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« Guerres du XXIe siècle » d’Ignacio Ramonet
A propos du rôle bienfaisant de l’orchestre du Titanic
Herwig Lerouge (PTB-Inem)
2002
Ignacio Ramonet dirige le mensuel« Le Monde Diplomatique » et il est aussi
l’initiateur du projet Attac, qui défend l’introduction de la « Taxe Tobin » sur la
spéculation financière. Son dernier livre, “Guerres du XXIe siècle”, trace un
portait (réaliste) de l’apocalypse qui menace l’humanité étouffée par la
dictature des multinationales. Malheureusement, en guise de réponse à la
menace, il n’a à nous offrir que l’orchestre du Titanic.
Dans son dernier livre « Les Guerres du XXIme siècle 1
», Ignacio Ramonet peint une
fresque apocalyptique, mais réaliste, de l’horreur et le chaos où l’impérialisme
débridé a jeté le monde depuis qu’il ne trouve plus en face de lui un bloc socialiste.
« La mondialisation économique touche les moindres recoins de la planète, ignorant
aussi bien l'indépendance des peuples que la diversité des régimes politiques. La
Terre connaît une nouvelle ère de conquête, comme lors des colonisations. Cette
conquête du monde s'accompagne de destructions impressionnantes. Des industries
entières sont brutalement sinistrées, dans toutes les régions. On assiste à la
réapparition et la généralisation du travail des enfants, aussi en Europe. Les grands
groupes saccagent l'environnement avec des moyens démesurés… Sur les 6
milliards d'habitants de la planète, à peine 500 millions vivent dans l'aisance, tandis
que 5,5 milliards demeurent dans le besoin. Depuis 1989, fin de la guerre froide, il y
a eu plus de soixante conflits armés ayant fait des centaines de milliers de morts et
plus de 17 millions de réfugiés ! Dans beaucoup d'endroits de la Terre, la vie
quotidienne est devenue tout simplement infernale. Des dangers de nouveaux types
apparaissent : hyper-terrorisme, fanatismes religieux ou ethniques, prolifération
nucléaire, crime organisé, réseaux mafieux, spéculation financière, grande
corruption, extension de nouvelles pandémies, pollutions de forte intensité, effet de
serre, désertification…».
Et la cause tout cela ? « La concentration du capital et du pouvoir au cours des vingt
dernières années, sous l'effet des révolutions des technologies de l'information….
Certaines firmes ont un chiffre d’affaires supérieur à celui d’un état scandinave
.Profitant de la déréglementation, les grands groupes veulent avoir une présence
planétaire ».
La description confirme pleinement les thèses de Marx et de Lénine. Comme le
rappellent les documents du VII me Congrès du PTB « la centralisation du capital a
abouti à la création des monopoles industriels et bancaires, qui ont fusionné dans les
monopoles financiers. L’accumulation gigantesque de capitaux qui a permis la
formation des monopoles reposait sur l’exploitation sans limites de la classe ouvrière
des pays capitalistes et sur la mise à sac des richesses des colonies. L’existence des
monopoles, appelés aujourd’hui les multinationales, exprime le mieux la contradiction
fondamentale du mode de production capitaliste : d’une part, le caractère social de la
production ne cesse de se développer et de s’étendre à toute la planète ; d’autre
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Les Guerres du XXIe siècle, éd. Galilée, 2002
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part, le caractère privé de son appropriation réduit à un nombre de plus en plus
restreint les bénéficiaires des richesses produites. Les monopoles amènent la
contradiction principale du mode de production capitaliste à sa forme la plus
achevée, la plus explosive. Ils posent cette contradiction au niveau de la planète tout
entière. (thèses 16 et 17)
Du rôle de l’Etat
Ramonet constate qu’aucune contre-pouvoir ne s’oppose à cette expansion. « La
mondialisation libérale n’est pas pilotée par les Etats. Les dirigeants des mégafirmes
détiennent la réalité du pouvoir et, par le biais de leurs puissants lobbies, pèsent de
tout leur poids sur les décisions politiques des gouvernements légitimes et des élus.
