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L’inconscient existe-t-il ?
GGP, LCS, 2023-2024
« Il existe des pensées auxquelles nous obéissons
sans les connaître : elles sont en nous à notre
insu. Quoique cette réflexion puisse paraître plus
paradoxale que vraie, chaque personne de bonne
foi en trouvera mille preuves dans sa vie. »
Balzac, La femme de trente ans.
+
Plan
1. Les limites de la conscience
a) La théorie des petites perceptions (Leibniz)
b) Le sujet comme fiction grammaticale (Nietzsche)
c) Conscience et vie sociale (Marx, Bourdieu)
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse
a) Inconscient et refoulement
b) Les deux topiques
c) Peut-on connaître l’inconscient ?
d) La double justification de l’inconscient
3. Critiques de Freud
a) La critique épistémologique (Popper)
b) La critique scientifique (Naccache)
c) La critique morale
+
Introduction (1)
 Les usages du mot « inconscient »
• Est inconscient, par définition, ce qui n’est pas conscient. Dans « inconscient », le préfixe
« in » exprime l’idée de négation.
• On peut utiliser le mot « inconscient » soit comme un adjectif, soit comme un substantif.
- En tant qu’adjectif, il a deux sens principaux. On peut l’utiliser pour qualifier une personne :
1) qui a perdu connaissance, ou 2) qui est insouciante, qui agit de manière irréfléchie.
- En tant que substantif, le mot « inconscient » a un autre sens. Il désigne, non pas une
propriété, mais une sorte d’entité. Il désigne la partie inconsciente de notre esprit (ou de
notre psychisme). C’est Sigmund Freud (1856-1939), le père fondateur de la
psychanalyse, qui a contribué à populariser cet usage du mot.
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conscient
L’inconscient
(Subst.)
≠
≠ L’inconscience
Inconscient
(Adj.)
Être non-conscient (ex : être évanoui)
Agir de manière insouciante ou irréfléchie
(ex : agir sans se rendre compte du danger)
≠
La conscience
La partie inconsciente de
notre psychisme ≈ Le subconscient
+
Introduction (2)
 L’inconscient selon Freud
• Au fondement de la psychanalyse, il y a l’hypothèse selon laquelle notre esprit ou notre
psychisme serait divisé en deux parties distinctes :
1) La conscience (ou le conscient) : partie à laquelle nous avons accès et qui contient toutes
les pensées qui sont en nous et que nous connaissons.
2) L’inconscient : partie à laquelle nous n’avons pas accès et qui agit en nous, à notre insu.
Freud est, avant tout, un médecin. C’est en tant que médecin, et non tant que philosophe, qu’il
est conduit à formuler l’hypothèse de l’inconscient. Grâce à cette hypothèse, il a pu expliquer et
guérir certaines maladies psychiques (en particulier, l’hystérie).
Or cette hypothèse a suscité et suscite encore d’importants débats scientifiques et
philosophiques.
GGP, LCS, 2023-2024
+
Introduction (3)
 Problématisation
• De prime abord, nous ne connaissons de notre vie intérieure que ce dont nous sommes
conscients. Or, par définition, l’inconscient échappe à la conscience. Comment peut-on donc le
connaître ? N’est-il pas précisément inconnaissable ? Si c’est le cas, comment pouvons-nous
être sûrs qu’il existe ?
On peut, certes, concéder à Freud que nous ne sommes pas conscients de tout ce qui se
passe en nous. Mais qu’il y ait en nous des pensées, des états mentaux, ou des processus
cognitifs non-conscients n’implique pas nécessairement que « l’inconscient » existe. La théorie
de Freud ne tomberait-t-elle pas sous le coup du rasoir d’Occam ?
NB : on appelle « rasoir d’Occam » la règle méthodologique suivante : « On ne doit pas
admettre plus d’entités que ce qui est absolument nécessaire » (Entia non sunt
multiplicanda praeter necessitatem). Exemple : le phlogistique.
GGP, LCS, 2023-2024
+
Introduction (4)
• L’hypothèse de l’inconscient soulève deux problèmes majeurs.
1. Le problème de la connaissance de soi : si l’inconscient existe, puis-je me connaître ?
Admettre l’existence de l’inconscient, c’est reconnaître que la conscience n’est pas transparente à elle-
même, qu’elle a une part d’ombre. C’est reconnaître aussi que la connaissance que nous croyons avoir
de nous-mêmes est incomplète, partielle, superficielle. Paradoxalement, chacun serait pour soi-même
l’être à la fois le plus proche et le plus lointain. Qui est plus proche de moi que moi ? Personne : je suis
le seul à me connaître de l’intérieur, à connaître mes pensées « intimes », à être... « moi ». Et pourtant,
malgré cette proximité et cette familiarité, je pourrais être un étranger pour moi-même.
2. Le problème de la liberté : si l’inconscient existe, puis-je être libre ?
Admettre l’existence de l’inconscient, c’est reconnaître que la conscience n’est pas autonome, qu’elle est
déterminée par des forces qu’elle ignore. C’est donc remettre en question l’existence du libre arbitre. Cf.
Freud : « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison. » (« Une difficulté de la psychanalyse », 1917)
GGP, LCS, 2023-2024
+
1. Les limites de la conscience (1)
a) La théorie des petites perceptions (Leibniz)
Bien avant Freud, Leibniz (1646-1716) a révélé l’existence de phénomènes psychiques non-
conscients. Il a ainsi élaboré ce qu’on considère souvent comme la première théorie de
l’inconscient.
• Avant de l’aborder, il est utile de revenir à Descartes.
Selon ce dernier, toute pensée est consciente. Dès que j’ai une pensée, je sais que j’ai cette
pensée, car elle apparaît clairement en moi. Par exemple, si je veux une chose, je sais
nécessairement que je la veux. De même, si je perçois une chose, je sais nécessairement que
je la perçois. Il serait absurde de vouloir une chose, sans savoir qu’on la veut, ou de percevoir
une chose, sans savoir qu’on la perçoit. Descartes n’envisage à aucun moment qu’une pensée
puisse être inconsciente. Pourquoi ? En fait, cela vient de sa propre définition de la pensée.
GGP, LCS, 2023-2024
La conscience selon Descartes
La pensée =
la conscience
« Par le mot de penser,
j’entends tout ce qui se fait
en nous de telle sorte que
nous l’apercevons
immédiatement par nous-
mêmes1 ; c’est pourquoi non
seulement entendre, vouloir,
imaginer, mais aussi sentir,
est la même chose ici que
penser. »
Descartes, Principes de la
philosophie, I, 9.
1. Cogitationis nomine, intelligo illa omnia, quæ nobis consciis in nobis fiunt, quatenus eorum in nobis conscientia est.
+
1. Les limites de la conscience (2)
• Attention :
1) Descartes utilise le mot « pensée » (cogitatio) dans un sens très large pour
désigner une grande diversité d’états mentaux.
2) Il définit la pensée par la conscience. Il n’est donc pas étonnant que, pour lui,
toute pensée soit consciente, car il inclut le fait d’être conscient dans la définition
même de la pensée.
NB : Le mot « conscience » au sens psychologique du terme est tardif. Il apparaît dans la
langue française, après Descartes, suite à la traduction française de John Locke à la fin du
XVIIe siècle. Le traducteur français de Locke, Pierre Coste, ne savait pas comment traduire le
mot anglais « consciousness ». Il décide alors d’utiliser le mot « conscience » mais en lui
donnant un sens nouveau. Rappelons que le mot « conscience » en français avait, au départ,
un sens seulement moral.
GGP, LCS, 2023-2024
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1. Les limites de la conscience (3)
• S’opposant à Descartes, Leibniz admet l’existence de pensées « inconscientes ». Il défend la
thèse selon laquelle il y a, en nous, et à chaque instant, une infinité de petites perceptions
dont nous n’avons pas conscience. Ainsi, selon lui, il est tout à fait possible de percevoir sans
savoir qu’on perçoit.
Pour illustrer et justifier sa thèse, il a recours à deux exemples.
1) L’exemple de l’habitude : avec le temps, nous finissons par ne plus nous apercevoir des perceptions
auxquelles nous sommes habitués. Notre corps continue de percevoir, mais, notre esprit étant
concentré sur autre chose, nous ne nous en rendons pas compte.
2) L’exemple du bruit de la mer : que se passe-t-il lorsque, au bord du rivage, nous écoutons la mer ?
Nous entendons le bruit global qui est fait par l’ensemble des vagues qui déferlent. Mais ce bruit
global est composé d’une infinité de petits bruits (les bruits faits par chaque vague, voire par chaque
gouttelette d’eau). Or ces petits bruits sont trop infimes pour que nous puissions les entendre
distinctement. Aussi infimes soient-ils, ils existent néanmoins. Et nous les percevons, mais sans en
être conscients.
GGP, LCS, 2023-2024
La théorie des petites perceptions de Leibniz
Aperception
Perception
NB : Leibniz distingue la
perception et l’aperception.
Il appelle « aperception » la
perception consciente. Dans le
cas de l’aperception, le sujet
perçoit et sait qu’il perçoit.
La perception ≠ la
conscience
+
1. Les limites de la conscience (4)
• Chez Leibniz, les perceptions « inconscientes » sont donc :
- soit des perceptions qui ne retiennent pas notre attention ;
- soit des perceptions qui sont trop nombreuses et d’intensité trop faible pour être perçues
consciemment.
Que telles perceptions existent, c’est inévitable. D’une part, la conscience est
nécessairement sélective : nous ne pouvons pas, à chaque instant, être conscients de tout
ce qui se passe en nous ou hors de nous. D’autre part, il y a un seuil d’intensité des
perceptions, lié à notre constitution biologique, en deçà duquel il n’y a pas d’aperception,
c’est-à-dire de conscience, possible. Lorsqu’une perception est trop faible pour atteindre ce
seuil, notre corps la traite et l’enregistre mais ne prend pas la peine de nous en avertir.
Notons qu’il n’y a pas, chez Leibniz, de différence de nature entre les perceptions
conscientes et les perceptions inconscientes, mais une différence de degré.
GGP, LCS, 2023-2024
+
1. Les limites de la conscience (5)
• Chez Leibniz, l’inconscient (si l’on veut à tout prix utiliser ce mot) n’est qu’un moindre
degré de conscience. Entre conscience et inconscient, il n’y a pas opposition mais
complémentarité. D’une part, une perception inconsciente (si elle est d’une intensité
suffisante) peut devenir consciente, pour peu que l’individu fasse un effort de mémoire ou
d’attention. D’autre part, la perception consciente elle-même est constituée, à bien y
regarder, d’une infinité de perceptions inconscientes. Autrement dit, il n’y a pas
d’inconscient sans conscience, ni de conscience sans inconscient.
• La théorie des petites perceptions conduit Leibniz à critiquer le libre arbitre, et en particulier, une forme
extrême de celui-ci : la liberté d’indifférence. Selon Leibniz, une telle liberté n’existe pas. Lorsque le
sujet croit choisir de manière arbitraire, n’ayant aucune raison de préférer telle chose à telle autre, il est,
en fait, déterminé à son insu par ses petites perceptions. « Ce sont ces petites perceptions qui nous
déterminent en bien des rencontres sans qu’on y pense et qui trompent le vulgaire par l’apparence
d’une indifférence d’équilibre, comme si nous étions indifférents de tourner par exemple à droite ou à
gauche. »
GGP, LCS, 2023-2024
+
1. Les limites de la conscience (6)
• Pour finir, il faut souligner que la théorie des petites perceptions de Leibniz est confirmée, à
bien des égards, par la science contemporaine. Qu’il y ait des perceptions inconscientes
est aujourd’hui tout à fait admis.
Deux phénomènes ont attiré, en particulier, l’attention des chercheurs en neurosciences :
1) Le phénomène de blindsight (ou de vision aveugle) : suite à une lésion cérébrale, certaines
personnes ne voient rien dans une partie de leur champ visuel. Or, elles ne sont pas pour autant
aveugles. En fait, elles voient, mais sans en avoir conscience.
2) La prosopagnosie : les patients dits « prosopagnosiques » ont perdu la capacité de reconnaître des
visages familiers. En fait, des tests ont montré qu’il s’agit d’une maladie de la conscience.
Paradoxalement, la reconnaissance du visage familier a bien eu lieu, comme certains signes du
corps le suggèrent, mais le patient ne le sait pas.
Il faut en conclure que, comme Leibniz le pressentait, « il existe bien des processus perceptifs, et même
moteurs, qui agissent à l’insu de notre conscience » (Lionel Naccache, Le nouvel inconscient, 2006, p.
19).
GGP, LCS, 2023-2024
+
1. Les limites de la conscience (7)
b) Le sujet comme fiction grammaticale (Nietzsche)
Selon Descartes :
1) La pensée se réduit à la conscience.
2) La conscience de soi est une connaissance de soi.
3) Le libre arbitre existe.
4) Il y a un « moi » qui pense.
Nietzsche remet en question ces quatre points.
1) Comme Leibniz, il refuse de réduire la pensée à la conscience.
« Durant des périodes extrêmement longues, on a considéré la pensée consciente comme la pensée en
général : ce n'est qu'aujourd'hui que nous voyons poindre la vérité, à savoir que la plus grande partie de
notre activité intellectuelle se déroule sans que nous en soyons conscients, sans que nous la
percevions. » (Le gai savoir, § 333 ; voir aussi § 357)
GGP, LCS, 2023-2024
+
1. Les limites de la conscience (8)
2) Comme Spinoza, Nietzsche critique la conscience. Celle-ci ne révèle qu’une partie de notre
être – et encore la partie la plus petite et la plus superficielle. La conscience, dit Nietzsche,
« c’est une surface » (Ecce homo, II, § 9). Mais qu’est-ce qu’il y a sous la surface ? Le corps
avec ses instincts, ses pulsions et ses affects ! Notre vie psychique consciente est
dominée, en grande partie, par eux. Or ils sont très largement infra-conscients : ils agissent
en nous, sans nous, à notre insu. C’est le cas chez tout le monde et, en particulier, chez les
philosophes :
«... la plus grande part de la pensée consciente d’un philosophe est clandestinement guidée et
poussée dans des voies déterminées par ses instincts. » (Par-delà bien et mal, § 3)
Il en résulte que nous ne nous connaissons pas nous-mêmes :
« Nous demeurons nécessairement étrangers à nous-mêmes, nous ne nous comprenons pas, nous
ne pouvons pas éviter le quiproquo sur nous-mêmes, pour nous vaut de toute éternité cette phrase :
"chacun est pour soi-même le plus lointain". » (Généalogie de la morale, Avant-propos, § 1)
GGP, LCS, 2023-2024
La conscience selon Nietzsche
Le corps
La conscience
Instincts
Pulsions
Affects
« Je suis tout entier
corps, et rien d’autre. »
Nietzsche, Ainsi parlait
Zarathoustra, I « Des
contempteurs du corps ».
+
1. Les limites de la conscience (9)
3) Selon Nietzsche, le libre arbitre est :
- une illusion de la conscience. Comme Spinoza, Nietzsche considère la volonté, non pas comme
une cause première, mais comme l’effet d’un processus infraconscient qui fait intervenir les
instincts, les pulsions et les affects du corps.
- une fiction inventée par les théologiens et les moralistes, lesquels sont précisément animés... par
des instincts (non-conscients) : « l'instinct de punir et de juger » (Crépuscule des idoles, « Les quatre
grandes erreurs », § 7).
4) Nietzsche remet en question non seulement l’existence du libre arbitre, mais aussi
l’existence du sujet (ou du « moi »). C’est l’objet du § 17 de Par-delà bien et mal.
Examinons-le. Pour comprendre ce texte, il faut, de nouveau, revenir à Descartes.
« Je pense » (cogito) : voilà, à première vue, une vérité absolument certaine et donc
indubitable. Je peux douter de tout, mais je ne peux pas douter que c’est moi qui doute et
donc qui pense. Or, est-ce aussi simple ?
GGP, LCS, 2023-2024
« Pour ce qui est de la superstition des logiciens : je ne me lasserai pas
de souligner sans relâche un tout petit fait que ces superstitieux
rechignent à admettre, – à savoir qu’une pensée vient quand « elle »
veut, et non quand « je » veux ; de sorte que c’est une falsification de
l’état de fait que de dire : le sujet « je » est la condition du prédicat
« pense ». Ça pense : mais que ce « ça » soit précisément le fameux
vieux « je », c’est, pour parler avec modération, simplement une
supposition, une affirmation, surtout pas une « certitude
immédiate ». En fin de compte, il y a déjà trop dans ce « ça pense » : ce
« ça » enferme déjà une interprétation du processus et ne fait pas partie
du processus lui-même. On raisonne ici en fonction de l’habitude
grammaticale : « penser est une action, toute action implique quelqu’un
qui agit, par conséquent » – ».
NIETZSCHE, Par-delà bien et mal, § 17.
Quand « je » pense, est-ce vraiment « moi » qui pense ?
+
1. Les limites de la conscience (10)
• Quand je pense, à première vue, c’est moi qui pense. Pourtant, par expérience, je sais que ma
propre pensée peut m’échapper : quand je cherche une idée, par exemple, celle-ci ne vient pas
quand je veux ; je dois attendre l’inspiration. Ce « tout petit fait » suggère que je ne suis pas
complètement maître de ma pensée.
Problème : est-ce bien moi qui pense ? La pensée n’est-elle pas un processus impersonnel et
autonome, qui s’accomplit, certes, en moi, mais sans moi, et donc à mon insu ?
Si c’est le cas, selon Nietzsche, je ne peux pas dire que « je » pense. Tout au mieux, on peut
dire : « ça » pense (es denkt). Et encore. Nietzsche utilisera, dans un fragment posthume, une
autre formule : cogitatur (en latin, c’est le verbe « cogito » conjugué au présent de la voix
passive ; on peut traduire ainsi : « il est pensé » ou « on pense »).
NB : en affirmant que nous ne contrôlons pas complètement nos propres pensées, Nietzsche
s’oppose non seulement à Descartes mais aussi aux Stoïciens.
GGP, LCS, 2023-2024
+
1. Les limites de la conscience (11)
• Descartes est l’un de ces logiciens « superstitieux » que Nietzsche fustige. S’il avait retranscrit
la réalité telle qu’elle est, il aurait dû renoncer à dire « je pense » (cogito). Loin d’être un fait
objectif, « je pense » n’est qu’une interprétation. Loin d’être une vérité indubitable, ce n’est
qu’une croyance. Mais d’où vient cette croyance ?
Nietzsche ne se contente pas de dénoncer « la superstition » du sujet : il révèle aussi son
origine. C’est la grammaire. Comme « penser » est un verbe, tout verbe ayant un sujet,
Descartes raisonne, sans le savoir, de manière grammaticale. Il y a de la pensée. Mais qui
pense ? « Moi ». Je suis le sujet du verbe « penser ». En fait, il faut se méfier des catégories
grammaticales. Pourquoi ?
