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Hume, La règle du goût
« Of the standard of taste » (1759)
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
NB : pour la numérotation des paragraphes (qui peut varier
d’une traduction à une autre), je m’appuie désormais – pour
uniformiser tous les renvois – sur le texte anglais disponible
ici :
https://web.csulb.edu/~jvancamp/361r15.html
Plan du cours
Introduction
1. Le paradoxe du goût (§1-8)
a) La diversité des goûts
b) Les deux espèces de sens commun
2. La solution de Hume (§9-16)
a) Le réalisme de Hume
b) La délicatesse du goût
3. Les conditions du jugement esthétique (§17-24)
a) Les conditions à respecter pour que le jugement soit objectif
b) Le problème des juges
4. La diversité irréductible des goûts (§25-36)
a) Les deux types de cause (§28)
b) Règle du goût et norme du goût.
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Introduction (1)
Hume (1711-1776)
• Empirisme (≠ rationalisme)
Hume : « L’expérience seule nous fait connaître toutes
les lois de la nature et toutes les propriétés des corps
sans exception » (Enquête sur l’entendement humain,
IV, 1748).
L’empirisme de Hume le conduit au scepticisme.
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Introduction (2)
• Scepticisme (≠ dogmatisme)
Critique de l’induction : le soleil se lèvera-t-il
demain ?
Hume défend un scepticisme modéré.
« En général, il y a un certain degré de doute, de
circonspection, de modestie, qui, dans tous les genres
d’examen et de décision, doit à jamais accompagner un
bon raisonneur. » (Enquête sur l’entendement humain,
XII)
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Introduction (3)
Paradoxe : dans le domaine esthétique, Hume
n’est pas sceptique.
Il doute de la possibilité d’accéder à la vérité.
Mais il ne doute pas de l’existence de la beauté.
Dans La règle du goût (1759), Hume présente la
thèse sceptique (§7), mais pour la rejeter. Il
défend une position qu’on peut qualifier de
réaliste ou objectiviste. C’est-à-dire ?
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
Introduction (4)
Hume part d’un fait difficile à contester : il y a une
diversité des goûts. Comment expliquer ce fait ?
• Première théorie : la théorie sceptique
(subjectiviste et relativiste).
- La beauté est subjective.
- Tous les goûts se valent.
- On ne peut pas mettre les hommes d’accord.
- Il n’y a pas de règle ou de norme (standard) du goût.
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Introduction (5)
• Deuxième théorie : celle de Hume.
- Certaines œuvres sont réellement (ou objectivement)
belles.
- Tous les goûts ne se valent pas. Certains hommes ont
un goût délicat, et sont donc capables de reconnaître
ce qui est réellement (ou objectivement) beau .
- Les désaccords des hommes viennent du fait qu’ils
ne font pas la même expérience de l’objet.
- Il y a une règle du goût (standard of taste).
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Introduction (6)
• On peut distinguer dans le texte de Hume
deux grands moments.
1) À la recherche de la règle du goût (§1-24)
Hume est à la recherche d’une « règle du goût » c’est-à-dire
d’un étalon à l’aune duquel on peut évaluer les différents
jugements esthétiques (§6). Il estime l’avoir découverte
(§23) : cette règle n’est rien d’autre que « le verdict
commun » des « vrais juges », c’est-à-dire des hommes au
goût délicat, et ayant une forme d’expertise dans le
domaine des arts.
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Introduction (7)
2) Les causes de la diversité des jugements
(§25-36)
Selon Hume, la diversité des jugements ne peut pas être
supprimée complètement : même si on aborde l’œuvre
dans de bonnes conditions et qu’on l’apprécie à sa juste
valeur, il n’en reste pas moins qu’il y a des causes
irréductibles qui expliquent la divergence des jugements
(§28). Ces causes relèvent soit de la personnalité
individuelle et de la psychologie de celui qui juge, soit de sa
culture (ses mœurs, sa morale, ou encore sa religion).
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1. Le paradoxe du goût (1)
a) La diversité des goûts
- Approche superficielle (§1) : le goût est doublement
relatif ; il varie selon les individus mais aussi selon les
cultures. Cf. le problème de l’ethnocentrisme.
- Deuxième approche – plus subtile (§2) : le désaccord est
plus profond qu’on le croit. Même lorsque les hommes
semblent d’accord, ils sont, en fait, en désaccord. Hume
soulève le problème du langage : sur les questions
esthétiques comme sur les questions morales, le langage
nous trompe (§3).
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1. Le paradoxe du goût (2)
- Pourquoi le langage est-il trompeur ? C’est que le
langage contient des termes généraux : par exemple, la
beauté, l’élégance, la justice, l’humanité, etc.
Or, les hommes ne donnent pas tous la même
signification à ces termes. L’accord des hommes est donc
seulement apparent : la généralité du langage cache ou
occulte la divergence réelle de leurs pensées ou opinions.
En général, et en apparence, tout le monde est d’accord.
Mais dans le détail, personne ne pense la même chose.
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1. Le paradoxe du goût (3)
- Hume compare les questions esthétiques aux questions
scientifiques (§2) et aux questions morales (§3-5). Il
distingue, pour cela, les jugements généraux et les
jugements particuliers.
Sur les questions esthétiques et sur les questions
morales, les hommes tombent d’accord sur les jugements
généraux, mais sont en désaccord sur les jugements
particuliers.
Sur les questions scientifiques, c’est le contraire : « le
fond de la controverse est plutôt dans les propositions
générales que les particulières » (§2).
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• Les jugements généraux sont des jugements analytiques : ils ne font que
développer ce qui est contenu dans la notion du sujet ; ils sont donc
tautologiques (de la forme : A est A).
Exemple : « Un style ampoulé est un mauvais style »
Un style ampoulé est, par définition, un mauvais style. L’idée de « mauvais style » est
contenue dans l’idée de « style ampoulé ». Une telle phrase n’apporte donc aucune
connaissance : elle ne fait que développer ce que nous savons déjà, du fait du sens
des mots.
• Les jugements particuliers sont des jugements synthétiques : ils font
intervenir l’expérience. Le prédicat ne découle pas logiquement du sujet,
mais est ajouté.
Exemple : « Cet écrivain (ou ce texte) a un style ampoulé »
Désaccord
possible
1. Le paradoxe du goût (4)
- Plusieurs questions se posent :
1) Un accord entre les hommes est-il possible ?
2) Tous les jugements se valent-ils ?
3) Peut-on trouver une « règle du goût » (standard of
taste) c’est-à-dire un étalon à l’aune duquel on pourrait
évaluer les jugements, et ainsi distinguer les bons
jugements des mauvais ?
4) Dans le domaine esthétique, y a-t-il seulement des
jugements qu’on peut qualifier de « bons » ou de
« vrais » ?
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
1. Le paradoxe du goût (5)
b) Les deux espèces de sens commun
Hume montre que le sens commun est divisé sur la
question du goût : il défend deux positions contradictoires.
D’un côté, le sens commun s’accorde avec la philosophie
sceptique (§7) : il nie l’existence d’une « règle du goût ».
D’un autre côté, il reconnaît que certains jugements
esthétiques sont absurdes (§8).
Problème : quelle position faut-il privilégier ? Si les deux
positions sont acceptables, peut-on supprimer la
contradiction ou la dépasser ?
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1. Le paradoxe du goût (6)
• La position sceptique (§7)
1) Jugement et sensation (ou sentiment)
Prenons trois exemples :
- « Ce fruit est rond. » : jugement de fait qui peut être vrai ou
faux ; vrai s’il est conforme à la réalité, faux dans le cas
contraire.
- « Ce fruit est bon. » : jugement de sentiment qui n’est ni vrai,
ni faux, mais qui est subjectif et relatif à la personne qui
mange le fruit.
- « Ce fruit est beau » : quel type de jugement est-ce ?
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1. Le paradoxe du goût (7)
Selon les philosophes « sceptiques », les jugements
esthétiques ne sont pas des jugements de fait, mais des
jugements de sentiment :
- Ils ne décrivent pas l’objet, mais expriment l’état du sujet,
dans son rapport à l’objet.
- Ils ne sont ni vrais, ni faux. Soit le sujet ressent, soit le sujet ne
ressent pas. Mais, quoi qu’il ressente, on ne peut rien lui
reprocher : « tout sentiment est juste » (all sentiment is right,
§7).
- Un même objet peut susciter des sentiments différents : tout
dépend de la sensibilité des sujets.
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1. Le paradoxe du goût (8)
2) La beauté est subjective.
« Beauty is no quality in things themselves : it exists
merely in the mind which contemplates them ; and each
mind perceives a different beauty. » (§7)
- Thèse subjectiviste et relativiste : une chose n’est pas
belle en soi ; elle n’est belle que pour telle ou telle
personne.
- Thèse irréaliste (ou anti-réaliste) : la beauté n’est pas une
propriété constitutive de l’objet. En ce sens, elle n’existe
pas vraiment. Elle n’est pas réelle.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
« Demandez à un crapaud ce que c’est que la
beauté, le grand beau, le to kalon. Il vous répondra
que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds
sortant de sa petite tête, une gueule large et plate,
un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre
de Guinée ; le beau est pour lui une peau noire,
huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté.
Interrogez le diable ; il vous dira que le beau est
une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. »
Voltaire, Dictionnaire philosophique, article
« Beau ».
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1. Le paradoxe du goût (9)
• L’autre espèce de sens commun (§8)
Le sens commun (common sense) adhère à la position
sceptique, mais de manière modérée, puisqu’il refuse
d’admettre que tous les jugements esthétiques se
valent.
Hume compare ici, paradoxalement, le jugement
esthétique à un jugement de fait.
Certains jugements esthétiques sont absurdes ou
ridicules.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
« Whoever would assert an equality of
genius and elegance between OGILBY
and MILTON, or BUNYAN and ADDISON,
would be thought to defend no less an
extravagance, than if he had maintained
a mole-hill to be as high as TENERIFFE,
or a pond as extensive as the
ocean. » (§8)
1. Le paradoxe du goût (10)
→ Cette contradiction entre deux thèses acceptées par le
sens commun pose problème : comment peut-on affirmer
à la fois que le goût est subjectif, et qu’il y a des fautes –
évidentes – de goût ? Pour le dire autrement, comment le
goût pourrait-il être à la fois subjectif et objectif ?