Les dirigeants politiques se sentent débordés par une mondialisation qui modifie les
règles du jeu et les laisse partiellement impuissants».
Tout d’abord, le contrôle du capital sur l’Etat n’est pas nouveau. Depuis que la
bourgeoisie a pris le pouvoir, elle a transformé l’Etat en son instrument de
domination. Comme l’a dit Marx, « Le pouvoir d’État n’est rien d’autre que
l’organisation que les classes dominantes, propriétaires fonciers et capitalistes, se
sont donné pour préserver leurs privilèges » Engels a écrit : « Dans la république
démocratique, la richesse exerce son pouvoir d’une façon indirecte, mais d’autant
plus sûre. D’une part, sous forme de corruption directe des fonctionnaires. D’autre
part, sous forme d’alliance entre le gouvernement et la Bourse»
Il ne s’agit ni d’une nouveauté, ni d’impuissance D’ailleurs, qui a décidé la politique
économique et sociale de dérégulation, de privatisation, de démolition des acquis
sociaux et d’intensification de la productivité du travail, sinon Reagan imité par toutes
les administrations américaines, sinon Thatcher imitée en suite par Blair et toute la
social-démocratie européenne ?
Ensuite, la thèse de l’impuissance des Etats est en complète contradiction avec la
réalité, même celle décrite dans la partie de son livre qui traite des guerres du futur.
Ramonet y admet volontiers que ce sont les Etats-Unis qui dirigent et imposent la
mondialisation d’une main de fer, en recourant au prétexte de « la lutte contre le
terrorisme pour autoriser tous les excès et les mesures autoritaires contre ceux qui
s’opposent à l’hégémonie américaine et la mondialisation libérale. Les USA
demandent de mettre en place un appareil de sécurité de la mondialisation : avec le
ralliement de la Russie et la Chine dans l’OMC, le prétexte de la lutte contre le
terrorisme et la destruction des libertés, les conditions sont réunies pour donner cette
mission probablement à l’OTAN. L’idée chemine qu’il redevient possible d’apporter
des solutions militaires à des problèmes politiques ».
En quoi cela diffère-t-il de ce qu’a décrit Lénine sur la façon dont les Etats
capitalistes, nés de la nécessité d’armer la bourgeoisie dans sa lutte contre la classe
ouvrière, se sont graduellement transformés en Etats impérialistes, chargés
également de garantir la domination des monopoles sur l’ensemble des peuples du
monde. En portant la concurrence à son niveau le plus élevé et en l’étendant au
monde entier, les monopoles poussent également à son comble le caractère
répressif et militaire des appareils des Etats impérialistes.
Tout sauf le communisme
Mais difficile de reconnaître que le marxisme permet aujourd’hui d’analyser le
monde. Ramonet appartient au courant des idéologues de « tout sauf le
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communisme ». Marx, c’était sans aucun doute bon à l’époque de la révolution
industrielle, mais depuis 1989 « la pensée socialiste s’est durablement affaissée tout
comme le paradigme (dogme) du progrès comme idéologie prétendant à la
planification absolue de l’avenir et à la programmation du bonheur. Quatre
convictions nouvelles ont envahi la gauche : aucun pays ne peut se développer
sérieusement sans économie de marché ; l’étatisation systématique des moyens de
production et d’échange entraîne gaspillages et pénuries ; l’austérité au service de
l’égalité ne constitue pas un programme de gouvernement ; la liberté de pensée a
pour condition une certaine liberté économique ». Il cite même l’économiste indien,
Prix Nobel, Amyarta Sen : il n’y a jamais eu de famine dans un pays doté d’une forme
démocratique et disposant d’une presse relativement libre ». Et c’est un Indien qui
vous le dit. Le bilan n’est pas différent de celui des idéologues de la droite pure et
dure : le marché est une condition de la démocratie.
