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FAUT-IL CHERCHER À TOUT
DÉMONTRER ?
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
INTRODUCTION (1)
• Les deux sens du mot « démonstration »
Au sens large, par démonstration, on entend toute
procédure qui vise à établir la vérité d’un énoncé.
Démontrer est alors synonyme de prouver. Les
procédures varient selon les domaines. La démarche
de l’avocat, par exemple, est différente de celle du
mathématicien, du physicien ou encore de l’historien.
Au sens strict, par démonstration, on entend le
raisonnement, utilisé en mathématiques, qui consiste à
déduire de manière logique une proposition d’autres
propositions admises.
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INTRODUCTION (2)
• Problématisation
La démonstration de type mathématique est la preuve
par excellence. Elle aboutit à une vérité absolument
certaine et irréfutable. Elle passe ainsi pour la
méthode idéale. Pour éliminer tout risque d’erreur, on
devrait donc chercher à tout démontrer.
Mais une telle entreprise n’est-elle pas condamnée à
l’échec ? Est-il seulement possible de tout démontrer ?
La démonstration a des limites à la fois internes (elle
repose sur des principes indémontrables) et externes
(on ne peut pas l’appliquer dans tous les domaines).
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1. LA DÉMONSTRATION
COMME IDÉAL DE LA
CONNAISSANCE (1)
La démonstration de type mathématique est un
raisonnement qui consiste à établir, de manière
certaine et irréfutable, la vérité d’une proposition, en la
déduisant d’autres propositions admises.
La démonstration est :
a) une démarche purement rationnelle ;
b) qui permet d’établir des vérités absolument
certaines ;
c) et donc de convaincre n’importe qui.
Examinons ces différents points.
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1. LA DÉMONSTRATION
COMME IDÉAL … (2)
a) La démonstration comme procédure rationnelle
• La démonstration est un raisonnement déductif. Elle
est un type particulier de syllogisme.
→ Définition du syllogisme selon Aristote : « certaines
choses étant posées, quelque chose d’autre suit
nécessairement, par le seul fait que ces choses sont
telles » (Premiers analytiques, I, 1).
Mais tout syllogisme n’est pas une démonstration. Il
faut : 1) que les prémisses soient vraies ; 2) que la
déduction soit valide, et donc respecte les lois de la
logique.
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Les deux types principaux de raisonnement
1. Tous les hommes sont
mortels. (Majeure)
2. Socrate est un
homme. (Mineure)
1. Donc Socrate est
mortel. (Conclusion)
1. X est mortel.
2. Y est mortel.
3. Z est mortel.
.………………
.………………
4. Donc tous les hommes
sont mortels.
(Règle générale)
Induction Déduction
L’induction, à partir des cas
particuliers observés, établit
une règle générale.
La déduction, partant d’une
règle générale et d’un cas
particulier, tire une conclusion
à son sujet.
Cas
particuliers
Soit un triangle ABC. Soit une droite D, parallèle à (AC). Nous voulons démontrer que :
α + β + γ = 180°
Etape 1 :
1. Si deux droites parallèles sont coupées par une sécante, les angles alternes-internes
sont égaux (Théorème = vérité universelle).
2. Or, D est parallèle à (AC), et α et α’, γ et γ’ sont des angles alternes-internes (Cas
particulier).
3. Donc (déduction) : α = α’, γ = γ’.
Etape 2 : D étant une droite, on a : α’ + β + γ’ = 180°.
Etape 3 : Par substitution, on peut donc conclure : α + β + γ = 180°. CQFD.
A
B
Cα
α’
γ
γ’
β
D
1. LA DÉMONSTRATION
COMME IDÉAL … (3)
• La démonstration se caractérise par le fait qu’étant
déductive, elle ne fait pas intervenir la perception ou
l’expérience : elle repose exclusivement sur la
raison.
Cf. Aristote : « Même s’il était possible de percevoir
que le triangle a ses angles égaux à deux droits, nous
en chercherions encore une démonstration » (Seconds
analytiques, I, 31).
C’est que les mathématiciens se méfient des sens : 1)
la perception est toujours subjective ; 2) elle a toujours
pour objet un cas particulier : elle ne nous donne pas
accès à une connaissance universelle.
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1. LA DÉMONSTRATION
COMME IDÉAL … (4)
b) Le statut des vérités démontrées
• Seule la démonstration nous permet d’établir des
vérités à la fois universelles et nécessaires, et donc
absolument certaines.
La proposition qui a été démontrée est universellement
vraie, c’est-à-dire qu’elle vaut pour tous les cas, sans
exception.
De plus, elle est nécessaire, au sens où elle ne peut
pas être autrement. La proposition contraire est tout
simplement impossible, car contradictoire.
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Nous voulons démontrer que : (a+b)2 = a2 + 2ab+ b2
(a+b)2 = (a+b) (a+b) selon la définition du carré
(a+b)2 = a2 + ab + ba + b2 selon la règle de distributivité
(a+b)2 = a2 + 2ab+ b2 selon la règle de commutativité
CQFD
Autre exemple (très simple) : démonstration d’une identité remarquable.
Commentaire : la vérité est établie par un enchaînement de déductions
logiques à partir de définitions et de théorèmes préalablement admis.
Elle est non seulement universelle (car elle est valide, sans exception,
quelles que soient les valeurs que peuvent prendre a et b), mais
nécessaire (cela ne peut pas être autrement). Elle est donc absolument
certaine (on ne peut pas en douter).
