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“ CHAPITRE VI
Les nouvelles tendances
1- Les arts contestataires
- De la subversion à l’esthétique du chaos
2- Les arts d’intégration
- Un monde sans objets
- Une poétique de la technologie
247
de la société commerciale, la nouvelle figuration, issue de l’art narratif, a su
prendre ses positions contre la bourgeoisie et l’injustice.
La nouvelle figuration, dont le terme est apparu dans un essai de l’Allemand
Hans Platscheck, en 1959, « Neue Figurationen », puis dans un manifeste,
« Nuova Figurazione », signé en 1962 par trois peintres florentins, Antonio
Buono, Silvio Loffredo et Alberto Moretti, se situe comme un retour à la
figuration, après les années délirantes de l’abstraction gestuelle, mais avec
une conception nouvelle, à l’instar du nouveau réalisme. Mais, tandis que
ce dernier prend de grandes divergences, s’exprimant avec tous les moyens
possibles, la nouvelle figuration semble avoir ses limites propres, se suffisant
presque à la peinture comme moyen d’expression.
Valerio Adami, Eduardo Arroyo, Henri Cueco et Erro, peintres issus de l’art
narratif, comme beaucoup d’autres, se donnent à la « guérilla culturelle »
dans cette nouvelle figuration audacieuse qui continue à respecter les codes
de la représentation spatiale, tout en perturbant la vision du spectateur, par
le cadrage des images qu’elle puise dans les médias et dans l’actualité, par la
profusion de ces images mêmes, par l’action critique et féroce qu’elle mène
contre l’art bourgeois, en l’exploitant comme support pour sa conception et
qu’elle dénonce, à l’instar de Marcel Duchamp ou de Francis Bacon.
Arroyo s’est attaqué à l’œuvre de Valasquez, de Goya, de David et de Miro.
A ce dernier, il réserve toute une exposition, « Miro refait », en 1969. 4
De la subversion à l’esthétique du chaos
La nouvelle figuration, le pop’art et le nouveau réalisme ont donné l’élan,
depuis leur développement dans les années 1960, à d’autres mouvements
artistiques vivants. Avec le body art (1964), l’art conceptuel (1967), la
performance (1969) et le land art (1970), on voit apparaitre l’hyperréalisme
en 1965, aux Etats-Unis et en Europe, un mouvement ayant sa parenté avec
le pop’art et l’art conceptuel, et qui se situe au-delà des capacités visuelles
4  - Voir Jean-Luc chalumeau, introduction à l’art d’aujourd’hui, Fernand Nathan, 1971,
248
de l’œil, ne donnant aucun intérêt au sujet, qu’il traite, toutefois, selon une
vision photographique froide.
Trouvant son origine dans le Dada et sa parenté avec l’art conceptuel, l’art
pauvre est né en 1967, en Italie puis en Europe. Sa production antiartistique
est réalisée avec des matériaux quotidiens aculturels et périssables, dont le
but provocateur est de rétablir un contact direct entre l’artiste et l’œuvre,
et de perturber le goût artistique déjà habitué au choc.   
Suivant ses pas, et tout en développant l’aspect périssable, éphémère et
organique des composantes de l’œuvre, le post minimalisme est apparu
en 1969, aux Etats-Unis et en Europe, un mouvement provocateur aussi,
qui s’oppose au caractère impersonnel et au formalisme du minimalisme.
A l’instar de ce mouvement, le néo-expressionnisme est apparu en
Allemagne et en Italie dans les années 1970, s’affirmant ensuite en Europe,
aux Etats-Unis et en Australie.
Pour certains, c’est le premier mouvement qui a supplanté par sa force la
notoriété du pop’art et du nouveau réalisme ; pour d’autres, surtout les
artistes allemands et italiens, l’art a retrouvé son énergie vitale d’avant
les deux guerres. Pourtant, ce mouvement à l’expression violente a réagi
contre l’art conceptuel, contre les installations et les performances, voulant
retourner aux formes traditionnelles de la peinture et de la sculpture, tout
en tendant vers le collage dada et néo-dada, vers les matières hétéroclites
et la peinture sauvage.
De là, on peut dire que la source originelle du néo-expressionnisme se
retrouve dans l’expressionnisme allemand lui-même ; d’ailleurs, il a lié sa
parenté avec la Neue Wilde (Nouveaux fauves), la Bad Painting américaine et
la Trans avant-garde italienne. Avec ses élans violents et souvent aléatoires,
ce mouvement provocateur qui retourne à la peinture de chevalet, provoque
la naissance de plusieurs mouvements éphémères, dans les années 1980,
249
comme la peinture libre, la peinture sauvage, la figuration sauvage et le
graffiti, fabriquant aussi, grâce à la spéculation du marché de l’art florissant
à cette époque, des stars également éphémères, comme Baselitz, Basquiat,
Schnabel et d’autres.
La crise de l’art apparue après la guerre de l’Irak et la crise du pétrole,
menaçantes avec la montrée violente du terrorisme en 2001, a obligé
les artistes, les critiques d’art et les experts, à revoir les conceptions
contestataires surgies en raz-de-marée après le déchainement Dada, à
méditer sur cette esthétique du chaos et sur ce concept de la ruine qui
ont bouleversé la destinée de l’art. Pourtant cette création, ou plutôt cette
anti-création de plus en plus aléatoire et chaotique, depuis les années 1960,
et même depuis les années 1950, années de l’automatisme et du délire
lyriques, reste le reflet d’une longue époque angoissée et tourmentée, aux
agitations aléatoires.
Le concept de la destruction élaboré par les dadaïstes, en annihilant les
valeurs de la bourgeoisie industrielle, a défriché les champs artistiques,
favorisant ainsi l’éclosion d’une vision nouvelle basée sur l’imaginaire
et la libération totale de la pensée. Progressivement, alors, un nouveau
art s’élabore durant la Deuxième Guerre mondiale, basé sur le délire de
l’époque, élémentaire.
Pour l’Europe, l’abstraction lyrique est une expression du tragique, une
révélation délirante de l’horreur vécue, mais aussi une arme de résistance
contre le totalitarisme. Pour cette raison, la plupart des pays colonisés
en cette époque noire vont adopter ce courant abstrait, en gagnant leur
autonomie, réagissant contre les pays impérialistes. En somme, pour
l’Europe et certains pays du Tiers-Monde, l’abstraction lyrique constitue
une rupture avec un ordre établi, un renouvellement d’un art, selon le legs
culturel de chaque pays.
250
Pour les Américains, l’expressionnisme abstrait, qui entre dans ce courant
lyrique, constitue le début d’un parcours, l’éclosion d’une aventure typique
qu’ils veulent brandir comme art national, à l’instar du jazz. L’expression
du tragique, du délire et de l’angoisse en Europe, devient chez les artistes
américains l’extériorisation de la sensation avec laquelle débute tout art.
Ainsi, l’élémentarisme constitue le premier dialogue commun entre la
plupart des artistes novateurs en cette époque. Seulement, les Américains,
dans cette sensation, ont valorisé l’automatisme surréaliste, et surtout
l’aléatoire et le hasard, ne se préoccupant que des techniques artistiques
qui mettent en valeur la sensation apparente, négligeant ainsi les concepts
culturels, fondateurs de tout art.
La même aventure va se renouveler dans les années 1960. Pendant que
la nouvelle figuration et le nouveau réalisme s’élaborent en mouvements
contestataires, se basant sur les conceptions anti artistiques et la « guérilla
culturelle », s’engageant avec violence contre l’impérialisme et la société
commerciale, le pop’art et l’hyperréalisme après lui deviennent l’écho froid
de la société de consommation, refusant de s’engager dans cette vie, ne
voulant que voir ce qui les entoure et le transcrire, sans aucune expression.
