Enjeux pour l’historien de demain : l’exploitation des sources numériques
Rôles et perspectives des bibliothéques numériques dans l'èconomie de ia connaissance une ètude de cas
1. Colloque « En route vers Lisbonne » - 4 et 5 décembre 2008
Rôles et perspectives des bibliothèques numériques dans
l’économie de la connaissance : une étude de cas
Marion Consalvi 1, Laurent Eilrich 2, Ghislain Sillaume 3
1
Centre Virtuel de la Connaissance sur l’Europe, L-4992 Sanem – Grand-duché de Luxembourg
Laboratoire i3m – EA 3820, Université du Sud-Toulon-Var, 83957 La Garde – France
marion.consalvi@cvce.lu
2
Centre Virtuel de la Connaissance sur l’Europe, L-4992 Sanem – Grand-duché de Luxembourg
laurent.eilrich@cvce.lu
3
Centre Virtuel de la Connaissance sur l’Europe, L-4992 Sanem – Grand-duché de Luxembourg
ghislain.sillaume@cvce.lu
Résumé
Les bibliothèques numériques s’introduisent timidement dans un paysage informationnel trusté par le
Web et les moteurs de recherche généraux. Pourtant, et depuis maintenant plus d’une dizaine
d’années, les investissements liés à la recherche sur le domaine et aux projets de numérisation et
d’accessibilité des contenus numériques ont largement favorisé l’émergence d’une alternative au
réflexe d’une recherche par mots clés dans les index de Google. Le patrimoine culturel et scientifique
de l’humanité, protégé depuis des siècles par de nobles et vénérables institutions, entre aujourd’hui
dans une nouvelle ère. Il doit s’inscrire désormais, pour continuer à exister, dans un flux continu
d’échanges qui obéissent à de nouvelles règles et à une tout autre temporalité (Li C. et Bernoff J.,
2008). Cet article répertorie une liste d’études issues de plusieurs disciplines et focalisées sur
l’évolution d’une bibliothèque numérique consacrée à l’histoire et aux organisations de l’Europe unie.
A travers cet exemple concret, il illustre le rôle et les perspectives des organisations, gardiennes du
temple, dont la mission principale est de garantir la qualité de l’information au profit de tous et pour le
progrès de la société.
Mots-clés : Bibliothèque 2.0 ; Bibliothèque numérique ; Société de la connaissance ; Technologie de
l’information et de la communication (TIC)
1. Introduction
Le Centre Virtuel de la Connaissance sur l’Europe (CVCE), établissement public
luxembourgeois, développe et propose en accès libre sur Internet une bibliothèque
numérique consacrée à l’histoire et aux organisations de l’Europe unie, European NAvigator1
(ENA). Par bibliothèque numérique, on retiendra la définition donnée par le réseau
d’excellence DELOS2 : « organisation, éventuellement virtuelle, qui s’applique à collecter,
gérer et préserver à long terme du contenu numérique enrichi et qui offre à ses
communautés d’utilisateurs des fonctionnalités spécialisées liées à ce contenu, d’une qualité
mesurable, et selon des règles préétablies » (Candela et al., 2008).
Répondant aux exigences européennes en matière d’accès à l’information – rendre les
sources multimédias plus faciles et plus intéressantes à utiliser (Commission des
Communautés européennes, 2005a) – et à celles du Sommet mondial sur la société de
l’information, la bibliothèque numérique ENA se place en acteur important dans la diffusion
et l’accès à la connaissance sur le web, prolongeant les multiples rôles tenus par les
bibliothèques (sens classique) dans la société que sont : point d'accès à l'information et au
savoir ; centre de formation aux TIC ; lieu de formation continue répondant à des besoins
1
2
European Navigator – http://www.ena.lu
DELOS Network of Excellence on Digital Libraries - http://www.delos.info
2. Colloque « En route vers Lisbonne » - 4 et 5 décembre 2008
spécifiques ; lieu de conservation et de mise en valeur du patrimoine culturel (IFLA, 2008).
