1. vie des entreprises
AQ Ui tA ine
Des opérations
commandos
REdRESSEmEnt d’EntREpRiSES
Conjoncture difficile, marchés perdus, crise de trésorerie…
Les entreprises au bord du précipice peuvent-elles s’en sortir
lorsque tout semble perdu ? Oui, très souvent, à en croire
ce spécialiste du redressement. Entretien avec Didier Picot
(H.81), fondateur de la société Saia.
c’est bien souvent que des erreurs ont été com- longueur de journée sans jamais perdre le moral,
mises, et il n’est pas simple pour ceux qui en et garder le cap. Il faut être averti, tout le monde
sont à l’origine de savoir agir avec lucidité. Un vous enfonce : fournisseurs, banquiers, syndi-
Didier Picot (h.81) peu comme un pompier ou un urgentiste, un cats… Il faut donc tenir, rester calme, être
intervenant extérieur devra mettre en place un capable de transmettre confiance et sérénité.
contexte favorable à la sortie de crise, stabiliser Si vous avez peur et que ça se voit, tout le monde
Dans quels types de situations une entre- aura peur et la partie est perdue. Le redresse-
prise décide-t-elle de faire appel à ment d’entreprise est une activité qui se joue
quelqu’un de l’extérieur pour tenter de se énormément au mental. Parce que je suis exté-
redresser ? “Les dirigeants rieur, je peux faire et dire des choses que peut
Une société n’est pas immortelle. Tout comme être le dirigeant ne peut plus faire ou dire. Je
une personne physique, elle nait, grandit et connaissent mieux peux analyser le problème sans porter de juge-
meurt, passe par des périodes de bonne santé que quiconque ment et, avec un peu de réussite, bénéficier
et de maladie. Lors d’une crise aigüe, c’est l’ac- d’un capital confiance qui permet d’entamer
tionnaire qui peut demander une intervention leur coeur de métier, la reconstruction.
extérieure en soutien du dirigeant. Un autre mais ils sont en revanche
cas de figure, c’est l’entrée d’un nouvel action- Comment acquiert-on les compétences
naire qui va souhaiter une intervention très souvent mal outillés requises pour pouvoir proposer ce type de
ciblée au moment où il s’engage à ré-investir pour faire face services ?
dans la société. Ou tout simplement l’actionnaire Avec l’expérience, et on en apprend chaque
dirigeant, qui se trouve bien seul face à une à ces crises jour ! Mais il faut aussi une bonne connaissance
conjoncture très dégradée et qui cherche de extrêmes dont des fondements de la stratégie en fonction du
l’aide. métier de l’entreprise et un réseau d’acteurs
ils se sentent très divers autour de vous qui puisse intervenir
Comment expliquez-vous que les dirigeants responsables voire très efficacement dans l’urgence. Il faut savoir
d’entreprises ne puissent pas gérer eux- être débiteur, vendeur, financier, homme de
mêmes ces situations de crise ? coupables. ” contact et surtout savoir transmettre cette
Lorsqu’un accident survient dans une PME, tout confiance sur laquelle j’insiste encore une fois.
le monde se détourne de vous du jour au len- Mais toutes les sociétés ne sont pas sauvables
demain et le dirigeant est souvent, en prime, et il est important de se faire très rapidement
l’objet d’un certain opprobre social. Les diri- la situation, redonner confiance à l’écosystème, une idée du niveau de dégradation de la société.
geants connaissent mieux que quiconque leur fournisseurs, banquiers, organismes sociaux,
cœur de métier, mais ils sont en revanche sou- employés et bien sûr aux clients. C’est lui qui Etes-vous nombreux à exercer ce métier ?