Seuls le néo-dada et les mouvements qu’il provoquera avec le nouveau
réalisme et l’art conceptuel, comme le happening, la performance, le land
art et le post minimalisme, ainsi que d’autres tendances artistiques basés
sur le concept, s’ouvriront sur l’expression et la contestation, trouvant un
dialogue homogène dans la scène internationale.
Ce dialogue homogène est voué à la contestation et à la subversion,
héritées du nihilisme dada. L’anti-art et l’anti-carrière que les artistes du
choc brandissent, sont à l’origine de l’esthétique du chaos. Les démarches
artistiques depuis les années 1960, convergent, en général, sur le concept
de la ruine. Les compressions de César, la casse accumulée d’Arman, les
machines auto destructrices de Tinguily, les affiches lacérées d’Hains et
251
Villeglé, la culture du déchêt de Rauschenberg à Schnabel, les boucheries
exprimées par les quartiers de viande de Bacon et les formes disloquées
du néo-expressionnisme ne sont qu’une révélation du drame de l’époque.
Mais le choc brandi par cet anti-art est refroidi, lorsque l’invendable est
entré dans le marché de l’art, lorsque le produit nihiliste est récupéré par les
musées et les galeries, attirant vers lui les pseudo-artistes et les charlatans.
Tout est devenu art, même le tas d’ordures et le bric-à-brac posés en une
installation sans nom ou  assemblés et accrochés au mur. Voulant relier
l’art à la vie c’est l’art qui se banalise, qui devient gratuit, au lieu que la vie
devienne artistique.
Pierre Restany, le concepteur du nouveau réalisme, parle déjà en 1969 de
cette crise de l’art et de la métamorphose de l’artiste qui s’expose au lieu
d’exposer ses œuvres. Dans un article, sous le titre de « l’Anti-carrière ou
les spéculations sur la culture impossible », il écrit : « L’art est sorti de sa
prison dorée pour se vautrer dans le fumier de la contradiction. L’ancienne
hiérarchie des valeurs a été renversée, c’est-à-dire rétablie à l’envers. L’art,
jadis considéré comme la représentation de la beauté, est devenu le langage
du doute, l’esthétique est devenue un arsenal de justifications individuelles.
L’art, privilège de l’intelligence et de l’argent, avait mené l’artiste au ghetto
culturel. Aujourd’hui, tout est art, les distinctions et les barrières abusives
n’existent plus.
(…) Hier l’artiste vendait ses œuvres. Aujourd’hui, il se vend lui-même. On
loue ses services comme les maitresses de maison louent des cuisiniers sup-
plémentaires lorsqu’elles reçoivent : l’artiste est l’extra de la métamorphose.
Il fait l’événement quand il ne se passe rien »5
… Et Michel Ragon conclut
par : « Ne voit-on pas que nous sommes dans une période de vide, de non
5  -  Article publié dans la revue Domus, septembre 1969, cité par Michel Ragon, op.cit. pp. 100-
101.
252
création artistique géniale ? Nous continuons à vivre sur de l’acquis. Nous
sommes tous des suiveurs » 6
2- Les arts d’intégration
Loin de la subversion anti-artistique, et en opposition avec les arts
contestataires, toute une conception esthétique s’acharne à participer
dans la construction du cadre de la vie. Ayant comme sources d’inspiration
le néo-plasticisme de Mondrian et le constructivisme russe, engendrée par
l’abstraction géométrique, elle conçoit l’espace esthétique sans objets, un
espace dans lequel s’agencent des formes ou des volumes géométriques,
stables ou en mouvement.
Tandis que les arts contestataires donnent libre cours à l’expression qui
s’exprime par tous les moyens disponibles, récupèrent l’objet quotidien,
en lui donnant une signification nouvelle, et introduisent le corps humain
comme support de l’expression, tout en se référant au concept et au
message manifestés dans l’œuvre (ou l’anti-œuvre), les arts d’intégration
annihilent tout, ni expression, ni objet, ni corps humain. Ce sont des arts
impersonnels, vides de tout sentiment, dialoguant seulement avec les sens,
tous en introduisant dans la recherche le mouvement et la lumière, ainsi
que le son.
Disciples des productivistes et des maitres du Bauhaus, certains artistes, dès
le début des années 1960, délaissent l’atelier pour réaliser leurs expériences
dans l’usine, imprégnés par la vie industrielle. Voulant démocratiser l’art et le
mettre à la disposition du grand public, ils lancent le mec-art (art mécanique)
qui « contient en effet, par principe, la possibilité de multiplier des originaux
et donc de permettre à chacun d’acquérir pour une somme modique une
véritable œuvre et non plus une simple reproduction »7
.
6  -  Michel Ragon op. cit. p. 116.
7  -  Jean-Luc Chalumeau, op.cit.p.16
253
Ces « artistes producteurs en série », comme ils se nomment, avec la crise
du marché de l’art qui s’annonce déjà, ont trouvé l’occasion favorable pour
faire sortir l’art de son « statut artisanal confidentiel », voulant lui donner
les dimensions d’une nouvelle « industrie culturelle »8
. Cette initiative a été
encouragée par plusieurs galeries qui se sont spécialisées dans l’exposition
et la mise en circulation des « multiples », à Paris, à partir de 1966.
Etant donné que le mec-art, par principe, se travaille en usine, en
collaboration, parfois, de l’artiste et l’ingénieur, étant donné, aussi, que
les ouvriers fabriquent les multiples, sous les directives de l’artiste qui veut
garder l’anonymat, en rejetant toute intervention directe et toute expression
artistique, ne se préoccupant qu’à conjuguer l’espace, le mouvement et
la lumière, on présume que la plupart des expériences du mec art ont été
réalisées par les artistes op et les cinétistes. Parmi les artistes qui ont lancé
cette initiative, en cite Nicolas Schoffer, François Morellet et Takis. Un
caractère collectif a pu rassembler ces artistes et d’autres dans un groupe
éphémère, nommé Groupe de Recherche d’Art Visuel.
Un monde sans objets
Avec l’op art et l’art cinétique, une nouvelle vision esthétique voit le jour;
ses protagonistes ont voulu parvenir à une « nouvelle beauté plastique
mouvante et émouvante », comme l’a exprimé Vasarely, par le biais de la
technologie. Rejetant la toile et le pinceau qu’ils trouvent traditionnels, ainsi
que l’atelier, ces artistes « technologues » travaillent dans des laboratoires
et des usines, utilisant des tubes de néon, des matières plastiques, des
moteurs et des gaz rares.
Se vouant à l’art-spectacle et à l’art intégré dans l’architecture, ils envahissent
les espaces publics et l’environnement, avec leurs créations mouvantes
et leurs machines lumineuses, voulant transformer le cadre de la vie et le
rendre « futuriste », conforme à l’essor scientifique et technologique, d’où
8  -  Op.cit.p.17
254
la naissance de l’esthétique de la communication et de l’environnement,
une esthétique qui touche l’art vidéo, l’art informatique, l’art numérique
et le bio-art. À ce stade, on ne trouve plus de différence entre l’artiste et le
designer, les deux travaillent en collaboration avec l’ingénieur, l’architecte
et les ouvriers, les deux, dans cette option, suivent de près les inventions
scientifiques et industrielles, les deux, également, aiment utiliser dans leurs
multiples et leurs prototypes des matériaux. On ne doit pas s’étonner devant
cette entreprise qui oriente l’art vers la science et l’industrie, puisque ces
deux types de créateurs, l’artiste technologue et le designer industriel, ont
une source d’inspiration commune : le Bauhaus.
