Revue "What's Up Doc" n°27 - Juillet Août 2016
LE CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES MÉDECINS (CNOM) ASSURE QUE PRÈS DE 25 % DES ÉTUDIANTS EN MÉDECINE NE PRATIQUENT PAS L’ART D’HIPPOCRATE APRÈS LEURS ÉTUDES. UN SUR QUATRE ? MAIS C’EST ÉNORME ! WHAT’S UP DOC A VOULU EN SAVOIR PLUS SUR CES MÉDECINS ÉVAPORÉS.
C’est un chiffre choc, de ceux que l’on n’exhibe pas sans avoir sérieusement vérifié ses sources. D’après le Cnom, entre 20 et 25 % des étudiants qui ont réussi le concours de première année n’exercent pas la médecine dix ans après. Alors que les déserts médicaux s’étendent, une telle déperdition a de quoi inquiéter. Les ordinaux tentent régulièrement d’alerter l’opinion sur le sujet, et ils l’ont encore fait en juin dernier lors de la présentation de leur Atlas 2016 de la démographie médicale.
« C’est un chiffre très préoccupant », indique le Dr Jean-Marcel Mourgues, président de la section « santé publique » du Cnom. Il estime que plusieurs facteurs peuvent contribuer à l’expliquer : abandons au cours du deuxième ou du troisième cycle, bifurcation vers l’industrie pharmaceutique ou le journalisme médical, captation par les ARS ou les assurances…
...
www.reseauprosante.fr
1. Ah bon,
t’es
sûr?
LE CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE DES MÉDECINS (CNOM) ASSURE QUE PRÈS
DE 25 % DES ÉTUDIANTS EN MÉDECINE NE PRATIQUENT PAS L’ART D’HIPPOCRATE
APRÈS LEURS ÉTUDES. UN SUR QUATRE ? MAIS C’EST ÉNORME ! WHAT’S UP DOC
A VOULU EN SAVOIR PLUS SUR CES MÉDECINS ÉVAPORÉS.
UN CARABIN SUR QUATRE
N’EXERCERA PAS LA MÉDECINE
Adrien Renaud
What’s Up Doc? 27 juillet-août 201610
[ ACTU ]
C
’est un chiffre choc, de ceux que l’on
n’exhibe pas sans avoir sérieusement
vérifié ses sources. D’après le Cnom,
entre 20 et 25 % des étudiants qui
ont réussi le concours de première
année n’exercent pas la médecine dix ans après.
Alors que les déserts médicaux s’étendent,
une telle déperdition a de quoi inquiéter.
Les ordinaux tentent régulièrement d’alerter l’opinion
sur le sujet, et ils l’ont encore fait en juin dernier
lors de la présentation de leur Atlas 2016 de
la démographie médicale.
« C’est un chiffre très préoccupant », indique le Dr
Jean-Marcel Mourgues, président de la section « santé
publique » du Cnom. Il estime que plusieurs facteurs
peuvent contribuer à l’expliquer : abandons au cours
du deuxième ou du troisième cycle, bifurcation vers
l’industrie pharmaceutique ou le journalisme médical,
captation par les ARS ou les assurances…
Un chiffre
très préoccupant
(Dr Jean-Marcel Mourgues)
25 %… ou 3 %?
U
n bref sondage interne à What’s up Doc
a permis de confirmer le phénomène :
tous les médecins de la rédaction ont
un camarade de promo qui a tout lâché
pour devenir musicien, travailler dans
un labo ou partir à l’étranger. Mais ils sont également
unanimes : 25 %, c’est beaucoup! Nous avons donc
sorti notre calculatrice (attention, les paragraphes
qui suivent contiennent beaucoup de chiffres).
Le Cnom dit avoir comparé le numerus clausus
pour une année n au nombre de nouveaux inscrits
à l’Ordre pour l’année n + 10. En 2015, nous apprend
le précieux Atlas de la démographie médicale,
7714 médecins se sont inscrits à l’Ordre, dont 22 %
de médecins à diplôme étranger. Ce qui laisse 6017
médecins issus du système national, à comparer avec
un numérus clausus de 6200 pour l’année universitaire
2004-2005. Soit une déperdition de 3 % en dix ans.