vent mal outillés pour faire face à ces crises pourra dire : vous voulez qu’on s’en sorte ? Voilà Au contraire, nous sommes très rares. Il faut
extrêmes dont ils se sentent responsables voire ce que je vous propose. Place à l’action. dire que nous exerçons un métier qui touche
coupables. C’est là que s’impose l’intervention toutes les peurs : peur des fins de mois, peur
de quelqu’un d’extérieur aguerri à ce type de Quelles sont les principales armes pour venir des conflits sociaux, peur du Tribunal, etc. Les
situation, et qui apporte cette objectivité et en aide à ces entreprises en péril ? gens s’imaginent souvent qu’en reprenant des
cette distance que les dirigeants ont du mal à La principale arme ? L’énergie ! On est d’abord sociétés pour une bouchée de pain, les action-
avoir. Car si une société est au bord de la faillite, là pour encaisser les mauvaises nouvelles à naires repreneurs vont faire fortune sur le dos
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BiO ExPRESS
Originaire du pays Basque, didier picot (H.81) entame sa carrière chez Airbus industrie, d’abord aux Etats-Unis, en
tant que négociateur de contrat où il est au coeur de la petite équipe qui implante durablement Airbus en Amérique
du nord, puis à toulouse où il est directeur des Achats pendant six ans. En 2000, il crée avec thierry de Cassan
(H.82) sa propre startup, Synerdeal, spécialisée dans les logiciels de gestion des achats à destination des grands
groupes industriels, et remporte le prix mercure de l’innovation en 2003. En 2006, il décide de se consacrer aux
activités de conseil en stratégie, avant de s’investir dans le redressement d’entreprises, principalement des pmE, via sa
société Saia.
des employés licenciés et des anciens action- éventuels problèmes qu’elles pourraient ren-
naires qui ont tout perdu. En réalité, le repre-
“ Si vous avez peur contrer dans un, deux ans… Gouverner c’est
neur reprend des actifs certes, mais surtout et que ça se voit, tout le prévoir.
beaucoup d’ennuis.
monde aura peur Les jeunes diplômés de grandes écoles de
Pourquoi alors avoir choisi cette activité et la partie est perdue. commerce ont-ils de bonnes raison de
que vous décrivez comme si peu désirée ? souhaiter se lancer dans ce type de pro-
Cette idée me trottait dans la tête depuis un
Le redressement jets ?
moment et l’opportunité m’a été donnée. d’entreprise est une Disons que c’est un métier passionnant, sti-
Cela correspond tout-à-fait à ce que je sais mulant, intense. Et la finalité est belle. Il est
faire et que j’aime faire. Je suis un négociateur,
activité qui se joue important de réaliser qu’il y a de belles choses
j’aime l’urgence mais pas la routine. J’aime énormément à faire dans ces périodes économiques com-
les opérations commandos, ces missions qui plexes. En France, nous sommes encore trop
s’étalent sur quelques mois, dix-huit mois
au mental. ” peu conscients de l’importance de sauver des
maximum. J’aime les choses compliquées, les industries et des savoirs-faires. Ça vaut vrai-
affaires qui partent dans tous les sens. L’autre Les entreprises pour lesquelles vous inter- ment le coup de réinvestir pour conserver des
raison, c’est le bonheur de réaliser un sau- venez sont-elles toujours au bord du gouffre ? métiers et des savoir-faire au lieu de les lais-
vetage, d’avoir guéri ce que personne ne Souvent. Mais il s’agit également parfois de ser périr en les croyant perdus d’avance. Les
semblait pouvoir soigner. Lorsqu’une entre- sociétés qui manifestent un besoin de res- seuls combats perdus sont ceux qu’on ne
prise est sortie d’affaire, le sourire de ses tructuration et souhaitent anticiper sur les mène pas.
dirigeants et des salariés constitue l’une des
plus belles satisfactions professionnelles que
j’ai pu ressentir.
J’ai vécu ça par exemple lors d’une interven-
tion auprès d’une société de décolletage qui
était en grande difficulté suite à des erreurs
de gestion et des pertes de marchés. Nous
avons négocié à l’amiable le départ de certains
cadres, cédé des actifs non stratégiques, et
redressé la situation sans licencier aucun
ouvrier. Nous avons sauvé 180 emplois sur
220 et la société a rénoué avec les bénéfices.
Saia En BREf
Fondée par Didier Picot, la
société Saia est spécialisée
dans le redressement
d’entreprises de tous
secteurs, et
principalement
dans l’industrie.
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