Avec les maîtres du Bauhaus, les théories, les cours et les expériences
appliqués par les élèves ont tendu vers l’analyse des couleurs, des formes
et des volumes artistiques, ainsi que l’union des arts de la forme autour du
bâtiment. L’épuration des concepts, à savoir les contrastes, le mouvement,
l’harmonie et la lumière, entre dans les recherches des maîtres théoriciens,
notamment Kandinsky, Paul Klee, Itten, Moholy-Nagy et Albers. Avec
eux, l’art abstrait, surtout dans son courant géométrique, trouve son
épanouissement et son intégration dans l’architecture et le design.
Avec l’art abstrait qui a envahi les centres influents en Europe dès les années
1910, et avec les théories de De Stijl, du constructivisme et du Bauhaus,
se dessine un monde sans objets, impersonnel et universel. De Stijl, avec
Mondrian et Von Doesburg comme théoriciens principaux, a tendu à statiser
les formes et les couleurs, et à les simplifier au minimum,d’où, plus tard,
la naissance du minimalisme. Avec le Bauhaus, l’art abstrait renforce ses
assises comme seul garant d’un art conforme à la vie industrielle. Avec
l’enseignement des maîtres et leurs réalisations menées en collaboration
avec les élèves, le Bauhaus sera connu comme l’initiateur de l’esthétique
industrielle. Mais c’est le constructivisme qui ouvre la voie au dynamisme des
formes et des forces, une voie déjà évoquée naïvement en quelque sorte,
255
par le futurisme. Avec Malevitch comme théoricien du suprématisme, avec
Lissitzky et surtout Gabo, la conception et même le terme d’art cinétique
sont nés. En 1920, dans son Manifeste réaliste, Gabo était contre « l’erreur
millénaire héritée de l’art égyptien, qui voyait dans les rythmes statiques les
seuls éléments de la création plastique », favorisant en outre, les rythmes
cinétiques, « formes essentielles de notre perception du temps réel ». Une
tige d’acier mise en mouvement par un moteur, première œuvre cinétique
de Gabo, datée de la même époque, illustre sa déclaration, créant une
liaison qui ne cesse de se développer, entre l’art, la science et l’industrie.
A la même époque aussi, les premières œuvres liées au cinétisme et à
l’esthétique de la machine, des œuvres tridimensionnelles surtout, sont
nées avec les dadaïstes Marcel Duchamp et Man Ray, avec le construc-
tiviste Tatlin, ainsi qu’avec Moholy-Nagy qui utilise dans ses discours, le
terme « art cinétique ». Parlant des recherches de ce maître du Bauhaus
sur la lumière, l’espace et le mouvement, le critique d’art Frank Popper
décrit une de ses œuvres : « Sa Machine-lumière ou Accessoire lumineux
était non seulement une machine expérimentale en mouvement mais un
modulateur de lumière dont les ombres et les reflets projetés sur les murs
et sur les plafonds présentaient un grand intérêt que l’objet lui-même »9
.  
Mais on doit attendre jusqu’aux années 1950 et 1960, années du
renouvellement dans tous les domaines artistiques, pour que se formulent
l’op’art et l’art cinétique en une autonomie en rapport avec la science et
l’industrie. Malgré les recherches de certains artistes, comme Vasarely
et Soto, sur le mouvement, à partir des effets optiques de superposition
et de transparence, à partir de 1955, l’expression op’art n’est employée
qu’en 1964, par un rédacteur de la revue Time, durant les préparatifs de
l’exposition « The Responsive Eye » (L’œil sensible) au Museum of Modern
Art de New York.
9  -  Histoire de l’art, « Art cinétique et op’art, Alpha Ed, n° 153,1983, Paris, p.170.
256
Dans l’op’art, dont les limites avec l’art cinétique apparaissent assez
confuses, le mouvement est recherché par la répétition des lignes et des
formes géométriques simples, par la superposition de certains graphismes
sur des matières transparentes ou des structures binaires en noir et blanc,
comme chez Vasarely, par des effets moirés, comme chez Soto avant qu’il ne
tende vers le cinétisme tridimensionnel, par des effets optiques découlant
d’un réseau de lignes parallèles, comme chez Bridget Riley, ou par des
expériences optiques et chromatiques, comme chez Agam et Cruz-Diez.
Dans cet art optique, ni l’objet ni le spectateur ne bougent, à la différence de
l’art cinétique dont les recherches, des structures tridimensionnelles, se font
autour des mobiles, des jeux du mouvement et de lumière, des machines
même, sollicitant parfois la participation du spectateur.
A la même époque où se sont développés l’op’art et l’art cinétique, s’est
formé l’art minimal, une tendance de l’abstraction géométrique ; à travers
des séries des Black Paintings, réalisé en 1959-60, Frank Stella est considéré
comme le précurseur de ce mouvement.
D’autres artistes s’y joignent, parmi eux, on cite les peintres Robert Mangold,
Brice Marden et Robert Ryman. Mais la sculpture minimaliste va connaître
un développement plus important, avec Carl André, Mel Bochner, Walta de
Maria, Dan Flavin, Donald Juld, Sol Le-Witt, Robert Morris et Richard Serra.
Dans cet art, les formes sont simplifiées à l’extrême, mais tandis que dans
l’op’art, l’artiste utilise souvent des matériaux non picturaux, dont les
textures donnent une sensation du mouvement, dans l’art minimal, les
matériaux naturels sont exploités.
Une poétique de la technologie
Les grands contrastes qu’on a vus dans la vision artistique, dans les
conceptions et les techniques employées, entre le Dada et le Bauhaus, se
font sentir après la Deuxième Guerre mondiale, entre l’abstraction lyrique
257
et l’abstraction géométrique, pour se faire distinguer encore plus entre les
arts contestataires et les arts d’intégration. Les arts de subversion, ayant
comme source d’inspiration le Dada, s’activent à partir de la libération
totale donnée à l’expression et à l’imagination. Brandissant le flambeau
de la culture, surtout souterraine et marginalisée par les systèmes établis,
violents dans leurs discours et leurs manifestations artistiques, ils se fondent
sur des comportements révolutionnaires, blessants quelquefois, sur des
renouveaux stylistiques, sur des brassages culturels et des recherches
esthétiques radicales.
Par contre, les arts d’intégration, ayant comme source d’inspiration le
Bauhaus en premier lieu, s’activent à partir du contrôle de la pensée par la
raison. Brandissant le drapeau de la civilisation et sa culture officielle, ils
s’appliquent dans les recherches à suivre de près les inventions scientifiques
et les nouveautés dues à la technologie. Eux aussi, se fondent sur des
comportements nouveaux, comme le Bauhaus, ils forment une liaison
avec la vie industrielle et scientifique, espèrant trouver en elle un moyen
de réaliser leurs projets « futuristes ».
Dans ces deux tendances antagoniques, l’artiste refuse son rôle traditionnel,
il refuse même d’être nommé « artiste » ; dans les arts de subversion, il
joue le rôle d’initiateur, de porte-parole de la société des marginalisés et
des révoltés, il est le provocateur par excellence, le trouble-fête. Dans les
arts d’intégration, il ne veut plus être cet artiste passéiste qui réalise des
tableaux avec de la peinture àl’huile et des pinceaux en poils d’animal, il veut
être le « technologue » par excellence, futuriste dans sa vision, ayant accés
aux formules physiques et chimiques, à l’électronique, à la cybernétique
et à l’informatique, utilisant des gaz rares et des rayons laser, réalisant ses
œuvres « impersonnelles » seulement avec son intellect.
La première tendance, anti-artistique et nihiliste, « anéantit la vie moderne,
technologique surtout, et par goût du primitivisme, feuillette l’histoire
258
et l’anthropologie, et cherche à réaliser en notre époque les moments
prospères de l’humain »10
, tandis que la seconde, celle qui veut s’intégrer
dans la vie industrielle et technologique, se prononce pour un monde sans
objets, inhumain, impersonnel, voué à la glorification de la technologie.
