1. L’Asie du Sud et de l’Est : les enjeux de la croissance
Séquence 2 :
Japon-Chine : concurrence régionales, ambitions mondiales
Introduction :
Le Japon et la Chine sont deux puissances majeures en Asie, mais aussi à l’échelle mondiale. Le Japon fait partie de
la Triade et constitue la 3ème puissance économique mondiale tandis que la Chine, première puissance émergente
du monde, s’est hissée en 2014 à la première place, devant les Etats-Unis.
Les rivalités et les tensions entre les deux pays sont importantes pour des raisons historiques (la mémoire de la
Seconde Guerre mondiale est toujours très présente), politiques (démocratie/régime communiste), géostratégiques
et économiques.
Dans le cadre de la mondialisation, les deux pays souhaitent renforcer leurs ambitions mondiales, ce qui les rend
concurrents à l’échelle régionale.
Nous pouvons donc nous demander comment se manifestent les rivalités entre le Japon et la Chine
à l’échelle régionale et mondiale.
I. Deux pôles concurrents à l’échelle de l’Asie
1) Des rivaux économiques mais de plus en plus interdépendants
La Chine et le Japon réalisent environ 70 % du PIB de l’Asie.
Le Japon est le pays d’Asie le plus anciennement développé et industrialisé (depuis le développement
économique de l’ère Meiji à la fin du XIXème siècle). Le Japon est sorti ruiné de la Seconde Guerre mondiale
mais bénéficie de l’aide américaine pour se reconstruire. Du début des années 50 jusqu’aux années 80, le
Japon connaît une phase de très forte croissance (le « miracle japonais ») lui permettant de devenir la
2ème puissance mondiale (3ème aujourd’hui). La puissance de l’économie japonaise repose sur l’industrie,
l’innovation dans le domaine des hautes technologies (R&D) et la finance.
La Chine communiste a rapidement rattrapé son retard depuis une trentaine d’années grâce au socialisme
de marché qui a fait d’elle « l’atelier du monde » grâce à une politique d’ouverture du territoire aux IDE,
attirés par la main d’œuvre bon marché. Aujourd’hui, le poids économique de la Chine est supérieur à celui
du Japon et son économie est davantage tournée vers la production de biens à plus forte valeur ajoutée
grâce à des investissements croissants dans le R&D (recherche et développement), ce qui laisse entrevoir
une concurrence accrue entre les deux pays sur le marché des produits de haute technologie.
Malgré cette concurrence économique, le Japon et la Chine sont de plus en plus interdépendants :
Les relations commerciales entre les deux pays sont très importantes. Le Japon exporte vers la Chine des
biens de haute technologie et importe en retour des produits de plus faible valeur ajoutée. Environ 1/5ème
du commerce extérieur de la Chine a lieu avec le Japon. Par ailleurs, les importations de la Chine se font
principalement du Japon (13 %). L’ouverture de la Chine au commerce internationale a permis de multiplier
par 300 les échanges entre les deux pays.
A la fin des années 90, la Chine et le Japon se sont associés à l’ASEAN dans le cadre du partenariat ASEAN+3
(Chine, Japon, Corée du Sud), puis en 2001 la Chine a rejoint l’OMC, ce qui a contribué à stimuler le
commerce.
2. Les investissements entre les deux pays sont également très importants : le Japon a été le 1er pays à investir
en Chine lorsque son territoire a été ouvert aux capitaux étrangers et demeure aujourd’hui le plus important
investisseur étranger. Les entreprises japonaises trouvent une main-d’œuvre moins chère en Chine, les
entreprises chinoises trouvent au Japon un secteur de la R&D plus performant.
Les flux migratoires se sont multipliés (étudiants, cadres, ingénieurs). Beaucoup de jeunes Chinois vont
étudier au Japon ou s’y installent pour le compte des transnationales chinoises, ils sont aujourd’hui plus de
500 000. Les Japonais en Chine sont cinq fois moins nombreux.
2) Des rivalités diplomatiques et géostratégiques
Les différends mémoriels sont anciens et profonds et contribuent à entretenir un climat de tensions entre les deux
pays :
A propos de la défaite chinoise de 1895 contre le Japon
A propos de l’annexion de la Mandchourie en 1931 par le Japon puis de l’invasion du reste de la Chine en
1937.