On s’étonne d’un tel manque de suite dans les idées. Comment peut-on écrire que
« la concentration du capital et du pouvoir s'est formidablement accélérée (et), les
grands groupes veulent avoir une présence planétaire », que le monde est dominé
par « 225 grosses fortunes qui représentent un total de plus de 1 000 milliards
d'euros, soit l'équivalent du revenu annuel de 47 % des personnes les plus pauvres
de la population mondiale (2,5 milliards de personnes !) » et faire croire que le
marché libre existe. Comment peut-on montrer que la concentration du capital va de
pair avec l’accroissement des inégalités car « en 1960, les 20 % les plus riches de la
population mondiale disposaient d'un revenu trente fois plus élevé que celui des 20
% les plus pauvres. Aujourd'hui le revenu des riches par rapport à celui des pauvres
est, non pas trente, mais quatre-vingt-deux fois plus élevé ! ». Comment écrire que
« les dirigeants des mégafirmes, ainsi que ceux des grands groupes financiers et
médiatiques, détiennent la réalité du pouvoir et confisquenti à leur profit la
démocratie » et plaider pour le marché, qui n’est plus qu’un mythe depuis longtemps,
est une condition pour la démocratie. Le marché a conduit inévitablement à la
concentration des capitaux, au monopole. L’accumulation de capitaux et leur
concentration dans les mains de monopoles de moins en moins nombreux ont
radicalement transformé le libre jeu de la concurrence capitaliste.
Mais Ramonet, et la plupart des idéologues de l’altermondialisme, sont farouchement
opposés à un vrai débat sur le bilan du socialisme. Dire, le socialisme a été battu,
donc il ne vaut rien, équivaut à affirmer que la lutte sociale des travailleurs ne vaut
rien, car la plupart des acquis sociaux du siècle précédent sont aujourd’hui remis en
cause.
Leur anticommunisme, hard ou soft, exprime bien le caractère de classe de cette
partie de l’opposition à la globalisation impérialiste. Nulle part on ne trouve chez
Ramonet une sympathie pour les mouvements révolutionnaires dans le Tiers Monde
qui se battent pour le renversement de l’impérialisme. Quand il en parle, il les décrit
comme une conséquence désastreuse de la mondialisation et des milices privées
rançonnant la population : « (à cause de la mondialisation), les structures étatiques,
de même que les structures sociales traditionnelles, sont balayées de façon
désastreuse. Un peu partout, au Pakistan, en Algérie, en Somalie, au Congo, en
Colombie, aux Philippines ou au Sri-Lanka, des entités chaotiques ingouvernables se
développent, échappent à toute légalité, replongent dans un état de barbarie. La
force l'emporte alors sur le droit, et seuls des groupes de pillards sont en mesure
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d'imposer leur loi en rançonnant les populations ».
Ramonet parle comme ceux qui craignent que la révolte populaire puisse balayer
l’ensemble du système impérialiste, y compris la situation privilégiée dans laquelle ils
se trouvent eux-mêmes. Car l’Europe Occidentale de la deuxième moitié du Xxme
siècle n’est-elle pas caractérisée par « l’apaisement progressif des conflits armés et
par la montée d’une prospérité quasi générale. Les conditions d’existence se sont
remarquablement améliorées. L’espérance de vie a été portée à un niveau jamais
atteint dans le passé ». Passons sur le renversement de tendance depuis 1989. Mais
les excès de l’impérialisme menacent cette situation confortable. Comme il dit, dans
l’édito de novembre du Monde Diplomatique « aussi incroyable que cela puisse
paraître, les milliards de damnés de la terre se tiennent politiquement tranquilles.
C'est même l'un des grands paradoxes de notre temps : plus de pauvres que jamais,
et moins de révoltés qu'il n'y en eut jamais. Cette situation peut-elle durer ? C'est peu
probable. En raison sans doute de l'épuisement du marxisme comme moteur
international de la révolte sociale, le monde traverse une sorte de transition ».