L’une des deux thèses doit-elle être abandonnée ?
L’ambition de Hume, dans la suite du texte, est de chercher,
malgré la contradiction apparente, à concilier les deux
thèses.
Comment peut-il y arriver ?
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
2. La solution de Hume (1)
a) Le réalisme de Hume
• Les sceptiques vont vite en besogne : le désaccord des
hommes sur les questions esthétiques n’implique pas
nécessairement l’inexistence de la beauté ou la subjectivité
du goût.
1) Il y a un fait que la théorie sceptique (subjectiviste et
relativiste) ne parvient pas expliquer : le consensus autour
des œuvres classiques. Si la beauté n’est que subjective,
comment cela fait-il que les jugements individuels puissent
converger ? Cf. L’exemple d’Homère (§11).
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2. La solution de Hume (2)
2) Le jugement esthétique exprime, certes, l’état du sujet
(son plaisir ou son déplaisir). Mais il serait excessif
d’affirmer qu’il se réduit à cela : il révèle bien quelque chose
à propos de l’objet (de l’œuvre).
Le langage courant l’indique. On dit qu’une chose est belle
et non : « J’ai beau ».
Critique de Gérard Genette : en disant qu’une chose est
belle, nous ne faisons que projeter sur elle notre propre
sentiment. Nous « objectivons » notre sentiment. Mais c’est
une illusion : à proprement parler, la chose « n’est pas »
belle.
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2. La solution de Hume (3)
Contre-objection : même si l’objectivation de la beauté est
illusoire, il n’en reste pas moins que, dans le jugement
esthétique, le sujet exprime son état de satisfaction par
rapport à l’objet. Le jugement esthétique ne porte ni sur le
sujet, ni sur l’objet, pris séparément, mais bien sur la
relation entre les deux.
Quand on dit : « c’est beau », on affirme qu’on éprouve
(subjectivement) du plaisir, mais aussi que l’objet dont on
parle a (objectivement) le pouvoir de susciter ce plaisir. La
beauté doit bien venir, d’une manière ou d’une autre, au
moins en partie, de l’objet !
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2. La solution de Hume (4)
• Telle est l’hypothèse de Hume : les œuvres classiques
ont bien quelques qualités intrinsèques et donc objectives
qui font qu’elles sont admirées par tous.
Nous lisons au §12 :
« Certaines formes ou qualités particulières, de par la structure
primitive de notre constitution interne, sont faites pour plaire et
d’autres pour déplaire » (trad. Michel Malherbe).
« Some particular forms or qualities, from the original structure
of the internal fabric, are calculated to please, and others to
displease. »
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2. La solution de Hume (5)
→ La beauté, loin d’être purement et simplement
subjective, aurait donc un fondement objectif dans les
œuvres.
Cette hypothèse permet d’expliquer la convergence des
jugements esthétiques. Mais on peut aussi, à partir d’elle,
expliquer la divergence des jugements.
Selon Hume, si les hommes divergent dans leur jugement,
ce n’est pas parce que la beauté n’existe pas ou serait
seulement subjective : c’est parce qu’ils ne font pas la
même expérience de l’objet.
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2. La solution de Hume (6)
Hume défend donc une théorie réaliste ou objectiviste.
Selon cette théorie :
Une œuvre est réellement ou objectivement belle si et
seulement si :
a) j’éprouve du plaisir en la contemplant ;
b) mes organes sensoriels sont en bon état ;
c) je suis dans de bonnes conditions pour contempler
l’œuvre (conditions à préciser).
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« A perfect serenity of mind, a recollection of thought, a
due attention to the object; if any of these circumstances
be wanting, our experiment will be fallacious, and we shall
be unable to judge of the catholic and universal beauty. »
(§10)
« A man in a fever would not insist on his palate as able to
decide concerning flavours; nor would one, affected with
the jaundice, pretend to give a verdict with regard to
colours. In each creature, there is a sound and a defective
state; and the former alone can be supposed to afford us a
true standard of a taste and sentiment. If, in the sound
state of the organ, there be an entire or considerable
uniformity of sentiment among men, we may thence derive
an idea of the perfect beauty. » (§12)
2. La solution de Hume (7)
• Quelques remarques sur cette théorie :
- Cette théorie a un pouvoir explicatif fort. Mais elle
repose sur une hypothèse métaphysique qui est discutable.
Hume présuppose, en effet, que, la nature humaine étant
ce qu’elle est, telle forme doit plaire, telle autre forme doit
déplaire. Il y aurait un lien naturel et nécessaire entre telle
ou telle forme et tel ou tel sentiment. Sa théorie
esthétique est donc tributaire d’une théorie de la nature
humaine. Cf. le Traité de la nature humaine (1739-1740).
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« the relation, which nature has placed between the form
and the sentiment... » (§10)
« Some particular forms or qualities, from the original
structure of the internal fabric, are calculated to please, and
others to displease... » (§12)
« Though some objects, by the structure of the mind, be
naturally calculated to give pleasure… » (§13)
« … it must be allowed, that there are certain qualities in
objects, which are fitted by nature to produce those
particular feelings. » (§16)
2. La solution de Hume (8)
- Ce lien entre forme et sentiment ne peut pas être connu a
priori par la seule raison. On ne peut pas le déduire ; on
peut seulement le constater : on a besoin, à l’évidence, de
l’expérience (cf. §9). Or, les arguments sceptiques avancés
par Hume lui-même (en particulier, dans son Enquête sur
l’entendement humain) peuvent servir à « fragiliser » ce
lien. Loin d’être universel et nécessaire, comme Hume le
suggère, le lien entre telle forme et tel sentiment serait
particulier et contingent : telle forme plairait seulement à
certains hommes (et non à tous), et pourrait aussi ne pas
plaire.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
2. La solution de Hume (9)
- Si on laisse de côté ces difficultés, la théorie de Hume a le
mérite de rendre compatibles les deux intuitions du sens
commun. Ainsi, même si la beauté n’est pas une propriété
objective, constitutive des choses, selon Hume, les
jugements esthétiques peuvent être vrais ou faux. Or, une
question demeure : à quelles conditions un jugement
esthétique peut-il être vrai (ou valide) ?
La réponse de Hume consiste à dire que la vérité du
jugement esthétique dépend de la qualité de l’expérience
esthétique, dont il provient. Pour bien juger, il faut, au
préalable, bien percevoir.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
2. La solution de Hume (10)
b) La délicatesse du goût
Si les hommes divergent dans leur jugement, ce n’est pas
parce que la beauté n’existe pas : c’est, la plupart du temps,
à cause d’eux. Même si leurs organes sont sains, ils n’ont
pas le goût assez délicat.
Qu’est-ce que la délicatesse du goût ?
Pour l’expliquer, Hume a recours à une histoire tirée du
roman célèbre de Cervantès, Don Quichotte (§15).
Hume établit alors une analogie entre le goût physique
(pour le vin) et le goût esthétique (pour les œuvres d’art).
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2. La solution de Hume (11)
• L’histoire de Sancho suggère plusieurs choses.
1) Si les hommes divergent dans leur jugement, c’est parce
qu’ils ne perçoivent pas l’œuvre de la même manière.
2) Ils ont une perception partielle de l’œuvre : ils sont
sensibles à certaines qualités et non à d’autres.
3) Les sentiments éprouvés ne sont pas arbitraires : ils
sont subjectifs, certes, mais ils ont un fondement
objectif. Les sentiments sont toujours l’effet de
certaines propriétés ou qualités de l’œuvre.
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2. La solution de Hume (12)
• Selon Hume, le problème du jugement esthétique est d’abord
un problème de perception. Une perception « mauvaise » de
l’œuvre donnera lieu à un jugement faux. Seule une « bonne »
perception peut donner lieu à un jugement vrai.
Or, pour bien percevoir l’œuvre, il faut avoir le goût délicat, c’est-
à-dire être capable de percevoir l’œuvre telle qu’elle est, sans
rien omettre, et en distinguant les parties qui la composent.
La perception doit être exhaustive ou totale : rien n’échappe à
l’homme qui a le goût délicat. Il perçoit tout, même les parties
les plus petites et infimes de l’œuvre. La perception doit aussi
être précise : les parties doivent être distinguées, saisies une à
une, et non confondues avec le tout.
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2. La solution de Hume (13)
• L’histoire de Sancho permet à Hume de préciser sa théorie de
la beauté. Comme les sceptiques (§7), Hume refuse de faire de la
beauté une propriété intrinsèque et objective des choses :
« It [is]certain, that beauty and deformity, more than sweet and
bitter, are not qualities in objects, but belong entirely to the
sentiment, internal or external. » (§16)
En comparant le beau et le laid au doux et à l’amer, Hume fait ici
allusion à la distinction que propose John Locke (à la suite de
Galilée et de Descartes) entre deux types de qualités : les
qualités premières et les qualités secondes. Les sceptiques ont
raison : à l’évidence, la beauté n’est pas une qualité première.
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Goût de fer Goût de cuir Sentiment
Clef Lanière Forme
=
==
Qualités secondes
Qualités premières
L’analogie de Hume
Les qualités premières et les qualités secondes (1)
Par la perception, nous pouvons connaître les qualités des choses
matérielles. Mais il serait naïf de croire que les choses sont exactement
telles que nous les percevons. Dans la perception, nous découvrons des
qualités qui dépendent de la chose, mais aussi d’autres qualités qui
dépendent moins de la chose que de notre rapport à elle, et qui, en ce
sens, n’existent pas vraiment.
Les qualités premières sont objectives : la chose les possède
nécessairement, indépendamment de nous. Les qualités secondes sont
subjectives : la chose ne les possède en elle-même, mais seulement
pour nous et grâce à nous qui la considérons par nos sens.
