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MEMOIRE DE FIN
D’ETUDES :
Y a-t-il une bulle dans la
valorisation des startups ?
Sous la direction de M. Olivier Younès
Marine Antona
Ugo Madern
2014 - 2015
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
Remerciements
Nous tenons tout d’abord à remercier chaleureusement M. Mortchev1
, M. Charquet2
, M. Daudier
de Cassini3
, M. Dupont4
, M. Carbonne5
, M. Baschiera6
et M. Mandin7
pour nous avoir ouvert les
portes de leur bureau et consacré du temps afin de répondre à nos questions.
Nous remercions l’Université Paris Dauphine de nous offrir la possibilité de réaliser ce mémoire
de fin d’études qui sera selon nous un atout supplémentaire pour notre employabilité future.
Nous remercions Mme. Garcia, responsable Private Equity de BNP Paribas Wealth Management,
qui nous a fourni des données de la plateforme Preqin nous permettant ainsi d’enrichir la robustesse
de notre travail.
Enfin nous adressons nos sincères remerciements à M. Younès qui a accepté de nous suivre dans
la réalisation de ce mémoire et sans qui ce travail n’aurait pas vu le jour.
1
Co-fondateur associé de Sokrates Advisor, Société de conseil dédiée au Private Equity et Venture Capital
2
Managing Partner chez Generis Capital Partners, Société de gestion en capital risque ayant un département
Venture Debt
3
Analyste chez Generis Capital Partners, Société de gestion en capital risque ayant un département Venture
Debt
4
Président d’Anaxago, Plateforme de Crowdfunding en Equity française
5
Directeur Général d’Anaxago, Plateforme de Crowdfunding en Equity française
6
Co-fondateur d’Early Metrics, Agence de Notation de startups en France
7
Chargé d’Affaires chez Seventure, Fonds de Venture Capital de Natixis
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
Abstract
Dans un contexte où des startups atteignent des valorisations jusqu’alors jamais observées
et où de nombreux professionnels et journalistes parlent d’une bulle dans la valorisation des
startups, nous avons cherché à voir si le phénomène était bien réel. Afin de répondre à cette
question nous avons rassemblé un maximum de sources d’informations et d’opinions dans le but
d’identifier les différentes pistes de réflexion. Puis nous avons analysé ces éléments afin de faire
émerger ce qui nous est apparu comme étant le plus pertinent au regard du contexte actuel. Cette
méthode de travail nous a ainsi permis d’approuver l’existence d’une survalorisation, mais qu’il ne
convient pas selon nous de considérer comme une bulle.
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
Sommaire
Introduction..................................................................................................- 4 -
Préambule.....................................................................................................- 6 -
I. Valorisation des startups sur le marché privé.........................................................................- 6 -
II. Valorisation des startups sur le marché coté...........................................................................- 8 -
Première partie : l’existence envisageable d’une bulle.............................. - 11 -
I. Les facteurs communs aux précédentes bulles.....................................................................- 11 -
II. Qu’en est-il aujourd’hui ?.........................................................................................................- 13 -
III. Des facteurs spécifiques au Venture Capital laissant penser à une forte survalorisation
des startups.........................................................................................................................................- 18 -
IV. Suivi du schéma classique de la bulle.................................................................................- 22 -
V. Une survalorisation d’abord sur les entreprises en late stage qui s’est transmise aux rounds
inférieurs par la suite.........................................................................................................................- 23 -
Deuxième partie : des valorisations pour partie justifiées.........................- 25 -
I. Des éléments internes aux startups démontrant une valeur intrinsèque plus importante- 25
-
II. Des éléments externes qui justifient des valorisations plus élevées...................................- 27 -
Troisième partie : une survalorisation qui ne doit pas être considérée comme
une bulle......................................................................................................- 32 -
I. Les raisons laissant penser que les valorisations ne chuteront pas drastiquement..........- 32 -
II. Le mécanisme du dégonflement.............................................................................................- 36 -
Conclusion ..................................................................................................- 37 -
Bibliographie ..............................................................................................- 38 -
Annexes....................................................................................................... - 41 -
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
Introduction
La valorisation des startups est depuis longtemps un sujet sur lequel de nombreux
professionnels et chercheurs se sont penchés. Du fait de la nature très incertaine de l’avenir de ces
entreprises et du manque d’expérience dans les domaines nouveaux, il est effectivement très
difficile d’appliquer les méthodes de valorisation traditionnelles que l’on retrouve pour les actifs
moins risqués. L’ingénierie financière a donc dû développer des modèles complexes pour
appréhender cette valorisation avec comme exemple la méthode optionnelle. Cependant, le
nombre de paramètres et d’hypothèses étant extrêmement élevés, une idée est partagée de tous, il
est encore aujourd’hui très complexe de valoriser une startup de façon efficace et nombre
d’éléments subjectifs influencent donc sa réalisation.