Comme l’affirme Fabrice Papy : « la bibliothèque (sens classique) représente, au-delà de sa
mission d’archivage et de conservation, un lieu privilégié d’exercice du travail intellectuel où
se construit et progresse la pensée de l’individu qui a accompli la démarche de s’approprier
ce lieu de règles et d’organisation destiné à son usage » (Papy et Al., 2005).
Le présent article reconsidère ces enjeux dans le contexte du tout numérique et de
l’avènement des réseaux sociaux. A travers l’exemple concret de la bibliothèque numérique
ENA et après avoir présenté le cadre théorique et les principaux projets actuels, il s’interroge
sur l’avenir de l’information patrimoniale, sur sa visibilité, ses usages et sa valeur dans la
société de la connaissance.
2. Les bibliothèques numériques : Un cadre théorique
En 2005, Lagoze et al. débutaient un article de référence en affirmant que nous vivons
encore l'adolescence des bibliothèques numériques (Lagoze et al., 2005). La discipline est
effectivement encore très jeune et les récents débats (Ioannidis Y., 2004) quant à une
évolution du terme « bibliothèques numériques » témoignent de la complexité du domaine et
de la volonté d'instaurer une différenciation claire avec le monde des bibliothèques
traditionnelles. Les expressions « Dynamic Universal Knowledge Environnements » ou
« Dynamic Universal Commons of Knowledge » ou « Knowledge Commons » ou, plus
récemment3, « information space » avaient alors été évoquées afin de lever toute ambiguïté
liée à la sémantique implicite du mot bibliothèque et de mieux correspondre à la réalité des
systèmes d'informations développés (archives, entrepôts de métadonnées, outils de gestion
de contenus, dépôts d'articles scientifiques...). Consciente de la nécessité de clarifier les
concepts et de partager une base de références communes entre chercheurs, la
communauté scientifique a depuis publié de nombreux travaux sur les fondements de la
discipline. Le réseau d'excellence européen DELOS1 a notamment entamé en collaboration
avec d'autres groupes de recherche internationaux, la rédaction d'un modèle de référence
pour les bibliothèques numériques (Candela et al., 2008). Ce document comporte dans une
première partie un manifeste (Candela et al., 2007) qui expose les fondations du domaine en
une vingtaine de pages. La suite du document détaille, quant à elle, les concepts qui
structurent le cœur des bibliothèques numériques: le contenu, les utilisateurs, les
fonctionnalités, la qualité, les règles de gestion et l'architecture. Ce modèle est toujours en
cours d'évolution. Il a été confronté à d'autres référentiels comme le 5 Streams Model
proposé par le Virginia Tech (Gonçalves et al. 2004) et fait l'objet d'un consensus
international. Les bibliothèques numériques constituent également un point de rencontre
entre de nombreuses thématiques comme par exemple: la gestion de données, la gestion
des documents, l'extraction automatique d'informations, la bibliothéconomie, les systèmes
d'information, le traitement des images, l'interaction homme machine, le Web, l'intelligence
artificielle, la préservation des documents numériques... Lompré constate que le monde des
bibliothèques numériques cristallise quatre types de population: les spécialistes de
l'information, les spécialistes des techniques informatiques, les utilisateurs et les spécialistes
de l'utilisabilité (Papy et Al., 2007).
3. Les bibliothèques numériques : Des initiatives concrètes
Les bibliothèques numériques sont également au centre de nombreuses initiatives
européennes et internationales à travers différents projets publics ou privés.
3
Third Workshop on Foundation of Digital Libraries, Aarhus, Denmark, September 18, 2008 http://www.delos.info/index.php?option=com_content&task=view&id=619
3. Colloque « En route vers Lisbonne » - 4 et 5 décembre 2008
On peut citer en particulier les projets financés par la commission européenne dans le
contexte général de la communication i2010: bibliothèques numériques (Commission des
Communautés européennes, 2005b) qui a énoncé les premiers éléments traitant de la
numérisation, de l’accessibilité en ligne et de la préservation numérique du patrimoine
culturel européen. A travers les appels à propositions du 6ième et 7ième programme-cadre de
recherche et de développement et du programme multi-annuel eContent Plus, de nombreux
projets ont établi les bases scientifiques, techniques et organisationnelles pour la création
d’une bibliothèque numérique européenne. Ces efforts se sont fédérés autour du projet TEL4
et plus récemment autour de la conception du prototype Europeana5 qui a été officiellement
présenté en novembre afin de démontrer la faisabilité d’une mise en commun à grande
échelle (Europeana a pour objectif de regrouper au terme du projet environ 10 millions
d’items) des ressources numériques des musées, bibliothèques, archives et collections
audiovisuelles européennes.