«Dans cette conception, l’humain est absent, ou pour être exact, l’homme
en elle est l’objet qui circule dans son monde automatisé »11
.
Certes, les deux tendances convergent dans l’art-spectacle, voulant
faire participer la foule, délaissant parfois la galerie et le musée. Dans
le happening, la peinture corporelle, l’art conceptuel et la performance,
le spectacle sort de l’ordinaire, en devenant souvent blessant et même
obscène; le spectateur cherchant un moment de loisir ou de jouissance
artistique, n’y trouve souvent que de l’horreur en mouvement, que de
la déchéance.
Dans les spectacles aux éléments mobiles, dans le cinétisme, l’art lumi-
nocinétique et l’art cybernétique, le spectacle sort aussi de l’ordinaire; on
entre dans une sphère étrange pleine de mouvement, de son et de lumière,
mais lorsque cette émotion s’achève, on finit par comprendre que ce
n’est qu’une application des formules scientifiques, sans aucune création,
qu’un bricolage inutile de la technologie. Les plus réussies des œuvres de
cet art mouvant tendent vers une « poétique de la technologie », comme
l’a souligné admirablement Michel Ragon, lorsqu’il écrit : « S’il entre en
concurrence avec le monde scientifique, avec le monde technologique,
l’artiste joue perdant. Près des ouvrages extraordinaires de la technique, ses
œuvres apparaissent comme celles d’un bricoleur. Son domaine est ailleurs,
dans l’intuition et non dans le calcul, dans la recherche de la connaissance
et non dans la recherche de l’efficacité »12
.  
10    -  Voir mon ouvrage, Réflexions sur l’art, print diffusion, salé, 1996, p.50.
11  -  Voir mon ouvrage, pour un art contemporain, Folio, Témara 2011, p.116.
12  -  Op.cit.p.63.
259
Il ajoute : « En fait, ce que nous donnent aujourd’hui les seuls artistes
valables préoccupés de technologie (…), ce ne sont pas des inventions
technologiques, mais une « poétique de la technologie »13
.
Cette tendance qui opte pour la glorification de la vie scientifique, mimant
ses inventions, connait des directions très diversifiées. Les plus ludiques
sont les mobiles. Après les contre-reliefs libérés dans l’espace de Tatlin et
les Constructions suspendues de Rodchenko, Calder crée des sculptures
formées de fils et pièces métalliques qui se mettent en mouvement par le
déplacement de l’air.
Plusieurs artistes en Angleterre, en Italie et aux Etats-Unis vont adopter
cette expérience.
Les premières œuvres cinétiques liées à la machine sont dues aux dadaïstes
Marcel Duchamp et Man Ray, aux constructivistes Tatlin et Gabo, ainsi qu’à
Moholy-Nagy, comme on les a cités plus haut. A leur suite, Nicolas Schöffer
met l’accent sur l’espace, la lumière et le temps, dans ses sculptures
spatiales dans lesquelles il introduit la lumière artificielle (lumino-dyna-
misme), comme dans sa Tour spatio-dynamique et cybernétique, érigée
en 1961 à Liège.
Au sujet des mouvements lumineux, Schöffer invente ses télé-lumières, murs
de lumière, prismes et circuits vidéo; Frank Malina et Nino Calos fabriquent
des Tableaux mobiles; Palatnik invente des œuvres ciné-chromatiques.
Parallèlement, Kosice, Raysse, Kowalski et d’autres artistes américains
tendent à utiliser dans leurs œuvres des gaz rares. Dans la même voie,
Nam June Paik travaille sur la déformation des images de télévision, et Tsai
construit des sculptures cybernétiques. Dès les années 1980, des artistes,
tendus vers l’art électronique utilisent des rayons laser.
Poussant dans l’art luminocinétique, des artistes s’engagent à utiliser la
lumière directe, rasante, noire, chromatique, polarisée ou sonore. Cet
13  -  Op.cit.p.64.
260
art, futuriste par excellence, pose des problèmes en ce qui concerne la
spécificité de l’art lui-même. A ce propos, le critique d’art Frank Popper
écrit : « Ce nouvel art qui aura ses propres catégories esthétiques, pose
des problèmes intéressantes : ceux de l’intégration dans l’architecture et
l’urbanisme, de la production industrielle, de la multiplication des images
à l’aide du cinéma, de la télévision et des ordinateurs. Une forme inédite
de spectacle poly sensoriel apparait dans ce nouveau contexte esthétique,
marqué par l’absence de l’œuvre, l’anonymat de l’artiste, l’action et la
créativité du spectateur »14
.
Dans ce nouvel art, dont les protagonistes confirment son adéquation avec
la vie d’aujourd’hui, l’artiste ne crée que l’idée à travers les circuits dans des
lieux publics. Il s’agit pour le spectateur d’agir dans l’œuvre qui se prépare
et qui se transforme par l’action d’autres spectateurs. Dans cette notion de
participation et d’environnement, plusieurs artistes cinétiques s’engagent,
comme Soto avec ses « pénétrables », et Cruz-Diez avec ses cabines de
conditionnement à la couleur (Chromo-saturations pour un lieu public).
Dans le même contexte d’autres travaillent dans l’art numérique interactive,
comme Daniel Razin qui invente des installations interactives ayant la
capacité de changer à la présence du spectateur.
Lors de la troisième biennale de Paris, en 1963, le groupe de Recherche d’art
visuel (GRAV), écrit déjà dans son manifeste :
« Nous voulons intéresser le spectateur, le sortir des inhibitions, le
décontracter. Nous voulons le faire participer.Nous voulons le placer dans
une situation qu’il déclenche et qu’il transforme. Nous voulons qu’il s’oriente
vers une interaction avec d’autres spectateurs. Nous voulons développer
chez le spectateur une forte capacité de perception et d’action ».
14  -  Op.cit.p.185.
261
Art et environnement :
Avec l’éphémérité de l’œuvre, son absence même, avec l’anonymat de
l’artiste, ne participant souvent qu’avec l’idée et l’initiation, assistons-nous
donc à la mort de l’art ? Déjà, en 1965, Abraham Moles écrit avec malaise:
«Serions-nous à la fin d’une longue période de mise en question, d’ex-
périmentation et d’essai, qui aurait abouti, à la limite, à une destruction
totale de la forme artistique ? L’artiste ne lutte plus avec la matière, mais
avec l’idée-ou avec l’administration. Il n’est plus incertain sur sa vie, il est
incertain sur le sens de la vie. Il ne fait plus d’œuvres, il fait des idées pour
faire des œuvres…Il ne décide plus, il expérimente, il corrige, il améliore»15
.
Je ne comprends pas pourquoi on parle de la mort de l’art, dès qu’il y a un
malaise dans la culture ou dans la civilisation. Puisque l’art est créé comme
liaison et équilibre entre la religion et la science, au lieu de l’accabler de tous
les reproches, en bouc-émissaire, dès qu’une crise s’annonce, on doit penser
aussi à la mort de la connaissance, de la science, de la religion ou même
de l’humain. Ne comprend-on pas que les facultés, comme l’expression,
l’imagination et la pensée, nées avec l’homme, ne s’achèvent qu’avec la
disparition de son espèce ? Certes, certaines facultés, nées ou acquises,
peuvent se rétrécir ou s’accroître, selon les besoins de l’homme dans son
environnement et son époque, mais jamais s’éteindre.
Depuis Hegel, on n’a cessé de prédire la mort de l’art, surtout avec l’invention
de la photographie, puis de la télévision et de l’ordinateur. Ce qui meurt
surtout, c’est une vision artistique valable pour une époque, mais qui ne peut
plus s’adapter à une nouvelle époque. L’art reste toujours vivant, évoluant
dans sa destinée, s’aventurant dans des voies inconnues.
