Georges boussignac, un destin hors du commun ESANUM 2020
1. Georges Boussignac, un destin hors du commun
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«Il y a trois semaines encore Georges travaillait dans sa grange pour tester différents
filtres anti-viraux compatibles avec sa CPAP. J'étais là. Je le tenais régulièrement
informé de l'évolution des patients qui étaient mis sous son dispositif, en réanimation,
au CHU de Créteil.
Pour évoquer Georges, je laisse la parole à Jean-Claude Deslandes, un de ses amis les
plus proches, qui m'a permis de le côtoyer puis de devenir son ami.»
Nicolas Peschanski
Avec Georges Boussignac disparaissait le 21 mai 2020 un homme et un médecin
apprécié de tous. Il a marqué la médecine d’urgence par la conception et la création de
dispositifs innovants, utilisés quotidiennement dans les situations médicales les plus
difficiles.
«Un esprit libre»
En 1965, en début de troisième année de médecine, Georges Boussignac quitte son pays
natal, la Bosnie. Esprit libre, il supporte mal l’autoritarisme d’un régime qui s’immisce
dans la vie personnelle et professionnelle de la population. Le hasard fait qu’il est pris
en stop à la frontière italienne par des italiens se rendant à Reims. Il n’a pas de but
précis, et reste avec eux. La sympathie naturelle qui se dégage du jeune réfugié fait
qu’ils le prennent en amitié et lui offrent un billet de train pour Paris.
Il n’a pas un sou en poche et ne parle pas un mot de français lorsqu’il débarque Gare de
l’Est. Il passe plusieurs nuits sur un banc, jusqu’à ce qu’il rencontre un compatriote qui
lui indique où dormir, manger, se laver, et engager les démarches pour rester sur le
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2. territoire français.
«Le génie intuitif de la mécanique des fluides»
Un jour, il se voit offrir un travail de plombier. Il sera embauché définitivement s'il
parvient à installer et mettre en état de marche, seul et en un week-end, la plomberie
des salles de sciences d’un lycée. De ce métier, il ne connaît que que ce qu'il a observé,
les jours précédents, chez les autres ouvriers. Sans autre aide que son génie intuitif de la
mécanique des fluides, son installation fonctionne. Le voici plombier !
Il travaille comme plombier pour gagner sa vie mais fréquente en même temps
l’Alliance française pour améliorer son français. Il veut s’inscrire en candidat libre à la
faculté de médecine, sa vocation profonde. Il est accepté par équivalence en deuxième
année.
Il abandonne la plomberie et parallèlement à ses études travaille comme garçon de
salle - en fait, balayeur - à l’hôpital Saint Antoine à Paris. Proche des salles de soin il
entend un jour un externe énoncer un mauvais diagnostic. Appuyé sur son balai, il se
permet de souligner l’erreur. Stupeur de l’externe, qui admet la justesse du
raisonnement et ne lui en tient pas rigueur. Au contraire, il va dire au chef de service
qu’apparemment ce garçon de salle n’est pas à sa place.
Retour à la fac de médecine
Le chef de service, le Professeur Caroli, convoque Georges Boussignac dans son bureau
pour comprendre sa situation. Celui-ci lui explique avec son accent encore très
prononcé. Afin de lui permettre d’avoir des heures de sommeil plus compatibles avec les
études, le Pr Caroli lui propose un poste de surveillant de nuit dans un hôpital
psychiatrique. Les tâches y sont relativement rares - maîtriser de temps à autre
quelques sujets agités ! - Georges Boussignac peut donc dormir. C’est là qu’il rencontre
Sylvette, l’amour de sa vie.
Il est autorisé à passer certains examens à l’oral, contrairement aux autres étudiants :
l’examinateur a compris que l’écrit peut être un obstacle alors que ses connaissances
sont évidentes. Georges Bousignac acquiert la nationalité française. Suite à une
incompatibilité administrative son diplôme universitaire de médecin n’est plus valable.
En seulement six mois il reprend tous les cours, et repasse un diplôme d’Etat qui lui
donne le droit d’exercer.
Attiré par la jeune spécialité d’anesthésie, il s’inscrit à Créteil dans le service du
Professeur Pierre Huguenard. Ce dernier fait alors partie de ceux que l’on appelle les
«grands patrons» : à l’origine de bien des avancées en anesthésie, il régne en maître
absolu dans son service et accepte mal la contradiction.
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3. Le Pr Huguenard perçoit tout de suite en Georges Boussignac un médecin d’exception
dont les qualités ne demandent qu’à s'exprimer. Il lui propose un service universitaire.