Alors vite, avant que les damnés de la terre n’explosent, enlevons la mèche de la
dynamite pour sauver le système.
Le nouvel orchestre du Titanic
Comme la social-démocratie n’est plus disponible, il faut la réinventer. « Le
socialisme a été trahi par ses dirigeants européens. Les SD ont abandonné leur
tradition pacifiste et de légalisme international de Jaurès au Kosovo. Solana a dirigé
alors l’OTAN, la guerre au Kosovo n’avait pas la légalité de l’ONU, ni l’aval des
parlements. La social démocratie s’est convertie au social-libéralisme. La social
démocratie est devenue la droite moderne. Pour elle la politique c’est l’économie et
l’économie, c’est la finance et la finance ce sont les marchés. Elle privatise,
démantèle le secteur public, favorise les fusions ».
Nous pourrons parler dans un autre article de l’alternative proposée par Ramonet à
cette menace d’apocalypse. Mais elle ne diffère des thèses sociaux-démocrates
traditionnelles qui ont fait faillite, que par la sauce ONG-iste : « Il faut fonder une
nouvelle économie, plus solidaire, basée sur le principe du développement durable et
plaçant l’être humain au cœur de ses préoccupations » et cela en associant « la
société civile naissante(ONG, associations diverses) aux prochaines grandes
négociations internationales sur des problèmes liés à l’environnement, la santé, la
suprématie financière, l’humanitaire, la diversité culturelle, les manipulations
génétiques ». Le but étant d’arriver à « une nouvelle distribution du travail et des
revenus dans une économie plurielle où le marché occupera une partie de la place,
avec un secteur solidaire et un temps libéré de plus en plus important ».
Bref, face à la toute puissance du capital qui entraîne le monde vers les profondeurs,
il ne nous propose que l’orchestre du Titanic pour adoucir les derniers instants des
damnés de la terre.
Contre la guerre : l’Europe vite…
Ramonet constate à juste titre que les États-Unis « dominent le monde comme nul
empire ne l'a jamais fait. Ils exercent une écrasante suprématie dans les cinq
domaines traditionnels de la puissance : politique, économique, militaire,
technologique et culturel ».
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Depuis le 11 septembre tous les pays ont reconnu la suprématie américaine militaire.
« Les USA agissant sans tenir compte des alliances, constituent des coalitions à
géométrie variable, fixant les objectifs. La soumission de Moscou signifie qu’il n’y a
plus aucune coalition militaire susceptible de se constituer pour être en mesure de
faire face aux Etats Unis. Ils ont la capacité de prendre la tête d'une version moderne
de l'Empire universel, un empire spontané dont les membres se soumettent
volontairement à son autorité ». Mais l’Empire américain entraîne le monde vers le
fascisme et la guerre. « La lutte contre le terrorisme autorise tous les excès et les
mesures autoritaires contre tous ceux qui s’opposent à l’hégémonie américaine et la
mondialisation libérale. L’idée chemine qu’il redevient possible d’apporter des
solutions militaires à des problèmes politiques ».
Déjà sous Clinton, il y eut une rupture avec le droit international. « La guerre de
l’OTAN contre la Yougoslavie - qui n’avait commis aucune agression extérieure - est
une nouvelle étape dans les relations internationales. L’ingérence humanitaire,
considérée comme moralement supérieure à tout a amené l’OTAN a transgresser
deux interdits majeurs de la politique internationale : la souveraineté des Etats
(article 3 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen d’août 1789) et les
statuts des Nations Unies. La souveraineté autorise un gouvernement à régler ses
conflits internes en fonction de ses propres lois, élaborées par son parlement. Une
solution était proche à Rambouillet ( Milosevic avait accepté une autonomie pour le
Kosovo), Le seul but de la guerre était d’installer des forces militaires de l’OTAN sur
le territoire. (…) Il n’y a pas eu de résolution de l’ONU pour le Kosovo. Il y a une
volonté des USA de réduire son rôle. Allbright a voulu remplacer le « politique »
Boutros-Ghali par un « administratif » Annan, plus docile ; il y a eu accords de
Dayton et Wye River sans l’ONU. Les USA n’acceptent plus d’être bridés par le
légalisme de l’ONU. Ils veulent dominer sans passer par l’ONU.».