Comme l’a médité Hegel, la création dépasse la pensée, mais l’oriente
vers une voie nouvelle, vers un horizon nouveau. C’est la destinée de l’art
aussi; grâce à l’intuition, il reste l’étincelle de toute connaissance nouvelle.
15  -  Cité par Michel Ragon, op. cit. p. 69.

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  • 1. Modifiez le style du titre 1 “ CHAPITRE VI Les nouvelles tendances 1- Les arts contestataires - De la subversion à l’esthétique du chaos 2- Les arts d’intégration - Un monde sans objets - Une poétique de la technologie
  • 2. 247 de la société commerciale, la nouvelle figuration, issue de l’art narratif, a su prendre ses positions contre la bourgeoisie et l’injustice. La nouvelle figuration, dont le terme est apparu dans un essai de l’Allemand Hans Platscheck, en 1959, « Neue Figurationen », puis dans un manifeste, « Nuova Figurazione », signé en 1962 par trois peintres florentins, Antonio Buono, Silvio Loffredo et Alberto Moretti, se situe comme un retour à la figuration, après les années délirantes de l’abstraction gestuelle, mais avec une conception nouvelle, à l’instar du nouveau réalisme. Mais, tandis que ce dernier prend de grandes divergences, s’exprimant avec tous les moyens possibles, la nouvelle figuration semble avoir ses limites propres, se suffisant presque à la peinture comme moyen d’expression. Valerio Adami, Eduardo Arroyo, Henri Cueco et Erro, peintres issus de l’art narratif, comme beaucoup d’autres, se donnent à la « guérilla culturelle » dans cette nouvelle figuration audacieuse qui continue à respecter les codes de la représentation spatiale, tout en perturbant la vision du spectateur, par le cadrage des images qu’elle puise dans les médias et dans l’actualité, par la profusion de ces images mêmes, par l’action critique et féroce qu’elle mène contre l’art bourgeois, en l’exploitant comme support pour sa conception et qu’elle dénonce, à l’instar de Marcel Duchamp ou de Francis Bacon. Arroyo s’est attaqué à l’œuvre de Valasquez, de Goya, de David et de Miro. A ce dernier, il réserve toute une exposition, « Miro refait », en 1969. 4 De la subversion à l’esthétique du chaos La nouvelle figuration, le pop’art et le nouveau réalisme ont donné l’élan, depuis leur développement dans les années 1960, à d’autres mouvements artistiques vivants. Avec le body art (1964), l’art conceptuel (1967), la performance (1969) et le land art (1970), on voit apparaitre l’hyperréalisme en 1965, aux Etats-Unis et en Europe, un mouvement ayant sa parenté avec le pop’art et l’art conceptuel, et qui se situe au-delà des capacités visuelles 4 - Voir Jean-Luc chalumeau, introduction à l’art d’aujourd’hui, Fernand Nathan, 1971,
  • 3. 248 de l’œil, ne donnant aucun intérêt au sujet, qu’il traite, toutefois, selon une vision photographique froide. Trouvant son origine dans le Dada et sa parenté avec l’art conceptuel, l’art pauvre est né en 1967, en Italie puis en Europe. Sa production antiartistique est réalisée avec des matériaux quotidiens aculturels et périssables, dont le but provocateur est de rétablir un contact direct entre l’artiste et l’œuvre, et de perturber le goût artistique déjà habitué au choc. Suivant ses pas, et tout en développant l’aspect périssable, éphémère et organique des composantes de l’œuvre, le post minimalisme est apparu en 1969, aux Etats-Unis et en Europe, un mouvement provocateur aussi, qui s’oppose au caractère impersonnel et au formalisme du minimalisme. A l’instar de ce mouvement, le néo-expressionnisme est apparu en Allemagne et en Italie dans les années 1970, s’affirmant ensuite en Europe, aux Etats-Unis et en Australie. Pour certains, c’est le premier mouvement qui a supplanté par sa force la notoriété du pop’art et du nouveau réalisme ; pour d’autres, surtout les artistes allemands et italiens, l’art a retrouvé son énergie vitale d’avant les deux guerres. Pourtant, ce mouvement à l’expression violente a réagi contre l’art conceptuel, contre les installations et les performances, voulant retourner aux formes traditionnelles de la peinture et de la sculpture, tout en tendant vers le collage dada et néo-dada, vers les matières hétéroclites et la peinture sauvage. De là, on peut dire que la source originelle du néo-expressionnisme se retrouve dans l’expressionnisme allemand lui-même ; d’ailleurs, il a lié sa parenté avec la Neue Wilde (Nouveaux fauves), la Bad Painting américaine et la Trans avant-garde italienne. Avec ses élans violents et souvent aléatoires, ce mouvement provocateur qui retourne à la peinture de chevalet, provoque la naissance de plusieurs mouvements éphémères, dans les années 1980,
  • 4. 249 comme la peinture libre, la peinture sauvage, la figuration sauvage et le graffiti, fabriquant aussi, grâce à la spéculation du marché de l’art florissant à cette époque, des stars également éphémères, comme Baselitz, Basquiat, Schnabel et d’autres. La crise de l’art apparue après la guerre de l’Irak et la crise du pétrole, menaçantes avec la montrée violente du terrorisme en 2001, a obligé les artistes, les critiques d’art et les experts, à revoir les conceptions contestataires surgies en raz-de-marée après le déchainement Dada, à méditer sur cette esthétique du chaos et sur ce concept de la ruine qui ont bouleversé la destinée de l’art. Pourtant cette création, ou plutôt cette anti-création de plus en plus aléatoire et chaotique, depuis les années 1960, et même depuis les années 1950, années de l’automatisme et du délire lyriques, reste le reflet d’une longue époque angoissée et tourmentée, aux agitations aléatoires. Le concept de la destruction élaboré par les dadaïstes, en annihilant les valeurs de la bourgeoisie industrielle, a défriché les champs artistiques, favorisant ainsi l’éclosion d’une vision nouvelle basée sur l’imaginaire et la libération totale de la pensée. Progressivement, alors, un nouveau art s’élabore durant la Deuxième Guerre mondiale, basé sur le délire de l’époque, élémentaire. Pour l’Europe, l’abstraction lyrique est une expression du tragique, une révélation délirante de l’horreur vécue, mais aussi une arme de résistance contre le totalitarisme. Pour cette raison, la plupart des pays colonisés en cette époque noire vont adopter ce courant abstrait, en gagnant leur autonomie, réagissant contre les pays impérialistes. En somme, pour l’Europe et certains pays du Tiers-Monde, l’abstraction lyrique constitue une rupture avec un ordre établi, un renouvellement d’un art, selon le legs culturel de chaque pays.