Plus particulièrement à propos du massacre de Nankin en 1937 par l’armée japonaise (200 000 victimes
civiles)
La Chine demande régulièrement des excuses au Japon que celui-ci a, en partie, formalisées en 1972 lorsque les
deux pays ont établi des relations diplomatiques. Cependant, les contentieux historiques entre les deux pays se
rallument fréquemment, comme en 2005 lors de la parution de nouveaux manuels d’histoire au Japon qui passent
sous silence les massacres perpétrés par l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale (notamment celui
de Nankin).
Ces différends mémoriels justifient et s’ajoutent à des rivalités géostratégiques autour des frontières maritimes, et
principalement au sujet des îles Senkaku qui continuent d’être revendiquées par la Chine en raison de ses
ressources halieutiques et d’hydrocarbures. Les tensions autour de ces îles se sont mêmes accrues en 2016.
Ces tensions justifient de part et d’autre un renforcement des capacités militaires des deux pays, notamment dans
le domaine naval et aérien.
Dans ce contexte, la crainte d’une « menace chinoise » favorise au Japon le resserrement de son alliance avec les
Etats-Unis alors que la Chine, qui se veut une puissance régionale régentant la zone en dehors de toute ingérence
(intervention dans un espace menée par une puissance extérieure à cet espace) étrangère, se sert des sentiments
antijaponais enracinés dans certains pays voisins (notamment en Corée qui a également subi l’occupation
japonaise) pour affaiblir l’influence du Japon dans la région.
II. Des ambitions mondiales très différentes
1) Deux puissances de rang mondial…
Economiquement : La Chine et le Japon représentent 20 % du PIB mondial (1ère et 3ème puissances
économiques mondiales).
La Chine est le 1er exportateur mondial (11,5 % des exportations mondiales) mais reste très
dépendante de son commerce extérieur. Elle est une plate-forme d’assemblage de produits
fabriqués ailleurs, ce qui en fait le premier importateur mondial depuis 2009. Elle l’oblige à
s’approvisionner en matières premières (Afrique, Asie centrale et Moyen-Orient).
Le Japon demeure une puissance économique majeure malgré un taux de croissance qui stagne
depuis 20 ans. Il produit presque autant que la Chine avec douze fois moins d’actifs. Son industrie
possède 45% du parc mondial de robots. Il dispose d’un nombre de FTN plus important que la Chine.
Les deux pays investissent massivement à l’étranger. Le patrimoine japonais à l’étranger, qui s’élève à 2 500
milliards de dollars, rapporte bien plus que le commerce extérieur. La Chine a multiplié ses IDE par 20 depuis
2000. Toutes les régions du monde et tous les secteurs d’activités sont concernés : terres agricoles en
Afrique et en Amérique latine, entreprises aux Etats-Unis et en Europe... La Chine et le Japon sont devenus
les premiers banquiers des Etats-Unis dont ils détiennent en 2011 45,7 % des bons du Trésor (titres émis
pour financer le déficit budgétaire).
3. Culturellement : Les deux pays misent sur leur Softpower pour s’affirmer à l’échelle mondiale.
La Chine essaie de s’affirmer dans le domaine culturel : multiplication des instituts Confucius à
travers le monde destinés à promouvoir la langue et la culture chinoise, organisation d’évènements
internationaux de grande ampleur (JO de Pékin en 2008, Exposition universelle à Shanghai en 2010),
cinéma... . La Chine s’appuie également sur l’importance de sa diaspora (50 millions de chinois
installés dans 150 pays) pour relayer son influence et protéger ses intérêts à l’échelle mondiale.
Le Japon s’appuie stratégie du Cool Japan (nom donné au Softpower japonais qui exerce son
influence mondiale à travers l’exportation de produits culturels de masse) grâce au succès mondial
des mangas, jeux vidéo, sushis…
2) …mais incomplètes et vulnérables
Malgré leur puissance économique et culturelle, la Chine et le Japon sont des puissances incomplètes et
vulnérables.
Politiquement : Les deux pays sont des « nains politiques ».
