particules ultrafines ont baissé de 50 %. Du jamais vu en quarante ans. Les niveaux d’oxyde d’azote ont également diminué partout en France, a dévoilé l’AASQA, le réseau des associations qui, chaque jour, surveille, mesure et informe sur la qualité de l’air. Une baisse de 75 % à Nantes, 73 % à Paris ou encore 69 % à Marseille, ce qui aurait évité 1 230 morts dans notre pays, selon le Centre for Research on Energy and Clean Air. Depuis la fin du premier confinement, la repriseprogressivedutraficacon- duit à une remontée des quantités de polluants à des niveaux équiva- lents à 80 % des émissions obser- vées auparavant. L’amélioration de la qualité de l’air profiterait à l’ensemble de la société, et donc en premier lieu aux footballeurs. Le gouverne- ment a d’ailleurs récemment pro- mis la création d’une dizaine de zones à faibles émissions d’ici à 2021. Et a annoncé le renfor- cementdudispositifdesurveillanceenyintégrantlespestici- des, que l’on retrouve dans toutes les pelouses des terrains de foot et qui présenteraient également des dangers pour la santé. Pour les footballeurs, les risques du métier sont peut- êtrebienplusélevésquecequ’ilsimaginent.l adanjon@lequipe.fr * Toulouse, Grenoble, Clermont-Ferrand, Toulon et la vallée de l’Arve, au pied du mont Blanc, sont les autres zones concernées. AUCUN MATCH N’A ÉTÉ REPORTÉ À CAUSE D’UN PIC DE POLLUTION 40
  • 8. La Savoyarde Liv Sansoz, ex-championne d’escalade, privilégie les sorties près de chez elle afin de limiter les déplacements et leur impact sur l’environnement.
  • 9. ALLEZ LES VERTSIls sont champions ou anciens sportifs de haut niveau, équipementier ou encore dirigeant de club. Ils incarnent une génération convaincue que l’amour de la planète et celui du maillot sont parfaitement compatibles. Ils le prouvent dans leur vie quotidienne et en parlent très bien. Rencontres. P O RT R A I T S 43
  • 10. La sportive outdoor Liv Sansoz Depuis 2017, l’ancienne championne du monde et d’Europe d’escalade ne s’est pas convertie qu’à l’alpinisme. Elle prône également l’aventure près de chez soi. U n décollage en parapente depuis le sommet du Mont-Blanc suivi d'une arrivée à domicile, à Cha- monix, le 11 septembre 2018. À l’échelle de la car- rière riche en exploits de Liv Sansoz, la scène pourraitparaîtrebanale.Elleestpourtantl’aboutis- sement d’une grande aventure physique et personnelle. Reprenons. La Savoyarde a d’abord excellé dans l’escalade dans les années 1990, raflant à deux reprises le titre de championne du monde. Après une grave blessure en 2001, elle s’est reconvertie dans le base jump. L’occasion pour l’athlète de voir son environnement se dégrader de plus en plus vite : « Petite, je vivais à Bourg-Saint-Maurice. En décembre, je pouvais sauter du balcon dans la neige. Aujour- d’hui, en plein hiver, on peut souvent faire du vélo en T-shirt. Chaque été, on voit que les glaciers rétrécissent. À l’échelle de ma vie, tout a été bouleversé et j’ai compris qu'il fallait que je sois actrice d'un changement.» C’est ainsi qu’a germé l’envie de vivre des aventures et de lancer des expéditions plus proches de chez elle, avec moins de déplacements et d'impacts sur l'environnement. Liv Sansoz formalise son projet en 2016 : enchaîner l’ascension des quatre-vingt-deux sommets de plus de 4 000 m des Alpes en ne recourant jamais aux remontées mécaniques. L’ex-grimpeuse démarre en mars 2017 par le Grand Paradis (4061m), en Ita- lie, et termine donc un an et demi plus tard avec la fameuse descente en parapente depuis le Mont- Blanc. Elle en tire une bien meilleure connaissance de son environnement et cette conclusion : «Vivre l’aventure près de chez soi donne une autre saveur, un autre sens à ce que l’on fait.» Depuis, la Savoyarde, 43 ans, s’est engagée