  • 5. 250 Pour les Américains, l’expressionnisme abstrait, qui entre dans ce courant lyrique, constitue le début d’un parcours, l’éclosion d’une aventure typique qu’ils veulent brandir comme art national, à l’instar du jazz. L’expression du tragique, du délire et de l’angoisse en Europe, devient chez les artistes américains l’extériorisation de la sensation avec laquelle débute tout art. Ainsi, l’élémentarisme constitue le premier dialogue commun entre la plupart des artistes novateurs en cette époque. Seulement, les Américains, dans cette sensation, ont valorisé l’automatisme surréaliste, et surtout l’aléatoire et le hasard, ne se préoccupant que des techniques artistiques qui mettent en valeur la sensation apparente, négligeant ainsi les concepts culturels, fondateurs de tout art. La même aventure va se renouveler dans les années 1960. Pendant que la nouvelle figuration et le nouveau réalisme s’élaborent en mouvements contestataires, se basant sur les conceptions anti artistiques et la « guérilla culturelle », s’engageant avec violence contre l’impérialisme et la société commerciale, le pop’art et l’hyperréalisme après lui deviennent l’écho froid de la société de consommation, refusant de s’engager dans cette vie, ne voulant que voir ce qui les entoure et le transcrire, sans aucune expression. Seuls le néo-dada et les mouvements qu’il provoquera avec le nouveau réalisme et l’art conceptuel, comme le happening, la performance, le land art et le post minimalisme, ainsi que d’autres tendances artistiques basés sur le concept, s’ouvriront sur l’expression et la contestation, trouvant un dialogue homogène dans la scène internationale. Ce dialogue homogène est voué à la contestation et à la subversion, héritées du nihilisme dada. L’anti-art et l’anti-carrière que les artistes du choc brandissent, sont à l’origine de l’esthétique du chaos. Les démarches artistiques depuis les années 1960, convergent, en général, sur le concept de la ruine. Les compressions de César, la casse accumulée d’Arman, les machines auto destructrices de Tinguily, les affiches lacérées d’Hains et
  • 6. 251 Villeglé, la culture du déchêt de Rauschenberg à Schnabel, les boucheries exprimées par les quartiers de viande de Bacon et les formes disloquées du néo-expressionnisme ne sont qu’une révélation du drame de l’époque. Mais le choc brandi par cet anti-art est refroidi, lorsque l’invendable est entré dans le marché de l’art, lorsque le produit nihiliste est récupéré par les musées et les galeries, attirant vers lui les pseudo-artistes et les charlatans. Tout est devenu art, même le tas d’ordures et le bric-à-brac posés en une installation sans nom ou assemblés et accrochés au mur. Voulant relier l’art à la vie c’est l’art qui se banalise, qui devient gratuit, au lieu que la vie devienne artistique. Pierre Restany, le concepteur du nouveau réalisme, parle déjà en 1969 de cette crise de l’art et de la métamorphose de l’artiste qui s’expose au lieu d’exposer ses œuvres. Dans un article, sous le titre de « l’Anti-carrière ou les spéculations sur la culture impossible », il écrit : « L’art est sorti de sa prison dorée pour se vautrer dans le fumier de la contradiction. L’ancienne hiérarchie des valeurs a été renversée, c’est-à-dire rétablie à l’envers. L’art, jadis considéré comme la représentation de la beauté, est devenu le langage du doute, l’esthétique est devenue un arsenal de justifications individuelles. L’art, privilège de l’intelligence et de l’argent, avait mené l’artiste au ghetto culturel. Aujourd’hui, tout est art, les distinctions et les barrières abusives n’existent plus. (…) Hier l’artiste vendait ses œuvres. Aujourd’hui, il se vend lui-même. On loue ses services comme les maitresses de maison louent des cuisiniers sup- plémentaires lorsqu’elles reçoivent : l’artiste est l’extra de la métamorphose. Il fait l’événement quand il ne se passe rien »5 … Et Michel Ragon conclut par : « Ne voit-on pas que nous sommes dans une période de vide, de non 5 - Article publié dans la revue Domus, septembre 1969, cité par Michel Ragon, op.cit. pp. 100- 101.
  • 7. 252 création artistique géniale ? Nous continuons à vivre sur de l’acquis. Nous sommes tous des suiveurs » 6 2- Les arts d’intégration Loin de la subversion anti-artistique, et en opposition avec les arts contestataires, toute une conception esthétique s’acharne à participer dans la construction du cadre de la vie. Ayant comme sources d’inspiration le néo-plasticisme de Mondrian et le constructivisme russe, engendrée par l’abstraction géométrique, elle conçoit l’espace esthétique sans objets, un espace dans lequel s’agencent des formes ou des volumes géométriques, stables ou en mouvement. Tandis que les arts contestataires donnent libre cours à l’expression qui s’exprime par tous les moyens disponibles, récupèrent l’objet quotidien, en lui donnant une signification nouvelle, et introduisent le corps humain comme support de l’expression, tout en se référant au concept et au message manifestés dans l’œuvre (ou l’anti-œuvre), les arts d’intégration annihilent tout, ni expression, ni objet, ni corps humain. Ce sont des arts impersonnels, vides de tout sentiment, dialoguant seulement avec les sens, tous en introduisant dans la recherche le mouvement et la lumière, ainsi que le son. Disciples des productivistes et des maitres du Bauhaus, certains artistes, dès le début des années 1960, délaissent l’atelier pour réaliser leurs expériences dans l’usine, imprégnés par la vie industrielle. Voulant démocratiser l’art et le mettre à la disposition du grand public, ils lancent le mec-art (art mécanique) qui « contient en effet, par principe, la possibilité de multiplier des originaux et donc de permettre à chacun d’acquérir pour une somme modique une véritable œuvre et non plus une simple reproduction »7 . 6 - Michel Ragon op. cit. p. 116. 7 - Jean-Luc Chalumeau, op.cit.p.16
  • 8. 253 Ces « artistes producteurs en série », comme ils se nomment, avec la crise du marché de l’art qui s’annonce déjà, ont trouvé l’occasion favorable pour faire sortir l’art de son « statut artisanal confidentiel », voulant lui donner les dimensions d’une nouvelle « industrie culturelle »8 . Cette initiative a été encouragée par plusieurs galeries qui se sont spécialisées dans l’exposition et la mise en circulation des « multiples », à Paris, à partir de 1966. Etant donné que le mec-art, par principe, se travaille en usine, en collaboration, parfois, de l’artiste et l’ingénieur, étant donné, aussi, que les ouvriers fabriquent les multiples, sous les directives de l’artiste qui veut garder l’anonymat, en rejetant toute intervention directe et toute expression artistique, ne se préoccupant qu’à conjuguer l’espace, le mouvement et la lumière, on présume que la plupart des expériences du mec art ont été réalisées par les artistes op et les cinétistes. Parmi les artistes qui ont lancé cette initiative, en cite Nicolas Schoffer, François Morellet et Takis. Un caractère collectif a pu rassembler ces artistes et d’autres dans un groupe éphémère, nommé Groupe de Recherche d’Art Visuel. Un monde sans objets Avec l’op art et l’art cinétique, une nouvelle vision esthétique voit le jour; ses protagonistes ont voulu parvenir à une « nouvelle beauté plastique mouvante et émouvante », comme l’a exprimé Vasarely, par le biais de la technologie. Rejetant la toile et le pinceau qu’ils trouvent traditionnels, ainsi que l’atelier, ces artistes « technologues » travaillent dans des laboratoires et des usines, utilisant des tubes de néon, des matières plastiques, des moteurs et des gaz rares. Se vouant à l’art-spectacle et à l’art intégré dans l’architecture, ils envahissent les espaces publics et l’environnement, avec leurs créations mouvantes et leurs machines lumineuses, voulant transformer le cadre de la vie et le rendre « futuriste », conforme à l’essor scientifique et technologique, d’où 8 - Op.cit.p.17
  • 9. 254 la naissance de l’esthétique de la communication et de l’environnement, une esthétique qui touche l’art vidéo, l’art informatique, l’art numérique et le bio-art. À ce stade, on ne trouve plus de différence entre l’artiste et le designer, les deux travaillent en collaboration avec l’ingénieur, l’architecte et les ouvriers, les deux, dans cette option, suivent de près les inventions scientifiques et industrielles, les deux, également, aiment utiliser dans leurs multiples et leurs prototypes des matériaux. On ne doit pas s’étonner devant cette entreprise qui oriente l’art vers la science et l’industrie, puisque ces deux types de créateurs, l’artiste technologue et le designer industriel, ont une source d’inspiration commune : le Bauhaus. Avec les maîtres du Bauhaus, les théories, les cours et les expériences appliqués par les élèves ont tendu vers l’analyse des couleurs, des formes et des volumes artistiques, ainsi que l’union des arts de la forme autour du bâtiment. L’épuration des concepts, à savoir les contrastes, le mouvement, l’harmonie et la lumière, entre dans les recherches des maîtres théoriciens, notamment Kandinsky, Paul Klee, Itten, Moholy-Nagy et Albers. Avec eux, l’art abstrait, surtout dans son courant géométrique, trouve son épanouissement et son intégration dans l’architecture et le design. Avec l’art abstrait qui a envahi les centres influents en Europe dès les années 1910, et avec les théories de De Stijl, du constructivisme et du Bauhaus, se dessine un monde sans objets, impersonnel et universel. De Stijl, avec Mondrian et Von Doesburg comme théoriciens principaux, a tendu à statiser les formes et les couleurs, et à les simplifier au minimum,d’où, plus tard, la naissance du minimalisme. Avec le Bauhaus, l’art abstrait renforce ses assises comme seul garant d’un art conforme à la vie industrielle. Avec l’enseignement des maîtres et leurs réalisations menées en collaboration avec les élèves, le Bauhaus sera connu comme l’initiateur de l’esthétique industrielle. Mais c’est le constructivisme qui ouvre la voie au dynamisme des formes et des forces, une voie déjà évoquée naïvement en quelque sorte,