Depuis la publication du 20 septembre dernier, du document sur la nouvelle
« stratégie nationale de sécurité des Etats-Unis (1) », il accuse même, à juste titre,
les USA de » rétablir le droit à la « guerre préventive » que Hitler appliqua en 1941
contre l'Union soviétique, et le Japon, la même année, à Pearl Harbor contre les
Etats-Unis... Cette stratégie efface également un principe fondamental du droit
international, adopté lors du traité de Westphalie, en 1648, établissant qu'un Etat
n'intervient pas, et surtout pas militairement, dans les affaires intérieures d'un autre
Etat souverain (principe bafoué en 1999, lors de l'intervention de l'OTAN au
Kosovo...). Tout cela signifie que l'ordre international fondé en 1945, à l'issue de la
seconde guerre mondiale, et régi par l'Organisation des Nations unies (ONU) vient
de prendre fin. A la différence de la situation que le monde connut pendant une
décennie, après la chute du mur de Berlin (1989), Washington assume désormais
sans complexe sa position de « leader global (...). Les Nations unies sont
marginalisées, ou réduites à une chambre d'enregistrement devant s'incliner face aux
décisions de Washington ».
Et en Irak, « au-delà des arguments avancés, l'un des buts principaux de la guerre
annoncée contre l'Irak est effectivement le pétrole. Sous protectorat américain, l'Irak
pourrait rapidement doubler sa production de brut, ce qui aurait pour conséquence
immédiate de faire chuter les prix du pétrole et, peut-être, de relancer la croissance
aux Etats-Unis. Cela permettrait également de porter un coup très dur à
l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), et par ricochet à certains de
ses pays membres, en particulier la Libye, l'Iran et le Venezuela (..) L'Arabie saoudite
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pourrait être démantelée et un émirat, sous protectorat américain, établi dans la riche
province de Hassa, où sont situés les principaux gisements de pétrole et dont la
population est majoritairement chiite. Dans une telle perspective, le conflit contre
l'Irak ne ferait que précéder, à courte échéance, une attaque contre l'Iran, pays déjà
classé par M. Bush comme membre de l'« axe du Mal ».
.
S’opposer à Bush-Hitler est un devoir pour tous les progressistes de la terre. Et
trouver des alliés aussi. Mais l’Union européenne peut-elle être un allié dans la lutte
contre les menaces de guerre ? C’est pourtant le choix de Ramonet.
Il conspue les « dirigeants européens (au Royaume-Uni, Italie, Espagne, Pays-Bas,
Portugal, Danemark, Suède...) qui adoptent déjà, à l'égard de l'empire américain,
dans un réflexe de caniche, l'attitude de servile soumission qui sied aux fidèles
vassaux ». C’est contre cette division qu’il appelle de ses vœux une Union
européenne forte car « Sans défense autonome, solide et imposante, nulle politique
étrangère n’est crédible. L’Europe vérifie ce principe fondamental de la diplomatie sur
tous les terrains des crises, et tout particulièrement dans le conflit israélo-palestinien.
Alors qu’elle demeure un contributeur économique fondamental, son poids
diplomatique est négligeable. Les citoyens désespèrent devant l’impuissance de
l’Europe ».i
Une Union Européenne impérialiste et forte, peut-elle être un facteur de paix dans le
monde ?