Brewster Kahle, Directeur de l’organisation à but non lucratif américaine Internet Archive6,
exprimait lors de la dernière conférence européenne sur les bibliothèques numériques7 son
espoir de voir notre génération bâtir ce qu’il appelle la « cathédrale du savoir », un accès
unique et universel à toutes les connaissances dont nous disposons actuellement. Selon lui
et à travers l’expérience de son organisation, un budget de cinq cent millions de dollars
suffirait aujourd’hui pour numériser la quasi-totalité des ressources des archives et des
bibliothèques. Le rôle des Etats-Unis et en particulier des initiatives privées telles que
Google Books8 ou Google Scholar9 a été déterminant pour l’avènement de la numérisation
massive des savoirs, déclenchant notamment la réponse européenne espérée par l’ancien
directeur de la Bibliothèque Nationale de France (Jeanneney J.M., 2005).
Le continent asiatique, très actif sur la scène des contenus numériques, développe aussi des
outils qu’il exploite aujourd’hui couramment dans le contexte des apprentissages distants
pour les écoles et les universités.
La cathédrale du savoir est sans nul doute en pleine construction et peut d’ors et déjà
célébrer la diversité culturelle et linguistique de ses fondations.
4. European Navigator : Une étude de cas
Le développement de ENA est par essence pluridisciplinaire. Le projet avait pour objectif,
dès ses débuts, de mettre à disposition une information de qualité sur l’histoire de l’Europe
en tirant profit du potentiel des technologies de l’information et de la communication. La
« bibliothèque née numérique ENA » s’est construite historiquement autour d’une relation
bipolaire entre l’élaboration scientifique des contenus et le développement de solutions
technologiques très pragmatiques. La première phase du projet avait ainsi abouti à la
réalisation d’un prototype du système sur CD-ROM. Le déploiement du projet s’est ensuite
poursuivi à travers des financements qui ont offert la possibilité d’offrir un accès à un plus
large public (par diffusion satellitaire puis par le Web) et d’améliorer les outils par sauts
technologiques successifs.
Aujourd’hui, le développement de ENA justifie une collaboration étroite entre les sciences de
l’information, l’informatique, l’ergonomie et les sciences humaines. Ce besoin de
rationalisation et de scientificité est révélateur d’un certain degré de maturité. Il est
également dicté par la mise en œuvre d’une stratégie de développement à moyen terme
permettant d’anticiper les sauts technologiques et les nouveaux usages en matière de
4
The European Library – http://www.theeuropeanlibrary.org
Europeana – http://www.europeana.eu
6
Internet Archive - http://www.archive.org
7
European Conference on Research and Advanced Technology for Digital Libraries – http://www.ecdl2008.org
8
Google Books – http://books.google.com
9
Google Scholar – http://scholar.google.com
5
4. Colloque « En route vers Lisbonne » - 4 et 5 décembre 2008
production, de diffusion et de partage de l'Information. Pour ce faire, plusieurs études de
fond10, décrites ci-après, sont d’ores et déjà engagées au CVCE.
4.1. Etude sur le modèle théorique de la bibliothèque numérique ENA
Début 2008 est lancé une étude théorique visant à établir un modèle de référence théorique
sur les bibliothèques numériques, sur la base du rapport établi par DELOS (Candela et al.,
2008). Une critique du rapport est proposée, avec un point de vue davantage Sciences de
l’information que Technologie de l’information.