  • 10. 255 par le futurisme. Avec Malevitch comme théoricien du suprématisme, avec Lissitzky et surtout Gabo, la conception et même le terme d’art cinétique sont nés. En 1920, dans son Manifeste réaliste, Gabo était contre « l’erreur millénaire héritée de l’art égyptien, qui voyait dans les rythmes statiques les seuls éléments de la création plastique », favorisant en outre, les rythmes cinétiques, « formes essentielles de notre perception du temps réel ». Une tige d’acier mise en mouvement par un moteur, première œuvre cinétique de Gabo, datée de la même époque, illustre sa déclaration, créant une liaison qui ne cesse de se développer, entre l’art, la science et l’industrie. A la même époque aussi, les premières œuvres liées au cinétisme et à l’esthétique de la machine, des œuvres tridimensionnelles surtout, sont nées avec les dadaïstes Marcel Duchamp et Man Ray, avec le construc- tiviste Tatlin, ainsi qu’avec Moholy-Nagy qui utilise dans ses discours, le terme « art cinétique ». Parlant des recherches de ce maître du Bauhaus sur la lumière, l’espace et le mouvement, le critique d’art Frank Popper décrit une de ses œuvres : « Sa Machine-lumière ou Accessoire lumineux était non seulement une machine expérimentale en mouvement mais un modulateur de lumière dont les ombres et les reflets projetés sur les murs et sur les plafonds présentaient un grand intérêt que l’objet lui-même »9 . Mais on doit attendre jusqu’aux années 1950 et 1960, années du renouvellement dans tous les domaines artistiques, pour que se formulent l’op’art et l’art cinétique en une autonomie en rapport avec la science et l’industrie. Malgré les recherches de certains artistes, comme Vasarely et Soto, sur le mouvement, à partir des effets optiques de superposition et de transparence, à partir de 1955, l’expression op’art n’est employée qu’en 1964, par un rédacteur de la revue Time, durant les préparatifs de l’exposition « The Responsive Eye » (L’œil sensible) au Museum of Modern Art de New York. 9 - Histoire de l’art, « Art cinétique et op’art, Alpha Ed, n° 153,1983, Paris, p.170.
  • 11. 256 Dans l’op’art, dont les limites avec l’art cinétique apparaissent assez confuses, le mouvement est recherché par la répétition des lignes et des formes géométriques simples, par la superposition de certains graphismes sur des matières transparentes ou des structures binaires en noir et blanc, comme chez Vasarely, par des effets moirés, comme chez Soto avant qu’il ne tende vers le cinétisme tridimensionnel, par des effets optiques découlant d’un réseau de lignes parallèles, comme chez Bridget Riley, ou par des expériences optiques et chromatiques, comme chez Agam et Cruz-Diez. Dans cet art optique, ni l’objet ni le spectateur ne bougent, à la différence de l’art cinétique dont les recherches, des structures tridimensionnelles, se font autour des mobiles, des jeux du mouvement et de lumière, des machines même, sollicitant parfois la participation du spectateur. A la même époque où se sont développés l’op’art et l’art cinétique, s’est formé l’art minimal, une tendance de l’abstraction géométrique ; à travers des séries des Black Paintings, réalisé en 1959-60, Frank Stella est considéré comme le précurseur de ce mouvement. D’autres artistes s’y joignent, parmi eux, on cite les peintres Robert Mangold, Brice Marden et Robert Ryman. Mais la sculpture minimaliste va connaître un développement plus important, avec Carl André, Mel Bochner, Walta de Maria, Dan Flavin, Donald Juld, Sol Le-Witt, Robert Morris et Richard Serra. Dans cet art, les formes sont simplifiées à l’extrême, mais tandis que dans l’op’art, l’artiste utilise souvent des matériaux non picturaux, dont les textures donnent une sensation du mouvement, dans l’art minimal, les matériaux naturels sont exploités. Une poétique de la technologie Les grands contrastes qu’on a vus dans la vision artistique, dans les conceptions et les techniques employées, entre le Dada et le Bauhaus, se font sentir après la Deuxième Guerre mondiale, entre l’abstraction lyrique
  • 12. 257 et l’abstraction géométrique, pour se faire distinguer encore plus entre les arts contestataires et les arts d’intégration. Les arts de subversion, ayant comme source d’inspiration le Dada, s’activent à partir de la libération totale donnée à l’expression et à l’imagination. Brandissant le flambeau de la culture, surtout souterraine et marginalisée par les systèmes établis, violents dans leurs discours et leurs manifestations artistiques, ils se fondent sur des comportements révolutionnaires, blessants quelquefois, sur des renouveaux stylistiques, sur des brassages culturels et des recherches esthétiques radicales. Par contre, les arts d’intégration, ayant comme source d’inspiration le Bauhaus en premier lieu, s’activent à partir du contrôle de la pensée par la raison. Brandissant le drapeau de la civilisation et sa culture officielle, ils s’appliquent dans les recherches à suivre de près les inventions scientifiques et les nouveautés dues à la technologie. Eux aussi, se fondent sur des comportements nouveaux, comme le Bauhaus, ils forment une liaison avec la vie industrielle et scientifique, espèrant trouver en elle un moyen de réaliser leurs projets « futuristes ». Dans ces deux tendances antagoniques, l’artiste refuse son rôle traditionnel, il refuse même d’être nommé « artiste » ; dans les arts de subversion, il joue le rôle d’initiateur, de porte-parole de la société des marginalisés et des révoltés, il est le provocateur par excellence, le trouble-fête. Dans les arts d’intégration, il ne veut plus être cet artiste passéiste qui réalise des tableaux avec de la peinture àl’huile et des pinceaux en poils d’animal, il veut être le « technologue » par excellence, futuriste dans sa vision, ayant accés aux formules physiques et chimiques, à l’électronique, à la cybernétique et à l’informatique, utilisant des gaz rares et des rayons laser, réalisant ses œuvres « impersonnelles » seulement avec son intellect. La première tendance, anti-artistique et nihiliste, « anéantit la vie moderne, technologique surtout, et par goût du primitivisme, feuillette l’histoire
  • 13. 258 et l’anthropologie, et cherche à réaliser en notre époque les moments prospères de l’humain »10 , tandis que la seconde, celle qui veut s’intégrer dans la vie industrielle et technologique, se prononce pour un monde sans objets, inhumain, impersonnel, voué à la glorification de la technologie. «Dans cette conception, l’humain est absent, ou pour être exact, l’homme en elle est l’objet qui circule dans son monde automatisé »11 . Certes, les deux tendances convergent dans l’art-spectacle, voulant faire participer la foule, délaissant parfois la galerie et le musée. Dans le happening, la peinture corporelle, l’art conceptuel et la performance, le spectacle sort de l’ordinaire, en devenant souvent blessant et même obscène; le spectateur cherchant un moment de loisir ou de jouissance artistique, n’y trouve souvent que de l’horreur en mouvement, que de la déchéance. Dans les spectacles aux éléments mobiles, dans le cinétisme, l’art lumi- nocinétique et l’art cybernétique, le spectacle sort aussi de l’ordinaire; on entre dans une sphère étrange pleine de mouvement, de son et de lumière, mais lorsque cette émotion s’achève, on finit par comprendre que ce n’est qu’une application des formules scientifiques, sans aucune création, qu’un bricolage inutile de la technologie. Les plus réussies des œuvres de cet art mouvant tendent vers une « poétique de la technologie », comme l’a souligné admirablement Michel Ragon, lorsqu’il écrit : « S’il entre en concurrence avec le monde scientifique, avec le monde technologique, l’artiste joue perdant. Près des ouvrages extraordinaires de la technique, ses œuvres apparaissent comme celles d’un bricoleur. Son domaine est ailleurs, dans l’intuition et non dans le calcul, dans la recherche de la connaissance et non dans la recherche de l’efficacité »12 . 10 - Voir mon ouvrage, Réflexions sur l’art, print diffusion, salé, 1996, p.50. 11 - Voir mon ouvrage, pour un art contemporain, Folio, Témara 2011, p.116. 12 - Op.cit.p.63.