Or, si les qualités secondes ne correspondent à rien dans la réalité, et
n’existent qu’en nous, dans notre conscience, elles dépendent
néanmoins des qualités premières : elles ont donc, malgré tout, un
fondement objectif.
Les qualités premières et les qualités secondes (2)
Les qualités premières (ou primaires) sont « celles qui sont strictement
inséparables du corps, quel que soit son état. » « Prenez un grain de blé ;
divisez-le en deux deux parties : chaque partie a toujours solidité, étendue,
figure et mobilité. »
Les qualités secondes (ou secondaires) sont ces qualités « qui en réalité ne sont
rien d’autre dans les objets eux-mêmes que les pouvoirs de produire diverses
sensations en nous par leurs qualités primaires, c’est-à-dire par le volume, la
figure, la texture et le mouvement de leurs éléments insensibles ; ce sont les
couleurs, les sons, les goûts, etc. »
John Locke, Essai sur l’entendement humain (1690), II, 8, §9.
« Je crois que les goûts, les odeurs, les couleurs et ainsi de suite ne sont rien de
plus que de simples noms pour ce qui concerne l’objet dans lequel nous les
plaçons, et qu’ils ne résident que dans la conscience. Dès lors, si le vivant était
éliminé́, toutes ces qualités seraient effacées et anéanties. »
Galilée, L’Essayeur (1623), § 48.
Les qualités premières et les qualités secondes (3)
La position de Leibniz sur ce point est intéressante, et semble aller dans le
sens de Hume. Contre Locke, Leibniz affirme : « Il ne faut point s’imaginer que
ces idées comme de la couleur ou de la douleur soient arbitraires et sans
rapport ou connexion naturelle avec leurs causes. » Certes, « la chaleur n’est
pas une qualité sensible ou puissance de se faire sentir tout à fait absolue, (…)
elle est relative à des organes proportionnées. (…) Quand notre main est fort
chaude, la chaleur médiocre de l’eau ne se fait point sentir, et tempère plutôt
celle de la main, et par conséquent l’eau nous paraît froide (…) ».
Mais la chaleur, même perçue différemment, reste une qualité de l’objet : « on
peut dire que la chaleur appartient à l’eau d’un bain, bien qu’elle puisse
paraître froide à quelqu’un, comme le miel est appelé doux absolument, et
l’argent blanc, quoique l’un paraisse amer, et l’autre jaune à quelques malades :
car la dénomination se fait par le plus ordinaire ». Leibniz rajoute que
« lorsque l’organe et le milieu sont constitués comme il faut », il y a bien une
correspondance entre ce qui est senti (par le sujet) et ce qui est (dans la
chose). (Nouveaux essais sur l’entendement humain, II, VIII, éd. GF, p.102-104)
2. La solution de Hume (14)
• Si Hume concède aux sceptiques que la beauté est une
qualité seconde, et non pas une qualité première, il confère
néanmoins au jugement esthétique une forme d’objectivité.
Le jugement des hommes au goût délicat est objectif,
puisqu’il repose sur une perception fine de toutes les
qualités de l’œuvre. La beauté, certes, n’existe pas
réellement dans l’œuvre, mais, comme elle dépend des
qualités premières de l’œuvre, elle reste une qualité de
l’œuvre (et non une simple illusion subjective).
Hume pense la beauté sur le modèle de la couleur (cf. la
dernière phrase du §12).
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2. La solution de Hume (15)
• Problème : dans l’histoire de Sancho, les deux amateurs
de vin, malgré leur divergence, ont pu prouver aux autres
qu’ils ont du goût, grâce à la découverte de la clef et de la
lanière en cuir. Or, dans le domaine esthétique, comment
pouvons-nous être sûrs qu’une personne a du goût ?
Selon Hume, l’homme de goût peut justifier son jugement
et prouver aux autres qu’une œuvre d’art est belle.
Pour cela, il doit s’appuyer sur des œuvres reconnues à
l’unanimité comme belles, et qui peuvent servir de canons
de la beauté (cf. § 16 et § 17).
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
« To produce these general rules or avowed
patterns of composition is like finding the
key with the leathern thong. » (§16)
« …the best way of ascertaining [a delicacy of
taste] is to appeal to those models and
principles, which have been established by
the uniform consent and experience of
nations and ages. » (§17)
Peut-on démontrer qu’une œuvre d’art est belle ?
La solution de Hume.
1. O1, O2, O3… sont des œuvres reconnues, à l’unanimité, comme belles.
2. De O1, O2, O3… nous pouvons tirer des règles générales : R1, R2, R3…
R1 : si une œuvre a la propriété P1, alors elle est belle.
R2 : si une œuvre a la propriété P2, alors elle est belle.
R3 : si une œuvre a la propriété P3, alors elle est belle. Etc…
3. Or, l’œuvre O4 que nous examinons a au moins l’une des propriétés P1,
P2, P3…
4. Donc O4 est belle.
4. Si une personne contredit notre jugement, c’est que son goût n’est pas
assez délicat. Elle n’a pas été capable de percevoir P1, P2, P3…
3. Les conditions du
jugement esthétique (01)
a) Les conditions à respecter pour que le
jugement soit objectif.
Selon Hume, la beauté n’apparaît « objectivement » que
dans certaines conditions. Si l’une des ces conditions n’est
pas remplie, l’expérience esthétique sera faussée.
On peut distinguer trois types de conditions :
- les conditions relatives à la perception ;
- Les conditions relatives à l’exercice et à la pratique ;
- Les conditions relatives à l’entendement.
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3. Les conditions du jugement… (02)
NB : ces conditions sont des conditions idéales. Dans les
faits, elles sont rarement respectées. Mais elles permettent
à Hume de préciser ce qui définit « le vrai juge » (true
judge, §23), c’est-à-dire le critique d’art idéal : celui qui est
capable de juger les œuvres d’art à leur « juste » valeur, et
donc de reconnaître (objectivement) la beauté là où elle
apparaît.
Notons, en outre, que ces conditions sont indissociables :
elles sont reliées les unes aux autres. Si, pour bien juger, il
faut avoir un goût délicat, celui-ci suppose qu’on ait de la
pratique, de la culture, mais aussi un état d’esprit adéquat.
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3. Les conditions du jugement… (03)
1) Les conditions relatives à la perception (§17)
Ces conditions ont déjà été abordées précédemment. Elles sont
doubles. Pour bien percevoir, il faut : 1) avoir des organes sains,
en bon état (§12); 2) avoir le goût délicat (§13-16).
Soulignons, au passage, que la délicatesse du goût est plus
largement, selon Hume, une condition du bonheur individuel.
« But a delicate taste of wit or beauty must always be a desirable
quality; because it is the source of all the finest and most
innocent enjoyments, of which human nature is susceptible. »
(§17) Cf. à ce sujet, le petit texte : « La délicatesse du goût et la
vivacité des passions ».
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3. Les conditions du jugement… (04)
2) Les conditions relatives à la pratique (§18-20)
La délicatesse du goût n’est pas complètement innée : elle
s’acquiert, en partie, avec l’exercice et la pratique.
Hume distingue plusieurs niveaux. L’exercice et la pratique
permettent : 1) d’affiner la perception (§18) ; 2) de donner plus
d’assurance au jugement (§19) ; 3) de pouvoir faire des
comparaisons entre les œuvres, et donc d’acquérir la culture
indispensable pour bien juger (§20).
Pour percevoir la beauté, il faut donc du temps. Cf. par exemple,
ce que dit Camus à propos de Kafka : « Tout l’art de Kafka est
d’obliger le lecteur à relire » (Le mythe de Sisyphe, p.171).
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3. Les conditions du jugement… (05)
3) Les conditions relatives à l’entendement (§21-22)
La perception n’est pas seulement l’affaire des sens :
l’entendement (ou l’esprit) joue un rôle décisif. De nouveau,
Hume distingue deux conditions. Pour bien percevoir et bien
juger, il faut : 1) aborder l’œuvre sans préjugés (§21) ; 2) avoir du
bon sens (§22).
Hume reprend ici à son compte l’une des idées fondamentales
des Lumières : la critique des préjugés. Les préjugés peuvent
nous détourner de la vérité, mais aussi de la beauté !
« … prejudice is destructive of sound judgment, and perverts all
operations of the intellectual faculties. » (§22)
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Petite discussion sur les préjugés
Hume souligne, à juste titre, que les préjugés – qu’ils soient culturels ou
individuels – peuvent altérer la perception de l’œuvre, et empêcher une juste
appréciation de celle-ci. Cette critique des préjugés semble aller de soi, et
pourtant elle soulève des difficultés.
1) Tous les préjugés sont-ils nécessairement mauvais ?
2) Est-il seulement possible d’aborder l’œuvre sans préjugés ?
Contre Hume, on pourrait défendre la thèse selon laquelle les préjugés – qui
viennent de la tradition dans laquelle nous sommes insérés – sont une
condition d’accès à l’œuvre d’art. Cf. Adorno, Minima Moralia (1951), §143.
Sur le même sujet, pour une réhabilitation des préjugés cf. aussi Hans Georg
Gadamer, Vérité et méthode (1960) : selon Gadamer, la philosophie des
Lumières, loin de supprimer les préjugés, est soumis à un préjugé : « le préjugé
contre les préjugés en général, qui enlève ainsi tout pouvoir à la tradition »
(Seuil, 1996, p. 291). Sans les préjugés véhiculés par la tradition, pourrions-
nous vraiment apprécier une œuvre d’art ? N’est-ce pas le préjugé – favorable
– qui oriente notre regard et nous incite à fournir des efforts, en particulier,
face à une œuvre difficile ?
3. Les conditions du jugement… (06)
b) Le problème des juges
• Ayant précisé les conditions à respecter pour que le
jugement esthétique soit objectif, Hume peut enfin
résoudre le problème qu’il avait posé précédemment (§6).
La thèse qu’il défend au §23 réunit plusieurs affirmations :
1) Il y a bien une règle du goût.
