Retrouvez le compte-rendu complet du Petit-Déjeuner du Commerce 4.0. du 3 mai 2017, autour du droit de l'"ubérisation", organisé par la Chaire E.Leclerc / ESCP Europe "Prospective du Commerce dans la Société 4.0."
Compte-rendu - "Droit et régulation de l'ubérisation"
1. Compte-rendu
"Droit et régulation de l'ubérisation"
Mercredi 3 mai 2017
Chaire E.Leclerc /
ESCP Europe
"Prospective du
Commerce dans la
société 4.0"
PETITS-DEJEUNERS DU COMMERCE 4.0.
2. 1
"Droit et régulation de l'ubérisation"
Experts réunis pour en débattre :
Henri Hamon,
Maître Philippe Portier,
Teddy Pellerin,
et Pingki Houang
Henri Hamon est en charge des questions numériques et des politiques publiques
d’innovation à la CCI Paris Île-de-France.
Maître Philippe Portier est avocat associé chez Jeantet Associés. Il est à l’origine de
DigitLegal, un blog consacré à la numérisation de l’économie et du droit et à l’économie
collaborative.
Teddy Pellerin est co-fondateur de l’application Heetch (application mobile de transport
urbain).
Pingki Houang est Directeur Général de stuart.com (plateforme de livraison collaborative).
En présence de Michel-Edouard Leclerc (Président des Centres E.Leclerc et Président
de la Chaire E.Leclerc/ESCP Europe) et du Pr. Olivier Badot (Doyen à la recherche à ESCP
Europe et Directeur scientifique de la Chaire) pour animer, étayer et approfondir le
débat.
3. 2
L’économie "ubérisée" voit apparaître une multitude de nouveaux acteurs dans des
domaines aussi variés que le transport à la personne (Uber, Chauffeurprivé, Blablacar,..), le
logement (Airbnb), la finance (crowdfunding,…). Cette vague sociétale bouscule les formes
organisationnelles de ces nouvelles sociétés du numérique, mais aussi les modèles de
croissance et de propriété.
Le mercredi 3 mai 2017, la Chaire E.Leclerc / ESCP Europe "Prospective du commerce dans la
société 4.0" organisait son sixième Petit-Déjeuner du Commerce sur le thème : "Droit et
régulation de l'ubérisation". Pour aborder cette thématique phare de la société 4.0, la Chaire
a confronté les points de vue d’un panel d’experts et de professionnels, qui sont intervenus
devant plus de 200 participants. Un programme dense et relevé …
Après un état des lieux de l’économie collaborative dressé par Henri Hamon, Maître Philippe
Portier est revenu sur les différents modèles d’ « ubérisation » et d’économie collaborative,
leurs logiques économiques sous-jacentes, les nouvelles concurrences et nouvelles règles
associées. Teddy Pellerin, co-fondateur de la célèbre application Heetch, a ensuite partagé
son retour d’expérience et est revenu sur la manière dont son modèle se réinvente face à sa
condamnation. Enfin, PingKi Houang, Directeur Général de Stuart.com qui repense l’enjeu de
la livraison urbaine du dernier kilomètre, a apporté sa vision entrepreneuriale de l’économie
"ubérisée".
Ce nouveau paradigme économique inspire à Michel-Edouard Leclerc plusieurs
questionnements et réflexions. « Quand on parle d’économie collaborative, on ne dit pas
vers quel modèle on va, si on va vers les Indes ou l’Amérique. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il
faut prendre le bateau. L’émergence de ces nouveaux acteurs, de ces plateformes
collaboratives, les hommes politiques n’en parlent quasiment pas sauf à en citer les noms,
ou à pointer les perturbations qu’elles provoquent dans certaines corporations. Le
législateur, lui, ne les a clairement pas anticipés » résume-t-il. D’où la question de
l’adaptation de l’environnement juridique et fiscal et social à ce « nouveau monde » qui
s’ouvre à nous.
4. 3
A ce titre, il rappelle que l’un des objectifs majeurs de cette Chaire, c’est justement
d’appréhender ces mutations et d’ « amener ces sujets cruciaux dans le champ de la
confrontation afin d’appréhender nos propres comportements et ne pas rester buté telle la
mangouste devant le boa », image-t-il.
L’économie collaborative : un modèle ancré, rentable et en plein essor
L’économie collaborative touche à toutes les sphères : sociale, économique et politique.
« Education, santé, transport, hébergement, finance… plus aucun secteur ne semble résister
à cette nouvelle économie », souligne Henri Hamon. Il la définit comme « l’ensemble des
pratiques et des modèles économiques organisés en réseaux horizontaux et où une
communauté d’usagers peuvent assurer à la fois le rôle de producteur, de vendeur et de
consommateur ».