1. LA DÉMONSTRATION
COMME IDÉAL … (5)
• La perception et l’expérience ne peuvent pas nous
fournir des vérités aussi certaines.
La perception nous fait connaître seulement des cas
particuliers. Percevoir, c’est toujours percevoir, non pas
une idée universelle et abstraite (l’idée de triangle), mais un
objet particulier et concret (tel ou tel triangle dessiné au
tableau).
À partir des cas particuliers observés, nous pouvons tirer,
par induction, une vérité seulement générale, et non pas
universelle, car une exception est toujours possible. En
nous appuyant sur l’expérience, nous ne pouvons donc
avoir aucune certitude absolue.
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1. LA DÉMONSTRATION
COMME IDÉAL … (6)
c) La force de conviction de la démonstration
La démonstration de type mathématique est la preuve
par excellence, qui supprime tout doute et entraîne
l’adhésion automatique de l’interlocuteur.
• Si on accepte les prémisses, on ne peut pas refuser
la conclusion : celle-ci s’impose nécessairement à
n’importe quel individu, pourvu qu’il respecte les lois
de la logique. Autrui, étant rationnel, peut reprendre les
étapes de ma démonstration, et aboutir à la même
conclusion que moi. La démonstration correctement
menée a une validité intersubjective.
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1. LA DÉMONSTRATION
COMME IDÉAL … (7)
• La démonstration, par elle-même, fait autorité.
Cf. Jean Cavaillès (1903-1944) : « Il n’est qu’une
façon de s’imposer par une autorité qui n’emprunte
rien au dehors, il n’est qu’un mode d’affirmation
inconditionnel, la démonstration » (Sur la logique et la
théorie de la science, Vrin, p.39).
Le mathématicien qui démontre refuse de s’appuyer sur la
perception ou l’expérience ; il refuse aussi tous les
arguments d’autorité. Il fait seulement usage de sa
raison. Pensant par lui-même, il aboutit à une vérité que
personne ne peut contester, précisément parce que tout le
monde peut, pour son propre compte, la retrouver.
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1. LA DÉMONSTRATION
COMME IDÉAL … (8)
Conclusion : la démonstration de type mathématique
apparaît donc comme un modèle pour toute
connaissance. Elle jouit d’un grand prestige dans
l’opinion commune, mais aussi chez les savants et les
philosophes, en particulier, au XVIIème siècle.
Cf. par exemple Descartes : « Ceux qui cherchent le droit
chemin de la vérité ne doivent s’occuper d’aucun objet, dont
ils ne puissent avoir une certitude égale à celle des
démonstrations de l’arithmétique et de la géométrie »
(Règles pour la direction de l’esprit, II, 1628).
Cf. aussi Spinoza qui écrit l’Éthique (1677) « more
geometrico », c’est-à-dire, à la manière des géomètres.
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2. LES LIMITES INTERNES
DE LA DÉMONSTRATION (1)
a) Toute démonstration repose sur de
l’indémontrable.
Cf. Pascal, De l’esprit géométrique.
• En géométrie, idéalement, il faudrait qu’on puisse
définir chaque mot, et démontrer chaque proposition.
Mais c’est impossible. Si on tentait de tout définir, et de
tout démontrer, on tomberait nécessairement dans une
régression à l’infini.
Paradoxalement, le savoir mathématique repose sur
des mots non définis et sur des propositions non
démontrées.
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2. LES LIMITES INTERNES (2)
→ Toute proposition démontrée a été déduite de
propositions antérieures. Ces propositions ont été,
elles-mêmes, déduites d’autres propositions, et ainsi
de suite. Au commencement de toute démonstration, il
y a donc nécessairement de l’indémontrable. Pour
démontrer, on doit s’appuyer sur des principes qui ne
sont pas démontrés.
C’est ainsi, non pas parce que la raison humaine serait
imparfaite ou limitée, mais parce que la nature même
de la démonstration l’exige. En ce sens, on ne pourra
jamais rien changer. C’est une limite indépassable.
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2. LES LIMITES INTERNES (3)
• Pour qu’une démonstration soit possible, il faut
admettre, au préalable, la vérité des principes. En
mathématiques, on distingue les axiomes et les
postulats.
Un axiome est une proposition indémontrée et
indémontrable, qu’on admet néanmoins en raison de
son évidence.
Un postulat est admis, non pas parce qu’il est évident,
mais parce qu’on a en besoin pour continuer la
démonstration. C’est le mathématicien lui-même qui
demande qu’on l’admette.
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2. LES LIMITES INTERNES (4)
• La démonstration présuppose aussi la validité des
lois logiques. Le principe de non-contradiction, par
exemple, est admis sans qu’il soit démontré.
Selon Aristote, on n’a pas besoin d’une telle
démonstration : « c'est de l'ignorance, en effet, que de
ne pas distinguer ce qui a besoin de démonstration et
ce qui n'en a pas besoin » (Métaphysique, Γ, 4). Si on
tentait de démontrer le principe de non-contradiction,
soit on tomberait dans une régression à l’infini, soit
on commettrait une pétition de principe, puisque
toute démonstration le présuppose.