2) Cette règle est définie par « le verdict commun » des
vrais juges.
3) Les « vrais juges » se reconnaissent au fait qu’ils
respectent les conditions susmentionnées.
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3. Les conditions du jugement… (07)
• Pour trancher les désaccords sur les questions
esthétiques, il faut donc, selon Hume, avoir recours à l’avis
d’une élite. Si la beauté n’est pas une propriété constitutive
des choses (concession à la thèse sceptique présentée au
§7), il ne faut pas renoncer pour autant à l’idée d’une
beauté universelle (« the catholic and universal beauty »,
§10). Hume la définit en ces termes :
Est beau (objectivement et universellement) ce qui est
reconnu comme tel par l’élite que constituent les « vrais
juges ».
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3. Les conditions du jugement… (08)
• La théorie de Hume soulève plusieurs difficultés.
1) Une première difficulté est reconnue par Hume lui-même
(§24) : comment identifier les experts, les « vrais juges » ?
On peut, certes, dire que les « vrais juges » sont ceux qui ont du
goût et qui sont donc capables de reconnaître la beauté. Mais on
tombe alors, semble-t-il, dans un cercle, puisque la beauté a été
définie, préalablement, à partir du jugement unanime de cette
élite.
La question qui se pose est de savoir si on peut sortir de ce
cercle. La théorie de Hume est-elle vraiment circulaire ?
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
Le cercle de Hume
(Mais) qu’est-ce que la beauté ?
(Mais) qui sont les experts (les « vrais juges ») ?
Est beau ce qui est reconnu comme tel
par le jugement unanime des experts.
Sont experts ceux qui sont capables
de reconnaître la beauté.
3. Les conditions du jugement… (09)
2) Supposons qu’on puisse identifier et reconnaître l’élite. Une
autre question se pose : pourquoi les individus qui ne sont pas
des experts sur les questions esthétiques devraient-ils se
soumettre à l’avis de l’élite ?
C’est ce que Jerrold Levinson appelle « le vrai problème » de La
règle du goût :
« Pourquoi auriez-vous intérêt à suivre les recommandations d’un critique
idéal, si vous êtes satisfait des œuvres d’art qui vous rendent présentement
heureux ? Parce que les œuvres préférées par le critique idéal sont vraiment
belles ? Mais qu’est-ce que cela peut vous faire ? De plus, qu’est-ce que tout
cela veut dire ? Que les œuvres belles plaisent aux critiques idéaux ? Mais
vous n’êtes pas des leurs. » (art. cit. p.76)
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3. Les conditions du jugement… (10)
- Si un individu trouve belle une œuvre, même si c’est à tort,
parce qu’il a une perception faussée ou altérée de l’œuvre, on ne
voit pas, à première vue, pourquoi il devrait se renier lui-même,
en adoptant le point de vue de l’élite. Le plaisir qu’il ressent est
réel : pourquoi devrait-il y renoncer? Et pourquoi devrait-il
chercher à acquérir « la délicatesse du goût » que possède
l’élite?
- Hume ne répond pas explicitement à cette question. Mais il
indique que « la délicatesse du goût » est un bien en soi, que
tout le monde devrait cultiver. Cf. à ce sujet, le §17, et le petit
texte : « La délicatesse du goût et la vivacité des passions ».
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3. Les conditions du jugement… (11)
- Hume accepterait sans doute une réponse semblable à celle
que proposera Mill, pour établir (contre Bentham) une
différence de qualité entre les plaisirs.
« Lorsqu’il s’agit de savoir lequel, de deux plaisirs, a le plus de prix (…), il faut
bien tenir pour définitif le jugement des hommes qui sont qualifiés par la
connaissance qu’ils ont de l’un et de l’autre, ou, s’ils sont en désaccord, celui
de la majorité d’entre eux. » (L’utilitarisme, Champs Flammarion, 1988, p.55-
56.)
S’il faut suivre les recommandations de l’élite, c’est parce qu’elle
connaît les œuvres véritablement belles, c’est-à-dire celles qui
sont susceptibles de nous procurer le plus de plaisir. Ayant
contemplé de nombreuses œuvres, elle a pu les comparer.
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3. Les conditions du jugement… (12)
3) Une dernière difficulté. Le jugement des « vrais juges » peut-
il être unanime ? S’il n’y a pas d’unanimité, comment peut-on
alors trancher le désaccord ? Faut-il dire que la majorité – sur les
questions esthétiques – a toujours raison ?
La réponse de Hume à ces questions est, semble-t-il, double.
1. Hume souligne le rôle du temps : si désaccord il y a, avec le
temps, l’œuvre objectivement belle sera reconnue, tôt ou tard, à
sa juste valeur.
2. Hume reconnaît que, même parmi l’élite, les jugements
individuels peuvent diverger, car il y a et aura toujours des
préférences individuelles.
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« ARISTOTLE, and PLATO, and EPICURUS,
and DESCARTES, may successively yield to
each other : but TERENCE and VIRGIL
maintain an universal, undisputed empire
over the minds of men. The abstract
philosophy of CICERO has lost its credit :
the vehemence of his oratory is still the
object of our admiration. » (§26)
3. Les conditions du jugement… (13)
NB : Il y a un fait que Hume tient pour acquis, et qui est au fondement de sa
théorie : c’est la reconnaissance unanime des œuvres classiques. De ce point
de vue, paradoxalement, les questions esthétiques divisent moins qu’on le
croit. Cf. à ce sujet les §11 et §26.
On pourrait, dès lors, se demander si la règle du goût, au-delà du « verdict
commun » (§23) des « vrais juges » ne réside pas, en fait, dans ces œuvres
qui résistent au temps : à défaut de pouvoir définir la beauté, nous aurions au
moins quelques exemples d’œuvres dont la beauté serait incontestable.
Il est douteux, en revanche, qu’on puisse utiliser ces œuvres comme critères
pour distinguer le beau et le laid :
Jerrold Levinson : « Les chefs d’œuvre ne sont en particulier d’aucun secours
quand il s’agit d’arbitrer des controverses ou de guider l’appréciation
concernant des œuvres d’art particulièrement originales ou révolutionnaires. »
(art.cit., p.81).
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4. La diversité irréductible
des goûts (01)
a) Les deux types de cause
• Le texte de Hume pourrait paraître, à la première lecture,
circulaire. Hume avait commencé son texte en faisant le
constat – banal mais difficile à contester – de la diversité
des goûts ; à la fin du texte, à partir du § 28, il y revient. Est-
ce à dire que le projet de Hume a échoué, et que les
analyses précédentes sont inutiles ?
Une telle conclusion serait à la fois hâtive et injuste. Malgré
l’apparence de répétition, l’analyse qui clôt le texte est très
différente des considérations qui précédent.
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4. La diversité irréductible… (02)
• L’analyse de Hume change de niveau : elle passe du droit
au fait. Après avoir montré ce que l’expérience esthétique
doit être pour être objective, après avoir énuméré les
conditions (de droit) à respecter pour pouvoir juger une
œuvre à sa juste valeur, Hume s’intéresse désormais aux
causes (de fait) qui peuvent expliquer la divergence des
jugements – causes qui déterminent le sujet (parfois à son
insu) et sur lesquelles, surtout, il ne peut pas agir.
On peut réduire la diversité des goûts, mais on ne peut pas
complètement la supprimer : telle est la thèse finale que
Hume défend.
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4. La diversité irréductible… (03)
• Même si on aborde l’œuvre dans de bonnes conditions,
même si on a le goût délicat, et qu’on remplit les conditions
requises pour être un « vrai juge » (true judge, §23), il y
aura toujours – et on n’y peut rien – des différences de goût
et de jugement. Procédant à une sorte d’étiologie
esthétique, Hume identifie deux causes :
« The one is the different humours of particular men; the
other, the particular manners and opinions of our age and
country » (§28)
La première cause est psychologique, la seconde culturelle.
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4. La diversité irréductible… (04)
1) La cause psychologique : le jugement varie selon les
humeurs, la personnalité, l’âge de chacun.
Nous abordons toujours l’œuvre avec notre subjectivité qui
est une caractéristique indélébile, inamovible. Nous aimons
spontanément ce qui nous ressemble, ce qui correspond à
nos humeurs. Nous avons toujours des « préférences
innocentes ».
Si nous divergeons, c’est simplement parce que nous
sommes des individus différents. Nos différences de
jugement se ramènent in fine à nos différences
individuelles.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
« Such preferences are innocent and unavoidable, and
can never reasonably be the object of dispute,
because there is no standard, by which they can be
decided. » (§30)
« We choose our favourite author as we do our friend,
from a conformity of humour and disposition. Mirth or
passion, sentiment or reflection; whichever of these
most predominates in our temper, it gives us a
peculiar sympathy with the writer who resembles us. »
(§29)
4. La diversité irréductible… (05)
2) La cause culturelle : nous aimons ce qui nous ressemble,
et ce qui nous est familier ou proche ; nous n’aimons pas les
différences. Nous retrouvons le problème de
l’ethnocentrisme.
Hume distingue trois niveaux :
- Les différences quant aux mœurs (§31);
- Les différences morales (§32-33);
- Les différences religieuses (§34-36).
Ces différences irréductibles expliquent que les jugements
esthétiques puissent varier.
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4. La diversité irréductible… (06)
b) Règle du goût et norme du goût
La position défendue par Hume est donc subtile. D’un côté,
Hume montre que tous les goûts ne se valent pas : certains
sont manifestement mieux placés que les autres pour juger
les œuvres d’art ; leur avis constitue la « règle du goût »
(standard of taste), c’est-à-dire l’étalon à l’aune duquel on
peut évaluer les autres avis. D’un autre côté, cette règle
n’est pas une « norme » à laquelle il faudrait, à tout prix,
se conformer. Chaque individu est, à l’évidence, libre
d’aimer ou de détester telle ou telle œuvre. L’uniformité des
goûts n’est ni possible, ni souhaitable.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
Bibliographie
• John Zeimbekis, Qu’est-ce qu’un jugement
esthétique?, Vrin, 2006.
