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REMERCIEMENTS
Signe d’aboutissement de mes études, la réalisation de celles-ci et la rédaction de ce
mémoire n’auraient pas pu se faire sans l’aide de plusieurs personnes clés qui ont
jalonné mon quotidien pendant ces cinq années.
C’est pour cela que je tenais à remercier en premier lieu mon promoteur, M. Nicolas
Baygert, pour son soutien, son professionnalisme et son œil acéré qui fut d’excellent
conseil pendant ces trois mois.
Ensuite, j’aimerais également remercier l’ensemble du corps professoral de
l’IHECS mais plus particulièrement M. Pierre de Villers, président de la section
relations publiques et Mme. Valérie Lecouturier, assistante de cette même section,
pour leurs conseils et aides diverses lors de mon parcours ihecsien.
Je remercie également l’agence de communication Ogilvy Brussels pour son accueil
chaleureux lors de mes trois mois de stage, et plus particulièrement l’équipe relations
publiques avec laquelle j’ai eu la chance de travailler et partager une expérience hors
du commun lors de cet apprentissage.
Enfin, pour leur accompagnement quotidien, soutien dans les moments faciles comme
difficiles ainsi que pour tous les bons souvenirs dont ces personnes font partie, je tiens
à remercier ma famille et mes amis sans qui je n’aurais jamais pu terminer ces cinq
années.
INTRODUCTION
Qu’elles se cachent ou qu’elles s’assument, les entreprises cherchent de plus en plus à
être le centre de l’attention dans les conversations en ligne. Pour amplifier leur
message ou augmenter la visibilité de leurs produits ou services qu’elles désirent
transmettre, les entreprises investissent dorénavant les réseaux dans l’espoir de
générer du « buzz ». Que ce soit, de manière classique, à travers l’achat d’espaces
publicitaires en ligne, ou par des stratégies de communication relevant davantage d’un
volet relations publiques (RP).
Ce désir inconditionnel de susciter du « buzz » se retrouve également dans la culture
des magasins de bricolage Gamma, objet de cette étude. À la suite d’une de leur
demande, Ogilvy Public Relations Brussels (OPRB)1
a mis en place une campagne de
communication pour cette entreprise en novembre 2013. Elle se base sur une vidéo
mettant en scène des femmes déguisées en « Kluspoezen » (traduction littérale : « les
chattes du bricolage ») qui détiennent marteaux, scies, et ponceuses entre les mains.
Ce faisant, elles entonnent une chanson suggestive avec les paroles « Men’s Day,
pussycat, come and play », réelle invitation au jeu, le jour de la Journée Internationale
de l’Homme dans les magasins de la chaine. Cette vidéo a créé ce qu’on appelle
communément un « buzz » (principalement en Flandre) en raison des débats qu’elle
soulevait2
.
Comme la définition des dictionnaires Larousse (consulté le 28 avril 2014) le suggère,
le « buzz » représente un cyber-phénomène. Le buzz, « mot anglais signifiant
bourdonnement, brouhaha », est une « forme de publicité dans laquelle le
consommateur contribue à lancer un produit ou un service via des courriels, des
blogs, des forums ou d’autres médias en ligne ». La définition est sans appel : ce n’est
pas dans le chef de l’entreprise que réside le succès ou l’échec de sa nouvelle
campagne de communication mais bien dans celui du consommateur.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
1
Voir Chapitre 3 ou Annexe I
2
La campagne a généré 67 articles dans les médias en ligne, 23 dans la presse écrite belge et quatre
reportages télévisuels et radiophoniques. La visibilité du message dans les médias est estimée à plus de
trois millions d’euros (OPRB, 2013).
  5	
  
Malgré la tentative d’Alain Joyandet en 2010, alors secrétaire d’État Français chargé
de la coopération et de la francophonie, de remplacer officiellement le mot « buzz »
par « ramdam », « buzz » est aujourd’hui un terme accepté par la collectivité et
proposé par les dictionnaires (Chotard, 2010).
Jusqu'où les entreprise sont-elles prêtes à aller trop loin pour provoquer le
« buzz » ? Telle est l’interrogation à laquelle nous tenterons de répondre dans ce
travail, à travers l’analyse du cas des « Kluspoezen ». Dans un premier temps, un
cadre de référence balisera les différents concepts et acteurs liés à la problématique de
recherche. Ce dernier permettra ensuite d’amorcer l’analyse du cas de Gamma et des
Kluspoezen qui évaluera la pertinence du risque pour une entreprise désireuse de
créer le buzz à tout prix, tentera de délimiter un champ d’action des entreprises sur les
médias sociaux, et situera l’entreprise dans la catégorie « good buzz » ou « bad buzz ».
Le dernier chapitre, quant à lui, aura pour objet le déroulement de la crise pour aboutir
à des recommandations en fonction des bons et mauvais agissements de l’entreprise
pendant celle-ci.
CHAPITRE 1
Délimitation du champ d’étude
a. Relations publiques
La recherche du buzz fait partie intégrante de la communication stratégique des
entreprises et des marques présentes sur Internet. En effet, comment toucher de
manière moins ‘brutale’ et plus ludique un public qui, bien que correctement ciblé,
demeure souvent blasé par la publicité classique. Dès lors, une logique davantage
« RP » croît en importance car elle demeure encore attractive auprès du grand public
qui aujourd’hui, ne s’accorde plus au standard publicitaire comme il le faisait il y a
encore vingt ans.
Une stratégie désormais de plus en plus utilisée est celle du « earned-media »,
nouveau Graal de la communication des entreprises. Lorsqu’une personne extérieure à
une entreprise communique sur celle-ci via son blog, ses réseaux sociaux ou autre
média social, nous sommes dans un cas de « earned-media » (Brito, 2013). Ce
principe attire beaucoup de sociétés grâce à son bas cout et parce que, via le
relaiement et le partage de l’information, les internautes cautionnent les valeurs de
l’entreprise et s’engagent positivement à ses côtés. Aussi, les entreprises commencent
à prendre en compte ce nouveau canal de diffusion par la production de contenu à
valeur ajoutée virale pour une meilleure visibilité (Babkine & Hamdi, 2013, p. 12).
Parallèlement, le « paid-media » concerne tout ce qu’on assimile à la publicité
« traditionnelle » : spots, bannières, etc. Le « owned-media », quant à lui, concerne
tout ce qui a été mis en place par la marque et qui est donc entièrement contrôlé par
l’entreprise : on parle ici du site Web de l’entreprise, de son éventuel blog, de sa page
Facebook, etc.
8	
  
Illustration 1 : différence entre « paid-media », « owned-media » et « earned-media ». – Source : Brito, 2013
La frontière est mince et le risque de basculer dans une logique publicitaire est
important. Il est crucial de souligner que cette analyse est abordée d’un point de vue
RP et non publicitaire. Bien qu’il s’agisse de marketing au sens large, on parle ici
d’un comportement qui vise à « se comporter en toutes occasions et en toutes
circonstances de façon à mériter et à obtenir la confiance de ceux avec lesquels
[l’entreprise] se trouve en contact » (Assemblée Générale du Centre Européen des
Relations Publiques, 1965). Nous sommes donc bel et bien dans une logique RP car
c’est grâce au développement d’une bonne relation de confiance entre l’entreprise et
le client ou le prospect3
que celui-ci se forgera une bonne image de l’entreprise et sera
plus enclin à adopter une attitude favorable lorsque celle-ci sera dans une période
critique (Bloch, 2012, p. 93).
b. Communication de crise
Cette période critique est d’autant plus susceptible de toucher l’entreprise quand celle-
ci est active sur Internet. Que ce soit par l’intermédiaire d’un community manager4
maladroit ou par une stratégie de communication mal établie.
Depuis l’avènement des médias sociaux, les marques sont davantage confrontées aux
situations de crise. En effet, le mode collaboratif qu’entrainent ces nouveaux médias
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
3
Prospect : client potentiel d’une entreprise (Robert, 1997)
4
Community manager : nouveau métier qui consiste à animer et fédérer des communautés sur internet
pour le compte d’une société ou d’une marque (Adamy, 2013, p. 12)
  9	
  
pousse les entreprises à être continûment en état d’alerte et à réagir plus rapidement
qu’auparavant. D’ailleurs dès son apparition, Internet a été associé à la
communication de crise : déjà en 1996, la marque américaine de jus de fruits Odwalla
utilisait cette technologie pour communiquer sur le rappel de ses produits tandis
qu’une extrême minorité de citoyens disposait alors d’un accès à Internet (Gibson,
2000).
Pourtant, beaucoup d’entreprises semblent encore aujourd’hui apprendre de leurs
erreurs lorsqu’elles sont en période « crisogène ». En effet, il existe aujourd’hui un
décalage entre les internautes qui se plaisent à partager et discuter entre eux et les
entreprises qui publient mais n’écoutent pas. Celles-ci ne se rendent pas compte que
le problème est bien plus complexe qu’il n’y paraît : créer une page Facebook ne
constituant que le début de la démarche, c’est en réalité l’état d’esprit et l’organisation
même de l’entreprise qu’il faudra réformer. L’entreprise est habituée à une
communication de type « traditionnelle », du haut vers le bas, tandis que les
internautes utilisent une communication « asymétrique », basée sur l’échange de pair
à pair, qui exploite au maximum les possibilités du Web collaboratif (Bloch, 2012, p.
3). C’est ce manque de prise de conscience qui sera déclencheur de crises plus ou
moins importantes pour certaines entreprises (voir infra : cas Nestlé).
Au final, la différence entre une crise numérique ou traditionnelle est minime en ce
qui concerne la gestion de communication : le plus important réside dans le fait que
l’entreprise se doit de bien gérer les nouveaux outils qu’elle utilise (Ibid.).
Les entreprises gagneraient à engager la discussion avec leurs clients et prospects. En
effet, en relation directe avec ses publics, les bénéfices de la conversation peuvent
avoir comme résultat une anticipation accrue dans le secteur, un meilleur ciblage des
désirs et opinions des publics et une meilleure vision de la position de la concurrence
(Adamy, 2013, p. 27). Nous sommes entrés dans l’ère de la conversation, nouvelle ère
dans laquelle la définition du bien commun n’est plus du seul ressort des gouvernants
et doit désormais se partager et se discuter (D’Almeida, 2007, p. 52), par conséquent
les entreprises ne pourront pas y échapper.
Pour conclure, la problématique est donc analysée ici dans une logique RP et du point
de vue de la « communication de crise ».
CHAPITRE 2
Quelques concepts
a. Les médias sociaux
« L’expression « médias sociaux » regroupe trois éléments fondamentaux : la
technologie, l’interaction sociale et la création de contenus. Par le terme ‘média’, on
évoque alors les technologies du Web collaboratif utilisées librement pour créer,
indexer, organiser, commenter ou modifier du contenu par les internautes. Par
‘sociaux’, on entend alors toutes les interactions sociales, réactions et influences
entre des individus ou groupes d’individus, liées à un contenu. Les médias sociaux
utilisent donc des techniques telles que les flux RSS, les blogs, les réseaux sociaux, les
wikis5
ainsi que les plateformes de partage de contenus (vidéos, photos, texte...) »
(Attias C. et al, 2010, p. 6).
Illustration 2 : panorama des médias sociaux en 2013. – Source : Cavazza, 2013.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
5
Le wiki est un site web dont les pages sont modifiables par les visiteurs afin de permettre l’écriture et
l’illustration collaboratives des documents numériques qu’il contient (Adamy, 2013).
  11	
  
Selon ce Frédéric Cavazza (2013), consultant et conférencier, on peut séparer les
médias sociaux en quatre catégories :
• Les plateformes de publication avec les blogs et les wikis ;
• Les services de partage de liens et de médias (photos, vidéos, musique, etc.) ;
• Les plateformes de discussion avec les applications de communication et de
chat mobile ;
• Les réseaux sociaux pour le grand public, professionnels, ainsi que les
réseaux russes ou asiatiques.
Par rapport aux années précédentes, c’est la catégorie ‘publication’ qui semble le plus
en mutation. Cela est essentiellement dû à l’avènement de nouvelles applications
mobiles de discussion et de partage rapide.
Selon Gil Adamy (2013, pp. 66 - 68), spécialiste en stratégie de marque, de marketing
et d’innovation de la communication, les médias sociaux constituent une révolution
tout aussi importante que l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1454. Pour
comprendre cela, nous dit-il, il faut replacer ça dans le contexte de la diffusion du
savoir.
Par le passage de la diffusion orale à la diffusion écrite, l’invention de l’imprimerie a
changé la circulation de l’information et a sacralisé le schéma émetteur -> récepteur.
L’accès au savoir, précédemment réservé à l’élite, transforme la société d’une lecture
orale (où les lettrés transmettaient le savoir via des lectures et des discours) à une
lecture silencieuse (où chacun lit son manuscrit).
Aujourd’hui, Internet bouleverse ce schéma car il gomme la différence entre émetteur
et récepteur, auteur et lecteur. Grâce aux nouveaux médias, le contenu devient
collaboratif et tout le monde est à même d’en générer : que ce soit via des blogs ou
des sites collaboratifs comme les forums de discussions ou les wikis. De plus, chaque
individu est relié de manière directe ou indirecte à un certain nombre de personnes
avec qui il échange de l’information. Il suffit alors de sensibiliser des maillons de ces
groupes pour propager l’information.
Il y a donc, selon Gil Adamy (2013, p. 69), une rupture liée au Web : Internet n’est
pas un média supplémentaire qui enrichit les médias plus anciens avec un
12	
  
fonctionnement équivalent comme l’ont été la télévision ou la radio (qui ont surtout
recomposé et rapproché les différents réseaux de discussions). Il est plutôt vu comme
un intégrateur des médias existants : il les enrichit par les débats soulevés sur les
médias sociaux. Comme suite à ce principe, apparaissent les Web TV, les Web Radio,
la presse en ligne, les hashtags6
intempestifs lors d’émissions, etc.
Par ailleurs, nous pourrions relier cette idée à la médiologie : théorie explicitée par
Régis Debray en 1991 dans Cours de médiologie générale qui étudie les médiations,
la transmission du message par l’Homme à travers les années7
. La médiologie insiste
sur deux notions essentielles : la relation et la médiasphère. La première notion
implique une conception de la société où les pratiques sociétales sont bouleversées
par les médias. Ainsi, alors que l’humain a l’impression d’être maitre de ses
productions, ces productions, en réalité, le façonnent et le produisent également car
elles influencent sa façon de penser, ses comportements, etc. La seconde notion – la
médiasphère – illustre la manière dont notre civilisation est passée par trois
« médiasphères » : la logosphère (l’écriture), la graphosphère (l’imprimerie) et la
vidéosphère (l’audiovisuel). À cela, nous pouvons aujourd’hui ajouter l’hypersphère,
la sphère du numérique. À noter que ces différentes sphères se succèdent dans le
temps sans s’annuler (Baygert, 2014, pp. 60-61).
b. Le buzz
En réalité, le buzz peut être assimilé au plus vieux média du monde vu qu’il
fonctionne sur le principe du bouche-à-oreille. Dater le premier buzz reviendrait à le
situer au temps des premières croyances ou grands récits lorsque ceux-ci se
propageaient essentiellement de manière orale. Beaucoup l’ont déjà expérimenté, le
bouche-à-oreille est assujetti au risque de déformation et de déperdition. On citera ici
le célèbre jeu du téléphone arabe selon lequel un message transmis d’un émetteur à un
récepteur se retrouve complètement modifié à l’autre bout de la chaine (Babkine &
Hamdi, 2013, p. 11). C’est ici que se situe le risque pour l’entreprise ou la marque :
transmettre un message qui ne sera pas bien reçu auprès du public cible.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
6
Le symbole #, appelé hashtag, est utilisé pour signaler des mots-clés ou des sujets dans une
publication sur un réseau social. C’est un moyen permettant de catégoriser les messages (Twitter,
consulté le 28 avril 2014).
7
Le terme Médiologie est quant à lui apparu la première fois dans un ouvrage de Régis Debray : Le
pouvoir intellectuel en France.
  13	
  
Aujourd’hui, Internet a considérablement accentué les potentialités du bouche-à-
oreille. Au Web correspond une culture de l’instantanéité où chaque internaute est à la
fois émetteur et récepteur du message. Les marques apprennent souvent ce
fonctionnement à leurs dépens. En effet, de nombreuses entreprises ont du mal à
intégrer cette caractéristique des médias sociaux et restent bloquées sur l’ancien
schéma. Une telle inadaptation amènera certaines marques à mal réagir en temps de
crise sur les médias sociaux.
Dans ce type de situation, l’entreprise risque de connaître un « bad buzz ». Il s’agit
d’un « phénomène provoqué par des internautes mécontents d’une marque, de son
action ou de ses produits qui crée du bruit sur le net » (Babkine & Hamdi, 2013, p.
17).
Le premier bad buzz sur le net toucha Kryptonite, une entreprise d’antivol pour vélo.
En 2004, un internaute publia une vidéo où un client força un de ces cadenas réputés
inviolables avec un stylo à bille. En dix jours, la société déclara avoir perdu dix
millions de dollars à la suite du rappel des articles défectueux.
Ce qui est frappant dans ce cas, c’est que la BBC avait déjà abordé le problème en
1992 sans que cela impacte la marque. En 2004, les choses avaient changé. À la suite
de l’annonce de ce défaut, les internautes s’emparèrent du sujet, pour compléter
l’information, l’illustrèrent à l’aide de vidéos à un tel point que nul ne pouvait ignorer
le phénomène, y compris les médias traditionnels (Crouzet, 2006).
Mais le cas d’école le plus souvent repris par les spécialistes de la communication sur
les médias sociaux est le bad buzz auquel l’entreprise Nestlé fut confrontée en 2010
lorsque Greenpeace mit en place la première attaque coordonnée sur le net dans le but
de dénoncer les agissements de l’entreprise en matière d’utilisation d’huile de palme
dans ses barres chocolatées KitKat.
Greenpeace amorça les hostilités par la publication d’un rapport qui mettait en avant
la collaboration entre Nestlé et Sinar Mas, producteur indonésien d’huile de palme et
destructeur des forêts tropicales indonésiennes, selon l’ONG écologiste. Malgré la
réponse de Nestlé pour annoncer la rupture de contrat avec Sinar Mas, Greenpeace
14	
  
continua ses actions à l’aide d’une vidéo parodique8
de la publicité KitKat et un
communiqué de presse annonçant la mise en ligne de cette vidéo qui visaient à
dénoncer l’attitude néfaste du géant de l’agroalimentaire sur l’environnement. Par
ailleurs, l’association créa plusieurs mini-sites avec de réels kits de campagne de
communication marqués d’un détournement du logo « KitKat » en « Killer » (voir
illustration 3). Enfin, elle invita ses abonnés à l’aide de ses comptes Facebook et
Twitter à se mobiliser pour cette cause via la publication de messages sur les réseaux
sociaux et l’envoi de mail de protestations au PDG de la multinationale.
Illustration 3 : détournement du logo de KitKat par Greenpeace. – Source : Greenpeace, 20109
Ce qui fait que l’on retient aujourd’hui cette action est la mauvaise gestion de Nestlé à
la suite de cette attaque ; l’entreprise était préparée (vu la rapidité d’action) mais selon
une logique archaïque sans tenir compte des spécificités des médias sociaux et le
nouveau schéma de communication qu’ils incombent.
En premier lieu, elle demanda et obtint le retrait de la vidéo du site YouTube ce qui a
eu pour résultat d’accentuer la diffusion de la vidéo via d’autres canaux. Ensuite, le
community manager menaça les utilisateurs facebookiens qui avait alors changé leur
photo de profil par le logo « Killer » en stipulant que ce type de détournement était
interdit par le droit de la propriété intellectuelle. Perçues comme agressives, les
réactions du community manager firent le tour de la toile et furent reprises par les
internautes : on pouvait notamment y voir un commentaire publié au nom de Nestlé
informant les citoyens qu’ils « ont la liberté d’expression [mais qu’ici] il y a des
règles que [Nestlé impose] »10
(voir illustration 4).
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
8
La vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/19j4p35
9
En ligne : http://bit.ly/1ozZfMU
10
Traduction libre
  15	
  
