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LE DESIGN AU SERVICE DE L’INNOVATION PUBLIQUE ET SOCIALE –
PERFORMANCE ACTUELLE ET AMÉLIORATIONS POSSIBLES


Geoff Mulgan, directeur du Nesta, agence d’innovation gouvernementale britannique
(traduction Emilie Brard pour la 27e Région)


Une multitude d’initiatives s’appuient aujourd’hui sur les méthodes du design pour faire
progresser l’innovation publique et sociale à travers le monde. Nombre de gouvernements
mettent désormais le design à l’honneur, et certains d’entre eux se sont même dotés de
laboratoires de design intégrés, dont le plus renommé demeure le MindLab au Danemark.


On doit notamment cet élan à des entreprises qui ont développé des techniques spécifiques :
IDEO et Frog, Think Public et Engine figurent parmi les pionnières, aux côtés d’organismes
publics tels que SITRA en Finlande avec son Design Lab d’Helsinki, le Design Council au
Royaume-Uni et la 27e Région en France, de collectifs tels que Design Management Initiative
ou encore de programmes collaboratifs comme DESIS (Design for Social Innovation and
Sustainability). L’intérêt pour ces diverses méthodes s’est développé parallèlement à
l’attention croissante accordée à l’innovation sociale.


Dans le secteur public, la nécessité d’améliorer les expériences de l’utilisateur s’est
accompagnée d’une pression accrue en faveur d’une augmentation de la productivité. Dans le
secteur commercial, nombreux sont ceux qui, voyant la part grandissante des industries
sociales dans l’économie – santé, soins, éducation, environnement –, se sont convaincus de la
nécessité de développer des modèles d’innovation différents de ceux qui avaient cours, par
exemple, dans l’industrie pharmaceutique ou dans celle des microprocesseurs. Ajoutons à cela
une plus grande assurance de la part de la société civile et un public qui désire jouer un rôle
plus actif dans l’innovation, et l’on ne s’étonnera pas que le design se trouve aujourd’hui sous
les projecteurs.


La promesse du design est d’insuffler style et plaisir à des services qui peuvent paraître ternes,
uniformes, inertes. Ne l’a-t-il pas déjà fait ? La continuité est indéniable entre certaines idées
proclamées par les designers du XIXe siècle comme William Morris, les chantres de la
génération passée tel Victor Papanek1, et les mouvements actuels en faveur d’un design plus
écologique et plus proche de l’humain. Voilà un siècle, le modernisme du Bauhaus se voyait
comme un mouvement démocratique radical déterminé à mettre la fabrication de masse au
service de l’amélioration de la vie des gens, offrant ainsi une alternative à la médiocrité. Les
designers industriels, après avoir mis des produits de qualité à la portée de tous, ont continué
quelques générations plus tard à mêler production de masse et production artisanale, de façon
à rendre disponible, à des prix abordables, une bien plus grande variété de produits de
caractère – tendance qui a efficacement muselé les critiques à propos du conformisme
abrutissant imputé à la production de masse et à la standardisation.


Dans ce cas, pourquoi pareille évolution ne serait-elle pas possible dans les services de santé,
dans les écoles, dans les organismes de prestations, aux impôts ? Qu’est-ce qui empêche le
bon design de proposer à la fois qualité et diversité ? Le discours fort tenu par la communauté
design en ce sens a porté ses fruits et éveillé l’intérêt.2 En effet, le langage du design centré
sur l’utilisateur s’est relativement banalisé, de même qu’on reconnaît communément
désormais la nécessité d’appliquer le design thinking aux services publics. Une enquête a
d’ailleurs récemment démontré que de nombreuses méthodes d’innovation sociale à travers le
monde comportent des éléments de design.3


Mais cette grande impulsion qui a marqué la dernière décennie a également inspiré quelques
critiques, bien souvent motivées par des prétentions excessives. Les défenseurs des méthodes
de design n’ont pas clairement établi s’ils plaidaient avant tout pour des méthodes issues du
design de produit, promettant aux décideurs une part de la magie des Ipads d’Apple, des
Dyson ou des hybrides de Toyota, ou s’ils se faisaient plutôt l’écho des idées mises en avant
par Herbert Simon et ses pairs de la génération passée, qui considéraient que l’on retrouve des
aspects du design dans tous les services publics : design de politiques, design organisationnel,
design de services et design de rôles.4 Comme nous le verrons, ces deux positions ont des
implications radicalement différentes. Les méthodes de design ont également été accusées de
n’être pas toujours utiles : si elles fonctionnent bien à certains stades du processus
d’innovation, c’est moins vrai à d’autres stades, et certaines de leurs faiblesses ont été mises
en lumière lors de leur application à de nouveaux domaines. Sans compter que, dans la
majorité des cas et en dépit de l’intérêt que suscite le design, les services publics qui y ont
recours ne font pas appel aux designers, ni même (ou très peu) à des méthodes de design ; ces
dernières se limitent à de rares pilotes et expérimentations, et les services publics ne semblent
guère être en voie d’acquérir les capacités requises pour devenir de bons avocats du design.
Mais alors, quel est le bilan de tout cela ? Le design est-il la clé de services publics plus
efficaces et plus opérants, ou un luxe onéreux réservé aux conférences et aux consultants, hors
de portée du public ?


Le moment est venu de faire le point sur la performance actuelle du design et les
améliorations possibles – autrement dit sur les atouts des modèles actuels, leurs faiblesses et
ce qui pourrait être la voie à suivre. Je m’appuie ici sur l’observation et les nombreuses
conversations que j’ai pu avoir avec les citoyens sur le terrain plutôt que sur des données
officielles (notamment parce que ledit terrain a rarement fait l’objet de mesures et
d’évaluations extérieures, encore que j’aie connaissance de quelques évaluations menées au
sein d’organismes de financement).5 Comme nous allons le voir, le design peut apporter
beaucoup – mais les prétentions grandiloquentes entendues de temps à autre ces dix dernières
années ont souvent fait plus de mal que de bien. Aujourd’hui, les designers doivent trouver
une voix plus humble, porter plus d’attention aux résultats, accorder plus de considération à
cet « art profond » indispensable au succès de l’innovation publique, et reconnaître que le
meilleur d’eux-mêmes ne ressortira probablement qu’au contact d’une équipe rassemblant des
compétences complémentaires.


Atouts des méthodes de design en matière d’innovation sociale et de service public


Jusqu’ici, la majeure partie du travail des designers dans les services publics ou sur les
questions d’ordre social a consisté à appliquer, sans les modifier, des méthodes initialement
associées au design de produits à des problèmes d’une tout autre nature. L’approche
spécifique au design de produits peut être rafraîchissante et stimulante. Les méthodes de cette
spécialité associent généralement quatre éléments principaux.