  • 14. 259 Il ajoute : « En fait, ce que nous donnent aujourd’hui les seuls artistes valables préoccupés de technologie (…), ce ne sont pas des inventions technologiques, mais une « poétique de la technologie »13 . Cette tendance qui opte pour la glorification de la vie scientifique, mimant ses inventions, connait des directions très diversifiées. Les plus ludiques sont les mobiles. Après les contre-reliefs libérés dans l’espace de Tatlin et les Constructions suspendues de Rodchenko, Calder crée des sculptures formées de fils et pièces métalliques qui se mettent en mouvement par le déplacement de l’air. Plusieurs artistes en Angleterre, en Italie et aux Etats-Unis vont adopter cette expérience. Les premières œuvres cinétiques liées à la machine sont dues aux dadaïstes Marcel Duchamp et Man Ray, aux constructivistes Tatlin et Gabo, ainsi qu’à Moholy-Nagy, comme on les a cités plus haut. A leur suite, Nicolas Schöffer met l’accent sur l’espace, la lumière et le temps, dans ses sculptures spatiales dans lesquelles il introduit la lumière artificielle (lumino-dyna- misme), comme dans sa Tour spatio-dynamique et cybernétique, érigée en 1961 à Liège. Au sujet des mouvements lumineux, Schöffer invente ses télé-lumières, murs de lumière, prismes et circuits vidéo; Frank Malina et Nino Calos fabriquent des Tableaux mobiles; Palatnik invente des œuvres ciné-chromatiques. Parallèlement, Kosice, Raysse, Kowalski et d’autres artistes américains tendent à utiliser dans leurs œuvres des gaz rares. Dans la même voie, Nam June Paik travaille sur la déformation des images de télévision, et Tsai construit des sculptures cybernétiques. Dès les années 1980, des artistes, tendus vers l’art électronique utilisent des rayons laser. Poussant dans l’art luminocinétique, des artistes s’engagent à utiliser la lumière directe, rasante, noire, chromatique, polarisée ou sonore. Cet 13 - Op.cit.p.64.
  • 15. 260 art, futuriste par excellence, pose des problèmes en ce qui concerne la spécificité de l’art lui-même. A ce propos, le critique d’art Frank Popper écrit : « Ce nouvel art qui aura ses propres catégories esthétiques, pose des problèmes intéressantes : ceux de l’intégration dans l’architecture et l’urbanisme, de la production industrielle, de la multiplication des images à l’aide du cinéma, de la télévision et des ordinateurs. Une forme inédite de spectacle poly sensoriel apparait dans ce nouveau contexte esthétique, marqué par l’absence de l’œuvre, l’anonymat de l’artiste, l’action et la créativité du spectateur »14 . Dans ce nouvel art, dont les protagonistes confirment son adéquation avec la vie d’aujourd’hui, l’artiste ne crée que l’idée à travers les circuits dans des lieux publics. Il s’agit pour le spectateur d’agir dans l’œuvre qui se prépare et qui se transforme par l’action d’autres spectateurs. Dans cette notion de participation et d’environnement, plusieurs artistes cinétiques s’engagent, comme Soto avec ses « pénétrables », et Cruz-Diez avec ses cabines de conditionnement à la couleur (Chromo-saturations pour un lieu public). Dans le même contexte d’autres travaillent dans l’art numérique interactive, comme Daniel Razin qui invente des installations interactives ayant la capacité de changer à la présence du spectateur. Lors de la troisième biennale de Paris, en 1963, le groupe de Recherche d’art visuel (GRAV), écrit déjà dans son manifeste : « Nous voulons intéresser le spectateur, le sortir des inhibitions, le décontracter. Nous voulons le faire participer.Nous voulons le placer dans une situation qu’il déclenche et qu’il transforme. Nous voulons qu’il s’oriente vers une interaction avec d’autres spectateurs. Nous voulons développer chez le spectateur une forte capacité de perception et d’action ». 14 - Op.cit.p.185.
  • 16. 261 Art et environnement : Avec l’éphémérité de l’œuvre, son absence même, avec l’anonymat de l’artiste, ne participant souvent qu’avec l’idée et l’initiation, assistons-nous donc à la mort de l’art ? Déjà, en 1965, Abraham Moles écrit avec malaise: «Serions-nous à la fin d’une longue période de mise en question, d’ex- périmentation et d’essai, qui aurait abouti, à la limite, à une destruction totale de la forme artistique ? L’artiste ne lutte plus avec la matière, mais avec l’idée-ou avec l’administration. Il n’est plus incertain sur sa vie, il est incertain sur le sens de la vie. Il ne fait plus d’œuvres, il fait des idées pour faire des œuvres…Il ne décide plus, il expérimente, il corrige, il améliore»15 . Je ne comprends pas pourquoi on parle de la mort de l’art, dès qu’il y a un malaise dans la culture ou dans la civilisation. Puisque l’art est créé comme liaison et équilibre entre la religion et la science, au lieu de l’accabler de tous les reproches, en bouc-émissaire, dès qu’une crise s’annonce, on doit penser aussi à la mort de la connaissance, de la science, de la religion ou même de l’humain. Ne comprend-on pas que les facultés, comme l’expression, l’imagination et la pensée, nées avec l’homme, ne s’achèvent qu’avec la disparition de son espèce ? Certes, certaines facultés, nées ou acquises, peuvent se rétrécir ou s’accroître, selon les besoins de l’homme dans son environnement et son époque, mais jamais s’éteindre. Depuis Hegel, on n’a cessé de prédire la mort de l’art, surtout avec l’invention de la photographie, puis de la télévision et de l’ordinateur. Ce qui meurt surtout, c’est une vision artistique valable pour une époque, mais qui ne peut plus s’adapter à une nouvelle époque. L’art reste toujours vivant, évoluant dans sa destinée, s’aventurant dans des voies inconnues. Comme l’a médité Hegel, la création dépasse la pensée, mais l’oriente vers une voie nouvelle, vers un horizon nouveau. C’est la destinée de l’art aussi; grâce à l’intuition, il reste l’étincelle de toute connaissance nouvelle. 15 - Cité par Michel Ragon, op. cit. p. 69.