Cette difficulté a d’ailleurs déjà eu de lourdes conséquences comme nous l’avons observé
lors de la bulle dot.com, où les valeurs des entreprises de l’internet ont explosé à la fin des années
1990 pour atteindre un sommet en mars 2000. Dans l’euphorie du potentiel d’internet, les
investisseurs semblent avoir perdu leur rationalité et pris des décisions déconnectées de presque
tous les fondamentaux de leurs investissements. A ce titre, Alan Greenspan, ancien président de la
Fed, a mentionné le terme « d’exubérance irrationnelle » lors de son discours devant l’American
Entreprise Institue le 5 décembre 1996 pour caractériser le comportement des investisseurs sur les
marchés actions et en particulier sur les valeurs de l’internet. De cette irrationalité a découlé la bulle
dot.com dont l’éclatement a entrainé une division par 1,5 du Nasdaq en à peu près un mois (mars
2000) et par environ 4,5 entre le début du mois de mars 2000 et septembre 2002.
Depuis quelques temps maintenant, des startups refont la une des journaux concernant les
niveaux de valorisation qu’elles atteignent. A titre d’exemple, la startup Slack a fait couler beaucoup
d’encre en octobre 2014, en levant des fonds sur une valorisation de 1 Md$, moins d’un an après
son lancement. De même, en juillet 2015, Uber a atteint la valorisation impressionnante de 51 Md$
lors de son dernier tour de table. De tels chiffres ne nous ont pas laissés insensibles et nous nous
sommes donc demandé s’il n’y avait un sujet à creuser autour de ces annonces. Nous ne sommes
d’ailleurs pas les seuls puisque l’on observe sur internet depuis 2013 une recrudescence des
recherches liées au terme de « Tech Bubble » (annexe 1). Par ailleurs, la valorisation des startups
est aujourd’hui un sujet touchant un grand nombre de personnes, avec l’arrivée récente des
investisseurs grand public dans le Venture Capital via le développement du Crowdfunding en Europe
et aux Etats-Unis. Ces derniers, qui n’ont aucune expérience de ce secteur, se demandent donc si
les startups sont actuellement survalorisées au point de représenter une bulle.
Dans ce contexte, il nous a semblé pertinent de se demander si la période actuelle
correspondait à une période de bulle dans la valorisation des startups, ou si au contraire ces
valorisations croissantes n’étaient pas simplement le reflet d’une amélioration des fondamentaux
de ces entreprises.
Afin de répondre à cette problématique, il faut tout d’abord définir les limites d’un tel sujet,
car il serait trop ambitieux de vouloir le traiter dans sa globalité tout en analysant en profondeur
chaque spectre de cette problématique. Nous avons donc cherché à nous restreindre aux Etats-
Unis et à l’Europe car ces marchés présentent des similitudes fortes et nous concernent plus
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
particulièrement. Nous avons décidé de ne pas nous attacher à étudier le phénomène dans les pays
émergents, qui ont des spécificités ne permettant pas de faire des rapprochements pour traiter le
sujet en une fois, et pour lesquels il aurait donc fallu refaire un mémoire de manière à obtenir une
réponse satisfaisante et adaptée.
Aussi, il convient avant toute chose de présenter notre définition de « startup », terme
générique souvent employé de manière différente selon les interlocuteurs. Nous avons ainsi retenu
la définition de Paul Graham8
, pour qui la startup est une entreprise dont la croissance est très
rapide et exponentielle. Celle-ci apporte en général une nouveauté sur un certain marché. Nous
avons par ailleurs, pour quelques parties, concentré nos recherches sur les startups à caractère
technologique ou ayant un rapport avec la technologie, celles-ci couvrant le plus large spectre des
startups et offrant une plus grande quantité d’informations.