Compréhension des expériences de l’utilisateur : une première boîte à outils permet de
cerner le problème qui doit être résolu et de remonter jusqu’à son origine. Les designers se
sont approprié certaines méthodes de l’ethnographie afin de comprendre comment les usagers
voient et perçoivent les services qu’ils utilisent ; les services publics, s’il leur arrive
d’employer ces techniques, les oublient la plupart du temps. Le recours à des anecdotes, à des
vidéos, à des panneaux d’affichage pour cartographier avec authenticité l’expérience d’un
patient ou d’un demandeur de prestations sociales apporte invariablement de nouveaux
éclairages. Sous la bannière du « design centré sur l’utilisateur », les designers ont également
adapté à leur usage certaines méthodes issues des mouvements sociaux – notamment du
mouvement pour l’égalité des droits des personnes handicapées – qui, de tous temps, ont
amené des gens exprimant un besoin spécifique à mettre en forme de nouvelles solutions. Les
designers se sont rendu compte que le fait de se rapprocher de l’utilisateur final, quel qu’il
soit, permet de faire émerger de nouvelles perspectives, et de montrer comment des systèmes
apparemment bien conçus omettent bien souvent de prendre en compte la finesse de grain du
quotidien. Pris isolément, certains services fonctionnent bien, mais le parcours entre les
services est bien souvent difficile, que ce soit pour un patient atteint de maladie grave ou pour
un élève qui multiplie les changements d’établissement scolaire.


En général, l’emploi de ces méthodes a un effet dynamisant sur les agents des services
publics. Elles apportent fraîcheur et clarté à des services dont le cadre existant, la plupart du
temps, est tenu pour immuable. Le design stimule la réflexion. Il fait la jonction entre la
pensée et l’action,6 et permet de mettre au jour les micro-politiques au sein des services et de
déterminer qui définit les objectifs de ces services.


Idéation : grâce à la boîte à outils suivante, on passe du diagnostic aux idées. Les outils
favorisant la créativité peuvent paraître opaques et mystérieux, ou encore superficiels. Mais
une analyse sérieuse du design a montré que des outils relativement simples peuvent avoir de
grands effets sur la créativité, et aider des équipes à développer des menus d’options bien plus
fournis. Les méthodes d’IDEO, par exemple, peuvent être déconstruites en étapes simples,
incrémentielles.7 Ma propre expérience du design de services dans le domaine social et autour
des services publics m’a conforté dans l’idée qu’une succession d’étapes faciles à réaliser peut
aider une équipe à produire des idées nettement plus radicales. Le tableau ci-dessous résume
une série d’étapes que j’ai imaginée, assorties d’exemples. La méthode habituelle consiste à
isoler un éventail de notions – ethnographiques, économiques, etc. –, puis d’appliquer
chacune de ces approches au problème ou au service auquel on cherche une solution, de façon
à générer des menus de nouvelles options.


             OUTILS DU DESIGN SOCIAL
             (SOCIAL DESIGN TOOLS™)
^            inversion (les paysans deviennent banquiers, les patients deviennent docteurs)
∫            intégration (conseillers personnels, guichets uniques, portails, circulation rapide)
x             extension (activités extrascolaires, travail social de proximité)
∂             différentiation (segmentation de services en groupes, ou personnalisation)
+             addition (amener les médecins généralistes à pratiquer un nouveau test, les
              librairies à organiser des séances de thérapie par la parole)
-             soustraction (pas de superflu, réduction des objectifs, remise en ordre)
t             transfert (management d’aéroport dans les hôpitaux, planification commerciale
              dans les familles)
g             greffe dans un domaine d’un élément issu d’un autre domaine, création d’une
              nouvelle fusion (coaching dans un collège)
∞             extrémisme créatif – pousser les idées et les méthodes le plus loin possible
r             « random inputs », entrées aléatoires (dictionnaires, Pages Jaunes)


Prototypage rapide : une fois les nouvelles idées cristallisées, on peut les tester
instantanément – une approche là encore étrangère à la pratique bureaucratique dominante.
Les designers sont généralement partisans du prototypage rapide, autrement dit de
l’apprentissage immédiat par l’action, qu’ils préfèrent à une planification dans le détail. De
nos jours, nous disposons pour cela non seulement de la CAO et de nouveaux outils comme
l’imprimante 3D, mais aussi d’une troisième génération d’outils de prototypage rapide qui
permettent la création accélérée et collaborative de nouveaux systèmes et services. Plutôt que
de consacrer des années au perfectionnement d’un nouveau modèle ou d’une nouvelle
stratégie, la meilleure méthode pour améliorer un service est bien souvent de mettre en
pratique ce modèle ou cette stratégie à petite échelle, et en contexte réel. Certaines branches
ont toujours procédé ainsi, et, depuis longtemps déjà, des architectes comme Christopher
Alexander8 recommandent cette approche jusque dans la construction de bâtiments – en se
servant de maquettes de structures qu’ils implantent in situ pour vérifier qu’elles sont bien
conformes aux attentes. C’est un procédé tout à fait naturel pour les entrepreneurs sociaux
comme pour certains acteurs de l’innovation dans les professions libérales (Michael Young,
par exemple, a toujours cru en ce que nous appelons aujourd’hui le prototypage rapide, et a
mis sur pied des structures à petite échelle de ce qui allait devenir NHS Direct ou l’Open
University, d’une part pour observer ce qui fonctionnait, et d’autre part pour créer une
dynamique).
Visualisation : à chacune de ces étapes, les méthodes de design on tendance à être très
visuelles – les designers graphiques ont d’ailleurs joué un rôle prépondérant à la fois dans la
pratique et dans la promotion du design. Une visualisation claire des problèmes, et des
solutions potentielles, peut avoir un impact surprenant au sein de nos cultures où la prose est
la règle et le tableau de données l’exception. J’ai souvent été frappé de l’influence qu’une
bonne communication visuelle peut conférer à des projets très modestes – alors même que
d’autres projets par ailleurs similaires ont conduit à de meilleurs résultats. Des visualisations
claires et audacieuses ont un effet marquant sur les agents des services publics, quel que soit
leur scepticisme initial.


