Masculin feminin la grande reconciliation. le figaro 11 mars 2013 valérie colin simard
1. 14 santé l psycho
lundi 11 mars 2013 LE FIGARO
Devenue un trouble chronique, elle est au cœur
des risques psychosociaux au travail.
lait en passer uniquement par l’effort vons sentir que nous mettons en
PASCALE SENK intellectuel, la surcharge de travail, danger notre équilibre, alors que
l’abstraction, se souvient-elle. Je relé- dans notre esprit nous ne percevons
PRESSION «Je ne suis pas à la hau- guais au placard mon intuition, ma pas la limite, explique le Dr Chris-
teur, je ne vais pas y arriver, il faut que créativité, mon plaisir… J’observe cette tophe Massin. C’est donc notre corps
je mette la gomme ». A priori, ce dis- même tendance chez la plupart de nos qui doit devenir un support pour nous
cours intérieur stimulant, nous le coachés qui, pour tendre à outrance la aider à reconnaître la surcharge mais
connaissons tous de manière ponc- corde, se coupent de leurs émotions. » aussi à nous détendre, retrouver du re-
tuelle, lors d’oraux d’examens, épreu- cul et nous recentrer. » Relaxation,
ves sportives ou même entretiens de « Prendre du recul » sophrologie, yoga sont parmi les tech-
recrutement. Lorsque cette intense C’est alors le corps seul qui, pour avoir niques les plus prisées en la matière.
mais éphémère pression, nécessaire à été trop négligé, peut réagir et manifes- Pas question de ne plus souhaiter être
l’engagement dans l’épreuve, s’instal- ter des failles : tendinites, maladies car- performant, donc, mais garder cet ob-
le de manière durable et devient mode dio-vasculaires, insomnies… Tous ces jectif tout en prenant soin de soi, tel est
de vie, elle risque d’entraîner la per- signes du mal-être au travail devien- l’enjeu. Et le psychiatre de rappeler cet-
sonne dans des comportements des- nent alors, paradoxalement, des voies te loi du vivant qui avance toujours se-
tructeurs. Aujourd’hui, comme l’affir- thérapeutiques. « Les salariés que nous lon la même tension : « Lorsque votre
mait récemment le Dr Laurent accompagnons ont mis de côté, par peur environnement exerce une pression trop
Chneiwess dans nos colonnes, cette d’échouer, leurs ressentis physiques et forte, il est nécessaire d’exercer de votre
anxiété de performance est en nette émotionnels, ajoute Pascale Henry-De- côté une contre-pression, en posant vos
augmentation, notamment dans le guirmendjian. Les premiers jours de nos limites, pour rétablir l’équilibre. Cela de-
monde du travail. formations, lorsqu’ils s’expriment, nous mande une capacité à prendre du recul
Le contexte y est évidemment pour ne cessons de les interrompre et de leur vis-à-vis du système qui vous emporte ».
beaucoup. « Des objectifs chiffrés de poser la même question : “Que ressen- On pourrait aussi appeler cela « aména-
plus en plus hauts, des comparaisons tez-vous ?” Et ils nous répondent presque ger les contraintes » ou « réguler son
d’employés entre eux et de services en- systématiquement “Je pense que… ”Jus- activité ». I
tre eux, la nécessité de faire plus avec qu’au moment où ils parviennent enfin à
moins de moyens… De nombreux sala-
riés me disent se sentir pressés comme
des “citrons” et frustrés de ne pouvoir
faire le travail aussi bien qu’ils le sou-
haiteraient, observe le Dr Christophe
ressentir leurs émotions. Cette rééduca-
tion n’a de sens que si elle s’allie ensuite à
la capacité à faire respecter un cadre,
établir de vrais contrats… Pour ne pas
rester dans une posture de victime. »
« Les salariés que nous
accompagnons ont mis
de côté, par peur d’échouer,
C’est le corps seul qui,
pour avoir été trop
Apprendre à s’appuyer sur le corps
pour s’en sortir semble donc incon-
tournable. « Physiquement, nous pou-
leurs ressentis
»
PASCALE HENRY-DEGUIRMENDJIAN, COACH
négligé, peut réagir :
tendinites, maladies
cardio-vasculaires…
Massin, qui intervient lors de forma- VALÉRIE COLIN-SIMARD, psychothé- LE FIGARO. - Concernant y compris à des postes de direction. une perfection inatteignable… Et un
tions sur les risques psychosociaux rapeute et coach en entreprise, vient de l’intensification de l’anxiété Ne sont-elles pas les premières jour, ils se retrouvent en burn-out ou, à
dans l’entreprise et a publié avec le publier Masculin-Féminin, la grande ré- et de la peur d’échouer dans notre à pouvoir incarner des valeurs la faveur d’un licenciement en masse,
Dr Isabelle Sauvegrain Réussir sans se conciliation (Éd. Albin Michel). société, vous affirmez qu’elles viennent féminines là où celles-ci manquent? ils tombent en dépression, car la fin de
détruire (Éd. Albin Michel). Lorsque les d’un déséquilibre profond entre Hélas, les femmes sont encore en train l’action signifie pour eux la fin de leur
contraintes ne sont pas reliées à des si- les valeurs féminines et les valeurs d’essayer de prouver qu’elles aussi identité.