5. 4
Ce qui fait le succès de ce mode de consommation ? Ce sont les nombreux avantages qu’il
présente : lutte contre la sous-utilisation des biens, contre le gaspillage des ressources, et
source de revenus complémentaires.
D’après les prévisions, l’économie collaborative a de beaux jours devant elle. Toujours selon
Henri Hamon, cette nouvelle économie qui pesait 28 milliards d’euros en 2015 devrait
atteindre 570 milliards d’euros en 2025. Soit le nombre total de transactions multiplié par
vingt dans les cinq secteurs clés que sont le transport (qui représente déjà près de la moitié
des revenus totaux de ces cinq secteurs), l’hébergement, le service à la personne (qui devrait
doubler d’ici à 2025), le service aux entreprises et la finance.
A qui profite cette économie collaborative ? Prioritairement aux particuliers qui captent 85%
de la valeur.
6. 5
Extrait de la présentation d’Henri Hamon
La France : championne de l’économie collaborative
Avec plus de 50 start-ups fondées et un CA promis à passer de 4 milliards d’euros en 2015 à
près de 83 milliards d’euros en 2025, la France est l’un des leaders de l’économie
collaborative en Europe, tant au niveau du chiffre d’affaires que par la diversité de l’offre. Le
phénomène est déjà bien ancré dans les pratiques des français puisque huit Français sur dix
sont acteurs ou bénéficiaires de cette économie qui rapporte 495 €/an en moyenne.
Henri Hamon met la lumière sur les fondamentaux sur lesquels il faut capitaliser. Ceux-ci
s’incarnent par « l’intégration de nouveaux codes culturels, du numérique, le management
des communautés qui sont source de capital immatériel, le développement de la confiance,
la maîtrise des données qui sont source d’innovation ouverte ainsi que l’anticipation du futur
du travail ».
7. 6
Ces fondamentaux relèvent plusieurs enjeux majeurs. Il s’agit d’aider les entreprises à
réfléchir à la transition vers des systèmes plus collaboratifs, et d’accompagner le
développement des entreprises traditionnelles dans ce sens. « Ceci passe nécessairement
par un aménagement des règles fiscales et une réforme du code du travail », insiste Henri
Hamon.
L’économie collaborative : un nouveau paradigme aux contours juridiques
encore flous et complexes
Le modèle collaboratif, certes, en plein essor, ouvre la question de sa régulation.
Particulièrement parce qu’il intervient alors que les pouvoirs publiques sont pris de court
quant aux problématiques émergentes liées à la révolution digitale.
8. 7
Face à des frontières encore mal définies et à un flottement dans la terminologie, Maître
Philippe Portier tient avant tout à distinguer deux notions apparentées - économie
collaborative et « ubérisation » -, qui prêtent souvent à confusion. « Si les deux modèles
reposent sur la désintermédiation sous l’impulsion des objets connectés et par le biais des
plateformes numériques, ils ont tout de même deux logiques différentes » précise l’expert :
un modèle "Pop" : non professionnel, également appelé « économie de partage ou
économie domestique » qui intervient dans une logique non marchande et non lucrative.
un modèle "Pro" : lucratif et plus disruptif, puisqu’il repose sur l’émergence de nouveaux
« particuliers-professionnels », indépendants et non-salariés, qui échappent aux règles et
usages traditionnels de leurs secteurs (transport, hébergement, location...),
concurrençant ainsi les acteurs traditionnels.
Ces deux modèles ne vont pas sans poser un certain nombre de difficultés au législateur et
aux tribunaux. Parmi elles, le statut juridique du particulier : qu’en est-il de la concurrence
déloyale, de la taxation des revenus ? Quel régime social pour les professionnels de ces
secteurs ?
Maître Philippe Portier constate que « si le rapport Terrasse, rendu public en 2016, a eu un
apport majeur en formalisant la distinction entre activité professionnelle et pratique
occasionnelle, celui-ci reste quand même décevant par rapport aux enjeux et aux attentes ».
Ces questionnements juridiques en suspens génèrent un débat de fond, et engendrent
plusieurs conséquences sur le plan social, fiscal et réglementaire.
Maître Portier les résume dans le visuel ci-après :
9. 8
Extrait de la présentation de Maître Philippe Portier
Selon lui, le débat social, fiscal, réglementaire et sécuritaire, est essentiellement animé par
un dialogue entre concurrents, sur lequel les tribunaux ont du mal à arbitrer. « D’une part
car les textes ne sont pas adaptés et d’autre part parce que les gouvernants ont du mal à
décider ».