Illustration 4 : réactions du community manager sur la page Facebook de Nestlé. – Source : Guillot, 2010.
Comme suite au torrent de critiques sur internet, Nestlé présenta ses excuses, en
renvoyant à un questions/réponses sur l’huile de palme, publia une lettre ouverte à
Greenpeace où la marque s’engage à changer son comportement face à ce problème.
L’affaire se tassa alors les jours qui suivent et finit par la publication de la marque sur
page Facebook : « Médias sociaux, comme vous le voyez nous apprenons avec le
temps. Merci pour les commentaires »11
(Guillot, 2010).
Comme Nestlé le décrit très bien en une phrase, les entreprises ont encore beaucoup à
apprendre des médias sociaux et de leurs rouages.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
11
Traduction libre: «Social media, as you can see we’re learning as we go. Thanks for the comments.»
CHAPITRE 3
Ogilvy Public Relations Brussels, fervent du earned-media
La stratégie des relations publiques au sein de l’agence de communication Ogilvy
Brussels se base essentiellement sur l’earned-media. En effet, la force de cette équipe
est de proposer la mise en place de stratégies de communication qui seront relayées
par les médias traditionnels. Pour ce faire, ils assurent du suivi auprès de journalistes
avec lesquels ils entretiennent souvent une relation privilégiée, voire amicale.
Lors de la mise en place d’une campagne, l’organisme aura dès lors le réflexe de
penser à des outils comme les sondages, l’appel à une problématique symptomatique
de la société actuelle ou le rebondissement sur des sujets d’actualité pour créer du
contenu susceptible d’être relayé par des médias plus conventionnels. C’est au final
cela qu’ils vendent à leurs clients : des pages de journaux, de magazines ou des pages
Internet qui mentionnent l’entreprise ou la marque mais sans les acheter. Cette
stratégie de visibilité est la même auprès des blogueurs influents.
Le paid-media et l’owned-media ne sont pas en reste pour autant. Le premier est
souvent utilisé dans le cadre de publicités Facebook et le deuxième est
systématiquement sollicité dans toute campagne de communication : il est très rare
(voire impossible) de lancer une campagne aujourd’hui sans mentionner celle-ci sur le
site officiel de l’entreprise. Certaines campagnes proposent même la création d’un site
annexe pour accompagner leur contenu.
Pour en savoir plus sur l’organisation, son fonctionnement, sa composition et autres
informations, le rapport de stage se trouve en annexe I.
CHAPITRE 4
Étude de cas : Gamma et les « Kluspoezen »
a. Gamma
Depuis 1971, la formule Gamma est exploitée par l’organisation de franchisage
Intergamma S.A. Elle conclut avec des indépendants des contrats de franchise qui leur
permettent d’exploiter les magasins de bricolage Gamma. Ces magasins proposent des
produits et services pour la réalisation de travaux de construction et de rénovation, à
l’intérieur et à l’extérieur de la maison. À cet effet, les franchisés et Intergamma ont
chacun leurs responsabilités propres :
• Le franchisé est responsable de la gestion de son point de vente, s’occupe de
son entretien et dispose à cette fin de personnel et d’une administration interne.
• De son côté, Intergamma soutient et guide les franchisés via divers services
professionnels : conception de formules promotionnelles, communication et
marketing aux niveaux national et local, formation du personnel, encadrement
des ventes, logistique, études de marché et informatique, etc.
La Belgique compte aujourd’hui 82 magasins Gamma.
Pour ce qui est de sa culture d’entreprise, Gamma se décrit comme jeune, proactive,
en constante évolution et informelle. Leurs lignes de communication sont courtes : les
collaborateurs peuvent se rencontrer facilement pour résoudre un problème, imaginer
un projet ou simplement discuter. Ces lignes directes et la concertation mutuelle
renforcent la flexibilité de leur organisation (Gamma, consulté le 29 avril 2014).
b. Les « Kluspoezen »
Ogilvy Public Relations Brussels (OPRB) a utilisé les rouages de l’earned-media pour
la campagne des « Kluspoezen ». En effet, tous les 19 novembre, les médias abordent
la Journée Internationale de l’Homme. Ce fait d’actualité a donc été utilisé pour créer
un événement en lien avec celui-ci, plus susceptible d’intéresser les journalistes.
Gamma s’est rendu chez OPRB au début du mois d’octobre avec un briefing qui
donnait déjà le ton. Gamma voulait mettre en place une action susceptible de générer
18	
  
du buzz par la création d’un événement que personne n’attend et qui différencie
Gamma de ses concurrents. Cet événement devait être considéré comme
immanquable auprès de la gent masculine (OPRB, 2013).
Début novembre 2014, Gamma lança alors sa nouvelle campagne à l’aide d’une vidéo
YouTube12
mettant en scène des « chattes du bricolage » : les « Kluspoezen ». La
vidéo indique également les différents Gamma dans lesquelles ces femmes passeront
le samedi de la semaine de la Journée Internationale de l’Homme (voir Illustration 5).
Cette vidéo comptabilise aujourd’hui plus de 250 000 vues.
Illustration 5 : captures de la vidéo des « Kluspoezen ». – Source : OPRB, 2013.
C’est en réalité De Standaard qui lança la discussion sur le Web en relayant
l’information et la vidéo via son site internet, nous sommes donc bel et bien dans un
cas d’earned-media. Mais cette campagne fut également soutenue par du paid-media à
l’aide de publicités Facebook ciblées pour générer du trafic vers la page Facebook et
des publicités radio, ainsi que par du owned-media grâce à des affiches dans les
magasins et des informations sur le site Internet et la page Facebook de l’entreprise
(Carpentier, communication personnelle, 2014).
À la suite de l’indignation qu’a déclenchée la vidéo auprès de diverses associations,
comme Vrouwen Overleg Komitee et Vrouwelijk Vlaanderen (De Standaard, 2013 ;
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
12
La vidéo est disponible en ligne : http://bit.ly/1cdMY51
  19	
  
Van Den Eynde, 2013), Gamma retira la vidéo originelle de YouTube. Il n’a fallu que
quelques heures pour qu’un autre internaute la remette en ligne. La vidéo fit
également l’objet de plusieurs plaintes auprès du Jury d’Éthique Publicitaire (JEP) car
il s’agit, selon les plaignants « d’une campagne sexiste et stéréotypée, tant dans les
mots que dans les images » (JEP, décembre 2013). Le Jury demanda à l’annonceur de
ne plus diffuser cette publicité (qui était déjà retirée des chaines officielles de
l’entreprise) en statuant qu’il était « d’avis que la campagne est sexiste à l’égard des
femmes et des hommes et évoque le stéréotype de l’homme toujours porté sur le sexe
et celui de la femme à sa disposition. Le Jury a estimé que la publicité contribue ainsi
à perpétuer une image stéréotypée des hommes et des femmes allant à l’encontre de
l’évolution de la société. » (Ibid.) Pour se défendre de ces accusations, Gamma
déclara qu’il s’agissait d’une campagne « ludique » et « fonctionnant sur l’humour »
(Ibid.). L’entreprise invita donc le public choqué à relativiser et comprendre
l’hyperbole de la vidéo : « les mouvements exagérés, les gestes exagérés, les
vêtements des dames (qui ne sont certainement pas plus sexy que dans certains vidéo-
clips) et [le maquillage] montrent clairement cette exagération » (Ibid.).
Initialement, la campagne abordait le briefing avec une stratégie plus RP grâce
notamment à une vision long terme. En effet, la vidéo était intégrée dans une stratégie
complète avec une application mobile qui permettait de repérer les Gamma près de
chez soi ainsi que la possibilité de voter pour que le Gamma le plus proche du votant
ait la visite des Kluspoezen. De plus, le jour de l’action, diverses activités étaient
prévues pour générer du contenu sur les réseaux sociaux (compétition entre hommes
et femmes dans les magasins, élection de Mister Handyman, etc.) Malheureusement,
ça n’a pas pu mettre en place par manque de temps (Carpentier, communication
personnelle, 2014).
En réalité, après avoir proposé l’idée à Gamma, l’entreprise a racheté l’idée à l’agence
de communication pour la produire via une autre boite de production avec qui elle a
des relations privilégiées. Dès lors, dans le cadre de cette campagne, OPRB s’est
uniquement assurée que Gamma était prêt à gérer l’éventuelle crise que Gamma
risquait de connaître : un document questions/réponses fut envoyé à tous les employés
des magasins pour que ceux-ci sachent répondre en cas d’interviews, OPRB joua
20	
  
également le rôle de médiateur entre le flux de journalistes et la société. En parallèle,
l’agence rédigea et envoya à sa base de contact le communiqué de presse pour
annoncer le lancement de la campagne, effectua du suivi auprès des journalistes afin
que ceux-ci abordent le sujet dans leurs rédactions et tint une revue de presse à jour.
C’est sur base de cette campagne que portera l’analyse de la problématique et de la
question de recherche suivante : « Jusqu’où les marques sont-elle prêtent à aller trop
loin pour le buzz ? », abordée dans la partie II.
CHAPITRE 5
Buzz & transgression :
la pertinence du risque pour l’entreprise
« Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle
de moi ! » La phrase de Léon Zitrone résume bien ce que plusieurs entreprises
semblent penser de nos jours. En effet, en s’attardant sur différentes stratégies de
communication, force est de se demander si ce n’est pas ce qui passe essentiellement
dans la tête des responsables de communication : faire parler de la marque, du produit
ou de l’entreprise, et ce, à n’importe quel prix.
Une question survient alors : dans quelle mesure une entreprise, déjà assujettie à
différents risques qui ne relèvent pas de sa volonté, a-t-elle intérêt à se placer dans
une situation risquée, pouvant tâcher sa crédibilité ? En fonction des secteurs, les
entreprises qui ont recours à de telles pratiques sont souvent celles qui sont
confrontées à une concurrence accrue. Dès lors, cette prise de risque est-elle
réellement bénéfique pour ces entreprises ou est-ce du pain béni pour les adversaires
qu’elles essayent de devancer ? Et surtout, quelles retombées tangibles de telles
communications auront-elles sur l’entreprise ou la marque à la fin du torrent ou de
l’emballement médiatique suscité ?
Gamma, qui s’est toujours positionnée comme entreprise informelle et jeune, n’en
était pas à son premier coup d’essai. Pour la Journée Internationale de la Femme en
2013, ce qui avait interpellé l’opinion était la promotion « 20% pour les femmes ».
Plusieurs personnes se sont indignées du fait que cette action était une discrimination
envers les hommes et a fait l’objet de plaintes auprès du Jury d’Éthique Publicitaire
(JEP). Gamma s’est défendu en déclarant que cette promotion valait aussi bien pour
les femmes que pour les hommes (JEP, mars 2013).
Mais c’est surtout une campagne parue dans P-Magazine13
en 2001 qui avait attiré les
foudres des associations féministes : une première page témoignait d’une femme
habillée de latex dans une position suggestive avec l’indication « Qui est numéro un
du latex ? », une deuxième dévoilait une femme avec des formes généreuses et le
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
13
Equivalent de Playboy Magazine en Flandre : magazine ciblé sur la gent masculine hétérosexuelle.
  23	
  
slogan « Peut-on promouvoir notre silicone ? », et enfin, une troisième mettait en
scène une femme avec une bouche ouverte pour la promotion d’aspirateurs « aspire-
tout » vendus chez Gamma (voir illustration 6). Gamma a indiqué qu’il s’agissait
d’humour basé sur l’autodérision des publications propres du magazine. En ce sens,
l’annonceur considérait « qu'il ne [traitait] pas les femmes comme de la marchandise,
mais qu'il [faisait] une simple comparaison associative et non une assimilation »
(JEP, 2001).
Illustration 6 : publicités pour Gamma dans P-Magazine en 2001. – Source : Media Watching, 200714
Les spécialistes en marketing savent que de telles communications soulèveront sans
aucun doute les associations féministes qui ont comme particularité de faire beaucoup
de bruit quand elles prennent la parole. La position de la femme, sa quête d’égalité et
de parité, est un sujet de société récurrent que les médias aiment relayer. D’ailleurs,
on attribue le premier bad buzz de 2014 à Numéricable pour une communication
perçue comme sexiste qui promeut la rapidité de téléchargement du service. Un
simple encart dans un quotidien a réussi à réveiller les médias sociaux. Cet encart
indiquait qu’il était possible de télécharger « aussi vite qu’[une] femme change
d’avis ». À la suite d’indignations, Numéricable publia la version masculine qui
indiquait : « téléchargez aussi vite que votre mari oublie ses promesses » (voir
illustration 7). La publication des deux versions au même moment aurait
probablement eu moins d’impact.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
14
En ligne : http://bit.ly/1j3S1wE
24	
  
Illustration 7 : versions féminine et masculine de la publicité Numéricable. Source : Vanderbiest, 2014
Ces deux exemples mettent en scène deux entreprises qui évoluent dans un
environnement à forte concurrence. D’une part, Gamma évolue avec d’autres
magasins de bricolage qui proposent les mêmes produits dans les mêmes gammes de
prix sur le marché belge. Par la suite, Hubo, un des principaux concurrents de Gamma,
a d’ailleurs parodié les Kluspoezen en déguisant de réels chats en bricoleurs (voir
illustration 8). D’autre part, le secteur des télécommunications constitue l’un des
secteurs les plus concurrentiels où les différents acteurs doivent toujours occuper
l’espace médiatique pour être premiers dans l’esprit des consommateurs.
Illustration 8 : parodie des Kluspoezen en réels chats bricoleurs – Source : OPRB, 2013.
Dans un tel contexte, la pertinence du risque est compréhensible pour de telles
entreprises : il faut marquer les esprits de manière forte pour demeurer les premiers
dans l’esprit des consommateurs dans un secteur extrêmement concurrentiel et les
rouages qu’offrent le buzz sont un bon moyen, facile et souvent peu couteux, de faire
parler de marque ou de l’entreprise.
L’un des principaux buts de la communication de Gamma est de se différencier de ses
adversaires. Dans le cas des Kluspoezen, c’est avant tout le fait que l’entreprise a
(re)lancé la discussion sur la place des stéréotypes féminins dans les médias qui a
davantage été retenu plutôt que l’image qu’a pu promouvoir l’entreprise, à un tel
  25	
  
point que l’expression Kluspoezen est devenue un mot généralisé et a été utilisée dans
diverses illustrations d’actualité (voir illustration 9) (Carpentier, communication
personnelle, 2014).
Illustration 9 : encart de bandes dessinées dans des journaux d’actualité sur les Kluspoezen.
Source : OPRB, 2013
Au final, ces deux entreprises ont gagné en visibilité en occupant le devant de la scène
quelques jours. Après plusieurs semaines de campagne, c’est moins l’action en elle-
même qui fut retenue par les consommateurs, que le nom de la marque. Une stratégie
relevant davantage des relations publiques et sur le long-terme prend ici le pas sur une
stratégie qui s’apparente plus publicitaire : l’image de l’entreprise s’installe dans
l’imaginaire collectif tout en se frayant une place (re)connue dans le secteur.
Quid de la (e-)réputation ?
Malgré cela, on ne peut s’empêcher de se demander quelle réputation et e-réputation15
les entreprises entendent-elles promouvoir via de telles actions ? En vérité, selon
Henri Wallard (2011), directeur général délégué du groupe Ipsos, il existe aujourd’hui
un paradoxe dans la (e-)réputation des entreprises. On traite du volatile dans le sens
où l’on met des actions temporaires en place qui sont censées véhiculer les valeurs de
l’entreprise. Or la (e-)réputation n’est pas quelque chose de volatile en soi : c’est un
acquis qui se forge au fil du temps, au fil des divers événements et actions.
L’entreprise doit donc s’atteler à garder une vision générale de sa (e-)réputation dans
le temps, l’espace et vis-à-vis de ses acteurs. Cette (e-)réputation est par ailleurs
intimement liée à la confiance et la crédibilité que le public accorde à l’entreprise. Ce
capital confiance est d’autant plus difficile à maintenir dans le contexte actuel où tout
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
15
Réputation en ligne de l’entreprise, l’association, la marque, etc. (Wallard, 2011)
26	
  
est en mouvement et où les entreprises ne peuvent plus se permettre d’avoir des
secrets pour le public (Wallard, 2011).
Il y a trois niveaux d’e-réputation (Ibid.) :
• La zone de risque zéro où l’entreprise n’est pas en ligne et n’a rien à dire : il
ne se passe rien. Par exemple, les entreprises B2B (business-to-business)
comme Sinar Mas dans le cas Nestlé contre Greenpeace, qui ne fut pas victime
de l’attaque. Nestlé a été visée notamment à cause de sa visibilité et
reconnaissance mondiale ;
• La zone de risque moyenne où la présence volontaire ou involontaire de
l’entreprise sur Internet est mise à mal car, attaquée sur un sujet, les
« consommacteurs »16
commencent à se plaindre via la création d’articles de
blogs, de pages Facebook, etc. ;
• La zone de risque élevée lorsque tout le contenu Web de la problématique est
géré par les publics digitaux et non l’entreprise.
Lorsque la zone de risque est présente, il faut mettre en place un certain nombre
d’actions avec vigilance et rapidité. Dans l’ordre, il faut évaluer la situation, mesurer
l’impact et communiquer sur la réponse qui semble être la plus appropriée à la suite
de ce buzz. Cela va permettre à l’entreprise de générer une stratégie d’engagement où
elle est informée, « informante » et au contrôle de la situation (Ibid.)
On peut également ajouter qu’engager le dialogue avec les publics est important ainsi
que de surveiller les retombées de la crise par l’intermédiaire d’une veille par exemple
(Beal & Strauss, 2008, p. 367).
De ce point de vue là, la prise de risque des entreprises visant à créer le buzz est donc
pertinente vu qu’elle permet d’occuper le devant de la scène pendant quelque temps et,
grâce à ça, de rentrer en contact et engager la discussion avec ses consommateurs et
éventuels prospects par la grande porte. Pour autant que l’entreprise ait les
connaissances et ressources nécessaires pour bien gérer la crise qu’elle risque de vivre
ainsi qu’un plan d’action détaillé qui permet de gérer son e-réputation.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
16
Un « consommacteur » est un consommateur responsable et engagé qui a une attitude réfléchie vis-à-
vis de sa consommation et qui l’utilise pour influencer plus ou moins directement le monde dans lequel
il vit (Ray & Anderson, 2001).
  27	
  
Par ailleurs, dans le cas de Gamma, l’entreprise est connue en Flandre pour ses
frasques et ses actions promotionnelles (Carpentier, communication personnelle,
2014).
Crédibilité et pertinence
Ce qui donne une force d’influence au buzz, c’est sa crédibilité et sa pertinence. De
nombreuses définitions de la pertinence coexistent mais il semblerait que certains
sujets rendent les internautes unanimes. La mort par exemple : en octobre dernier, le
Parc Astérix convia plusieurs blogueurs influents à leur propre enterrement via
l’envoi de faire-part et de vidéo personnalisés pour promouvoir l’ouverture du parc à
l’occasion d’Halloween (Bochel Guégan, 2013). Au départ, l’opération semble
logique : les blogueurs pourront se rencontrer entre morts-vivants le jour de « La
journée de la peur »17
. Dans les faits, les réactions furent toute autre : les blogueurs ne
trouvèrent pas l’idée drôle mais morbide. Encore une fois, ce sont les agissements de
l’entreprise à la suite des réactions des blogueurs qui mirent le feu aux poudres ; le
Parc Astérix accusa ces derniers de manquer d’humour (Ibid.). En parallèle, qu’est-ce
qui différencie cette communication de celle de l’Institut Belge pour la Sécurité
Routière (IBSR) qui, en 2014, invita de mauvais conducteurs à leur propre
enterrement dans une communication de sensibilisation aux excès de vitesse à grande
valeur virale ? La cible et le but. En effet, la première communication vise des
personnes en particulier tandis que la deuxième vise tous les Belges sur la même
thématique. Par ailleurs, le but de la première communication est commercial alors
que le deuxième est la prévention : les consommacteurs seront dès lors plus cléments
envers une communication porteuse d’un message plus profond. Enfin, la première est
crédible mais pas pertinente tandis que la seconde est crédible et pertinente.
Suivant cette logique, les internautes ont tendance à directement mettre au pilori une
entreprise qui rate son opération à cause d’un bad buzz. Il semblerait qu’Internet soit
une terre hostile pour toute entreprise désireuse de s’y aventurer : les consommacteurs
attendent impatiemment la prochaine erreur qui pourra réveiller les médias sociaux et
entretenir les discussions auprès du grand public. Les crises réputationnelles
valorisent peut-être « le peuple » qui parvient à combattre « l’entreprise ».
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
17
Nom de l’action promue
28	
  
Quant aux journalistes, leur empressement à qualifier une « mauvaise action » de
communication de « bad buzz » s’ajoute à l’effet amplificateur du problème et qui
contribuera à sa mise en boucle sur les médias sociaux, véritables caisses de
résonnance. En effet, dans le cadre des Kluspoezen, De Standaard a créé un effet de
propagation qui a été relayé sur les médias sociaux : c’est bel et bien l’action de ce
journaliste qui a lancé le débat et le bad buzz (Carpentier, communication personnelle,
2014).
Au final, ce type de phénomène risque d’alimenter la peur qu’auraient les marques à
investir les réseaux. Quoi que l’on puisse penser de ces opérations marketing, il est
aussi bien, dans la plupart des cas, de féliciter les entreprises qui osent prendre des
risques, entreprendre une éventuelle discussion et prendre le contre-pied de ses
concurrents.
Pour conclure, la pertinence du risque pour les entreprises est aussi souvent minime
dans le chef des consommateurs : en effet, souvent, les internautes indignés par les
actions de communications sont eux-mêmes des professionnels de la communication
et/ou activistes spécialistes de la problématique lancée qui auront tendance à épingler
un bad buzz sur les médias sociaux, principalement via les blogs et Twitter. Le bad
buzz se conclut en général par des excuses de la marque à la suite de l’indignation qui
semble populaire mais qui ne l’est pas tant que ça.
CHAPITRE 6
Quelles limites pour les entreprises ?
Certaines entreprises n’hésitent pas à casser les standards du politiquement correct18
pour être au centre des discussions, consciemment ou pas. En effet, certaines
entreprises ne pensaient pas que leur communication pouvait déboucher sur un
véritable tollé médiatique. Naturellement, elles espèrent marquer les esprits, mais les
internautes appréhendent la communication d’une manière différente de celle attendue
par le créateur.
Par exemple, en 2012, la Commission européenne désire sensibiliser les jeunes
européennes à entreprendre des études en science car « c’est pour les filles ! »19
. La
campagne, chapeautée par l’agence de communication Tipik, fut lancée par une
vidéo-teaser sur YouTube20
, produite par l’agence Emakina. La logique est louable :
pourquoi destiner les métiers scientifiques uniquement ou prioritairement aux
hommes ? Tout comme les études en communication ne sont pas uniquement propres
aux femmes, les études en science ne sont pas uniquement propres aux hommes. À la
suite de la publication, la vidéo fut critiquée, moquée à un point tel qu’elle fut enlevée
d’Internet par la Commission mais republiée par un autre utilisateur. La vidéo est en
fait particulièrement sexuellement stéréotypée : on y voit des femmes en robe et hauts
talons devant un fond rose qui semblent s’intéresser aux métiers scientifiques afin de
pouvoir concevoir du maquillage. En face d’elle, un homme en blouse blanche (sur
fond bleu) quitte son microscope et les regarde interpellé (voir illustration 10). Bien
que la campagne globale soit pertinente – sur le site internet, des témoignages de
femmes scientifiques épanouies et des descriptions de carrières intéressantes
permettent aux jeunes de mieux appréhender le métier de scientifique, seul la vidéo-
teaser semble poser problème (Rice, 2012).
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
18
Le politiquement correct consiste en la reformulation d’une réalité dans des termes plus doux, jugés
plus consensuels pour ne pas déplaire à un public précis, en fonction de sa culture, sa situation, son
sexe, etc.
19
Nom de la campagne. En anglais : « Science, it’s a girl thing ! »
20
Vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/IEhywI
30	
  