Le Japon ne dispose pas de siège au Conseil de sécurité de l’ONU en raison de son rôle durant la
Seconde Guerre mondiale et sa politique étrangère se limite à la défense de ses intérêts en Asie
orientale ainsi qu’à quelques récentes participations à des opérations de maintien de la paix (Irak,
Afghanistan…).
La Chine, malgré son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, est longtemps restée à l’écart
de la politique étrangère internationale. Néanmoins, elle aspire aujourd’hui à devenir une
superpuissance jouant un rôle politique mondial à l’image des Etats-Unis. Alors que la Chine était
restée à l’écart des conflits en Afghanistan, en Irak, en Libye… elle envoie des navires de guerre en
Syrie pour soutenir le régime de Bachar Al Assad et la Russie.
Pour autant, la nature du régime chinois (communiste) et les atteintes aux droits de l’homme vis-à-
vis des opposants, régulièrement dénoncées par la communauté internationale, sont un frein aux
ambitions politiques mondiales de la Chine.
Militairement : Les deux pays renforcent leur puissance militaire.
Le Japon dispose d’une « Force japonaise d’auto-défense » en raison des conditions qui lui été
imposées à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le Japon ne peut pas avoir d’armée offensive, celle-
ci doit uniquement servir à défendre le territoire japonais. Le Japon a également renoncé
définitivement à l’arme atomique.
Les forces japonaises d’auto-défense sont malgré tout puissantes : le budget militaire du Japon est au
5ème rang mondial, les matériels sont récents et performants (de construction américaine
principalement). Récemment, l’armée japonaise a été autorisée à intervenir à l’étranger dans le
cadre de missions humanitaires ou de maintien de la paix de l’ONU (1ère intervention en 2004 en
Irak). La marine japonaise jour un rôle important dans la sécurisation des routes maritimes et dans la
lutte contre la piraterie.
La Chine dispose de l’armée la plus puissante numériquement (plus de 2 millions d’hommes) et y
consacre une part importante de son PIB (2ème budget militaire mondial). Cependant, malgré qu’elle
possède l’arme nucléaire, l’armée chinoise demeure en retard technologiquement et se consacre
principalement à la défense des frontières. Ses capacités de projection sont faibles, même si des
efforts considérables de modernisation sont réalisés depuis quelques années, notamment dans le
domaine naval et aérien, de manière à s’affirmer en mer de Chine et dans l’Océan indien (« stratégie
du collier de perles ») face au Japon, à l’Inde mais surtout aux Etats-Unis.
4. Economiquement :
Le Japon doit faire face à une crise économique importante depuis les années 90, aggravée par le
vieillissement de la population. Le Japon doit aussi faire face à la concurrence des autres puissances
asiatiques émergentes.
La vulnérabilité du Japon aux risques naturels a aussi un impact négatif direct sur son économie.
La Chine est très dépendante des exportations, ce qui peut être un handicap lorsque la croissance
mondiale ralentit. De plus, elle est régulièrement pointée du doigt pour ses pratiques de concurrence
déloyale par ses partenaires commerciaux (Etats-Unis, Union européenne…).
Conclusion :
Les rivalités entre le Japon et la Chine sont importantes et s’appuient sur des différends historiques profonds. Elles
sont de nature politiques, géostratégiques et économiques. L’enjeu pour ces deux puissances régionales et
mondiale est d’assurer un leadership sur la région. Même si les tensions entre les deux pays sont fortes à propos
des enjeux mémoriels et du tracé des frontières maritimes, leurs économies sont de plus en plus interdépendantes.
Pour s’affirmer dans le cadre de la mondialisation, les deux pays ont besoin l’un de l’autre, le Japon ayant besoin de
la main d’œuvre et du dynamisme de la croissance chinoises alors que la Chine a besoin de l’avancée technologique
du Japon.
Dans ce contexte, les Etats-Unis continuent de jouer plus que jamais un rôle d’arbitre que ni le Japon, ni la Chine ne
peuvent lui disputer étant donné qu’il s’agit de puissances incomplètes.
Cependant la forte croissance économique de la Chine, la modernisation de son économie et de ses forces armées
et son affirmation sur la scène internationale, associées à la stagnation ou même au déclin économique et
démographique du Japon, pourraient lui permettre à l’avenir de jouer un plus grand rôle régional, voire même
mondial.