Enfin il est nécessaire de définir ce qu’est une bulle. Une bulle arrive lorsque les
investisseurs conduisent les prix sans aucune réflexion rationnelle sur la valeur réelle de l’actif. Les
prix croissent alors de manière importante jusqu’à un certain stade où les investisseurs se rendent
compte de la trop forte déconnexion entre le prix et la valeur de l’actif. C’est à ce moment que la
bulle éclate et que les prix chutent drastiquement, provoquant de très lourdes pertes pour les
investisseurs. Cette définition nous permet d’établir le raisonnement que nous allons suivre pour
répondre à notre problématique, autrement dit voir s’il existe des signes d’irrationalité de la part
des investisseurs ou si au contraire la montée des prix est justifiée par une valeur plus importante
des startups, pour enfin se demander si une chute drastique des prix est envisageable.
Un premier obstacle rencontré dans la conduite de cette analyse a été l’accès aux données,
particulièrement difficile pour le marché privé. Mais la plus grande difficulté de ce sujet réside dans
son essence même : il nous est apparu impossible de prouver scientifiquement l’existence d’une
bulle dans la valorisation des startups.
Pour autant, nous allons tenter de répondre à notre problématique en recoupant le
maximum d’informations et d’opinions que nous avons pu obtenir. Nous étudierons ainsi en
préambule le contexte actuel des valorisations des startups afin de cadrer notre recherche. Cette
partie nous permettra en effet de savoir si cette potentielle bulle est générale ou si au contraire celle-
ci est localisée sur un certains marché, une certaine maturité, etc. Puis dans la première partie nous
étudierons les éléments qui nous laissent penser que les valorisations sont le reflet d’une bulle. Dans
la deuxième partie nous tenterons de voir si ces valorisations ne sont pas au contraire le reflet de
facteurs positifs à l’origine d’une augmentation de la valeur des startups. Ces deux parties, couplées
à une étude de l’avenir du VC et des startups, nous permettront alors d’établir dans une troisième
partie si nous pouvons anticiper une bulle ou si au contraire les valorisations ne connaitront pas le
même chemin qu’ont connu les startups de la bulle dot.com.
8
Paul Graham est un éminent programmeur, venture capitaliste et essayiste.
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
Préambule
Le but de ce préambule est de faire un état des lieux de l’évolution des valorisations des
startups au cours des dernières années afin de mieux cerner le sujet et les marchés à étudier. Il est
en effet indispensable de voir dans quelle mesure les valorisations ont augmenté et ainsi de se
demander d’ores et déjà si nous ne sommes pas dans une situation d’écart dit « normal ».
Cette étude est indispensable pour nous permettre d’identifier s’il existe des différences
selon les étapes de financement et/ou les géographies et ainsi observer si cette potentielle bulle est
globale ou localisée.
I. Valorisation des startups sur le marché privé
Notre mémoire ayant pour origine les valorisations de sociétés sur le marché privé,
intéressons-nous d’abord à ce marché.
a) L’évolution des valorisations aux Etats-Unis
Nous avons dans un premier temps cherché à analyser le phénomène aux Etats-Unis
puisque, si l’on en croit les journaux et les professionnels interrogés, c’est outre-Atlantique que
celui-ci a débuté.
Après de multiples recherches et demandes d’accès à des bases de données, nous avons
réussi à récupérer des données pertinentes à partir du site de Quandl, nous permettant de retracer
l’évolution des valorisations pré-money des startups au cours des différentes étapes de levées de
fonds.
Ces données sont rassemblées dans les graphiques en annexes 2, 3, 4 et 5. Sans analyse
particulière, nous observons très rapidement que la forte croissance des valorisations est indéniable
sur l’ensemble des rounds. Cependant, plusieurs remarques et constatations complémentaires sont
à apporter : alors que pour les entreprises les plus jeunes cette croissance est assez constante, elle
est beaucoup plus volatile pour les entreprises en phase plus avancée, en témoigne le graphique en
annexes 4 et 5. Cette observation n’est toutefois pas problématique et s’explique d’une part par le
fait que le nombre d’opérations à ces étapes-ci est beaucoup plus faible et donc que les statistiques
peuvent être considérablement impactées par un investissement s’éloignant fortement de la
moyenne. Mais surtout, cela vient du fait que la disparité des valorisations au sein de ces rounds est
bien plus importante.