Georges refuse, arguant du fait qu’il voulait garder une totale liberté. Huguenard,
quelque peu estomaqué, ne le prend pas mal, contrairement à ce que l’on aurait put
craindre. Il accepte de le garder comme attaché et chercheur indépendant.
La ventilation spontanée en pression positive, du crash de 1973 au
Covid-19
Le 11 juillet 1973, l'équipage d'un Boeing 707 venant de Rio de Janeiro est forcé
d'effectuer un atterrissage d'urgence pendant l'approche vers d'Orly. Une fumée dense
issue d'un incendie dans les toilettes a envahi l'avion. 123 passagers sont tués par la
fumée. Des onze survivants, trois sont amenés dans le service de réanimation de Créteil.
Georges est de garde. Les trois patients sont polypnéiques et manifestement
hypoxiques, comme l’indiquent les gaz du sang. L’apport d’oxygène à haute
concentration n’y change rien. Les médecins militaires consultés pensent que ces
patients, aux poumons brûlés par les gaz chauds de l’incendie, sont au-delà de tout
recours thérapeutique. Georges refuse de baisser les bras.
C’est là que se révèle son génie médical. Si l’oxygène administré ne franchit pas la
barrière alvéolo-capillaire, c’est que cette dernière est effectivement lésée par l’incendie.
Il serait possible de placer ces patients sous respiration artificielle, mais ce serait les
condamner à court terme. Il a cette idée de les laisser en ventilation spontanée mais de
leur faire respirer de l’oxygène mis en pression positive grâce à une enceinte en
plastique transparent étanche qu’il «bricole» avec le matériel du service. La pression de
l’enceinte est réglée par un tuyau trempant dans un flacon de sérum physiologique qui
laisse «buller» l’oxygène admis dans l’enceinte. La première ventilation spontanée en
pression positive est née. Les trois patients survivent après quelques jours de ce
traitement.
C’est sur ce principe que Georges créera la fameuse
CPAP de Boussignac. Ce dispositif de pression positive
continue fonctionne en «ouvert», avec une valve
virtuelle créée par un débit de gaz à haute vélocité. Il est
utilisé pour la prise en charge des oedèmes
pulmonaires, et de bien d’autres pathologies.
La CPAP de Boussignac, déjà connue dans le monde
entier, s'est avérée particulièrement précieuse durant
l’épidémie de coronavirus pour traiter les formes graves
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4. d’insuffisance respiratoire. Elle a permis dans de nombreux cas d’éviter la mise sous
respirateur artificiel. Lorque la membrane alvéolo-capillaire est lésée par le virus et ne
laisse plus diffuser l’oxygène, la CPAP de Boussignac permet de «forcer» ce passage de
façon physiologique.
Il est impossible d’évoquer Georges Boussignac sans parler de ses travaux sur la prise en
charge de l’arrêt cardiaque. Toujours sur le principe de la valve virtuelle, son dispositif
B-card [Boussignac cardiac arrest resuscitation device] permet de ne pas interrompre
les compressions thoraciques, donc le débit circulatoire, tout en assurant une
oxygénation optimale.
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6. Un inventeur discret, lumineux et aimé
Lorsque l’on interrogeait le docteur Georges Boussignac sur son parcours de vie, il
disait toujours qu’il avait eu beaucoup de chance. D'abord en rencontrant celle qui est
devenue sa femme, ensuite en ayant pu être adopté par la France. Pour ses services
rendus à la médecine, le Docteur Xavier Emmanuelli lui avait remis le 14 avril 2014 la
Légion d’Honneur. Georges en était très fier, lui le réfugié qui avait du vivre un temps
aux marges de la société. Foncièrement modeste, il ne se mettait jamais en avant,
donnant volontiers la parole aux autres. Auteur de centaines de brevets médicaux, il
nous laisse un patrimoine médical exceptionnel.
Profondément humaniste, ayant toujours un mot pour tous, il était aimé et respecté par
tous. Très croyant, il évoquait souvent la «Divine Providence», en oubliant peut-être un
peu ce qui n’était dû qu’à son génie inventif et à ses qualités d’homme. Ce qui est sûr,
c'est que tous ceux qui l’ont côtoyé, croyants ou non-croyants, gardent de lui le souvenir
d’un homme lumineux, généreux, et amoureux de la vie.
Jean-Claude Deslandes
À gauche, Jean-Claude Deslandes.
Devant, Nicolas Peschanski et Georges Boussignac.
Derrière l'objectif, Bruno Garrigue
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7. De gauche à droite : Nicolas Peschanski, Georges Boussignac, Arnaud Depil-Duval
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