Illustration 10 : captures d’écran de la vidéo « Science, it’s a girl thing ! » - Source : YouTube, 2012
Par la suite, la Commission européenne déclara qu’il ne s’agissait pas d’une vidéo
ironique (Ibid.) : ce qui ne détonne pas étant donné la rigueur que s’impose cette
institution qui ne peut pas se permettre de risquer son image pour quelques clics
supplémentaires. Elle pensait donc réellement attirer les jeunes lycéennes en donnant
une image jeune et tendance à ces études. On s’étonnera ainsi du fait que personne
n’ait souligné, en amont, le potentiel sexiste de ce scénario. D’autant plus que la
Commission avait fait appel à un groupe d’expert en communication « d’égalité des
genres »21
pour fournir des idées et recommandations appropriées au public cible,
recommandations que la Commission n’a pas prises en compte (Ibid.). Le sexisme
paraît à tel point ancré dans les esprits que certains responsables de communication
semblent ne plus se rendre compte que certaines représentations sociales ou
stéréotypes puissent potentiellement brusquer, dénigrer ou blesser certaines
communautés. Pour preuve, les concepteurs de la campagne auront ainsi jugé probant
le fait d’intéresser des filles aux sciences par l’entremise d’une stratégie décrivant ces
dernières comme essentiellement intéressées par le maquillage ou par la mode.
Dans le contexte d’un traitement sexiste, il semblerait que présenter négativement la
femme dans certaines campagnes serait à même de susciter de grands retours sur les
médias sociaux. Dès lors, certains n’hésiteront pas à miser sur ce type de stratégie
probablement volontairement. En effet, à partir de mai 2013, onze bad buzz à
caractère sexiste purent être répertoriés sur la toile. Rien qu’en 2014, quatre bad buzz
liés aux stéréotypes féminins permirent à des institutions de faire parler d’elles :
Numéricable (voir supra), Adidas accusé d’incitation à la prostitution à la suite de la
mise en vente de t-shirts pour la Coupe du Monde représentant une femme en
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
21
Traduction libre : « gender expert group »
  31	
  
imprimé et l’inscription « Looking to score »22
, le Conseil Général de Moselle via une
action de sensibilisation au tri des déchets (voir illustration 11) et Stabilo
(Vanderbiest, 2014) qui ne pensait peut-être réellement pas à mal en féminisant son
produit phare, le fluo Boss, car celui-ci est « un surligneur d’hommes [créé il y a 40
dans] dans un monde d’hommes (…) [et qu’]aujourd’hui, évolution des mœurs et
parité obligent, les femmes accèdent au pouvoir. Plutôt que de copier les hommes,
elles affirment leur différence et cultivent un style personnel. Pour les accompagner
dans leur conquête, STABILO leur dédie un surligneur exclusif, NEON, qui
s’affranchit des codes masculins et revendique un style délibérément féminin. » (Va
Bene, 2014)
Illustration 11 : campagne de sensibilisation au tri des déchets du Conseil Général de la Moselle.
Source : Vanderbiest, 2014.
Il est difficile de croire que toutes ces entreprises passent à côté de ces bad buzz qui se
suivent et se ressemblent. Difficile aussi de croire que ces entreprises ne se rendent
pas compte du contexte socio-politique actuel.
En effet, depuis les mobilisations autour du « Mariage pour tous » en France, d’autres
thématiques liées au regard porté sur la féminité ont également marqué l’actualité.
On notera ainsi la rumeur selon laquelle l’Éducation Nationale française aurait
enseigné au sein des établissements scolaires une « Théorie du genre » dont
l’apprentissage viserait à inciter les enfants à nier les différences sexuelles entre filles
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
22
Qui peut vouloir dire « je cherche à marquer un but » mais aussi « je cherche à emballer
quelqu’un » en argot (traduction libre).
32	
  
et garçons – un enseignement susceptible de détruire le modèle traditionnel de la
famille. Bien qu’à l’origine, cette théorie insiste avant tout sur l’égalité entres les
femmes et les hommes, cette rumeur causa le boycott de certaines écoles par des
parents inquiets23
. Citons encore les happenings polémiques du groupe sextrémiste
Femens (de Blic, 2014). Dans ce cadre de sensibilisations importantes à la thématique
du genre et de la parité homme-femme, comment des entreprises peuvent-elles encore
commettre des erreurs telles que celles citées ci-dessus ? La réponse réside peut-être
dans le fait que celles-ci sont conscientes des retombées que de telles campagnes
pourraient créer. En d’autres mots : un dérapage contrôlé.
Dans le cas des Kluspoezen, le but était bien de susciter un buzz « en sortant des
sentiers battus » (OPRB, 2013). Or, l’usage du sexisme dans les médias pourrait être
apparenté à une autoroute : elle est connue, souvent utilisée, et par tout le monde.
Gamma s’est retranché derrière le fait qu’il s’agissait d’humour parodiant l’image de
la femme véhiculée par les vidéo-clips actuels, un humour caractérisé par
l’exagération dont faisait preuve le contenu de la vidéo (JEP, décembre 2013) et le
fait qu’il s’agissait d’une parodie d’un vidéo-clip existant : celui de l’artiste Benny
Benassi pour sa chanson Satisfaction24
. L’idée aurait été tellement ludique et drôle
qu’il n’était pas envisageable de prendre le message au sérieux selon les conceptrices
de l’idée (Carpentier, communication personnelle, 2014). Pourtant les rouages des
vidéo-clips constituent une valeur sûre pour une entreprise désireuse de susciter un
buzz lorsque l’on connaît le sort souvent réservé à ceux-ci : révolte d’associations
féministes, effet de bouche-à-oreille conséquent, et même censure. Par exemple, la
chanteuse américaine Miley Cyrus avait défrayé la chronique (médias traditionnels et
sociaux confondus) en automne 2013 avec un vidéo-clip où celle-ci se balançait
entièrement dévêtue sur une boule de démolition25
pour aboutir à une intervention du
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) auprès des chaines de télévision pour ne
plus diffuser le vidéo-clip avant 22 heures car il contient « des scènes à connotation
sexuelle » (CSA, 2014) alors que celui-ci caracolait déjà à plus de 300 millions de
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
23
Les citoyens furent ainsi confrontés à différentes lectures de cette « théorie du genre » (Gender
Theory) provenant parfois de certains groupuscules proche des milieux radicaux et visant à envenimer
le débat. Ces descriptions omettaient pour la plupart la distinction entre « sexe biologique » et « genre »
(voir Chapitre 8 : Au delà du buzz)
24
Vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/1kSjvSt
25
Traduction libre du titre de la chanson : « Wrecking Ball » en anglais
  33	
  
vues sur Internet. Cette intervention n’a eu pour effet que de hisser l’information en
tête des Hit-parades et des moteurs de recherche sur Internet26
.
De son côté, une fois le mea culpa effectué, Gamma s’autocensura dans la foulée, ce
qui donna lieu à un effet Streisand27
; pourtant, nul doute que l’entreprise et/ou
l’agence de communication devai(en)t être consciente(s) des conséquences d’une telle
censure et de l’amplification du phénomène qu’une telle décision était susceptible de
causer.
Si la logique des contenus communicationnels de nature consciemment sexiste
consiste à réveiller les associations féministes pour que l’on parle des produits promus,
celles-ci n’auraient-elles pas davantage intérêt à passer sous silence certaines
campagnes ? Car une fois les excuses formulées et la crise passée, c’est une visibilité
conséquente que gagnent les marques à l’origine de campagnes sexistes (Cimelière,
2014). La question qui se pose dès lors est la suivante : dénoncer ou ignorer ? D’une
part, comme le souligne Aurélie Lanctot, féministe adepte des médias sociaux, « les
réseaux sociaux [contribuent] à dépoussiérer le discours féministe et à lutter contre
le sexisme » (Ibid.) mais d’autre part, le féminisme28
tend à être de plus en plus rejeté
car leurs réactions sont souvent perçues comme exagérées face à certaines stratégies
de communication. Dès lors, un danger survient au sein de notre société, celui de la
banalisation des emportements féministes (traitées de furies) créant un bad buzz à
chaque communication sexiste.
Si la vigilance contre les dérives sexistes s’avère totalement légitime, l’ampleur que
prennent certains bad buzz sexistes est en revanche davantage discutable. Autant il est
important de s’insurger contre des contenus cultivant une image dégradante de la
femme, autant il semble quelque peu excessif et caricatural de s’alarmer pour des
propos relevant plus de l’humour que de l’attaque. Or, la pensée du politiquement
correct rassemble de plus en plus d’adeptes sur les réseaux sociaux : les internautes
soignent leurs publications et modèrent le choix de leurs mots afin que ceux-ci
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
26
Plus de 630 millions en mai 2014 – Vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/1cTRVSe
27
L’effet Streisand consiste à rendre une information plus médiatisée que ce qu’elle n’est déjà via
l’effacement ou la censure du contenu qui en est responsable (Babkine & Hamdi, 2013, p. 86).
28
Plusieurs « féminisme » coexistent : d’un côté, il y a le féminisme « sextrémiste » (caractérisé
essentiellement par le mouvement Femen) qui recherche l’impact médiatique immédiat à travers un
usage stratégique du corps dénudé ; de l’autre, le combat féministe à travers des formes de
mobilisations plus traditionnelles (les mouvements Chiennes de garde, Vie féminine, Ni putes, ni
soumises, etc.) – des mobilisation qui « décryptent, dénoncent et résistent », selon la description offerte
par l’organisation Les Chiennes de garde – voir infra (Baygert, 2013).
34	
  
semblent moins négatifs pour fédérer un maximum de personnes – une forme
d’autocensure dans un effort de personal-branding29
constant. Pas sûr que la lutte
contre le véritable sexisme et autres discriminations que subissent les femmes, y
gagne en clairvoyance et en pertinence (Ibid.).
Pour conclure, est-il possible d’établir une barrière invisible à ne pas franchir ? En
tenant compte de cette barrière, certaines entreprises ne seraient-elles pas enclines à la
franchir volontairement afin d’occuper l’espace médiatique ?
Ces limites varieront selon les pays, les communautés ou les personnes répondant à
des codes propres, voire des réflexes culturels différents – une variété de conceptions
que l’on retrouvera par ailleurs dans le staff multiculturel de la Commission
européenne, aussi assujettie aux « bad buzz » (voir supra).
Nonobstant la dimension sexiste de cette réduction de la femme à ces quelques
stéréotypes, la limite invisible et différente selon les cultures pourra dans certains cas
être sciemment franchie. En effet, de nombreuses entreprises, désirant aller toujours
plus loin pour choquer n’hésiteront pas à puiser tour à tour dans le registre du gore, du
vulgaire, des stéréotypes sexistes ou autre.
Dans d’autres contextes, il semblerait que ce soit bien une erreur de délimitation de
public cible et d’une stratégie mal déterminée, à l’instar de la Commission
européenne.
De manière générale, la limite réside dans le chef du public. C’est lui qui décidera, via
diverses publications, si l’entreprise ou la marque a dépassé cette limite invisible. Dès
lors, il semblerait que les entreprises entreprennent des communications visant à
choquer la collectivité : on va plus loin pour être sûr d’être relayé.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
29
Action où un particulier construit sa personne et sa carrière en tant que marque, principalement via
les médias sociaux.
CHAPITRE 7
« Good buzz » VS. « bad buzz » :
où l’entreprise se situe-t-elle ?
Kristine De Valck, professeure associée de marketing à HEC Paris, nous indique que
« de nombreuses études ont démontré que les « buzz », qu'ils soient négatifs ou
positifs, ont peu d'impact sur les marques sur le long terme » (citée par de Foucaud,
2013). Il serait bon de nuancer ces propos : selon Pascal Froissart, maître de
conférences à l’Université Paris VIII, on a tendance à utiliser une logique qu’il juge
behavioriste lorsque l’on établit un lien entre bad buzz et impact direct sur l’entreprise.
En effet, cette logique est présente lorsque l’on tente de déterminer l’impact du bad
buzz sur la communication de l’entreprise en cherchant un effet linéaire de la
communication sur la vente des produits sans prendre en compte le rôle des réseaux
interpersonnels, des phénomènes d’interprétation et d’appropriation, de transmission,
de partage du message, etc. En fait, il y a une dichotomie au sein des entreprises :
d’un côté, il existe une vision linéaire, proche du béhaviorisme et du schéma stimulus-
réponse et de l’autre côté, un raisonnement non-linéaire et complexe, proche de la
sociologie fonctionnaliste américaine où plusieurs facteurs se cumulent les uns aux
autres (Babkine & Hamdi, 2013, p. 174-175).
Malgré cette approche, peut-on tout de même délimiter si un buzz est bon ou
mauvais ? Formuler une réponse générale ne serait pas pertinent étant donné que la
réponse dépend du secteur d’activité, de la pertinence de chaque buzz par rapport à
l’entreprise et ses valeurs, et enfin, du fond et de la forme de chaque message.
Par exemple, le faux bad buzz créé par Carambar au printemps 2013 aura des
caractéristiques différentes du buzz des Kluspoezen. Carambar avait annoncé la fin
des blagues à l’intérieur de ses friandises ce qui avait provoqué un engouement auprès
de sa clientèle. Le but était de revaloriser une marque qui passait peu à peu à la trappe
(de Foucaud, 2013). Même si plusieurs se sont plaints via les médias sociaux à la suite
de cette duperie, les retombées furent très bonnes puisque le chiffre d’affaires
augmenta de 20% et une enquête menée par la marque montra que seuls 3% avaient
un avis négatif sur l’opération. Ces bons résultats tendraient à prouver qu’un bad buzz
36	
  
peut s’avérer être bénéfique. Cependant, il ne faut pas oublier que cela ne portait
atteinte à personne et que cela soulignait une des valeurs clés de Carambar, à savoir la
dérision (Vanderbiest, 2014).
Comme nous l’explique Nicolas Vanderbiest (2014), spécialiste de crises d'e-
réputation des organisations, « à partir du moment où la visibilité qui est créée ne
porte pas atteinte aux gens et qu’il raconte les valeurs de la marque, ce n’est pas un
bad buzz, mais un good buzz. »
Par exemple, dans le cas du bad buzz de Numéricable (voir supra), sa clé de vente est
la modernité. Au lieu de ça, l’entreprise a joué sur des propos rétrogrades qui
prenaient à partie une communauté, à savoir les femmes. La communication portait
atteinte à une communauté et dévalorisait sa propre clé de vente : le bad buzz est donc
sans appel dans ce cas-ci.
Échec ou opportunité ?
Aujourd’hui, le bad buzz n’est plus seulement synonyme d’échec mais il représente
une opportunité pour les marques de détecter un système défaillant et d’y remédier,
d’apprendre à mieux se connaître, de transformer des clients mécontents en
ambassadeurs de la marque et de perfectionner sa stratégie sur les médias sociaux
(Mirande, 2013). C’est ce qui se passe lorsqu’une entreprise parvient à correctement
gérer la crise à la suite du bad buzz, et qu’elle le transforme en good buzz.
La Redoute l’a d’ailleurs très bien compris : en 2012, la marque, alors victime d’un
bad buzz, réussit à retourner la situation pour devenir un modèle de communication
de crise en réponse à un bad buzz sur Internet (Maillard, 2012). Un internaute repère
un homme nu à l'arrière-plan d'une photo sur le site Internet de vente en ligne La
Redoute (voir illustration 12) et le fait savoir au monde entier via les médias sociaux.
Le cliché retiré et les excuses formulées, la photo s’érige en mème Internet30
et
l’entreprise risque de perdre le contrôle.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
30
Un mème internet est un détournement humoristique, qui se diffuse très vite au sein d'une
communauté en ligne, chacun des membres de cette communauté pouvant se réapproprier l'objet et en
créer sa propre version (Leloup, 2012).
  37	
  
Illustration 12 : image responsable du bad buzz de La Redoute en 2012. – Source : Maillard, 2012
L'idée de l'agence de communication CLM BBDO chargée du problème est de
dépoussiérer l'image de la marque en détournant ce bad buzz de manière humoristique,
grâce aux codes d'Internet, plus susceptibles d’attirer un jeune public. La Redoute et
CLM BBDO décident alors de proposer aux internautes de retrouver quatorze images
qui comportent des « erreurs qui n’ont pas encore été retrouvées »31
sur le site
Internet www.laredoute.fr. Moins de 48 heures après le lancement de l’opération, le
site connaît un pic d'audience de plus de 70 %, La Redoute gagne plus de 100 000
fans sur Facebook et l’earned-media de ce coup de communication est estimé à plus
d’un million de dollars (CLM BBDO, 2012). Les retombées de cette opération sont
toujours effectives. Aujourd'hui, La Redoute propose de temps en temps des concours
sur les réseaux sociaux, ce qui a eu pour effet de rajeunir la clientèle.
Dans ce cas-ci, il est important de souligner que l’homme nu ne touche à aucune
valeur vu qu’il s’agit d’un problème technique et que cela ne met en danger aucun
actif de la société (Vanderbiest, 2014).
Pour ce qui est de Gamma, sa valeur clé est l’humain : que ce soit vis-à-vis de son
personnel ou de ses clients, Gamma entend se positionner comme « le meilleur allié
de tous ceux qui veulent améliorer et entretenir leur cadre de vie » (Gamma, consulté
le 3 mai 2014) : en plaçant le désir du client en pole position, en donnant la priorité à
la formation et à la motivation de ses collaborateurs, via le respect de l'homme et la
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
31
Déclaration de Anne-Véronique Baylac, directrice e-commerce et développement de La Redoute,
dans la vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/1lMeuic
38	
  
nature avec une Responsabilité Sociale d’Entreprise (RSE)32
en faveur d’une énergie
verte, etc. (Ibid.).
La culture de l’entreprise est celle d’une entreprise jeune et proactive qui désire
donner le ton dans son secteur. Pour ce faire, ils entendent communiquer de manière
claire et compréhensible (Ibid.).
Enfin, sa clé de vente est de proposer des outils et du matériel de bricolage à un prix
avantageux dans des magasins organisés de manière fonctionnelle et ordonnée (Ibid.).
Dans le cas des Kluspoezen, le but était de reconquérir la clientèle masculine en se
différenciant de la concurrence : la stratégie mise en place est alors de créer le buzz en
donnant aux hommes ce qu’ils veulent : « de bons outils et des friandises pour les
yeux »33
(OPRB, 2013).
Valeur
Il y a une discordance dans le buzz créé par les Kluspoezen et la valeur de l’entreprise.
En effet, positionner la femme comme étant à disposition de l’homme et l’homme
comme un animal esclave de ses désirs n’est pas valorisant pour le caractère humain
que désire promouvoir Gamma. C’est cette valeur qui aurait poussé l’entreprise a
retirer sa vidéo des médias sociaux en stipulant que « ce n’est pas son rôle d’initier la
controverse et [elle] écoute la réaction de ses clients. Par égard pour les différentes
opinions, [elle] a immédiatement décidé de supprimer le spot et d’adapter l’action,
malgré les nombreuses réactions positives. » (JEP, décembre 2013).
L’action a en effet été adaptée à la suite d’indignations diverses : la vidéo a été
supprimée, des excuses ont été formulées mais les activités le jour de la Journée de
l’Homme ont été maintenues. Les journalistes étaient d’ailleurs au rendez-vous pour
finir par publier des articles qui félicitaient le retournement de situation en indiquant
que les Kluspoezen n’étaient « pas si nues » 34
(VTM, 2013). En effet, Laura
Deschuyffeleer, une des Kluspoezen, a remarqué qu’elle portait bas colorés pendant
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
32
En Belgique, la Commission Interdépartementale du développement durable définit la RSE comme
un « processus d’amélioration dans le cadre duquel les entreprises intègrent de manière volontaire,
systématique et cohérente des considérations d’ordre social, environnemental et économique dans leur
gestion en concertation avec leurs parties prenantes » (cité par Hambursin, 2009, p. 6)
33
Traduction libre de l’anglais : « good tools & eye candy ».
34
Traduction libre du néerlandais : « niet zo naakt ».
  39	
  