Cette clé de lecture permet d’éclairer la particularité de la plateforme BlablaCar, qui – en
l’absence de concurrence directe - a grandement prospéré en France, alors qu’elle a été
vilipendée par la concurrence en Espagne, car assimilée à Uberpop. Le cas de GoGo RunRun
(www.gogorunrun.fr), où le tribunal de grande instance de Paris était incapable de trancher
un litige à l’initiative d’un syndicat de transporteurs l’an dernier, illustre quant à lui les
« vides juridiques » et la passivité des pouvoirs publics à ce sujet, souligne Maître Portier.
10. 9
Les startups françaises contraintes à bricoler avec la législation
Nombreuses sont les startups désireuses de révolutionner des secteurs bien établis et
bousculer les acteurs traditionnels. Mais aux côtés des multiples success stories de
l’économie « plateformisée », il arrive que certaines soient sévèrement rattrapées par la loi.
Alors qu’UberPop a été interdit d’exercice suite à la pression des taxis et des pouvoirs
publiques, c’est au tour de l’application Heetch de se voir lourdement condamnée par la
justice pour complicité d'exercice illégal de la profession de taxi.
Créée en septembre 2013, la start-up française de transports nocturne entre particuliers de
20h à 6h, affichait plus de 500 000 trajets par mois, un chiffre d’affaires mensuel de plus de 6
millions d’euros, et employait 60 personnes. Pour son co-fondateur Teddy Pellerin,
l’ambition était avant tout de « répondre à un besoin » en proposant une offre alternative à
destination des jeunes (80 % des utilisateurs avaient entre 18 et 25 ans). « Nous avons
apporté une solution à un manque ! Ni les taxis, ni les VTC ne couvrent ce marché. Nous ne
sommes donc pas concurrents », se défend Teddy Pellerin. Selon lui, Heetch a séduit une
nouvelle niche de jeunes clients qui utilisaient principalement les transports en commun,
grâce à une offre « plus conviviale et plus abordable ». « Ainsi, nous avons su créer de la
mobilité sur des zones où il n’y en avait pas, notamment en province, ou en banlieue qui
concentre 70 % des trajets », avance le jeune startupper. Il poursuit qu’à la différence
d’UberPop, il s’agit bel et bien de covoiturage et de partage des frais, la visée lucrative
n’étant pas la finalité (un conducteur Heetch gagne en moyenne 35 €/semaine seulement et
ne peut gagner plus de 6 000 euros par an – montant estimé des frais d’entretien annuel
d’une voiture).
11. 10
Ces arguments aiguisés et les gages de bonne foi de ses dirigeants, n’auront pas suffi pour
convaincre la justice, qui a condamné l’application en mars 2017 à 600 000 euros d’amende,
principalement en dommages et intérêts aux 1 500 taxis qui se sont portés partie civile.
Une condamnation injuste aux yeux de Teddy Pellerin qui constaste que « la suspension de
Heetch ne générera pas de transfert de clientèle envers les taxis, pas plus que l’interdiction
de Airbnb ne transfèrerait ce marché vers les hôtels, car les attentes ne sont pas les
mêmes ».
Un coup dur pour la startup qui a entamé une course contre la montre pour sa survie.
Nonobstant, ils ont fait appel et refusent de jeter l’éponge. En attendant la décision, les
fondateurs ont aussitôt mis en place une offre de VTC classique, à destination des 25-35 ans.
Une deuxième version entre particuliers, « qui s’adapterait à la loi tout en restant au
maximum en conformité avec la devise de la start-up » déclare le dirigeant.
12. 11
Extrait de la présentation de Teddy Pellerin
Confiant que le modèle de Heetch ne saurait tarder à s’affirmer, Teddy Pellerin reste tout de
même optimiste pour l’avenir. Il préconise de s’inspirer du modèle belge qui prévoit un
plafonnement des gains à 5 000 €/an, toutes plateformes collaboratives confondues, avec
une taxe de 10 % prélevée à la source, afin de tracer des limites claires entre les statuts de
particuliers et de professionnels. « Tout retard pénalise les startups françaises, car quand ce
marché s’ouvrira, elles auront beaucoup de mal à rivaliser avec des boites étrangères qui
auront des reins plus solides », prévient Teddy Pellerin.
Les professionnels du collaboratif : dans l’attente d’un cadre législatif simple
et intelligible
Pingki Houang, Directeur Général de Stuart.com résume à son tour la vocation première du
collaboratif : « ce qui fait l’intérêt des plateformes de l’économie du partage, ce n’est pas
qu’elles essaient d’échapper à l’impôt ou aux charges sociales, c’est qu’elles répondent à un
besoin et qu’elles sont simples d’utilisation ». Dans le cas de Stuart, il s’agit de l’un des
principaux défis de la logistique 4.0 : la livraison du dernier kilomètre.
