Revue "Le Psy Déchaîné" n°14 - AFFEP - Juin 2015
Addict à l’addicto ?
Pr. Michel Lejoyeux
Professeur de psychiatrie à la faculté PARIS 7, coordonnateur national du DESC d’addictologie, et chef du département de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital Bichat (APHP) et Maison Blanche, le Professeur Lejoyeux est également président d’honneur de la Société Française d’Addictologie. Il est l’auteur, entre de nombreux autres ouvrages, de l’abrégé d’Addictologie, édité chez Masson. Il nous a fait l’honneur de répondre à nos questions, et c’est donc avec grand plaisir que nous vous laissons les découvrir !
Que pensez-vous de la place de l'addictologie dans la médecine d'aujourd'hui ?
Je vois une différence entre l’impact des maladies addictives et leur prise en charge. Celles-ci sont de plus en plus fréquentes, de plus en plus sévères. La place de l’addictologie n’est pas à la hauteur de la fréquence et de la gravité des maladies addictives. Pour le dire autrement, ces maladies restent insuffisamment reconnues et traitées. Il y a encore beaucoup de services où l’on prend en charge par exemple des cancers, des maladies pulmonaires, des maladies hépato-gastro-entérologiques en se limitant aux complications d’organes sans aborder la cause addictologique.
Comment ont évolué les liens que l'addictologie entretient avec la psychiatrie ?
80 % des internes du DESC d’addictologie sont issus de la psychiatrie. Ils s’aperçoivent, en s’engageant dans le DESC d’addictologie, qu’ils vont disposer d’une formation complémentaire à celle que leur apporte la psychiatrie. Ils maitrisent par exemple l’entretien motivationnel et les autres techniques relationnelles permettant de réaliser un sevrage. Ils apprennent aussi le maniement des traitements de l’addiction. Enfin, le DESC d’addictologie ne se limite pas à des techniques comportementales ou psychiatriques. Il passe en revue les aspects somatiques des complications des différentes addictions. Pour toutes ces raisons, les internes de psychiatrie m’apparaissent de plus en plus intéressés par l’addictologie.
Quelles sont les évolutions à venir d'après vous ?
La grande évolution est quand même l’intégration des addictions comportementales. Aujourd’hui, on définit, en plus des dépendances classiques à un produit, des addictions au jeu d’argent, à l’Internet, à beaucoup d’autres comportements. Ce n’est pas exactement comme une toxicomanie. Ces sujets sont très innovants. Ils posent des questions thérapeutiques encore non résolues.
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Addict à l’addicto
1. 1918
DOSSIER THÉMATIQUEDOSSIER THÉMATIQUE
LePsyDéchaînéN°14•Juin2015•www.affep.fr
LePsyDéchaînéN°14•Juin2015•www.affep.fr
s Addict à l’addicto ?
Professeur de psychiatrie à la faculté PARIS 7, coordonnateur national du
DESC d’addictologie, et chef du département de psychiatrie et d’addictologie à
l’hôpital Bichat (APHP) et Maison Blanche, le Professeur Lejoyeux est également
président d’honneur de la Société Française d’Addictologie. Il est l’auteur, entre
de nombreux autres ouvrages, de l’abrégé d’Addictologie, édité chez Masson.
Il nous a fait l’honneur de répondre à nos questions, et c’est donc avec grand
plaisir que nous vous laissons les découvrir !
Pr. Michel Lejoyeux
Que pensez-vous de la place de l'addic-
tologie dans la médecine d'aujourd'hui ?
Je vois une différence entre l’impact des maladies
addictives et leur prise en charge. Celles-ci sont de plus
en plus fréquentes, de plus en plus sévères. La place de
l’addictologie n’est pas à la hauteur de la fréquence et de
la gravité des maladies addictives. Pour le dire autrement,
ces maladies restent insuffisamment reconnues et
traitées. Il y a encore beaucoup de services où l’on
prend en charge par exemple des cancers, des maladies
pulmonaires, des maladies hépato-gastro-entérologiques
en se limitant aux complications d’organes sans aborder
la cause addictologique.
Comment ont évolué les liens que l'ad-
dictologie entretient avec la psychiatrie ?
80 % des internes du DESC d’addictologie sont issus de
la psychiatrie. Ils s’aperçoivent, en s’engageant dans le
DESC d’addictologie, qu’ils vont disposer d’une formation
complémentaire à celle que leur apporte la psychiatrie.