à voya- ger moins souvent mais plus longtemps : elle parti- ra un an sur deux. L’athlète sait que son approche est plus à même de séduire les sportifs amateurs ou retraités que les pros en pleine carrière. Elle invite pourtant ces derniers à explorer d'autres voies : réduire leur consommation de protéines animales, par exemple –«Je suis végétarienne depuis trente ans ça n’empêche pas du tout d’enchaîner les efforts longs et difficiles » –, tenter de regrouper leurs déplacements et privilégier les moyens de transport peu polluants. l Et aussi En 2018, le coureur de trail américain Dakota Jones a remporté le Pikes Peak Marathon en 3h et 32 minutes. À cette performance s'en ajoute une autre, réalisée les jours précédents. Afin de réduire son impact environnemental, il avait choisi d'effectuer le trajet entre son domicile et la ligne de départ - 400k m tout de même - entièrement à vélo ! LesalpinistesInesPapertetCarolineNorthontcou- plé en août une traversée de la Suisse et l’ascension de plusieurs sommets en ne se déplaçant qu’à vélo. Une aventure appelée cyclo escalade. P O RT R A I T S 44
  • 11. 45 Q uand l’équipe du Paris Volley, neuf fois championne de France, se déplace pour ses matches de Ligue A, elle le fait la plupart du temps en train. L’avion n’est plus utilisé que pour se rendre en Corse et à Nice. À Paris, les joueurs sont tous logés à proximité de la salleomnisportsCharpy,avenuePierredeCoubertin,dansle XIIIe arrondissement, afin de pouvoir se rendre à l’entraîne- ment à pied ou en trottinette. Vous ne les verrez pas boire dansdesbouteillesd’eauenplastique:celles-ciontétérem- placées par des gourdes individuelles. Ces changements montrent le virage écologique pris par le club, actuel 10e du Championnat, depuis septembre 2019 et l’arrivée d’un nouveau directeur général à sa tête, Arnaud Gandais, 43 ans : «Nous pensons que notre rôle dépasse le simple fait que des gens jouent à la balle, dit cet ancien entraîneur et manager de handball. On peut réussir à faire en sorte que tout le monde se bouge sur des questions comme l’environnement ou la solidarité. On a commencé à mettre en place toute une batterie d’actions afin d’être exemplaires.» L’impactdecesmesures,détailléessurlaplateformeZei,est concret et mesurable. La seule réduction des déplacements, en particulier en avion, a ainsi permis de diviser par deux l’ensemble des émissions carbone du club parisien. Le DG Le dirigeant de club Arnaud Gandais Depuis un peu plus d’un an, le nouveau boss du Paris Volley a ancré son club dans une démarche résolument solidaire et durable. voit d’autres vertus à cette révolution : « On supprime des actions inutiles, on rationalise ou on donne une seconde vie aux choses, donc on fait des économies. Cela compense lar- gement certains surcoûts, comme le choix de produits éco- responsables. Ensuite, c'est bon en termes d’image. Ce n'est pas le but premier de notre démarche, mais les marques ont davantage envie d'associer leur nom à des clubs qui pren- nent ce genre d’engagements.» Le club entend prolonger son élan, notamment, lorsque la situation sanitaire le per- mettra de nouveau, en encourageant financièrement les supportersquiviennentaustadeàvélo,entransportencom- mun ou en covoiturage. Il cherche également à accompagner d’autres clubs dans leur transition écologique par le biais de Match for green, une communauté relayée sur le site du club. ArnaudGandaisespèreconvaincrepasmoinsde200clubsde les rejoindre d’ici à la fin de l’année. l Et aussi Le club de foot anglais Forest Green Rovers FC a renoncé aux protéines animales, fait certifier bio sa pelouse et va démar- rer la construction d’un stade en bois éco-conçu. Le club de foot d’Amiens s’est fixé l’objectif de devenir un club «zéro déchets».