tuations temporaires, mais se générali- masculines telles que nous les vivons peuvent incarner les valeurs masculi-
sent, elles installent peu à peu une pres- au niveau individuel et collectif nes. Du coup, pour réussir, elles ont mis Comment se libérer
sion globale à laquelle il devient difficile aujourd’hui. Qu’entendez-vous par là? au vestiaire leurs émotions, leur sens de de tels fonctionnements?
de résister.» Valérie COLIN-SIMAD. - Tout se passe l’intimité, leur empathie. Résultat : En prenant conscience – et pas seule-
Résultat, la dimension personnelle comme si la dévalorisation de la fem- c’est comme si elles marchaient sur une ment sur un plan intellectuel - de la
de l’individu, sa spécificité, son sa- me, si prégnante pendant des siècles et seule jambe. Pour prouver leur droit au puissance des valeurs féminines. Faire
voir-faire s’effacent, pour laisser place moins active aujourd’hui, s’était désor- leadership, elles retiennent leurs émo- preuve de vulnérabilité ou d’empathie
au seul stress d’obtenir des résultats mais déplacée sur les valeurs féminines tions pendant des années, puis, sou- peut être une force. Ainsi, au lieu de se
rapides et visibles. « Peu à peu, le tra- en général. Ainsi, quand je travaille en dain, explosent en larmes ou en colère, laisser happer dans des mécanismes de
vailleur se donne beaucoup, tout en se entreprise, je préviens que je vais em- ce qui les rend toujours plus méfiantes harcèlement moral, par exemple, pou-
sentant menacé, explique le psychiatre. ployer des termes considérés actuelle- envers leur vie émotionnelle. Mais dé- voir tout de suite accueillir son émotion
Il a l’impression qu’il fait tout mal, com- ment comme des «gros mots»: passi- nier ses émotions, pour les hommes et dire « quand vous me parlez sur ce
mence à patiner tout en augmentant ses vité, vulnérabilité, dépendance et comme pour les femmes, a un coût: ce ton, cela me blesse » peut amener de
heures de présence… Lorsqu’il s’épuise interdépendance… Toutes ces valeurs sont elles qui relient notre intellect et grands changements. De même, s’esti-
ainsi, on se rapproche du burn-out.» féminines passent loin derrière celles notre corps… Si nous n’en tenons pas mer suffisamment compétent pour oser
Le stress de performance distillé du masculin: la vitesse, l’action, la sé- compte, nous nous coupons du réel, vi- dire «je n’y arrive pas» peut vous per-
ainsi à outrance épuise le plaisir et la lection, la compétition… Ce sont elles vons dans des univers virtuels et som- mettre de vous affirmer et de gagner la
satisfaction du travail juste bien fait. qui, parce qu’elles sont survalorisées, mes pris dans des courses folles telles confiance et le respect de votre patron.
