Retrouvez le compte-rendu détaillé du Petit-Déjeuner du Commerce 4.0 du 7 juin 2017, organisé par la Chaire E.Leclerc / ESCP Europe "Prospective du Commerce dans la Société 4.0."
Compte-rendu - " Les modèles économiques de la société 4.0 : vers une grande rupture "
1. Compte-rendu
"Les modèles économiques de la société 4.0 :
vers une grande rupture "
Mercredi 7 juin 2017
Chaire E.Leclerc /
ESCP Europe
"Prospective du
commerce dans la
société 4.0"
PETITS-DEJEUNERS DU COMMERCE 4.0.
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""Les modèles économiques de la société
4.0 : vers une grande rupture "
Experts réunis pour en débattre :
Didier Long
Thomas Guignard
Didier Long est ancien moine bénédictin, aujourd’hui essayiste et Président fondateur du
cabinet KEA EUCLYD, de conseil en stratégie d’entreprise autour de la transformation
digitale.
Thomas Guignard est Directeur Général Europe de l’application mobile de trafic et navigation
Waze.
En présence de Michel-Edouard Leclerc (Président des Centres E.Leclerc et Président
de la Chaire E.Leclerc/ESCP Europe) et du Pr. Olivier Badot (Doyen à la recherche à ESCP
Europe et Directeur scientifique de la Chaire) pour animer, étayer et approfondir le
débat.
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L’« ubérisation » des services, les réseaux sociaux, les marketplaces, le mobile, l’intelligence
artificielle, les innovations des GAFA sont autant de phénomènes qui chamboulent notre
manière de consommer et font muter les modèles économiques de distribution.
Les vecteurs de basculement vers ces nouveaux paradigmes économiques étaient le fil rouge
du Petit-Déjeuner de synthèse qui a eu lieu le 7 juin 2017 à ESCP Europe. Ce dernier a fait le
pont entre les différentes thématiques des six premières éditions, marquant la fin de la
saison 1 des Petits Déjeuners du Commerce 4.0. Un panel d’experts et de professionnels se
sont réunis pour l’occasion.
« Ce qui est évident, c’est la non linéarité des évolutions », a constaté Michel-Edouard
Leclerc qui introduisait les débats. « On ne peut pas parler de rupture : le terme serait
exagéré. Mais il s’agit de cassures, de rebonds. A mon sens, le digital a davantage un effet de
levier qu’un effet de rupture ».
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Après une introduction basée sur l'évolution de la théorie économique des canaux de
distribution par le Professeur Olivier Badot, Didier Long, essayiste et consultant, a présenté
comment cette mutation digitale du commerce bouscule l’écosystème 4.0, invitant à
repenser la distribution en termes de services et de valeurs ajoutées aux clients en réseau.
Thomas Guignard, Directeur Europe de Waze, a présenté le modèle de Waze, cette
plateforme qui s’inscrit de plus en plus dans un modèle de « m-commerce systémique et
proactif » tendant à rendre caducs le e-commerce et m-commerce plus traditionnels hérités
des heuristiques d'achat classiques en magasin.
Panorama des grands axes d’une « nouvelle révolution
commerciale » :
« Nous vivons une révolution commerciale de même ampleur que celle du 19e siècle »,
estime le Professeur Olivier Badot. Elle est d’ordre structurel, systémique et organisationnel.
Pour appuyer son propos, il fait appel au classement des leaders du secteur mondial du
commerce et de distribution. Si Walmart reste en tête du classement, ce qui est frappant
pour le Professeur Olivier Badot, « c’est la montée en puissance phénoménale d’un acteur
qui ne dispose ni de magasin, ni de stock, ni d’entrepôt, qui n’est autre que la plateforme
Alibaba ». Selon lui, cette place de marché est bien partie pour se positionner en tête du
palmarès dans les années à venir (Sébastien Badault, Directeur Général France de Alibaba,
était l’invité du Petit-Déjeuner du 1er mars 2017).
Ces bouleversements sans précédent sont portés par une société dite « 4.0 », où les
consommateurs sont qualifiés de « narcissiques, égocentrés et voulant tout pour rien »,
poursuit le Professeur Badot. Ce portrait du « moi-moi », individualiste et quelque peu
provocant est tempéré par la coexistence d’une configuration du « moi-nous », plus
tribaliste et collaborative, rappelant les travaux précurseurs du Professeur Michel Maffesoli
sur les caractéristiques de la société postmoderne.
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Suite à l’avènement d’un consommateur pluriel et exigent et à la « fragmentation des
moments d’achats », deux grandes formes de commerce concomitantes se sont imposées.
Le Professeur Badot distingue :
un commerce où les consommateurs sortent de leur zone de confort pour se rendre
dans de grands « resorts commerciaux », des lieux de vie multi fonctionnels ;
un « commerce visqueux », cross canal, collant au plus près les déplacements mentaux
et physiques des consommateurs. Cette dernière forme multiplie les points de contact et
favorise les interactions « ATAWADAC », (anytime : à tout moment ; anywhere : partout ;
any device : sur n’importe quel appareil ; any cloud : on parle ici des réseaux sociaux).