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Axiomes
Définitions
Théorème 1 Théorème 2 …
Régression
à l’infini
DéductionDéduction
Postulats
Application des lois de la logique
(le principe de non-contradiction)
Intuition (le cœur chez Pascal)
(la raison)
2. LES LIMITES INTERNES (5)
Problème : si la démonstration repose sur de
l’indémontrable, ne peut-on pas alors être sceptique et
douter ? Si les axiomes de départ sont faux, les
théorèmes qui en découlent seront, de même, faux.
Cf. Montaigne : « Il est bien facile, sur des fondements admis,
de bâtir ce qu’on veut car, selon la loi et les dispositions de ce
commencement, le reste des parties du bâtiment se conduit
aisément, sans contradiction. (…) Quiconque est cru dans ses
présuppositions, est notre maître et notre Dieu : il prendra le
plan de ses fondements si ample et si facile que, grâce à eux, il
pourra nous faire monter, s’il veut, jusqu’aux nues. » (Les Essais,
II, XII, Quarto Gallimard, p.659)
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2. LES LIMITES INTERNES (6)
b) Le rôle de l’intuition dans la démonstration
Cf. Pascal, Pensées, éd. LG n°101.
Les sceptiques ont tort de douter. Les principes que la
raison ne peut pas démontrer n’en sont pas moins
certains : ils sont connus par intuition, grâce au cœur.
NB : par « cœur », Pascal entend, non pas l’organe,
mais la faculté qui permet à l’homme de connaître, de
manière immédiate, certaines vérités.
Le cœur joue un rôle décisif pour la connaissance des
axiomes, mais aussi pour la foi.
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2. LES LIMITES INTERNES (7)
• Le cœur est une faculté intuitive : il procède par
sentiment immédiat ou instinct. La raison, par
opposition, est une faculté discursive : elle procède
par enchaînement de propositions. Les deux facultés
diffèrent en nature, mais elles ne s’opposent pas :
elles sont, en fait, complémentaires.
Le cœur « sent », mais ne démontre pas. La raison
démontre, mais ne « sent » pas. Grâce au cœur,
l’homme peut connaître les principes. Grâce à la
raison, il peut élargir ses connaissances, en déduisant,
à partir des principes, de nouvelles propositions.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
2. LES LIMITES INTERNES (8)
• Certes, le cœur, s’appuyant sur le sentiment
immédiat, ne peut pas prouver ni expliquer ce qu’il
connaît : « le cœur a ses raisons que la raison ne
connaît point » (éd. LG, n°397). Mais ce que le cœur
« sent » est tout aussi certain que ce que la raison
démontre. On a tort, selon Pascal, de considérer la
raison comme la seule voie d’accéder à la vérité.
Il faut éviter deux excès : « exclure la raison,
n’admettre que la raison » (éd. LG, n°172). C’est le
rationalisme extrême qui conduit au scepticisme : à
côté de la raison, il faut laisser une place au cœur.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
2. LES LIMITES INTERNES (9)
c) Le refus de l’intuition. Le développement des
géométries non-euclidiennes.
Problème : n’est-il pas dangereux de faire dépendre,
comme le propose Pascal, les démonstrations
mathématiques des intuitions du cœur ?
Sans doute, mais les mathématiciens ne peuvent pas,
semble-t-il, s’en passer. En témoigne cet épisode
célèbre dans l’histoire des mathématiques : le débat
autour du cinquième postulat d’Euclide ou postulat
des parallèles, qui a donné naissance aux géométries
non-euclidiennes.
GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
2. LES LIMITES INTERNES (10)
• En cherchant à démontrer par l’absurde le postulat
d’Euclide, Lobatchevsky (mathématicien russe, 1792-
1856) et Riemann (mathématicien allemand, 1826-
1866) ont découvert, à leur grand surprise, qu’il était
possible de construire de nouvelles géométries.
Paradoxe : la géométrie d’Euclide n’est qu’une
géométrie possible parmi tant d’autres.
En niant le postulat d’Euclide, on n’aboutit à aucune
contradiction. On peut alors tout reconstruire en
conservant la même rigueur logique. Seul le contenu
des propositions (ou des théorèmes) change.
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Euclide Lobatchevski Riemann
Nombre de parallèles
qu’on peut tracer à
une droite donnée
par un point donné
1 ∞ 0
Somme des angles
d’un triangle (S) S = 180° S < 180° 180°< S
Un exemple de géométrie non-euclidienne :
la géométrie sphérique (Riemann)
2. LES LIMITES INTERNES (11)
→ La vérité mathématique n’est plus absolue. Elle est
relative au système d’axiomes et de postulats qu’on utilise.
Ce qui est vrai dans un système devient faux dans un autre.
Mais comment départager les différentes géométries ?
La géométrie d’Euclide repose, certes, sur l’intuition, et en
particulier, l’intuition spatiale. Mais ses théorèmes sont
vérifiables empiriquement : ils correspondent à la réalité,
du moins, à « notre » réalité, celle que nous percevons.
Ce n’est pas le cas des théorèmes établis par
Lobatchevsky et Riemann, qui, bien qu’ils soient déduits
logiquement, sont manifestement faux du point de vue
de notre expérience.
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Bertrand Russell : « Les mathématiques peuvent
être définies comme le domaine dans lequel on ne
sait jamais de quoi l’on parle ni si ce que l’on dit est
vrai. »
« Thus mathematics may be defined as the subject in which we never know
what we are talking about, nor whether what we are saying is true. »
(« Mathematics and the Metaphysicians » in Mysticism and logic, 1917)
2. LES LIMITES INTERNES (12)
• Le développement des géométries non-euclidiennes a eu
pour conséquence « l’axiomatisation » de la géométrie.