Qu’a fait au Tiers Monde, l’Europe quand elle dominait : annexions, pillage des
matières premières et des ressources naturelles, asservissement des populations
locales, guerre à tous ceux qui osaient résister. Quelle est la politique européenne
actuelle du commerce international ? Aux négociations de l’OMC, le commissaire
européen responsable, Pascal Lamy, est partisan d’une ouverture plus grande des
frontières du tiers-monde en ce qui concerne les marchandises et les capitaux. En
1916 Lénine constatait : « Supposons qu'un Japonais condamne l'annexion des
Philippines par les Américains. Se trouvera-t-il beaucoup de gens pour croire qu'il
est mû par l'hostilité aux annexions en général, et non par le désir d'annexer lui-
même les Philippines ? Et ne devra-t-on pas reconnaître que l'on ne peut considérer
comme sincère et politiquement loyale la « lutte » du Japonais contre les annexions
que s'il se dresse contre l'annexion de la Corée par le Japon et réclame pour elle la
liberté de séparation d'avec le Japon. »ii
Ramonet fait croire qu’une autre Europe impérialiste serait possible, une alternative
au néo-libéralisme américain : une Europe plus sociale, plus démocratique. S’il
prenait la peine d’étudier le marxisme, tout sauf dépassé, il verrait que c’est un débat
qui a déjà eu lieu entre Lénine et Kautsky à l’époque de la Première Guerre
Mondiale. Kautsky pensait aussi que l’impérialisme pourrait mener une autre
politique, qui ne conduise pas à la guerre mondiale.
« L'essentiel, disait Lénine, c'est que Kautsky détache la politique de l'impérialisme
de son économie en prétendant que les annexions sont la politique préférée du
capital financier, et en opposant à cette politique une autre politique bourgeoise
prétendument possible, toujours sur la base du capital financier. Il en résulte que les
monopoles dans l'économie sont compatibles avec un comportement politique qui
exclurait le monopole, la violence et la conquête. Il en résulte que le partage
territorial du monde, achevé précisément à l'époque du capital financier et qui est à
la base des formes originales actuelles de la rivalité entre les plus grands Etats
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capitalistes, est compatible avec une politique non impérialiste. Cela revient à
estomper, à émousser les contradictions les plus fondamentales de la phase actuelle
du capitalisme, au lieu d'en dévoiler la profondeur. Au lieu du marxisme, on aboutit
ainsi au réformisme bourgeois. »iii
Ce faisant, Ramonet apporte de l’eau au moulin de la bourgeoisie européenne qui
veut aller de l’avant dans sa lutte avec le rival économique américain. Il sert à
transformer le mouvement né de la contestation de l’ordre inégalitaire mondial en un
vaste soutien à la politique européenne, pour autant que celle-ci se détache de
l’influence libérale nord-américaine.
Si on veut la paix, il ne faudra compter que sur les victimes de la mondialisation
impérialiste et non sur ceux qui veulent une partie du gâteau. Il faudra se battre pour
une société sans multinationales, sans suprématie du capital, bref sans propriété
privée des moyens de production (usines, entreprises, etc.). Autrement dit une
société socialiste.
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Cadre
Ramonet est un gourou d’une partie du mouvement contre la globalisation. Le
« Monde Diplomatique », dont il est le directeur, tire à un million d’exemplaires et il
existe une version du mensuel en au moins six langues supplémentaires (anglais,
espagnol, allemand, italien, portugais et suédois). Des centaines d’associations d’
“Amis du Monde Diplomatique” existent à travers le monde. La Taxe Tobin,
revendication centrale de l’association Attac est devenue celle d’une grande partie du
mouvement social et tiers-mondiste. Il est aussi à la base du « Forum de Porto
Alegre », qui veut « développer une riposte intellectuelle et sociale à la globalisation
et pour proposer un cadre théorique pour une mondialisation de type nouveau et
d’affirmer qu’un autre monde, moins inhumain et plus solidaire est possible ». Porto
Alegre est devenu le rendez-vous annuel de l’aile réformiste du mouvement alter-
mondialiste.
i
Ignacio Ramonet, op. cit., p.7.
ii
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, in Oeuvres complètes, tome 22, éditions
sociales, Paris, 1960, p.321.
iii
Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, in Oeuvres complètes, tome 22, éditions
sociales, Paris, 1960, p.291.