1. Actualité On en parle
HR Today 4 | 20158
Les managers de transition interviennent notamment pour retourner des entreprises proches de la faillite.
Envoyés par les conseils d’administration ou les actionnaires, ils commencent par licencier et restructurer
l’organisation. Comment fonctionnent-ils? Et quels sont leurs rapports avec les DRH?
Ce sont des managers de crise payés par les investisseurs
pour faire le sale boulot. Envoyés par des conseils
d’administrationoudesfondsd’investissementpourretourner
une situation critique, les managers de transition ont pour
mission de sortir l’entreprise de l’impasse et de relancer les
activités. Endettement, perte de parts de marché, dysfonction-
nement grave dans un comité de direction, peu importe la si-
tuation,c’estàeuxdedéciderrapidementcomments’ensortir.
Une fois leur mission accomplie, ils repartent restructurer ail-
leurs. Pour comprendre leur fonctionnement et le contexte de
leurs interventions, HRToday a interrogé plusieurs managers
de transition de la société Procadres International, dont une
filiale a ouvert l’an dernier à Genève. Pour illustrer l’étoffe de
ces durs à cuire du management, ils ont tous décroché leur
Managers de transition: des durs
à cuire qui sauvent des emplois
Photo:iStockphoto
téléphone après quelques sonneries seulement. Le ton de leur
voix est confiant, calme et tranchant. Ils vont droit au but,
sans perdre une seconde.
«725» ou crise managériale
«Engénéral,c’esttoujoursunproblèmedeliquiditéquidéclen-
che le processus», assure Raoul Sautebin, manager de transi-
tion dans le secteur industriel. «Dans notre jargon, nous par-
lonsd’unesituation«725»,enréférenceàl’article725al.1du
Code des obligations. On nous appelle le plus souvent juste
avant la faillite. Quand plus de 50 pour cent du capital action
estabsorbépardespertes,laloiobligeleconseild’administration
à tirer la sonnette d’alarme. Derrière ce problème de liquidité,
il faut ensuite aller creuser pour comprendre où cela dysfonc-
2. On en parle Actualité
HR Today 4 | 2015 9
tionne. C’est souvent une stratégie boiteuse ou
mal appliquée, voire pas de stratégie du tout. No-
tez que cela peut aussi être à la suite d’un décès
ou du départ imprévu d’un dirigeant».
Selon OlivierTaburet, qui intervient lui-aussi
régulièrement dans des situations de crise, «nous
sommes souvent confrontés à des problèmes
d’endettement. Les banques ne veulent plus
prêter et elles exigent qu’un expert revoie la stra-
tégie avant d’accorder une rallonge». Cet autre
managerdetransition,quipréfèrelui-aussirester
anonyme,s’estspécialisédanslesPMEfamiliales:
«Lesproblèmesapparaissentsouventaumoment
de la succession. Soit le junior n’est pas encore
prêt à reprendre l’affaire, soit il y a un clash entre
deux ou plusieurs membres de la famille. Nous
arrivons donc dans des environnements délicats
oùilfautsavoirmanœuvreravecfermetéetintel-
ligence». D’autres situations typiques sont des
conflits dans une équipe de dirigeants. Un autre
manager de transition, qui préfère garder
l’anonymat,poursuit:«J’aiconnudesentreprises
où un des dirigeants mettaient tellement de pres-
sion sur ses équipes que le taux de productivité
baissait d’année en année. Il a fallu le recadrer.»
Pouvoir, analyse et licenciements
Raoul Sautebin: «La première chose à faire est
d’obtenir le pouvoir. Vous avez beau avoir la meil-
leure stratégie du monde, si vous n’êtes pas en
mesure de l’appliquer, c’est peine perdue!» Ty-
piquement, le manager de transition sera donc
nommé administrateur délégué. Il est aussi par-
fois amené à remplacer le CEO. «Notre valeur
ajoutéeestnotreregardexterne.Trèssouvent,les
problèmes existent depuis un moment, mais per-
sonne n’a osé les mettre sur la table. Dans ces
conditions, seule une impulsion externe permet-
tra de déclencher le processus de guérison», sou-
ligne notre interlocuteur.
La première étape consiste à analyser les
causes de la crise. Sans perdre de temps. «Il faut
être capable de livrer un business plan avec une
nouvelle stratégie au conseil d’administration en
deux à trois mois», assure Raoul Sautebin.
L’analyse de la situation implique de comprendre
les contrats cachés. Bertrand Duvivier, manager
de transition spécialiste de la finance, explique:
«Un contrat caché représente tous les modes opé-
ratoires d’une entreprise qui ne sont pas formali-
sés par écrit. Par exemple, le fait de prendre trois
jours de congé entre Noël et Nouvel An. Si vous
touchez à ces habitudes vous risquez de créer en-
core plus de tumulte. J’essaie donc d’être très at-
tentif à toutes ces règles informelles auxquelles
lescollaborateurstiennentparfoisbeaucoup».En
règle général, le problème se situe au niveau stra-
tégique: un manque d’innovation dans les pro-
duits, une forte baisse dans les ventes ou des pro-
blèmes dans le supply chain. «On nous compare
souvent à des consultants, relèvent OlivierTabu-
ret et Raoul Sautebin. Mais notre rôle est diffé-
rent. Certes nous délivrons notre analyse. Mais
une fois que le diagnostic est posé, le conseil
d’administration nous demande d’appliquer les
mesures que nous préconisons et de manager les
équipes. Nous sommes donc très impliqués dans
l’opérationneletnousdevonsassumerlesrisques
de nos recommandations. Ce qui n’est pas le cas
des consultants classiques».