Aussi, l’explosion n’est pas la même partout. En effet, alors que pour les séries C et D et
supérieures, les valorisations ont été multipliées environ par trois9
, celles des séries A et B ont été
multipliées approximativement par quatre10
.
Par ailleurs, nous observons que l’augmentation s’est amorcée à des moments différents
selon les stades de financement. Apparue aux alentours de début 2014 pour les séries A et B, elle
9
Passant de 25 M$ à 80 M$ pour les séries C et de 50 M$ à 150 M$ pour les séries D et supérieures
10
Passant de 4 M$ à 14 M$ pour les séries A et de 10 M$ à 45 M$ pour les séries B
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
est survenue dès début 2013 pour les séries C, et pour les séries D et supérieures, nous l’observons
dès la fin 2012 avec un premier pic préalable fin 2010.
Au total, nous avons donc en moyenne une multiplication par 3-4x des valorisations des
startups aux US au cours des 5 dernières années, ce qui est incontestablement une augmentation
majeure dont il est intéressant d’étudier le fondement.
b) L’évolution des valorisations en Europe
Dans cette deuxième sous-partie, nous allons essayer de mettre en lumière l’évolution des
valorisations sur le marché privé européen. Malheureusement, il nous a été impossible de trouver
des chiffres exacts concernant les valorisations des startups européennes du fait de l’opacité de ce
marché et du retard de l’Europe dans la transmission de données concernant le Venture Capital.
Nous avons donc cherché des indicateurs permettant de se rapprocher le plus possible des
valorisations européennes. Nous avons ainsi choisi un premier proxy : les performances réalisées
par les fonds de Venture Capital. En effet, plus un fonds revendra une startup à un multiple élevé,
plus sa performance sera élevée. Nous avons réussi à récupérer via la plateforme Preqin les
performances globales des fonds de Venture Capital axés sur l’Europe depuis 10 ans. Nous
pouvons alors observer (annexe 6) une hausse des taux de rendement interne des fonds ces
dernières années (les données dont nous disposons étant exprimées par vintage de fonds, il n’est pas
pertinent d’analyser les données à partir de 2013). Nous avons réalisé un graphique faisant ressortir
un TRI annuel moyen (en pondérant les performances par la taille des fonds) : bien que les niveaux
de la bulle dot.com ne soient pas atteints à l’heure actuelle (le TRI moyen s’établissant à plus de
70% pour les fonds de vintage 1995), nous observons un rehaussement des performances moyennes
des fonds européens à partir de 2010 (TRI moyen de 14% contre -5% en 2000). Toutefois, la base
de données Preqin ne recueille que peu de données sur l’Europe comparativement aux US, encore
une fois du fait de l’opacité en Europe : seuls quatre fonds font partie du benchmark en 2010,
contre 11 en 2012. Il est donc plus difficile d’arriver à une conclusion nette du point de vue des
valorisations, même s’il est certain que les fonds réalisent aujourd’hui de bonnes performances en
moyenne.
Nous avons donc cherché à analyser un second indicateur. Après discussions avec des
professionnels, ceux-ci nous ont confirmé que l’évolution de la taille moyenne des investissements
était un bon proxy de l’évolution des valorisations. Cela est tout à fait justifié puisque nous avons :
𝑣𝑎𝑙𝑜𝑟𝑖𝑠𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 =
𝑖𝑛𝑣𝑒𝑠𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡
𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑑𝑢 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙
. Or, comme d’après ces professionnels le pourcentage de
capital concédé a en moyenne peu évolué ces dernières années, si la taille moyenne des
investissements a augmenté, cela signifie que la valorisation moyenne a également progressé.