13. 12
Créée en 2015 par Benjamin Chemla et Clément Benoît, l’application met en relation des
commerces avec un réseau de coursiers indépendants géolocalisés. L’activité est opérée
dans cinq grandes villes (Paris, Lyon, Londres, Madrid et Barcelone) et va se développer dans
plusieurs autres métropoles.
Pour Pingki Houang, le modèle à la demande présente plusieurs avantages par rapport au
modèle capacitaire, notamment pour sa flexibilité maximale, la simplicité et la qualité de la
prestation et des prix très compétitifs.
Récemment rachetée par la Poste, Stuart compte aujourd’hui plus de 1 000 clients, dont
plusieurs très grands comptes. « Ce modèle est vertueux et créateur d’emplois, 100 salariés
en CDI, et 5 000 coursiers sont passés sur la plateforme, pour la plupart des micro-
entrepreneurs », se félicite Pingki Houang. Les coursiers ont 26 ans d’âge moyen, ce sont des
étudiants, des chômeurs, des personnes qui recherchent un complément de revenu.
14. 13
Pour autant, Stuart n’échappe pas aux critiques des entreprises du secteur et à la colère des
syndicats. Pourtant, réplique Pingki Houang, le secteur des VTC a créé 22 000 emplois en
France, dont la moitié étaient des personnes sans emploi avant de devenir des chauffeurs
privés. « On peut critiquer la durabilité ou la fragilité supposée des contrats mais il en reste
que l’économie collaborative est une alternative félicitant l’accessibilité à l’emploi pour les
personnes moins qualifiées ainsi qu’à celles subissant des discriminations à l’embauche »,
argumente Pingki Houang. Avant de rajouter que dès le démarrage, Stuart a « devancé le
législateur en proposant un modèle socialement responsable, agrémenté d’assurances et
d’une sécurité sociale plus facilement accessible pour les autoentrepreneurs ».
En définitive, tout porte à croire, que construire une régulation adaptée jouera dans l’intérêt
de tous les acteurs dans le futur. « Ceci commence par une prise de conscience effective de
la part des élites politiques et des décideurs des enjeux de l’économie collaborative et de la
désintermédiation » assure Michel-Edouard Leclerc. II est donc urgent de faire preuve de
davantage de pragmatisme pour faire évoluer et rendre intelligible un cadre législatif
dépassé.
Et Pingki Houang de conclure : « en dépit des réticences, l’essentiel est de partager la valeur
économique, car dans le futur c’est le client qui aura le pouvoir de décider ».
Remise des prix du Challenge E.Leclerc
A la suite des interventions brillantes des conférenciers et d’une riche session de débat, le
Professeur Olivier Badot et Michel-Edouard Leclerc ont remis un prix aux lauréats du Challenge
E.Leclerc.
En effet, E.Leclerc challenge les étudiants du cours de ‘Distribution & Commerce 4.0’ pour
travailler sur des cas concrets et proposer des recommandations aux différentes
problématiques proposées, avec à la clef un prix à remporter.
15. 14
Un grand bravo à tous les participants qui ont admirablement relevé le challenge et
félicitation à l’équipe lauréate : Yasmine Sakal, Eleonore Dervieux et Eloïse Lapp qui ont
présenté le sujet : « Économie collaborative : définition, formes d'action, modèle
économique et intérêt à agir pour E.Leclerc ».
Les prochains « Petits Déjeuners du Commerce 4.0 »
A l’aune de ces mutations sans précédent, il est plus que jamais nécessaire d’en considérer
l’ampleur, la portée et la complexité, comme le rappelle souvent Michel-Edouard Leclerc.
Les prochains rendez-vous s’inscrivent dans la même lignée et tentent d’apporter une vision
transversale et prospective dans des domaines clés du commerce de demain.
Après une pause estivale, les Petits-Déjeuners du Commerce 4.0 reprendront tous les
premiers mercredis du mois dès le 4 octobre. Ces rencontres sont gratuites et ouvertes à
tout public sur inscription. Vous êtes cordialement invités à y assister. Alors à vos agendas !
16. 15
En attendant, vous pourrez suivre aussi l'actualité du commerce 4.0 sur les différents
supports de communication.
Contact : chaire.leclerc@escpeurope.eu
Page Web : http://www.escpeurope.eu/fr/faculte-recherche/chaires-et-instituts-
escp-europe/chaire-prospective-du-commerce-dans-la-societe-40-escp-europe/
Linkedin : https://www.linkedin.com/company-beta/11143410
Facebook : Chaire Prospective du Commerce 4.0.
Slideshare : https://www.slideshare.net/Chaire_Leclerc