Ils maitrisent par exemple l’entretien motivationnel et les
autres techniques relationnelles permettant de réaliser
un sevrage. Ils apprennent aussi le maniement des
traitements de l’addiction. Enfin, le DESC d’addictologie
ne se limite pas à des techniques comportementales ou
psychiatriques. Il passe en revue les aspects somatiques
des complications des différentes addictions. Pour toutes
ces raisons, les internes de psychiatrie m’apparaissent
de plus en plus intéressés par l’addictologie.
Quelles sont les évolutions à venir
d'après vous ?
La grande évolution est quand même l’intégration des
addictions comportementales. Aujourd’hui, on définit,
en plus des dépendances classiques à un produit,
des addictions au jeu d’argent, à l’Internet, à beaucoup
d’autres comportements. Ce n’est pas exactement
comme une toxicomanie. Ces sujets sont très innovants.
Ils posent des questions thérapeutiques encore non
résolues.
Avez-vous observé un profil d'internes ou
de médecins « faits pour l'addictologie » ?
Je crois que les internes faits pour l’addictologie sont
ceux qui s’intéressent aux aspects comportementaux de
la médecine mais qui ne s’y limitent pas. Il faut, pour faire
de l’addictologie, intégrer le patient de manière globale,
à la fois dans sa relation à la substance et aussi dans
les complications qu’a le comportement. Ce sont aussi
des internes qui aiment les interventions que j’oserais
qualifier de très concrètes. En addictologie, les objectifs
sont précis et l’on voit assez vite s’ils ont été remplis
ou pas. Les médecins faits pour l’addictologie sont ceux
qui apprécient les approches multiples dans des champs
cliniques différents. Enfin, ils doivent tolérer l’échec et ne
pas être susceptibles tant nos propositions de sevrage
ne sont pas toujours suivis d’un effet positif.
Quelle est votre vision de la formation que
reçoivent aujourd'hui les internes, que ce
soit sur le plan théorique ou pratique, en
addictologie ? Y aurait-il selon vous des
points à améliorer, et comment ?
La formation est aujourd’hui assurée par un DESC
d’addictologie. Ce DESC se déroule sur deux ans.
Il comporte une partie théorique et une partie pratique.
J’en assure la coordination pour la région Ile-de-France
et j’assure aussi le pilotage du programme national de
ce DESC. Les difficultés concernent les stages de post-
internat.
L’amélioration souhaitée serait aussi que les internes
en DESC d’addictologie puissent bénéficier de compé-
tences dans le champ des comorbidités somatiques.
Nous évoquons dans ce dossier spé-
cial la place de la psychiatrie dans la
société, pensez-vous que l'addictologie
a une position « à part » ? En pra-
tique, observez-vous une stigmatisation
importante de vos patients ?
Bien évidemment, les malades « addicts » sont
stigmatisés. Ils le sont largement autant que les malades
psychiatriques. Nos malades sont confrontés à une
sorte de double peine. On les considère comme des
« faux malades » c’est-à-dire dont le trouble est un
manque de volonté et en même temps comme des
malades incurables. Par ailleurs, ils se rendent malades
avec des produits comme l’alcool que la plupart
d’entre nous consomment et considèrent comme des
produits sympathiques. Leur vision « dénormalise » des
comportements ou des molécules auxquels la plupart
d’entre nous ont accès régulièrement.
Pour finir sur une note plus personnelle,
pouvez-vous nous expliquer pourquoi
vous avez choisi de vous spécialiser
en psychiatrie, puis en addictologie ?
Je pense que ces sujets de spécialité sont affaires de
rencontres. Je sais gré à mes Maîtres, les Professeurs
Thérèse Lempérière, Jean Adès, Henri Lôo et
Jean-Pierre Olié, de m’avoir montré une manière
d’exercer la psychiatrie en général et l’addictologie que
j’ai eu et ai encore envie de poursuivre. Il y a dans cette
pratique une dimension d’humanisme et de tolérance.
Il y a aussi un compromis que je trouve agréable entre
une part scientifique et une part qui se rapproche peut-
être plus d’une réflexion que je pourrais qualifier de
théorique ou de littéraire. Pour le dire un peu autrement
et par élimination, quand on aime la médecine et moins
les actes techniques que les rencontres individuelles,
la psychiatrie et l’addictologie restent des domaines
de choix.
Propos recueillis par
Camille QUENEAU