Cf. Robert Blanché, L’axiomatique, 1955.
La géométrie est devenue un système axiomatique, c’est-
à-dire un système hypothético-déductif.
1) On refuse de faire appel à l’intuition et de s’appuyer sur
l’évidence. 2) Les axiomes sont posés comme de simples
hypothèses de départ. Ce sont, non pas des vérités
évidentes, mais des conventions qu’on choisit librement et
presque de manière arbitraire. 3) On privilégie la vérité
formelle à la vérité matérielle, la cohérence du système à
sa correspondance (ou son adéquation) avec le réel.
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2. LES LIMITES INTERNES (13)
• Les mathématiciens modernes, et en particulier, Henri
Poincaré (1854-1912), adoptent une position qu’on appelle
« conventionnaliste ». Les axiomes ne sont pas des
vérités connues par le cœur, encore moins des vérités
empiriques : ce sont seulement des conventions ; comme
les règles d’un jeu, on les a posés au départ, mais on aurait
pu très bien en choisir d’autres. Cela a une conséquence
majeure. Si les axiomes sont de simples conventions, ils ne
sont à proprement parler ni vrais ni faux !
Pour Poincaré, ce qui distingue la géométrie d’Euclide des
autres géométries, ce n’est pas sa vérité, mais sa
commodité. Sa position conduit donc au pragmatisme.
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2. LES LIMITES INTERNES (14)
Transition : chercher à tout démontrer est donc une
entreprise non seulement vaine, mais aussi absurde.
C’est méconnaître le fonctionnement interne, la nature
même de la démonstration. Il n’y a pas de démonstration,
pourrait-on dire, ex nihilo. Démontrer, c’est toujours prendre
appui sur des énoncés qui ne sont pas démontrés – qu’ils
soient considérés comme évidents ou posés comme
simples hypothèses. Il y a donc des limites « internes ».
Mais la démonstration de type mathématique n’est-elle pas
aussi limitée par son objet ? Peut-on démontrer n’importe
quel type de vérité ? Peut-on appliquer la démonstration
dans d’autres domaines que les mathématiques ?
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3. LES LIMITES EXTERNES DE LA
DÉMONSTRATION (1)
On pourrait être tenté d’exporter la démonstration hors
des mathématiques. Elle reste, malgré ses limites
internes, une procédure efficace pour établir la vérité
et convaincre autrui. Son champ d’application est
pourtant relativement restreint.
a) Le problème des définitions
On ne peut démontrer que ce qu’on peut définir. Pour
démontrer, il faut pouvoir, au préalable, définir les
concepts qu’on utilise. Or, en dehors du champ des
mathématiques, il est difficile, voire impossible de
définir.
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3. LES LIMITES EXTERNES (2)
→ Le mathématicien peut définir assez facilement ce qu’est
un triangle, un nombre pair ou encore la fonction
logarithme. Les définitions qu’il propose sont précises.
Elles sont aussi incontestables.
Dans les autres sciences, la définition des concepts
fondamentaux, loin de faire l’unanimité, fait l’objet de
débats. Exemples : les concepts de temps et d’espace en
physique, le concept de vie en biologie, le concept de
valeur en économie.
De même, en philosophie, nous ne pouvons pas définir, à
l’évidence, ce qu’est le « bien » (éthique) ou le « beau »
(esthétique).
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3. LES LIMITES EXTERNES (3)
b) Le problème de l’existence
La démonstration de type mathématique établit des
vérités de raison. Elle ne peut pas établir des vérités
de fait.
Pour connaître le réel, et donc ce qui existe, on a
besoin de l’expérience.
Cf. Hume, Enquête sur l’entendement humain, IV, 1.
Cf. aussi Kant, la critique de la preuve ontologique
(dans la Critique de la raison pure). On ne peut pas
déduire l’existence de Dieu de son concept.
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Les vérités
de raison
Les vérités
de fait
Exemples
de Hume
« Trois fois cinq est
égal à la moitié de
trente. »
« Le soleil se lèvera
demain. »
Mode de justification Démonstration Expérience
Le statut de la
proposition contraire
Impossible car
implique une
contradiction.
Possible car
n’implique aucune
contradiction.
Degré de certitude Vérité
absolument certaine
Vérité seulement
(très) probable
3. LES LIMITES EXTERNES (4)
Remarque finale : s’il faut reconnaître les vertus de la
démonstration de type mathématique, il ne faut pas pour
autant tomber dans l’idéalisation, et chercher à appliquer, à
tout prix, cette procédure dans tous les domaines du savoir.
Ceux qui le font, malgré tout, cèdent parfois à l’idéologie,
comme c’est le cas, en particulier, dans les sciences
économiques et sociales. Le modèle de la démonstration
mathématique, loin d’établir une quelconque vérité, permet
seulement de donner une apparence scientifique à des
opinions, lesquelles sont bien souvent l’expression
déguisée d’intérêts économiques.
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SUGGESTIONS DE LECTURE
(POUR ALLER PLUS LOIN)
Pour s’instruire tout en se divertissant :
A. Doxiadis et C. Papadimitriou, Logicomix, Vuibert,
2010 [B.D. sur la vie de Bertrand Russell et l’histoire
des mathématiques au début du XXème siècle].