Réponse de Nietzsche : ce n’est pas parce que toute phrase est composée d’un sujet, d’un verbe et d’un
complément que de telles entités existent dans la réalité. La structure de la langue ne correspond pas
nécessairement à la structure de la réalité. C’est la langue qui nous fait croire qu’il y a un sujet. Mais, en
fait, dans la réalité, selon Nietzsche, un tel sujet n’existe pas. « Il n’existe aucun "être" derrière l’agir, le
faire, le devenir ; "l’agent" est un ajout de l’imagination, car l’agir est tout. » (Généalogie de la morale, I,
§13)
GGP, LCS, 2023-2024
+
1. Les limites de la conscience (12)
• Descartes a douté des préjugés de l'enfance, mais il n'a pas remis en question les croyances
véhiculées par la grammaire. S’il croit à l’existence d’un sujet pensant, c’est d’abord parce qu’il
croit à la grammaire.
Paradoxe : le langage n'est pas neutre. Il n’est pas un simple outil de communication. Il a un
impact inconscient non seulement sur notre perception de la réalité, mais aussi sur notre
propre pensée.
- Selon Nietzsche, chaque langue est porteuse d’une vision du monde, véhicule des croyances,
lesquelles sont très largement inconscientes. « Il y a, cachée dans la langue, une mythologie
philosophique qui perce et reperce à tout moment, si prudent qu’on puisse être par ailleurs. » (HTH,
II, « Le voyageur et son ombre », §11) « Chaque mot est un préjugé. » (§ 55)
- Au XXe siècle, la linguistique confirmera les intuitions de Nietzsche. Nous percevons le réel à travers
les catégories de notre langue. Cf. Émile Benveniste : « Nous pensons un univers que notre langue
a déjà modelé. » (Problèmes de linguistique générale) Voir l’hypothèse Sapir-Whorf.
GGP, LCS, 2023-2024
« Là où se trouve une parenté linguistique, il est absolument inévitable
que du fait de la philosophie commune de la grammaire – je veux dire du
fait de la domination et de l’aiguillage inconscients exercés par de
mêmes fonctions grammaticales – tout soit préparé d’emblée pour
une évolution et une succession semblables des systèmes
philosophiques : de même que la voie soit barrée à certaines autres
possibilités de commentaires du monde. Il est très probable que des
philosophes du domaine linguistique ouralo-altaïque (celui dans
lequel le concept de sujet est le moins développé) porteront "sur le
monde" un regard autre et se rencontreront sur des voies autres que
des Indo-germains ou des musulmans : le charme exercé par des
fonctions grammaticales déterminées est en dernière analyse le charme
exercé par des jugements de valeur physiologiques et des
conditions de race. »
NIETZSCHE, Par-delà bien et mal, § 20.
L'action inconsciente de la grammaire sur la pensée
+
1. Les limites de la conscience (13)
c) Conscience et vie sociale (Marx, Bourdieu)
• Si, chez Nietzsche, c’est le corps qui est premier par rapport à la conscience, chez Marx
(1818-1883), c’est la vie sociale.
« Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être mais inversement leur
être social qui détermine leur conscience. » (Marx, Contribution à la critique de l’économie
politique, Avant-propos,1859)
Comment comprendre cette phrase ?
Selon Marx, l’homme est, d’abord et avant tout, un être vivant. Il a des besoins à satisfaire pour survivre.
Pour satisfaire ses besoins, il doit travailler. Or, son travail se réalise toujours dans des conditions sociales
déterminées. Ce qui est donc premier, selon Marx, ce n’est pas la conscience, mais le travail, l’activité de
production qui permet à l’homme de se maintenir en vie, et qui suppose des relations avec d’autres
hommes, donc une vie sociale.
GGP, LCS, 2023-2024
+
1. Les limites de la conscience (14)
→ Marx suit ainsi la voie ouverte par Spinoza : la conscience, loin d’être première et autonome,
est déterminée par des causes extérieures ; elle dépend, en fait, de la vie en société. Ainsi, selon
Marx, tout ce qu’il y a dans ma tête – ce que je veux, ce que je crois, ce que je pense – est
déterminé, même si je n’en suis pas conscient, par ma place dans l’activité sociale de production,
et donc in fine par ma classe sociale.
Autrement dit, la conscience d’un individu est le reflet de sa position dans la société.
NB : Marx est matérialiste, et non idéaliste. Il défend la thèse selon laquelle le réel est, d’abord et avant tout,
matériel. Il s’oppose aux philosophes idéalistes (Platon, Hegel) qui donnent le primat, non pas à la matière,
mais aux idées. Rappelons que Platon est le « père fondateur » de l’idéalisme : ce qui est « réellement réel »,
selon lui, ce n’est pas la matière que je peux voir et toucher, mais ce qu’il appelle les Idées (ou les Formes).
Marx reproche aux philosophes idéalistes de prendre les choses à l’envers : ce ne sont pas les idées qui
déterminent la matière, mais la matière qui détermine les idées.
GGP, LCS, 2023-2024
« Par opposition complète à la philosophie allemande qui descend du ciel vers
la terre, ici on monte de la terre vers le ciel. C’est-à-dire qu’on ne part pas de ce
que les hommes disent, s’imaginent, se représentent, qu’on ne part pas non plus de
ce qu’on dit, de ce qu’on pense, de ce qu’on s’imagine, de ce qu’on se représente
être les hommes pour en arriver aux hommes en chair et en os ; on part des
hommes effectivement actifs, et à partir de leur processus vital effectif, on présente
également le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus
vital. Même les représentations nébuleuses qui se forment dans le cerveau des
hommes sont des sublimés nécessaires de leur processus vital matériel,
empiriquement constatable et rattaché à des présuppositions matérielles. Ce faisant,
la morale, la religion, la métaphysique et le reste de l’idéologie, ainsi que les
formes de conscience qui leur correspondent, cessent de conserver l’apparence de
l’autonomie. Elles n’ont pas d’histoire, elles n’ont pas de développement, ce sont les
hommes, en développant leur production matérielle et leur commerce matériel, qui
changent également, en même temps que cette réalité effective qui est la leur, leur
pensée et les produits de leur pensée. Ce n’est pas la conscience qui détermine la
vie, c’est la vie qui détermine la conscience. »
Karl MARX et Friedrich ENGELS, L’idéologie allemande (1845-1846).
La vie sociale détermine la conscience
Le matérialisme historique de Marx et Engels
Superstructure
L’État, le droit, la morale,
la religion, la science
la philosophie, l'art,
la culture en général
Infrastructure
Les idées
(le ciel)
La matière
(la terre) Forces productives
(travail humain, ressources naturelles, outils)
Rapports de production
(organisation sociale de la production : esclavagisme,
servage, salariat)
« Les pensées de la classe
dominante sont aussi, à toutes les
époques, les pensées dominantes,
autrement dit la classe qui est la
puissance matérielle dominante de
la société est aussi la puissance
dominante spirituelle. »
Marx et Engels, L’idéologie
allemande (1845-1846).
« En fin de compte ce n’est pas
dans la tête des savants que
s’établit la relation entre les
hypothèses et les données de fait,
mais dans l’industrie. »
Max Horkheimer, Théorie
traditionnelle et théorie critique
(1937).
+
1. Les limites de la conscience (15)
• Par matière, Marx entend la vie concrète des hommes, c’est-à-dire la vie économique et
sociale. Il suggère qu’il y a un déterminisme économique et social de la conscience et des
idées en général. Cette hypothèse sera reprise et confirmée par la sociologie. Les travaux du
sociologue français Pierre Bourdieu (1930-2002), en particulier, montrent que les pensées,
les croyances, les goûts et les pratiques sont déterminées socialement, c’est-à-dire
dépendent de la classe sociale d’origine des individus.
Pour penser le rapport que l’individu entretient avec sa classe sociale d’origine, Bourdieu
développe un concept original : le concept d’habitus. Nous serions déterminés par notre
habitus. Mais qu’est-ce que l’habitus ?
L’habitus est un système « de dispositions durables et transposables, structures structurées
prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c’est-à-dire en tant que principes
générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations » (Le sens pratique, 1980, p.
88). Expliquons...
GGP, LCS, 2023-2024
+
1. Les limites de la conscience (16)
- L’habitus est structuré : il est le résultat, en grande partie inconscient, de la
socialisation. L’enfant a intériorisé, incorporé les règles de son milieu social : celles-ci sont
devenues, pour lui, comme une seconde nature. Telle chose se fait, telle chose ne se fait
pas : l’enfant le sait, presque instinctivement, naturellement.
- L’habitus est structurant : déterminé en amont par la socialisation, il détermine, en aval, les
actions individuelles. Cette détermination est inconsciente : l’individu, sans le savoir, suit
son habitus. Ses choix supposés libres, ses goûts supposés personnel et naturels sont
déterminés par son habitus. Par exemple, on ne choisit pas de se cultiver ; on se cultive, en
fonction du milieu social dans lequel on évolue. C’est l’habitus qui nous prédispose à telle ou
telle pratique culturelle : lecture, fréquentation des musées, etc.
NB : Il faut noter que Bourdieu, comme Spinoza, est déterministe et non fataliste. On peut se libérer de
l’emprise exercée sur soi par son milieu social, grâce à la ... sociologie, en prenant conscience des causes
qui nous déterminent. Comme chez Spinoza, la connaissance chez Bourdieu est libératrice.
GGP, LCS, 2023-2024
L’inconscient, c’est l’oubli de l’histoire
L'inconscient « n’est jamais (...) que l’oubli de l’histoire que l’histoire
produit elle-même en incorporant les structures objectives qu’elle
produit dans ces quasi-natures que sont les habitus. »
Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique (1972), Seuil, 2000, p.
263.
« (...) En chacun de nous, suivant des proportions variables, il y a de
l’homme d’hier ; c’est le même homme d’hier qui, par la force des choses, est
prédominant en nous, puisque le présent n’est que bien peu de chose comparé à
ce long passé au cours duquel nous sommes formés et d’où nous résultons.
Seulement, cet homme du passé, nous ne le sentons pas, parce qu’il est
invétéré en nous ; il forme la partie inconsciente de nous-mêmes. Par suite,
on est porté à n’en pas tenir compte, non plus que de ses exigences légitimes.
Au contraire, les acquisitions les plus récentes de la civilisation, nous en avons
un vif sentiment parce qu’étant récentes elles n’ont pas encore eu le temps de
s’organiser dans l’inconscient. »
Émile Durkheim, L’évolution pédagogique en France, Alcan, 1938, p. 16.
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (1)
a) Inconscient et refoulement
Freud réalise une double rupture avec les philosophes qui l’ont précédé :
- Alors que ces derniers utilisaient le mot « inconscient », avant tout, comme adjectif, Freud
l’utilise désormais comme substantif. Il est le premier à développer explicitement une théorie
de « l’inconscient ».
- Chez Freud, il n’y a plus (comme chez Leibniz) une différence de degré entre la conscience et
l’inconscient, mais une différence de nature. L’inconscient n’est pas un moindre degré de
conscience. Il constitue une entité psychique complètement à part, distincte et séparée de la
conscience.
Selon Freud, notre psychisme (c’est-à-dire notre esprit) est clivé, divisé en deux parties distinctes
: la conscience et l’inconscient. Telle est l’hypothèse fondamentale qui est au fondement de la
psychanalyse. Pourquoi Freud en vient-il à formuler une telle hypothèse ?
GGP, LCS, 2023-2024
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (2)
• Les recherches préliminaires sur l’hystérie.
Avec son collègue Joseph Breuer, Freud s’intéresse à une maladie, connue depuis l’Antiquité, qui
était délaissée par les médecins de son époque : l’hystérie.
Cf. le cas célèbre d’Anna O.
Freud découvre que « les hystériques souffrent de réminiscences ». L'hystérie est donc une
maladie qui a des causes, non pas organiques, mais psychiques.
Les premiers symptômes d'Anna sont apparus, alors qu’elle était au chevet de son père malade.
Freud développe deux exemples :
1) l’hydrophobie engendrée par le dégoût ressenti par Anna, alors qu’un chien buvait
dans un verre d’eau ;
2) les troubles oculaires provoqués par la retenue des larmes : Anna ne voulait pas être
vue par son père, en train de pleurer.
GGP, LCS, 2023-2024
« La malade du Dr Breuer était une jeune fille de vingt et un ans,
très intelligente, qui manifesta au cours des deux années de sa
maladie une série de troubles physiques et mentaux plus ou
moins graves. Elle présenta une contracture des deux extrémités
droites avec anesthésie ; de temps en temps la même affection
apparaissait aux membres du côté gauche ; en outre, trouble des
mouvements des yeux et perturbations multiples de la capacité
visuelle ; difficulté à tenir la tête droite ; toux nerveuse intense,
dégoût de toute nourriture et, pendant plusieurs semaines,
impossibilité de boire malgré une soif dévorante. Elle
présentait aussi une altération de la fonction du langage, ne
pouvait ni comprendre ni parler sa langue maternelle. Enfin, elle
était sujette à des "absences", à des états de confusion, de délire,
d'altération de toute la personnalité ; ce sont là des troubles
auxquels nous aurons à accorder toute notre attention. »
Sigmund FREUD, Cinq leçons sur la psychanalyse (1910), trad. « Petite
Bibliothèque Payot », 2015.
John Huston, Freud: The Secret Passion (1962)
Anna O.
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2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (3)
• La notion de refoulement
Le paradoxe qui caractérise l’hystérique est alors le suivant : si elle est affectée par son passé, au
point de développer une pathologie, elle ne parvient pas néanmoins à se souvenir des
événements précis qui sont à l’origine de ses symptômes. C’est que, selon Freud, les
représentations liées aux événements traumatiques n’ont pas été simplement « oubliées » : elles
ont été « refoulées ». C’est-à-dire ?
Freud propose deux critères pour distinguer ce qui est « refoulé » et ce qui est simplement
« oublié » : 1) il y a une résistance intérieure qui empêche « le refoulé » de devenir conscient :
malgré ses efforts, le sujet ne peut pas accéder aux éléments refoulés ; 2) le « refoulé » peut
agir, c’est-à-dire produire des effets.
Selon Freud, ce sont précisément les représentations refoulées qui sont la cause des symptômes
pathologiques observés chez les hystériques.
GGP, LCS, 2023-2024
« Il existe un genre d’oubli qui se distingue par la difficulté avec laquelle
le souvenir est réveillé, même par de fortes sollicitations extérieures,
comme si une résistance intérieure regimbait contre sa reviviscence.
Ce genre d’oubli a reçu le nom de "refoulement" en psychopathologie
[...]. Or très généralement nous ne savons pas si l’oubli d’une
impression est lié à la disparition de sa trace mnésique dans la vie
psychique ; mais du "refoulement" nous pouvons affirmer avec
certitude qu’il ne coïncide pas avec la disparition, l’extinction du
souvenir. Certes le refoulé, en règle générale, ne peut s’imposer sans
plus en tant que souvenir, mais il reste capable d’agir et de produire
des effets, faisant naître un jour, sous l’influence d’une sollicitation
extérieure, des conséquences psychiques qu’on peut considérer comme
les produits de transformation et les rejetons du souvenir oublié et qui
restent incompréhensibles tant qu’on ne les considère pas comme
tels. »
Sigmund FREUD, Le délire et les rêves dans Grandiva de W. Jensen (1907), trad.
« Points », 2013.
Refoulement et oubli
Alfred Hitchcock, Spellbound (1945)
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2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (4)
Mais qu’est-ce que le refoulement ? C’est le processus psychologique par lequel le sujet rejette
hors de la conscience les représentations mentales (désirs, images, souvenirs etc.) qui le
perturbent.
Deux remarques sur le refoulement :
1. Selon Freud, le refoulement est un processus normal, c’est-à-dire non pathologique.
Toute personne « saine », « non-malade » refoule. Ce qui déclenche la maladie, ce n’est pas
le refoulement, mais son échec. On pourrait dire que le refoulement joue pour l’esprit le rôle
que jouent les réactions immunitaires pour le corps. Il intervient lorsque l’individu est en proie
à un conflit interne. Par exemple, ce dernier peut être tiraillé entre deux désirs opposés.
Comme l’écrit Freud : « L’acceptation du souhait inconciliable ou la prolongation du conflit
auraient provoqué un déplaisir intense ; le refoulement épargne ce déplaisir, il apparaît ainsi
comme un moyen de protéger la personne psychique. » (Cinq leçons sur la psychanalyse,
Leçon 2)
GGP, LCS, 2023-2024
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (5)
2. Le refoulement est un concept fondamental. Freud considère qu’il est « le pilier sur lequel
repose l’édifice de la psychanalyse » (Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique,
1914). Plus tard, il confirmera ce jugement : « Notre concept de l’inconscient nous vient
donc de la théorie du refoulement. Le refoulé est pour nous le prototype de
l’inconscient. » (Le moi et le ça, 1923, chap. 1). Il faut comprendre que c’est la notion de
refoulement qui a mis Freud sur la voie de l’inconscient. Mieux : c’est à partir de la notion de
refoulement qu’il définit l’inconscient. Ainsi, en début de carrière, il s’appuie sur la définition
suivante : est inconscient ce qui est refoulé.
Ce n’est que plus tard qu’il donnera une plus grande extension au concept d’inconscient, en y incluant, en
particulier, les pulsions. Freud écrira en effet : « Tout refoulé demeure inconscient, mais nous tenons à
poser d’entrée que le refoulé ne recouvre pas tout l’inconscient. L’inconscient a une extension plus large ;
le refoulé est une partie de l’inconscient. » (Métapsychologie, 1915, « Folio Essais », p. 65)
GGP, LCS, 2023-2024
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2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (6)
b) Les deux topiques
• Pour présenter sa théorie de l’inconscient, Freud a eu recours à des « topiques » (du grec
topos : lieu), c’est-à-dire à des représentations spatiales du psychisme. Ces topiques
n’avaient qu’une valeur métaphorique.
• Freud espérait toutefois qu’un jour, on puisse établir une correspondance entre les « lieux » de l’esprit
humain qu’il avait identifiés et des zones précises du cerveau. En 1915, il écrivait en effet : « Pour le
moment, notre topique psychique n’a rien à voir avec l’anatomie » (Métapsychologie, « Folio Essais »,
p. 79). Cet espoir est aujourd’hui mis à mal par les neurosciences (qui, comme nous le verrons, rejettent
l’idée même que l’inconscient ait un « lieu » propre.)
• La notion de topique reste fondamentale. Elle permet à Freud de préciser son concept d’inconscient. Il
distingue ainsi l’inconscient au sens descriptif (ce qui n’est pas conscient) et l’inconscient au sens
topique (l’inconscient à proprement parler, c’est-à-dire le « lieu » psychique).
GGP, LCS, 2023-2024
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2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (7)
• La première topique (de 1900 à 1923)
L’appareil psychique est divisé en deux systèmes radicalement distincts : le système
Conscient-Préconscient (Cs-Pcs) et le système Inconscient (Ics).