l’action et un débardeur au lieu d’un mini short et d'un haut échancré35
(Het Laatste
Nieuws, 2013). De plus, la version masculine des Kluspoezen était également
présente dans les magasins (VTM 2013).
C’est derrière l’aspect ludique et l’humour que se retranche l’entreprise qui concède
avoir voulu « donner un fort élan grâce à une communication supplémentaire via les
canaux sociaux. » À elle d’ajouter qu’elle était consciente que « cela allait provoquer
des réactions mais [elle] n’a jamais [eu] l’intention d’offenser des gens, ni d’être
sexiste, de jeter le discrédit sur les femmes ou de discriminer. Dans toutes les actions
qu’[elle] lance, [elle] traite tout le monde de manière égale. » (JEP, décembre 2013).
Ici, la valeur clé n’est donc pas promue dans la communication. De ce point de vue là
donc, il s’agit bel et bien d’un bad buzz.
Culture
En ce qui concerne la culture de l’entreprise, la campagne utilise bien des procédés et
des outils qui touchent les jeunes. Par ailleurs, l’entreprise n’hésite pas à prendre des
risques en mettant en place des stratégies de communication susceptibles de créer la
polémique, signe de proactivité. Quant à la clarté de la communication, celle-ci est
sujette à controverse. En effet, quel est l’intérêt de mettre en scène des femmes peu
vêtues pour promouvoir du matériel de bricolage ? La stratégie nous indique que c’est
avant tout une manière d’attirer les hommes (OPRB, 2013). Ceux-ci sont enclins à
être également choqués par ce que suggère la vidéo : qu’il s’agisse d’individus
primitifs mués uniquement par leurs désirs sexuels. La base de la communication perd
dès lors sa crédibilité et sa pertinence.
C’est donc du point de vue de la culture de l’entreprise qu’il est difficile de déceler
s’il s’agit d’un good buzz ou d’un bad buzz.
Du côté de Gamma, Eveline Rubbens (communication personnelle, 2014),
responsable de la communication et des relations publiques de l’entreprise, pense
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
35
Traduction libre du néerlandais : « we dragen nu panty’s en in plaats van een kort topje laten we
onze buik toch niet zien ».
40	
  
qu’il s’agit d’un good buzz car l’entreprise a « reçu beaucoup d’attention et ce, sans
conséquences négatives. »36
Quoi qu’il en soit, la communication a eu l’inconvénient de causer du tort à
l’entreprise. La question serait donc plutôt de savoir si l’entreprise a réussi à gérer sa
crise et a transformé le bad buzz en good buzz, la réponse tendrait plus vers le « oui ».
En effet, Gamma a réussi son opération : le but était d’attirer un public masculin et de
faire parler d’eux pour se différencier de ses concurrents. Les deux ont été atteints. En
enlevant la vidéo d’Internet, en présentant des excuses et en créant une action plus
respectueuse pour la gent féminine, Gamma a réussi à redorer son blason auprès des
Flamands et réaffirmer sa valeur principale : le respect de l’humain. De plus, avec
l’action réalisée dans le cadre de la Journée Internationale de la Femme en mars 2014
(voir Chapitre 9), plusieurs blogueuses et journalistes saluèrent le fait que Gamma ait
réussi à reprendre la situation en main (Carpentier, communication personnelle, 2014).
Pour juger si l’action était un succès, le seul indicateur qu’a OPRB en sa disposition
réside dans le fait que Gamma a fait de nouveau appel à ses services pour la Journée
Internationale de la Femme en 2014 : l’entreprise ne communique pas sur ses chiffres,
pas même à son agence de communication (Ibid.).
Malgré les associations féministes qui distribuaient des tracts aux entrées des Gamma
pour protester contre la femme-objet dans les médias (VTM, 2013), il semblerait donc
que l’entreprise soit satisfaite de l’action.
Au final, les hommes comme les femmes ainsi que des familles se sont prêtées au jeu
et ont posté des photographies avec les Kluspoezen sur les médias sociaux (OPRB,
2013).
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
36
Traduction libre – voir annexe II pour l’interview
CHAPITRE 8
Au-delà du buzz
La discussion sur la position de la femme dans les médias est vieille de plusieurs
années. Elles sont loin les publicités qui prônaient la place de la femme dans la
cuisine grâce à un nouveau robot-ménager Kenwood ou celles stipulant qu’une
voiture irait forcément à la casse si une femme la conduisait selon Volkswagen (voir
illustration 13). La pensée collective pourrait conclure que de telles communications
n’ont plus leur place dans la société actuelle et que celles-ci seraient très vite
vilipendées, et pourtant.
Illustration 13 : exemples d’anciennes publicités sexistes. – Source : Flaig, 2009
Comme une vidéo à grand succès viral intitulée How the media failed women in
201337
nous le démontre, le chemin est encore long pour améliorer l’image de la
femme dans les médias. En effet, fin d’année 2013, The Representation Projet38
a mis
en ligne une compilation d’images où la femme est dénigrée : qu’il s’agisse de
campagnes, de propos journalistiques, politiques, de video-clips, et cetera. Cette vidéo
prouve qu’en politique, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, les femmes qui
prennent la parole publiquement s'exposent encore à des commentaires virulents : le
sexisme touche donc tous les secteurs et constitue dès lors un vaste sujet en soi
(Collard, 2014).
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
37
Traduction libre : « Comment les médias ont négligé les femmes en 2013 » - Vidéo disponible en
ligne : http://bit.ly/1dOOxNj
38
Mouvement qui utilise le contenu des films et des médias pour mettre en lumières les injustices dues
au stéréotypes basés sur le genre et pour interpeller la conscience des gens afin que les choses changent.
42	
  
Comment se fait-il que le sexisme soit encore et toujours présent dans notre société
actuelle ? Et comment se fait-il qu’il soit de plus en plus l’objet d’une banalisation ?
L’éducation
La réponse réside peut-être dans l’éducation. En effet, les jouets que reçoivent les
enfants seraient symptomatiques d’une forme de sexisme : les garçons jouent avec des
voitures téléguidées pour apprendre à conduire, des armes en plastique pour
combattre et une caisse à outils pour bricoler. De leur côté, les filles jouent avec une
dinette pour préparer des repas, des poupées pour s’initier à la coquetterie voire à la
maternité.
Une des solutions pour contrer ce problème consisterait en l’enseignement de la
« théorie du genre ». Celle-ci viserait en effet à émettre une distinction entre « sexe
biologique » inné et « genre » socialement construit. Le genre ou « gender », comme
théorie issue des sciences humaines et sociale, affirmerait ainsi l'importance de
l'environnement social et culturel dans la construction de l'identité sexuelle de
chacun39
. Plusieurs associations et politiques désireraient ainsi interpeller les milieux
éducatifs afin de combattre les stéréotypes estimant que c’est la construction sociale
des genres qui mène au sexisme.
En Belgique, l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes (IEFH) a mis en
place le gender mainstreaming, « ou approche intégrée de la dimension de genre [qui
est une] stratégie qui a pour ambition de renforcer l’égalité des femmes et des
hommes dans la société, en intégrant la dimension de genre dans le contenu des
politiques publiques. » L’institut adopte une approche transversale qui s’applique à
tous les domaines politiques (emploi, affaires sociales, finances, santé, mobilité,
justice, etc.) (IEFH, consulté le 8 mai 2014).
Par ailleurs, l’Échevinat de l’Égalité des chances, en collaboration avec le Service
Prévention, a organisé en 2013 une exposition intitulée Fille ou Garçon : Tous
égaux ! destinée essentiellement aux enfants de l’enseignement primaire afin de les
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
39
Durant l'enfance, en plus de découvrir notre appartenance à l'un des deux sexes, nous intégrons aussi
les valeurs et les rôles sociaux associés à cette appartenance par les adultes, le garçon se verra ainsi
attribué des jouets spécifiques et sera associé au bleu tandis que les petites files ne jureront que par la
couleur rose. Aussi, les « rôles de genre » seraient, contrairement au sexe biologique, avant tout
socialement et culturellement construits (Huguet, 2014).
  43	
  
sensibiliser à la thématique de l’égalité entre filles et garçons et de les interpeller sur
le rôle social de l’homme et de la femme en société (UccleBook, consulté le 8 mai
2014).
Enfin, depuis 2012, la Fédération Wallonie-Bruxelles (CFWB) organise également
une exposition itinérante appelée Rose ou Bleu, seulement si je veux !. Elle invite les
enfants âgés de 3 à 8 ans à découvrir des ouvrages dont les héroïnes et les héros
prennent à revers les représentations habituelles du féminin et du masculin, afin de
déjouer les stéréotypes de genre (CFWB, consulté le 8 mai 2014).
Les médias
Les médias représentent par essence une source de transmission des représentations
sociales à destination des enfants. Une transmission pouvant également contenir des
messages et représentations à caractère sexiste si l’on en juge certains films pour
enfants mettant en scène des hommes bagarreurs face à des femmes attendant
généralement d’être libérées Durant les deux dernières décennies, le studio
d’animation Pixar (filiale de Disney), n’a pas non plus dérogé à la règle du schéma de
l’homme-héros et la femme-sauvée : tous leurs personnages principaux sont des
hommes de 1995 à 201240
jusqu’à la sortie du film Rebelle qui avait attisé la critique
lorsque Disney avait voulu couronner le personnage principal, plutôt adepte du
combat et de l’aventure que de la coiffure et du maquillage, comme princesse Disney
(voir illustration 14). Une pétition fut alors réalisée par le site Internet féministe A
Mighty Girl signée par plus de 100 000 personnes dont la réalisatrice du film qui a
déclaré qu’il s’agissait de « marketing ouvertement sexiste » qui « donne l’impression
que la fille originelle et réaliste est inférieure »41
(Child, 2013). Devant les réactions
suscitées dans les médias sociaux, Disney se rétracte et la version originelle est
conservée.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
40
Ce qui représente douze longs métrages : Toy-Story 1, 2 & 3, 1001 pattes, Monstres et Cie, Le
Monde de Némo, Les Indestructibles, Cars 1 & 2, Ratatouille, Wall-E et Là-haut.
41
Traduction libre
44	
  
Illustration 14 : relooking de Brave en princesse Disney. – Source : Child, 2013
C’est en réalité toute l’industrie cinématographique américaine qui s’avère concernée
par le phénomène. D’après une étude de la New York Film Academy portant sur
l’égalité entre les hommes et les femmes dans les 500 films avec les plus grandes
recettes entre 2007 et 2012 (voir annexe III), seulement 30,8% des acteurs à texte sont
des femmes. 28,8% des femmes portèrent des vêtements sexuellement suggestifs
contre 7% d’hommes et 26,2% des femmes se trouvaient partiellement nues contre
9,4% d’hommes. Sur les 250 premiers films de 2012, 9% ont été réalisés, 15% ont été
écrits, et 25% ont été produits par des femmes. Selon le classement des dix acteurs
féminins et masculins les mieux payés de 2013 de Forbes, les femmes représentent
181 millions de dollars contre 465 millions de dollars pour les hommes (Zurko 2013).
Malgré des rôles importants de plus en plus attribués à des personnages féminins, tels
qu’Hermione Granger dans Harry Potter ou Katniss Everdeen dans Hunger Games,
les stéréotypes demeurent globalement prégnant dans le cinéma.
Au milieu des années 1980, Alison Bechdel créa le Test de Bechdel visant à prouver
par l’absurde que la plupart des films sont centrés sur les hommes. Il fonctionne selon
trois questions :
1. Y a-t-il au moins deux personnages féminins avec du texte ?
2. Est-ce que ces deux personnages se parlent ?
3. Est-ce qu’elles parlent d’autre chose que d’un homme ?
Le test n’est pas une preuve absolue ou non de sexisme, il tend à démontrer que
beaucoup de films n’arrivent pas à remplir des questions aussi banales que celles-ci et
que beaucoup de films sont centrés sur les hommes (Stokes, 2012). Aussi surprenant
  45	
  
que cela puisse paraître, sur les 50 films avec les plus grosses recettes de l’année 2013,
seulement 36% des films (17 films) passent le test de Bechdel (voir annexe IV pour le
test) (Sender & Sharma, 2014).
L’industrie cinématographique est représentative du problème qui domine les médias
et la communication en général. Et cela ne touche pas uniquement les médias rédigés
par des hommes. En effet, un reportage de l’édition britannique du magazine Vogue
abordait la place des femmes dans l’univers des nouvelles technologies. Mais l'article
intitulé « High Tech Heroines » décryptait les épouses et petites amies des grands
noms de l’industrie technologiques et non pas des femmes qui y travaillent, alors que
ces dernières représentent environ 45% de cette communauté (Collard, 2014).
Sexisme = ironie ?
L’excuse souvent retenue par les entreprises, y compris Gamma, pour se défendre des
reproches liés au sexisme est l’usage de l’ironie, c’est également le cas pour les
Kluspoezen. Selon Martine Delvaux, auteure de l'essai féministe Les filles en série,
l'ironie demeure le grand piège de notre époque car « on en dit des énormités en son
nom. Et quand on ne rit pas, on se fait traiter de rabat-joie. Heureusement, les
réseaux sociaux, qui jouent un rôle dans la diffusion de propos sexistes, bénéficient
aussi aux féministes qui les utilisent pour propager leurs idées et leurs positions. »
(citée par Collard, 2014)
Culture de l’image
À l’éducation et aux médias s’ajoute un autre problème : celui du culte de l’image que
l’on renvoie de soi-même baigné dans une culture où tout le monde veut devenir
célèbre, rapidement et facilement en choquant, touchant ou amusant selon les
personnalités.
Ainsi, à travers différentes émissions42
, certains médias feront croire aux jeunes (et à
certains adultes) qu’il est facile de devenir célèbre et ce, rapidement : trois mois
enfermés dans une maison transformeront n’importe qui en célébrité. Des processus
de médiatisation, essentiellement lié au phénomène de télé-réalité, qui ne lésineront
pas dans l’usage de stéréotypes avec la mise en avant de certaines personnalités
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
42
Par exemple : Loft Story, Secret Story, Les Ch’tis, Star Academy, etc.
46	
  
répondant à tous les clichés et se rapprochant des excès de vulgarité présents dans
certains clips musicaux ou séries télévisées. Comme suite, des personnages tels que
Nabilla43
agiront comme véritables modèles auprès de certaines jeunes personnes.
D’autres filles voudront encore ressembler à Zahia, ancienne prostituée reconvertie en
créatrice de mode de lingerie de luxe. Les médias et diverses personnalités (Jean-Paul
Gautier pour Nabilla et Karl Lagerfeld pour Zahia par exemple) iront jusqu’à ériger
ces personnalités au rang d’icônes.
Une solution : la voie du féminisme
Le terme féministe désigne à l’origine un homme aux caractères physiologiques
efféminés. Alexandre Dumas-fils, républicain et anti-féministe, l’utilise en 1872 de
façon péjorative et ironique pour désigner les partisans du droit des femmes, puis la
suffragiste Hubertine Auclert se l’approprie en 1882. Dès que le mot s’est diffusé plus
largement autour des années 1890, il a été utilisé pour désigner le combat en faveur de
l’égalité des sexes et des droits des femmes (Clio HFS, 2004, p. 37).
Le terme se base donc sur un aspect péjoratif. Les associations féministes et les
personnes qui en sont membre souffrent d’ailleurs d’un problème d’image. Le mot
« féministe » correspond en effet de plus en plus à une tendance péjorative dans
l’imaginaire collectif : les féministes sont vues comme des personnes agressives, qui
détestent les hommes, et qui désirent supplanter l’homme et non être son égal. Anne-
Charlotte Husson (2013), féministe auteure du blog Ça fait genre, tente de détruire ses
clichés.
À propos de l’agressivité des féministes, l’auteure indique que ce cliché souvent
utilisé à décharge des féministes est avant tout un argument de ton qu’elle définit avec
l’aide de Geek Feminism Wiki44
comme « un argument utilisé dans des discussions,
suggérant que les féministes auraient plus de succès si elles (ils) s’exprimaient sur un
ton plus agréable. L’argument de ton est une forme de détournement de la
conversation, ou un leurre, car le ton d’une affirmation est indépendant du contenu
de l’affirmation en question, et le fait d’attirer l’attention sur le ton détourne du
problème dont il est question. » L’emploi de l’argument de ton empêche donc la ou le
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
43
Cette star de la télé-réalité, souvent peu vêtue, avait fait le buzz en 2013 à la suite d’une simple
phrase qui disait « Allo ? Non mais allo quoi ? (…) T’es une fille et t’as pas de shampoing ? C’est
comme si je te dis t’es une fille et t’as pas de cheveux » [sic].
44
Wiki sur le féminisme
  47	
  
féministe accusé(e) de développer son propre argument et vise in fine à la ou le faire
taire. Ainsi, lors de la course à la présidentielle française de 2007, en utilisant le
même ton, Nicolas Sarkozy sera vu comme déterminé et fort45
et Ségolène Royal
comme agressive, et cela la discrédite46
(Husson, 2013).
Ensuite, les féministes ne détestent pas les hommes ou peut-être ceux que l’auteure
nomme les « masculinistes », à savoir ceux qui se rendent compte que la femme est
bel et bien dominée et qui veulent que cette situation reste comme telle.
Enfin, le dernier cliché sous-entend le fait que les femmes ont déjà dépassé les
hommes en matière d’égalité vu que leur combat ne résiderait plus que dans le fait
d’être supérieures à eux. L’auteure distingue alors les féminismes de la première et de
la seconde vague : la première vague revendiquait l’égalité des droits, tandis que la
deuxième, qui commence dans les années 1960 et 1970, vise l’égalité réelle, en
s’attaquant aux fondements de la domination masculine et en cherchant à changer les
mentalités (Ibid.).
Afin de contrer l’image de la femme actuelle, les féministes entreprennent des
combats quotidiens pour repositionner la femme d’une manière digne et respectueuse.
Ainsi, dans la lignée du blog d’Anne-Charlotte Husson, de plus en plus de sites
féministes permettent aux femmes de s’exprimer sur des sujets qui relèvent du
sexisme. Par exemple, Everyday Sexism Projet permet aux femmes de raconter des
cas de sexisme, graves ou mineurs, offensifs ou normalisés, dont elles sont
quotidiennement victimes. Le site est disponible en une dizaine de langues
différentes47
.
Par ailleurs, des associations féministes comme Les Chiennes de Garde (CDG), Vie
Féminine ou Osez le féminisme ! (OLF) travaillent sur l’image de la femme en
Belgique.
La première, à vocation plus internationale, a notamment lancé un manifeste Non à la
pub sexiste ! pour dénoncer le sexisme dans la publicité qui demande, entre autres,
aux signataires de bannir de leur consommation les produits promus par une publicité
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
45
Lorsqu’il lance un « Casse-toi pauv’con », cette phrase est relayée et dénoncée mais également
interprétée comme signe de virilité et de force.
46
Ainsi, le jour suivant le débat les opposant, Nicolas Sarkozy se dit surpris « d’une certaine
agressivité » de la part Ségolène Royal, ce qu’il assimile à une certaine « forme d’intolérance ». (LCI,
2007).
47
En ligne : www.everydaysexism.com
48	
  
sexiste (CDG, consulté le 5 mai 2014). La seconde s’attèle davantage à créer des
groupes de discussions et des actions de sensibilisations (Vie Féminine, consulté le 5
mai 2014). La dernière entend déconstruire les préjugés et les idées reçues à l’aide de
campagnes de sensibilisation : une d’elles portait sur la dénonciation du sexisme dans
la vente de jouets pour enfants (voir illustration 15) (OLF, 2012).
Illustration 15 : campagne de sensibilisation de Osez le féminisme ! sur la vente de jouets sexués.
Source : OLF, 2012
Une tendance qui tend à prendre de plus en plus d’importance auprès des citoyens est
le renversement des rôles.
On citera ici la chaine de magasins de vêtements Abercrombie & Fitch qui prend le
contre-pied depuis des années en plaçant des mannequins (hommes) torses nus à
l’entrée de tous leurs magasins avec lesquelles les clientes peuvent se prendre une
photo, magasins qui accentuent également la culture du « beau » et la polémique de
l’humain-objet.
En 2012, la réalisatrice Eléonore Pourriat a réalisé un court métrage intitulé Majorité
opprimée où les rôles y sont inversés afin de sensibiliser les citoyens au sexisme
banalisé48
. Ce court métrage a suscité de vives discussions en France et en Belgique et
a replacé le débat sur la place et la condition de la femme dans la société.
En 2013, la chaine de télévision TV5 Monde a utilisé un procédé semblable dans des
bandeaux publicitaires ironiques visant à faire prendre conscience des inégalités
hommes-femmes pour le lancement de son site Internet Terriennes, traitant de la
condition de la femme dans le monde. On y lit des phrases comme « Les femmes
dirigent 90% des États dans le monde?! * » Suivez l’astérisque pour vous rendre
compte que c’est tout le contraire. Cette action a été réalisée pour interpeller la
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
48
Vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/1fDvOTm
  49	
  
collectivité sur le fait que celle-ci soit choquée d’une telle phrase mais pas de la
réalité. D’autres phrases indiquaient « À travail égal, les femmes gagnent plus que les
hommes?! » ou « Les femmes occupent 80% des postes de direction d'entreprise dans
le monde?! » (Elkouri, 2014).
Malgré cela, le combat est toujours d’actualité. En effet, le sexisme dans les médias
est omniprésent même s’il a connu des évolutions depuis les années 50. Selon Claire
Gavray, chercheuse en théorie des genres à l’Université de Liège, « la ménagère a
laissé place à la femme d’affaires mangeuse d’hommes ou à la putain. » (Blogie,
2013)
À la suite de cette analyse, la prochaine et troisième partie portera sur les
recommandations à destination d’OPRB et Gamma pour proposer une meilleure
gestion de crise dans le cas des Kluspoezen.
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Jusqu'où les entreprises sont-elles prêtes à aller trop loin pour le buzz

