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Blog cjue discrimination fonctionnaire
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L’Etat français accusé de discriminations indirectes en matière de
retraite : décryptage de l’arrêt de la CJUE
CJUE, 17 juillet 2014, affaire C-173/13
Discriminations entre fonctionnaires masculins et fonctionnaires féminins : le 17 juillet 2014,
la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est saisie d’un renvoi préjudiciel1
.
Que s’est-il passé ?
M. L, fonctionnaire hospitalier, exerce les activités d’infirmier de 1984 à 2005 aux Hospices
civils de Lyon (HCL). Le 4 avril 2005, il demande à bénéficier d’une retraite anticipée avec
pension à jouissance immédiate, arguant de sa qualité de père de 3 enfants nés,
respectivement, les 9 octobre 1990, 31 août 1993 et 27 novembre 1996.
La mise à la retraite anticipée avec pension à jouissance immédiate
Conformément à l’article L. 24, I, 3° du code des pensions civiles et militaires de retraite,
« I. – La liquidation de la pension intervient :
(…)
3° Lorsque le fonctionnaire civil est parent de trois enfants vivants, (…), à condition qu’il ait, pour chaque
enfant, interrompu son activité dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.
(….). »
S’agissant des enfants mentionnés à l’article L. 24, le code des pensions civiles et militaires de retraite
précise à son article L. 18, II, 3
ème
à 6
ème
alinéas,
« Les enfants issus d’un mariage précédent, ses enfants naturels dont la filiation est établie et ses enfants
adoptifs ;
Les enfants ayant fait l’objet d’une délégation de l’autorité parentale en faveur du titulaire de la pension ou
de son conjoint ;
Les enfants placés sous tutelle du titulaire de la pension ou de son conjoint, lorsque la tutelle s’accompagne
de la garde effective et permanente de l’enfant ;
Les enfants recueillis à son foyer par le titulaire de la pension ou son conjoint, qui justifie, dans les conditions
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Conformément à l’article 267 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne, « La Cour de justice de l’Union
européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : a) sur l’interprétation des traités. (…). Lorsqu’une telle question
est soulevée devant une juridiction d’un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point
est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question. (…). »
Point de vigilance – 25 juillet 2014
Manon QUILLEVERE – Consultante
Centre de droit JuriSanté - CNEH
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fixées par décret en Conseil d’Etat, en avoir assumé la charge effective et permanente. »
S’agissant de l’interruption d’activité, l’article R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraites
dispose,
« I. – L’interruption d’activité (…) doit avoir eu une durée continue au moins égale à deux mois et être
intervenue alors que le fonctionnaire était affilié à un régime de retraite obligatoire. (…).
Cette interruption d’activité doit avoir eu lieu pendant la période comprise entre le premier jour de la
quatrième semaine précédant la naissance ou l’adoption et le dernier jour de la seizième semaine suivant la
naissance ou l’adoption.
(…).
II. – Sont prises en compte pour le calcul de la durée d’interruption d’activité les périodes correspondant à une
suspension de l’exécution du contrat de travail ou une interruption du service effectif, intervenues dans le
cadre :
a) Du congé pour maternité (…) ;
b) Du congé de paternité (…) ;
c) Du congé d’adoption (…) ;
d) Du congé parental (…) ;
e) Du congé de présence parental (…) ;
f) D’une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans (…).
III. – Les périodes visées (…) sont les périodes n’ayant pas donné lieu à cotisation de l’intéressé et pendant
lesquelles celui-ci n’exerçait aucune activité professionnelle. »
Par une décision du 18 avril 2005, sa demande est rejetée par la Caisse Nationale de Retraite
des Agents des Collectivités Locales (CNRACL) au motif que M. L n’a pas interrompu son
activité professionnelle pour chacun de ses 3 enfants. Quelques années plus tard, M.L saisit
le juge administratif afin d’obtenir l’indemnisation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait
de la discrimination indirecte relative, d’une part, à la décision de refus de la CNRACL,
d’autre part, à la bonification d’ancienneté en matière de retraite2
.
La bonification d’ancienneté
En vertu de l’article 15 du décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des
fonctionnaires affiliés à la CNRACL,
« I. – Aux services effectifs s’ajoutent, (…), les bonifications suivantes :
(…)
2° Une bonification fixée à quatre trimestres, à condition que les fonctionnaires aient interrompu leur activité,
pour chacun de leurs enfants légitimes et de leurs enfants naturels nés avant le 1
er
janvier 2004, pour chacun
de leurs enfants dont l’adoption est antérieure au 1
er
janvier 2004 et, sous réserve qu’ils aient été élevés
pendant neuf ans avant leur vingt et unième anniversaire, pour chacun des autres enfants énumérés au
paragraphe II de l’article 24 dont la prise en charge a débuté avant le 1
er
janvier 2004.
Cette interruption d’activité doit être d’une durée continue au moins égale à deux mois et intervenir dans le
cadre d’un congé pour maternité, d’un congé pour adoption, d’un congé parental ou d’un congé de présence
parentale (…) ou d’une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans (…).
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S’agissant de la bonification d’ancienneté, force est de constater que la France a déjà fait l’objet d’une condamnation par
la CJUE en 2001 (C-366/99). En effet, la Cour a jugé que la règlementation nationale, dont l’octroi dépendait du seul critère
relatif à l’éducation des enfants, les fonctionnaires masculins et féminins se trouvaient, au regard de ce critère, dans une
situation comparable. Dès lors, en réservant le bénéfice de cette bonification aux seuls fonctionnaires féminin, cette
règlementation avait introduit de la discrimination directe en raison du sexe.
