1. Bien évidemment, ces considérations
portent autant sur les pathologies
et parasites humains que sur les zoo-
noses et parasites animaux ou que les
parasitoses et viroses des végétaux
qui peuvent directement ou indirec-
tement impacter l’être humain. Cet
impact se fait soit directement via la
transmission interespèces pour les
zoonoses soit via la raréfaction des res-
sources alimentaires ou industrielles
pour les zoonoses et les maladies des
végétaux qui détruisent ou rendent
impropre à l’usage les productions
de l’activité agronomique (céréales,
légumes, prairies, fourrages, oléagi-
neux, protéagineux, plantes à fibres,
horticulture, élevage viande ou lait,
pêche, pisciculture…) voire même de
la sylviculture.
Les cas du moustique Aedes albopictus
(moustique tigre), vecteur potentiel
de la dengue et du chikungunya, des
phlébotomes vecteurs de leishmaniose
chez le chien et chez l’homme en région
méditerranéenne, de l’épidémie à virus
West Nile en France en 2003, des dip-
tères du genre Culicoïdes (moucheron
hématophage) vecteurs de la fièvre
catarrhale ovine (maladie de la langue
bleue des ruminants domestiques) qui
a envahi l’Europe depuis 20064
, en sont
de parfaits exemples au même titre que
le paludisme, Ebola ou encore la fièvre
de la vallée du Rift5
.
Des effets indirects
Au-delà de l’impact direct sur l’écosys-
tème des agents pathogènes et de leur
vecteurs éventuels, les situations de
tensions sur les ressources alimentaires
(nourriture et/ou boisson) entraîneront
une exacerbation et une extension des
déplacements économiques de popu-
lation que nous connaissons déjà6
. Ces
Le concept de maladies émer-
gentes ou ré-émergentes a émergé au
début des années 90 à la fin du siècle
dernier, notamment lors de la confé-
rence de Washington qui a posé le
principe d’aborder cette question de
manière pluridisciplinaire en intégrant
« les aspects évolutionnistes, environne-
mentaux, sociaux et politiques » pour
investir la complexité de l’émergence.
Au milieu des années 90,le CDC2
lançait
la revue Emerging Infectious Diseases et
l’OMS créait la division «Surveillance et
contrôle des maladies émergentes et
autres maladies transmissibles».
Naturel et/ou anthropogénique, linéaire
et/ou oscillant, local et/ou régional, le
réchauffement climatique est désor-
mais un principe de réalité qu’il convient
d’intégrer dans une réflexion «préven-
tique» touchant toutes les dimensions
environnementales de l’activité humaine
donc y compris les scénarios d’impacts
sur les maladies émergentes notamment
en termes de santé publique.
Facteurs
environnementaux et
vecteurs pathogènes
Les facteurs environnementaux tels que
l’amplitude thermique, l’hygrométrie,
la pluviométrie, le régime des vents…
sont des déterminants reconnus de
la prolifération, de la survie, de l’abon-
dance et de la capacité vectorielle des
espèces d’arthropodes (moustiques)
exotiques ou autochtones. De manière
moins directe, les modifications de
cycles saisonniers ou de la fréquence
des phénomènes météorologiques
exceptionnels peuvent impacter les
interfaces vecteurs-hôtes, les modalités
de transmission des maladies et par là
leur répartition ou leur incidence3
.
1.DPC:développement professionnel continu ,voir sur le site de la SFMC:www.sfmc.eu/
2.Le CDC (Center for Disease Control) est une agence gouvernementale nord-américaine chargée de la prévention,de l’étude et du contrôle des maladies.
3.S.de La Rocque,J.A.Rioux,«Influence des changements climatiques sur l’épidémiologie des maladies transmissibles»,Bull Soc Pathol Exot. 2008,101(3),p.213-219.
4.G.Duvallet,«Parasites,vecteurs de pathogènes et changements climatiques»,HydroécolAppl. 2006,15,p.87-96.
5.M.Pépin,F.Guiguen,V.Chevalier,F.Bouloy,«La fièvre de la vallée du rift :prochaine maladie infectieuse émergente en France ?»,Bulletin des GTV,2008,p.21-28.
6.F.Mendonç,«Rechauffement global et santé:aspects généraux et quelques particularités du monde tropical»,Annalesdel’Associationinternationaledeclimatologie,2004,12,1,p.157-175.
L’effet du réchauffement climatique sur la santé n’est
pas uniquement direct (canicules, grands
froids…). Des maladies inconnues dans
les zones tempérées émergent, touchant
aussi bien l’homme, l’animal que le
végétal. Avec tous les effets indirects
que l’on peut imaginer (la maladie des
oliviers est une catastrophe économique).
Jan Cédric Hansen
Médecin, directeur des programmes DPC de la Société française de
médecine de catastrophe1
Changement climatique
Ces maladies qui arrivent
santé publique
52 Préventique–No
142–Septembre2015
2. Paca – pour le disperser en masse sur
tout l’Hexagone. Il convient aussi de
garder en mémoire qu’historiquement
la Camargue et même les marécages de
Versailles étaient des zones d’infestation
paludéenne parfaitement identifiées il
y a à peine 200 ans. Ou encoure, que
compte tenu des échanges touristiques
entre la France et la Tunisie, cette hypo-
thèse est loin d’être anecdotique dans
un contexte ou le risque de réintroduc-
tion du paludisme en Tunisie est réel et
sérieux8
, ce d’autant plus que les condi-
tions politiques risquent d’influencer à
court terme les conditions sanitaires.