  • 12. R omans-sur-Isère, commune de la Drôme d’une trentaine de milliers d’habitants, fut longtemps la capitale française de la chaussure. Au cœur des Trentes Glorieuses, un emploi sur deux y dépendait de cette industrie. C’était avant que la concurrence étrangère ne fasse chuter la production et décime les entre- prises, y compris l’historique usine Charles Jourdan, qui a fermé ses portes en 2005. Depuis quelques années, plu- sieurs patrons et patronnes de PME tentent de sauver les sites et savoir-faire locaux en faisant renaître une filière de la chaussure française. C’est le cas d’Isabelle Dhume, 42 ans, qui a lancé en 2014 Milemil, seule marque de chaussures de foot 100% fabriquées en France. Passionnée de ski, Isabelle Dhume raconte avoir renoncé à son sport de prédilection à l’âge de18 ans à la suite d’une blessuredue,dit-elle,àdeschaussuresmalconçues.Lajeu- ne femme rebondit en obtenant un BTS spécialisé dans les métiers de la chaussure, avant de travailler pour plusieurs grandes marques et équipementiers sportifs,sansytrouvertotalementsoncompte:«On produisait à l’autre bout du monde, sans faire atten- tion aux impacts occasionnés. On essayait toujours de négocier les coûts au plus bas. Petit à petit, j’ai eu envie d'avoir une action plus locale, avec du sens.» En 2012, l’ingénieure de formation croise la route de Christophe Pinet, un mordu de foot qui collectionne les chaussures (avec un gros faible pour la Predator Accelerator, modèle culte d’Adidas notamment por- téparDelPiero,ZidaneetBeckham)etrêvedefabri- quer des crampons made in France. Ensemble, ils travaillent et conçoivent leurs premiers modèles. Ceux-ci seront fabriqués à Romans par le groupe Archer, une entreprise de l'économie sociale et soli- daire, avec du cuir pleine fleur produit localement et du coton biologique pour la doublure. Aujourd’hui seule à la tête de l’entreprise, Isabelle Dhume a diversifié sa production en l’ouvrant à des chaussu- res de villes et de rugby. Elle distribue une centaine de paires par mois. Une quantité négligeable à l’échelle française, mais qui contribue à un écosys- tème régional en renaissance : «Je fais tous mes déplace- ments et livraisons à vélo. Avec certains partenaires, nous avons monté une association des chausseurs de Romans et contribué à fonder une Cité de la chaussure. Il y a une belle dynamique sur notre territoire.» Isabelle Dhume se rému- nère principalement grâce à des prestations auprès d’entre- prises et d’équipementiers intéressés par son expertise. Ce qui la conforte dans sa conviction : la chaussure de sport made in France a de l’avenir. l Et aussi Depuis 2010, le Coq Sportif, l’une des plus anciennes mar- ques de sport mondiales (elle est née en 1882) et partenaire de l’ensemble des équipes de France pour les Jeux Olympi- ques de Paris 2024, a relocalisé une partie de sa production à Romilly-sur-Seine (Aube) et en Europe. L’équipementier Isabelle Dhume Avec Milemil, la marque qu’elle a cofondée en 2014, Isabelle Dhume ressuscite les crampons made in France et sauvegarde l’emploi de sa région. P O RT R A I T S 46
  • 13. P atrik Baboumian est l'un des hommes les plus balè- zes du monde. Ancien champion cadets d’haltéro- philie, sacréhommeleplusfortd’Allemagneenaoût 2007 (catégorie -105kg), l’athlète d’origine armé- nienne et doté de la double nationalité allemande et iranienne adore soulever des voitures, projeter des fûts de bière ou encore balancer des machines à laver au loin. Et tout ça sans manger de viande (depuis 2005), ni même consom- mer de produits d'origine animale (depuis 2011). Baboumian défend, par le biais de livres, salons et conféren- ces, l'idée qu'il est possible et souhaitable de passer à une alimentation 100% végétale. Il présente cette solution com- me une façon de «rendre le monde meilleur», selon le célè- bre principe : «Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse » et en s’appuyant sur des études démontrant que les régimes contenant le moins de viande ont en moyenne un impact moindre que les autres sur l’envi- ronnement. En 2019, l'année de ses 40 ans, Baboumian a participé au documentaire américain The Game Changers. On y voit de nombreux médecins et spécialistes de la nutrition matraquer le message qu’il n'est pas nécessaire de manger des produits d'origine