Systèmes : enfin, les designers ont emprunté certaines idées à la pensée systémique,
notamment en réaction aux critiques passées qui leur reprochaient la discrétion excessive de
leurs concepts de produits ou de services. La pensée systémique nous encourage à faire
ressortir la bonne question parmi toutes celles que semble poser un problème donné. Quel est,
par exemple, l’origine réelle de l’absentéisme scolaire ? Est-ce un échec des écoles elles-
mêmes, des familles, des jeunes ? Les véritables causes résident-elles dans le peu d’intérêt des
leçons, ou dans la dépréciation du travail sérieux par la culture populaire ? Un autre exemple :
les personnes sans domicile fixe. Le problème sous-jacent est-il le manque de logements, ou
plutôt la maladie mentale, l’alcool, la drogue, la rupture familiale ? Et que dire de
l’augmentation apparente du nombre de maladies mentales dans le monde développé ? N’est-
ce qu’un artefact des statistiques, puisqu’on mesure aujourd’hui des choses qu’on ne mesurait
pas auparavant ? Est-ce plutôt une conséquence du stress, du déclin de la religion et de la
famille ? Ou bien est-ce, comme de récentes recherches semblent le suggérer, l’effet à long
terme des produits pharmaceutiques mêmes qui étaient censés soigner la maladie mentale en
premier lieu ? Pour obtenir les bonnes réponses, il est indispensable de définir les bonnes
questions ; et, d’une manière générale, plus nous nous affranchissons des carcans
institutionnels et disciplinaires pour privilégier la pensée systémique, plus nous avons de
chances d’obtenir des résultats probants. Dans chacun de ces cas, les designers, parce qu’ils
sont libres de tout parti-pris et parce qu’ils ne font pas partie d’une profession puissante, ont le
recul nécessaire pour voir et dire des choses qui échappent aux fonctionnaires en poste. Bien
souvent, le concours d’un designer renforce les acteurs de l’innovation sociale au cœur du
système : il légitime ce qu’ils ont à dire.


Points faibles des projets et des méthodes de design
Ainsi, les méthodes de design, pour être mieux comprises, doivent être envisagées comme une
synthèse de méthodes issues de nombreux autres domaines qui, ensemble, contribuent à
atténuer les faiblesses traditionnelles des décideurs. Mais alors, quelles sont leurs propres
points faibles ?


Le coût est un premier sujet de plainte : on reproche à des consultants grassement rémunérés
de débarquer de Londres ou de Los Angeles dans des quartiers défavorisés pour y déployer
des méthodes certes utiles pour des fabricants de matériel électronique ou d’articles de sport,
mais assez peu adaptées aux réalités d’une communauté financièrement restreinte. Cette
question est particulièrement sensible dans les pays en voie de développement, mais le
problème s’est également posé au Royaume-Uni et dans d’autres pays riches, où des designers
bien payés ont été parachutés dans des quartiers pauvres pour aider à redessiner des hôpitaux
ou des services pour enfants.


Une autre critique récurrente fait écho au reproche général adressé aux consultants : ceux-ci
donnent l’impression d’être engagés, mais ils disparaissent dès que l’argent cesse d’arriver.
Cet aspect n’aurait sans doute pas autant d’importance si la rhétorique du design accordait
moins de place à la parole et aux besoins des utilisateurs. Dans la mesure où le projet
constitue l’unité généralement admise du travail du designer, il est souvent difficile de
prouver son impact. Certains designers ont résolu ce problème en se concentrant sur
l’élaboration de projets durables ; ainsi, ils disposent d’une période de développement plus
longue, ce qui élargit singulièrement les perspectives de retombées à long terme.


Le troisième reproche concerne la mise en pratique, pour laquelle les designers sont accusés
d’être moins compétents qu’en matière de créativité. Beaucoup de détracteurs concèdent
volontiers que les méthodes de design élargissent l’éventail d’options accessibles aux services
publics. Mais ils signalent que le manque d’attention accordée à la fois à l’économie –
s’assurer que les idées sont réalisables d’un point de vue financier –, et aux cultures et
problèmes spécifiques aux organismes, condamne trop de concepts à rester sur la planche à
dessin. Ainsi, par exemple, on ne manque pas d’idées censées garantir des économies au
secteur public par la prévention des coûts à venir – moins de détenus dans les prisons, moins
d’admissions dans les hôpitaux, etc. Mais l’évaluation même des coûts tend à être simpliste, à
occulter les répercussions sur d’autres services, ou à faire l’impasse sur le genre de preuves
que les décideurs sont susceptibles de demander, comme par exemple des tests effectués par
des groupes témoins identifiables. Le design thinking doit encore intégrer la majorité des
preuves attestant de la diffusion des innovations.9


La difficulté qu’ont les designers à apprendre des autres suscite également la critique. Ils
savent fort bien expliquer pourquoi les autres domaines et disciplines ont besoin d’eux, mais,
lorsqu’il s’agit de reconnaître qu’ils gagneraient à apprendre des autres, il n’y a plus personne.
Certains ont même une fâcheuse tendance à réinventer la roue – la fraîcheur, souvent une
vertu, peut devenir un vice lorsqu’on réinvente des idées vieilles comme le monde pour les
présenter comme totalement neuves, sans tenir compte de leurs échecs passés et des leçons à
en tirer.


Il m’est arrivé à plusieurs reprises, lors de meetings réunissant designers, promoteurs du
design et décideurs, de voir le même schéma se reproduire : les décideurs venaient d’admettre
à contrecœur que les designers puissent leur apprendre une ou deux choses ; mais les
designers semblaient déconcertés lorsqu’on émettait l’idée qu’ils puissent à leur tour
apprendre des décideurs, ou des nombreux organismes et branches défendant une certaine
vision du design social : entrepreneurs sociaux, professions libérales, consultants,
technologies de l’information, etc. Les exceptions à cette règle sont nombreuses, mais les
affirmations prétentieuses selon lesquelles les méthodes de design ne traiteraient que des
problèmes complexes, holistiques, n’ont pas toujours contribué à inspirer une culture de
collaboration et d’apprentissage réciproque.


Le défi


La plupart des critiques à l’égard des designers sont injustes. Les bons designers savent
reconnaître que leurs compétences ne sont utiles qu’associées à d’autres compétences
complémentaires. La plupart d’entre eux évitent de céder aux sirènes de l’orgueil. Malgré
tout, nous sommes face à un défi : comment mobiliser le meilleur du design sans en accentuer
les faiblesses ? Les réponses, très certainement, résident dans le management d’équipe, le
savoir-faire, la formation, et la pratique.