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(…).
3° La bonification prévue au 2° est acquise aux femmes fonctionnaires ayant accouché au cours de leurs
années d’études avant le 1
er
janvier 2004 et avant leur recrutement dans la fonction publique, dès lors que ce
recrutement est intervenu dans un délai de deux ans après l’obtention du diplôme nécessaire pour se
présenter au concours, sans que puisse leur être opposée une condition d’interruption d’activité ;
(…). »
Sa requête rejetée, M.L interjette appel devant la cour administrative d’appel de Lyon. C’est
dans ce contexte que le juge administratif décide de surseoir à statuer et pose deux
questions préjudicielles au juge de l’Union européenne.
Quelles sont les questions posées au juge européen ?
Deux questions sont notamment posées à la CJUE :
1) Les dispositions relatives à la bonification de pension peuvent-elles être regardées
comme opérant une discrimination indirecte entre hommes et femmes au sens de
l’article 157 du TFUE (traité sur le fonctionnement de l’union Européenne) ?
2) Les dispositions relatives à la mise à la retraite anticipée avec pension à jouissance
immédiate peuvent-elles être regardées comme opérant une discrimination indirecte
entre hommes et femmes au sens de l’article 157 du TFUE ?
Article 157 du TFUE
« 1. Chaque Etat membre assure l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs
masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même valeur.
2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou
minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par
l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier.
L’égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique :
a) Que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d’une
même unité de mesure ;
b) Que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de
travail.
(…).
3. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le
principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un Etat membre de maintenir ou d’adopter des mesures
prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe
sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle. »
Quelles sont les réponses apportées par le juge européen ?
En ce qui concerne la première question posée à la CJUE (bonification
d’ancienneté)
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Selon le juge européen, "il y a discrimination indirecte en raison du sexe lorsque l’application
d’une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre
beaucoup plus élevé de travailleurs d’un sexe par rapport à l’autre. Une telle mesure n’est
compatible avec le principe d’égalité de traitement qu’à la condition que la différence de
traitement entre les deux catégories de travailleurs qu’elle engendre soit justifiée par des
facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. »
A ce titre, le juge européen constate qu’en vertu de la règlementation française, une telle
bonification « appelée à bénéficier aux fonctionnaires des deux sexes à condition qu’ils aient
interrompu leur carrière durant une période minimale de deux mois consécutifs (…) revêt
une apparence de neutralité en ce qui concerne le sexe de l’intéressé, dès lors, notamment,
qu’il n’apparaît pas que les possibilités d’interruption de carrière prévues par la
règlementation en cause au principal ne sont légalement ouvertes qu’aux fonctionnaires de
l’un des deux sexes3
. »
Toutefois, les juges de la CJUE notent que le régime de bonification de pension inclut, parmi
les formes d’interruption d’activité, le congé de maternité. Dès lors, au regard de la durée
minimale d’interruption d’activité et du caractère obligatoire4
de ce congé en droit français,
les fonctionnaires féminins se trouvent en position de bénéficier beaucoup plus de
l’avantage que constitue cette bonification.
La CJUE estime alors que, « la condition d’interruption d’activité professionnelle de deux
mois (…), bien que d’apparence neutre sur le plan du sexe des fonctionnaires concernés,
est, en l’occurrence, de nature à être remplie par un pourcentage considérablement plus
faible de fonctionnaires masculins que de fonctionnaires féminins, de sorte qu’elle
désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d’un sexe que de
travailleurs de l’autre sexe. »
Le régime de bonification de pension engendre donc « une discrimination indirecte en
matière de rémunération entre travailleurs féminins et travailleurs masculins » au sens de
l’article 157 du TFUE.
En ce qui concerne la seconde question posée à la CJUE (mise à la retraite anticipée
avec pension à jouissance immédiate)
La CJUE constate qu’à la lecture des dispositions relatives à la mise à la retraite anticipée
avec pension à jouissance immédiate, une apparence neutralité en ce qui concerne le sexe
des fonctionnaires concernés apparaît.
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Effectivement, aussi bien les fonctionnaires féminins que les fonctionnaires masculins peuvent bénéficier d’une
interruption de carrière dans le cadre d’un congé d’adoption, d’un congé parental, d’un congé de présence parental ou
d’une disponibilité pour élever un enfant de moins de huit ans.
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A ce titre, il convient de rappeler que les autres congés et la disponibilité ont un caractère facultatif pour le fonctionnaire.
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Cependant, les modalités auxquelles ces dispositions subordonnent l’octroi de cet avantage
sont « de nature à conduire à ce qu’un pourcentage beaucoup plus élevé de femmes que
d’hommes bénéficie de celui-ci »5
.
Ainsi, les juges européens estiment que le régime de mise à la retraire anticipée avec
pension à jouissance immédiate, tel que prévu en France, « engendre une discrimination
indirecte en matière de rémunération entre travailleurs féminins et travailleurs masculins »
au sens de l’article 157 du TFUE.
Gestionnaires des ressources humaines, soyez attentifs à toute modification législative et
règlementaire sur ces sujets …
Renseignement
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A noter : les motivations avancées par la CJUE aux 2 questions sont identiques.
Nadia HASSANI – 01 41 17 15 43
nadia.hassani@cneh.fr