animale pour performer. Plusieurs de ces médecins et quelques athlètes de renom – parmi les- quels Arnold Schwarzenegger, Lewis Hamilton ou Novak Djokovic – y avancent même qu'une alimentation végétale permet d'améliorer ses résultats sportifs. Les dernières images de ce documentaire montrent Patrik Baboumian tractant sur ses épaules un poids de 555kg sur une distance de 10 mètres, exploit qui a permis au musclor barbu d’1,71m et 125 kg d’inscrire son nom dans le livre Guinness des records. Baboumian lançait ensuite : «Il ne s'agit pas d'être le plus fort ou le plus puissant. Il s'agit de se demander : “Qu'est-ce que tu vas faire de ta force, qu'est-ce que tu vas faire du pouvoir que tu as ?”» l Le musclor vegan Patrik Baboumian Militant pour l’association Peta, cet Allemand spécialiste du sport de force prouve qu’on peut soulever du très lourd en allégeant les souffrances animales. 48
  • 14. L’ancien sportif Julien Pierre Depuis sa retraite, en 2018, l’ex-international de rugby a fait de la sauvegarde des espèces menacées le pilier de sa reconversion. «L echameau».Voilàcommentlesfansderug- by surnomment Julien Pierre, 39 ans, le champion de France (2010) et ancien inter- national (27 sélections). La faute aux jolies bosses à l’épaule laissées par une vieille blessure. Enfant, l’ancien deuxième ligne passé par La Rochelle, Bourgoin, Clermont et Pau avait déjà des liens très fort avec les camélidés. L’un de ses voisins était un chameau nommé Antoine, à qui il rendait visite chaque jour. « Ma famille gérait le zoo des Sables-d'Olonne, notre maison était situéedans le zoo.Lematin,c'était le rugissementdu lion qui nous réveillait. Ma famille, et notamment mon oncle, a tou- jours travaillé pour conserver les espèces menacées dans leur milieu naturel. J’ai grandi là-dedans, j’ai été sensibilisé à tout ça.» L’ancien rugbyman, dont le grand-père a été le pro- priétaire du zoo des Sables et le créateur du bioparc zoologique de Doué-la-Fontaine, a gardé la convic- tion que l’être humain peut vivre de façon plus har- monieuse avec le monde sauvage. En 2009, il décide d’accompagner son oncle dans un voyage en Indo- nésieconsacréàlasauvegardedutigredeSumatra: «Quandonestsportifdehautniveau,onvitdansune bulle dorée. J'ai toujours eu besoin de m'engager dansdesassociationsenlienaveclesocialoul’envi- ronnement. Ça remet les pieds sur terre.» Cetengagementapourtantfaillimettreuntermeàsa carrière. En 2009, Julien Pierre a en effet contracté le paludisme au cours de son séjour en Indonésie.«J’ai été très très mal, je transpirais tout le temps. Mate- las, couettes, draps, tout était trempé, j’ai tout jeté. J’ai passé des nuits dans la baignoire d'eau froide pour faire baisser la température, j’ai perdu presque 20 kilos. Je savais que j'allais surmonter cette épreu- ve, mais je savais aussi qu’en cas de nouvelles crises, ma carrière serait en danger.» Après trois mois loin des terrains, Julien Pierre retrouve pourtant son niveau, réalise en 2010 le Grand Chelem dans le Tournoi, gagne le titre de champion de France avec l’ASM, termine deuxième delaCoupedumondel'annéesuivanteavecl'équipe de France. Et sort de ses mésaventures avec une détermination renforcée : « Voir de mes propres yeux des écosystèmes dévastés m’a convaincu de m’engager. Les sportifs ont un rôle à jouer. Un évé- nement sportif, c’est énormément de parties pre- nantes, de médiatisation, un moment d'affect. Soit des opportunités formidables pour agir.» En 2012, Julien Pierre a créé, en collaboration avec le parc animalier d’Auvergne, Passerelle conservation, une fondation qui finance des programmes de sauvegar- ded’espèces.Letrentenaireaaccompagnépendantdeuxans la transition écologique de son dernier club, La Section Paloi- se, où il a évolué de 2015 à 2018. Il lance actuellement une société, Fair-Play For Planet, qui décline ce genre de services auprès d’autres acteurs du sport. Mission : «utiliser la puis- sance de celui-ci pour accélérer la transition écologique». l Et aussi Retraitée des bassins, la nageuse Coralie Balmy, 33 ans, a suivi une formation de soigneuse animalière dans le cadre d’un projet de sauvetage de tortues marines. La médaillée de bronze en relais aux JO 2012 a également lancé son associa- tion de protection de l’environnement, Be Green Ocean. P O RT R A I T S