    1) Les équipes travaillant autour du design doivent réunir une somme de compétences
          aussi complète que possible, afin d’être en mesure de bien appréhender les contextes
organisationnel, économique, politique et social ; elles ont également besoin de
       directeurs de projets parfaitement à l’aise avec les divers langages d’un ensemble de
       champs et de disciplines.
   2) Certains designers au moins doivent présenter, en plus de leurs compétences en
       design, d’autres compétences-clé (en économie, en politique, en savoir social) et un
       profil en forme de T (dit de « marginal sécant »), de façon à réduire les risques décrits
       ci-dessus.
   3) Outre un personnel plus compétent, il nous faut également de meilleures méthodes,
       permettant d’inclure le design dans des structures de projets susceptibles d’améliorer
       leurs perspectives de mise en œuvre. Cette question a déjà fait l’objet d’une réflexion
       sérieuse, mais l’expérimentation et l’évaluation restent à systématiser. Non moins
       important, les méthodes de management de projet doivent être modifiées, de sorte
       qu’elles soient moins coûteuses et qu’elles laissent derrière elles des savoir-faire plus
       solides au sein des organismes et des communautés qui mettront le projet en pratique
       (notamment parce que l’innovation est un processus en constante évolution, et que
       même les meilleures idées doivent être ajustées à l’épreuve du concret).


Le design dans le contexte de l’innovation


Enfin, nous avons besoin d’une autre forme de dialogue. Nombre d’événements au cours de la
dernière décennie se contentaient d’être des vitrines de promotion du design ; ce style doit
désormais céder la place au dialogue et à l’apprentissage réciproque. En particulier, le design
doit s’enrichir d’une étude plus complète de l’innovation. Des figures éminentes comme
Rosabeth Moss Kanter, Gary Hamel et Clayton Christensen ont cherché à saisir certains des
schémas courants de l’innovation, parmi lesquels le rôle de rupture ou la performance
relativement faible d’innovations pourtant tout à fait réussies au cours des premières phases
de compétition avec des systèmes en place plus aboutis et plus optimisés.10 L’innovation
ouverte11 et l’innovation centrée sur l’utilisateur12, deux exemples intéressants de l’adaptation
au domaine commercial d’idées évoluant depuis longtemps dans le domaine social, ont
également soulevé beaucoup d’intérêt dernièrement. Toutes ces formes d’innovation se
rapprochent du design. La corrélation entre design et innovation est plus frappante encore
lorsqu’on se penche sur la récente initiative de Brian Arthur, qui a tenté de fournir une analyse
structurée du changement technologique – sans doute, à ce jour, la plus impressionnante
tentative de ce genre. Ses travaux suggèrent que la technologie tend à naître de l’observation
des phénomènes naturels – comme la lumière, la chaleur et le mouvement dans le cas des
technologies physiques, ou les interactions sociales dans le cas des technologies sociales. La
technologie cherche alors à reproduire, ou du moins à imiter, ces phénomènes de façon à
amplifier leur puissance, et finit par se structurer en sous-systèmes et en composants, dont
chacun peut évoluer parallèlement aux autres. Et la technologie répond à une logique
évolutive qui lui est propre : les avancées dans un domaine provoquent des avancées dans un
autre domaine, ou bien un problème particulier fait apparaître un domaine de connaissance
entièrement nouveau.


Brian Arthur met en particulier l’accent sur « l’art profond » en tant que clé de l’innovation
technologique sur le long terme. L’intuition prédomine ici, inspirée de l’impression qui se
dégage des éléments rassemblés dans un service ou un produit, et de l’expérience de ce qui
fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Nous sommes là face une notion du design bien
plus vaste que celle que peuvent apporter les designers de produits. L’art profond que
nécessite l’innovation dans des domaines comme l’éducation ou la santé peut tout aussi bien
prendre ses racines dans la psychologie que dans l’ingénierie, dans les dynamiques sociales
que dans les dynamiques physiques. Mais, jusqu’ici, cette notion plus vaste du design manque
de hérauts – tout comme de nombreux autres domaines, où bien rares sont ceux qui ont les
compétences nécessaires pour relier entre eux les différents champs de connaissance si
essentiels à la réalisation d’un design efficace.


Conclusions


Au mieux de leur performance, les méthodes de design et le design thinking incitent les gens à
considérer les problèmes et les possibilités sous un jour neuf. Ils stimulent la créativité et nous
aident à distinguer les liens éventuels entre les choses, trop souvent occultés par le carcan de
la vie quotidienne qui entrave les gouvernements comme les entités commerciales. Mais nous
nous trouvons aujourd’hui à un tournant crucial, où le design, pour que son potentiel se réalise
pleinement, doit mieux apprendre et mieux enseigner. S’il y parvient, il pourrait devenir l’un
des champs déterminants des quelques décennies à venir. Dans le cas contraire, il risque
d’être perçu comme une marotte qui n’a pas tenu ses promesses.
Geoff Mulgan, directeur général de NESTA (National Endowment for Science Technology
and the Arts) au Royaume-Uni, est l’auteur de The Art of Public Strategy, Oxford University
Press, 2009.
1
    Victor Papanek (1971), Design for the Real World London, Thames and Hudson.

2
    Tim Brown et B. Katz (2009), Change by Design: How Design Thinking Transforms
Organisations an Inspires Innovation, New York, Harper Collins ; Sparke, P. (2009), The
Genius of Design, London: Quadrille Publishing. Sanders, E., & Stappers, P. (2008), ‘Co-
Creation and the New Landscapes Of Design’. CoDesign, 4 (1), 5-18.

3
    The Open Book of Social Innovation, NESTA/Young Foundation, 2010, London.

4
    Voir par exemple N. Whiteley (1993), Design For Society, London: Reaktion Books.

5
    Membre du Design Council pendant plusieurs années, j’ai contribué à évaluer leur travail
dans les services publics, et j’ai participé à un grand nombre de conférences, de festivals et de
concours.

6
    The Open Book of Social Innovation, NESTA/Young Foundation, 2010, London. Pour
d’autres rapports décrivant le domaine de l’innovation sociale et les méthodes qui s’y
rapportent, voir les ouvrages suivants : Mulgan, G. (2006), ‘Social Innovation: what it is, why
it matters, how it can be accelerated.’ London: Basingstoke Press ; Mulgan, G. (2007), ‘Ready
or Not? Taking Innovation in the Public Sector Seriously.’ NESTA Provocation 03. London:
NESTA ; Mulgan, G., Ali, R., Halkett, R. and Sanders, B. (2007), ‘In and Out of Sync: The
challenge of growing social innovations.’ NESTA/Young Foundation London.

7
    A. Markman and K. Wood (ed), Tools for Innovation, Oxford University Press, 2009.

8
    Les immenses collectes de données de Christopher Alexander dans les années 1980 et 2000
donnent une vision encore inégalée à l’heure actuelle à la fois des principes et des pratiques
du design, bien qu’il ait rarement utilisé ce terme.

9
    Voir par exemple Everett Rogers (1995), Diffusion of Innovations Free Press New York ;
Nutley, S., Davies, H. and Walter, I. (2002) Learning from the Diffusion of Innovations,
University of St Andrews ; Nooteboom, B. (2000), Learning and innovation in organisations
and economies, Oxford University Press, Oxford.
10
     Par exemple, Christianson, C. (2003), The Innovators Solution, Harvard Business School
Press, Cambridge Mass.