Sur les géométries non-euclidiennes :
• Henri Poincaré, La science et l’hypothèse (1902),
Flammarion, Coll. Champs, 1968, en particulier,
le chapitre III.
• Robert Blanché, L’axiomatique (1955), PUF,
Quadrige, 1999, le chapitre I.
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Faut-il chercher à tout démontrer? (G.Gay-Para)

  • 1. FAUT-IL CHERCHER À TOUT DÉMONTRER ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 2. INTRODUCTION (1) • Les deux sens du mot « démonstration » Au sens large, par démonstration, on entend toute procédure qui vise à établir la vérité d’un énoncé. Démontrer est alors synonyme de prouver. Les procédures varient selon les domaines. La démarche de l’avocat, par exemple, est différente de celle du mathématicien, du physicien ou encore de l’historien. Au sens strict, par démonstration, on entend le raisonnement, utilisé en mathématiques, qui consiste à déduire de manière logique une proposition d’autres propositions admises. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 3. INTRODUCTION (2) • Problématisation La démonstration de type mathématique est la preuve par excellence. Elle aboutit à une vérité absolument certaine et irréfutable. Elle passe ainsi pour la méthode idéale. Pour éliminer tout risque d’erreur, on devrait donc chercher à tout démontrer. Mais une telle entreprise n’est-elle pas condamnée à l’échec ? Est-il seulement possible de tout démontrer ? La démonstration a des limites à la fois internes (elle repose sur des principes indémontrables) et externes (on ne peut pas l’appliquer dans tous les domaines). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 4. 1. LA DÉMONSTRATION COMME IDÉAL DE LA CONNAISSANCE (1) La démonstration de type mathématique est un raisonnement qui consiste à établir, de manière certaine et irréfutable, la vérité d’une proposition, en la déduisant d’autres propositions admises. La démonstration est : a) une démarche purement rationnelle ; b) qui permet d’établir des vérités absolument certaines ; c) et donc de convaincre n’importe qui. Examinons ces différents points. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 5. 1. LA DÉMONSTRATION COMME IDÉAL … (2) a) La démonstration comme procédure rationnelle • La démonstration est un raisonnement déductif. Elle est un type particulier de syllogisme. → Définition du syllogisme selon Aristote : « certaines choses étant posées, quelque chose d’autre suit nécessairement, par le seul fait que ces choses sont telles » (Premiers analytiques, I, 1). Mais tout syllogisme n’est pas une démonstration. Il faut : 1) que les prémisses soient vraies ; 2) que la déduction soit valide, et donc respecte les lois de la logique. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 6. Les deux types principaux de raisonnement 1. Tous les hommes sont mortels. (Majeure) 2. Socrate est un homme. (Mineure) 1. Donc Socrate est mortel. (Conclusion) 1. X est mortel. 2. Y est mortel. 3. Z est mortel. .……………… .……………… 4. Donc tous les hommes sont mortels. (Règle générale) Induction Déduction L’induction, à partir des cas particuliers observés, établit une règle générale. La déduction, partant d’une règle générale et d’un cas particulier, tire une conclusion à son sujet. Cas particuliers
  • 7. Soit un triangle ABC. Soit une droite D, parallèle à (AC). Nous voulons démontrer que : α + β + γ = 180° Etape 1 : 1. Si deux droites parallèles sont coupées par une sécante, les angles alternes-internes sont égaux (Théorème = vérité universelle). 2. Or, D est parallèle à (AC), et α et α’, γ et γ’ sont des angles alternes-internes (Cas particulier). 3. Donc (déduction) : α = α’, γ = γ’. Etape 2 : D étant une droite, on a : α’ + β + γ’ = 180°. Etape 3 : Par substitution, on peut donc conclure : α + β + γ = 180°. CQFD. A B Cα α’ γ γ’ β D
  • 8. 1. LA DÉMONSTRATION COMME IDÉAL … (3) • La démonstration se caractérise par le fait qu’étant déductive, elle ne fait pas intervenir la perception ou l’expérience : elle repose exclusivement sur la raison. Cf. Aristote : « Même s’il était possible de percevoir que le triangle a ses angles égaux à deux droits, nous en chercherions encore une démonstration » (Seconds analytiques, I, 31). C’est que les mathématiciens se méfient des sens : 1) la perception est toujours subjective ; 2) elle a toujours pour objet un cas particulier : elle ne nous donne pas accès à une connaissance universelle. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 9. 1. LA DÉMONSTRATION COMME IDÉAL … (4) b) Le statut des vérités démontrées • Seule la démonstration nous permet d’établir des vérités à la fois universelles et nécessaires, et donc absolument certaines. La proposition qui a été démontrée est universellement vraie, c’est-à-dire qu’elle vaut pour tous les cas, sans exception. De plus, elle est nécessaire, au sens où elle ne peut pas être autrement. La proposition contraire est tout simplement impossible, car contradictoire. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 10. Nous voulons démontrer que : (a+b)2 = a2 + 2ab+ b2 (a+b)2 = (a+b) (a+b) selon la définition du carré (a+b)2 = a2 + ab + ba + b2 selon la règle de distributivité (a+b)2 = a2 + 2ab+ b2 selon la règle de commutativité CQFD Autre exemple (très simple) : démonstration d’une identité remarquable. Commentaire : la vérité est établie par un enchaînement de déductions logiques à partir de définitions et de théorèmes préalablement admis. Elle est non seulement universelle (car elle est valide, sans exception, quelles que soient les valeurs que peuvent prendre a et b), mais nécessaire (cela ne peut pas être autrement). Elle est donc absolument certaine (on ne peut pas en douter).