A ce titre, l’annexe 7, représentant l’évolution du nombre d’opérations de Venture Capital
et des montants globaux investis depuis 2007, met en exergue une forte hausse de la taille moyenne
des deals, qui a augmenté à un rythme annuel moyen de 8% depuis 2007, et qui a presque triplé
depuis 2012, sachant que l’année 2015 n’est pas encore terminée.
Ce phénomène d’accroissement des valorisations, et plus généralement de fort engouement
pour les startups, existe donc aussi en Europe sur le marché privé.
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
Il conviendrait d’approfondir l’analyse en détaillant maintenant cette observation est la
même pour chaque étape de financement. Nous avons de nouveau été dans l’incapacité d’obtenir
des informations pertinentes et exploitables : les données extraites de Preqin, en vue d’approcher
la problématique par les performances des fonds, ne sont que très pauvres.
En revanche, les interviews menées auprès de professionnels du Venture Capital nous
permettent de dire que le phénomène est comparable à celui des US11
. Autrement dit,
l’augmentation s’observe sur tous les rounds, mais elle est plus récente pour les étapes de
financement les plus précoces et plus ancienne pour les étapes de financement des startups plus
matures.
II. Valorisation des startups sur le marché coté
Après avoir effectué notre analyse sur le marché privé, nous allons maintenant nous
intéresser à la valorisation des startups cotées. Pour se faire, nous avons choisi d’utiliser des indices
des valeurs technologiques qui sont, selon nous, les indicateurs les plus adaptés à notre démarche
et pour lesquels nous avons accès à une grande quantité d’informations.
Concernant le marché américain, le Nasdaq Composite s’est avéré être l’indice le plus
pertinent à observer, d’une part du fait de son caractère technologique, d’autre part car cette
plateforme de cotation est souvent privilégiée pour les introductions en bourse de startups. Nous
observons ainsi une remontée du Nasdaq à un haut niveau, avec la barre des 5 00012
points franchie
en mars dernier, plus haut atteint depuis l’année 2000 (voir annexe 8). Cela nous conduit donc à
envisager l’existence d’une éventuelle survalorisation des startups technologiques américaines.
En Europe, comme il n’existe pas de marché des valeurs technologiques, nous avons choisi le Stoxx
Europe 600 Technology. Pour cet indice nous n’observons pas d’augmentation de la valeur, et nous
sommes loin des niveaux de 1999/2000 (voir annexe 9). Cela nous conduit à infirmer l’hypothèse
de survalorisation excessive pour les startups cotées européennes.
Dans ces conditions, nous pouvons maintenant nous demander si l’on peut parler de
survalorisation et d’irrationalité des investisseurs sur le marché boursier américain. Pour répondre
à cette question, notre analyse s’effectuera en deux temps : elle portera d’abord sur les introductions
en bourse, puis sur le marché actions en lui-même.
a) Les IPO aux Etats-Unis
Le marché des IPOs américain a été plus d’une fois le théâtre de valorisations très élevées
ces dernières années, en témoigne l’introduction en bourse de Facebook, valorisée plus de 100
Mds$ à cette occasion (soit un PER de 100). Nous allons donc nous atteler à identifier si cet
événement est le reflet d’une bulle généralisée sur les marchés cotés ou s’il s’agit, au même titre que
Twitter et d’autres IPOs, d’une « aberration » non représentative de l’état actuel des marchés.
11
Interview de M. Mortchev, M. Charquet, M. Daudier de Cassini, M. Dupont, M. Carbonne, M. Baschiera et M.
Mandin
12
Clôture à 5 008,1 points le 2 mars
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
D’après les données du Dow Jones Venture et de la SEC (Security Exchange Commission)
le nombre de startups (« VC-backed companies ») ayant procédé à une introduction en bourse n’a
cessé de progresser depuis la crise financière de 2008, passant de 7 introductions cette année-là à
102 en 2014. Nous sommes toutefois loin des niveaux de la fin des années 1990 avec 261 IPOs de
startups en 1999. Si l’on s’intéresse en revanche uniquement aux entreprises technologiques, nous
constatons que celles-ci ont été à l’origine de 69 IPOs en 2014, plus grand nombre depuis 2000.En
ce qui concerne les montants levés, ceux-ci sont également en nette progression depuis la crise,
pour atteindre 9,9 Mds$ en 2014 (croissance annuelle moyenne de 152% depuis 2009). Nous
pouvons toutefois observer une tendance baissière : alors que le montant moyen levé par startup
était de 133 M$ en 2009, il n’était plus que de 119 M$ en 2013 et 97 M$ en 2014. A titre de
comparaison, ce montant était de 94 M$ en 2000 mais il représentait le pic d’un mouvement
haussier (78 M$ de montant moyen d’introduction en 1999) et les montants et nombres
d’entreprises concernées étaient deux fois supérieurs.