11
     Voir par exemple H. Chesbrough, ‘Innovation Intermediaries, enabling open innovation’,
Boston, Harvard Business School Press, 2006.

12
     Eric Von Hippel, Sources of Innovation.

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  • 1. LE DESIGN AU SERVICE DE L’INNOVATION PUBLIQUE ET SOCIALE – PERFORMANCE ACTUELLE ET AMÉLIORATIONS POSSIBLES Geoff Mulgan, directeur du Nesta, agence d’innovation gouvernementale britannique (traduction Emilie Brard pour la 27e Région) Une multitude d’initiatives s’appuient aujourd’hui sur les méthodes du design pour faire progresser l’innovation publique et sociale à travers le monde. Nombre de gouvernements mettent désormais le design à l’honneur, et certains d’entre eux se sont même dotés de laboratoires de design intégrés, dont le plus renommé demeure le MindLab au Danemark. On doit notamment cet élan à des entreprises qui ont développé des techniques spécifiques : IDEO et Frog, Think Public et Engine figurent parmi les pionnières, aux côtés d’organismes publics tels que SITRA en Finlande avec son Design Lab d’Helsinki, le Design Council au Royaume-Uni et la 27e Région en France, de collectifs tels que Design Management Initiative ou encore de programmes collaboratifs comme DESIS (Design for Social Innovation and Sustainability). L’intérêt pour ces diverses méthodes s’est développé parallèlement à l’attention croissante accordée à l’innovation sociale. Dans le secteur public, la nécessité d’améliorer les expériences de l’utilisateur s’est accompagnée d’une pression accrue en faveur d’une augmentation de la productivité. Dans le secteur commercial, nombreux sont ceux qui, voyant la part grandissante des industries sociales dans l’économie – santé, soins, éducation, environnement –, se sont convaincus de la nécessité de développer des modèles d’innovation différents de ceux qui avaient cours, par exemple, dans l’industrie pharmaceutique ou dans celle des microprocesseurs. Ajoutons à cela une plus grande assurance de la part de la société civile et un public qui désire jouer un rôle plus actif dans l’innovation, et l’on ne s’étonnera pas que le design se trouve aujourd’hui sous les projecteurs. La promesse du design est d’insuffler style et plaisir à des services qui peuvent paraître ternes, uniformes, inertes. Ne l’a-t-il pas déjà fait ? La continuité est indéniable entre certaines idées proclamées par les designers du XIXe siècle comme William Morris, les chantres de la génération passée tel Victor Papanek1, et les mouvements actuels en faveur d’un design plus écologique et plus proche de l’humain. Voilà un siècle, le modernisme du Bauhaus se voyait
  • 2. comme un mouvement démocratique radical déterminé à mettre la fabrication de masse au service de l’amélioration de la vie des gens, offrant ainsi une alternative à la médiocrité. Les designers industriels, après avoir mis des produits de qualité à la portée de tous, ont continué quelques générations plus tard à mêler production de masse et production artisanale, de façon à rendre disponible, à des prix abordables, une bien plus grande variété de produits de caractère – tendance qui a efficacement muselé les critiques à propos du conformisme abrutissant imputé à la production de masse et à la standardisation. Dans ce cas, pourquoi pareille évolution ne serait-elle pas possible dans les services de santé, dans les écoles, dans les organismes de prestations, aux impôts ? Qu’est-ce qui empêche le bon design de proposer à la fois qualité et diversité ? Le discours fort tenu par la communauté design en ce sens a porté ses fruits et éveillé l’intérêt.2 En effet, le langage du design centré sur l’utilisateur s’est relativement banalisé, de même qu’on reconnaît communément désormais la nécessité d’appliquer le design thinking aux services publics. Une enquête a d’ailleurs récemment démontré que de nombreuses méthodes d’innovation sociale à travers le monde comportent des éléments de design.3 Mais cette grande impulsion qui a marqué la dernière décennie a également inspiré quelques critiques, bien souvent motivées par des prétentions excessives. Les défenseurs des méthodes de design n’ont pas clairement établi s’ils plaidaient avant tout pour des méthodes issues du design de produit, promettant aux décideurs une part de la magie des Ipads d’Apple, des Dyson ou des hybrides de Toyota, ou s’ils se faisaient plutôt l’écho des idées mises en avant par Herbert Simon et ses pairs de la génération passée, qui considéraient que l’on retrouve des aspects du design dans tous les services publics : design de politiques, design organisationnel, design de services et design de rôles.4 Comme nous le verrons, ces deux positions ont des implications radicalement différentes. Les méthodes de design ont également été accusées de n’être pas toujours utiles : si elles fonctionnent bien à certains stades du processus d’innovation, c’est moins vrai à d’autres stades, et certaines de leurs faiblesses ont été mises en lumière lors de leur application à de nouveaux domaines. Sans compter que, dans la majorité des cas et en dépit de l’intérêt que suscite le design, les services publics qui y ont recours ne font pas appel aux designers, ni même (ou très peu) à des méthodes de design ; ces dernières se limitent à de rares pilotes et expérimentations, et les services publics ne semblent guère être en voie d’acquérir les capacités requises pour devenir de bons avocats du design.
  • 3. Mais alors, quel est le bilan de tout cela ? Le design est-il la clé de services publics plus efficaces et plus opérants, ou un luxe onéreux réservé aux conférences et aux consultants, hors de portée du public ? Le moment est venu de faire le point sur la performance actuelle du design et les améliorations possibles – autrement dit sur les atouts des modèles actuels, leurs faiblesses et ce qui pourrait être la voie à suivre. Je m’appuie ici sur l’observation et les nombreuses conversations que j’ai pu avoir avec les citoyens sur le terrain plutôt que sur des données officielles (notamment parce que ledit terrain a rarement fait l’objet de mesures et d’évaluations extérieures, encore que j’aie connaissance de quelques évaluations menées au sein d’organismes de financement).5 Comme nous allons le voir, le design peut apporter beaucoup – mais les prétentions grandiloquentes entendues de temps à autre ces dix dernières années ont souvent fait plus de mal que de bien. Aujourd’hui, les designers doivent trouver une voix plus humble, porter plus d’attention aux résultats, accorder plus de considération à cet « art profond » indispensable au succès de l’innovation publique, et reconnaître que le meilleur d’eux-mêmes ne ressortira probablement qu’au contact d’une équipe rassemblant des compétences complémentaires. Atouts des méthodes de design en matière d’innovation sociale et de service public Jusqu’ici, la majeure partie du travail des designers dans les services publics ou sur les questions d’ordre social a consisté à appliquer, sans les modifier, des méthodes initialement associées au design de produits à des problèmes d’une tout autre nature. L’approche spécifique au design de produits peut être rafraîchissante et stimulante. Les méthodes de cette spécialité associent généralement quatre éléments principaux. Compréhension des expériences de l’utilisateur : une première boîte à outils permet de cerner le problème qui doit être résolu et de remonter jusqu’à son origine. Les designers se sont approprié certaines méthodes de l’ethnographie afin de comprendre comment les usagers voient et perçoivent les services qu’ils utilisent ; les services publics, s’il leur arrive d’employer ces techniques, les oublient la plupart du temps. Le recours à des anecdotes, à des vidéos, à des panneaux d’affichage pour cartographier avec authenticité l’expérience d’un patient ou d’un demandeur de prestations sociales apporte invariablement de nouveaux éclairages. Sous la bannière du « design centré sur l’utilisateur », les designers ont également