Surveillance sanitaire
et prévention
Dès lors se pose le problème de la pré-
vention face à ces maladies émergentes
ou ré-émergentes. Dans ce contexte,
la surveillance sanitaire a trois rôles
principaux9
:
1. contribuer au suivi et à la
compréhension des impacts
sanitaires du changement climatique
à travers la constitution de séries de
données exploitables sur de longues
périodes de temps;
2. apporter des éléments pour
hiérarchiser les actions d’adaptation,
les mettre en œuvre,et évaluer leur
efficacité;
3. anticiper les menaces émergentes.
S’il n’est pas nécessaire de créer de
nouveaux systèmes de surveillance
sanitaires. pour cela, une meilleure
connexion entre surveillance environne-
mentale et sanitaire et une plus grande
interdisciplinarité sont nécessaires pour
répondre à ces nouveaux objectifs.
Ainsi, la surveillance de la densité et de
la répartition territoriale des vecteurs
par des entomologistes sentinelles ; la
surveillance de l’incidence et de la pré-
valence des maladies virales et parasi-
taires des cultures et des forêts par les
ingénieurs agronomes et des Eaux et
Forêts ; la surveillance de l’incidence
et de la prévalence des agents patho-
gènes et de leur traduction clinique
par les vétérinaires, les médecins et
les biologistes permettent de colliger
ces données au niveau des agences
régionales de santé (ARS), puis de les
analyser au niveau de l’Institut de veille
sanitaire (InVS), enfin de partager les
conclusions, le cas échéant les alertes,
entre les ministères et les professionnels
concernés.
Cette posture,complétée par la concep-
tion et la planification de riposte en cas
de risque avéré permet – si les dimen-
sions cindyniques du pilotage des
crises sont bien prises en compte – de
construire les conditions d’une détec-
tion précoce et donc d’un contrôle
plus efficace des conséquences sani-
taires, économiques et sociales de ces
pathologies. n
déplacements de populations favorise-
ront les diffusions interindividuelles des
maladies vectorielles et infectieuses
(parasitaires, bactériennes ou virales)
en raison de la promiscuité prolongée
et des médiocres conditions d’hygiène
qu’elles engendre d’une part ; l’impor-
tation des parasites, bactéries et virus
sur des zones déjà colonisées par leur
vecteur d’autre part.
Pour autant toutes les augmenta-
tions d’incidence ou de prévalence
de maladies émergentes ou ré-émer-
gentes ne relèvent pas spécifique-
ment du réchauffement climatique. Par
exemple, l’augmentation de la borré-
liose de Lyme ou de la fièvre pourpre,
secondaires aux virus de type rickett-
sie, vectorisés par les ixodes (tiques)
que l’on constate en Lorraine ou en
Europe de l’Est depuis près de 20 ans
est surtout le fait d’une augmentation
du contact homme-tiques infectées.
Soit par l’accroissement des effectifs
des espèces hôtes des tiques, comme
le chevreuil, soit par changements des
pratiques agricoles et sociologiques7
.
La conviction que les pays « insuffi-
samment développés » seraient plus
exposés que les pays « développés »
aux risques émergents liés à l’impact de
l’interaction directe entre phénomènes
d’ordre «naturels/environnementaux»
et conditions «psycho-socio-économi-
co-technologico-sanitaires» relève des
cultures d’infaillibilité, de simplisme et
d’absence de formation aux concepts
cindyniques.
Pour s’en convaincre, il suffit de consta-
ter que le moustique tigre, qui a déjà
largement colonisé le territoire métro-
politain, n’attend plus que de ren-
contrer des êtres humains porteur du
virus du chikungunya ou de la dengue
– comme c’est déjà le cas en région
7.S.E.Randolph,«Faune,climat et politique :causes possibles aux récents accroissements des zoonoses à
tiques»,Arch Pediatr., 2004,11(10),p.1282-1285.
8.K.Aoun,E.Siala,D.Tchibkere,R.Ben Abdallah,N.Zallagua,M.K.Chahed,A.Bouratbine,«Paludisme
d’importation enTunisie:conséquences sur le risque de réintroduction de la maladie»,Médecine
Tropicale,2010,70,p.33-37.
9.M.Pascal,S.Medina,A.C.Viso,P.Beaudeau,«Quels impacts sanitaires du changement climatique et
quels rôles pour la surveillance ?»,BHE,2012,03(12-13),p.146-148.
«construire les conditions
d’une détection précoce
et donc d’un contrôle
plus efficace des
conséquences
»
La Camargue,infestée par
le paludisme,il y a 200 ans.
À gauche,les vecteurs de virus:
une tique (maladie de Lyme,
fièvre pourpre) et un moustique
tigre (chikungunya,dengue).
ou qui reviennent
PhotosAndreyZharikh,JohnTannetShadowgate,viaFlickr(LCC)
santé publique
No
142–Septembre2015-Préventique 53