Pour le Professeur Badot, la logistique reste « le plafond de verre qui limite la performance
du commerce digital » (cf. le Petit-Déjeuner du 1er février sur la logistique 4.0).
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L’atomisation exponentielle des flux et le foisonnement de canaux conduisent souvent à des
réseaux logistiques disparates et fragmentés. Or, à l’heure du crosscanal, du commerce
« sans-couture », et alors que l’intensité logistique croit dans l’économie, il est urgent de
repenser l’organisation logistique, la gestion des risques de la supply chain ainsi que la
refonte des villes autour de ces nouveaux défis.
L’une des solutions suggérées par ce spécialiste de la prospective, c’est de se tourner vers
l’expérience chinoise qui, sur le modèle du « DABBAWALLAS » indien, s’oriente vers une
logistique plus « ubérisée ». Emerge aussi toute l’importance du rôle du consommateur
logisticien avec toutes les questions relatives au statut juridique du particulier, et au régime
social des travailleurs collaboratifs.
Pour recentrer le débat sur les business models de cette nouvelle économie, le Professeur
Badot attire l’attention sur l’évolution de la notion de valeur. Pour faire face à la crise que
connait le commerce physique, les entreprises rivalisent de créativité pour proposer des
services innovants, mais aussi et surtout des expériences hautement immersives et
gratifiantes, qui tentent d’engager voire de co-créer avec un consommateur exigeant,
mobile, et « qui monte en compétence ».
Ainsi, les corolaires de ces grandes mutations viennent « perturber l’économie politique » du
commerce et font basculer la valeur vers « une socio-économie aux multiples acteurs qui
s’incarne via le modèle de plateformes plutôt que dans une logique de canaux » (cf. le Petit-
Déjeuner du 1er mars sur les plateformes).
Les principaux vecteurs de disruption et d’optimisation des business
models
Après cette contextualisation du Professeur Badot, Didier Long intervient dans la continuité
de ce propos. De par son parcours riche et atypique, il est bien placé pour faire état de
l’impact des innovations accélérées sur les différents business models, mais aussi sur nos
modes de vie et de consommation. Ancien moine bénédictin, il a basculé dans le monde
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digital il y a 20 ans, en travaillant chez FNAC.com, O1.net ou encore McKinsey. Il est
aujourd’hui président-fondateur du cabinet de conseil en stratégie Kea-EUCLYD, spécialisé
dans la transformation digitale des entreprises.
Son constat est sans appel : « En 15 ans, ce qui a vraiment changé, ce sont les gens. Les
technologies, certes, ont changé, mais aussi les spiritualités, les relations, la conception du
corps et aussi le rapport au temps. Tout ceci a changé le business. Ce qui crée de la valeur,
c’est le temps gagné. Celui qui capte l’usage capte le commerce ».
Les moteurs de cette révolution en marche ? Il les résume dans le schéma ci-dessous :
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Extrait de la présentation de Didier Long
Les fameux GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) ont changé la face du monde et
continuent de la façonner. « Nous passons 50 à 55% de notre temps éveillé dessus », affirme
Didier Long. « La valeur créée par ces GAFA n’est pas tant celle des objets qu’on y achète
mais réellement le temps qu’on y accorde ». L’enjeu principal pour ces mastodontes du
Web, c’est de transformer cet intérêt en engagement puis de le monnayer.
Selon le spécialiste, l’impact de la digitalisation qui touche tous les secteurs ne fait que
commencer. Ainsi, Amazon pèse 42% du chiffre d’affaires du e-commerce aux Etats-Unis et
est devenu l’an dernier le premier moteur de recherche de produits devant Google, alors
que le volume d’affaires sur les marketplaces était estimé à 3 milliards d’euros en 2015.
Le moindre choix stratégique qu’entreprennent ces géants du Web a « un effet papillon qui
provoque un tsunami pour le retail ».
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Impact de la digitalisation sur différents secteurs
- Extrait de la présentation de Didier Long
L’ampleur de cette hégémonie témoigne de la puissance d’innovation dont se dotent ces
grands groupes afin de booster leur performance. Le Big Data et l’intelligence artificielle en
sont les principaux moteurs.
Les flux de data ont été multipliés par 45 entre 2005 et 2014. Ces données sont une
précieuse source d’innovation et de valeur. « A mesure que ces volumes colossaux ne
cessent d’augmenter - de manière plus rapide que la capacité de stockage disponible - la
nécessité de disposer d’infrastructures gigantesques pour les manier s’impose avec force »,
appuie Didier Long. Ainsi, le développement de « solutions Big Data », d’outils tels que le
cloud computing et le deep learning est plus que jamais d’actualité.