  • 4. adapté à leur usage certaines méthodes issues des mouvements sociaux – notamment du mouvement pour l’égalité des droits des personnes handicapées – qui, de tous temps, ont amené des gens exprimant un besoin spécifique à mettre en forme de nouvelles solutions. Les designers se sont rendu compte que le fait de se rapprocher de l’utilisateur final, quel qu’il soit, permet de faire émerger de nouvelles perspectives, et de montrer comment des systèmes apparemment bien conçus omettent bien souvent de prendre en compte la finesse de grain du quotidien. Pris isolément, certains services fonctionnent bien, mais le parcours entre les services est bien souvent difficile, que ce soit pour un patient atteint de maladie grave ou pour un élève qui multiplie les changements d’établissement scolaire. En général, l’emploi de ces méthodes a un effet dynamisant sur les agents des services publics. Elles apportent fraîcheur et clarté à des services dont le cadre existant, la plupart du temps, est tenu pour immuable. Le design stimule la réflexion. Il fait la jonction entre la pensée et l’action,6 et permet de mettre au jour les micro-politiques au sein des services et de déterminer qui définit les objectifs de ces services. Idéation : grâce à la boîte à outils suivante, on passe du diagnostic aux idées. Les outils favorisant la créativité peuvent paraître opaques et mystérieux, ou encore superficiels. Mais une analyse sérieuse du design a montré que des outils relativement simples peuvent avoir de grands effets sur la créativité, et aider des équipes à développer des menus d’options bien plus fournis. Les méthodes d’IDEO, par exemple, peuvent être déconstruites en étapes simples, incrémentielles.7 Ma propre expérience du design de services dans le domaine social et autour des services publics m’a conforté dans l’idée qu’une succession d’étapes faciles à réaliser peut aider une équipe à produire des idées nettement plus radicales. Le tableau ci-dessous résume une série d’étapes que j’ai imaginée, assorties d’exemples. La méthode habituelle consiste à isoler un éventail de notions – ethnographiques, économiques, etc. –, puis d’appliquer chacune de ces approches au problème ou au service auquel on cherche une solution, de façon à générer des menus de nouvelles options. OUTILS DU DESIGN SOCIAL (SOCIAL DESIGN TOOLS™) ^ inversion (les paysans deviennent banquiers, les patients deviennent docteurs) ∫ intégration (conseillers personnels, guichets uniques, portails, circulation rapide)
  • 5. x extension (activités extrascolaires, travail social de proximité) ∂ différentiation (segmentation de services en groupes, ou personnalisation) + addition (amener les médecins généralistes à pratiquer un nouveau test, les librairies à organiser des séances de thérapie par la parole) - soustraction (pas de superflu, réduction des objectifs, remise en ordre) t transfert (management d’aéroport dans les hôpitaux, planification commerciale dans les familles) g greffe dans un domaine d’un élément issu d’un autre domaine, création d’une nouvelle fusion (coaching dans un collège) ∞ extrémisme créatif – pousser les idées et les méthodes le plus loin possible r « random inputs », entrées aléatoires (dictionnaires, Pages Jaunes) Prototypage rapide : une fois les nouvelles idées cristallisées, on peut les tester instantanément – une approche là encore étrangère à la pratique bureaucratique dominante. Les designers sont généralement partisans du prototypage rapide, autrement dit de l’apprentissage immédiat par l’action, qu’ils préfèrent à une planification dans le détail. De nos jours, nous disposons pour cela non seulement de la CAO et de nouveaux outils comme l’imprimante 3D, mais aussi d’une troisième génération d’outils de prototypage rapide qui permettent la création accélérée et collaborative de nouveaux systèmes et services. Plutôt que de consacrer des années au perfectionnement d’un nouveau modèle ou d’une nouvelle stratégie, la meilleure méthode pour améliorer un service est bien souvent de mettre en pratique ce modèle ou cette stratégie à petite échelle, et en contexte réel. Certaines branches ont toujours procédé ainsi, et, depuis longtemps déjà, des architectes comme Christopher Alexander8 recommandent cette approche jusque dans la construction de bâtiments – en se servant de maquettes de structures qu’ils implantent in situ pour vérifier qu’elles sont bien conformes aux attentes. C’est un procédé tout à fait naturel pour les entrepreneurs sociaux comme pour certains acteurs de l’innovation dans les professions libérales (Michael Young, par exemple, a toujours cru en ce que nous appelons aujourd’hui le prototypage rapide, et a mis sur pied des structures à petite échelle de ce qui allait devenir NHS Direct ou l’Open University, d’une part pour observer ce qui fonctionnait, et d’autre part pour créer une dynamique).
  • 6. Visualisation : à chacune de ces étapes, les méthodes de design on tendance à être très visuelles – les designers graphiques ont d’ailleurs joué un rôle prépondérant à la fois dans la pratique et dans la promotion du design. Une visualisation claire des problèmes, et des solutions potentielles, peut avoir un impact surprenant au sein de nos cultures où la prose est la règle et le tableau de données l’exception. J’ai souvent été frappé de l’influence qu’une bonne communication visuelle peut conférer à des projets très modestes – alors même que d’autres projets par ailleurs similaires ont conduit à de meilleurs résultats. Des visualisations claires et audacieuses ont un effet marquant sur les agents des services publics, quel que soit leur scepticisme initial. Systèmes : enfin, les designers ont emprunté certaines idées à la pensée systémique, notamment en réaction aux critiques passées qui leur reprochaient la discrétion excessive de leurs concepts de produits ou de services. La pensée systémique nous encourage à faire ressortir la bonne question parmi toutes celles que semble poser un problème donné. Quel est, par exemple, l’origine réelle de