- Le conscient contient tout ce qui est immédiatement présent à l’esprit.
- Le préconscient contient les éléments qui ne sont pas conscients, mais qui peuvent néanmoins le devenir, comme les
souvenirs oubliés, si l’individu fait un effort de mémoire ou d’attention.
- L’inconscient contient les représentations refoulées.
Ce qui justifie la ligne de démarcation entre les deux systèmes, c’est l’existence d’une force que Freud
nomme « résistance » ou « censure », qui empêche le refoulé d’accéder à la conscience, si ce n’est de
manière déguisée et déformée (comme dans les symptômes pathologiques ou dans les rêves). Pour la
désigner, Freud emploie la métaphore du gardien : celui-ci « inspecte chaque tendance psychique, lui
impose la censure et l’empêche d’entrer au salon [qui représente la conscience] si elle lui déplaît »
(Introduction à la psychanalyse, Payot, p. 355).
GGP, LCS, 2023-2024
La théorie de l’inconscient psychique chez Freud :
première topique (1)
PCS ICS
CS
CS : conscient
PCS : préconscient
ICS : inconscient
Résistance
La théorie de l’inconscient psychique chez Freud :
première topique (2)
PCS ICS
CS
Refoulement
Retour du refoulé
Désir 1
Désir 2
Conflit
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (8)
• La seconde topique (à partir de 1923)
L’esprit est ici divisé en trois pôles : le moi, le ça et le surmoi.
Précisons tout de suite que les deux topiques ne se recouvrent pas : il n’y a pas de
correspondance terme à terme. Par exemple, le moi dans la seconde topique ne correspond
pas au conscient de la première topique, car le moi n’est pas complètement conscient. En effet,
dans la seconde topique, c’est le moi qui effectue cette opération mystérieuse qu’est le
refoulement (et qui joue le rôle du gardien de la première topique). Il en va de même des autres
instances : le ça et le surmoi ne sont pas complètement inconscients. L’individu peut être
conscient, au moins partiellement, de ses pulsions et des règles morales et sociales qu’il a
intériorisées.
En ce sens, la seconde topique constitue un progrès considérable par rapport à la première,
car ce qui est inconscient n’a plus de « lieu » propre (ce qui va davantage dans le sens des
recherches les plus récentes en neurosciences).
GGP, LCS, 2023-2024
La théorie de l’inconscient psychique chez Freud :
seconde topique
surmoi
ça
réalité
MOI
Principe de plaisir
Principe de réalité
La nature
La culture
Les pulsions de vie et de mort
Les représentations refoulées
Les interdits parentaux
(interdit de l’inceste)
Les règles sociales et morales
Refoulement / censure
Transfert
Sublimation
perception
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (9)
c) Peut-on connaître l’inconscient ?
• L’inconscient est, presque par définition, inconnaissable. Pourtant, Freud prétend qu’il
est possible, malgré tout, de le connaître. Pour cela, il faudrait réussir à surmonter la
résistance qui empêche les représentations inconscientes d'accéder à la conscience.
Comment faire ?
• En début de carrière, alors qu'il travaillait avec Breuer, Freud a eu recours à
l'hypnose. Mais il considérait que « c'est un procédé incertain et qui a quelque chose
de mystique » (Cinq leçons sur la psychanalyse, leçon 2). Il a donc cherché une autre
méthode pour accéder à l’inconscient. C’est ainsi qu’il a mis au point la méthode dite
« des associations libres ». Il s’agit d’accéder à l’inconscient de manière indirecte,
en interprétant les paroles du patient.
GGP, LCS, 2023-2024
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2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (10)
• Le principe est simple : le patient doit dire à l’analyste toutes les pensées qui lui viennent
à l’esprit, sans tri, sans jugement, sans discrimination, sans censure (les surréalistes feront de
même en pratiquant l’écriture automatique).
Cependant, cette méthode pose problème. Rien ne garantit a priori que les idées qui viennent
spontanément à l’esprit du patient aient un rapport quelconque avec la représentation refoulée
qu’il faut découvrir. Aussi Freud est-il contraint de postuler que ces idées spontanées, aussi
différentes et éloignées paraissent-elles de la représentation refoulée, sont néanmoins en
rapport avec elle, dans la mesure où tous les faits psychiques sont liés les uns aux autres, et
peuvent donc s’expliquer les uns par les autres.
C’est le postulat du déterminisme psychique, en lequel Freud dit « avoir la foi la plus
absolue » (Cinq leçons sur la psychanalyse, leçon 3). Les idées ne viennent pas à l’esprit du
patient par hasard ou de manière arbitraire. Loin de tomber du ciel, elles sont déterminées par
d’autres idées qui, elles, sont inconscientes.
GGP, LCS, 2023-2024
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (11)
• Une question reste en suspens : comment expliquer que les idées spontanées du patient sont si différentes
et éloignées des représentations refoulées ? Freud l’explique aisément avec la notion de résistance.
Freud a constaté empirement auprès de ses patients qu’il y a une force qui empêche les représentations
refoulées et inconscientes d’accéder à la conscience. Cette force – qu’il appelle aussi bien « résistance »
que « censure » – filtre les idées qui parviennent à la conscience. Certaines ne peuvent pas passer.
D’autres passent, mais sont déformées. Plus la résistance est forte, plus la déformation est
importante. Voilà pourquoi les idées spontanées ne ressemblent pas aux représentations refoulées et
inconscientes. Reste que, selon Freud, les premières sont les effets des secondes.
• En interprétant les paroles de son patient, l’analyste doit pouvoir remonter de l’effet à la cause et découvrir
in fine la représentation refoulée. On le voit : selon Freud, la connaissance de l’inconscient est
essentiellement interprétative. On n’accède à l’inconscient que de manière indirecte en interprétant des
signes (paroles, lapsus, actes manqués, rêves, etc.).
Problème : l’interprétation n’est-elle pas subjective ? Si c’est le cas, comment pourrait-elle valoir comme
une authentique connaissance ?
GGP, LCS, 2023-2024
Le déterminisme psychique (1)
« [Pour ma nouvelle méthode, c’est-à-dire celle des associations libres] je m’accrochai à un principe [...] (Il est parfois
bien précieux d’avoir des préjugés !) C’est celui du déterminisme psychique, en la rigueur duquel j’avais la foi la
plus absolue. Je ne pouvais pas me figurer qu’une idée surgissant spontanément dans la conscience d’un malade,
surtout une idée éveillée par la concentration de son attention, pût être tout à fait arbitraire et sans rapport avec la
représentation oubliée que nous voulions retrouver. Qu’elle ne lui fût pas identique, cela s’expliquait par l’état
psychologique supposé. Deux forces agissaient l’une contre l’autre dans le malade ; d’abord son effort conscient
pour ramener à la conscience les choses oubliées, mais latentes dans son inconscient ; d’autre part la résistance
que je vous ai décrite et qui s’oppose au passage à la conscience des éléments refoulés ou de leurs rejetons.
Si cette résistance est nulle ou très faible, la chose oubliée devient consciente sans se déformer ; on était donc
autorisé à admettre que la déformation de l’objet recherché serait d’autant plus grande que l’opposition à son
arrivée à la conscience serait plus forte. L’idée qui se présentait à l’esprit du malade à la place de celle qu’on
cherchait à rappeler avait donc elle-même la valeur d’un symptôme. C’était un substitut nouveau, artificiel et
éphémère de la chose refoulée et et qui lui ressemblait d’autant moins que sa déformation, sous l’influence
de la résistance, avait été plus grande. Pourtant, il devait y avoir une certaine similitude avec la chose recherchée,
puisque c’était un symptôme et, si la résistance n’était pas trop intense, il devait être possible de deviner, au moyen
des idées spontanées, l’élément caché qui se dérobait. L’idée surgissant dans l’esprit du malade est, par rapport
à l’élément refoulé, comme une allusion, comme une traduction de celui-ci dans un autre langage. »
Sigmund FREUD, Cinq leçons sur la psychanalyse (1910), Leçon 3.
Le déterminisme psychique (2)
CS ICS
Résistance
Interprétation
BLA BLA
BLA BLA
BLA...
Les lapsus
« [Le lapsus] exprime souvent ce qu’on ne voulait pas dire [et
constitue] donc un moyen d’autotrahison. C’est, par exemple, ce
qui se passe lorsqu’un homme qui, dans ses relations aux femmes,
ne privilégie pas les rapports dits normaux, intervient dans une
conversation où il est question d’une jeune fille aimant beaucoup, à
ce qu’il paraît, faire la coquette et qu’il dit : « Avec quelqu’un
comme moi, elle perdrait l’habitude de faire la copulette. » [
« Im Umgang mit mir würde sie sich das Koëttieren schon
abgewöhnen »] Sans nul doute possible, c’est seulement à l’autre
mot, koitieren [« copuler »], et à l’action exercée par lui sur celui
qu’il avait l’intention de prononcer, kokettieren [« faire la coquette »]
qu’on doit attribuer pareille modification. »
Sigmund Freud, La psychopathologie de la vie quotidienne (1901),
Gallimard, « Folio Essais », 1997, p. 160.
Les rêves
« L’interprétation des rêves est, en réalité, la voie royale de la
connaissance de l’inconscient, la base la plus sûre de nos
recherches, et c’est l’étude des rêves, plus qu’aucune autre, qui vous
convaincra de la valeur de la psychanalyse et vous formera à sa
pratique. Quand on me demande comment on peut devenir
psychanalyste, je réponds : par l’étude de ses propres rêves. »
FREUD, Cinq leçons sur la psychanalyse (1910), leçon 3.
La séquence du rêve (avec la
participation de Dali) dans Spellbound
(1945) de Hitchcock
Un exemple : le rêve du repas avec du saumon fumé
« Le rêve s’énonce comme suit : "Je veux donner un souper, mais je n’ai rien d’autre en réserve
qu’un peu de saumon fumé. Je pense aller faire des achats, mais je me souviens que c’est
dimanche après-midi, moment où tous les magasins sont fermés. Je veux alors téléphoner à
quelques fournisseurs, mais le téléphone est en dérangement. Il me faut donc renoncer au souhait
de donner un souper. » [...]
Jusqu’ici les idées incidentes n’ont pas suffi à l’interprétation du rêve. Je presse [la] patiente d’aller
plus loin. Après une courte pause, comme celle correspondant justement au surmontement d’une
résistance, elle continue en relatant qu’hier elle a fait une visite chez une amie dont elle est à vrai dire
jalouse parce que son mari loue toujours très fort cette femme. Par bonheur, cette amie est très
sèche et maigre et son mari est amateur de corps aux formes pleines. De quoi parlait donc cette
maigre amie ? Naturellement de son souhait de devenir un peu plus forte. Elle lui demanda d’ailleurs :
"Quand nous inviterez-vous de nouveau ? On mange toujours si bien chez vous."
Désormais le sens du rêve est clair. Je puis dire à la patiente : " C’est exactement comme si,
entendant la requête de votre amie, vous aviez pensé en vous-même : Toi, bien sûr que je vais
t’inviter, pour que tu puisses manger tout ton content chez moi, grossir et plaire encore davantage
à mon mari. Je préfère ne plus donner de soupers. " Le rêve vous dit alors que vous ne pouvez pas
donner de soupers, il accomplit ainsi votre souhait de ne contribuer en rien à arrondir les formes
corporelles de votre amie. [...] Il ne manque plus maintenant que quelque recoupement venant
confirmer la solution. On ne voit toujours pas non plus d’où dérive le saumon fumé dans le contenu du
rêve. "Comment en venez-vous au saumon évoqué dans le rêve ?" "Le saumon fumé est le mets favori
de cette amie", répond-elle. Par hasard, je connais moi aussi la dame et peux confirmer qu’elle s’octroie
aussi peu de saumon que ma patiente de caviar. »
FREUD, L’interprétation du rêve (1900), chapitre 4 : « La déformation du rêve ».
L’interprétation des rêves
CS ICS
Résistance = censure =
déformation
Le travail d’analyse
Le contenu manifeste
(sens explicite du rêve)
Le contenu latent (sens
implicite ou caché du
rêve)
Le travail du rêve
Le choix d’un nombre peut-il se faire au hasard ?
« Dans ma lettre, tu as trouvé le nombre de 2 467, estimation arbitraire plein d’exubérance de la quantité de fautes qui se
rencontrera dans mon livre sur le rêve. Ce que je voulais dire, c’était : n’importe quel nombre élevé, et voilà que celui-ci se présente.
Or il n’y a rien d’arbitraire ou d’indéterminé dans le domaine psychique. C’est aussi pourquoi tu t’attendras à bon droit à ce
que l’inconscient se soit dépêché de déterminer le nombre, qui avait été laissé libre par le conscient. Il se trouve que juste
avant, je venais de lire dans le journal qu’un certain général E. M. était parti en retraite avec le grade de maréchal. Tu sais très
certainement que cet homme m’intéresse. Quand je faisais mon service en tant qu’élève médecin militaire, il vint un jour à l’hôpital – il
était alors colonel – et dit au médecin : "Il faut absolument que vous me guérissiez en huit jours, car j’ai à faire un travail que
l’Empereur attend." À cette époque, j’avais formé le projet de suivre la carrière de cet homme, et tiens, aujourd’hui (en 1899), il en a
atteint le bout, il est maréchal et déjà à la retraite. Je voulus calculer en combien de temps il avait effectué ce parcours, et admis par
hypothèse que je l’avais vu à l’hôpital en 1882. Ce ferait donc 17 ans. J’en parle à ma femme, et elle fait cette remarque : "Alors, tu
devrais toi aussi être déjà en retraite ?" Je proteste : "Dieu m’en préserve !" Après cette conversation, je m’assieds à la table pour
t’écrire. Mais le cheminement de pensée précédent se poursuit, et ce, à bon droit. Le calcul avait été faux ; j’ai, pour cela, un point de
repère solide dans ma mémoire. Ma majorité, c’est-à-dire mon 24e anniversaire, je l’ai fêté en étant aux arrêts (parce que je m’étais
absenté sans autorisation). C’était donc en 1880 ; il y a, par conséquent, 19 ans de cela. Tu as là le nombre 24 qu’on retrouve dans
2 467. Prends maintenant mon âge, 43 ans, et ajoutes-y 24 ans, alors tu obtiens 67 ! Cela signifie qu’à la question de savoir si je
voulais moi aussi partir en retraite, j’ai répondu en ajoutant, au niveau de mon désir, encore 24 années de travail. Visiblement, je suis
vexé de ce que, dans l’intervalle de temps durant lequel j’ai suivi la carrière du colonel M., je n’ai moi-même pas progressé bien loin, et
pourtant j’éprouve aussi une sorte de triomphe quant au fait que lui en a maintenant déjà terminé, tandis que moi, j’ai encore tout le
temps devant moi. Alors, on peut dire à bon droit que même le nombre 2467, qui a été lancé sans intention aucune, n’est pas
dépourvu d’une détermination émanent de l’inconscient. »
FREUD, La psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Gallimard, « Folio Essais », 1997, p. 389-390.
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (12)
d) La double justification de l’inconscient
• Dès le début, la psychanalyse a été vivement critiquée. Freud non seulement ne s’est
pas laissé démonter, mais a, en outre, apporté une explication psychanalytique de la
réticence, voire de la franche hostilité qu’ont beaucoup de personnes vis-à-vis de la
psychanalyse. La résistance suscitée par la psychanalyse serait un signe de sa
vérité.
• Mais Freud est allé plus loin. Il a avancé deux arguments en faveur de l’hypothèse de
l’inconscient. Selon lui :
1) cette hypothèse est « nécessaire » dans la mesure où elle permet d’expliquer certains
phénomènes ; c’est l’argument qu’on peut appeler « théorique » ;
2) elle est aussi « légitime » dans la mesure où elle permet de guérir certaines maladies ;
c’est l’argument qu’on peut appeler « pratique ».
GGP, LCS, 2023-2024
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (13)
1) L’argument théorique
Comme toute hypothèse théorique, l’hypothèse de l’inconscient a, avant tout, une fonction
explicative. De même qu’on a besoin du concept de gravitation pour expliquer certains
phénomènes (la chute des corps, les marées, le mouvement des planètes), on a besoin du
concept d’inconscient pour expliquer certains phénomènes de la vie quotidienne des hommes.
Exemples : les lapsus, les actes manqués, les rêves chez l’homme sain ; les symptômes
pathologiques chez l’homme malade.
Freud a le projet de faire une science de l’homme qui soit, en quelque sorte, « totale ». Rien dans
la vie des hommes ne devrait rester inexpliqué. Si Freud avance l’hypothèse de l’inconscient,
c’est donc au nom de la science. Refuser l’hypothèse de l’inconscient reviendrait, si on forçait le
trait, à faire reculer la science, à retourner à un âge obscurantiste. On se condamnerait ainsi au
mystère, au hasard, et à l’ignorance. Les hommes feraient telle ou telle chose, mais on ne
saurait pas pourquoi il en est ainsi.
GGP, LCS, 2023-2024
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (14)
2) L’argument pratique
Selon Freud, nous sommes d’autant plus justifiés à faire l’hypothèse que l’inconscient existe que
cette hypothèse permet de mettre au point des thérapies efficaces. Ce n’est pas seulement le
pouvoir explicatif qui compte (« le gain de sens et de cohérence ») : c’est aussi le pouvoir
thérapeutique (« une pratique couronnée de succès »). Or, si les patients guérissent, n’est-ce pas
une raison supplémentaire d’endosser l’hypothèse ? Cela semble indiquer, en outre, que
l’hypothèse fondamentale – sur laquelle l’ensemble de la thérapie repose – est vraie.
Freud avance ici un argument de type pragmatiste. Selon les pragmatistes (par exemple, le
philosophe américain William James qui a été un contemporain de Freud), on reconnaît une
théorie « vraie » à ses « bonnes » conséquences, au fait qu’elle nous permet d’agir avec succès.
Soucieux de convaincre, Freud va jusqu’à affirmer que le succès de la thérapie est une « preuve
incontestable » de l’existence de l’inconscient.
GGP, LCS, 2023-2024
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (15)
• Critique des deux arguments
1) Freud nous invite à voir dans tout comportement, aussi insignifiant soit-il, un signe
de l’inconscient. Or, le fait de voir des signes partout, n’est-ce pas le propre des
superstitieux ? À vouloir tout expliquer, le risque est de tomber dans la
superstition. L’argument de Freud prête ainsi le flanc à des critiques :
- D’une certaine manière, on pourrait dire que « trop de science tue la science » : il faut accepter
qu’on ne peut pas tout expliquer.
- On peut admettre la thèse déterministe selon laquelle tout phénomène a une cause. Cela
n’implique pas néanmoins que tout phénomène soit signifiant, ait un sens caché.