  • 1.
  • 2.
  • 3. REMERCIEMENTS Signe d’aboutissement de mes études, la réalisation de celles-ci et la rédaction de ce mémoire n’auraient pas pu se faire sans l’aide de plusieurs personnes clés qui ont jalonné mon quotidien pendant ces cinq années. C’est pour cela que je tenais à remercier en premier lieu mon promoteur, M. Nicolas Baygert, pour son soutien, son professionnalisme et son œil acéré qui fut d’excellent conseil pendant ces trois mois. Ensuite, j’aimerais également remercier l’ensemble du corps professoral de l’IHECS mais plus particulièrement M. Pierre de Villers, président de la section relations publiques et Mme. Valérie Lecouturier, assistante de cette même section, pour leurs conseils et aides diverses lors de mon parcours ihecsien. Je remercie également l’agence de communication Ogilvy Brussels pour son accueil chaleureux lors de mes trois mois de stage, et plus particulièrement l’équipe relations publiques avec laquelle j’ai eu la chance de travailler et partager une expérience hors du commun lors de cet apprentissage. Enfin, pour leur accompagnement quotidien, soutien dans les moments faciles comme difficiles ainsi que pour tous les bons souvenirs dont ces personnes font partie, je tiens à remercier ma famille et mes amis sans qui je n’aurais jamais pu terminer ces cinq années.
  • 4. INTRODUCTION Qu’elles se cachent ou qu’elles s’assument, les entreprises cherchent de plus en plus à être le centre de l’attention dans les conversations en ligne. Pour amplifier leur message ou augmenter la visibilité de leurs produits ou services qu’elles désirent transmettre, les entreprises investissent dorénavant les réseaux dans l’espoir de générer du « buzz ». Que ce soit, de manière classique, à travers l’achat d’espaces publicitaires en ligne, ou par des stratégies de communication relevant davantage d’un volet relations publiques (RP). Ce désir inconditionnel de susciter du « buzz » se retrouve également dans la culture des magasins de bricolage Gamma, objet de cette étude. À la suite d’une de leur demande, Ogilvy Public Relations Brussels (OPRB)1 a mis en place une campagne de communication pour cette entreprise en novembre 2013. Elle se base sur une vidéo mettant en scène des femmes déguisées en « Kluspoezen » (traduction littérale : « les chattes du bricolage ») qui détiennent marteaux, scies, et ponceuses entre les mains. Ce faisant, elles entonnent une chanson suggestive avec les paroles « Men’s Day, pussycat, come and play », réelle invitation au jeu, le jour de la Journée Internationale de l’Homme dans les magasins de la chaine. Cette vidéo a créé ce qu’on appelle communément un « buzz » (principalement en Flandre) en raison des débats qu’elle soulevait2 . Comme la définition des dictionnaires Larousse (consulté le 28 avril 2014) le suggère, le « buzz » représente un cyber-phénomène. Le buzz, « mot anglais signifiant bourdonnement, brouhaha », est une « forme de publicité dans laquelle le consommateur contribue à lancer un produit ou un service via des courriels, des blogs, des forums ou d’autres médias en ligne ». La définition est sans appel : ce n’est pas dans le chef de l’entreprise que réside le succès ou l’échec de sa nouvelle campagne de communication mais bien dans celui du consommateur.                                                                                                                 1 Voir Chapitre 3 ou Annexe I 2 La campagne a généré 67 articles dans les médias en ligne, 23 dans la presse écrite belge et quatre reportages télévisuels et radiophoniques. La visibilité du message dans les médias est estimée à plus de trois millions d’euros (OPRB, 2013).
  • 5.   5   Malgré la tentative d’Alain Joyandet en 2010, alors secrétaire d’État Français chargé de la coopération et de la francophonie, de remplacer officiellement le mot « buzz » par « ramdam », « buzz » est aujourd’hui un terme accepté par la collectivité et proposé par les dictionnaires (Chotard, 2010). Jusqu'où les entreprise sont-elles prêtes à aller trop loin pour provoquer le « buzz » ? Telle est l’interrogation à laquelle nous tenterons de répondre dans ce travail, à travers l’analyse du cas des « Kluspoezen ». Dans un premier temps, un cadre de référence balisera les différents concepts et acteurs liés à la problématique de recherche. Ce dernier permettra ensuite d’amorcer l’analyse du cas de Gamma et des Kluspoezen qui évaluera la pertinence du risque pour une entreprise désireuse de créer le buzz à tout prix, tentera de délimiter un champ d’action des entreprises sur les médias sociaux, et situera l’entreprise dans la catégorie « good buzz » ou « bad buzz ». Le dernier chapitre, quant à lui, aura pour objet le déroulement de la crise pour aboutir à des recommandations en fonction des bons et mauvais agissements de l’entreprise pendant celle-ci.
  • 6.
  • 7. CHAPITRE 1 Délimitation du champ d’étude a. Relations publiques La recherche du buzz fait partie intégrante de la communication stratégique des entreprises et des marques présentes sur Internet. En effet, comment toucher de manière moins ‘brutale’ et plus ludique un public qui, bien que correctement ciblé, demeure souvent blasé par la publicité classique. Dès lors, une logique davantage « RP » croît en importance car elle demeure encore attractive auprès du grand public qui aujourd’hui, ne s’accorde plus au standard publicitaire comme il le faisait il y a encore vingt ans. Une stratégie désormais de plus en plus utilisée est celle du « earned-media », nouveau Graal de la communication des entreprises. Lorsqu’une personne extérieure à une entreprise communique sur celle-ci via son blog, ses réseaux sociaux ou autre média social, nous sommes dans un cas de « earned-media » (Brito, 2013). Ce principe attire beaucoup de sociétés grâce à son bas cout et parce que, via le relaiement et le partage de l’information, les internautes cautionnent les valeurs de l’entreprise et s’engagent positivement à ses côtés. Aussi, les entreprises commencent à prendre en compte ce nouveau canal de diffusion par la production de contenu à valeur ajoutée virale pour une meilleure visibilité (Babkine & Hamdi, 2013, p. 12). Parallèlement, le « paid-media » concerne tout ce qu’on assimile à la publicité « traditionnelle » : spots, bannières, etc. Le « owned-media », quant à lui, concerne tout ce qui a été mis en place par la marque et qui est donc entièrement contrôlé par l’entreprise : on parle ici du site Web de l’entreprise, de son éventuel blog, de sa page Facebook, etc.
  • 8. 8   Illustration 1 : différence entre « paid-media », « owned-media » et « earned-media ». – Source : Brito, 2013 La frontière est mince et le risque de basculer dans une logique publicitaire est important. Il est crucial de souligner que cette analyse est abordée d’un point de vue RP et non publicitaire. Bien qu’il s’agisse de marketing au sens large, on parle ici d’un comportement qui vise à « se comporter en toutes occasions et en toutes circonstances de façon à mériter et à obtenir la confiance de ceux avec lesquels [l’entreprise] se trouve en contact » (Assemblée Générale du Centre Européen des Relations Publiques, 1965). Nous sommes donc bel et bien dans une logique RP car c’est grâce au développement d’une bonne relation de confiance entre l’entreprise et le client ou le prospect3 que celui-ci se forgera une bonne image de l’entreprise et sera plus enclin à adopter une attitude favorable lorsque celle-ci sera dans une période critique (Bloch, 2012, p. 93). b. Communication de crise Cette période critique est d’autant plus susceptible de toucher l’entreprise quand celle- ci est active sur Internet. Que ce soit par l’intermédiaire d’un community manager4 maladroit ou par une stratégie de communication mal établie. Depuis l’avènement des médias sociaux, les marques sont davantage confrontées aux situations de crise. En effet, le mode collaboratif qu’entrainent ces nouveaux médias                                                                                                                 3 Prospect : client potentiel d’une entreprise (Robert, 1997) 4 Community manager : nouveau métier qui consiste à animer et fédérer des communautés sur internet pour le compte d’une société ou d’une marque (Adamy, 2013, p. 12)
  • 9.   9   pousse les entreprises à être continûment en état d’alerte et à réagir plus rapidement qu’auparavant. D’ailleurs dès son apparition, Internet a été associé à la communication de crise : déjà en 1996, la marque américaine de jus de fruits Odwalla utilisait cette technologie pour communiquer sur le rappel de ses produits tandis qu’une extrême minorité de citoyens disposait alors d’un accès à Internet (Gibson, 2000). Pourtant, beaucoup d’entreprises semblent encore aujourd’hui apprendre de leurs erreurs lorsqu’elles sont en période « crisogène ». En effet, il existe aujourd’hui un décalage entre les internautes qui se plaisent à partager et discuter entre eux et les entreprises qui publient mais n’écoutent pas. Celles-ci ne se rendent pas compte que le problème est bien plus complexe qu’il n’y paraît : créer une page Facebook ne constituant que le début de la démarche, c’est en réalité l’état d’esprit et l’organisation même de l’entreprise qu’il faudra réformer. L’entreprise est habituée à une communication de type « traditionnelle », du haut vers le bas, tandis que les internautes utilisent une communication « asymétrique », basée sur l’échange de pair à pair, qui exploite au maximum les possibilités du Web collaboratif (Bloch, 2012, p. 3). C’est ce manque de prise de conscience qui sera déclencheur de crises plus ou moins importantes pour certaines entreprises (voir infra : cas Nestlé). Au final, la différence entre une crise numérique ou traditionnelle est minime en ce qui concerne la gestion de communication : le plus important réside dans le fait que l’entreprise se doit de bien gérer les nouveaux outils qu’elle utilise (Ibid.). Les entreprises gagneraient à engager la discussion avec leurs clients et prospects. En effet, en relation directe avec ses publics, les bénéfices de la conversation peuvent avoir comme résultat une anticipation accrue dans le secteur, un meilleur ciblage des désirs et opinions des publics et une meilleure vision de la position de la concurrence (Adamy, 2013, p. 27). Nous sommes entrés dans l’ère de la conversation, nouvelle ère dans laquelle la définition du bien commun n’est plus du seul ressort des gouvernants et doit désormais se partager et se discuter (D’Almeida, 2007, p. 52), par conséquent les entreprises ne pourront pas y échapper. Pour conclure, la problématique est donc analysée ici dans une logique RP et du point de vue de la « communication de crise ».
  • 10. CHAPITRE 2 Quelques concepts a. Les médias sociaux « L’expression « médias sociaux » regroupe trois éléments fondamentaux : la technologie, l’interaction sociale et la création de contenus. Par le terme ‘média’, on évoque alors les technologies du Web collaboratif utilisées librement pour créer, indexer, organiser, commenter ou modifier du contenu par les internautes. Par ‘sociaux’, on entend alors toutes les interactions sociales, réactions et influences entre des individus ou groupes d’individus, liées à un contenu. Les médias sociaux utilisent donc des techniques telles que les flux RSS, les blogs, les réseaux sociaux, les wikis5 ainsi que les plateformes de partage de contenus (vidéos, photos, texte...) » (Attias C. et al, 2010, p. 6). Illustration 2 : panorama des médias sociaux en 2013. – Source : Cavazza, 2013.                                                                                                                 5 Le wiki est un site web dont les pages sont modifiables par les visiteurs afin de permettre l’écriture et l’illustration collaboratives des documents numériques qu’il contient (Adamy, 2013).
  • 11.   11   Selon ce Frédéric Cavazza (2013), consultant et conférencier, on peut séparer les médias sociaux en quatre catégories : • Les plateformes de publication avec les blogs et les wikis ; • Les services de partage de liens et de médias (photos, vidéos, musique, etc.) ; • Les plateformes de discussion avec les applications de communication et de chat mobile ; • Les réseaux sociaux pour le grand public, professionnels, ainsi que les réseaux russes ou asiatiques. Par rapport aux années précédentes, c’est la catégorie ‘publication’ qui semble le plus en mutation. Cela est essentiellement dû à l’avènement de nouvelles applications mobiles de discussion et de partage rapide. Selon Gil Adamy (2013, pp. 66 - 68), spécialiste en stratégie de marque, de marketing et d’innovation de la communication, les médias sociaux constituent une révolution tout aussi importante que l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1454. Pour comprendre cela, nous dit-il, il faut replacer ça dans le contexte de la diffusion du savoir. Par le passage de la diffusion orale à la diffusion écrite, l’invention de l’imprimerie a changé la circulation de l’information et a sacralisé le schéma émetteur -> récepteur. L’accès au savoir, précédemment réservé à l’élite, transforme la société d’une lecture orale (où les lettrés transmettaient le savoir via des lectures et des discours) à une lecture silencieuse (où chacun lit son manuscrit). Aujourd’hui, Internet bouleverse ce schéma car il gomme la différence entre émetteur et récepteur, auteur et lecteur. Grâce aux nouveaux médias, le contenu devient collaboratif et tout le monde est à même d’en générer : que ce soit via des blogs ou des sites collaboratifs comme les forums de discussions ou les wikis. De plus, chaque individu est relié de manière directe ou indirecte à un certain nombre de personnes avec qui il échange de l’information. Il suffit alors de sensibiliser des maillons de ces groupes pour propager l’information. Il y a donc, selon Gil Adamy (2013, p. 69), une rupture liée au Web : Internet n’est pas un média supplémentaire qui enrichit les médias plus anciens avec un
  • 12. 12   fonctionnement équivalent comme l’ont été la télévision ou la radio (qui ont surtout recomposé et rapproché les différents réseaux de discussions). Il est plutôt vu comme un intégrateur des médias existants : il les enrichit par les débats soulevés sur les médias sociaux. Comme suite à ce principe, apparaissent les Web TV, les Web Radio, la presse en ligne, les hashtags6 intempestifs lors d’émissions, etc. Par ailleurs, nous pourrions relier cette idée à la médiologie : théorie explicitée par Régis Debray en 1991 dans Cours de médiologie générale qui étudie les médiations, la transmission du message par l’Homme à travers les années7 . La médiologie insiste sur deux notions essentielles : la relation et la médiasphère. La première notion implique une conception de la société où les pratiques sociétales sont bouleversées par les médias. Ainsi, alors que l’humain a l’impression d’être maitre de ses productions, ces productions, en réalité, le façonnent et le produisent également car elles influencent sa façon de penser, ses comportements, etc. La seconde notion – la médiasphère – illustre la manière dont notre civilisation est passée par trois « médiasphères » : la logosphère (l’écriture), la graphosphère (l’imprimerie) et la vidéosphère (l’audiovisuel). À cela, nous pouvons aujourd’hui ajouter l’hypersphère, la sphère du numérique. À noter que ces différentes sphères se succèdent dans le temps sans s’annuler (Baygert, 2014, pp. 60-61). b. Le buzz En réalité, le buzz peut être assimilé au plus vieux média du monde vu qu’il fonctionne sur le principe du bouche-à-oreille. Dater le premier buzz reviendrait à le situer au temps des premières croyances ou grands récits lorsque ceux-ci se propageaient essentiellement de manière orale. Beaucoup l’ont déjà expérimenté, le bouche-à-oreille est assujetti au risque de déformation et de déperdition. On citera ici le célèbre jeu du téléphone arabe selon lequel un message transmis d’un émetteur à un récepteur se retrouve complètement modifié à l’autre bout de la chaine (Babkine & Hamdi, 2013, p. 11). C’est ici que se situe le risque pour l’entreprise ou la marque : transmettre un message qui ne sera pas bien reçu auprès du public cible.                                                                                                                 6 Le symbole #, appelé hashtag, est utilisé pour signaler des mots-clés ou des sujets dans une publication sur un réseau social. C’est un moyen permettant de catégoriser les messages (Twitter, consulté le 28 avril 2014). 7 Le terme Médiologie est quant à lui apparu la première fois dans un ouvrage de Régis Debray : Le pouvoir intellectuel en France.
  • 13.   13   Aujourd’hui, Internet a considérablement accentué les potentialités du bouche-à- oreille. Au Web correspond une culture de l’instantanéité où chaque internaute est à la fois émetteur et récepteur du message. Les marques apprennent souvent ce fonctionnement à leurs dépens. En effet, de nombreuses entreprises ont du mal à intégrer cette caractéristique des médias sociaux et restent bloquées sur l’ancien schéma. Une telle inadaptation amènera certaines marques à mal réagir en temps de crise sur les médias sociaux. Dans ce type de situation, l’entreprise risque de connaître un « bad buzz ». Il s’agit d’un « phénomène provoqué par des internautes mécontents d’une marque, de son action ou de ses produits qui crée du bruit sur le net » (Babkine & Hamdi, 2013, p. 17). Le premier bad buzz sur le net toucha Kryptonite, une entreprise d’antivol pour vélo. En 2004, un internaute publia une vidéo où un client força un de ces cadenas réputés inviolables avec un stylo à bille. En dix jours, la société déclara avoir perdu dix millions de dollars à la suite du rappel des articles défectueux. Ce qui est frappant dans ce cas, c’est que la BBC avait déjà abordé le problème en 1992 sans que cela impacte la marque. En 2004, les choses avaient changé. À la suite de l’annonce de ce défaut, les internautes s’emparèrent du sujet, pour compléter l’information, l’illustrèrent à l’aide de vidéos à un tel point que nul ne pouvait ignorer le phénomène, y compris les médias traditionnels (Crouzet, 2006). Mais le cas d’école le plus souvent repris par les spécialistes de la communication sur les médias sociaux est le bad buzz auquel l’entreprise Nestlé fut confrontée en 2010 lorsque Greenpeace mit en place la première attaque coordonnée sur le net dans le but de dénoncer les agissements de l’entreprise en matière d’utilisation d’huile de palme dans ses barres chocolatées KitKat. Greenpeace amorça les hostilités par la publication d’un rapport qui mettait en avant la collaboration entre Nestlé et Sinar Mas, producteur indonésien d’huile de palme et destructeur des forêts tropicales indonésiennes, selon l’ONG écologiste. Malgré la réponse de Nestlé pour annoncer la rupture de contrat avec Sinar Mas, Greenpeace
  • 14. 14   continua ses actions à l’aide d’une vidéo parodique8 de la publicité KitKat et un communiqué de presse annonçant la mise en ligne de cette vidéo qui visaient à dénoncer l’attitude néfaste du géant de l’agroalimentaire sur l’environnement. Par ailleurs, l’association créa plusieurs mini-sites avec de réels kits de campagne de communication marqués d’un détournement du logo « KitKat » en « Killer » (voir illustration 3). Enfin, elle invita ses abonnés à l’aide de ses comptes Facebook et Twitter à se mobiliser pour cette cause via la publication de messages sur les réseaux sociaux et l’envoi de mail de protestations au PDG de la multinationale. Illustration 3 : détournement du logo de KitKat par Greenpeace. – Source : Greenpeace, 20109 Ce qui fait que l’on retient aujourd’hui cette action est la mauvaise gestion de Nestlé à la suite de cette attaque ; l’entreprise était préparée (vu la rapidité d’action) mais selon une logique archaïque sans tenir compte des spécificités des médias sociaux et le nouveau schéma de communication qu’ils incombent. En premier lieu, elle demanda et obtint le retrait de la vidéo du site YouTube ce qui a eu pour résultat d’accentuer la diffusion de la vidéo via d’autres canaux. Ensuite, le community manager menaça les utilisateurs facebookiens qui avait alors changé leur photo de profil par le logo « Killer » en stipulant que ce type de détournement était interdit par le droit de la propriété intellectuelle. Perçues comme agressives, les réactions du community manager firent le tour de la toile et furent reprises par les internautes : on pouvait notamment y voir un commentaire publié au nom de Nestlé informant les citoyens qu’ils « ont la liberté d’expression [mais qu’ici] il y a des règles que [Nestlé impose] »10 (voir illustration 4).                                                                                                                 8 La vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/19j4p35 9 En ligne : http://bit.ly/1ozZfMU 10 Traduction libre
  • 15.   15   Illustration 4 : réactions du community manager sur la page Facebook de Nestlé. – Source : Guillot, 2010. Comme suite au torrent de critiques sur internet, Nestlé présenta ses excuses, en renvoyant à un questions/réponses sur l’huile de palme, publia une lettre ouverte à Greenpeace où la marque s’engage à changer son comportement face à ce problème. L’affaire se tassa alors les jours qui suivent et finit par la publication de la marque sur page Facebook : « Médias sociaux, comme vous le voyez nous apprenons avec le temps. Merci pour les commentaires »11 (Guillot, 2010). Comme Nestlé le décrit très bien en une phrase, les entreprises ont encore beaucoup à apprendre des médias sociaux et de leurs rouages.                                                                                                                 11 Traduction libre: «Social media, as you can see we’re learning as we go. Thanks for the comments.»