On est loin des 25 % claironnés par l’Ordre!
Et si l’on s’intéresse aux années précédentes, la
tendance est même inversée : les nouveaux inscrits
à diplôme français en 2014 étaient légèrement plus
nombreux que les P2 de 2003-2004 (3 % de plus).
Même constat si l’on compare la promotion de carabins
millésime 2003-2004 aux médecins ayant fait leur
apparition sur les listes ordinales en 2013.
www.whatsupdoc-lemag.fr
2. juillet-août 2016 What’s Up Doc? 27 11
[ ACTU ]
De drôles
d’hypothèses
P
our retomber sur des chiffres
similaires à ceux qu’annoncent
les ordinaux, il faut en réalité
comparer le numerus clausus pour
une année n au nombre d’inscrits
pour l’année n + 8. Les étudiants reçus en
deuxième année de médecine pour l’année
universitaire 2006-2007 sont effectivement
19 % plus nombreux que les diplômés
français nouvellement inscrits à l’Ordre
en 2014. Pour les deux années précédentes,
la différence était de 23 et 24 %.
Sauf que huit ans après être entrés en
P2, seuls les généralistes, dont l’internat
est le plus court, ont terminé leur cursus.
Et encore, l’Atlas de la démographie
médicale précise que le délai moyen entre
la fin des études et l’inscription à l’Ordre
est d’un an ou un an et demi. Bref, la
méthodologie du Cnom serait valable si
tous les étudiants choisissaient la médecine
gé, et s’inscrivaient à l’Ordre aussitôt leur
diplôme empoché. Drôles d’hypothèses…
Gwénaëlle Le Breton, géographe de la
santé qui réalise les atlas démographiques
de l’Ordre, reconnaît que des études
plus approfondies sont nécessaires pour
mieux préciser le phénomène d’évaporation
des médecins. La rédaction de What’s up Doc
lui souhaite bien du courage.
Trois questions au
Pr Isabelle
Richard
La doyenne de la fac de
médecine d’Angers réagit
aux chiffres du Cnom.
Pour elle, la logique
des ordinaux est dépassée.
Que pensez-vous des chiffres
du Cnom sur le nombre d’étudiants ou d’internes
qui n’exercent pas la médecine après leurs
études?
Ils me surprennent, et j’ai beaucoup
de mal à penser qu’ils sont exacts. À Angers, nous
avons par exemple cherché à savoir ce qu’étaient
devenues nos promotions 2010 à 2014 d’internes en
médecine générale. Et nous avons eu le plaisir de
constater que très peu n’étaient pas inscrits à l’Ordre.
Au-delà des chiffres, le raisonnement
de l’Ordre vous semble-t-il correct?
Non. S’imaginer que tous les étudiants de deuxième
année vont finir leurs études et s’installer en France,
c’est vivre dans un monde immobile qui n’existe plus
et qui n’est pas souhaitable. Parmi ces étudiants, il y
en a qui vont changer d’avis : c’est normal de changer
d’avis quand on a vingt ans. Nous travaillons d’ailleurs
à Angers pour encourager aussi les passerelles
permettant de sortir des études médicales.
Justement, le fait que certains veuillent
en sortir n’est-il pas le signe que les études
médicales sont trop stressantes?
Peut-être que les études pourraient être
moins stressantes. Mais c’est peut-être aussi une
bonne idée que les étudiants sachent relativement
tôt que la médecine est un métier stressant, et que
ceux qui n’ont pas envie de cela puissent changer
d’orientation. Il faut sortir d’une philosophie du
tunnel où l’on se demande en permanence si tous
ceux qui entrent dans le système en sortent bien,
et si on a bien fermé toutes les fenêtres!
INTERVIEW
Il faut sortir
d'une philosophie
du tunnel
(Pr Isabelle Richard)