- La théorie de Freud a le tort d’être trop général (elle prétend expliquer toutes les actions humaines)
et mono-causal (tout s’expliquerait par l’inconscient) – ce qui la rapproche des théories non-
scientifiques comme les théories du complot.
GGP, LCS, 2023-2024
+
2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la
psychanalyse (16)
2) Le succès de la thérapie ne prouve rien. Le patient pourrait guérir, non pas parce
que les fondements théoriques de la démarche thérapeutique sont vrais, mais par
hasard, du fait d’un certain nombre de facteurs que la théorie psychanalytique
délaisse. Le simple fait de parler pourrait, par exemple, avoir des effets positifs sur
le patient. Autrement dit, la thérapie pourrait avoir de bons résultats, alors même
que l’inconscient n’existe pas. C’est une possibilité qu’on ne peut pas exclure.
• Si les arguments de Freud ne sont pas pleinement convaincants, la thèse
générale qu’il défend est néanmoins correcte : on ne peut pas réduire le psychisme à
la conscience. Que du non-conscient existe, nous avons, en effet, de multiples
preuves. Mais, nous allons le voir, cela n’implique pas que l’inconscient – tel que
Freud le conçoit – existe.
GGP, LCS, 2023-2024
+
3. Critiques de Freud (1)
a) La critique épistémologique
S’opposant à Freud, Karl Popper refuse d’accorder à la psychanalyse le statut de
science. Il défend la thèse selon laquelle la psychanalyse est (au même titre que le
marxisme) une pseudo-science.
Comment peut-on distinguer les sciences et les pseudo-sciences ?
Popper propose un critère de démarcation : le critère de falsifiabilité.
Une théorie est scientifique si et seulement elle est falsifiable, c’est-à-dire si on peut la
réfuter au moyen d’une expérience.
Or, selon Popper, la théorie freudienne ne satisfait pas ce critère. Elle est infalsifiable, et
donc non-scientifique.
GGP, LCS, 2023-2024
+
3. Critiques de Freud (2)
• Généralement, on considère comme scientifique toute théorie qui a été « prouvée » et
qui est donc « vraie ». Popper s’oppose à ce point de vue naïf. Ce qui définit la
science, paradoxalement, ce n’est pas la possession de la vérité, mais la possibilité
d’être dans l’erreur. Une théorie qui ne peut pas être fausse n’est pas scientifique.
Selon Popper, on peut « prouver » n’importe quelle théorie. Cela n’implique pas pour
autant que la théorie « prouvée » soit scientifique. Tout dépend, bien sûr, du type de
preuve qu’on apporte. Par ailleurs, une théorie qui a été correctement prouvée n’est
pas nécessairement « vraie ». Une expérience peut corroborer une théorie, mais elle
ne peut pas, en toute rigueur, la vérifier. Si on considère la théorie comme vraie, c’est
seulement de manière provisoire, en attendant de faire de nouvelles expériences.
GGP, LCS, 2023-2024
+
3. Critiques de Freud (3)
• Selon Popper, la psychanalyse n’est pas scientifique, car il n’y a aucun test
expérimental qui puisse la mettre en défaut.
Que les faits prédits ou attendus se produisent ou non, il est toujours possible de
réinterpréter les faits pour « sauver » la théorie. C’est ce que semble faire Freud.
Prenons l’exemple de la théorie du rêve. Selon cette théorie, non seulement tout rêve a
un sens, mais est l’accomplissement d’un désir. Or, pour être scientifique, cette théorie
doit être falsifiable : on doit pouvoir la tester et montrer qu’elle est fausse. N’y a-t-il pas
des rêves qui semblent réfuter cette théorie ? En fait, quel que soit le rêve examiné, Freud
l’interprète toujours de telle manière qu’il retombe sur ses pieds. Ainsi, il aurait toujours
raison. Mais ce n’est pas bon signe : cela semble indiquer que sa théorie n’est pas
scientifique !
GGP, LCS, 2023-2024
« Une autre de mes malades, la plus spirituelle de toutes mes rêveuses, a démontré d’une
manière plus simple encore comment le non-accomplissement d’un désir peut indiquer
l’accomplissement d’un autre. Je lui avais expliqué un jour que le rêve est
l’accomplissement d’un désir ; le lendemain elle rêvait qu’elle partait à la campagne avec sa
belle-mère. Je savais combien elle s’était débattue pour ne point passer l’été auprès de sa
belle-mère, je savais aussi que peu de jours avant elle s’était délivrée de cette terreur en
louant une maison de campagne très éloignée du lieu où sa belle-mère résidait. Le rêve
annulait la solution tant désirée, n’était-ce pas là précisément le contraire de ma théorie
? Assurément, on pouvait, pour comprendre ce rêve, s’en tenir à sa conclusion : d’après ce
rêve, j’avais tort ; elle désirait que j’aie tort, ce rêve montrait donc son désir comme
accompli. Mais le désir que j’aie tort, s’il se réalisait au sujet de la maison de campagne, avait
trait, en réalité, à un autre objet plus sérieux. Vers le même moment, j’avais conclu, à partir du
matériel qu’elle offrait à l’analyse, qu’il devait s’être passé quelque chose d’important pour sa
maladie dans une certaine période de sa vie. Elle l’avait nié parce qu’elle n’en trouvait pas de
traces dans sa mémoire. Nous reconnûmes peu après que j’avais eu raison. Son désir que je
puisse avoir tort qui, dans le rêve, prenait l’aspect d’un départ à la campagne avec sa belle
mère, répondait donc au désir très normal que la chose soupçonnée alors ne se fut
jamais passée. »
FREUD, L’interprétation du rêve (1900), chapitre 4 : « La déformation du rêve ».
La théorie freudienne du rêve est-elle falsifiable ?
+
3. Critiques de Freud (4)
• La psychanalyse ressemblerait, à cet égard, à l’astrologie. On ne peut pas falsifier
un horoscope. Si les événements de la journée semblent le démentir, on pourra
toujours les réinterpréter, afin de « sauver », malgré tout, la prédiction.
Il en va de même pour les théories du complot. Un complot est, par définition,
secret, et ne laisse aucune trace. Aussi est-il normal, selon les « complotistes », de
ne trouver aucune preuve. Paradoxalement, l’absence de preuves, loin de réfuter la
théorie, est réinterprétée comme un signe positif en faveur de la théorie. Quels que
soient les faits, qu’il y ait des preuves ou non, les « complotistes » ont toujours raison.
Or, « avoir toujours raison », loin d’être une vertu (une qualité), est un vice (un
défaut). En particulier, le fait d’avoir toujours raison est anti-scientifique,
contraire à l’esprit même de la science.
GGP, LCS, 2023-2024
« Quant à l’épopée freudienne du Moi, du Ça et du Surmoi, on n’est pas plus fondé à en
revendiquer la scientificité que dans le cas de ces récits qu’Homère avait recueillis de la
bouche des dieux. Certes, les théories psychanalytiques étudient certains faits, mais
elles le font à la manière des mythes. Elles contiennent des indications psychologiques
fort intéressantes, mais sous une forme qui ne permet pas de les tester. »
Karl POPPER (1902-1994), Conjectures et réfutations (1963), Payot, 2006, p. 66-67.
« Voyez l’idée de Freud selon laquelle l’anxiété est toujours, d’une façon ou d’une autre,
une répétition de l’anxiété que nous avons éprouvée à la naissance. Il ne l’établit pas en
se référant à une preuve – comment le pourrait-il ? Mais voilà une idée qui a un
caractère attrayant prononcé. Elle est attrayante comme le sont les explications
mythologiques, ces explications qui disent que tout est répétition de quelque chose qui
est arrivé antérieurement. Et quand les gens acceptent ou adoptent de telles vues, il y a
certaines choses qui leur paraissent beaucoup plus claires et d’un accès beaucoup
plus aisé. Il en va de même de la notion de l’inconscient. »
Ludwig WITTGENSTEIN (1889-1951), « Conversations sur Freud » (1942) dans Leçons et
conversations, Gallimard, « Folio Essais », p. 91.
La psychanalyse relève-t-elle du mythe ?
+
3. Critiques de Freud (5)
b) La critique scientifique
Les travaux récents dans le domaine des neurosciences donnent-ils raison à Freud ?
La réponse du neurologue français Lionel Naccache est nuancée mais claire.
D’un côté, il rend hommage à Freud. « Élaborer un discours contemporain sur l’inconscient et
faire l’économie d’une discussion de la pensée freudienne relèverait, je le crois, du mépris ou de
l’ignorance, bref, d’une forme de barbarie intellectuelle. » (Le nouvel inconscient, 2006, p. 13).
D’un autre côté, après avoir comparé l’inconscient freudien et l’inconscient cognitif (l’inconscient
tel qu’il est compris par les neurosciences), le bilan qu’il fait est sans appel : « Les spécificités
de l’inconscient freudien, telles que la vision topique de l’inconscient ou le concept de
refoulement, nous sont apparues totalement irrecevables d’un point de vue
neuroscientifique. » (ibid., p. 371)
GGP, LCS, 2023-2024
+
3. Critiques de Freud (6)
• Selon Naccache, il y a des points de convergence entre la théorie de Freud et les
neurosciences. En particulier, les chercheurs en neurosciences sont d’accord avec Freud pour
dire que la vie mentale inconsciente a une richesse qui a été pendant longtemps très largement
insoupçonnée. Mais les points de divergence entre l’inconscient freudien et l’inconscient
cognitif sont considérables.
1) L’usage du mot « inconscient » comme substantif pose problème. Il laisse croire à
l’existence d’une entité unifiée et indépendante : « l’inconscient ». Or selon les neurosciences,
un tel inconscient n’existe pas : les états mentaux inconscients n’ont pas d’unité ; non
seulement ils sont très diversifiés, mais ils sont, en outre, étroitement liés aux états mentaux
conscients.
2) La conception topique de l’inconscient ne fait que renforcer le même travers. Même si la
représentation spatiale est seulement métaphorique, elle laisse croire à un « lieu » qui
contiendrait et réunirait tous les états mentaux inconscients. Un tel lieu n’existe pas.
GGP, LCS, 2023-2024
+
3. Critiques de Freud (7)
3) Le concept de refoulement est, selon l’aveu même de Freud, « le pilier sur lequel repose
l’édifice de la psychanalyse » (Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, 1914).
Or celui-ci est très problématique. Pourquoi ? Parce que le refoulement est défini
explicitement par Freud comme un processus inconscient.
Le sujet « refoule », c’est-à-dire qu’il rejette hors de sa conscience les représentations qui le
troublent ou le perturbent, mais il fait cela sans le savoir, sans en avoir conscience. Comment
est-ce possible ?
- D’un point de vue conceptuel, Sartre avait insisté sur le fait que l’idée d’un refoulement inconscient est
contradictoire. Pour refouler, il faut choisir. Or, pour choisir, il faut savoir, donc être conscient. « En un
mot, comment la censure discernerait-elle les impulsions refoulables sans avoir conscience de les
discerner ? » (L’être et le néant, 1943)
- D’un point de vue empirique, les neurosciences ont établi que les mécanismes de contrôle cognitif sont
toujours conscients. « L’idée d’un refoulement au sens freudien semble en contradiction totale avec les
données expérimentales. » (Naccache, op. cit., p. 352)
GGP, LCS, 2023-2024
+
3. Critiques de Freud (8)
4) Un autre point de divergence majeur entre l’inconscient freudien et l’inconscient cognitif concerne le
contenu de l’inconscient. Chez Freud, il s’agit d’un contenu essentiellement sexuel et infantile. Or,
les neurosciences ont montré que les états mentaux inconscients sont très variés et interviennent, par
exemple, dans la perception (voir le phénomène de blindsight, la prosopagnosie, etc.). On ne peut donc
pas réduire, comme le fait Freud, la vie mentale inconsciente à la sexualité et à l’enfance.
5) Certes, l’inconscient est, par définition, ce dont on ne peut pas faire l’expérience, puisque toute
expérience est nécessairement consciente. Seulement, Freud a fini, malgré ses précautions, par
projeter sur « l’inconscient » des caractéristiques de la conscience. Ainsi, on retrouve sous sa plume
des formules qui semblent personnaliser l’inconscient, en faire une « seconde » conscience, un autre
« moi ». Naccache conclut : « Ce qui en définitive me pose donc problème avec l’inconscient
freudien, ce n’est pas sa richesse, mais plutôt son étrange et suspecte ressemblance avec la
conscience ! » (p. 361) Freud a attribué à l’inconscient « des propriétés dont il n’a pas réalisé qu’elles
étaient le propre de la conscience » (p. 363). Par exemple, seule la conscience a une unité, une volonté,
s’exprime en utilisant un langage etc.
GGP, LCS, 2023-2024
« La conception de l’inconscient qui s’offre à nous est donc celle d’une
multiplicité de processus mentaux inconscients qui coexistent et qui se
distinguent les uns des autres tant par leur corrélat cérébral que par leur
complexité représentationnelle. Ces différentes formes de processus mentaux
inconscients ne semblent rien partager d’autre que le critère négatif que nous
utilisons pour les regrouper ensemble : ils sont inconscients, c’est-à-dire qu’ils
ne sont pas rapportables1 par le sujet qui les héberge. En ce sens, il est
incorrect d’utiliser le singulier pour les qualifier sous le terme générique
d’"inconscient", alors qu’ils sont dans les faits une population bigarrée et
multiforme d’êtres indépendants. Par commodité, nous continuerons
cependant à les réunir sous ce vocable piège d’inconscient cognitif au
singulier. »
Lionel Naccache, Le nouvel inconscient. Freud, le Christophe Colomb des
neurosciences, Odile Jacob, 2006, p. 216.
1. Naccache considère la « rapportabilité » comme le critère qui permet de distinguer un état mental
conscient d'un état mental inconscient. Un état mental est conscient quand le sujet sait qu'il a un tel état
mental et qu'il peut le rapporter à soi et à d'autres. « Tout ce dont nous avons conscience est
rapportable et tout ce que nous rapportons est conscient. » (p. 229)
L’inconscient à l’époque des neurosciences
L’inconscient du point de vue de la sociologie
« Une théorie de l’inconscient refoulé est un point problématique du point de vue non seulement des
neurosciences et de la psychologie cognitive, mais aussi de la sociologie dispositionnaliste qui montre que
le continent du non-conscient est composé de l’ensemble des expériences antérieures
constitutives de l’individu, mais dont il ne peut en permanence garder le souvenir conscient. Non
pas parce que ces expériences seraient nécessairement douloureuses, indicibles et donc à "refouler", mais
parce que l’enfant, puis l’adolescent et l’adulte ne peuvent "apprendre" à agir, voir, sentir, etc., d’une
certaine façon tout en sachant précisément, clairement, ce qu’ils sont en train d’apprendre. Il y a, comme
disait Bourdieu, "amnésie de la genèse". Nos expériences passées successives, depuis la naissance
jusqu’au moment présent, sont constitutives de notre personnalité, de nos perceptions, appréciations,
représentations et actions, sans que nous en soyons forcément conscients. L’individu ne tient pas ses
expériences passées devant lui comme un "avoir" ou un "acquis" : elles sont une part constitutive de lui-
même qui détermine en partie, sans qu’il en soit conscient, ses représentations ou ses actes. Dans toute
relation, l’individu engage des éléments inconscients (il faudrait parler, de manière moins réifiante,
d’éléments non conscients) de son passé qui se sont sédimentés sous la forme de manières de voir,
de sentir et d’agir, bref de dispositions (ou de schèmes) et de compétences générales ou
spécifiques. (...)
Non seulement le caractère inconscient du passé incorporé est dû à l’amnésie de la genèse, c’est-à-
dire à l’incapacité dans laquelle nous sommes de nous souvenir de ce qui nous a constitué, mais il est lié
aussi au fait qu’une grande partie de ce que nous incorporons n’est ni explicite, ni conscient. La
psychologie cognitive "montre par exemple que, dans le domaine de la perception sensorielle et de l’emploi
du langage, sont souvent utilisées des règles inconscientes ne pouvant en partie jamais être conscientes,
sans qu’elles soient pour autant refoulées". »
Bernard LAHIRE, L’interprétation sociologique des rêves, 2018.
.
+
3. Critiques de Freud (9)
c) La critique morale
• Si l’inconscient existe, alors il n’y a pas de libre arbitre. Or, s’il n’y a pas de libre
arbitre, il n’y a pas de responsabilité. Et s’il n’y a pas de responsabilité, il n’y a pas de
morale possible : nous ne pouvons pas juger les hommes.
Admettre l’hypothèse de l’inconscient, c’est donc, semble-t-il, renoncer à toute
morale. Si « le moi n’est pas maître dans sa propre maison », comment pourrait-on le
tenir pour responsable de ses actes et le juger ?
Du point de vue de Sartre, celui qui dit agir sous l’impulsion de son inconscient est de
mauvaise foi. Non seulement il se ment à lui-même, mais il est lâche. L’inconscient
est une excuse facile pour ne pas assumer ses actes et échapper à ses
responsabilités.
GGP, LCS, 2023-2024
+
3. Critiques de Freud (10)
• L’idée même de déterminisme psychique est incompatible avec celle de libre arbitre
– ce que Freud reconnaît tout à fait. On retrouve même sous sa plume l’expression :
« l’illusion du libre arbitre » (L’inquiétante étrangeté et autres essais, « Folio
Essais », p. 238).
Pourtant, chez Freud, comme chez Spinoza, on peut devenir libre. La liberté
n’est pas donnée, certes. Mais elle s’acquiert. Mieux : elle se conquiert. Pour être
libre, il faut se connaître.
Or, la psychanalyse est une voie possible pour se connaître.
Elle doit nous aider, à terme, à devenir maîtres de nous-mêmes. C’est ce que Freud
rappelle dans une formule restée célèbre :
« Là où était le ça, le moi doit advenir. » (Wo Es war, soll Ich werden.)
GGP, LCS, 2023-2024
Descartes Les critiques de Descartes
1) Le rapport entre
la pensée et la
conscience
Pensée = conscience
Pensée ≠ conscience
(Leibniz, Nietzsche, Freud)
2) Le rapport entre
la conscience et la
connaissance
Conscience = connaissance
(« Je pense donc je suis. »)
Conscience ≠ connaissance
(Spinoza, Nietzsche, Freud)
3) La question du
libre arbitre
Le libre arbitre est une évidence.
« La liberté de la volonté se connaît sans preuve par la seule
expérience que nous en avons. »
Le libre arbitre n’existe pas. C’est :
- une illusion de la conscience (Spinoza) ;
- une fiction des théologiens (Nietzsche).
Freud : « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison. »
4) La question du
sujet
« Je pense » est une vérité indubitable.
Il y a un sujet (« moi ») qui fait l’action. (« penser »).
Est-ce moi qui pense ?
Le sujet est une fiction grammaticale (Nietzsche).
5) La question de
l’inconscient
Il n’y a pas de pensées inconscientes.
NB : Descartes admet néanmoins que le corps puisse
influencer l’esprit à son insu (lettre à Chanut du 6 juin 1647).