• Roger Pouivet, Le réalisme esthétique, PUF, 2006.
• Yves Michaud, Critères esthétiques et jugement de
goût, Pluriel, 1999.
• Jerrold Levinson, « La norme du goût de David Hume
: le vrai problème » in Cahiers de Philosophie de
l’Université de Caen, n° 37, 2001.
(disponible en ligne : https://sopha.univ-paris1.fr/)
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018

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Hume, La règle du goût (G. Gay-Para)

  • 1. Hume, La règle du goût « Of the standard of taste » (1759) GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 2. NB : pour la numérotation des paragraphes (qui peut varier d’une traduction à une autre), je m’appuie désormais – pour uniformiser tous les renvois – sur le texte anglais disponible ici : https://web.csulb.edu/~jvancamp/361r15.html
  • 3. Plan du cours Introduction 1. Le paradoxe du goût (§1-8) a) La diversité des goûts b) Les deux espèces de sens commun 2. La solution de Hume (§9-16) a) Le réalisme de Hume b) La délicatesse du goût 3. Les conditions du jugement esthétique (§17-24) a) Les conditions à respecter pour que le jugement soit objectif b) Le problème des juges 4. La diversité irréductible des goûts (§25-36) a) Les deux types de cause (§28) b) Règle du goût et norme du goût. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 4. Introduction (1) Hume (1711-1776) • Empirisme (≠ rationalisme) Hume : « L’expérience seule nous fait connaître toutes les lois de la nature et toutes les propriétés des corps sans exception » (Enquête sur l’entendement humain, IV, 1748). L’empirisme de Hume le conduit au scepticisme. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 5. Introduction (2) • Scepticisme (≠ dogmatisme) Critique de l’induction : le soleil se lèvera-t-il demain ? Hume défend un scepticisme modéré. « En général, il y a un certain degré de doute, de circonspection, de modestie, qui, dans tous les genres d’examen et de décision, doit à jamais accompagner un bon raisonneur. » (Enquête sur l’entendement humain, XII) GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 6. Introduction (3) Paradoxe : dans le domaine esthétique, Hume n’est pas sceptique. Il doute de la possibilité d’accéder à la vérité. Mais il ne doute pas de l’existence de la beauté. Dans La règle du goût (1759), Hume présente la thèse sceptique (§7), mais pour la rejeter. Il défend une position qu’on peut qualifier de réaliste ou objectiviste. C’est-à-dire ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 7. Introduction (4) Hume part d’un fait difficile à contester : il y a une diversité des goûts. Comment expliquer ce fait ? • Première théorie : la théorie sceptique (subjectiviste et relativiste). - La beauté est subjective. - Tous les goûts se valent. - On ne peut pas mettre les hommes d’accord. - Il n’y a pas de règle ou de norme (standard) du goût. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 8. Introduction (5) • Deuxième théorie : celle de Hume. - Certaines œuvres sont réellement (ou objectivement) belles. - Tous les goûts ne se valent pas. Certains hommes ont un goût délicat, et sont donc capables de reconnaître ce qui est réellement (ou objectivement) beau . - Les désaccords des hommes viennent du fait qu’ils ne font pas la même expérience de l’objet. - Il y a une règle du goût (standard of taste). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 9. Introduction (6) • On peut distinguer dans le texte de Hume deux grands moments. 1) À la recherche de la règle du goût (§1-24) Hume est à la recherche d’une « règle du goût » c’est-à-dire d’un étalon à l’aune duquel on peut évaluer les différents jugements esthétiques (§6). Il estime l’avoir découverte (§23) : cette règle n’est rien d’autre que « le verdict commun » des « vrais juges », c’est-à-dire des hommes au goût délicat, et ayant une forme d’expertise dans le domaine des arts. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 10. Introduction (7) 2) Les causes de la diversité des jugements (§25-36) Selon Hume, la diversité des jugements ne peut pas être supprimée complètement : même si on aborde l’œuvre dans de bonnes conditions et qu’on l’apprécie à sa juste valeur, il n’en reste pas moins qu’il y a des causes irréductibles qui expliquent la divergence des jugements (§28). Ces causes relèvent soit de la personnalité individuelle et de la psychologie de celui qui juge, soit de sa culture (ses mœurs, sa morale, ou encore sa religion). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 11. 1. Le paradoxe du goût (1) a) La diversité des goûts - Approche superficielle (§1) : le goût est doublement relatif ; il varie selon les individus mais aussi selon les cultures. Cf. le problème de l’ethnocentrisme. - Deuxième approche – plus subtile (§2) : le désaccord est plus profond qu’on le croit. Même lorsque les hommes semblent d’accord, ils sont, en fait, en désaccord. Hume soulève le problème du langage : sur les questions esthétiques comme sur les questions morales, le langage nous trompe (§3). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 12. 1. Le paradoxe du goût (2) - Pourquoi le langage est-il trompeur ? C’est que le langage contient des termes généraux : par exemple, la beauté, l’élégance, la justice, l’humanité, etc. Or, les hommes ne donnent pas tous la même signification à ces termes. L’accord des hommes est donc seulement apparent : la généralité du langage cache ou occulte la divergence réelle de leurs pensées ou opinions. En général, et en apparence, tout le monde est d’accord. Mais dans le détail, personne ne pense la même chose. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 13. 1. Le paradoxe du goût (3) - Hume compare les questions esthétiques aux questions scientifiques (§2) et aux questions morales (§3-5). Il distingue, pour cela, les jugements généraux et les jugements particuliers. Sur les questions esthétiques et sur les questions morales, les hommes tombent d’accord sur les jugements généraux, mais sont en désaccord sur les jugements particuliers. Sur les questions scientifiques, c’est le contraire : « le fond de la controverse est plutôt dans les propositions générales que les particulières » (§2). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 14. • Les jugements généraux sont des jugements analytiques : ils ne font que développer ce qui est contenu dans la notion du sujet ; ils sont donc tautologiques (de la forme : A est A). Exemple : « Un style ampoulé est un mauvais style » Un style ampoulé est, par définition, un mauvais style. L’idée de « mauvais style » est contenue dans l’idée de « style ampoulé ». Une telle phrase n’apporte donc aucune connaissance : elle ne fait que développer ce que nous savons déjà, du fait du sens des mots. • Les jugements particuliers sont des jugements synthétiques : ils font intervenir l’expérience. Le prédicat ne découle pas logiquement du sujet, mais est ajouté. Exemple : « Cet écrivain (ou ce texte) a un style ampoulé » Désaccord possible
  • 15. 1. Le paradoxe du goût (4) - Plusieurs questions se posent : 1) Un accord entre les hommes est-il possible ? 2) Tous les jugements se valent-ils ? 3) Peut-on trouver une « règle du goût » (standard of taste) c’est-à-dire un étalon à l’aune duquel on pourrait évaluer les jugements, et ainsi distinguer les bons jugements des mauvais ? 4) Dans le domaine esthétique, y a-t-il seulement des jugements qu’on peut qualifier de « bons » ou de « vrais » ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 16. 1. Le paradoxe du goût (5) b) Les deux espèces de sens commun Hume montre que le sens commun est divisé sur la question du goût : il défend deux positions contradictoires. D’un côté, le sens commun s’accorde avec la philosophie sceptique (§7) : il nie l’existence d’une « règle du goût ». D’un autre côté, il reconnaît que certains jugements esthétiques sont absurdes (§8). Problème : quelle position faut-il privilégier ? Si les deux positions sont acceptables, peut-on supprimer la contradiction ou la dépasser ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 17. 1. Le paradoxe du goût (6) • La position sceptique (§7) 1) Jugement et sensation (ou sentiment) Prenons trois exemples : - « Ce fruit est rond. » : jugement de fait qui peut être vrai ou faux ; vrai s’il est conforme à la réalité, faux dans le cas contraire. - « Ce fruit est bon. » : jugement de sentiment qui n’est ni vrai, ni faux, mais qui est subjectif et relatif à la personne qui mange le fruit. - « Ce fruit est beau » : quel type de jugement est-ce ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 18. 1. Le paradoxe du goût (7) Selon les philosophes « sceptiques », les jugements esthétiques ne sont pas des jugements de fait, mais des jugements de sentiment : - Ils ne décrivent pas l’objet, mais expriment l’état du sujet, dans son rapport à l’objet. - Ils ne sont ni vrais, ni faux. Soit le sujet ressent, soit le sujet ne ressent pas. Mais, quoi qu’il ressente, on ne peut rien lui reprocher : « tout sentiment est juste » (all sentiment is right, §7). - Un même objet peut susciter des sentiments différents : tout dépend de la sensibilité des sujets. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 19. 1. Le paradoxe du goût (8) 2) La beauté est subjective. « Beauty is no quality in things themselves : it exists merely in the mind which contemplates them ; and each mind perceives a different beauty. » (§7) - Thèse subjectiviste et relativiste : une chose n’est pas belle en soi ; elle n’est belle que pour telle ou telle personne. - Thèse irréaliste (ou anti-réaliste) : la beauté n’est pas une propriété constitutive de l’objet. En ce sens, elle n’existe pas vraiment. Elle n’est pas réelle. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 20. « Demandez à un crapaud ce que c’est que la beauté, le grand beau, le to kalon. Il vous répondra que c’est sa crapaude avec deux gros yeux ronds sortant de sa petite tête, une gueule large et plate, un ventre jaune, un dos brun. Interrogez un nègre de Guinée ; le beau est pour lui une peau noire, huileuse, des yeux enfoncés, un nez épaté. Interrogez le diable ; il vous dira que le beau est une paire de cornes, quatre griffes, et une queue. » Voltaire, Dictionnaire philosophique, article « Beau ». GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 21. 1. Le paradoxe du goût (9) • L’autre espèce de sens commun (§8) Le sens commun (common sense) adhère à la position sceptique, mais de manière modérée, puisqu’il refuse d’admettre que tous les jugements esthétiques se valent. Hume compare ici, paradoxalement, le jugement esthétique à un jugement de fait. Certains jugements esthétiques sont absurdes ou ridicules. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 22. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018 « Whoever would assert an equality of genius and elegance between OGILBY and MILTON, or BUNYAN and ADDISON, would be thought to defend no less an extravagance, than if he had maintained a mole-hill to be as high as TENERIFFE, or a pond as extensive as the ocean. » (§8)