L’accent est mis sur l’étude des fonctionnalités du nouvel outil, sur la mise à jour des
métadonnées, sur la description, la recherche et l’accès à l’information, sur la prise en
compte des standards communs et l’interopérabilité avec les bibliothèques numériques
existantes.
4.2. Étude ergonomique
Diffuser sur internet un contenu numérique enrichi par le biais d’un outil à la pointe de la
technologie est une condition nécessaire mais non suffisante pour garantir à l’usager un
accès efficace et efficient à l’Information. L’interface de consultation doit également être
adaptée à l’utilisateur. Dans ce cadre, le CVCE a lancé une vaste étude ergonomique d’une
part, sur la bibliothèque numérique ENA et d’autre part, sur ses communautés d’utilisateurs.
Le premier volet de l’étude permet d’obtenir un regard critique sur l’existant. Une évaluation
de l’ergonomie générale de ENA sur la base de critères ergonomiques éprouvés par l’équipe
de recherche (Scapin & Bastien, 1997 ; Brangier & Barcenilla, 2003) a été réalisée.
Parallèlement, une analyse des comportements prévus / réels et stratégies prévues / réelles
des utilisateurs de bibliothèques numériques permet d’étayer les résultats de l’évaluation
initiale. Le second volet de l’étude a porté sur l’analyse des besoins des utilisateurs. Un
cadre de réflexion a été proposé à nos communautés d’utilisateurs lors de focus groupes.
Ces groupes de paroles11 ont permis d’initier un design participatif à même de produire des
recommandations pour le développement d’une toute nouvelle version de l’interface de ENA.
4.3. Études sur les communautés d’utilisateurs : Contributeurs et consommateurs
En 2005, le rédacteur en chef du magazine Wired écrivait un article dans lequel il prétend
que bientôt, toute personne écrira un livre, une chanson, réalisera une vidéo ou tiendra un
blog (Kelly K., 2005). Le magazine Times décernait en 2006 le titre d’homme de l’année à
« vous », l’internaute contributeur (Grossmann L., 2006). Le web social et créatif est en
marche. Le CVCE souhaite profiter de cet élan pour moderniser le système de gestion de
contenu de la bibliothèque numérique et l’ouvrir à des usagers externes. Dans cette optique,
plusieurs travaux ont été réalisés :
un recueil des besoins et attentes individuels vis-à-vis d’un tel outil. Le développement
de l’outil suivra rigoureusement les énoncés de la norme ISO 13407:1999 : Processus
de conception centrée sur l'opérateur humain pour les systèmes interactifs.
une veille sur les principaux systèmes similaires permettra également d’affiner au plus
juste les exigences fonctionnelles d’un tel outil.
10
Ce document ne décrit pas toutes les études menées par le CVCE dans la mesure où certains résultats ne
seront disponibles qu’ultérieurement.
Historiens-chercheurs, historiens enseignants / formateurs, bibliothécaires et documentalistes, politiciens,
informaticiens, journalistes, amateurs éclairés, experts en compétences interculturelles, juristes, ergonomes,
enseignants, étudiants et experts en pratiques de consommation culturelle.
11
5. Colloque « En route vers Lisbonne » - 4 et 5 décembre 2008
Une étude des modes de création et gestion de contenu a permis de prendre du recul
sur les modes organisationnels et fonctionnels du CVCE. Découlant directement de
cette analyse, la cartographie des processus actuelle constitue un véritable socle
fonctionnel et technique, faisant apparaître clairement les métiers ainsi que les liens
qu’ils entretiennent avec le système d'information. Cet outil est stratégique pour définir
comment ouvrir et intégrer demain les multiples échanges, collaborations et
contributions.
4.4. Étude sur les initiatives liées aux « digital humanities »
Au cœur des communautés d’intérêt du Web, le monde de la recherche a su profiter depuis
une vingtaine d’années de l’avènement des TIC. Ses modes opératoires ont été littéralement
bouleversés. En sciences humaines, les TIC sont devenus centrales et incontournables. De
nouvelles possibilités sont apparues :
accéder à un fond documentaire presque exhaustif,
interagir en temps réel avec d’autres chercheurs ou des communautés de chercheurs
situées à travers le monde,
produire des travaux de recherche en collaboration soutenue,
organiser conjointement des événements d’envergure nationale et internationale.