Il admet donc l’existence d’un inconscient (ou non-conscient)
corporel.
• Il y a du non-conscient :
- Du non-conscient perceptif (Leibniz) ;
- Du non-conscient corporel (Spinoza, Nietzsche) ;
- Du non-conscient linguistique (Nietzsche) ;
- Du non-conscient social (Marx, Durkheim, Bourdieu) ;
- Du non-conscient cognitif (Naccache).
• Il y a un inconscient psychique (Freud).
+
Suggestions de lecture (pour aller plus loin)
 Pour s’introduire à la psychanalyse freudienne :
- Sigmund Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse (1910).
- Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse (1915-1917).
 Pour un point de vue critique :
- Jacques Bouveresse, Philosophie, mythologie et pseudo-science. Wittgenstein
lecteur de Freud, Éditions de l’éclat, 1991
- Adolf Grünbaum, La psychanalyse à l’épreuve, Éditions de l’éclat, 1993.
- Lionel Naccache, Le nouvel inconscient. Freud, le Christophe Colomb des
neurosciences, Odile Jacob, 2006.
GGP, LCS, 2023-2024

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L'inconscient existe-t-il ? (G.Gay-Para)

  • 2. « Il existe des pensées auxquelles nous obéissons sans les connaître : elles sont en nous à notre insu. Quoique cette réflexion puisse paraître plus paradoxale que vraie, chaque personne de bonne foi en trouvera mille preuves dans sa vie. » Balzac, La femme de trente ans.
  • 3. + Plan 1. Les limites de la conscience a) La théorie des petites perceptions (Leibniz) b) Le sujet comme fiction grammaticale (Nietzsche) c) Conscience et vie sociale (Marx, Bourdieu) 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse a) Inconscient et refoulement b) Les deux topiques c) Peut-on connaître l’inconscient ? d) La double justification de l’inconscient 3. Critiques de Freud a) La critique épistémologique (Popper) b) La critique scientifique (Naccache) c) La critique morale
  • 4. + Introduction (1)  Les usages du mot « inconscient » • Est inconscient, par définition, ce qui n’est pas conscient. Dans « inconscient », le préfixe « in » exprime l’idée de négation. • On peut utiliser le mot « inconscient » soit comme un adjectif, soit comme un substantif. - En tant qu’adjectif, il a deux sens principaux. On peut l’utiliser pour qualifier une personne : 1) qui a perdu connaissance, ou 2) qui est insouciante, qui agit de manière irréfléchie. - En tant que substantif, le mot « inconscient » a un autre sens. Il désigne, non pas une propriété, mais une sorte d’entité. Il désigne la partie inconsciente de notre esprit (ou de notre psychisme). C’est Sigmund Freud (1856-1939), le père fondateur de la psychanalyse, qui a contribué à populariser cet usage du mot. GGP, LCS, 2023-2024
  • 5. conscient L’inconscient (Subst.) ≠ ≠ L’inconscience Inconscient (Adj.) Être non-conscient (ex : être évanoui) Agir de manière insouciante ou irréfléchie (ex : agir sans se rendre compte du danger) ≠ La conscience La partie inconsciente de notre psychisme ≈ Le subconscient
  • 6. + Introduction (2)  L’inconscient selon Freud • Au fondement de la psychanalyse, il y a l’hypothèse selon laquelle notre esprit ou notre psychisme serait divisé en deux parties distinctes : 1) La conscience (ou le conscient) : partie à laquelle nous avons accès et qui contient toutes les pensées qui sont en nous et que nous connaissons. 2) L’inconscient : partie à laquelle nous n’avons pas accès et qui agit en nous, à notre insu. Freud est, avant tout, un médecin. C’est en tant que médecin, et non tant que philosophe, qu’il est conduit à formuler l’hypothèse de l’inconscient. Grâce à cette hypothèse, il a pu expliquer et guérir certaines maladies psychiques (en particulier, l’hystérie). Or cette hypothèse a suscité et suscite encore d’importants débats scientifiques et philosophiques. GGP, LCS, 2023-2024
  • 7. + Introduction (3)  Problématisation • De prime abord, nous ne connaissons de notre vie intérieure que ce dont nous sommes conscients. Or, par définition, l’inconscient échappe à la conscience. Comment peut-on donc le connaître ? N’est-il pas précisément inconnaissable ? Si c’est le cas, comment pouvons-nous être sûrs qu’il existe ? On peut, certes, concéder à Freud que nous ne sommes pas conscients de tout ce qui se passe en nous. Mais qu’il y ait en nous des pensées, des états mentaux, ou des processus cognitifs non-conscients n’implique pas nécessairement que « l’inconscient » existe. La théorie de Freud ne tomberait-t-elle pas sous le coup du rasoir d’Occam ? NB : on appelle « rasoir d’Occam » la règle méthodologique suivante : « On ne doit pas admettre plus d’entités que ce qui est absolument nécessaire » (Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem). Exemple : le phlogistique. GGP, LCS, 2023-2024
  • 8. + Introduction (4) • L’hypothèse de l’inconscient soulève deux problèmes majeurs. 1. Le problème de la connaissance de soi : si l’inconscient existe, puis-je me connaître ? Admettre l’existence de l’inconscient, c’est reconnaître que la conscience n’est pas transparente à elle- même, qu’elle a une part d’ombre. C’est reconnaître aussi que la connaissance que nous croyons avoir de nous-mêmes est incomplète, partielle, superficielle. Paradoxalement, chacun serait pour soi-même l’être à la fois le plus proche et le plus lointain. Qui est plus proche de moi que moi ? Personne : je suis le seul à me connaître de l’intérieur, à connaître mes pensées « intimes », à être... « moi ». Et pourtant, malgré cette proximité et cette familiarité, je pourrais être un étranger pour moi-même. 2. Le problème de la liberté : si l’inconscient existe, puis-je être libre ? Admettre l’existence de l’inconscient, c’est reconnaître que la conscience n’est pas autonome, qu’elle est déterminée par des forces qu’elle ignore. C’est donc remettre en question l’existence du libre arbitre. Cf. Freud : « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison. » (« Une difficulté de la psychanalyse », 1917) GGP, LCS, 2023-2024
  • 9. + 1. Les limites de la conscience (1) a) La théorie des petites perceptions (Leibniz) Bien avant Freud, Leibniz (1646-1716) a révélé l’existence de phénomènes psychiques non- conscients. Il a ainsi élaboré ce qu’on considère souvent comme la première théorie de l’inconscient. • Avant de l’aborder, il est utile de revenir à Descartes. Selon ce dernier, toute pensée est consciente. Dès que j’ai une pensée, je sais que j’ai cette pensée, car elle apparaît clairement en moi. Par exemple, si je veux une chose, je sais nécessairement que je la veux. De même, si je perçois une chose, je sais nécessairement que je la perçois. Il serait absurde de vouloir une chose, sans savoir qu’on la veut, ou de percevoir une chose, sans savoir qu’on la perçoit. Descartes n’envisage à aucun moment qu’une pensée puisse être inconsciente. Pourquoi ? En fait, cela vient de sa propre définition de la pensée. GGP, LCS, 2023-2024
  • 10. La conscience selon Descartes La pensée = la conscience « Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous- mêmes1 ; c’est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir, est la même chose ici que penser. » Descartes, Principes de la philosophie, I, 9. 1. Cogitationis nomine, intelligo illa omnia, quæ nobis consciis in nobis fiunt, quatenus eorum in nobis conscientia est.
  • 11. + 1. Les limites de la conscience (2) • Attention : 1) Descartes utilise le mot « pensée » (cogitatio) dans un sens très large pour désigner une grande diversité d’états mentaux. 2) Il définit la pensée par la conscience. Il n’est donc pas étonnant que, pour lui, toute pensée soit consciente, car il inclut le fait d’être conscient dans la définition même de la pensée. NB : Le mot « conscience » au sens psychologique du terme est tardif. Il apparaît dans la langue française, après Descartes, suite à la traduction française de John Locke à la fin du XVIIe siècle. Le traducteur français de Locke, Pierre Coste, ne savait pas comment traduire le mot anglais « consciousness ». Il décide alors d’utiliser le mot « conscience » mais en lui donnant un sens nouveau. Rappelons que le mot « conscience » en français avait, au départ, un sens seulement moral. GGP, LCS, 2023-2024
  • 12. + 1. Les limites de la conscience (3) • S’opposant à Descartes, Leibniz admet l’existence de pensées « inconscientes ». Il défend la thèse selon laquelle il y a, en nous, et à chaque instant, une infinité de petites perceptions dont nous n’avons pas conscience. Ainsi, selon lui, il est tout à fait possible de percevoir sans savoir qu’on perçoit. Pour illustrer et justifier sa thèse, il a recours à deux exemples. 1) L’exemple de l’habitude : avec le temps, nous finissons par ne plus nous apercevoir des perceptions auxquelles nous sommes habitués. Notre corps continue de percevoir, mais, notre esprit étant concentré sur autre chose, nous ne nous en rendons pas compte. 2) L’exemple du bruit de la mer : que se passe-t-il lorsque, au bord du rivage, nous écoutons la mer ? Nous entendons le bruit global qui est fait par l’ensemble des vagues qui déferlent. Mais ce bruit global est composé d’une infinité de petits bruits (les bruits faits par chaque vague, voire par chaque gouttelette d’eau). Or ces petits bruits sont trop infimes pour que nous puissions les entendre distinctement. Aussi infimes soient-ils, ils existent néanmoins. Et nous les percevons, mais sans en être conscients. GGP, LCS, 2023-2024
  • 13. La théorie des petites perceptions de Leibniz Aperception Perception NB : Leibniz distingue la perception et l’aperception. Il appelle « aperception » la perception consciente. Dans le cas de l’aperception, le sujet perçoit et sait qu’il perçoit. La perception ≠ la conscience
  • 14. + 1. Les limites de la conscience (4) • Chez Leibniz, les perceptions « inconscientes » sont donc : - soit des perceptions qui ne retiennent pas notre attention ; - soit des perceptions qui sont trop nombreuses et d’intensité trop faible pour être perçues consciemment. Que telles perceptions existent, c’est inévitable. D’une part, la conscience est nécessairement sélective : nous ne pouvons pas, à chaque instant, être conscients de tout ce qui se passe en nous ou hors de nous. D’autre part, il y a un seuil d’intensité des perceptions, lié à notre constitution biologique, en deçà duquel il n’y a pas d’aperception, c’est-à-dire de conscience, possible. Lorsqu’une perception est trop faible pour atteindre ce seuil, notre corps la traite et l’enregistre mais ne prend pas la peine de nous en avertir. Notons qu’il n’y a pas, chez Leibniz, de différence de nature entre les perceptions conscientes et les perceptions inconscientes, mais une différence de degré. GGP, LCS, 2023-2024
  • 15. + 1. Les limites de la conscience (5) • Chez Leibniz, l’inconscient (si l’on veut à tout prix utiliser ce mot) n’est qu’un moindre degré de conscience. Entre conscience et inconscient, il n’y a pas opposition mais complémentarité. D’une part, une perception inconsciente (si elle est d’une intensité suffisante) peut devenir consciente, pour peu que l’individu fasse un effort de mémoire ou d’attention. D’autre part, la perception consciente elle-même est constituée, à bien y regarder, d’une infinité de perceptions inconscientes. Autrement dit, il n’y a pas d’inconscient sans conscience, ni de conscience sans inconscient. • La théorie des petites perceptions conduit Leibniz à critiquer le libre arbitre, et en particulier, une forme extrême de celui-ci : la liberté d’indifférence. Selon Leibniz, une telle liberté n’existe pas. Lorsque le sujet croit choisir de manière arbitraire, n’ayant aucune raison de préférer telle chose à telle autre, il est, en fait, déterminé à son insu par ses petites perceptions. « Ce sont ces petites perceptions qui nous déterminent en bien des rencontres sans qu’on y pense et qui trompent le vulgaire par l’apparence d’une indifférence d’équilibre, comme si nous étions indifférents de tourner par exemple à droite ou à gauche. » GGP, LCS, 2023-2024
  • 16. + 1. Les limites de la conscience (6) • Pour finir, il faut souligner que la théorie des petites perceptions de Leibniz est confirmée, à bien des égards, par la science contemporaine. Qu’il y ait des perceptions inconscientes est aujourd’hui tout à fait admis. Deux phénomènes ont attiré, en particulier, l’attention des chercheurs en neurosciences : 1) Le phénomène de blindsight (ou de vision aveugle) : suite à une lésion cérébrale, certaines personnes ne voient rien dans une partie de leur champ visuel. Or, elles ne sont pas pour autant aveugles. En fait, elles voient, mais sans en avoir conscience. 2) La prosopagnosie : les patients dits « prosopagnosiques » ont perdu la capacité de reconnaître des visages familiers. En fait, des tests ont montré qu’il s’agit d’une maladie de la conscience. Paradoxalement, la reconnaissance du visage familier a bien eu lieu, comme certains signes du corps le suggèrent, mais le patient ne le sait pas. Il faut en conclure que, comme Leibniz le pressentait, « il existe bien des processus perceptifs, et même moteurs, qui agissent à l’insu de notre conscience » (Lionel Naccache, Le nouvel inconscient, 2006, p. 19). GGP, LCS, 2023-2024
  • 17. + 1. Les limites de la conscience (7) b) Le sujet comme fiction grammaticale (Nietzsche) Selon Descartes : 1) La pensée se réduit à la conscience. 2) La conscience de soi est une connaissance de soi. 3) Le libre arbitre existe. 4) Il y a un « moi » qui pense. Nietzsche remet en question ces quatre points. 1) Comme Leibniz, il refuse de réduire la pensée à la conscience. « Durant des périodes extrêmement longues, on a considéré la pensée consciente comme la pensée en général : ce n'est qu'aujourd'hui que nous voyons poindre la vérité, à savoir que la plus grande partie de notre activité intellectuelle se déroule sans que nous en soyons conscients, sans que nous la percevions. » (Le gai savoir, § 333 ; voir aussi § 357) GGP, LCS, 2023-2024
  • 18. + 1. Les limites de la conscience (8) 2) Comme Spinoza, Nietzsche critique la conscience. Celle-ci ne révèle qu’une partie de notre être – et encore la partie la plus petite et la plus superficielle. La conscience, dit Nietzsche, « c’est une surface » (Ecce homo, II, § 9). Mais qu’est-ce qu’il y a sous la surface ? Le corps avec ses instincts, ses pulsions et ses affects ! Notre vie psychique consciente est dominée, en grande partie, par eux. Or ils sont très largement infra-conscients : ils agissent en nous, sans nous, à notre insu. C’est le cas chez tout le monde et, en particulier, chez les philosophes : «... la plus grande part de la pensée consciente d’un philosophe est clandestinement guidée et poussée dans des voies déterminées par ses instincts. » (Par-delà bien et mal, § 3) Il en résulte que nous ne nous connaissons pas nous-mêmes : « Nous demeurons nécessairement étrangers à nous-mêmes, nous ne nous comprenons pas, nous ne pouvons pas éviter le quiproquo sur nous-mêmes, pour nous vaut de toute éternité cette phrase : "chacun est pour soi-même le plus lointain". » (Généalogie de la morale, Avant-propos, § 1) GGP, LCS, 2023-2024
  • 19. La conscience selon Nietzsche Le corps La conscience Instincts Pulsions Affects « Je suis tout entier corps, et rien d’autre. » Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, I « Des contempteurs du corps ».
  • 20. + 1. Les limites de la conscience (9) 3) Selon Nietzsche, le libre arbitre est : - une illusion de la conscience. Comme Spinoza, Nietzsche considère la volonté, non pas comme une cause première, mais comme l’effet d’un processus infraconscient qui fait intervenir les instincts, les pulsions et les affects du corps. - une fiction inventée par les théologiens et les moralistes, lesquels sont précisément animés... par des instincts (non-conscients) : « l'instinct de punir et de juger » (Crépuscule des idoles, « Les quatre grandes erreurs », § 7). 4) Nietzsche remet en question non seulement l’existence du libre arbitre, mais aussi l’existence du sujet (ou du « moi »). C’est l’objet du § 17 de Par-delà bien et mal. Examinons-le. Pour comprendre ce texte, il faut, de nouveau, revenir à Descartes. « Je pense » (cogito) : voilà, à première vue, une vérité absolument certaine et donc indubitable. Je peux douter de tout, mais je ne peux pas douter que c’est moi qui doute et donc qui pense. Or, est-ce aussi simple ? GGP, LCS, 2023-2024
  • 21. « Pour ce qui est de la superstition des logiciens : je ne me lasserai pas de souligner sans relâche un tout petit fait que ces superstitieux rechignent à admettre, – à savoir qu’une pensée vient quand « elle » veut, et non quand « je » veux ; de sorte que c’est une falsification de l’état de fait que de dire : le sujet « je » est la condition du prédicat « pense ». Ça pense : mais que ce « ça » soit précisément le fameux vieux « je », c’est, pour parler avec modération, simplement une supposition, une affirmation, surtout pas une « certitude immédiate ». En fin de compte, il y a déjà trop dans ce « ça pense » : ce « ça » enferme déjà une interprétation du processus et ne fait pas partie du processus lui-même. On raisonne ici en fonction de l’habitude grammaticale : « penser est une action, toute action implique quelqu’un qui agit, par conséquent » – ». NIETZSCHE, Par-delà bien et mal, § 17. Quand « je » pense, est-ce vraiment « moi » qui pense ?