  • 23. 1. Le paradoxe du goût (10) → Cette contradiction entre deux thèses acceptées par le sens commun pose problème : comment peut-on affirmer à la fois que le goût est subjectif, et qu’il y a des fautes – évidentes – de goût ? Pour le dire autrement, comment le goût pourrait-il être à la fois subjectif et objectif ? L’une des deux thèses doit-elle être abandonnée ? L’ambition de Hume, dans la suite du texte, est de chercher, malgré la contradiction apparente, à concilier les deux thèses. Comment peut-il y arriver ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 24. 2. La solution de Hume (1) a) Le réalisme de Hume • Les sceptiques vont vite en besogne : le désaccord des hommes sur les questions esthétiques n’implique pas nécessairement l’inexistence de la beauté ou la subjectivité du goût. 1) Il y a un fait que la théorie sceptique (subjectiviste et relativiste) ne parvient pas expliquer : le consensus autour des œuvres classiques. Si la beauté n’est que subjective, comment cela fait-il que les jugements individuels puissent converger ? Cf. L’exemple d’Homère (§11). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 25. 2. La solution de Hume (2) 2) Le jugement esthétique exprime, certes, l’état du sujet (son plaisir ou son déplaisir). Mais il serait excessif d’affirmer qu’il se réduit à cela : il révèle bien quelque chose à propos de l’objet (de l’œuvre). Le langage courant l’indique. On dit qu’une chose est belle et non : « J’ai beau ». Critique de Gérard Genette : en disant qu’une chose est belle, nous ne faisons que projeter sur elle notre propre sentiment. Nous « objectivons » notre sentiment. Mais c’est une illusion : à proprement parler, la chose « n’est pas » belle. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 26. 2. La solution de Hume (3) Contre-objection : même si l’objectivation de la beauté est illusoire, il n’en reste pas moins que, dans le jugement esthétique, le sujet exprime son état de satisfaction par rapport à l’objet. Le jugement esthétique ne porte ni sur le sujet, ni sur l’objet, pris séparément, mais bien sur la relation entre les deux. Quand on dit : « c’est beau », on affirme qu’on éprouve (subjectivement) du plaisir, mais aussi que l’objet dont on parle a (objectivement) le pouvoir de susciter ce plaisir. La beauté doit bien venir, d’une manière ou d’une autre, au moins en partie, de l’objet ! GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 27. 2. La solution de Hume (4) • Telle est l’hypothèse de Hume : les œuvres classiques ont bien quelques qualités intrinsèques et donc objectives qui font qu’elles sont admirées par tous. Nous lisons au §12 : « Certaines formes ou qualités particulières, de par la structure primitive de notre constitution interne, sont faites pour plaire et d’autres pour déplaire » (trad. Michel Malherbe). « Some particular forms or qualities, from the original structure of the internal fabric, are calculated to please, and others to displease. » GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 28. 2. La solution de Hume (5) → La beauté, loin d’être purement et simplement subjective, aurait donc un fondement objectif dans les œuvres. Cette hypothèse permet d’expliquer la convergence des jugements esthétiques. Mais on peut aussi, à partir d’elle, expliquer la divergence des jugements. Selon Hume, si les hommes divergent dans leur jugement, ce n’est pas parce que la beauté n’existe pas ou serait seulement subjective : c’est parce qu’ils ne font pas la même expérience de l’objet. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 29. 2. La solution de Hume (6) Hume défend donc une théorie réaliste ou objectiviste. Selon cette théorie : Une œuvre est réellement ou objectivement belle si et seulement si : a) j’éprouve du plaisir en la contemplant ; b) mes organes sensoriels sont en bon état ; c) je suis dans de bonnes conditions pour contempler l’œuvre (conditions à préciser). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 30. « A perfect serenity of mind, a recollection of thought, a due attention to the object; if any of these circumstances be wanting, our experiment will be fallacious, and we shall be unable to judge of the catholic and universal beauty. » (§10) « A man in a fever would not insist on his palate as able to decide concerning flavours; nor would one, affected with the jaundice, pretend to give a verdict with regard to colours. In each creature, there is a sound and a defective state; and the former alone can be supposed to afford us a true standard of a taste and sentiment. If, in the sound state of the organ, there be an entire or considerable uniformity of sentiment among men, we may thence derive an idea of the perfect beauty. » (§12)
  • 31. 2. La solution de Hume (7) • Quelques remarques sur cette théorie : - Cette théorie a un pouvoir explicatif fort. Mais elle repose sur une hypothèse métaphysique qui est discutable. Hume présuppose, en effet, que, la nature humaine étant ce qu’elle est, telle forme doit plaire, telle autre forme doit déplaire. Il y aurait un lien naturel et nécessaire entre telle ou telle forme et tel ou tel sentiment. Sa théorie esthétique est donc tributaire d’une théorie de la nature humaine. Cf. le Traité de la nature humaine (1739-1740). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 32. « the relation, which nature has placed between the form and the sentiment... » (§10) « Some particular forms or qualities, from the original structure of the internal fabric, are calculated to please, and others to displease... » (§12) « Though some objects, by the structure of the mind, be naturally calculated to give pleasure… » (§13) « … it must be allowed, that there are certain qualities in objects, which are fitted by nature to produce those particular feelings. » (§16)
  • 33. 2. La solution de Hume (8) - Ce lien entre forme et sentiment ne peut pas être connu a priori par la seule raison. On ne peut pas le déduire ; on peut seulement le constater : on a besoin, à l’évidence, de l’expérience (cf. §9). Or, les arguments sceptiques avancés par Hume lui-même (en particulier, dans son Enquête sur l’entendement humain) peuvent servir à « fragiliser » ce lien. Loin d’être universel et nécessaire, comme Hume le suggère, le lien entre telle forme et tel sentiment serait particulier et contingent : telle forme plairait seulement à certains hommes (et non à tous), et pourrait aussi ne pas plaire. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 34. 2. La solution de Hume (9) - Si on laisse de côté ces difficultés, la théorie de Hume a le mérite de rendre compatibles les deux intuitions du sens commun. Ainsi, même si la beauté n’est pas une propriété objective, constitutive des choses, selon Hume, les jugements esthétiques peuvent être vrais ou faux. Or, une question demeure : à quelles conditions un jugement esthétique peut-il être vrai (ou valide) ? La réponse de Hume consiste à dire que la vérité du jugement esthétique dépend de la qualité de l’expérience esthétique, dont il provient. Pour bien juger, il faut, au préalable, bien percevoir. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 35. 2. La solution de Hume (10) b) La délicatesse du goût Si les hommes divergent dans leur jugement, ce n’est pas parce que la beauté n’existe pas : c’est, la plupart du temps, à cause d’eux. Même si leurs organes sont sains, ils n’ont pas le goût assez délicat. Qu’est-ce que la délicatesse du goût ? Pour l’expliquer, Hume a recours à une histoire tirée du roman célèbre de Cervantès, Don Quichotte (§15). Hume établit alors une analogie entre le goût physique (pour le vin) et le goût esthétique (pour les œuvres d’art). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 36. 2. La solution de Hume (11) • L’histoire de Sancho suggère plusieurs choses. 1) Si les hommes divergent dans leur jugement, c’est parce qu’ils ne perçoivent pas l’œuvre de la même manière. 2) Ils ont une perception partielle de l’œuvre : ils sont sensibles à certaines qualités et non à d’autres. 3) Les sentiments éprouvés ne sont pas arbitraires : ils sont subjectifs, certes, mais ils ont un fondement objectif. Les sentiments sont toujours l’effet de certaines propriétés ou qualités de l’œuvre. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 37. 2. La solution de Hume (12) • Selon Hume, le problème du jugement esthétique est d’abord un problème de perception. Une perception « mauvaise » de l’œuvre donnera lieu à un jugement faux. Seule une « bonne » perception peut donner lieu à un jugement vrai. Or, pour bien percevoir l’œuvre, il faut avoir le goût délicat, c’est- à-dire être capable de percevoir l’œuvre telle qu’elle est, sans rien omettre, et en distinguant les parties qui la composent. La perception doit être exhaustive ou totale : rien n’échappe à l’homme qui a le goût délicat. Il perçoit tout, même les parties les plus petites et infimes de l’œuvre. La perception doit aussi être précise : les parties doivent être distinguées, saisies une à une, et non confondues avec le tout. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 38. 2. La solution de Hume (13) • L’histoire de Sancho permet à Hume de préciser sa théorie de la beauté. Comme les sceptiques (§7), Hume refuse de faire de la beauté une propriété intrinsèque et objective des choses : « It [is]certain, that beauty and deformity, more than sweet and bitter, are not qualities in objects, but belong entirely to the sentiment, internal or external. » (§16) En comparant le beau et le laid au doux et à l’amer, Hume fait ici allusion à la distinction que propose John Locke (à la suite de Galilée et de Descartes) entre deux types de qualités : les qualités premières et les qualités secondes. Les sceptiques ont raison : à l’évidence, la beauté n’est pas une qualité première. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 39. Goût de fer Goût de cuir Sentiment Clef Lanière Forme = == Qualités secondes Qualités premières L’analogie de Hume
  • 40. Les qualités premières et les qualités secondes (1) Par la perception, nous pouvons connaître les qualités des choses matérielles. Mais il serait naïf de croire que les choses sont exactement telles que nous les percevons. Dans la perception, nous découvrons des qualités qui dépendent de la chose, mais aussi d’autres qualités qui dépendent moins de la chose que de notre rapport à elle, et qui, en ce sens, n’existent pas vraiment. Les qualités premières sont objectives : la chose les possède nécessairement, indépendamment de nous. Les qualités secondes sont subjectives : la chose ne les possède en elle-même, mais seulement pour nous et grâce à nous qui la considérons par nos sens. Or, si les qualités secondes ne correspondent à rien dans la réalité, et n’existent qu’en nous, dans notre conscience, elles dépendent néanmoins des qualités premières : elles ont donc, malgré tout, un fondement objectif.