Les licenciements figurent en général parmi
les premières mesures. Bertrand Duvivier: «Une
première chose à faire est de nous séparer des
éléments démotivés ou qui ne collent plus avec la
nouvelle stratégie. Ce sont des entretiens diffi-
ciles. Notre rôle est d’être le plus convaincant
possible et d’expliquer en toute transparence les
raisons qui nous menés à cette décision de licen-
ciement». Raoul Sautebin précise que «si ces en-
tretiens sont bien menés, avec responsabilité et
loyauté, les collaborateurs et les syndicats se
montrent compréhensifs. C’est sans doute un des
grands avantages de la Suisse en comparaison
avec nos voisins français».
Résistances et incompétences
Les résistances au nouveau plan stratégique ne
sontpourtantpasàexclure.«Jemesouviensd’un
cadre de haut niveau qui faisait de la rétention
d’informations. Il refusait de former son succes-
seur. Il m’a dit: «Vous ne pouvez rien faire contre
moi, vous avez besoin de mes savoirs». Je lui ai
répondu que son attitude l’avait protégé jusqu’à
maintenantmaisqueleschosesallaientchanger.
Il a été licencié quelques semaines plus tard»,
confie notre interlocuteur. Les managers de tran-
sition souffrent aussi d’un à priori négatif en en-
treprise. Ils sont souvent vus comme des «netto-
yeurs froids et sans émotions, dont l’unique mis-
sionestd’augmenterlesprofitsdesactionnaires».
Olivier Taburet: «Je vous l’accorde, notre image
est plutôt négative dans ce rôle de sortie de crise,
mais ce n’est plus l’unique recours au manage-
ment de transition depuis longtemps. Ces situa-
tions que nous devons récupérer sont le fruit de
décisions prises bien avant notre arrivée. C’est à
nous de faire le résoudre le problème mais nous le
faisons pour assurer la pérennité de l’entreprise,
et donc, à terme pour sauver des emplois. En ge-
stion, il faut parfois savoir se couper un bras pour
survivre, puis le regénéré».Tous les managers de
transition interrogés s’accordent sur ce point.
Leurs interventions sont dures mais elles ont vo-
cation à sauver une entreprise de la faillite.
Relations avec les DRH
Parlons enfin de leur relation avec les DRH. Pour
Bertrand Duvivier, «cette relation est fondamen-
tale, même si nos positionnements sont très diffé-
rents. Un manager de transition n’a pas de passé,
ni de futur. Il n’est pas pollué par les enjeux poli-
tiques de l’entreprise. C’est son grand avantage.
A l’inverse, un DRH se doit de comprendre ces
mécanismesafindeveilleraurespectdesrègleset
des valeurs». Rares sont les DRH qui font directe-
ment appel à un manager de transition. «Nous
avons par contre besoin de leur expertise tech-
nique une fois que les décisions ont été prises»,
complète OlivierTaburet. Au moment d’un licen-
ciement collectif, le DRH sera d’une aide précieu-
se pour choisir les éléments dont on va se séparer.
Raoul Sautebin précise: «Ces situations sont très
délicates. Si vous décidez de licencier tous les se-
niors, vous envoyez un message dramatique aux
40-50 ans, qui de surcroit détiennent générale-
mentlesavoir-faire.Ilfautéviteraussidetoucher
despersonnesdontlelicenciementpourraitavoir
des conséquences fatales dans leur vie privée.
Cela m’est arrivé plusieurs fois de dire au DRH
qu’il avait la possibilité d’atténuer la dureté d’un
licenciement.Etjeluiailaisséentièrelibertépour
choisir ces gens. S’il fait bien son travail, le DRH
est le thermomètre de l’organisation. Il devient
un partenaire indispensable lors de restructura-
tions. Et dans ce domaine, mon expérience m’a
montréquelesfemmessontexcellentes.Compré-
hensives, humaines mais fermes». n
Propos recueillis par Marc Benninger
«Ces situations que nous
devons récupérer sont le fruit
de décisions prises bien avant
notre arrivée»
Olivier Taburet
«Le DRH devient un partenaire
indispensable lors de
restructurations.»
Raoul Sautebin
Raoul Sautebin est
manager de transi-
tion, specialisé
dans le secteur
industriel. Il a par-
ticipé à plusieurs
transformations
d’actionnariat
avec le groupe
Leclanché.
Olivier Taburet est
manager de transi-
tion, specialisé en
finances et con-
trôle de gestion,
et le créateur de
l’antenne genevoi-
se de Procadres
international.
procadres.com
Betrand Duvivier
est manager de
transition, spéciali-
sé en finances. Il a
notamment été
directeur financier
chez Giraud avec
le fonds Butler
Capital Partners.
Les intervenants