  • 22. + 1. Les limites de la conscience (10) • Quand je pense, à première vue, c’est moi qui pense. Pourtant, par expérience, je sais que ma propre pensée peut m’échapper : quand je cherche une idée, par exemple, celle-ci ne vient pas quand je veux ; je dois attendre l’inspiration. Ce « tout petit fait » suggère que je ne suis pas complètement maître de ma pensée. Problème : est-ce bien moi qui pense ? La pensée n’est-elle pas un processus impersonnel et autonome, qui s’accomplit, certes, en moi, mais sans moi, et donc à mon insu ? Si c’est le cas, selon Nietzsche, je ne peux pas dire que « je » pense. Tout au mieux, on peut dire : « ça » pense (es denkt). Et encore. Nietzsche utilisera, dans un fragment posthume, une autre formule : cogitatur (en latin, c’est le verbe « cogito » conjugué au présent de la voix passive ; on peut traduire ainsi : « il est pensé » ou « on pense »). NB : en affirmant que nous ne contrôlons pas complètement nos propres pensées, Nietzsche s’oppose non seulement à Descartes mais aussi aux Stoïciens. GGP, LCS, 2023-2024
  • 23. + 1. Les limites de la conscience (11) • Descartes est l’un de ces logiciens « superstitieux » que Nietzsche fustige. S’il avait retranscrit la réalité telle qu’elle est, il aurait dû renoncer à dire « je pense » (cogito). Loin d’être un fait objectif, « je pense » n’est qu’une interprétation. Loin d’être une vérité indubitable, ce n’est qu’une croyance. Mais d’où vient cette croyance ? Nietzsche ne se contente pas de dénoncer « la superstition » du sujet : il révèle aussi son origine. C’est la grammaire. Comme « penser » est un verbe, tout verbe ayant un sujet, Descartes raisonne, sans le savoir, de manière grammaticale. Il y a de la pensée. Mais qui pense ? « Moi ». Je suis le sujet du verbe « penser ». En fait, il faut se méfier des catégories grammaticales. Pourquoi ? Réponse de Nietzsche : ce n’est pas parce que toute phrase est composée d’un sujet, d’un verbe et d’un complément que de telles entités existent dans la réalité. La structure de la langue ne correspond pas nécessairement à la structure de la réalité. C’est la langue qui nous fait croire qu’il y a un sujet. Mais, en fait, dans la réalité, selon Nietzsche, un tel sujet n’existe pas. « Il n’existe aucun "être" derrière l’agir, le faire, le devenir ; "l’agent" est un ajout de l’imagination, car l’agir est tout. » (Généalogie de la morale, I, §13) GGP, LCS, 2023-2024
  • 24. + 1. Les limites de la conscience (12) • Descartes a douté des préjugés de l'enfance, mais il n'a pas remis en question les croyances véhiculées par la grammaire. S’il croit à l’existence d’un sujet pensant, c’est d’abord parce qu’il croit à la grammaire. Paradoxe : le langage n'est pas neutre. Il n’est pas un simple outil de communication. Il a un impact inconscient non seulement sur notre perception de la réalité, mais aussi sur notre propre pensée. - Selon Nietzsche, chaque langue est porteuse d’une vision du monde, véhicule des croyances, lesquelles sont très largement inconscientes. « Il y a, cachée dans la langue, une mythologie philosophique qui perce et reperce à tout moment, si prudent qu’on puisse être par ailleurs. » (HTH, II, « Le voyageur et son ombre », §11) « Chaque mot est un préjugé. » (§ 55) - Au XXe siècle, la linguistique confirmera les intuitions de Nietzsche. Nous percevons le réel à travers les catégories de notre langue. Cf. Émile Benveniste : « Nous pensons un univers que notre langue a déjà modelé. » (Problèmes de linguistique générale) Voir l’hypothèse Sapir-Whorf. GGP, LCS, 2023-2024
  • 25. « Là où se trouve une parenté linguistique, il est absolument inévitable que du fait de la philosophie commune de la grammaire – je veux dire du fait de la domination et de l’aiguillage inconscients exercés par de mêmes fonctions grammaticales – tout soit préparé d’emblée pour une évolution et une succession semblables des systèmes philosophiques : de même que la voie soit barrée à certaines autres possibilités de commentaires du monde. Il est très probable que des philosophes du domaine linguistique ouralo-altaïque (celui dans lequel le concept de sujet est le moins développé) porteront "sur le monde" un regard autre et se rencontreront sur des voies autres que des Indo-germains ou des musulmans : le charme exercé par des fonctions grammaticales déterminées est en dernière analyse le charme exercé par des jugements de valeur physiologiques et des conditions de race. » NIETZSCHE, Par-delà bien et mal, § 20. L'action inconsciente de la grammaire sur la pensée
  • 26. + 1. Les limites de la conscience (13) c) Conscience et vie sociale (Marx, Bourdieu) • Si, chez Nietzsche, c’est le corps qui est premier par rapport à la conscience, chez Marx (1818-1883), c’est la vie sociale. « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être mais inversement leur être social qui détermine leur conscience. » (Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, Avant-propos,1859) Comment comprendre cette phrase ? Selon Marx, l’homme est, d’abord et avant tout, un être vivant. Il a des besoins à satisfaire pour survivre. Pour satisfaire ses besoins, il doit travailler. Or, son travail se réalise toujours dans des conditions sociales déterminées. Ce qui est donc premier, selon Marx, ce n’est pas la conscience, mais le travail, l’activité de production qui permet à l’homme de se maintenir en vie, et qui suppose des relations avec d’autres hommes, donc une vie sociale. GGP, LCS, 2023-2024
  • 27. + 1. Les limites de la conscience (14) → Marx suit ainsi la voie ouverte par Spinoza : la conscience, loin d’être première et autonome, est déterminée par des causes extérieures ; elle dépend, en fait, de la vie en société. Ainsi, selon Marx, tout ce qu’il y a dans ma tête – ce que je veux, ce que je crois, ce que je pense – est déterminé, même si je n’en suis pas conscient, par ma place dans l’activité sociale de production, et donc in fine par ma classe sociale. Autrement dit, la conscience d’un individu est le reflet de sa position dans la société. NB : Marx est matérialiste, et non idéaliste. Il défend la thèse selon laquelle le réel est, d’abord et avant tout, matériel. Il s’oppose aux philosophes idéalistes (Platon, Hegel) qui donnent le primat, non pas à la matière, mais aux idées. Rappelons que Platon est le « père fondateur » de l’idéalisme : ce qui est « réellement réel », selon lui, ce n’est pas la matière que je peux voir et toucher, mais ce qu’il appelle les Idées (ou les Formes). Marx reproche aux philosophes idéalistes de prendre les choses à l’envers : ce ne sont pas les idées qui déterminent la matière, mais la matière qui détermine les idées. GGP, LCS, 2023-2024
  • 28. « Par opposition complète à la philosophie allemande qui descend du ciel vers la terre, ici on monte de la terre vers le ciel. C’est-à-dire qu’on ne part pas de ce que les hommes disent, s’imaginent, se représentent, qu’on ne part pas non plus de ce qu’on dit, de ce qu’on pense, de ce qu’on s’imagine, de ce qu’on se représente être les hommes pour en arriver aux hommes en chair et en os ; on part des hommes effectivement actifs, et à partir de leur processus vital effectif, on présente également le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital. Même les représentations nébuleuses qui se forment dans le cerveau des hommes sont des sublimés nécessaires de leur processus vital matériel, empiriquement constatable et rattaché à des présuppositions matérielles. Ce faisant, la morale, la religion, la métaphysique et le reste de l’idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, cessent de conserver l’apparence de l’autonomie. Elles n’ont pas d’histoire, elles n’ont pas de développement, ce sont les hommes, en développant leur production matérielle et leur commerce matériel, qui changent également, en même temps que cette réalité effective qui est la leur, leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, c’est la vie qui détermine la conscience. » Karl MARX et Friedrich ENGELS, L’idéologie allemande (1845-1846). La vie sociale détermine la conscience
  • 29. Le matérialisme historique de Marx et Engels Superstructure L’État, le droit, la morale, la religion, la science la philosophie, l'art, la culture en général Infrastructure Les idées (le ciel) La matière (la terre) Forces productives (travail humain, ressources naturelles, outils) Rapports de production (organisation sociale de la production : esclavagisme, servage, salariat) « Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. » Marx et Engels, L’idéologie allemande (1845-1846). « En fin de compte ce n’est pas dans la tête des savants que s’établit la relation entre les hypothèses et les données de fait, mais dans l’industrie. » Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique (1937).
  • 30. + 1. Les limites de la conscience (15) • Par matière, Marx entend la vie concrète des hommes, c’est-à-dire la vie économique et sociale. Il suggère qu’il y a un déterminisme économique et social de la conscience et des idées en général. Cette hypothèse sera reprise et confirmée par la sociologie. Les travaux du sociologue français Pierre Bourdieu (1930-2002), en particulier, montrent que les pensées, les croyances, les goûts et les pratiques sont déterminées socialement, c’est-à-dire dépendent de la classe sociale d’origine des individus. Pour penser le rapport que l’individu entretient avec sa classe sociale d’origine, Bourdieu développe un concept original : le concept d’habitus. Nous serions déterminés par notre habitus. Mais qu’est-ce que l’habitus ? L’habitus est un système « de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c’est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations » (Le sens pratique, 1980, p. 88). Expliquons... GGP, LCS, 2023-2024
  • 31. + 1. Les limites de la conscience (16) - L’habitus est structuré : il est le résultat, en grande partie inconscient, de la socialisation. L’enfant a intériorisé, incorporé les règles de son milieu social : celles-ci sont devenues, pour lui, comme une seconde nature. Telle chose se fait, telle chose ne se fait pas : l’enfant le sait, presque instinctivement, naturellement. - L’habitus est structurant : déterminé en amont par la socialisation, il détermine, en aval, les actions individuelles. Cette détermination est inconsciente : l’individu, sans le savoir, suit son habitus. Ses choix supposés libres, ses goûts supposés personnel et naturels sont déterminés par son habitus. Par exemple, on ne choisit pas de se cultiver ; on se cultive, en fonction du milieu social dans lequel on évolue. C’est l’habitus qui nous prédispose à telle ou telle pratique culturelle : lecture, fréquentation des musées, etc. NB : Il faut noter que Bourdieu, comme Spinoza, est déterministe et non fataliste. On peut se libérer de l’emprise exercée sur soi par son milieu social, grâce à la ... sociologie, en prenant conscience des causes qui nous déterminent. Comme chez Spinoza, la connaissance chez Bourdieu est libératrice. GGP, LCS, 2023-2024
  • 32. L’inconscient, c’est l’oubli de l’histoire L'inconscient « n’est jamais (...) que l’oubli de l’histoire que l’histoire produit elle-même en incorporant les structures objectives qu’elle produit dans ces quasi-natures que sont les habitus. » Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique (1972), Seuil, 2000, p. 263. « (...) En chacun de nous, suivant des proportions variables, il y a de l’homme d’hier ; c’est le même homme d’hier qui, par la force des choses, est prédominant en nous, puisque le présent n’est que bien peu de chose comparé à ce long passé au cours duquel nous sommes formés et d’où nous résultons. Seulement, cet homme du passé, nous ne le sentons pas, parce qu’il est invétéré en nous ; il forme la partie inconsciente de nous-mêmes. Par suite, on est porté à n’en pas tenir compte, non plus que de ses exigences légitimes. Au contraire, les acquisitions les plus récentes de la civilisation, nous en avons un vif sentiment parce qu’étant récentes elles n’ont pas encore eu le temps de s’organiser dans l’inconscient. » Émile Durkheim, L’évolution pédagogique en France, Alcan, 1938, p. 16.
  • 33. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (1) a) Inconscient et refoulement Freud réalise une double rupture avec les philosophes qui l’ont précédé : - Alors que ces derniers utilisaient le mot « inconscient », avant tout, comme adjectif, Freud l’utilise désormais comme substantif. Il est le premier à développer explicitement une théorie de « l’inconscient ». - Chez Freud, il n’y a plus (comme chez Leibniz) une différence de degré entre la conscience et l’inconscient, mais une différence de nature. L’inconscient n’est pas un moindre degré de conscience. Il constitue une entité psychique complètement à part, distincte et séparée de la conscience. Selon Freud, notre psychisme (c’est-à-dire notre esprit) est clivé, divisé en deux parties distinctes : la conscience et l’inconscient. Telle est l’hypothèse fondamentale qui est au fondement de la psychanalyse. Pourquoi Freud en vient-il à formuler une telle hypothèse ? GGP, LCS, 2023-2024
  • 34. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (2) • Les recherches préliminaires sur l’hystérie. Avec son collègue Joseph Breuer, Freud s’intéresse à une maladie, connue depuis l’Antiquité, qui était délaissée par les médecins de son époque : l’hystérie. Cf. le cas célèbre d’Anna O. Freud découvre que « les hystériques souffrent de réminiscences ». L'hystérie est donc une maladie qui a des causes, non pas organiques, mais psychiques. Les premiers symptômes d'Anna sont apparus, alors qu’elle était au chevet de son père malade. Freud développe deux exemples : 1) l’hydrophobie engendrée par le dégoût ressenti par Anna, alors qu’un chien buvait dans un verre d’eau ; 2) les troubles oculaires provoqués par la retenue des larmes : Anna ne voulait pas être vue par son père, en train de pleurer. GGP, LCS, 2023-2024
  • 35. « La malade du Dr Breuer était une jeune fille de vingt et un ans, très intelligente, qui manifesta au cours des deux années de sa maladie une série de troubles physiques et mentaux plus ou moins graves. Elle présenta une contracture des deux extrémités droites avec anesthésie ; de temps en temps la même affection apparaissait aux membres du côté gauche ; en outre, trouble des mouvements des yeux et perturbations multiples de la capacité visuelle ; difficulté à tenir la tête droite ; toux nerveuse intense, dégoût de toute nourriture et, pendant plusieurs semaines, impossibilité de boire malgré une soif dévorante. Elle présentait aussi une altération de la fonction du langage, ne pouvait ni comprendre ni parler sa langue maternelle. Enfin, elle était sujette à des "absences", à des états de confusion, de délire, d'altération de toute la personnalité ; ce sont là des troubles auxquels nous aurons à accorder toute notre attention. » Sigmund FREUD, Cinq leçons sur la psychanalyse (1910), trad. « Petite Bibliothèque Payot », 2015. John Huston, Freud: The Secret Passion (1962) Anna O.
  • 36. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (3) • La notion de refoulement Le paradoxe qui caractérise l’hystérique est alors le suivant : si elle est affectée par son passé, au point de développer une pathologie, elle ne parvient pas néanmoins à se souvenir des événements précis qui sont à l’origine de ses symptômes. C’est que, selon Freud, les représentations liées aux événements traumatiques n’ont pas été simplement « oubliées » : elles ont été « refoulées ». C’est-à-dire ? Freud propose deux critères pour distinguer ce qui est « refoulé » et ce qui est simplement « oublié » : 1) il y a une résistance intérieure qui empêche « le refoulé » de devenir conscient : malgré ses efforts, le sujet ne peut pas accéder aux éléments refoulés ; 2) le « refoulé » peut agir, c’est-à-dire produire des effets. Selon Freud, ce sont précisément les représentations refoulées qui sont la cause des symptômes pathologiques observés chez les hystériques. GGP, LCS, 2023-2024
  • 37. « Il existe un genre d’oubli qui se distingue par la difficulté avec laquelle le souvenir est réveillé, même par de fortes sollicitations extérieures, comme si une résistance intérieure regimbait contre sa reviviscence. Ce genre d’oubli a reçu le nom de "refoulement" en psychopathologie [...]. Or très généralement nous ne savons pas si l’oubli d’une impression est lié à la disparition de sa trace mnésique dans la vie psychique ; mais du "refoulement" nous pouvons affirmer avec certitude qu’il ne coïncide pas avec la disparition, l’extinction du souvenir. Certes le refoulé, en règle générale, ne peut s’imposer sans plus en tant que souvenir, mais il reste capable d’agir et de produire des effets, faisant naître un jour, sous l’influence d’une sollicitation extérieure, des conséquences psychiques qu’on peut considérer comme les produits de transformation et les rejetons du souvenir oublié et qui restent incompréhensibles tant qu’on ne les considère pas comme tels. » Sigmund FREUD, Le délire et les rêves dans Grandiva de W. Jensen (1907), trad. « Points », 2013. Refoulement et oubli Alfred Hitchcock, Spellbound (1945)
  • 38. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (4) Mais qu’est-ce que le refoulement ? C’est le processus psychologique par lequel le sujet rejette hors de la conscience les représentations mentales (désirs, images, souvenirs etc.) qui le perturbent. Deux remarques sur le refoulement : 1. Selon Freud, le refoulement est un processus normal, c’est-à-dire non pathologique. Toute personne « saine », « non-malade » refoule. Ce qui déclenche la maladie, ce n’est pas le refoulement, mais son échec. On pourrait dire que le refoulement joue pour l’esprit le rôle que jouent les réactions immunitaires pour le corps. Il intervient lorsque l’individu est en proie à un conflit interne. Par exemple, ce dernier peut être tiraillé entre deux désirs opposés. Comme l’écrit Freud : « L’acceptation du souhait inconciliable ou la prolongation du conflit auraient provoqué un déplaisir intense ; le refoulement épargne ce déplaisir, il apparaît ainsi comme un moyen de protéger la personne psychique. » (Cinq leçons sur la psychanalyse, Leçon 2) GGP, LCS, 2023-2024