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Waze : la donnée crowdsourcée au service de la communauté et des
institutions
Créé en 2008 par une startup israélienne et racheté par Google en 2013, Waze est un « GPS
communautaire et social ». Avec quelques 100 millions d’utilisateurs actifs par mois, dont
7.8 millions en France, l’application a conquis une très large communauté d’automobilistes à
travers le monde. Elle maintient un taux de croissance élevé, surtout en Amérique Latine et
en Asie où elle est fortement plébiscitée.
Le secret de sa réussite ? C’est la vocation même de l’application ainsi que la contribution de
ses utilisateurs, avance Thomas Guignard, Directeur Europe de Waze.
Waze est la contraction de deux mots : way = chemin, et de maze = labyrinthe. Selon son
dirigeant, au-delà du jeu de mots, Waze se veut être une application d’intérêt général qui
participe à relever le challenge de la mobilité au moment où les villes sont de plus en plus
polluées et congestionnées. « Quand on sait qu’un français passe environ 2 heures par jour
en voiture, nous réalisons l’apport positif qu’on peut avoir en termes de gain de temps et de
sécurité, ainsi que l’impact environnemental positif », se félicite Thomas Guignard.
Toujours dans cet esprit collaboratif et communautaire, l’application noue des partenariats
avec des villes, des collectivités locales et des entreprises, dans le cadre de son programme
« Connected Citizens ». « En échangeant des données pertinentes, nous pouvons fluidifier
les interventions d’urgence par exemple », illustre-t-il.
D’autre part, à côté des millions de « wazers » qui peuvent signaler des accidents, des
dangers ou des fermetures ponctuelles de routes, il existe une centaine d’éditeurs de cartes
« power users », triés sur le volet et dont la mission est de « dessiner des cartes plus précises
et ajustées aux réalités locales », affirme Thomas Guignard.
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La contrepartie ? Elle n’est sans doute pas pécuniaire. Selon le dirigeant, ces collaborateurs-
là sont des gens passionnés et désireux de servir d’autres utilisateurs, d’autant plus que
certains sont en quête de reconnaissance sociale que leur témoignent leurs pairs.
La communauté de « wazers » : une mine d’or pour le commerce
Si le business model de Waze est totalement gratuit, ce dernier est basé sur la publicité.
« Les wazers sont une cible privilégiée des annonceurs », souligne Thomas Guignard. Grâce
aux techniques de géomarketing, les publicités sont plus pertinentes et personnalisées.
Ainsi, elles ont de meilleures chances d’aboutir à l’achat car « elles sont montrées au bon
moment, au bon endroit et à la bonne personne. Il suffit de cliquer sur le bouton « Go » pour
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se rendre à la boutique, restaurant ou autre qui propose une offre promotionnelle, ou un
produit que vous aurez « googlisé » la veille », enchaine Thomas Guignard.
Il tient à rassurer quant aux risques de perturber les conducteurs, en assurant que les
publicités ne s’affichent que pendant les moments d’arrêt, jamais plus de trois à la fois.
L’autre intérêt que présentent les précieuses données d’achat et de navigation collectées
serait de participer à redéfinir les zones de chalandise sur des critères plus fiables et précis,
renchérit le jeune dirigeant.
« Toutes ces caractéristiques font de Waze l’exemple type du m-commerce systémique,
visqueux et mobiquitaire », déduit le Professeur Olivier Badot.
Les modèles économiques de la société 4.0 : une puissance créatrice
à surveiller de près
Si les avancées spectaculaires de l’ère digitale suscitent un engouement et un enthousiasme
certains, elles ne vont pas sans soulever de nombreuses craintes et interrogations.
Notamment celles liées à la sécurité des données, à la protection des droits des individus, à
la réglementation de l’ « ubérisation ». En cela, ces mutations mettent au défi la législation
et les politiques, qui sont amenés à prendre la vraie mesure des phénomènes qui bousculent
autant les business models que nos modes de vie et de consommation.
« La révolution numérique est en marche, sans aucune possibilité de retour en arrière. Nous
n’avons d’autre choix que de mener le débat et d’engager des actions anticipatrices »,
assure Michel-Edouard Leclerc sur un ton à la fois grave et optimiste. Rejoignant le
Professeur Badot qui citait l’ouvrage de Gérard Demuth : « Rien n’est plus pareil mais ce
n’est pas un drame ».
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Les prochains « Petits Déjeuners du Commerce 4.0 »
A l’aune de ces mutations sans précédent, il est plus que jamais nécessaire d’en considérer
l’ampleur, la portée et la complexité, comme le rappelle souvent Michel-Edouard Leclerc.
Les prochains rendez-vous s’inscrivent dans la même lignée et tentent d’apporter une vision
transversale et prospective dans des domaines clés du commerce de demain.
Après une pause estivale, les Petits-Déjeuners du Commerce 4.0 reprendront tous les
premiers mercredis du mois dès le 4 octobre. Ces rencontres sont gratuites et ouvertes à
tout public sur inscription. Vous êtes cordialement invités à y assister. Alors à vos agendas !
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Contact : chaire.leclerc@escpeurope.eu
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