  • 11. 1. LA DÉMONSTRATION COMME IDÉAL … (5) • La perception et l’expérience ne peuvent pas nous fournir des vérités aussi certaines. La perception nous fait connaître seulement des cas particuliers. Percevoir, c’est toujours percevoir, non pas une idée universelle et abstraite (l’idée de triangle), mais un objet particulier et concret (tel ou tel triangle dessiné au tableau). À partir des cas particuliers observés, nous pouvons tirer, par induction, une vérité seulement générale, et non pas universelle, car une exception est toujours possible. En nous appuyant sur l’expérience, nous ne pouvons donc avoir aucune certitude absolue. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 12. 1. LA DÉMONSTRATION COMME IDÉAL … (6) c) La force de conviction de la démonstration La démonstration de type mathématique est la preuve par excellence, qui supprime tout doute et entraîne l’adhésion automatique de l’interlocuteur. • Si on accepte les prémisses, on ne peut pas refuser la conclusion : celle-ci s’impose nécessairement à n’importe quel individu, pourvu qu’il respecte les lois de la logique. Autrui, étant rationnel, peut reprendre les étapes de ma démonstration, et aboutir à la même conclusion que moi. La démonstration correctement menée a une validité intersubjective. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 13. 1. LA DÉMONSTRATION COMME IDÉAL … (7) • La démonstration, par elle-même, fait autorité. Cf. Jean Cavaillès (1903-1944) : « Il n’est qu’une façon de s’imposer par une autorité qui n’emprunte rien au dehors, il n’est qu’un mode d’affirmation inconditionnel, la démonstration » (Sur la logique et la théorie de la science, Vrin, p.39). Le mathématicien qui démontre refuse de s’appuyer sur la perception ou l’expérience ; il refuse aussi tous les arguments d’autorité. Il fait seulement usage de sa raison. Pensant par lui-même, il aboutit à une vérité que personne ne peut contester, précisément parce que tout le monde peut, pour son propre compte, la retrouver. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 14. 1. LA DÉMONSTRATION COMME IDÉAL … (8) Conclusion : la démonstration de type mathématique apparaît donc comme un modèle pour toute connaissance. Elle jouit d’un grand prestige dans l’opinion commune, mais aussi chez les savants et les philosophes, en particulier, au XVIIème siècle. Cf. par exemple Descartes : « Ceux qui cherchent le droit chemin de la vérité ne doivent s’occuper d’aucun objet, dont ils ne puissent avoir une certitude égale à celle des démonstrations de l’arithmétique et de la géométrie » (Règles pour la direction de l’esprit, II, 1628). Cf. aussi Spinoza qui écrit l’Éthique (1677) « more geometrico », c’est-à-dire, à la manière des géomètres. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 15. 2. LES LIMITES INTERNES DE LA DÉMONSTRATION (1) a) Toute démonstration repose sur de l’indémontrable. Cf. Pascal, De l’esprit géométrique. • En géométrie, idéalement, il faudrait qu’on puisse définir chaque mot, et démontrer chaque proposition. Mais c’est impossible. Si on tentait de tout définir, et de tout démontrer, on tomberait nécessairement dans une régression à l’infini. Paradoxalement, le savoir mathématique repose sur des mots non définis et sur des propositions non démontrées. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 16. 2. LES LIMITES INTERNES (2) → Toute proposition démontrée a été déduite de propositions antérieures. Ces propositions ont été, elles-mêmes, déduites d’autres propositions, et ainsi de suite. Au commencement de toute démonstration, il y a donc nécessairement de l’indémontrable. Pour démontrer, on doit s’appuyer sur des principes qui ne sont pas démontrés. C’est ainsi, non pas parce que la raison humaine serait imparfaite ou limitée, mais parce que la nature même de la démonstration l’exige. En ce sens, on ne pourra jamais rien changer. C’est une limite indépassable. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 17. 2. LES LIMITES INTERNES (3) • Pour qu’une démonstration soit possible, il faut admettre, au préalable, la vérité des principes. En mathématiques, on distingue les axiomes et les postulats. Un axiome est une proposition indémontrée et indémontrable, qu’on admet néanmoins en raison de son évidence. Un postulat est admis, non pas parce qu’il est évident, mais parce qu’on a en besoin pour continuer la démonstration. C’est le mathématicien lui-même qui demande qu’on l’admette. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 18. 2. LES LIMITES INTERNES (4) • La démonstration présuppose aussi la validité des lois logiques. Le principe de non-contradiction, par exemple, est admis sans qu’il soit démontré. Selon Aristote, on n’a pas besoin d’une telle démonstration : « c'est de l'ignorance, en effet, que de ne pas distinguer ce qui a besoin de démonstration et ce qui n'en a pas besoin » (Métaphysique, Γ, 4). Si on tentait de démontrer le principe de non-contradiction, soit on tomberait dans une régression à l’infini, soit on commettrait une pétition de principe, puisque toute démonstration le présuppose. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 19. Axiomes Définitions Théorème 1 Théorème 2 … Régression à l’infini DéductionDéduction Postulats Application des lois de la logique (le principe de non-contradiction) Intuition (le cœur chez Pascal) (la raison)