La liste de ces nouvelles opportunités est longue, ce qui dénotent d’un enrichissement
certain des activités de recherche, cependant, on peut d’emblée se poser la question de la
complexification du paysage pour ces disciplines en sciences humaines. C’est justement au
centre des questionnements d’un courant appelé « Digital Humanities » qui a pris racine à
l’intersection des TIC et des disciplines de sciences humaines. Ce dernier étudie l’impact
réciproque de ces deux disciplines entre elle.
Si l’on peut affirmer que la technologie numérique a changé la manière dont les chercheurs
effectuent leur travail, il n’en reste pas moins que de nouvelles interrogations ont émergé :
de quelle manière les connaissances peuvent être produites, recherchées, sauvegardées,
partagées, exposées, enseignées, et analysées. Dans ce cadre collaboratif, se référer à la
notion de collecticiel est approprié. Le collecticiel permet en effet le partage rapide, structuré
et fiable de l’information entre différents postes. Favier (1998) le définit comme un moyen
efficace pour optimiser le travail en équipe.
La technologie a également un impact énorme sur la manière dont les connaissances
doivent être traitées, conservées et rendues accessibles. Les enjeux sont de taille d’autant
qu’il reste encore à éclaircir des points comme la préservation des ressources, la protection
intellectuelle des productions par ailleurs partagées au niveau mondial, ainsi que garantir
l'authenticité du contenu produit.
Face à ces problématiques, en Europe, des projets technologiques ont débuté :
12
13
DARIAH « Digital Research Infrastructure for the Arts and Humanities» 12qui vise à
aider et interconnecter les trois pans du cycle de vie des documents numériques: les
chercheurs, les sources et les infrastructures techniques,
DRIVER13 dont le but est de construire sur le long terme « a Europe wide Digital
Repository infrastructure », basé sur l’idée de lier les utilisateurs à la connaissance.
http://www.dariah.eu
http://www.driver-repository.eu/index.php?option=com_frontpage&Itemid=1
6. Colloque « En route vers Lisbonne » - 4 et 5 décembre 2008
Au niveau mondial, des groupes de travail se sont également mis en place pour produire et
capitaliser des connaissances sur le domaine, on peut citer en exemples:
the National Endowment for the Humanities (NEH) and digital humanities initiative14,
the Alliance of Digital Humanities Organizations (ADHO)15,
the Association for Literary and Linguistic Computing (ALLC)16,
the Association for Computers and the Humanities (ACH)17,
The Society for Digital Humanities (SDH) 18,
the Center for Digital Humanities (CDH) 19,
Digital Humanities Center (DHC)20,
the Center for Digital Research in the Humanities (CDRH)21
Ces différentes perspectives étayent le concept de « symbiose-homme-technologieorganisation» proposé par Brangier (2003) qui propose que l’homme et la technologie coévoluent en même temps.
4.5. ENA en 2010 : de premières pistes…
En s’inspirant de la définition du réseau d’excellence DELOS, il est assez facile d’extrapoler
une définition idoine pour ENA : la bibliothèque numérique ENA est une organisation
virtuelle, qui s’applique à sélectionner, gérer, valoriser et diffuser un contenu numérique
multimédia, multilingue et multi-source sur l’histoire de l’Europe unie et qui offre à ses
communautés d’utilisateurs des fonctionnalités spécialisées liées à ce contenu, d’une qualité
mesurable, et selon des règles préétablies.