  • 16. CHAPITRE 3 Ogilvy Public Relations Brussels, fervent du earned-media La stratégie des relations publiques au sein de l’agence de communication Ogilvy Brussels se base essentiellement sur l’earned-media. En effet, la force de cette équipe est de proposer la mise en place de stratégies de communication qui seront relayées par les médias traditionnels. Pour ce faire, ils assurent du suivi auprès de journalistes avec lesquels ils entretiennent souvent une relation privilégiée, voire amicale. Lors de la mise en place d’une campagne, l’organisme aura dès lors le réflexe de penser à des outils comme les sondages, l’appel à une problématique symptomatique de la société actuelle ou le rebondissement sur des sujets d’actualité pour créer du contenu susceptible d’être relayé par des médias plus conventionnels. C’est au final cela qu’ils vendent à leurs clients : des pages de journaux, de magazines ou des pages Internet qui mentionnent l’entreprise ou la marque mais sans les acheter. Cette stratégie de visibilité est la même auprès des blogueurs influents. Le paid-media et l’owned-media ne sont pas en reste pour autant. Le premier est souvent utilisé dans le cadre de publicités Facebook et le deuxième est systématiquement sollicité dans toute campagne de communication : il est très rare (voire impossible) de lancer une campagne aujourd’hui sans mentionner celle-ci sur le site officiel de l’entreprise. Certaines campagnes proposent même la création d’un site annexe pour accompagner leur contenu. Pour en savoir plus sur l’organisation, son fonctionnement, sa composition et autres informations, le rapport de stage se trouve en annexe I.
  • 17. CHAPITRE 4 Étude de cas : Gamma et les « Kluspoezen » a. Gamma Depuis 1971, la formule Gamma est exploitée par l’organisation de franchisage Intergamma S.A. Elle conclut avec des indépendants des contrats de franchise qui leur permettent d’exploiter les magasins de bricolage Gamma. Ces magasins proposent des produits et services pour la réalisation de travaux de construction et de rénovation, à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. À cet effet, les franchisés et Intergamma ont chacun leurs responsabilités propres : • Le franchisé est responsable de la gestion de son point de vente, s’occupe de son entretien et dispose à cette fin de personnel et d’une administration interne. • De son côté, Intergamma soutient et guide les franchisés via divers services professionnels : conception de formules promotionnelles, communication et marketing aux niveaux national et local, formation du personnel, encadrement des ventes, logistique, études de marché et informatique, etc. La Belgique compte aujourd’hui 82 magasins Gamma. Pour ce qui est de sa culture d’entreprise, Gamma se décrit comme jeune, proactive, en constante évolution et informelle. Leurs lignes de communication sont courtes : les collaborateurs peuvent se rencontrer facilement pour résoudre un problème, imaginer un projet ou simplement discuter. Ces lignes directes et la concertation mutuelle renforcent la flexibilité de leur organisation (Gamma, consulté le 29 avril 2014). b. Les « Kluspoezen » Ogilvy Public Relations Brussels (OPRB) a utilisé les rouages de l’earned-media pour la campagne des « Kluspoezen ». En effet, tous les 19 novembre, les médias abordent la Journée Internationale de l’Homme. Ce fait d’actualité a donc été utilisé pour créer un événement en lien avec celui-ci, plus susceptible d’intéresser les journalistes. Gamma s’est rendu chez OPRB au début du mois d’octobre avec un briefing qui donnait déjà le ton. Gamma voulait mettre en place une action susceptible de générer
  • 18. 18   du buzz par la création d’un événement que personne n’attend et qui différencie Gamma de ses concurrents. Cet événement devait être considéré comme immanquable auprès de la gent masculine (OPRB, 2013). Début novembre 2014, Gamma lança alors sa nouvelle campagne à l’aide d’une vidéo YouTube12 mettant en scène des « chattes du bricolage » : les « Kluspoezen ». La vidéo indique également les différents Gamma dans lesquelles ces femmes passeront le samedi de la semaine de la Journée Internationale de l’Homme (voir Illustration 5). Cette vidéo comptabilise aujourd’hui plus de 250 000 vues. Illustration 5 : captures de la vidéo des « Kluspoezen ». – Source : OPRB, 2013. C’est en réalité De Standaard qui lança la discussion sur le Web en relayant l’information et la vidéo via son site internet, nous sommes donc bel et bien dans un cas d’earned-media. Mais cette campagne fut également soutenue par du paid-media à l’aide de publicités Facebook ciblées pour générer du trafic vers la page Facebook et des publicités radio, ainsi que par du owned-media grâce à des affiches dans les magasins et des informations sur le site Internet et la page Facebook de l’entreprise (Carpentier, communication personnelle, 2014). À la suite de l’indignation qu’a déclenchée la vidéo auprès de diverses associations, comme Vrouwen Overleg Komitee et Vrouwelijk Vlaanderen (De Standaard, 2013 ;                                                                                                                 12 La vidéo est disponible en ligne : http://bit.ly/1cdMY51
  • 19.   19   Van Den Eynde, 2013), Gamma retira la vidéo originelle de YouTube. Il n’a fallu que quelques heures pour qu’un autre internaute la remette en ligne. La vidéo fit également l’objet de plusieurs plaintes auprès du Jury d’Éthique Publicitaire (JEP) car il s’agit, selon les plaignants « d’une campagne sexiste et stéréotypée, tant dans les mots que dans les images » (JEP, décembre 2013). Le Jury demanda à l’annonceur de ne plus diffuser cette publicité (qui était déjà retirée des chaines officielles de l’entreprise) en statuant qu’il était « d’avis que la campagne est sexiste à l’égard des femmes et des hommes et évoque le stéréotype de l’homme toujours porté sur le sexe et celui de la femme à sa disposition. Le Jury a estimé que la publicité contribue ainsi à perpétuer une image stéréotypée des hommes et des femmes allant à l’encontre de l’évolution de la société. » (Ibid.) Pour se défendre de ces accusations, Gamma déclara qu’il s’agissait d’une campagne « ludique » et « fonctionnant sur l’humour » (Ibid.). L’entreprise invita donc le public choqué à relativiser et comprendre l’hyperbole de la vidéo : « les mouvements exagérés, les gestes exagérés, les vêtements des dames (qui ne sont certainement pas plus sexy que dans certains vidéo- clips) et [le maquillage] montrent clairement cette exagération » (Ibid.). Initialement, la campagne abordait le briefing avec une stratégie plus RP grâce notamment à une vision long terme. En effet, la vidéo était intégrée dans une stratégie complète avec une application mobile qui permettait de repérer les Gamma près de chez soi ainsi que la possibilité de voter pour que le Gamma le plus proche du votant ait la visite des Kluspoezen. De plus, le jour de l’action, diverses activités étaient prévues pour générer du contenu sur les réseaux sociaux (compétition entre hommes et femmes dans les magasins, élection de Mister Handyman, etc.) Malheureusement, ça n’a pas pu mettre en place par manque de temps (Carpentier, communication personnelle, 2014). En réalité, après avoir proposé l’idée à Gamma, l’entreprise a racheté l’idée à l’agence de communication pour la produire via une autre boite de production avec qui elle a des relations privilégiées. Dès lors, dans le cadre de cette campagne, OPRB s’est uniquement assurée que Gamma était prêt à gérer l’éventuelle crise que Gamma risquait de connaître : un document questions/réponses fut envoyé à tous les employés des magasins pour que ceux-ci sachent répondre en cas d’interviews, OPRB joua
  • 20. 20   également le rôle de médiateur entre le flux de journalistes et la société. En parallèle, l’agence rédigea et envoya à sa base de contact le communiqué de presse pour annoncer le lancement de la campagne, effectua du suivi auprès des journalistes afin que ceux-ci abordent le sujet dans leurs rédactions et tint une revue de presse à jour. C’est sur base de cette campagne que portera l’analyse de la problématique et de la question de recherche suivante : « Jusqu’où les marques sont-elle prêtent à aller trop loin pour le buzz ? », abordée dans la partie II.
  • 21.
  • 22. CHAPITRE 5 Buzz & transgression : la pertinence du risque pour l’entreprise « Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi ! » La phrase de Léon Zitrone résume bien ce que plusieurs entreprises semblent penser de nos jours. En effet, en s’attardant sur différentes stratégies de communication, force est de se demander si ce n’est pas ce qui passe essentiellement dans la tête des responsables de communication : faire parler de la marque, du produit ou de l’entreprise, et ce, à n’importe quel prix. Une question survient alors : dans quelle mesure une entreprise, déjà assujettie à différents risques qui ne relèvent pas de sa volonté, a-t-elle intérêt à se placer dans une situation risquée, pouvant tâcher sa crédibilité ? En fonction des secteurs, les entreprises qui ont recours à de telles pratiques sont souvent celles qui sont confrontées à une concurrence accrue. Dès lors, cette prise de risque est-elle réellement bénéfique pour ces entreprises ou est-ce du pain béni pour les adversaires qu’elles essayent de devancer ? Et surtout, quelles retombées tangibles de telles communications auront-elles sur l’entreprise ou la marque à la fin du torrent ou de l’emballement médiatique suscité ? Gamma, qui s’est toujours positionnée comme entreprise informelle et jeune, n’en était pas à son premier coup d’essai. Pour la Journée Internationale de la Femme en 2013, ce qui avait interpellé l’opinion était la promotion « 20% pour les femmes ». Plusieurs personnes se sont indignées du fait que cette action était une discrimination envers les hommes et a fait l’objet de plaintes auprès du Jury d’Éthique Publicitaire (JEP). Gamma s’est défendu en déclarant que cette promotion valait aussi bien pour les femmes que pour les hommes (JEP, mars 2013). Mais c’est surtout une campagne parue dans P-Magazine13 en 2001 qui avait attiré les foudres des associations féministes : une première page témoignait d’une femme habillée de latex dans une position suggestive avec l’indication « Qui est numéro un du latex ? », une deuxième dévoilait une femme avec des formes généreuses et le                                                                                                                 13 Equivalent de Playboy Magazine en Flandre : magazine ciblé sur la gent masculine hétérosexuelle.
  • 23.   23   slogan « Peut-on promouvoir notre silicone ? », et enfin, une troisième mettait en scène une femme avec une bouche ouverte pour la promotion d’aspirateurs « aspire- tout » vendus chez Gamma (voir illustration 6). Gamma a indiqué qu’il s’agissait d’humour basé sur l’autodérision des publications propres du magazine. En ce sens, l’annonceur considérait « qu'il ne [traitait] pas les femmes comme de la marchandise, mais qu'il [faisait] une simple comparaison associative et non une assimilation » (JEP, 2001). Illustration 6 : publicités pour Gamma dans P-Magazine en 2001. – Source : Media Watching, 200714 Les spécialistes en marketing savent que de telles communications soulèveront sans aucun doute les associations féministes qui ont comme particularité de faire beaucoup de bruit quand elles prennent la parole. La position de la femme, sa quête d’égalité et de parité, est un sujet de société récurrent que les médias aiment relayer. D’ailleurs, on attribue le premier bad buzz de 2014 à Numéricable pour une communication perçue comme sexiste qui promeut la rapidité de téléchargement du service. Un simple encart dans un quotidien a réussi à réveiller les médias sociaux. Cet encart indiquait qu’il était possible de télécharger « aussi vite qu’[une] femme change d’avis ». À la suite d’indignations, Numéricable publia la version masculine qui indiquait : « téléchargez aussi vite que votre mari oublie ses promesses » (voir illustration 7). La publication des deux versions au même moment aurait probablement eu moins d’impact.                                                                                                                 14 En ligne : http://bit.ly/1j3S1wE
  • 24. 24   Illustration 7 : versions féminine et masculine de la publicité Numéricable. Source : Vanderbiest, 2014 Ces deux exemples mettent en scène deux entreprises qui évoluent dans un environnement à forte concurrence. D’une part, Gamma évolue avec d’autres magasins de bricolage qui proposent les mêmes produits dans les mêmes gammes de prix sur le marché belge. Par la suite, Hubo, un des principaux concurrents de Gamma, a d’ailleurs parodié les Kluspoezen en déguisant de réels chats en bricoleurs (voir illustration 8). D’autre part, le secteur des télécommunications constitue l’un des secteurs les plus concurrentiels où les différents acteurs doivent toujours occuper l’espace médiatique pour être premiers dans l’esprit des consommateurs. Illustration 8 : parodie des Kluspoezen en réels chats bricoleurs – Source : OPRB, 2013. Dans un tel contexte, la pertinence du risque est compréhensible pour de telles entreprises : il faut marquer les esprits de manière forte pour demeurer les premiers dans l’esprit des consommateurs dans un secteur extrêmement concurrentiel et les rouages qu’offrent le buzz sont un bon moyen, facile et souvent peu couteux, de faire parler de marque ou de l’entreprise. L’un des principaux buts de la communication de Gamma est de se différencier de ses adversaires. Dans le cas des Kluspoezen, c’est avant tout le fait que l’entreprise a (re)lancé la discussion sur la place des stéréotypes féminins dans les médias qui a davantage été retenu plutôt que l’image qu’a pu promouvoir l’entreprise, à un tel
  • 25.   25   point que l’expression Kluspoezen est devenue un mot généralisé et a été utilisée dans diverses illustrations d’actualité (voir illustration 9) (Carpentier, communication personnelle, 2014). Illustration 9 : encart de bandes dessinées dans des journaux d’actualité sur les Kluspoezen. Source : OPRB, 2013 Au final, ces deux entreprises ont gagné en visibilité en occupant le devant de la scène quelques jours. Après plusieurs semaines de campagne, c’est moins l’action en elle- même qui fut retenue par les consommateurs, que le nom de la marque. Une stratégie relevant davantage des relations publiques et sur le long-terme prend ici le pas sur une stratégie qui s’apparente plus publicitaire : l’image de l’entreprise s’installe dans l’imaginaire collectif tout en se frayant une place (re)connue dans le secteur. Quid de la (e-)réputation ? Malgré cela, on ne peut s’empêcher de se demander quelle réputation et e-réputation15 les entreprises entendent-elles promouvoir via de telles actions ? En vérité, selon Henri Wallard (2011), directeur général délégué du groupe Ipsos, il existe aujourd’hui un paradoxe dans la (e-)réputation des entreprises. On traite du volatile dans le sens où l’on met des actions temporaires en place qui sont censées véhiculer les valeurs de l’entreprise. Or la (e-)réputation n’est pas quelque chose de volatile en soi : c’est un acquis qui se forge au fil du temps, au fil des divers événements et actions. L’entreprise doit donc s’atteler à garder une vision générale de sa (e-)réputation dans le temps, l’espace et vis-à-vis de ses acteurs. Cette (e-)réputation est par ailleurs intimement liée à la confiance et la crédibilité que le public accorde à l’entreprise. Ce capital confiance est d’autant plus difficile à maintenir dans le contexte actuel où tout                                                                                                                 15 Réputation en ligne de l’entreprise, l’association, la marque, etc. (Wallard, 2011)
  • 26. 26   est en mouvement et où les entreprises ne peuvent plus se permettre d’avoir des secrets pour le public (Wallard, 2011). Il y a trois niveaux d’e-réputation (Ibid.) : • La zone de risque zéro où l’entreprise n’est pas en ligne et n’a rien à dire : il ne se passe rien. Par exemple, les entreprises B2B (business-to-business) comme Sinar Mas dans le cas Nestlé contre Greenpeace, qui ne fut pas victime de l’attaque. Nestlé a été visée notamment à cause de sa visibilité et reconnaissance mondiale ; • La zone de risque moyenne où la présence volontaire ou involontaire de l’entreprise sur Internet est mise à mal car, attaquée sur un sujet, les « consommacteurs »16 commencent à se plaindre via la création d’articles de blogs, de pages Facebook, etc. ; • La zone de risque élevée lorsque tout le contenu Web de la problématique est géré par les publics digitaux et non l’entreprise. Lorsque la zone de risque est présente, il faut mettre en place un certain nombre d’actions avec vigilance et rapidité. Dans l’ordre, il faut évaluer la situation, mesurer l’impact et communiquer sur la réponse qui semble être la plus appropriée à la suite de ce buzz. Cela va permettre à l’entreprise de générer une stratégie d’engagement où elle est informée, « informante » et au contrôle de la situation (Ibid.) On peut également ajouter qu’engager le dialogue avec les publics est important ainsi que de surveiller les retombées de la crise par l’intermédiaire d’une veille par exemple (Beal & Strauss, 2008, p. 367). De ce point de vue là, la prise de risque des entreprises visant à créer le buzz est donc pertinente vu qu’elle permet d’occuper le devant de la scène pendant quelque temps et, grâce à ça, de rentrer en contact et engager la discussion avec ses consommateurs et éventuels prospects par la grande porte. Pour autant que l’entreprise ait les connaissances et ressources nécessaires pour bien gérer la crise qu’elle risque de vivre ainsi qu’un plan d’action détaillé qui permet de gérer son e-réputation.                                                                                                                 16 Un « consommacteur » est un consommateur responsable et engagé qui a une attitude réfléchie vis-à- vis de sa consommation et qui l’utilise pour influencer plus ou moins directement le monde dans lequel il vit (Ray & Anderson, 2001).
  • 27.   27   Par ailleurs, dans le cas de Gamma, l’entreprise est connue en Flandre pour ses frasques et ses actions promotionnelles (Carpentier, communication personnelle, 2014). Crédibilité et pertinence Ce qui donne une force d’influence au buzz, c’est sa crédibilité et sa pertinence. De nombreuses définitions de la pertinence coexistent mais il semblerait que certains sujets rendent les internautes unanimes. La mort par exemple : en octobre dernier, le Parc Astérix convia plusieurs blogueurs influents à leur propre enterrement via l’envoi de faire-part et de vidéo personnalisés pour promouvoir l’ouverture du parc à l’occasion d’Halloween (Bochel Guégan, 2013). Au départ, l’opération semble logique : les blogueurs pourront se rencontrer entre morts-vivants le jour de « La journée de la peur »17 . Dans les faits, les réactions furent toute autre : les blogueurs ne trouvèrent pas l’idée drôle mais morbide. Encore une fois, ce sont les agissements de l’entreprise à la suite des réactions des blogueurs qui mirent le feu aux poudres ; le Parc Astérix accusa ces derniers de manquer d’humour (Ibid.). En parallèle, qu’est-ce qui différencie cette communication de celle de l’Institut Belge pour la Sécurité Routière (IBSR) qui, en 2014, invita de mauvais conducteurs à leur propre enterrement dans une communication de sensibilisation aux excès de vitesse à grande valeur virale ? La cible et le but. En effet, la première communication vise des personnes en particulier tandis que la deuxième vise tous les Belges sur la même thématique. Par ailleurs, le but de la première communication est commercial alors que le deuxième est la prévention : les consommacteurs seront dès lors plus cléments envers une communication porteuse d’un message plus profond. Enfin, la première est crédible mais pas pertinente tandis que la seconde est crédible et pertinente. Suivant cette logique, les internautes ont tendance à directement mettre au pilori une entreprise qui rate son opération à cause d’un bad buzz. Il semblerait qu’Internet soit une terre hostile pour toute entreprise désireuse de s’y aventurer : les consommacteurs attendent impatiemment la prochaine erreur qui pourra réveiller les médias sociaux et entretenir les discussions auprès du grand public. Les crises réputationnelles valorisent peut-être « le peuple » qui parvient à combattre « l’entreprise ».                                                                                                                 17 Nom de l’action promue
  • 28. 28   Quant aux journalistes, leur empressement à qualifier une « mauvaise action » de communication de « bad buzz » s’ajoute à l’effet amplificateur du problème et qui contribuera à sa mise en boucle sur les médias sociaux, véritables caisses de résonnance. En effet, dans le cadre des Kluspoezen, De Standaard a créé un effet de propagation qui a été relayé sur les médias sociaux : c’est bel et bien l’action de ce journaliste qui a lancé le débat et le bad buzz (Carpentier, communication personnelle, 2014). Au final, ce type de phénomène risque d’alimenter la peur qu’auraient les marques à investir les réseaux. Quoi que l’on puisse penser de ces opérations marketing, il est aussi bien, dans la plupart des cas, de féliciter les entreprises qui osent prendre des risques, entreprendre une éventuelle discussion et prendre le contre-pied de ses concurrents. Pour conclure, la pertinence du risque pour les entreprises est aussi souvent minime dans le chef des consommateurs : en effet, souvent, les internautes indignés par les actions de communications sont eux-mêmes des professionnels de la communication et/ou activistes spécialistes de la problématique lancée qui auront tendance à épingler un bad buzz sur les médias sociaux, principalement via les blogs et Twitter. Le bad buzz se conclut en général par des excuses de la marque à la suite de l’indignation qui semble populaire mais qui ne l’est pas tant que ça.