  • 20. 2. LES LIMITES INTERNES (5) Problème : si la démonstration repose sur de l’indémontrable, ne peut-on pas alors être sceptique et douter ? Si les axiomes de départ sont faux, les théorèmes qui en découlent seront, de même, faux. Cf. Montaigne : « Il est bien facile, sur des fondements admis, de bâtir ce qu’on veut car, selon la loi et les dispositions de ce commencement, le reste des parties du bâtiment se conduit aisément, sans contradiction. (…) Quiconque est cru dans ses présuppositions, est notre maître et notre Dieu : il prendra le plan de ses fondements si ample et si facile que, grâce à eux, il pourra nous faire monter, s’il veut, jusqu’aux nues. » (Les Essais, II, XII, Quarto Gallimard, p.659) GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 21. 2. LES LIMITES INTERNES (6) b) Le rôle de l’intuition dans la démonstration Cf. Pascal, Pensées, éd. LG n°101. Les sceptiques ont tort de douter. Les principes que la raison ne peut pas démontrer n’en sont pas moins certains : ils sont connus par intuition, grâce au cœur. NB : par « cœur », Pascal entend, non pas l’organe, mais la faculté qui permet à l’homme de connaître, de manière immédiate, certaines vérités. Le cœur joue un rôle décisif pour la connaissance des axiomes, mais aussi pour la foi. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 22. 2. LES LIMITES INTERNES (7) • Le cœur est une faculté intuitive : il procède par sentiment immédiat ou instinct. La raison, par opposition, est une faculté discursive : elle procède par enchaînement de propositions. Les deux facultés diffèrent en nature, mais elles ne s’opposent pas : elles sont, en fait, complémentaires. Le cœur « sent », mais ne démontre pas. La raison démontre, mais ne « sent » pas. Grâce au cœur, l’homme peut connaître les principes. Grâce à la raison, il peut élargir ses connaissances, en déduisant, à partir des principes, de nouvelles propositions. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 23. 2. LES LIMITES INTERNES (8) • Certes, le cœur, s’appuyant sur le sentiment immédiat, ne peut pas prouver ni expliquer ce qu’il connaît : « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point » (éd. LG, n°397). Mais ce que le cœur « sent » est tout aussi certain que ce que la raison démontre. On a tort, selon Pascal, de considérer la raison comme la seule voie d’accéder à la vérité. Il faut éviter deux excès : « exclure la raison, n’admettre que la raison » (éd. LG, n°172). C’est le rationalisme extrême qui conduit au scepticisme : à côté de la raison, il faut laisser une place au cœur. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 24. 2. LES LIMITES INTERNES (9) c) Le refus de l’intuition. Le développement des géométries non-euclidiennes. Problème : n’est-il pas dangereux de faire dépendre, comme le propose Pascal, les démonstrations mathématiques des intuitions du cœur ? Sans doute, mais les mathématiciens ne peuvent pas, semble-t-il, s’en passer. En témoigne cet épisode célèbre dans l’histoire des mathématiques : le débat autour du cinquième postulat d’Euclide ou postulat des parallèles, qui a donné naissance aux géométries non-euclidiennes. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 25.
  • 26. 2. LES LIMITES INTERNES (10) • En cherchant à démontrer par l’absurde le postulat d’Euclide, Lobatchevsky (mathématicien russe, 1792- 1856) et Riemann (mathématicien allemand, 1826- 1866) ont découvert, à leur grand surprise, qu’il était possible de construire de nouvelles géométries. Paradoxe : la géométrie d’Euclide n’est qu’une géométrie possible parmi tant d’autres. En niant le postulat d’Euclide, on n’aboutit à aucune contradiction. On peut alors tout reconstruire en conservant la même rigueur logique. Seul le contenu des propositions (ou des théorèmes) change. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 27. Euclide Lobatchevski Riemann Nombre de parallèles qu’on peut tracer à une droite donnée par un point donné 1 ∞ 0 Somme des angles d’un triangle (S) S = 180° S < 180° 180°< S
  • 28. Un exemple de géométrie non-euclidienne : la géométrie sphérique (Riemann)
  • 29. 2. LES LIMITES INTERNES (11) → La vérité mathématique n’est plus absolue. Elle est relative au système d’axiomes et de postulats qu’on utilise. Ce qui est vrai dans un système devient faux dans un autre. Mais comment départager les différentes géométries ? La géométrie d’Euclide repose, certes, sur l’intuition, et en particulier, l’intuition spatiale. Mais ses théorèmes sont vérifiables empiriquement : ils correspondent à la réalité, du moins, à « notre » réalité, celle que nous percevons. Ce n’est pas le cas des théorèmes établis par Lobatchevsky et Riemann, qui, bien qu’ils soient déduits logiquement, sont manifestement faux du point de vue de notre expérience. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 30. Bertrand Russell : « Les mathématiques peuvent être définies comme le domaine dans lequel on ne sait jamais de quoi l’on parle ni si ce que l’on dit est vrai. » « Thus mathematics may be defined as the subject in which we never know what we are talking about, nor whether what we are saying is true. » (« Mathematics and the Metaphysicians » in Mysticism and logic, 1917)