  • 39. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (5) 2. Le refoulement est un concept fondamental. Freud considère qu’il est « le pilier sur lequel repose l’édifice de la psychanalyse » (Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, 1914). Plus tard, il confirmera ce jugement : « Notre concept de l’inconscient nous vient donc de la théorie du refoulement. Le refoulé est pour nous le prototype de l’inconscient. » (Le moi et le ça, 1923, chap. 1). Il faut comprendre que c’est la notion de refoulement qui a mis Freud sur la voie de l’inconscient. Mieux : c’est à partir de la notion de refoulement qu’il définit l’inconscient. Ainsi, en début de carrière, il s’appuie sur la définition suivante : est inconscient ce qui est refoulé. Ce n’est que plus tard qu’il donnera une plus grande extension au concept d’inconscient, en y incluant, en particulier, les pulsions. Freud écrira en effet : « Tout refoulé demeure inconscient, mais nous tenons à poser d’entrée que le refoulé ne recouvre pas tout l’inconscient. L’inconscient a une extension plus large ; le refoulé est une partie de l’inconscient. » (Métapsychologie, 1915, « Folio Essais », p. 65) GGP, LCS, 2023-2024
  • 40. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (6) b) Les deux topiques • Pour présenter sa théorie de l’inconscient, Freud a eu recours à des « topiques » (du grec topos : lieu), c’est-à-dire à des représentations spatiales du psychisme. Ces topiques n’avaient qu’une valeur métaphorique. • Freud espérait toutefois qu’un jour, on puisse établir une correspondance entre les « lieux » de l’esprit humain qu’il avait identifiés et des zones précises du cerveau. En 1915, il écrivait en effet : « Pour le moment, notre topique psychique n’a rien à voir avec l’anatomie » (Métapsychologie, « Folio Essais », p. 79). Cet espoir est aujourd’hui mis à mal par les neurosciences (qui, comme nous le verrons, rejettent l’idée même que l’inconscient ait un « lieu » propre.) • La notion de topique reste fondamentale. Elle permet à Freud de préciser son concept d’inconscient. Il distingue ainsi l’inconscient au sens descriptif (ce qui n’est pas conscient) et l’inconscient au sens topique (l’inconscient à proprement parler, c’est-à-dire le « lieu » psychique). GGP, LCS, 2023-2024
  • 41. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (7) • La première topique (de 1900 à 1923) L’appareil psychique est divisé en deux systèmes radicalement distincts : le système Conscient-Préconscient (Cs-Pcs) et le système Inconscient (Ics). - Le conscient contient tout ce qui est immédiatement présent à l’esprit. - Le préconscient contient les éléments qui ne sont pas conscients, mais qui peuvent néanmoins le devenir, comme les souvenirs oubliés, si l’individu fait un effort de mémoire ou d’attention. - L’inconscient contient les représentations refoulées. Ce qui justifie la ligne de démarcation entre les deux systèmes, c’est l’existence d’une force que Freud nomme « résistance » ou « censure », qui empêche le refoulé d’accéder à la conscience, si ce n’est de manière déguisée et déformée (comme dans les symptômes pathologiques ou dans les rêves). Pour la désigner, Freud emploie la métaphore du gardien : celui-ci « inspecte chaque tendance psychique, lui impose la censure et l’empêche d’entrer au salon [qui représente la conscience] si elle lui déplaît » (Introduction à la psychanalyse, Payot, p. 355). GGP, LCS, 2023-2024
  • 42. La théorie de l’inconscient psychique chez Freud : première topique (1) PCS ICS CS CS : conscient PCS : préconscient ICS : inconscient Résistance
  • 43. La théorie de l’inconscient psychique chez Freud : première topique (2) PCS ICS CS Refoulement Retour du refoulé Désir 1 Désir 2 Conflit
  • 44. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (8) • La seconde topique (à partir de 1923) L’esprit est ici divisé en trois pôles : le moi, le ça et le surmoi. Précisons tout de suite que les deux topiques ne se recouvrent pas : il n’y a pas de correspondance terme à terme. Par exemple, le moi dans la seconde topique ne correspond pas au conscient de la première topique, car le moi n’est pas complètement conscient. En effet, dans la seconde topique, c’est le moi qui effectue cette opération mystérieuse qu’est le refoulement (et qui joue le rôle du gardien de la première topique). Il en va de même des autres instances : le ça et le surmoi ne sont pas complètement inconscients. L’individu peut être conscient, au moins partiellement, de ses pulsions et des règles morales et sociales qu’il a intériorisées. En ce sens, la seconde topique constitue un progrès considérable par rapport à la première, car ce qui est inconscient n’a plus de « lieu » propre (ce qui va davantage dans le sens des recherches les plus récentes en neurosciences). GGP, LCS, 2023-2024
  • 45. La théorie de l’inconscient psychique chez Freud : seconde topique surmoi ça réalité MOI Principe de plaisir Principe de réalité La nature La culture Les pulsions de vie et de mort Les représentations refoulées Les interdits parentaux (interdit de l’inceste) Les règles sociales et morales Refoulement / censure Transfert Sublimation perception
  • 46. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (9) c) Peut-on connaître l’inconscient ? • L’inconscient est, presque par définition, inconnaissable. Pourtant, Freud prétend qu’il est possible, malgré tout, de le connaître. Pour cela, il faudrait réussir à surmonter la résistance qui empêche les représentations inconscientes d'accéder à la conscience. Comment faire ? • En début de carrière, alors qu'il travaillait avec Breuer, Freud a eu recours à l'hypnose. Mais il considérait que « c'est un procédé incertain et qui a quelque chose de mystique » (Cinq leçons sur la psychanalyse, leçon 2). Il a donc cherché une autre méthode pour accéder à l’inconscient. C’est ainsi qu’il a mis au point la méthode dite « des associations libres ». Il s’agit d’accéder à l’inconscient de manière indirecte, en interprétant les paroles du patient. GGP, LCS, 2023-2024
  • 47. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (10) • Le principe est simple : le patient doit dire à l’analyste toutes les pensées qui lui viennent à l’esprit, sans tri, sans jugement, sans discrimination, sans censure (les surréalistes feront de même en pratiquant l’écriture automatique). Cependant, cette méthode pose problème. Rien ne garantit a priori que les idées qui viennent spontanément à l’esprit du patient aient un rapport quelconque avec la représentation refoulée qu’il faut découvrir. Aussi Freud est-il contraint de postuler que ces idées spontanées, aussi différentes et éloignées paraissent-elles de la représentation refoulée, sont néanmoins en rapport avec elle, dans la mesure où tous les faits psychiques sont liés les uns aux autres, et peuvent donc s’expliquer les uns par les autres. C’est le postulat du déterminisme psychique, en lequel Freud dit « avoir la foi la plus absolue » (Cinq leçons sur la psychanalyse, leçon 3). Les idées ne viennent pas à l’esprit du patient par hasard ou de manière arbitraire. Loin de tomber du ciel, elles sont déterminées par d’autres idées qui, elles, sont inconscientes. GGP, LCS, 2023-2024
  • 48. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (11) • Une question reste en suspens : comment expliquer que les idées spontanées du patient sont si différentes et éloignées des représentations refoulées ? Freud l’explique aisément avec la notion de résistance. Freud a constaté empirement auprès de ses patients qu’il y a une force qui empêche les représentations refoulées et inconscientes d’accéder à la conscience. Cette force – qu’il appelle aussi bien « résistance » que « censure » – filtre les idées qui parviennent à la conscience. Certaines ne peuvent pas passer. D’autres passent, mais sont déformées. Plus la résistance est forte, plus la déformation est importante. Voilà pourquoi les idées spontanées ne ressemblent pas aux représentations refoulées et inconscientes. Reste que, selon Freud, les premières sont les effets des secondes. • En interprétant les paroles de son patient, l’analyste doit pouvoir remonter de l’effet à la cause et découvrir in fine la représentation refoulée. On le voit : selon Freud, la connaissance de l’inconscient est essentiellement interprétative. On n’accède à l’inconscient que de manière indirecte en interprétant des signes (paroles, lapsus, actes manqués, rêves, etc.). Problème : l’interprétation n’est-elle pas subjective ? Si c’est le cas, comment pourrait-elle valoir comme une authentique connaissance ? GGP, LCS, 2023-2024
  • 49. Le déterminisme psychique (1) « [Pour ma nouvelle méthode, c’est-à-dire celle des associations libres] je m’accrochai à un principe [...] (Il est parfois bien précieux d’avoir des préjugés !) C’est celui du déterminisme psychique, en la rigueur duquel j’avais la foi la plus absolue. Je ne pouvais pas me figurer qu’une idée surgissant spontanément dans la conscience d’un malade, surtout une idée éveillée par la concentration de son attention, pût être tout à fait arbitraire et sans rapport avec la représentation oubliée que nous voulions retrouver. Qu’elle ne lui fût pas identique, cela s’expliquait par l’état psychologique supposé. Deux forces agissaient l’une contre l’autre dans le malade ; d’abord son effort conscient pour ramener à la conscience les choses oubliées, mais latentes dans son inconscient ; d’autre part la résistance que je vous ai décrite et qui s’oppose au passage à la conscience des éléments refoulés ou de leurs rejetons. Si cette résistance est nulle ou très faible, la chose oubliée devient consciente sans se déformer ; on était donc autorisé à admettre que la déformation de l’objet recherché serait d’autant plus grande que l’opposition à son arrivée à la conscience serait plus forte. L’idée qui se présentait à l’esprit du malade à la place de celle qu’on cherchait à rappeler avait donc elle-même la valeur d’un symptôme. C’était un substitut nouveau, artificiel et éphémère de la chose refoulée et et qui lui ressemblait d’autant moins que sa déformation, sous l’influence de la résistance, avait été plus grande. Pourtant, il devait y avoir une certaine similitude avec la chose recherchée, puisque c’était un symptôme et, si la résistance n’était pas trop intense, il devait être possible de deviner, au moyen des idées spontanées, l’élément caché qui se dérobait. L’idée surgissant dans l’esprit du malade est, par rapport à l’élément refoulé, comme une allusion, comme une traduction de celui-ci dans un autre langage. » Sigmund FREUD, Cinq leçons sur la psychanalyse (1910), Leçon 3.
  • 50. Le déterminisme psychique (2) CS ICS Résistance Interprétation BLA BLA BLA BLA BLA...
  • 51. Les lapsus « [Le lapsus] exprime souvent ce qu’on ne voulait pas dire [et constitue] donc un moyen d’autotrahison. C’est, par exemple, ce qui se passe lorsqu’un homme qui, dans ses relations aux femmes, ne privilégie pas les rapports dits normaux, intervient dans une conversation où il est question d’une jeune fille aimant beaucoup, à ce qu’il paraît, faire la coquette et qu’il dit : « Avec quelqu’un comme moi, elle perdrait l’habitude de faire la copulette. » [ « Im Umgang mit mir würde sie sich das Koëttieren schon abgewöhnen »] Sans nul doute possible, c’est seulement à l’autre mot, koitieren [« copuler »], et à l’action exercée par lui sur celui qu’il avait l’intention de prononcer, kokettieren [« faire la coquette »] qu’on doit attribuer pareille modification. » Sigmund Freud, La psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Gallimard, « Folio Essais », 1997, p. 160.
  • 52. Les rêves « L’interprétation des rêves est, en réalité, la voie royale de la connaissance de l’inconscient, la base la plus sûre de nos recherches, et c’est l’étude des rêves, plus qu’aucune autre, qui vous convaincra de la valeur de la psychanalyse et vous formera à sa pratique. Quand on me demande comment on peut devenir psychanalyste, je réponds : par l’étude de ses propres rêves. » FREUD, Cinq leçons sur la psychanalyse (1910), leçon 3. La séquence du rêve (avec la participation de Dali) dans Spellbound (1945) de Hitchcock
  • 53. Un exemple : le rêve du repas avec du saumon fumé « Le rêve s’énonce comme suit : "Je veux donner un souper, mais je n’ai rien d’autre en réserve qu’un peu de saumon fumé. Je pense aller faire des achats, mais je me souviens que c’est dimanche après-midi, moment où tous les magasins sont fermés. Je veux alors téléphoner à quelques fournisseurs, mais le téléphone est en dérangement. Il me faut donc renoncer au souhait de donner un souper. » [...] Jusqu’ici les idées incidentes n’ont pas suffi à l’interprétation du rêve. Je presse [la] patiente d’aller plus loin. Après une courte pause, comme celle correspondant justement au surmontement d’une résistance, elle continue en relatant qu’hier elle a fait une visite chez une amie dont elle est à vrai dire jalouse parce que son mari loue toujours très fort cette femme. Par bonheur, cette amie est très sèche et maigre et son mari est amateur de corps aux formes pleines. De quoi parlait donc cette maigre amie ? Naturellement de son souhait de devenir un peu plus forte. Elle lui demanda d’ailleurs : "Quand nous inviterez-vous de nouveau ? On mange toujours si bien chez vous." Désormais le sens du rêve est clair. Je puis dire à la patiente : " C’est exactement comme si, entendant la requête de votre amie, vous aviez pensé en vous-même : Toi, bien sûr que je vais t’inviter, pour que tu puisses manger tout ton content chez moi, grossir et plaire encore davantage à mon mari. Je préfère ne plus donner de soupers. " Le rêve vous dit alors que vous ne pouvez pas donner de soupers, il accomplit ainsi votre souhait de ne contribuer en rien à arrondir les formes corporelles de votre amie. [...] Il ne manque plus maintenant que quelque recoupement venant confirmer la solution. On ne voit toujours pas non plus d’où dérive le saumon fumé dans le contenu du rêve. "Comment en venez-vous au saumon évoqué dans le rêve ?" "Le saumon fumé est le mets favori de cette amie", répond-elle. Par hasard, je connais moi aussi la dame et peux confirmer qu’elle s’octroie aussi peu de saumon que ma patiente de caviar. » FREUD, L’interprétation du rêve (1900), chapitre 4 : « La déformation du rêve ».
  • 54. L’interprétation des rêves CS ICS Résistance = censure = déformation Le travail d’analyse Le contenu manifeste (sens explicite du rêve) Le contenu latent (sens implicite ou caché du rêve) Le travail du rêve
  • 55. Le choix d’un nombre peut-il se faire au hasard ? « Dans ma lettre, tu as trouvé le nombre de 2 467, estimation arbitraire plein d’exubérance de la quantité de fautes qui se rencontrera dans mon livre sur le rêve. Ce que je voulais dire, c’était : n’importe quel nombre élevé, et voilà que celui-ci se présente. Or il n’y a rien d’arbitraire ou d’indéterminé dans le domaine psychique. C’est aussi pourquoi tu t’attendras à bon droit à ce que l’inconscient se soit dépêché de déterminer le nombre, qui avait été laissé libre par le conscient. Il se trouve que juste avant, je venais de lire dans le journal qu’un certain général E. M. était parti en retraite avec le grade de maréchal. Tu sais très certainement que cet homme m’intéresse. Quand je faisais mon service en tant qu’élève médecin militaire, il vint un jour à l’hôpital – il était alors colonel – et dit au médecin : "Il faut absolument que vous me guérissiez en huit jours, car j’ai à faire un travail que l’Empereur attend." À cette époque, j’avais formé le projet de suivre la carrière de cet homme, et tiens, aujourd’hui (en 1899), il en a atteint le bout, il est maréchal et déjà à la retraite. Je voulus calculer en combien de temps il avait effectué ce parcours, et admis par hypothèse que je l’avais vu à l’hôpital en 1882. Ce ferait donc 17 ans. J’en parle à ma femme, et elle fait cette remarque : "Alors, tu devrais toi aussi être déjà en retraite ?" Je proteste : "Dieu m’en préserve !" Après cette conversation, je m’assieds à la table pour t’écrire. Mais le cheminement de pensée précédent se poursuit, et ce, à bon droit. Le calcul avait été faux ; j’ai, pour cela, un point de repère solide dans ma mémoire. Ma majorité, c’est-à-dire mon 24e anniversaire, je l’ai fêté en étant aux arrêts (parce que je m’étais absenté sans autorisation). C’était donc en 1880 ; il y a, par conséquent, 19 ans de cela. Tu as là le nombre 24 qu’on retrouve dans 2 467. Prends maintenant mon âge, 43 ans, et ajoutes-y 24 ans, alors tu obtiens 67 ! Cela signifie qu’à la question de savoir si je voulais moi aussi partir en retraite, j’ai répondu en ajoutant, au niveau de mon désir, encore 24 années de travail. Visiblement, je suis vexé de ce que, dans l’intervalle de temps durant lequel j’ai suivi la carrière du colonel M., je n’ai moi-même pas progressé bien loin, et pourtant j’éprouve aussi une sorte de triomphe quant au fait que lui en a maintenant déjà terminé, tandis que moi, j’ai encore tout le temps devant moi. Alors, on peut dire à bon droit que même le nombre 2467, qui a été lancé sans intention aucune, n’est pas dépourvu d’une détermination émanent de l’inconscient. » FREUD, La psychopathologie de la vie quotidienne (1901), Gallimard, « Folio Essais », 1997, p. 389-390.