Les premiers résultats des études mentionnées dans cet article, qui ont fait appel aux quatre
types d’expertises citées par Lompré, convergent vers une idée commune de ce vers quoi,
ou plutôt vers qui, doit aller ENA. Il s’agit d’aller à la rencontre d’un utilisateur dont le statut
peut varier sans cesse : producteur, consommateur, critique, éditeur ou gestionnaire de
médiathèque. Il s’agit de valoriser les collections en les insérant dans le flux continu des
usages tout en garantissant la qualité et l’utilisabilité de l’information. Un rapport récent sur
l’utilisation des ressources numériques dans le contexte des sciences sociales et des
humanités (D. Harley et al., 2006) précise que tout utilisateur aspire un jour ou l’autre à créer
sa propre bibliothèque numérique, une collection de ressources qu’il aura réunie en fonction
de ses propres expériences. Ce rapport, conduit par l’université de Berkeley, insiste tout
particulièrement sur l’importance de ce concept dans le cadre de l’enseignement. C’est
également un comportement de plus en plus répandu dans le domaine de la recherche de
14
http://www.neh.gov/grants/digitalhumanities.html & http://www.neh.gov/odh
http://www.digitalhumanities.org
http://www.allc.org
17
http://www.ach.org
18
http://www.sdh-semi.org
19
http://www.cdh.ucla.edu/about.html
20
http://iupdhc.org
21
http://cdrh.unl.edu
15
16
7. Colloque « En route vers Lisbonne » - 4 et 5 décembre 2008
par l’utilisation d’infrastructures techniques dédiées à l’exploitation de données à grande
échelle.
Demain, l’architecture, les fonctionnalités, les contenus, les règles de gestion, la politique de
qualité de ENA devront définir un espace de création et d’interaction ouvert et modulaire,
susceptible d’interopérer avec diverses communautés d’intérêt et beaucoup d’autres
systèmes d’informations. Demain, ENA pourrait devenir un lieu privilégié d’exercice et de
partage du travail intellectuel lié à l’Europe, son histoire et ses organisations.
5. Conclusion : Vers des espaces dédiés à l’intelligence collective
Le rôle des bibliothèques numériques est capital. Garantes de la qualité de l’information au
sein de l’ordre numérique, elles sont sur le point de donner accès à la plupart des ressources
patrimoniales mondiales. Donner accès, cependant, n’est pas suffisant. A travers de la mise
en œuvre de nouveaux services, de l’exploitation des technologies de l’information et des
nouveaux comportements sociaux sur la toile, elles contribuent à la construction d’une
infrastructure de confiance pour l’intelligence collective et la co-création de valeur. Pierre
Levy présente la propension à l’intelligence collective comme « l’appétit pour l’augmentation
des capacités cognitive des personnes ou des groupes, qu’il s’agisse de la mémoire, de la
perception, des possibilités de raisonnement, d’apprentissage ou de création » (Levy P.,
2008).
Nous vivons et nous vivrons, toutefois, de plus en plus dans un monde basé sur le Web où
les sélections professionnelles se trouvent noyées par les contenus générés par les
utilisateurs. Perdues dans l’infobésité de la toile, les ressources et les services de qualité ne
disposent malheureusement pas toujours de la visibilité et de la crédibilité qu’ils méritent. La
légèreté du comportement des internautes face aux médias et à la recherche d’information
est en partie responsable. Viviane Reding, Commissaire européen à la société de
l’information et aux médias, affirme à juste titre que « l’éducation aux médias est aussi
nécessaire à l’exercice d’une citoyenneté active que l’était la maîtrise de la lecture et de
l’écriture au début du 19ième siècle ». La versatilité des technologies qui évoluent sur la toile,
liées bien souvent à des objectifs commerciaux, a sans doute également sa part de
responsabilité. Le Web, pour assumer le rôle d’infrastructure de support du patrimoine
numérique, doit se doter de nouveaux principes et d’une éthique adaptée. Tim Berners-Lee,
directeur du W3C22 et de la Web Science Research Initiative23, définit à ce sujet les
challenges qu’il considère les plus importants pour l’avenir du Web comme étant :
l’évaluation collective de la qualité des ressources, les politiques de gestion de l’information
(identité, vie privée, usage, transparence, confiance) et la créativité en groupe (Berners-Lee
et Al., 2008).
22
23
World Wide Web Consortium (W3C) – http://www.w3.org
Web Science Research Initiative (WSRI) - http://webscience.org
8. Colloque « En route vers Lisbonne » - 4 et 5 décembre 2008
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Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et
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et
au
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