La coach Pascale Henry-Deguirmen- viennent nourrir l’anxiété de perfor- que celle qui a provoqué la crise du sub- La reconnaissance que nos émotions
djian qui, au sein de son cabinet Cry- mance aussi bien chez les hommes que prime notamment. sont des informations précieuses peut
salead développe le concept mis au chez les femmes. Nous sommes aujour- profiter à tous, hommes ou femmes. Et
point par la psychothérapeute Valérie d’hui en déséquilibre. Or, pour réussir, Et les hommes, comment vivent-ils trop souvent nous oublions que les
Colin-Simard pour favoriser l’équili- nous avons besoin de nous appuyer à cette course à la performance? liens, en même temps que notre
bre dans l’entreprise (lire ci-dessous), Valérie Colin-Simard : l’égal sur ces deux systèmes de valeurs. Comme l’idéal masculin du patriarcat professionnalisme, sont notre ressour-
a elle-même vécu ce cercle vicieux. « La reconnaissance que nos émotions est très fort, très haut, ils se croient ce essentielle. Il est impossible de s’en
« J’étais directrice financière et j’avais sont des informations précieuses peut Pourtant les femmes sont de plus obligés de jouer les « supermen », se sortir seul. I
la conviction que pour réussir, il me fal- profiter à tous, hommes ou femmes. » DR en plus présentes dans l’entreprise, grisent de chiffres, de virtuel, visent PROPOS RECUEILLIS PAR P. S.
2. QUE CROIRE? Et qui croire? de la voiture, des médicaments... Dans ces pages, on comprend jugés importants. Mais que se passe- mais en réalité parfaitement fausses».
Maladie de la vache folle, ondes mais elles sont plus vastes, touchent qu’au moins trois modes de pensée t-il en régime de controverse, Et de citer en exemple ce qu’il appelle
électromagnétiques, sras, changement plus de gens et suscitent des réactions imparfaits se confrontent autour qu’en est-il si cette ignorance n’est pas une «perle rhétorique» d’un ancien
climatique, gaz de schiste… parfois totalement irrationnelles. des questions de sciences et de seulement subie, mais bien activement ministre de l’Éducation nationale
Les controverses sont encore Ces interrogations du grand public, société : « les gens n’y connaissent produite ? », écrit ainsi le philosophe qui avait déclaré: «Comment peut-on
nombreuses aujourd’hui. Pas plus ces affrontements entre « experts » rien » ; « on ne leur explique pas assez Mathias Girel, qui rappelle comment prétendre prévoir le climat du prochain
sans doute qu’elles ne l’étaient déjà envahissent les esprits et les médias. bien » ; « on n’en sait pas assez pour dans les années 1950 l’industrie siècle alors que les prévisions
au XIXe siècle avec les polémiques être affirmatif ». D’où un profond du tabac menait des campagnes météorologiques ne vont pas au-delà
autour du gaz de ville, du train, « Ils n’y connaissent rien » divorce entre sciences et société. de désinformation pour discréditer de quelques jours?»
C’est pour tenter de voir plus clair Des sismologues italiens n’ont-ils pas les résultats scientifiques prouvant Bien d’autres questions sont abordées
dans les rapports entre les sciences été récemment condamnés en justice la dangerosité de leur produit. dans cet ouvrage, dont celles
et la société que l’Institut des hautes pour n’avoir pas prévu un séisme ?… concernant la première éducation
le plaisir études de science et de société (Ihest)
vient de publier un ouvrage collectif
On reproche souvent aux scientifiques
de rester dans leur tour d’ivoire ;
« Perle rhétorique »
Plus près de nous, le physicien Étienne
et sa contribution à la formation
et à l’acquisition d’une culture
des livres regroupant plus d’une vingtaine
de personnalités venues de divers
horizons, sous la coordination
pourtant, nombreux sont ceux
qui font l’effort de « vulgariser »
leur science. Avec plus ou moins
Klein affirme qu’il ne faut «pas cesser
de traduire l’intraduisible» et prend
l’exemple de «la pseudo-controverse»
scientifique. Des exemples
sont donnés pour les États-Unis, le
Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Brésil,
PAR JEAN-LUC NOTHIAS de Marie-Françoise Chevalier- de bonheur, il est vrai. sur l’origine du changement la Corée ou les pays du Maghreb. Bien
Leguyader, la directrice de l’Ihest. « Les discours portant sur l’illettrisme climatique. Pour lui, «on a pu entendre des progrès sont encore à réaliser.
La question, provocante, posée scientifique attribuent souvent au pendant des mois sur les ondes * « Partager la science.
est Partager la science. L’illettrisme public une ignorance sur des principes, des assertions pseudo-scientifiques L’illettrisme scientifique en question ».
scientifique en question *. méthodes ou résultats scientifiques en apparence convaincantes, Éditions Actes Sud/Ihest.
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