  • 29. CHAPITRE 6 Quelles limites pour les entreprises ? Certaines entreprises n’hésitent pas à casser les standards du politiquement correct18 pour être au centre des discussions, consciemment ou pas. En effet, certaines entreprises ne pensaient pas que leur communication pouvait déboucher sur un véritable tollé médiatique. Naturellement, elles espèrent marquer les esprits, mais les internautes appréhendent la communication d’une manière différente de celle attendue par le créateur. Par exemple, en 2012, la Commission européenne désire sensibiliser les jeunes européennes à entreprendre des études en science car « c’est pour les filles ! »19 . La campagne, chapeautée par l’agence de communication Tipik, fut lancée par une vidéo-teaser sur YouTube20 , produite par l’agence Emakina. La logique est louable : pourquoi destiner les métiers scientifiques uniquement ou prioritairement aux hommes ? Tout comme les études en communication ne sont pas uniquement propres aux femmes, les études en science ne sont pas uniquement propres aux hommes. À la suite de la publication, la vidéo fut critiquée, moquée à un point tel qu’elle fut enlevée d’Internet par la Commission mais republiée par un autre utilisateur. La vidéo est en fait particulièrement sexuellement stéréotypée : on y voit des femmes en robe et hauts talons devant un fond rose qui semblent s’intéresser aux métiers scientifiques afin de pouvoir concevoir du maquillage. En face d’elle, un homme en blouse blanche (sur fond bleu) quitte son microscope et les regarde interpellé (voir illustration 10). Bien que la campagne globale soit pertinente – sur le site internet, des témoignages de femmes scientifiques épanouies et des descriptions de carrières intéressantes permettent aux jeunes de mieux appréhender le métier de scientifique, seul la vidéo- teaser semble poser problème (Rice, 2012).                                                                                                                 18 Le politiquement correct consiste en la reformulation d’une réalité dans des termes plus doux, jugés plus consensuels pour ne pas déplaire à un public précis, en fonction de sa culture, sa situation, son sexe, etc. 19 Nom de la campagne. En anglais : « Science, it’s a girl thing ! » 20 Vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/IEhywI
  • 30. 30   Illustration 10 : captures d’écran de la vidéo « Science, it’s a girl thing ! » - Source : YouTube, 2012 Par la suite, la Commission européenne déclara qu’il ne s’agissait pas d’une vidéo ironique (Ibid.) : ce qui ne détonne pas étant donné la rigueur que s’impose cette institution qui ne peut pas se permettre de risquer son image pour quelques clics supplémentaires. Elle pensait donc réellement attirer les jeunes lycéennes en donnant une image jeune et tendance à ces études. On s’étonnera ainsi du fait que personne n’ait souligné, en amont, le potentiel sexiste de ce scénario. D’autant plus que la Commission avait fait appel à un groupe d’expert en communication « d’égalité des genres »21 pour fournir des idées et recommandations appropriées au public cible, recommandations que la Commission n’a pas prises en compte (Ibid.). Le sexisme paraît à tel point ancré dans les esprits que certains responsables de communication semblent ne plus se rendre compte que certaines représentations sociales ou stéréotypes puissent potentiellement brusquer, dénigrer ou blesser certaines communautés. Pour preuve, les concepteurs de la campagne auront ainsi jugé probant le fait d’intéresser des filles aux sciences par l’entremise d’une stratégie décrivant ces dernières comme essentiellement intéressées par le maquillage ou par la mode. Dans le contexte d’un traitement sexiste, il semblerait que présenter négativement la femme dans certaines campagnes serait à même de susciter de grands retours sur les médias sociaux. Dès lors, certains n’hésiteront pas à miser sur ce type de stratégie probablement volontairement. En effet, à partir de mai 2013, onze bad buzz à caractère sexiste purent être répertoriés sur la toile. Rien qu’en 2014, quatre bad buzz liés aux stéréotypes féminins permirent à des institutions de faire parler d’elles : Numéricable (voir supra), Adidas accusé d’incitation à la prostitution à la suite de la mise en vente de t-shirts pour la Coupe du Monde représentant une femme en                                                                                                                 21 Traduction libre : « gender expert group »
  • 31.   31   imprimé et l’inscription « Looking to score »22 , le Conseil Général de Moselle via une action de sensibilisation au tri des déchets (voir illustration 11) et Stabilo (Vanderbiest, 2014) qui ne pensait peut-être réellement pas à mal en féminisant son produit phare, le fluo Boss, car celui-ci est « un surligneur d’hommes [créé il y a 40 dans] dans un monde d’hommes (…) [et qu’]aujourd’hui, évolution des mœurs et parité obligent, les femmes accèdent au pouvoir. Plutôt que de copier les hommes, elles affirment leur différence et cultivent un style personnel. Pour les accompagner dans leur conquête, STABILO leur dédie un surligneur exclusif, NEON, qui s’affranchit des codes masculins et revendique un style délibérément féminin. » (Va Bene, 2014) Illustration 11 : campagne de sensibilisation au tri des déchets du Conseil Général de la Moselle. Source : Vanderbiest, 2014. Il est difficile de croire que toutes ces entreprises passent à côté de ces bad buzz qui se suivent et se ressemblent. Difficile aussi de croire que ces entreprises ne se rendent pas compte du contexte socio-politique actuel. En effet, depuis les mobilisations autour du « Mariage pour tous » en France, d’autres thématiques liées au regard porté sur la féminité ont également marqué l’actualité. On notera ainsi la rumeur selon laquelle l’Éducation Nationale française aurait enseigné au sein des établissements scolaires une « Théorie du genre » dont l’apprentissage viserait à inciter les enfants à nier les différences sexuelles entre filles                                                                                                                 22 Qui peut vouloir dire « je cherche à marquer un but » mais aussi « je cherche à emballer quelqu’un » en argot (traduction libre).
  • 32. 32   et garçons – un enseignement susceptible de détruire le modèle traditionnel de la famille. Bien qu’à l’origine, cette théorie insiste avant tout sur l’égalité entres les femmes et les hommes, cette rumeur causa le boycott de certaines écoles par des parents inquiets23 . Citons encore les happenings polémiques du groupe sextrémiste Femens (de Blic, 2014). Dans ce cadre de sensibilisations importantes à la thématique du genre et de la parité homme-femme, comment des entreprises peuvent-elles encore commettre des erreurs telles que celles citées ci-dessus ? La réponse réside peut-être dans le fait que celles-ci sont conscientes des retombées que de telles campagnes pourraient créer. En d’autres mots : un dérapage contrôlé. Dans le cas des Kluspoezen, le but était bien de susciter un buzz « en sortant des sentiers battus » (OPRB, 2013). Or, l’usage du sexisme dans les médias pourrait être apparenté à une autoroute : elle est connue, souvent utilisée, et par tout le monde. Gamma s’est retranché derrière le fait qu’il s’agissait d’humour parodiant l’image de la femme véhiculée par les vidéo-clips actuels, un humour caractérisé par l’exagération dont faisait preuve le contenu de la vidéo (JEP, décembre 2013) et le fait qu’il s’agissait d’une parodie d’un vidéo-clip existant : celui de l’artiste Benny Benassi pour sa chanson Satisfaction24 . L’idée aurait été tellement ludique et drôle qu’il n’était pas envisageable de prendre le message au sérieux selon les conceptrices de l’idée (Carpentier, communication personnelle, 2014). Pourtant les rouages des vidéo-clips constituent une valeur sûre pour une entreprise désireuse de susciter un buzz lorsque l’on connaît le sort souvent réservé à ceux-ci : révolte d’associations féministes, effet de bouche-à-oreille conséquent, et même censure. Par exemple, la chanteuse américaine Miley Cyrus avait défrayé la chronique (médias traditionnels et sociaux confondus) en automne 2013 avec un vidéo-clip où celle-ci se balançait entièrement dévêtue sur une boule de démolition25 pour aboutir à une intervention du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) auprès des chaines de télévision pour ne plus diffuser le vidéo-clip avant 22 heures car il contient « des scènes à connotation sexuelle » (CSA, 2014) alors que celui-ci caracolait déjà à plus de 300 millions de                                                                                                                 23 Les citoyens furent ainsi confrontés à différentes lectures de cette « théorie du genre » (Gender Theory) provenant parfois de certains groupuscules proche des milieux radicaux et visant à envenimer le débat. Ces descriptions omettaient pour la plupart la distinction entre « sexe biologique » et « genre » (voir Chapitre 8 : Au delà du buzz) 24 Vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/1kSjvSt 25 Traduction libre du titre de la chanson : « Wrecking Ball » en anglais
  • 33.   33   vues sur Internet. Cette intervention n’a eu pour effet que de hisser l’information en tête des Hit-parades et des moteurs de recherche sur Internet26 . De son côté, une fois le mea culpa effectué, Gamma s’autocensura dans la foulée, ce qui donna lieu à un effet Streisand27 ; pourtant, nul doute que l’entreprise et/ou l’agence de communication devai(en)t être consciente(s) des conséquences d’une telle censure et de l’amplification du phénomène qu’une telle décision était susceptible de causer. Si la logique des contenus communicationnels de nature consciemment sexiste consiste à réveiller les associations féministes pour que l’on parle des produits promus, celles-ci n’auraient-elles pas davantage intérêt à passer sous silence certaines campagnes ? Car une fois les excuses formulées et la crise passée, c’est une visibilité conséquente que gagnent les marques à l’origine de campagnes sexistes (Cimelière, 2014). La question qui se pose dès lors est la suivante : dénoncer ou ignorer ? D’une part, comme le souligne Aurélie Lanctot, féministe adepte des médias sociaux, « les réseaux sociaux [contribuent] à dépoussiérer le discours féministe et à lutter contre le sexisme » (Ibid.) mais d’autre part, le féminisme28 tend à être de plus en plus rejeté car leurs réactions sont souvent perçues comme exagérées face à certaines stratégies de communication. Dès lors, un danger survient au sein de notre société, celui de la banalisation des emportements féministes (traitées de furies) créant un bad buzz à chaque communication sexiste. Si la vigilance contre les dérives sexistes s’avère totalement légitime, l’ampleur que prennent certains bad buzz sexistes est en revanche davantage discutable. Autant il est important de s’insurger contre des contenus cultivant une image dégradante de la femme, autant il semble quelque peu excessif et caricatural de s’alarmer pour des propos relevant plus de l’humour que de l’attaque. Or, la pensée du politiquement correct rassemble de plus en plus d’adeptes sur les réseaux sociaux : les internautes soignent leurs publications et modèrent le choix de leurs mots afin que ceux-ci                                                                                                                 26 Plus de 630 millions en mai 2014 – Vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/1cTRVSe 27 L’effet Streisand consiste à rendre une information plus médiatisée que ce qu’elle n’est déjà via l’effacement ou la censure du contenu qui en est responsable (Babkine & Hamdi, 2013, p. 86). 28 Plusieurs « féminisme » coexistent : d’un côté, il y a le féminisme « sextrémiste » (caractérisé essentiellement par le mouvement Femen) qui recherche l’impact médiatique immédiat à travers un usage stratégique du corps dénudé ; de l’autre, le combat féministe à travers des formes de mobilisations plus traditionnelles (les mouvements Chiennes de garde, Vie féminine, Ni putes, ni soumises, etc.) – des mobilisation qui « décryptent, dénoncent et résistent », selon la description offerte par l’organisation Les Chiennes de garde – voir infra (Baygert, 2013).
  • 34. 34   semblent moins négatifs pour fédérer un maximum de personnes – une forme d’autocensure dans un effort de personal-branding29 constant. Pas sûr que la lutte contre le véritable sexisme et autres discriminations que subissent les femmes, y gagne en clairvoyance et en pertinence (Ibid.). Pour conclure, est-il possible d’établir une barrière invisible à ne pas franchir ? En tenant compte de cette barrière, certaines entreprises ne seraient-elles pas enclines à la franchir volontairement afin d’occuper l’espace médiatique ? Ces limites varieront selon les pays, les communautés ou les personnes répondant à des codes propres, voire des réflexes culturels différents – une variété de conceptions que l’on retrouvera par ailleurs dans le staff multiculturel de la Commission européenne, aussi assujettie aux « bad buzz » (voir supra). Nonobstant la dimension sexiste de cette réduction de la femme à ces quelques stéréotypes, la limite invisible et différente selon les cultures pourra dans certains cas être sciemment franchie. En effet, de nombreuses entreprises, désirant aller toujours plus loin pour choquer n’hésiteront pas à puiser tour à tour dans le registre du gore, du vulgaire, des stéréotypes sexistes ou autre. Dans d’autres contextes, il semblerait que ce soit bien une erreur de délimitation de public cible et d’une stratégie mal déterminée, à l’instar de la Commission européenne. De manière générale, la limite réside dans le chef du public. C’est lui qui décidera, via diverses publications, si l’entreprise ou la marque a dépassé cette limite invisible. Dès lors, il semblerait que les entreprises entreprennent des communications visant à choquer la collectivité : on va plus loin pour être sûr d’être relayé.                                                                                                                 29 Action où un particulier construit sa personne et sa carrière en tant que marque, principalement via les médias sociaux.
  • 35. CHAPITRE 7 « Good buzz » VS. « bad buzz » : où l’entreprise se situe-t-elle ? Kristine De Valck, professeure associée de marketing à HEC Paris, nous indique que « de nombreuses études ont démontré que les « buzz », qu'ils soient négatifs ou positifs, ont peu d'impact sur les marques sur le long terme » (citée par de Foucaud, 2013). Il serait bon de nuancer ces propos : selon Pascal Froissart, maître de conférences à l’Université Paris VIII, on a tendance à utiliser une logique qu’il juge behavioriste lorsque l’on établit un lien entre bad buzz et impact direct sur l’entreprise. En effet, cette logique est présente lorsque l’on tente de déterminer l’impact du bad buzz sur la communication de l’entreprise en cherchant un effet linéaire de la communication sur la vente des produits sans prendre en compte le rôle des réseaux interpersonnels, des phénomènes d’interprétation et d’appropriation, de transmission, de partage du message, etc. En fait, il y a une dichotomie au sein des entreprises : d’un côté, il existe une vision linéaire, proche du béhaviorisme et du schéma stimulus- réponse et de l’autre côté, un raisonnement non-linéaire et complexe, proche de la sociologie fonctionnaliste américaine où plusieurs facteurs se cumulent les uns aux autres (Babkine & Hamdi, 2013, p. 174-175). Malgré cette approche, peut-on tout de même délimiter si un buzz est bon ou mauvais ? Formuler une réponse générale ne serait pas pertinent étant donné que la réponse dépend du secteur d’activité, de la pertinence de chaque buzz par rapport à l’entreprise et ses valeurs, et enfin, du fond et de la forme de chaque message. Par exemple, le faux bad buzz créé par Carambar au printemps 2013 aura des caractéristiques différentes du buzz des Kluspoezen. Carambar avait annoncé la fin des blagues à l’intérieur de ses friandises ce qui avait provoqué un engouement auprès de sa clientèle. Le but était de revaloriser une marque qui passait peu à peu à la trappe (de Foucaud, 2013). Même si plusieurs se sont plaints via les médias sociaux à la suite de cette duperie, les retombées furent très bonnes puisque le chiffre d’affaires augmenta de 20% et une enquête menée par la marque montra que seuls 3% avaient un avis négatif sur l’opération. Ces bons résultats tendraient à prouver qu’un bad buzz
  • 36. 36   peut s’avérer être bénéfique. Cependant, il ne faut pas oublier que cela ne portait atteinte à personne et que cela soulignait une des valeurs clés de Carambar, à savoir la dérision (Vanderbiest, 2014). Comme nous l’explique Nicolas Vanderbiest (2014), spécialiste de crises d'e- réputation des organisations, « à partir du moment où la visibilité qui est créée ne porte pas atteinte aux gens et qu’il raconte les valeurs de la marque, ce n’est pas un bad buzz, mais un good buzz. » Par exemple, dans le cas du bad buzz de Numéricable (voir supra), sa clé de vente est la modernité. Au lieu de ça, l’entreprise a joué sur des propos rétrogrades qui prenaient à partie une communauté, à savoir les femmes. La communication portait atteinte à une communauté et dévalorisait sa propre clé de vente : le bad buzz est donc sans appel dans ce cas-ci. Échec ou opportunité ? Aujourd’hui, le bad buzz n’est plus seulement synonyme d’échec mais il représente une opportunité pour les marques de détecter un système défaillant et d’y remédier, d’apprendre à mieux se connaître, de transformer des clients mécontents en ambassadeurs de la marque et de perfectionner sa stratégie sur les médias sociaux (Mirande, 2013). C’est ce qui se passe lorsqu’une entreprise parvient à correctement gérer la crise à la suite du bad buzz, et qu’elle le transforme en good buzz. La Redoute l’a d’ailleurs très bien compris : en 2012, la marque, alors victime d’un bad buzz, réussit à retourner la situation pour devenir un modèle de communication de crise en réponse à un bad buzz sur Internet (Maillard, 2012). Un internaute repère un homme nu à l'arrière-plan d'une photo sur le site Internet de vente en ligne La Redoute (voir illustration 12) et le fait savoir au monde entier via les médias sociaux. Le cliché retiré et les excuses formulées, la photo s’érige en mème Internet30 et l’entreprise risque de perdre le contrôle.                                                                                                                 30 Un mème internet est un détournement humoristique, qui se diffuse très vite au sein d'une communauté en ligne, chacun des membres de cette communauté pouvant se réapproprier l'objet et en créer sa propre version (Leloup, 2012).
  • 37.   37   Illustration 12 : image responsable du bad buzz de La Redoute en 2012. – Source : Maillard, 2012 L'idée de l'agence de communication CLM BBDO chargée du problème est de dépoussiérer l'image de la marque en détournant ce bad buzz de manière humoristique, grâce aux codes d'Internet, plus susceptibles d’attirer un jeune public. La Redoute et CLM BBDO décident alors de proposer aux internautes de retrouver quatorze images qui comportent des « erreurs qui n’ont pas encore été retrouvées »31 sur le site Internet www.laredoute.fr. Moins de 48 heures après le lancement de l’opération, le site connaît un pic d'audience de plus de 70 %, La Redoute gagne plus de 100 000 fans sur Facebook et l’earned-media de ce coup de communication est estimé à plus d’un million de dollars (CLM BBDO, 2012). Les retombées de cette opération sont toujours effectives. Aujourd'hui, La Redoute propose de temps en temps des concours sur les réseaux sociaux, ce qui a eu pour effet de rajeunir la clientèle. Dans ce cas-ci, il est important de souligner que l’homme nu ne touche à aucune valeur vu qu’il s’agit d’un problème technique et que cela ne met en danger aucun actif de la société (Vanderbiest, 2014). Pour ce qui est de Gamma, sa valeur clé est l’humain : que ce soit vis-à-vis de son personnel ou de ses clients, Gamma entend se positionner comme « le meilleur allié de tous ceux qui veulent améliorer et entretenir leur cadre de vie » (Gamma, consulté le 3 mai 2014) : en plaçant le désir du client en pole position, en donnant la priorité à la formation et à la motivation de ses collaborateurs, via le respect de l'homme et la                                                                                                                 31 Déclaration de Anne-Véronique Baylac, directrice e-commerce et développement de La Redoute, dans la vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/1lMeuic
  • 38. 38   nature avec une Responsabilité Sociale d’Entreprise (RSE)32 en faveur d’une énergie verte, etc. (Ibid.). La culture de l’entreprise est celle d’une entreprise jeune et proactive qui désire donner le ton dans son secteur. Pour ce faire, ils entendent communiquer de manière claire et compréhensible (Ibid.). Enfin, sa clé de vente est de proposer des outils et du matériel de bricolage à un prix avantageux dans des magasins organisés de manière fonctionnelle et ordonnée (Ibid.). Dans le cas des Kluspoezen, le but était de reconquérir la clientèle masculine en se différenciant de la concurrence : la stratégie mise en place est alors de créer le buzz en donnant aux hommes ce qu’ils veulent : « de bons outils et des friandises pour les yeux »33 (OPRB, 2013). Valeur Il y a une discordance dans le buzz créé par les Kluspoezen et la valeur de l’entreprise. En effet, positionner la femme comme étant à disposition de l’homme et l’homme comme un animal esclave de ses désirs n’est pas valorisant pour le caractère humain que désire promouvoir Gamma. C’est cette valeur qui aurait poussé l’entreprise a retirer sa vidéo des médias sociaux en stipulant que « ce n’est pas son rôle d’initier la controverse et [elle] écoute la réaction de ses clients. Par égard pour les différentes opinions, [elle] a immédiatement décidé de supprimer le spot et d’adapter l’action, malgré les nombreuses réactions positives. » (JEP, décembre 2013). L’action a en effet été adaptée à la suite d’indignations diverses : la vidéo a été supprimée, des excuses ont été formulées mais les activités le jour de la Journée de l’Homme ont été maintenues. Les journalistes étaient d’ailleurs au rendez-vous pour finir par publier des articles qui félicitaient le retournement de situation en indiquant que les Kluspoezen n’étaient « pas si nues » 34 (VTM, 2013). En effet, Laura Deschuyffeleer, une des Kluspoezen, a remarqué qu’elle portait bas colorés pendant                                                                                                                 32 En Belgique, la Commission Interdépartementale du développement durable définit la RSE comme un « processus d’amélioration dans le cadre duquel les entreprises intègrent de manière volontaire, systématique et cohérente des considérations d’ordre social, environnemental et économique dans leur gestion en concertation avec leurs parties prenantes » (cité par Hambursin, 2009, p. 6) 33 Traduction libre de l’anglais : « good tools & eye candy ». 34 Traduction libre du néerlandais : « niet zo naakt ».