l’absentéisme scolaire ? Est-ce un échec des écoles elles- mêmes, des familles, des jeunes ? Les véritables causes résident-elles dans le peu d’intérêt des leçons, ou dans la dépréciation du travail sérieux par la culture populaire ? Un autre exemple : les personnes sans domicile fixe. Le problème sous-jacent est-il le manque de logements, ou plutôt la maladie mentale, l’alcool, la drogue, la rupture familiale ? Et que dire de l’augmentation apparente du nombre de maladies mentales dans le monde développé ? N’est- ce qu’un artefact des statistiques, puisqu’on mesure aujourd’hui des choses qu’on ne mesurait pas auparavant ? Est-ce plutôt une conséquence du stress, du déclin de la religion et de la famille ? Ou bien est-ce, comme de récentes recherches semblent le suggérer, l’effet à long terme des produits pharmaceutiques mêmes qui étaient censés soigner la maladie mentale en premier lieu ? Pour obtenir les bonnes réponses, il est indispensable de définir les bonnes questions ; et, d’une manière générale, plus nous nous affranchissons des carcans institutionnels et disciplinaires pour privilégier la pensée systémique, plus nous avons de chances d’obtenir des résultats probants. Dans chacun de ces cas, les designers, parce qu’ils sont libres de tout parti-pris et parce qu’ils ne font pas partie d’une profession puissante, ont le recul nécessaire pour voir et dire des choses qui échappent aux fonctionnaires en poste. Bien souvent, le concours d’un designer renforce les acteurs de l’innovation sociale au cœur du système : il légitime ce qu’ils ont à dire. Points faibles des projets et des méthodes de design
  • 7. Ainsi, les méthodes de design, pour être mieux comprises, doivent être envisagées comme une synthèse de méthodes issues de nombreux autres domaines qui, ensemble, contribuent à atténuer les faiblesses traditionnelles des décideurs. Mais alors, quelles sont leurs propres points faibles ? Le coût est un premier sujet de plainte : on reproche à des consultants grassement rémunérés de débarquer de Londres ou de Los Angeles dans des quartiers défavorisés pour y déployer des méthodes certes utiles pour des fabricants de matériel électronique ou d’articles de sport, mais assez peu adaptées aux réalités d’une communauté financièrement restreinte. Cette question est particulièrement sensible dans les pays en voie de développement, mais le problème s’est également posé au Royaume-Uni et dans d’autres pays riches, où des designers bien payés ont été parachutés dans des quartiers pauvres pour aider à redessiner des hôpitaux ou des services pour enfants. Une autre critique récurrente fait écho au reproche général adressé aux consultants : ceux-ci donnent l’impression d’être engagés, mais ils disparaissent dès que l’argent cesse d’arriver. Cet aspect n’aurait sans doute pas autant d’importance si la rhétorique du design accordait moins de place à la parole et aux besoins des utilisateurs. Dans la mesure où le projet constitue l’unité généralement admise du travail du designer, il est souvent difficile de prouver son impact. Certains designers ont résolu ce problème en se concentrant sur l’élaboration de projets durables ; ainsi, ils disposent d’une période de développement plus longue, ce qui élargit singulièrement les perspectives de retombées à long terme. Le troisième reproche concerne la mise en pratique, pour laquelle les designers sont accusés d’être moins compétents qu’en matière de créativité. Beaucoup de détracteurs concèdent volontiers que les méthodes de design élargissent l’éventail d’options accessibles aux services publics. Mais ils signalent que le manque d’attention accordée à la fois à l’économie – s’assurer que les idées sont réalisables d’un point de vue financier –, et aux cultures et problèmes spécifiques aux organismes, condamne trop de concepts à rester sur la planche à dessin. Ainsi, par exemple, on ne manque pas d’idées censées garantir des économies au secteur public par la prévention des coûts à venir – moins de détenus dans les prisons, moins d’admissions dans les hôpitaux, etc. Mais l’évaluation même des coûts tend à être simpliste, à occulter les répercussions sur d’autres services, ou à faire l’impasse sur le genre de preuves
  • 8. que les décideurs sont susceptibles de demander, comme par exemple des tests effectués par des groupes témoins identifiables. Le design thinking doit encore intégrer la majorité des preuves attestant de la diffusion des innovations.9 La difficulté qu’ont les designers à apprendre des autres suscite également la critique. Ils savent fort bien expliquer pourquoi les autres domaines et disciplines ont besoin d’eux, mais, lorsqu’il s’agit de reconnaître qu’ils gagneraient à apprendre des autres, il n’y a plus personne. Certains ont même une fâcheuse tendance à réinventer la roue – la fraîcheur, souvent une vertu, peut devenir un vice lorsqu’on réinvente des idées vieilles comme le monde pour les présenter comme totalement neuves, sans tenir compte de leurs échecs passés et des leçons à en tirer. Il m’est arrivé à plusieurs reprises, lors de meetings réunissant designers, promoteurs du design et décideurs, de voir le même schéma se reproduire : les décideurs venaient d’admettre à contrecœur que les designers puissent leur apprendre une ou deux choses ; mais les designers semblaient déconcertés lorsqu’on émettait l’idée qu’ils puissent à leur tour apprendre des décideurs, ou des nombreux organismes et branches défendant une certaine vision du design social : entrepreneurs sociaux, professions libérales, consultants, technologies de l’information, etc. Les exceptions à cette règle sont nombreuses, mais les affirmations prétentieuses selon lesquelles les méthodes de design ne traiteraient que des problèmes complexes, holistiques, n’ont pas toujours contribué à inspirer une culture de collaboration et d’apprentissage réciproque. Le défi La plupart des critiques à l’égard des designers sont injustes. Les bons designers savent reconnaître que leurs compétences ne sont utiles qu’associées à d’autres compétences complémentaires. La plupart d’entre eux évitent de céder aux sirènes de l’orgueil. Malgré tout, nous sommes face à un défi : comment mobiliser le meilleur du design sans en accentuer les faiblesses ? Les réponses, très certainement, résident dans le management d’équipe, le savoir-faire, la formation, et la pratique. 1) Les équipes travaillant autour du design doivent réunir une somme de compétences aussi complète que possible, afin d’être en mesure de bien appréhender les contextes