  • 56. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (12) d) La double justification de l’inconscient • Dès le début, la psychanalyse a été vivement critiquée. Freud non seulement ne s’est pas laissé démonter, mais a, en outre, apporté une explication psychanalytique de la réticence, voire de la franche hostilité qu’ont beaucoup de personnes vis-à-vis de la psychanalyse. La résistance suscitée par la psychanalyse serait un signe de sa vérité. • Mais Freud est allé plus loin. Il a avancé deux arguments en faveur de l’hypothèse de l’inconscient. Selon lui : 1) cette hypothèse est « nécessaire » dans la mesure où elle permet d’expliquer certains phénomènes ; c’est l’argument qu’on peut appeler « théorique » ; 2) elle est aussi « légitime » dans la mesure où elle permet de guérir certaines maladies ; c’est l’argument qu’on peut appeler « pratique ». GGP, LCS, 2023-2024
  • 57. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (13) 1) L’argument théorique Comme toute hypothèse théorique, l’hypothèse de l’inconscient a, avant tout, une fonction explicative. De même qu’on a besoin du concept de gravitation pour expliquer certains phénomènes (la chute des corps, les marées, le mouvement des planètes), on a besoin du concept d’inconscient pour expliquer certains phénomènes de la vie quotidienne des hommes. Exemples : les lapsus, les actes manqués, les rêves chez l’homme sain ; les symptômes pathologiques chez l’homme malade. Freud a le projet de faire une science de l’homme qui soit, en quelque sorte, « totale ». Rien dans la vie des hommes ne devrait rester inexpliqué. Si Freud avance l’hypothèse de l’inconscient, c’est donc au nom de la science. Refuser l’hypothèse de l’inconscient reviendrait, si on forçait le trait, à faire reculer la science, à retourner à un âge obscurantiste. On se condamnerait ainsi au mystère, au hasard, et à l’ignorance. Les hommes feraient telle ou telle chose, mais on ne saurait pas pourquoi il en est ainsi. GGP, LCS, 2023-2024
  • 58. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (14) 2) L’argument pratique Selon Freud, nous sommes d’autant plus justifiés à faire l’hypothèse que l’inconscient existe que cette hypothèse permet de mettre au point des thérapies efficaces. Ce n’est pas seulement le pouvoir explicatif qui compte (« le gain de sens et de cohérence ») : c’est aussi le pouvoir thérapeutique (« une pratique couronnée de succès »). Or, si les patients guérissent, n’est-ce pas une raison supplémentaire d’endosser l’hypothèse ? Cela semble indiquer, en outre, que l’hypothèse fondamentale – sur laquelle l’ensemble de la thérapie repose – est vraie. Freud avance ici un argument de type pragmatiste. Selon les pragmatistes (par exemple, le philosophe américain William James qui a été un contemporain de Freud), on reconnaît une théorie « vraie » à ses « bonnes » conséquences, au fait qu’elle nous permet d’agir avec succès. Soucieux de convaincre, Freud va jusqu’à affirmer que le succès de la thérapie est une « preuve incontestable » de l’existence de l’inconscient. GGP, LCS, 2023-2024
  • 59. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (15) • Critique des deux arguments 1) Freud nous invite à voir dans tout comportement, aussi insignifiant soit-il, un signe de l’inconscient. Or, le fait de voir des signes partout, n’est-ce pas le propre des superstitieux ? À vouloir tout expliquer, le risque est de tomber dans la superstition. L’argument de Freud prête ainsi le flanc à des critiques : - D’une certaine manière, on pourrait dire que « trop de science tue la science » : il faut accepter qu’on ne peut pas tout expliquer. - On peut admettre la thèse déterministe selon laquelle tout phénomène a une cause. Cela n’implique pas néanmoins que tout phénomène soit signifiant, ait un sens caché. - La théorie de Freud a le tort d’être trop général (elle prétend expliquer toutes les actions humaines) et mono-causal (tout s’expliquerait par l’inconscient) – ce qui la rapproche des théories non- scientifiques comme les théories du complot. GGP, LCS, 2023-2024
  • 60. + 2. Du non-conscient à l’inconscient : Freud et la psychanalyse (16) 2) Le succès de la thérapie ne prouve rien. Le patient pourrait guérir, non pas parce que les fondements théoriques de la démarche thérapeutique sont vrais, mais par hasard, du fait d’un certain nombre de facteurs que la théorie psychanalytique délaisse. Le simple fait de parler pourrait, par exemple, avoir des effets positifs sur le patient. Autrement dit, la thérapie pourrait avoir de bons résultats, alors même que l’inconscient n’existe pas. C’est une possibilité qu’on ne peut pas exclure. • Si les arguments de Freud ne sont pas pleinement convaincants, la thèse générale qu’il défend est néanmoins correcte : on ne peut pas réduire le psychisme à la conscience. Que du non-conscient existe, nous avons, en effet, de multiples preuves. Mais, nous allons le voir, cela n’implique pas que l’inconscient – tel que Freud le conçoit – existe. GGP, LCS, 2023-2024
  • 61. + 3. Critiques de Freud (1) a) La critique épistémologique S’opposant à Freud, Karl Popper refuse d’accorder à la psychanalyse le statut de science. Il défend la thèse selon laquelle la psychanalyse est (au même titre que le marxisme) une pseudo-science. Comment peut-on distinguer les sciences et les pseudo-sciences ? Popper propose un critère de démarcation : le critère de falsifiabilité. Une théorie est scientifique si et seulement elle est falsifiable, c’est-à-dire si on peut la réfuter au moyen d’une expérience. Or, selon Popper, la théorie freudienne ne satisfait pas ce critère. Elle est infalsifiable, et donc non-scientifique. GGP, LCS, 2023-2024
  • 62. + 3. Critiques de Freud (2) • Généralement, on considère comme scientifique toute théorie qui a été « prouvée » et qui est donc « vraie ». Popper s’oppose à ce point de vue naïf. Ce qui définit la science, paradoxalement, ce n’est pas la possession de la vérité, mais la possibilité d’être dans l’erreur. Une théorie qui ne peut pas être fausse n’est pas scientifique. Selon Popper, on peut « prouver » n’importe quelle théorie. Cela n’implique pas pour autant que la théorie « prouvée » soit scientifique. Tout dépend, bien sûr, du type de preuve qu’on apporte. Par ailleurs, une théorie qui a été correctement prouvée n’est pas nécessairement « vraie ». Une expérience peut corroborer une théorie, mais elle ne peut pas, en toute rigueur, la vérifier. Si on considère la théorie comme vraie, c’est seulement de manière provisoire, en attendant de faire de nouvelles expériences. GGP, LCS, 2023-2024
  • 63. + 3. Critiques de Freud (3) • Selon Popper, la psychanalyse n’est pas scientifique, car il n’y a aucun test expérimental qui puisse la mettre en défaut. Que les faits prédits ou attendus se produisent ou non, il est toujours possible de réinterpréter les faits pour « sauver » la théorie. C’est ce que semble faire Freud. Prenons l’exemple de la théorie du rêve. Selon cette théorie, non seulement tout rêve a un sens, mais est l’accomplissement d’un désir. Or, pour être scientifique, cette théorie doit être falsifiable : on doit pouvoir la tester et montrer qu’elle est fausse. N’y a-t-il pas des rêves qui semblent réfuter cette théorie ? En fait, quel que soit le rêve examiné, Freud l’interprète toujours de telle manière qu’il retombe sur ses pieds. Ainsi, il aurait toujours raison. Mais ce n’est pas bon signe : cela semble indiquer que sa théorie n’est pas scientifique ! GGP, LCS, 2023-2024
  • 64. « Une autre de mes malades, la plus spirituelle de toutes mes rêveuses, a démontré d’une manière plus simple encore comment le non-accomplissement d’un désir peut indiquer l’accomplissement d’un autre. Je lui avais expliqué un jour que le rêve est l’accomplissement d’un désir ; le lendemain elle rêvait qu’elle partait à la campagne avec sa belle-mère. Je savais combien elle s’était débattue pour ne point passer l’été auprès de sa belle-mère, je savais aussi que peu de jours avant elle s’était délivrée de cette terreur en louant une maison de campagne très éloignée du lieu où sa belle-mère résidait. Le rêve annulait la solution tant désirée, n’était-ce pas là précisément le contraire de ma théorie ? Assurément, on pouvait, pour comprendre ce rêve, s’en tenir à sa conclusion : d’après ce rêve, j’avais tort ; elle désirait que j’aie tort, ce rêve montrait donc son désir comme accompli. Mais le désir que j’aie tort, s’il se réalisait au sujet de la maison de campagne, avait trait, en réalité, à un autre objet plus sérieux. Vers le même moment, j’avais conclu, à partir du matériel qu’elle offrait à l’analyse, qu’il devait s’être passé quelque chose d’important pour sa maladie dans une certaine période de sa vie. Elle l’avait nié parce qu’elle n’en trouvait pas de traces dans sa mémoire. Nous reconnûmes peu après que j’avais eu raison. Son désir que je puisse avoir tort qui, dans le rêve, prenait l’aspect d’un départ à la campagne avec sa belle mère, répondait donc au désir très normal que la chose soupçonnée alors ne se fut jamais passée. » FREUD, L’interprétation du rêve (1900), chapitre 4 : « La déformation du rêve ». La théorie freudienne du rêve est-elle falsifiable ?
  • 65. + 3. Critiques de Freud (4) • La psychanalyse ressemblerait, à cet égard, à l’astrologie. On ne peut pas falsifier un horoscope. Si les événements de la journée semblent le démentir, on pourra toujours les réinterpréter, afin de « sauver », malgré tout, la prédiction. Il en va de même pour les théories du complot. Un complot est, par définition, secret, et ne laisse aucune trace. Aussi est-il normal, selon les « complotistes », de ne trouver aucune preuve. Paradoxalement, l’absence de preuves, loin de réfuter la théorie, est réinterprétée comme un signe positif en faveur de la théorie. Quels que soient les faits, qu’il y ait des preuves ou non, les « complotistes » ont toujours raison. Or, « avoir toujours raison », loin d’être une vertu (une qualité), est un vice (un défaut). En particulier, le fait d’avoir toujours raison est anti-scientifique, contraire à l’esprit même de la science. GGP, LCS, 2023-2024
  • 66. « Quant à l’épopée freudienne du Moi, du Ça et du Surmoi, on n’est pas plus fondé à en revendiquer la scientificité que dans le cas de ces récits qu’Homère avait recueillis de la bouche des dieux. Certes, les théories psychanalytiques étudient certains faits, mais elles le font à la manière des mythes. Elles contiennent des indications psychologiques fort intéressantes, mais sous une forme qui ne permet pas de les tester. » Karl POPPER (1902-1994), Conjectures et réfutations (1963), Payot, 2006, p. 66-67. « Voyez l’idée de Freud selon laquelle l’anxiété est toujours, d’une façon ou d’une autre, une répétition de l’anxiété que nous avons éprouvée à la naissance. Il ne l’établit pas en se référant à une preuve – comment le pourrait-il ? Mais voilà une idée qui a un caractère attrayant prononcé. Elle est attrayante comme le sont les explications mythologiques, ces explications qui disent que tout est répétition de quelque chose qui est arrivé antérieurement. Et quand les gens acceptent ou adoptent de telles vues, il y a certaines choses qui leur paraissent beaucoup plus claires et d’un accès beaucoup plus aisé. Il en va de même de la notion de l’inconscient. » Ludwig WITTGENSTEIN (1889-1951), « Conversations sur Freud » (1942) dans Leçons et conversations, Gallimard, « Folio Essais », p. 91. La psychanalyse relève-t-elle du mythe ?
  • 67. + 3. Critiques de Freud (5) b) La critique scientifique Les travaux récents dans le domaine des neurosciences donnent-ils raison à Freud ? La réponse du neurologue français Lionel Naccache est nuancée mais claire. D’un côté, il rend hommage à Freud. « Élaborer un discours contemporain sur l’inconscient et faire l’économie d’une discussion de la pensée freudienne relèverait, je le crois, du mépris ou de l’ignorance, bref, d’une forme de barbarie intellectuelle. » (Le nouvel inconscient, 2006, p. 13). D’un autre côté, après avoir comparé l’inconscient freudien et l’inconscient cognitif (l’inconscient tel qu’il est compris par les neurosciences), le bilan qu’il fait est sans appel : « Les spécificités de l’inconscient freudien, telles que la vision topique de l’inconscient ou le concept de refoulement, nous sont apparues totalement irrecevables d’un point de vue neuroscientifique. » (ibid., p. 371) GGP, LCS, 2023-2024
  • 68. + 3. Critiques de Freud (6) • Selon Naccache, il y a des points de convergence entre la théorie de Freud et les neurosciences. En particulier, les chercheurs en neurosciences sont d’accord avec Freud pour dire que la vie mentale inconsciente a une richesse qui a été pendant longtemps très largement insoupçonnée. Mais les points de divergence entre l’inconscient freudien et l’inconscient cognitif sont considérables. 1) L’usage du mot « inconscient » comme substantif pose problème. Il laisse croire à l’existence d’une entité unifiée et indépendante : « l’inconscient ». Or selon les neurosciences, un tel inconscient n’existe pas : les états mentaux inconscients n’ont pas d’unité ; non seulement ils sont très diversifiés, mais ils sont, en outre, étroitement liés aux états mentaux conscients. 2) La conception topique de l’inconscient ne fait que renforcer le même travers. Même si la représentation spatiale est seulement métaphorique, elle laisse croire à un « lieu » qui contiendrait et réunirait tous les états mentaux inconscients. Un tel lieu n’existe pas. GGP, LCS, 2023-2024
  • 69. + 3. Critiques de Freud (7) 3) Le concept de refoulement est, selon l’aveu même de Freud, « le pilier sur lequel repose l’édifice de la psychanalyse » (Contribution à l’histoire du mouvement psychanalytique, 1914). Or celui-ci est très problématique. Pourquoi ? Parce que le refoulement est défini explicitement par Freud comme un processus inconscient. Le sujet « refoule », c’est-à-dire qu’il rejette hors de sa conscience les représentations qui le troublent ou le perturbent, mais il fait cela sans le savoir, sans en avoir conscience. Comment est-ce possible ? - D’un point de vue conceptuel, Sartre avait insisté sur le fait que l’idée d’un refoulement inconscient est contradictoire. Pour refouler, il faut choisir. Or, pour choisir, il faut savoir, donc être conscient. « En un mot, comment la censure discernerait-elle les impulsions refoulables sans avoir conscience de les discerner ? » (L’être et le néant, 1943) - D’un point de vue empirique, les neurosciences ont établi que les mécanismes de contrôle cognitif sont toujours conscients. « L’idée d’un refoulement au sens freudien semble en contradiction totale avec les données expérimentales. » (Naccache, op. cit., p. 352) GGP, LCS, 2023-2024
  • 70. + 3. Critiques de Freud (8) 4) Un autre point de divergence majeur entre l’inconscient freudien et l’inconscient cognitif concerne le contenu de l’inconscient. Chez Freud, il s’agit d’un contenu essentiellement sexuel et infantile. Or, les neurosciences ont montré que les états mentaux inconscients sont très variés et interviennent, par exemple, dans la perception (voir le phénomène de blindsight, la prosopagnosie, etc.). On ne peut donc pas réduire, comme le fait Freud, la vie mentale inconsciente à la sexualité et à l’enfance. 5) Certes, l’inconscient est, par définition, ce dont on ne peut pas faire l’expérience, puisque toute expérience est nécessairement consciente. Seulement, Freud a fini, malgré ses précautions, par projeter sur « l’inconscient » des caractéristiques de la conscience. Ainsi, on retrouve sous sa plume des formules qui semblent personnaliser l’inconscient, en faire une « seconde » conscience, un autre « moi ». Naccache conclut : « Ce qui en définitive me pose donc problème avec l’inconscient freudien, ce n’est pas sa richesse, mais plutôt son étrange et suspecte ressemblance avec la conscience ! » (p. 361) Freud a attribué à l’inconscient « des propriétés dont il n’a pas réalisé qu’elles étaient le propre de la conscience » (p. 363). Par exemple, seule la conscience a une unité, une volonté, s’exprime en utilisant un langage etc. GGP, LCS, 2023-2024
  • 71. « La conception de l’inconscient qui s’offre à nous est donc celle d’une multiplicité de processus mentaux inconscients qui coexistent et qui se distinguent les uns des autres tant par leur corrélat cérébral que par leur complexité représentationnelle. Ces différentes formes de processus mentaux inconscients ne semblent rien partager d’autre que le critère négatif que nous utilisons pour les regrouper ensemble : ils sont inconscients, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas rapportables1 par le sujet qui les héberge. En ce sens, il est incorrect d’utiliser le singulier pour les qualifier sous le terme générique d’"inconscient", alors qu’ils sont dans les faits une population bigarrée et multiforme d’êtres indépendants. Par commodité, nous continuerons cependant à les réunir sous ce vocable piège d’inconscient cognitif au singulier. » Lionel Naccache, Le nouvel inconscient. Freud, le Christophe Colomb des neurosciences, Odile Jacob, 2006, p. 216. 1. Naccache considère la « rapportabilité » comme le critère qui permet de distinguer un état mental conscient d'un état mental inconscient. Un état mental est conscient quand le sujet sait qu'il a un tel état mental et qu'il peut le rapporter à soi et à d'autres. « Tout ce dont nous avons conscience est rapportable et tout ce que nous rapportons est conscient. » (p. 229) L’inconscient à l’époque des neurosciences
  • 72. L’inconscient du point de vue de la sociologie « Une théorie de l’inconscient refoulé est un point problématique du point de vue non seulement des neurosciences et de la psychologie cognitive, mais aussi de la sociologie dispositionnaliste qui montre que le continent du non-conscient est composé de l’ensemble des expériences antérieures constitutives de l’individu, mais dont il ne peut en permanence garder le souvenir conscient. Non pas parce que ces expériences seraient nécessairement douloureuses, indicibles et donc à "refouler", mais parce que l’enfant, puis l’adolescent et l’adulte ne peuvent "apprendre" à agir, voir, sentir, etc., d’une certaine façon tout en sachant précisément, clairement, ce qu’ils sont en train d’apprendre. Il y a, comme disait Bourdieu, "amnésie de la genèse". Nos expériences passées successives, depuis la naissance jusqu’au moment présent, sont constitutives de notre personnalité, de nos perceptions, appréciations, représentations et actions, sans que nous en soyons forcément conscients. L’individu ne tient pas ses expériences passées devant lui comme un "avoir" ou un "acquis" : elles sont une part constitutive de lui- même qui détermine en partie, sans qu’il en soit conscient, ses représentations ou ses actes. Dans toute relation, l’individu engage des éléments inconscients (il faudrait parler, de manière moins réifiante, d’éléments non conscients) de son passé qui se sont sédimentés sous la forme de manières de voir, de sentir et d’agir, bref de dispositions (ou de schèmes) et de compétences générales ou spécifiques. (...) Non seulement le caractère inconscient du passé incorporé est dû à l’amnésie de la genèse, c’est-à- dire à l’incapacité dans laquelle nous sommes de nous souvenir de ce qui nous a constitué, mais il est lié aussi au fait qu’une grande partie de ce que nous incorporons n’est ni explicite, ni conscient. La psychologie cognitive "montre par exemple que, dans le domaine de la perception sensorielle et de l’emploi du langage, sont souvent utilisées des règles inconscientes ne pouvant en partie jamais être conscientes, sans qu’elles soient pour autant refoulées". » Bernard LAHIRE, L’interprétation sociologique des rêves, 2018. .
  • 73. + 3. Critiques de Freud (9) c) La critique morale • Si l’inconscient existe, alors il n’y a pas de libre arbitre. Or, s’il n’y a pas de libre arbitre, il n’y a pas de responsabilité. Et s’il n’y a pas de responsabilité, il n’y a pas de morale possible : nous ne pouvons pas juger les hommes. Admettre l’hypothèse de l’inconscient, c’est donc, semble-t-il, renoncer à toute morale. Si « le moi n’est pas maître dans sa propre maison », comment pourrait-on le tenir pour responsable de ses actes et le juger ? Du point de vue de Sartre, celui qui dit agir sous l’impulsion de son inconscient est de mauvaise foi. Non seulement il se ment à lui-même, mais il est lâche. L’inconscient est une excuse facile pour ne pas assumer ses actes et échapper à ses responsabilités. GGP, LCS, 2023-2024
  • 74. + 3. Critiques de Freud (10) • L’idée même de déterminisme psychique est incompatible avec celle de libre arbitre – ce que Freud reconnaît tout à fait. On retrouve même sous sa plume l’expression : « l’illusion du libre arbitre » (L’inquiétante étrangeté et autres essais, « Folio Essais », p. 238). Pourtant, chez Freud, comme chez Spinoza, on peut devenir libre. La liberté n’est pas donnée, certes. Mais elle s’acquiert. Mieux : elle se conquiert. Pour être libre, il faut se connaître. Or, la psychanalyse est une voie possible pour se connaître. Elle doit nous aider, à terme, à devenir maîtres de nous-mêmes. C’est ce que Freud rappelle dans une formule restée célèbre : « Là où était le ça, le moi doit advenir. » (Wo Es war, soll Ich werden.) GGP, LCS, 2023-2024
  • 75. Descartes Les critiques de Descartes 1) Le rapport entre la pensée et la conscience Pensée = conscience Pensée ≠ conscience (Leibniz, Nietzsche, Freud) 2) Le rapport entre la conscience et la connaissance Conscience = connaissance (« Je pense donc je suis. ») Conscience ≠ connaissance (Spinoza, Nietzsche, Freud) 3) La question du libre arbitre Le libre arbitre est une évidence. « La liberté de la volonté se connaît sans preuve par la seule expérience que nous en avons. » Le libre arbitre n’existe pas. C’est : - une illusion de la conscience (Spinoza) ; - une fiction des théologiens (Nietzsche). Freud : « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison. » 4) La question du sujet « Je pense » est une vérité indubitable. Il y a un sujet (« moi ») qui fait l’action. (« penser »). Est-ce moi qui pense ? Le sujet est une fiction grammaticale (Nietzsche). 5) La question de l’inconscient Il n’y a pas de pensées inconscientes. NB : Descartes admet néanmoins que le corps puisse influencer l’esprit à son insu (lettre à Chanut du 6 juin 1647). Il admet donc l’existence d’un inconscient (ou non-conscient) corporel. • Il y a du non-conscient : - Du non-conscient perceptif (Leibniz) ; - Du non-conscient corporel (Spinoza, Nietzsche) ; - Du non-conscient linguistique (Nietzsche) ; - Du non-conscient social (Marx, Durkheim, Bourdieu) ; - Du non-conscient cognitif (Naccache). • Il y a un inconscient psychique (Freud).
  • 76. + Suggestions de lecture (pour aller plus loin)  Pour s’introduire à la psychanalyse freudienne : - Sigmund Freud, Cinq leçons sur la psychanalyse (1910). - Sigmund Freud, Introduction à la psychanalyse (1915-1917).  Pour un point de vue critique : - Jacques Bouveresse, Philosophie, mythologie et pseudo-science. Wittgenstein lecteur de Freud, Éditions de l’éclat, 1991 - Adolf Grünbaum, La psychanalyse à l’épreuve, Éditions de l’éclat, 1993. - Lionel Naccache, Le nouvel inconscient. Freud, le Christophe Colomb des neurosciences, Odile Jacob, 2006. GGP, LCS, 2023-2024