  • 31. 2. LES LIMITES INTERNES (12) • Le développement des géométries non-euclidiennes a eu pour conséquence « l’axiomatisation » de la géométrie. Cf. Robert Blanché, L’axiomatique, 1955. La géométrie est devenue un système axiomatique, c’est- à-dire un système hypothético-déductif. 1) On refuse de faire appel à l’intuition et de s’appuyer sur l’évidence. 2) Les axiomes sont posés comme de simples hypothèses de départ. Ce sont, non pas des vérités évidentes, mais des conventions qu’on choisit librement et presque de manière arbitraire. 3) On privilégie la vérité formelle à la vérité matérielle, la cohérence du système à sa correspondance (ou son adéquation) avec le réel. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 32. 2. LES LIMITES INTERNES (13) • Les mathématiciens modernes, et en particulier, Henri Poincaré (1854-1912), adoptent une position qu’on appelle « conventionnaliste ». Les axiomes ne sont pas des vérités connues par le cœur, encore moins des vérités empiriques : ce sont seulement des conventions ; comme les règles d’un jeu, on les a posés au départ, mais on aurait pu très bien en choisir d’autres. Cela a une conséquence majeure. Si les axiomes sont de simples conventions, ils ne sont à proprement parler ni vrais ni faux ! Pour Poincaré, ce qui distingue la géométrie d’Euclide des autres géométries, ce n’est pas sa vérité, mais sa commodité. Sa position conduit donc au pragmatisme. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 33. 2. LES LIMITES INTERNES (14) Transition : chercher à tout démontrer est donc une entreprise non seulement vaine, mais aussi absurde. C’est méconnaître le fonctionnement interne, la nature même de la démonstration. Il n’y a pas de démonstration, pourrait-on dire, ex nihilo. Démontrer, c’est toujours prendre appui sur des énoncés qui ne sont pas démontrés – qu’ils soient considérés comme évidents ou posés comme simples hypothèses. Il y a donc des limites « internes ». Mais la démonstration de type mathématique n’est-elle pas aussi limitée par son objet ? Peut-on démontrer n’importe quel type de vérité ? Peut-on appliquer la démonstration dans d’autres domaines que les mathématiques ? GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 34. 3. LES LIMITES EXTERNES DE LA DÉMONSTRATION (1) On pourrait être tenté d’exporter la démonstration hors des mathématiques. Elle reste, malgré ses limites internes, une procédure efficace pour établir la vérité et convaincre autrui. Son champ d’application est pourtant relativement restreint. a) Le problème des définitions On ne peut démontrer que ce qu’on peut définir. Pour démontrer, il faut pouvoir, au préalable, définir les concepts qu’on utilise. Or, en dehors du champ des mathématiques, il est difficile, voire impossible de définir. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 35. 3. LES LIMITES EXTERNES (2) → Le mathématicien peut définir assez facilement ce qu’est un triangle, un nombre pair ou encore la fonction logarithme. Les définitions qu’il propose sont précises. Elles sont aussi incontestables. Dans les autres sciences, la définition des concepts fondamentaux, loin de faire l’unanimité, fait l’objet de débats. Exemples : les concepts de temps et d’espace en physique, le concept de vie en biologie, le concept de valeur en économie. De même, en philosophie, nous ne pouvons pas définir, à l’évidence, ce qu’est le « bien » (éthique) ou le « beau » (esthétique). GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 36. 3. LES LIMITES EXTERNES (3) b) Le problème de l’existence La démonstration de type mathématique établit des vérités de raison. Elle ne peut pas établir des vérités de fait. Pour connaître le réel, et donc ce qui existe, on a besoin de l’expérience. Cf. Hume, Enquête sur l’entendement humain, IV, 1. Cf. aussi Kant, la critique de la preuve ontologique (dans la Critique de la raison pure). On ne peut pas déduire l’existence de Dieu de son concept. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 37. Les vérités de raison Les vérités de fait Exemples de Hume « Trois fois cinq est égal à la moitié de trente. » « Le soleil se lèvera demain. » Mode de justification Démonstration Expérience Le statut de la proposition contraire Impossible car implique une contradiction. Possible car n’implique aucune contradiction. Degré de certitude Vérité absolument certaine Vérité seulement (très) probable
  • 38. 3. LES LIMITES EXTERNES (4) Remarque finale : s’il faut reconnaître les vertus de la démonstration de type mathématique, il ne faut pas pour autant tomber dans l’idéalisation, et chercher à appliquer, à tout prix, cette procédure dans tous les domaines du savoir. Ceux qui le font, malgré tout, cèdent parfois à l’idéologie, comme c’est le cas, en particulier, dans les sciences économiques et sociales. Le modèle de la démonstration mathématique, loin d’établir une quelconque vérité, permet seulement de donner une apparence scientifique à des opinions, lesquelles sont bien souvent l’expression déguisée d’intérêts économiques. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016
  • 39. SUGGESTIONS DE LECTURE (POUR ALLER PLUS LOIN) Pour s’instruire tout en se divertissant : A. Doxiadis et C. Papadimitriou, Logicomix, Vuibert, 2010 [B.D. sur la vie de Bertrand Russell et l’histoire des mathématiques au début du XXème siècle]. Sur les géométries non-euclidiennes : • Henri Poincaré, La science et l’hypothèse (1902), Flammarion, Coll. Champs, 1968, en particulier, le chapitre III. • Robert Blanché, L’axiomatique (1955), PUF, Quadrige, 1999, le chapitre I. GGP, Lycée Ella Fitzgerald, 2015-2016