  • 9. organisationnel, économique, politique et social ; elles ont également besoin de directeurs de projets parfaitement à l’aise avec les divers langages d’un ensemble de champs et de disciplines. 2) Certains designers au moins doivent présenter, en plus de leurs compétences en design, d’autres compétences-clé (en économie, en politique, en savoir social) et un profil en forme de T (dit de « marginal sécant »), de façon à réduire les risques décrits ci-dessus. 3) Outre un personnel plus compétent, il nous faut également de meilleures méthodes, permettant d’inclure le design dans des structures de projets susceptibles d’améliorer leurs perspectives de mise en œuvre. Cette question a déjà fait l’objet d’une réflexion sérieuse, mais l’expérimentation et l’évaluation restent à systématiser. Non moins important, les méthodes de management de projet doivent être modifiées, de sorte qu’elles soient moins coûteuses et qu’elles laissent derrière elles des savoir-faire plus solides au sein des organismes et des communautés qui mettront le projet en pratique (notamment parce que l’innovation est un processus en constante évolution, et que même les meilleures idées doivent être ajustées à l’épreuve du concret). Le design dans le contexte de l’innovation Enfin, nous avons besoin d’une autre forme de dialogue. Nombre d’événements au cours de la dernière décennie se contentaient d’être des vitrines de promotion du design ; ce style doit désormais céder la place au dialogue et à l’apprentissage réciproque. En particulier, le design doit s’enrichir d’une étude plus complète de l’innovation. Des figures éminentes comme Rosabeth Moss Kanter, Gary Hamel et Clayton Christensen ont cherché à saisir certains des schémas courants de l’innovation, parmi lesquels le rôle de rupture ou la performance relativement faible d’innovations pourtant tout à fait réussies au cours des premières phases de compétition avec des systèmes en place plus aboutis et plus optimisés.10 L’innovation ouverte11 et l’innovation centrée sur l’utilisateur12, deux exemples intéressants de l’adaptation au domaine commercial d’idées évoluant depuis longtemps dans le domaine social, ont également soulevé beaucoup d’intérêt dernièrement. Toutes ces formes d’innovation se rapprochent du design. La corrélation entre design et innovation est plus frappante encore lorsqu’on se penche sur la récente initiative de Brian Arthur, qui a tenté de fournir une analyse structurée du changement technologique – sans doute, à ce jour, la plus impressionnante tentative de ce genre. Ses travaux suggèrent que la technologie tend à naître de l’observation
  • 10. des phénomènes naturels – comme la lumière, la chaleur et le mouvement dans le cas des technologies physiques, ou les interactions sociales dans le cas des technologies sociales. La technologie cherche alors à reproduire, ou du moins à imiter, ces phénomènes de façon à amplifier leur puissance, et finit par se structurer en sous-systèmes et en composants, dont chacun peut évoluer parallèlement aux autres. Et la technologie répond à une logique évolutive qui lui est propre : les avancées dans un domaine provoquent des avancées dans un autre domaine, ou bien un problème particulier fait apparaître un domaine de connaissance entièrement nouveau. Brian Arthur met en particulier l’accent sur « l’art profond » en tant que clé de l’innovation technologique sur le long terme. L’intuition prédomine ici, inspirée de l’impression qui se dégage des éléments rassemblés dans un service ou un produit, et de l’expérience de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas. Nous sommes là face une notion du design bien plus vaste que celle que peuvent apporter les designers de produits. L’art profond que nécessite l’innovation dans des domaines comme l’éducation ou la santé peut tout aussi bien prendre ses racines dans la psychologie que dans l’ingénierie, dans les dynamiques sociales que dans les dynamiques physiques. Mais, jusqu’ici, cette notion plus vaste du design manque de hérauts – tout comme de nombreux autres domaines, où bien rares sont ceux qui ont les compétences nécessaires pour relier entre eux les différents champs de connaissance si essentiels à la réalisation d’un design efficace. Conclusions Au mieux de leur performance, les méthodes de design et le design thinking incitent les gens à considérer les problèmes et les possibilités sous un jour neuf. Ils stimulent la créativité et nous aident à distinguer les liens éventuels entre les choses, trop souvent occultés par le carcan de la vie quotidienne qui entrave les gouvernements comme les entités commerciales. Mais nous nous trouvons aujourd’hui à un tournant crucial, où le design, pour que son potentiel se réalise pleinement, doit mieux apprendre et mieux enseigner. S’il y parvient, il pourrait devenir l’un des champs déterminants des quelques décennies à venir. Dans le cas contraire, il risque d’être perçu comme une marotte qui n’a pas tenu ses promesses.
  • 11. Geoff Mulgan, directeur général de NESTA (National Endowment for Science Technology and the Arts) au Royaume-Uni, est l’auteur de The Art of Public Strategy, Oxford University Press, 2009.
  • 12. 1 Victor Papanek (1971), Design for the Real World London, Thames and Hudson. 2 Tim Brown et B. Katz (2009), Change by Design: How Design Thinking Transforms Organisations an Inspires Innovation, New York, Harper Collins ; Sparke, P. (2009), The Genius of Design, London: Quadrille Publishing. Sanders, E., & Stappers, P. (2008), ‘Co- Creation and the New Landscapes Of Design’. CoDesign, 4 (1), 5-18. 3 The Open Book of Social Innovation, NESTA/Young Foundation, 2010, London. 4 Voir par exemple N. Whiteley (1993), Design For Society, London: Reaktion Books. 5 Membre du Design Council pendant plusieurs années, j’ai contribué à évaluer leur travail dans les services publics, et j’ai participé à un grand nombre de conférences, de festivals et de concours. 6 The Open Book of Social Innovation, NESTA/Young Foundation, 2010, London. Pour d’autres rapports décrivant le domaine de l’innovation sociale et les méthodes qui s’y rapportent, voir les ouvrages suivants : Mulgan, G. (2006), ‘Social Innovation: what it is, why it matters, how it can be accelerated.’ London: Basingstoke Press ; Mulgan, G. (2007), ‘Ready or Not? Taking Innovation in the Public Sector Seriously.’ NESTA Provocation 03. London: NESTA ; Mulgan, G., Ali, R., Halkett, R. and Sanders, B. (2007), ‘In and Out of Sync: The challenge of growing social innovations.’ NESTA/Young Foundation London. 7 A. Markman and K. Wood (ed), Tools for Innovation, Oxford University Press, 2009. 8 Les immenses collectes de données de Christopher Alexander dans les années 1980 et 2000 donnent une vision encore inégalée à l’heure actuelle à la fois des principes et des pratiques du design, bien qu’il ait rarement utilisé ce terme. 9 Voir par exemple Everett Rogers (1995), Diffusion of Innovations Free Press New York ; Nutley, S., Davies, H. and Walter, I. (2002) Learning from the Diffusion of Innovations, University of St Andrews ; Nooteboom, B. (2000), Learning and innovation in organisations and economies, Oxford University Press, Oxford.
  • 13. 10 Par exemple, Christianson, C. (2003), The Innovators Solution, Harvard Business School Press, Cambridge Mass. 11 Voir par exemple H. Chesbrough, ‘Innovation Intermediaries, enabling open innovation’, Boston, Harvard Business School Press, 2006. 12 Eric Von Hippel, Sources of Innovation.