présentation à l'Institut des Sciences de la Communication CNRS, Paris, 5 mars 2018

1. Profession « nettoyeur du net » :
la modération de commentaires au quotidien
Nikos Smyrnaios,
LERASS, Université de Toulouse

2. Le constat
Les attentats de 2015 et 2016 ont rendu visible une fonction par
définition invisible: la modération

3. Le constat
En 2017 plusieurs affaires (RussiaGate, YouTube) ont mis cette
fonction au devant de la scène à l’échelle des plateformes

4. Le constat
1. Les opérateurs de la modération sont absents des travaux qui
traitent des dispositifs participatifs y compris à l’échelle internationale
(difficulté d’accès au terrain, « invisibilité »)
2. Les analyses de contenus se font sur des corpus après modération
Par conséquent:
Manque à la littérature une socio-économie de la modération et une
comparaison entre contenus publiés et non publiés afin de déceler les
effets concrets de la modération

5. La problématique
Quelles sont les contraintes de natures juridique, technique et socio-
économique qui conditionnent les pratiques de modération ?
Quels sont les effets de la modération sur l’offre de l’information ?
Lier les conditions matérielles de production à leurs effets symboliques

6. La méthode
6 entretiens semi-directifs au sein de l’un des principaux prestataires
en France
(directeur général, directrice opérationnelle, social media manager,
superviseur et modérateurs)
Analyse semi-automatisée de 29 000 commentaires envoyés à 3 sites
d’information entre le 13 et le 16 novembre 2015
Smyrnaios N., Marty E., « Profession "nettoyeur du net". De la
modération des commentaires sur les sites d’information français »,
Réseaux, no 205, 2017, p. 57-90.

7. Le contexte
Paradigme concernant la culture participative de l’internet dominé
longtemps par l’idéal-type d’une expression publique en ligne par
définition positive et inclusive
Au milieu des années 2000 ce paradigme a produit une « injonction à
la participation » au sein des rédactions qui ont vu se multiplier les
dispositifs participatifs
Création des sites (plus ou moins) participatifs en France:
Rue89, Mediapart, Ring, Le Plus etc.
Mais très vite apparaissent des limites et des frictions

8. Le contexte
Tensions avec les les prérogatives journalistiques (gate-keeping,
déontologie etc.)
Contraintes de la gestion de la participation en interne:
activité chronophage et couteuse
Anonymat: liberté d’expression Vs. Incivilité
Contexte politique & elargissemnent de la participation: Dénigrement,
trolling, propagande, discours de haine
Echecs économiques, arrêt d’initiatives, fermeture des espaces de
commentaires, rationalisation => sous-traitance
3 acteurs en France: Netino, Concileo (sous-traitent au Sud), Atchik

9. Le terrain
Atchik fondée dans les années 90 par Bertrand Darrouzet, ancien
cadre du secteur des télécommunications
Activité principale: solutions logicielles pour des opérateurs de
téléphonie mobile
Une filiale au Danemark et d’une autre en France (Toulouse)
2015 CA de 3,2M d’euros pour un déficit de 130k
CA modération a augmenté de 30% entre 2014 et 2015
Clients: FB de L’Elysée, Orange, Le Parisien, RTL, La Dépêche du
Midi etc. => positionnement qualitatif
Une trentaine de modérateurs en 2016 (de bac+3 à bac+5)

10. Le terrain

11. Les conditions de travail
Concurrence sur le coût du travail en raison de la sous-traitance dans
pays du Sud (Maroc, Madagascar).
Respect du code du travail (temps de travail légal, congés, salaire
minimum etc.) mais…
Très bas salaires (SMIC pour un Bac+5), recrutement exigeant
Forte flexibilité car activité 7j/7 de 6h jusqu’à 23h (+astreintes)
Pas de weekends (2 jours consécutifs de congés mais pas samedi et
dimanche)
Horaires imposés, notamment lors de pics d’activité
=> Forte rotation, peu de perspectives d’évolution

12. La modération au quotidien
Flux de commentaires ininterrompu de plusieurs sources
Impératifs de productivité: 400 commentaires/heure
Surveillance continue par les superviseurs, open space
Arbitrages permanents: entre différents flux, temps passé/précision,
permissivité/severité
Travail rébarbatif et intense, mobilisation forte de ressources
symboliques (connaissance de politique, actualité, gestion de
dispositifs techniques complexes)
Fatigue mentale et psychologique, conflits cognitifs
Tactiques collectives et individuelles de défense

13. La modération au quotidien

14. La mécanique de la modération
Dispositif technique qui permet :
- Modération a priori (plus chère et plus lente)
- Modération a posteriori (acculturation par FB)
Combinaison d’un système automatique (flux XML à travers plusieurs
filtres comme rubrique, mot-clé) + intervention humaine
Facturation en fonction du volume de commentaires et des exigences
qualitatifs (notamment rapidité)
Contraintes légales: incitation à la haine, insulte, diffamation,
harcèlement mais aussi péril imminent et non assistance à personne
en danger

15. L’impact sur le pluralisme
Modération: courroie de transmission de la ligne éditoriale
=> charte légale et éditoriale
URLs, les fautes d’orthographes, commentaires hors sujet,
interpellations des journalistes, dialogue, vulgarité
Plus permissif moins permissif
La Dépêche du Midi Orange
Tendances: trolls, complotisme et discours identitaire (codé)
Grande majorité de contenus non publiés: racistes, islamophobes
PQR: adjuvant de la rédaction

16. Les attentats
Situation exceptionnelle, organisation d’urgence mais anticipation
3 types de messages non publiés: « censure », insultes envers les
« musulmans », contre l’accueil de « réfugiés »,
Messages acceptés: compassion, condoléances, contexte géopolitique
(guerre en Syrie)
Messages plus compliqués à modérer : condamnation du « laxisme »
du gouvernement et adhésion aux propos du Front National, mode
conversationnel
Exercice d’un certain libre arbitre

17. Les attentats

18. « Invisibilité »: partie intégrante de la fonction
Pas de reconnaissance matérielle et symboique de leurs savoirs et
savoir-faire
« taylorisme digital »: digital labor, plateau de téléconseiller
4 logiques à l’œuvre: contexte sociopolitique ; cadre juridique ;
stratégies des éditeurs ; stratégies des prestataires
Impossibilité de « faire faire » à la technique,
travail humain indispensable
Problématique forte pour les plateformes (Google, Facebook, Twitter
etc.)
Conclusion