  • 41. Les qualités premières et les qualités secondes (2) Les qualités premières (ou primaires) sont « celles qui sont strictement inséparables du corps, quel que soit son état. » « Prenez un grain de blé ; divisez-le en deux deux parties : chaque partie a toujours solidité, étendue, figure et mobilité. » Les qualités secondes (ou secondaires) sont ces qualités « qui en réalité ne sont rien d’autre dans les objets eux-mêmes que les pouvoirs de produire diverses sensations en nous par leurs qualités primaires, c’est-à-dire par le volume, la figure, la texture et le mouvement de leurs éléments insensibles ; ce sont les couleurs, les sons, les goûts, etc. » John Locke, Essai sur l’entendement humain (1690), II, 8, §9. « Je crois que les goûts, les odeurs, les couleurs et ainsi de suite ne sont rien de plus que de simples noms pour ce qui concerne l’objet dans lequel nous les plaçons, et qu’ils ne résident que dans la conscience. Dès lors, si le vivant était éliminé́, toutes ces qualités seraient effacées et anéanties. » Galilée, L’Essayeur (1623), § 48.
  • 42. Les qualités premières et les qualités secondes (3) La position de Leibniz sur ce point est intéressante, et semble aller dans le sens de Hume. Contre Locke, Leibniz affirme : « Il ne faut point s’imaginer que ces idées comme de la couleur ou de la douleur soient arbitraires et sans rapport ou connexion naturelle avec leurs causes. » Certes, « la chaleur n’est pas une qualité sensible ou puissance de se faire sentir tout à fait absolue, (…) elle est relative à des organes proportionnées. (…) Quand notre main est fort chaude, la chaleur médiocre de l’eau ne se fait point sentir, et tempère plutôt celle de la main, et par conséquent l’eau nous paraît froide (…) ». Mais la chaleur, même perçue différemment, reste une qualité de l’objet : « on peut dire que la chaleur appartient à l’eau d’un bain, bien qu’elle puisse paraître froide à quelqu’un, comme le miel est appelé doux absolument, et l’argent blanc, quoique l’un paraisse amer, et l’autre jaune à quelques malades : car la dénomination se fait par le plus ordinaire ». Leibniz rajoute que « lorsque l’organe et le milieu sont constitués comme il faut », il y a bien une correspondance entre ce qui est senti (par le sujet) et ce qui est (dans la chose). (Nouveaux essais sur l’entendement humain, II, VIII, éd. GF, p.102-104)
  • 43. 2. La solution de Hume (14) • Si Hume concède aux sceptiques que la beauté est une qualité seconde, et non pas une qualité première, il confère néanmoins au jugement esthétique une forme d’objectivité. Le jugement des hommes au goût délicat est objectif, puisqu’il repose sur une perception fine de toutes les qualités de l’œuvre. La beauté, certes, n’existe pas réellement dans l’œuvre, mais, comme elle dépend des qualités premières de l’œuvre, elle reste une qualité de l’œuvre (et non une simple illusion subjective). Hume pense la beauté sur le modèle de la couleur (cf. la dernière phrase du §12). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 44. 2. La solution de Hume (15) • Problème : dans l’histoire de Sancho, les deux amateurs de vin, malgré leur divergence, ont pu prouver aux autres qu’ils ont du goût, grâce à la découverte de la clef et de la lanière en cuir. Or, dans le domaine esthétique, comment pouvons-nous être sûrs qu’une personne a du goût ? Selon Hume, l’homme de goût peut justifier son jugement et prouver aux autres qu’une œuvre d’art est belle. Pour cela, il doit s’appuyer sur des œuvres reconnues à l’unanimité comme belles, et qui peuvent servir de canons de la beauté (cf. § 16 et § 17). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 45. « To produce these general rules or avowed patterns of composition is like finding the key with the leathern thong. » (§16) « …the best way of ascertaining [a delicacy of taste] is to appeal to those models and principles, which have been established by the uniform consent and experience of nations and ages. » (§17)
  • 46. Peut-on démontrer qu’une œuvre d’art est belle ? La solution de Hume. 1. O1, O2, O3… sont des œuvres reconnues, à l’unanimité, comme belles. 2. De O1, O2, O3… nous pouvons tirer des règles générales : R1, R2, R3… R1 : si une œuvre a la propriété P1, alors elle est belle. R2 : si une œuvre a la propriété P2, alors elle est belle. R3 : si une œuvre a la propriété P3, alors elle est belle. Etc… 3. Or, l’œuvre O4 que nous examinons a au moins l’une des propriétés P1, P2, P3… 4. Donc O4 est belle. 4. Si une personne contredit notre jugement, c’est que son goût n’est pas assez délicat. Elle n’a pas été capable de percevoir P1, P2, P3…
  • 47. 3. Les conditions du jugement esthétique (01) a) Les conditions à respecter pour que le jugement soit objectif. Selon Hume, la beauté n’apparaît « objectivement » que dans certaines conditions. Si l’une des ces conditions n’est pas remplie, l’expérience esthétique sera faussée. On peut distinguer trois types de conditions : - les conditions relatives à la perception ; - Les conditions relatives à l’exercice et à la pratique ; - Les conditions relatives à l’entendement. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 48. 3. Les conditions du jugement… (02) NB : ces conditions sont des conditions idéales. Dans les faits, elles sont rarement respectées. Mais elles permettent à Hume de préciser ce qui définit « le vrai juge » (true judge, §23), c’est-à-dire le critique d’art idéal : celui qui est capable de juger les œuvres d’art à leur « juste » valeur, et donc de reconnaître (objectivement) la beauté là où elle apparaît. Notons, en outre, que ces conditions sont indissociables : elles sont reliées les unes aux autres. Si, pour bien juger, il faut avoir un goût délicat, celui-ci suppose qu’on ait de la pratique, de la culture, mais aussi un état d’esprit adéquat. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 49. 3. Les conditions du jugement… (03) 1) Les conditions relatives à la perception (§17) Ces conditions ont déjà été abordées précédemment. Elles sont doubles. Pour bien percevoir, il faut : 1) avoir des organes sains, en bon état (§12); 2) avoir le goût délicat (§13-16). Soulignons, au passage, que la délicatesse du goût est plus largement, selon Hume, une condition du bonheur individuel. « But a delicate taste of wit or beauty must always be a desirable quality; because it is the source of all the finest and most innocent enjoyments, of which human nature is susceptible. » (§17) Cf. à ce sujet, le petit texte : « La délicatesse du goût et la vivacité des passions ». GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 50. 3. Les conditions du jugement… (04) 2) Les conditions relatives à la pratique (§18-20) La délicatesse du goût n’est pas complètement innée : elle s’acquiert, en partie, avec l’exercice et la pratique. Hume distingue plusieurs niveaux. L’exercice et la pratique permettent : 1) d’affiner la perception (§18) ; 2) de donner plus d’assurance au jugement (§19) ; 3) de pouvoir faire des comparaisons entre les œuvres, et donc d’acquérir la culture indispensable pour bien juger (§20). Pour percevoir la beauté, il faut donc du temps. Cf. par exemple, ce que dit Camus à propos de Kafka : « Tout l’art de Kafka est d’obliger le lecteur à relire » (Le mythe de Sisyphe, p.171). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 51. 3. Les conditions du jugement… (05) 3) Les conditions relatives à l’entendement (§21-22) La perception n’est pas seulement l’affaire des sens : l’entendement (ou l’esprit) joue un rôle décisif. De nouveau, Hume distingue deux conditions. Pour bien percevoir et bien juger, il faut : 1) aborder l’œuvre sans préjugés (§21) ; 2) avoir du bon sens (§22). Hume reprend ici à son compte l’une des idées fondamentales des Lumières : la critique des préjugés. Les préjugés peuvent nous détourner de la vérité, mais aussi de la beauté ! « … prejudice is destructive of sound judgment, and perverts all operations of the intellectual faculties. » (§22) GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 52. Petite discussion sur les préjugés Hume souligne, à juste titre, que les préjugés – qu’ils soient culturels ou individuels – peuvent altérer la perception de l’œuvre, et empêcher une juste appréciation de celle-ci. Cette critique des préjugés semble aller de soi, et pourtant elle soulève des difficultés. 1) Tous les préjugés sont-ils nécessairement mauvais ? 2) Est-il seulement possible d’aborder l’œuvre sans préjugés ? Contre Hume, on pourrait défendre la thèse selon laquelle les préjugés – qui viennent de la tradition dans laquelle nous sommes insérés – sont une condition d’accès à l’œuvre d’art. Cf. Adorno, Minima Moralia (1951), §143. Sur le même sujet, pour une réhabilitation des préjugés cf. aussi Hans Georg Gadamer, Vérité et méthode (1960) : selon Gadamer, la philosophie des Lumières, loin de supprimer les préjugés, est soumis à un préjugé : « le préjugé contre les préjugés en général, qui enlève ainsi tout pouvoir à la tradition » (Seuil, 1996, p. 291). Sans les préjugés véhiculés par la tradition, pourrions- nous vraiment apprécier une œuvre d’art ? N’est-ce pas le préjugé – favorable – qui oriente notre regard et nous incite à fournir des efforts, en particulier, face à une œuvre difficile ?