  • 39.   39   l’action et un débardeur au lieu d’un mini short et d'un haut échancré35 (Het Laatste Nieuws, 2013). De plus, la version masculine des Kluspoezen était également présente dans les magasins (VTM 2013). C’est derrière l’aspect ludique et l’humour que se retranche l’entreprise qui concède avoir voulu « donner un fort élan grâce à une communication supplémentaire via les canaux sociaux. » À elle d’ajouter qu’elle était consciente que « cela allait provoquer des réactions mais [elle] n’a jamais [eu] l’intention d’offenser des gens, ni d’être sexiste, de jeter le discrédit sur les femmes ou de discriminer. Dans toutes les actions qu’[elle] lance, [elle] traite tout le monde de manière égale. » (JEP, décembre 2013). Ici, la valeur clé n’est donc pas promue dans la communication. De ce point de vue là donc, il s’agit bel et bien d’un bad buzz. Culture En ce qui concerne la culture de l’entreprise, la campagne utilise bien des procédés et des outils qui touchent les jeunes. Par ailleurs, l’entreprise n’hésite pas à prendre des risques en mettant en place des stratégies de communication susceptibles de créer la polémique, signe de proactivité. Quant à la clarté de la communication, celle-ci est sujette à controverse. En effet, quel est l’intérêt de mettre en scène des femmes peu vêtues pour promouvoir du matériel de bricolage ? La stratégie nous indique que c’est avant tout une manière d’attirer les hommes (OPRB, 2013). Ceux-ci sont enclins à être également choqués par ce que suggère la vidéo : qu’il s’agisse d’individus primitifs mués uniquement par leurs désirs sexuels. La base de la communication perd dès lors sa crédibilité et sa pertinence. C’est donc du point de vue de la culture de l’entreprise qu’il est difficile de déceler s’il s’agit d’un good buzz ou d’un bad buzz. Du côté de Gamma, Eveline Rubbens (communication personnelle, 2014), responsable de la communication et des relations publiques de l’entreprise, pense                                                                                                                 35 Traduction libre du néerlandais : « we dragen nu panty’s en in plaats van een kort topje laten we onze buik toch niet zien ».
  • 40. 40   qu’il s’agit d’un good buzz car l’entreprise a « reçu beaucoup d’attention et ce, sans conséquences négatives. »36 Quoi qu’il en soit, la communication a eu l’inconvénient de causer du tort à l’entreprise. La question serait donc plutôt de savoir si l’entreprise a réussi à gérer sa crise et a transformé le bad buzz en good buzz, la réponse tendrait plus vers le « oui ». En effet, Gamma a réussi son opération : le but était d’attirer un public masculin et de faire parler d’eux pour se différencier de ses concurrents. Les deux ont été atteints. En enlevant la vidéo d’Internet, en présentant des excuses et en créant une action plus respectueuse pour la gent féminine, Gamma a réussi à redorer son blason auprès des Flamands et réaffirmer sa valeur principale : le respect de l’humain. De plus, avec l’action réalisée dans le cadre de la Journée Internationale de la Femme en mars 2014 (voir Chapitre 9), plusieurs blogueuses et journalistes saluèrent le fait que Gamma ait réussi à reprendre la situation en main (Carpentier, communication personnelle, 2014). Pour juger si l’action était un succès, le seul indicateur qu’a OPRB en sa disposition réside dans le fait que Gamma a fait de nouveau appel à ses services pour la Journée Internationale de la Femme en 2014 : l’entreprise ne communique pas sur ses chiffres, pas même à son agence de communication (Ibid.). Malgré les associations féministes qui distribuaient des tracts aux entrées des Gamma pour protester contre la femme-objet dans les médias (VTM, 2013), il semblerait donc que l’entreprise soit satisfaite de l’action. Au final, les hommes comme les femmes ainsi que des familles se sont prêtées au jeu et ont posté des photographies avec les Kluspoezen sur les médias sociaux (OPRB, 2013).                                                                                                                 36 Traduction libre – voir annexe II pour l’interview
  • 41. CHAPITRE 8 Au-delà du buzz La discussion sur la position de la femme dans les médias est vieille de plusieurs années. Elles sont loin les publicités qui prônaient la place de la femme dans la cuisine grâce à un nouveau robot-ménager Kenwood ou celles stipulant qu’une voiture irait forcément à la casse si une femme la conduisait selon Volkswagen (voir illustration 13). La pensée collective pourrait conclure que de telles communications n’ont plus leur place dans la société actuelle et que celles-ci seraient très vite vilipendées, et pourtant. Illustration 13 : exemples d’anciennes publicités sexistes. – Source : Flaig, 2009 Comme une vidéo à grand succès viral intitulée How the media failed women in 201337 nous le démontre, le chemin est encore long pour améliorer l’image de la femme dans les médias. En effet, fin d’année 2013, The Representation Projet38 a mis en ligne une compilation d’images où la femme est dénigrée : qu’il s’agisse de campagnes, de propos journalistiques, politiques, de video-clips, et cetera. Cette vidéo prouve qu’en politique, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, les femmes qui prennent la parole publiquement s'exposent encore à des commentaires virulents : le sexisme touche donc tous les secteurs et constitue dès lors un vaste sujet en soi (Collard, 2014).                                                                                                                 37 Traduction libre : « Comment les médias ont négligé les femmes en 2013 » - Vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/1dOOxNj 38 Mouvement qui utilise le contenu des films et des médias pour mettre en lumières les injustices dues au stéréotypes basés sur le genre et pour interpeller la conscience des gens afin que les choses changent.
  • 42. 42   Comment se fait-il que le sexisme soit encore et toujours présent dans notre société actuelle ? Et comment se fait-il qu’il soit de plus en plus l’objet d’une banalisation ? L’éducation La réponse réside peut-être dans l’éducation. En effet, les jouets que reçoivent les enfants seraient symptomatiques d’une forme de sexisme : les garçons jouent avec des voitures téléguidées pour apprendre à conduire, des armes en plastique pour combattre et une caisse à outils pour bricoler. De leur côté, les filles jouent avec une dinette pour préparer des repas, des poupées pour s’initier à la coquetterie voire à la maternité. Une des solutions pour contrer ce problème consisterait en l’enseignement de la « théorie du genre ». Celle-ci viserait en effet à émettre une distinction entre « sexe biologique » inné et « genre » socialement construit. Le genre ou « gender », comme théorie issue des sciences humaines et sociale, affirmerait ainsi l'importance de l'environnement social et culturel dans la construction de l'identité sexuelle de chacun39 . Plusieurs associations et politiques désireraient ainsi interpeller les milieux éducatifs afin de combattre les stéréotypes estimant que c’est la construction sociale des genres qui mène au sexisme. En Belgique, l’Institut pour l’Égalité des Femmes et des Hommes (IEFH) a mis en place le gender mainstreaming, « ou approche intégrée de la dimension de genre [qui est une] stratégie qui a pour ambition de renforcer l’égalité des femmes et des hommes dans la société, en intégrant la dimension de genre dans le contenu des politiques publiques. » L’institut adopte une approche transversale qui s’applique à tous les domaines politiques (emploi, affaires sociales, finances, santé, mobilité, justice, etc.) (IEFH, consulté le 8 mai 2014). Par ailleurs, l’Échevinat de l’Égalité des chances, en collaboration avec le Service Prévention, a organisé en 2013 une exposition intitulée Fille ou Garçon : Tous égaux ! destinée essentiellement aux enfants de l’enseignement primaire afin de les                                                                                                                 39 Durant l'enfance, en plus de découvrir notre appartenance à l'un des deux sexes, nous intégrons aussi les valeurs et les rôles sociaux associés à cette appartenance par les adultes, le garçon se verra ainsi attribué des jouets spécifiques et sera associé au bleu tandis que les petites files ne jureront que par la couleur rose. Aussi, les « rôles de genre » seraient, contrairement au sexe biologique, avant tout socialement et culturellement construits (Huguet, 2014).
  • 43.   43   sensibiliser à la thématique de l’égalité entre filles et garçons et de les interpeller sur le rôle social de l’homme et de la femme en société (UccleBook, consulté le 8 mai 2014). Enfin, depuis 2012, la Fédération Wallonie-Bruxelles (CFWB) organise également une exposition itinérante appelée Rose ou Bleu, seulement si je veux !. Elle invite les enfants âgés de 3 à 8 ans à découvrir des ouvrages dont les héroïnes et les héros prennent à revers les représentations habituelles du féminin et du masculin, afin de déjouer les stéréotypes de genre (CFWB, consulté le 8 mai 2014). Les médias Les médias représentent par essence une source de transmission des représentations sociales à destination des enfants. Une transmission pouvant également contenir des messages et représentations à caractère sexiste si l’on en juge certains films pour enfants mettant en scène des hommes bagarreurs face à des femmes attendant généralement d’être libérées Durant les deux dernières décennies, le studio d’animation Pixar (filiale de Disney), n’a pas non plus dérogé à la règle du schéma de l’homme-héros et la femme-sauvée : tous leurs personnages principaux sont des hommes de 1995 à 201240 jusqu’à la sortie du film Rebelle qui avait attisé la critique lorsque Disney avait voulu couronner le personnage principal, plutôt adepte du combat et de l’aventure que de la coiffure et du maquillage, comme princesse Disney (voir illustration 14). Une pétition fut alors réalisée par le site Internet féministe A Mighty Girl signée par plus de 100 000 personnes dont la réalisatrice du film qui a déclaré qu’il s’agissait de « marketing ouvertement sexiste » qui « donne l’impression que la fille originelle et réaliste est inférieure »41 (Child, 2013). Devant les réactions suscitées dans les médias sociaux, Disney se rétracte et la version originelle est conservée.                                                                                                                 40 Ce qui représente douze longs métrages : Toy-Story 1, 2 & 3, 1001 pattes, Monstres et Cie, Le Monde de Némo, Les Indestructibles, Cars 1 & 2, Ratatouille, Wall-E et Là-haut. 41 Traduction libre
  • 44. 44   Illustration 14 : relooking de Brave en princesse Disney. – Source : Child, 2013 C’est en réalité toute l’industrie cinématographique américaine qui s’avère concernée par le phénomène. D’après une étude de la New York Film Academy portant sur l’égalité entre les hommes et les femmes dans les 500 films avec les plus grandes recettes entre 2007 et 2012 (voir annexe III), seulement 30,8% des acteurs à texte sont des femmes. 28,8% des femmes portèrent des vêtements sexuellement suggestifs contre 7% d’hommes et 26,2% des femmes se trouvaient partiellement nues contre 9,4% d’hommes. Sur les 250 premiers films de 2012, 9% ont été réalisés, 15% ont été écrits, et 25% ont été produits par des femmes. Selon le classement des dix acteurs féminins et masculins les mieux payés de 2013 de Forbes, les femmes représentent 181 millions de dollars contre 465 millions de dollars pour les hommes (Zurko 2013). Malgré des rôles importants de plus en plus attribués à des personnages féminins, tels qu’Hermione Granger dans Harry Potter ou Katniss Everdeen dans Hunger Games, les stéréotypes demeurent globalement prégnant dans le cinéma. Au milieu des années 1980, Alison Bechdel créa le Test de Bechdel visant à prouver par l’absurde que la plupart des films sont centrés sur les hommes. Il fonctionne selon trois questions : 1. Y a-t-il au moins deux personnages féminins avec du texte ? 2. Est-ce que ces deux personnages se parlent ? 3. Est-ce qu’elles parlent d’autre chose que d’un homme ? Le test n’est pas une preuve absolue ou non de sexisme, il tend à démontrer que beaucoup de films n’arrivent pas à remplir des questions aussi banales que celles-ci et que beaucoup de films sont centrés sur les hommes (Stokes, 2012). Aussi surprenant
  • 45.   45   que cela puisse paraître, sur les 50 films avec les plus grosses recettes de l’année 2013, seulement 36% des films (17 films) passent le test de Bechdel (voir annexe IV pour le test) (Sender & Sharma, 2014). L’industrie cinématographique est représentative du problème qui domine les médias et la communication en général. Et cela ne touche pas uniquement les médias rédigés par des hommes. En effet, un reportage de l’édition britannique du magazine Vogue abordait la place des femmes dans l’univers des nouvelles technologies. Mais l'article intitulé « High Tech Heroines » décryptait les épouses et petites amies des grands noms de l’industrie technologiques et non pas des femmes qui y travaillent, alors que ces dernières représentent environ 45% de cette communauté (Collard, 2014). Sexisme = ironie ? L’excuse souvent retenue par les entreprises, y compris Gamma, pour se défendre des reproches liés au sexisme est l’usage de l’ironie, c’est également le cas pour les Kluspoezen. Selon Martine Delvaux, auteure de l'essai féministe Les filles en série, l'ironie demeure le grand piège de notre époque car « on en dit des énormités en son nom. Et quand on ne rit pas, on se fait traiter de rabat-joie. Heureusement, les réseaux sociaux, qui jouent un rôle dans la diffusion de propos sexistes, bénéficient aussi aux féministes qui les utilisent pour propager leurs idées et leurs positions. » (citée par Collard, 2014) Culture de l’image À l’éducation et aux médias s’ajoute un autre problème : celui du culte de l’image que l’on renvoie de soi-même baigné dans une culture où tout le monde veut devenir célèbre, rapidement et facilement en choquant, touchant ou amusant selon les personnalités. Ainsi, à travers différentes émissions42 , certains médias feront croire aux jeunes (et à certains adultes) qu’il est facile de devenir célèbre et ce, rapidement : trois mois enfermés dans une maison transformeront n’importe qui en célébrité. Des processus de médiatisation, essentiellement lié au phénomène de télé-réalité, qui ne lésineront pas dans l’usage de stéréotypes avec la mise en avant de certaines personnalités                                                                                                                 42 Par exemple : Loft Story, Secret Story, Les Ch’tis, Star Academy, etc.
  • 46. 46   répondant à tous les clichés et se rapprochant des excès de vulgarité présents dans certains clips musicaux ou séries télévisées. Comme suite, des personnages tels que Nabilla43 agiront comme véritables modèles auprès de certaines jeunes personnes. D’autres filles voudront encore ressembler à Zahia, ancienne prostituée reconvertie en créatrice de mode de lingerie de luxe. Les médias et diverses personnalités (Jean-Paul Gautier pour Nabilla et Karl Lagerfeld pour Zahia par exemple) iront jusqu’à ériger ces personnalités au rang d’icônes. Une solution : la voie du féminisme Le terme féministe désigne à l’origine un homme aux caractères physiologiques efféminés. Alexandre Dumas-fils, républicain et anti-féministe, l’utilise en 1872 de façon péjorative et ironique pour désigner les partisans du droit des femmes, puis la suffragiste Hubertine Auclert se l’approprie en 1882. Dès que le mot s’est diffusé plus largement autour des années 1890, il a été utilisé pour désigner le combat en faveur de l’égalité des sexes et des droits des femmes (Clio HFS, 2004, p. 37). Le terme se base donc sur un aspect péjoratif. Les associations féministes et les personnes qui en sont membre souffrent d’ailleurs d’un problème d’image. Le mot « féministe » correspond en effet de plus en plus à une tendance péjorative dans l’imaginaire collectif : les féministes sont vues comme des personnes agressives, qui détestent les hommes, et qui désirent supplanter l’homme et non être son égal. Anne- Charlotte Husson (2013), féministe auteure du blog Ça fait genre, tente de détruire ses clichés. À propos de l’agressivité des féministes, l’auteure indique que ce cliché souvent utilisé à décharge des féministes est avant tout un argument de ton qu’elle définit avec l’aide de Geek Feminism Wiki44 comme « un argument utilisé dans des discussions, suggérant que les féministes auraient plus de succès si elles (ils) s’exprimaient sur un ton plus agréable. L’argument de ton est une forme de détournement de la conversation, ou un leurre, car le ton d’une affirmation est indépendant du contenu de l’affirmation en question, et le fait d’attirer l’attention sur le ton détourne du problème dont il est question. » L’emploi de l’argument de ton empêche donc la ou le                                                                                                                 43 Cette star de la télé-réalité, souvent peu vêtue, avait fait le buzz en 2013 à la suite d’une simple phrase qui disait « Allo ? Non mais allo quoi ? (…) T’es une fille et t’as pas de shampoing ? C’est comme si je te dis t’es une fille et t’as pas de cheveux » [sic]. 44 Wiki sur le féminisme
  • 47.   47   féministe accusé(e) de développer son propre argument et vise in fine à la ou le faire taire. Ainsi, lors de la course à la présidentielle française de 2007, en utilisant le même ton, Nicolas Sarkozy sera vu comme déterminé et fort45 et Ségolène Royal comme agressive, et cela la discrédite46 (Husson, 2013). Ensuite, les féministes ne détestent pas les hommes ou peut-être ceux que l’auteure nomme les « masculinistes », à savoir ceux qui se rendent compte que la femme est bel et bien dominée et qui veulent que cette situation reste comme telle. Enfin, le dernier cliché sous-entend le fait que les femmes ont déjà dépassé les hommes en matière d’égalité vu que leur combat ne résiderait plus que dans le fait d’être supérieures à eux. L’auteure distingue alors les féminismes de la première et de la seconde vague : la première vague revendiquait l’égalité des droits, tandis que la deuxième, qui commence dans les années 1960 et 1970, vise l’égalité réelle, en s’attaquant aux fondements de la domination masculine et en cherchant à changer les mentalités (Ibid.). Afin de contrer l’image de la femme actuelle, les féministes entreprennent des combats quotidiens pour repositionner la femme d’une manière digne et respectueuse. Ainsi, dans la lignée du blog d’Anne-Charlotte Husson, de plus en plus de sites féministes permettent aux femmes de s’exprimer sur des sujets qui relèvent du sexisme. Par exemple, Everyday Sexism Projet permet aux femmes de raconter des cas de sexisme, graves ou mineurs, offensifs ou normalisés, dont elles sont quotidiennement victimes. Le site est disponible en une dizaine de langues différentes47 . Par ailleurs, des associations féministes comme Les Chiennes de Garde (CDG), Vie Féminine ou Osez le féminisme ! (OLF) travaillent sur l’image de la femme en Belgique. La première, à vocation plus internationale, a notamment lancé un manifeste Non à la pub sexiste ! pour dénoncer le sexisme dans la publicité qui demande, entre autres, aux signataires de bannir de leur consommation les produits promus par une publicité                                                                                                                 45 Lorsqu’il lance un « Casse-toi pauv’con », cette phrase est relayée et dénoncée mais également interprétée comme signe de virilité et de force. 46 Ainsi, le jour suivant le débat les opposant, Nicolas Sarkozy se dit surpris « d’une certaine agressivité » de la part Ségolène Royal, ce qu’il assimile à une certaine « forme d’intolérance ». (LCI, 2007). 47 En ligne : www.everydaysexism.com
  • 48. 48   sexiste (CDG, consulté le 5 mai 2014). La seconde s’attèle davantage à créer des groupes de discussions et des actions de sensibilisations (Vie Féminine, consulté le 5 mai 2014). La dernière entend déconstruire les préjugés et les idées reçues à l’aide de campagnes de sensibilisation : une d’elles portait sur la dénonciation du sexisme dans la vente de jouets pour enfants (voir illustration 15) (OLF, 2012). Illustration 15 : campagne de sensibilisation de Osez le féminisme ! sur la vente de jouets sexués. Source : OLF, 2012 Une tendance qui tend à prendre de plus en plus d’importance auprès des citoyens est le renversement des rôles. On citera ici la chaine de magasins de vêtements Abercrombie & Fitch qui prend le contre-pied depuis des années en plaçant des mannequins (hommes) torses nus à l’entrée de tous leurs magasins avec lesquelles les clientes peuvent se prendre une photo, magasins qui accentuent également la culture du « beau » et la polémique de l’humain-objet. En 2012, la réalisatrice Eléonore Pourriat a réalisé un court métrage intitulé Majorité opprimée où les rôles y sont inversés afin de sensibiliser les citoyens au sexisme banalisé48 . Ce court métrage a suscité de vives discussions en France et en Belgique et a replacé le débat sur la place et la condition de la femme dans la société. En 2013, la chaine de télévision TV5 Monde a utilisé un procédé semblable dans des bandeaux publicitaires ironiques visant à faire prendre conscience des inégalités hommes-femmes pour le lancement de son site Internet Terriennes, traitant de la condition de la femme dans le monde. On y lit des phrases comme « Les femmes dirigent 90% des États dans le monde?! * » Suivez l’astérisque pour vous rendre compte que c’est tout le contraire. Cette action a été réalisée pour interpeller la                                                                                                                 48 Vidéo disponible en ligne : http://bit.ly/1fDvOTm
  • 49.   49   collectivité sur le fait que celle-ci soit choquée d’une telle phrase mais pas de la réalité. D’autres phrases indiquaient « À travail égal, les femmes gagnent plus que les hommes?! » ou « Les femmes occupent 80% des postes de direction d'entreprise dans le monde?! » (Elkouri, 2014). Malgré cela, le combat est toujours d’actualité. En effet, le sexisme dans les médias est omniprésent même s’il a connu des évolutions depuis les années 50. Selon Claire Gavray, chercheuse en théorie des genres à l’Université de Liège, « la ménagère a laissé place à la femme d’affaires mangeuse d’hommes ou à la putain. » (Blogie, 2013) À la suite de cette analyse, la prochaine et troisième partie portera sur les recommandations à destination d’OPRB et Gamma pour proposer une meilleure gestion de crise dans le cas des Kluspoezen.