  • 53. 3. Les conditions du jugement… (06) b) Le problème des juges • Ayant précisé les conditions à respecter pour que le jugement esthétique soit objectif, Hume peut enfin résoudre le problème qu’il avait posé précédemment (§6). La thèse qu’il défend au §23 réunit plusieurs affirmations : 1) Il y a bien une règle du goût. 2) Cette règle est définie par « le verdict commun » des vrais juges. 3) Les « vrais juges » se reconnaissent au fait qu’ils respectent les conditions susmentionnées. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 54. 3. Les conditions du jugement… (07) • Pour trancher les désaccords sur les questions esthétiques, il faut donc, selon Hume, avoir recours à l’avis d’une élite. Si la beauté n’est pas une propriété constitutive des choses (concession à la thèse sceptique présentée au §7), il ne faut pas renoncer pour autant à l’idée d’une beauté universelle (« the catholic and universal beauty », §10). Hume la définit en ces termes : Est beau (objectivement et universellement) ce qui est reconnu comme tel par l’élite que constituent les « vrais juges ». GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 55. 3. Les conditions du jugement… (08) • La théorie de Hume soulève plusieurs difficultés. 1) Une première difficulté est reconnue par Hume lui-même (§24) : comment identifier les experts, les « vrais juges » ? On peut, certes, dire que les « vrais juges » sont ceux qui ont du goût et qui sont donc capables de reconnaître la beauté. Mais on tombe alors, semble-t-il, dans un cercle, puisque la beauté a été définie, préalablement, à partir du jugement unanime de cette élite. La question qui se pose est de savoir si on peut sortir de ce cercle. La théorie de Hume est-elle vraiment circulaire ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 56. Le cercle de Hume (Mais) qu’est-ce que la beauté ? (Mais) qui sont les experts (les « vrais juges ») ? Est beau ce qui est reconnu comme tel par le jugement unanime des experts. Sont experts ceux qui sont capables de reconnaître la beauté.
  • 57. 3. Les conditions du jugement… (09) 2) Supposons qu’on puisse identifier et reconnaître l’élite. Une autre question se pose : pourquoi les individus qui ne sont pas des experts sur les questions esthétiques devraient-ils se soumettre à l’avis de l’élite ? C’est ce que Jerrold Levinson appelle « le vrai problème » de La règle du goût : « Pourquoi auriez-vous intérêt à suivre les recommandations d’un critique idéal, si vous êtes satisfait des œuvres d’art qui vous rendent présentement heureux ? Parce que les œuvres préférées par le critique idéal sont vraiment belles ? Mais qu’est-ce que cela peut vous faire ? De plus, qu’est-ce que tout cela veut dire ? Que les œuvres belles plaisent aux critiques idéaux ? Mais vous n’êtes pas des leurs. » (art. cit. p.76) GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 58. 3. Les conditions du jugement… (10) - Si un individu trouve belle une œuvre, même si c’est à tort, parce qu’il a une perception faussée ou altérée de l’œuvre, on ne voit pas, à première vue, pourquoi il devrait se renier lui-même, en adoptant le point de vue de l’élite. Le plaisir qu’il ressent est réel : pourquoi devrait-il y renoncer? Et pourquoi devrait-il chercher à acquérir « la délicatesse du goût » que possède l’élite? - Hume ne répond pas explicitement à cette question. Mais il indique que « la délicatesse du goût » est un bien en soi, que tout le monde devrait cultiver. Cf. à ce sujet, le §17, et le petit texte : « La délicatesse du goût et la vivacité des passions ». GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 59. 3. Les conditions du jugement… (11) - Hume accepterait sans doute une réponse semblable à celle que proposera Mill, pour établir (contre Bentham) une différence de qualité entre les plaisirs. « Lorsqu’il s’agit de savoir lequel, de deux plaisirs, a le plus de prix (…), il faut bien tenir pour définitif le jugement des hommes qui sont qualifiés par la connaissance qu’ils ont de l’un et de l’autre, ou, s’ils sont en désaccord, celui de la majorité d’entre eux. » (L’utilitarisme, Champs Flammarion, 1988, p.55- 56.) S’il faut suivre les recommandations de l’élite, c’est parce qu’elle connaît les œuvres véritablement belles, c’est-à-dire celles qui sont susceptibles de nous procurer le plus de plaisir. Ayant contemplé de nombreuses œuvres, elle a pu les comparer. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 60. 3. Les conditions du jugement… (12) 3) Une dernière difficulté. Le jugement des « vrais juges » peut- il être unanime ? S’il n’y a pas d’unanimité, comment peut-on alors trancher le désaccord ? Faut-il dire que la majorité – sur les questions esthétiques – a toujours raison ? La réponse de Hume à ces questions est, semble-t-il, double. 1. Hume souligne le rôle du temps : si désaccord il y a, avec le temps, l’œuvre objectivement belle sera reconnue, tôt ou tard, à sa juste valeur. 2. Hume reconnaît que, même parmi l’élite, les jugements individuels peuvent diverger, car il y a et aura toujours des préférences individuelles. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 61. « ARISTOTLE, and PLATO, and EPICURUS, and DESCARTES, may successively yield to each other : but TERENCE and VIRGIL maintain an universal, undisputed empire over the minds of men. The abstract philosophy of CICERO has lost its credit : the vehemence of his oratory is still the object of our admiration. » (§26)
  • 62. 3. Les conditions du jugement… (13) NB : Il y a un fait que Hume tient pour acquis, et qui est au fondement de sa théorie : c’est la reconnaissance unanime des œuvres classiques. De ce point de vue, paradoxalement, les questions esthétiques divisent moins qu’on le croit. Cf. à ce sujet les §11 et §26. On pourrait, dès lors, se demander si la règle du goût, au-delà du « verdict commun » (§23) des « vrais juges » ne réside pas, en fait, dans ces œuvres qui résistent au temps : à défaut de pouvoir définir la beauté, nous aurions au moins quelques exemples d’œuvres dont la beauté serait incontestable. Il est douteux, en revanche, qu’on puisse utiliser ces œuvres comme critères pour distinguer le beau et le laid : Jerrold Levinson : « Les chefs d’œuvre ne sont en particulier d’aucun secours quand il s’agit d’arbitrer des controverses ou de guider l’appréciation concernant des œuvres d’art particulièrement originales ou révolutionnaires. » (art.cit., p.81). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 63. 4. La diversité irréductible des goûts (01) a) Les deux types de cause • Le texte de Hume pourrait paraître, à la première lecture, circulaire. Hume avait commencé son texte en faisant le constat – banal mais difficile à contester – de la diversité des goûts ; à la fin du texte, à partir du § 28, il y revient. Est- ce à dire que le projet de Hume a échoué, et que les analyses précédentes sont inutiles ? Une telle conclusion serait à la fois hâtive et injuste. Malgré l’apparence de répétition, l’analyse qui clôt le texte est très différente des considérations qui précédent. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 64. 4. La diversité irréductible… (02) • L’analyse de Hume change de niveau : elle passe du droit au fait. Après avoir montré ce que l’expérience esthétique doit être pour être objective, après avoir énuméré les conditions (de droit) à respecter pour pouvoir juger une œuvre à sa juste valeur, Hume s’intéresse désormais aux causes (de fait) qui peuvent expliquer la divergence des jugements – causes qui déterminent le sujet (parfois à son insu) et sur lesquelles, surtout, il ne peut pas agir. On peut réduire la diversité des goûts, mais on ne peut pas complètement la supprimer : telle est la thèse finale que Hume défend. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 65. 4. La diversité irréductible… (03) • Même si on aborde l’œuvre dans de bonnes conditions, même si on a le goût délicat, et qu’on remplit les conditions requises pour être un « vrai juge » (true judge, §23), il y aura toujours – et on n’y peut rien – des différences de goût et de jugement. Procédant à une sorte d’étiologie esthétique, Hume identifie deux causes : « The one is the different humours of particular men; the other, the particular manners and opinions of our age and country » (§28) La première cause est psychologique, la seconde culturelle. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 66. 4. La diversité irréductible… (04) 1) La cause psychologique : le jugement varie selon les humeurs, la personnalité, l’âge de chacun. Nous abordons toujours l’œuvre avec notre subjectivité qui est une caractéristique indélébile, inamovible. Nous aimons spontanément ce qui nous ressemble, ce qui correspond à nos humeurs. Nous avons toujours des « préférences innocentes ». Si nous divergeons, c’est simplement parce que nous sommes des individus différents. Nos différences de jugement se ramènent in fine à nos différences individuelles. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 67. « Such preferences are innocent and unavoidable, and can never reasonably be the object of dispute, because there is no standard, by which they can be decided. » (§30) « We choose our favourite author as we do our friend, from a conformity of humour and disposition. Mirth or passion, sentiment or reflection; whichever of these most predominates in our temper, it gives us a peculiar sympathy with the writer who resembles us. » (§29)
  • 68. 4. La diversité irréductible… (05) 2) La cause culturelle : nous aimons ce qui nous ressemble, et ce qui nous est familier ou proche ; nous n’aimons pas les différences. Nous retrouvons le problème de l’ethnocentrisme. Hume distingue trois niveaux : - Les différences quant aux mœurs (§31); - Les différences morales (§32-33); - Les différences religieuses (§34-36). Ces différences irréductibles expliquent que les jugements esthétiques puissent varier. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 69. 4. La diversité irréductible… (06) b) Règle du goût et norme du goût La position défendue par Hume est donc subtile. D’un côté, Hume montre que tous les goûts ne se valent pas : certains sont manifestement mieux placés que les autres pour juger les œuvres d’art ; leur avis constitue la « règle du goût » (standard of taste), c’est-à-dire l’étalon à l’aune duquel on peut évaluer les autres avis. D’un autre côté, cette règle n’est pas une « norme » à laquelle il faudrait, à tout prix, se conformer. Chaque individu est, à l’évidence, libre d’aimer ou de détester telle ou telle œuvre. L’uniformité des goûts n’est ni possible, ni souhaitable. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018
  • 70. Bibliographie • John Zeimbekis, Qu’est-ce qu’un jugement esthétique?, Vrin, 2006. • Roger Pouivet, Le réalisme esthétique, PUF, 2006. • Yves Michaud, Critères esthétiques et jugement de goût, Pluriel, 1999. • Jerrold Levinson, « La norme du goût de David Hume : le vrai problème » in Cahiers de Philosophie de l’Université de Caen, n° 37, 2001. (disponible en ligne : https://sopha.univ-paris1.fr/) GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2017-2018