Cette analyse permet de confirmer la hausse des IPOs de startups mais ne permet pas de
conclure sur une survalorisation de ces IPOs. Nous allons donc maintenant regarder les
performances du premier jour de cotation afin de vérifier si les investisseurs conservent une
certaine rationalité malgré leur regain d’intérêt pour ces opérations.
Au regard des tableaux en annexe 10 et 11, réalisés à partir du site du Nasdaq, de Yahoo
Finance et de quelques articles du Wall Street Journal, nous observons clairement que l’appétit des
investisseurs pour les entreprises technologiques est bien moindre qu’à la fin des années 1990.
Alors que dans les années 1999/2000 les plus importantes performances des titres le jour de l’IPO
sont en moyenne de 511%, celles-ci ne sont que de 133% pour la période 2014/2015. Les décisions
d’investissements semblent donc être plus réfléchies et prendre en compte l’importance de la
valorisation.
D’ailleurs, cette caractéristique impacte largement les décisions d’introduction en bourse
des startups. En effet, sachant que le marché est bien plus exigeant, les startups attendent bien plus
longtemps avant de procéder à une IPO. C’est ce que fait ressortir le graphique en annexe 12,
réalisé à partir des données du Dow Jones VentureSource et de la SEC : les startups mettent 6,9
ans à l’heure actuelle avant de s’introduire en bourse, contre 2,8 ans en 1998. Aussi, ce graphique
met en lumière une plus forte solidité des startups au moment de leur IPO puisque les montant
levés totaux avant IPO sont 7 à 8 fois plus élevés aujourd’hui que lors de la période pré-bulle
dot.com (89,6 Mds$ en 2014 contre 13 Mds$ en 1997), et ce pour un nombre plus faible
d’opérations comme nous l’avons vu. Leur taille n’est pas non plus comparable : si l’on étudie deux
startups au moment de leur IPO en 1998 et en 2014, la première reportait 11,8 M$ de CA en
moyenne contre 54 M$ en 201413
. Tous ces éléments justifient donc davantage les valorisations
élevées pouvant être observées au niveau des IPOs.
Nous pouvons conclure de ces différentes constations que le marché des IPO de startups
aux Etats-Unis ne semble pas survalorisé.
13
T. Tunguz, Août 2015, Why Startups Are Growing Faster Today Than Ever Before, Tomtunguz.com
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Marine Antona et Ugo Madern
b) Les startups cotées aux USA
Suite à notre observation de hausse du Nasdaq Composite aux US, nous avons analysé plus
en profondeur le marché actions en lui-même. En mars 2015, le Nasdaq a atteint un plus haut
niveau depuis 2000, ce qui a contribué à alimenter les débats autour du retour d’une bulle internet.
Nous avons donc voulu comparer le contexte actuel de marché avec celui de la bulle dot.com, celle-
ci ayant porté, pour rappel, sur le marché boursier.
Nous avons d’abord regardé l’évolution de l’indice durant les cinq années précédant
l’explosion de la bulle dot.com et pendant ces cinq dernières années. Nous pouvons d’ores et déjà
noter, au regard des annexes 13 et 14, que cette évolution vers le seuil des 5 000 points s’est faite
de manière plus progressive ces dernières années (+99% jusqu’à aujourd’hui, +138 si l’on se réfère
au plus haut de juillet 2015) que lors de la bulle dot.com (+573% de progression durant les 5 années
ayant précédé le pic de 2000). De plus, cette tendance actuelle de hausse des marchés est généralisée,
en témoigne le graphique en annexe 15 représentant l’évolution historique du S&P composite.
Ensuite, nous observons de nouveau que les valorisations sont bien plus justifiées par les
fondamentaux des entreprises qu’en 2000. En effet, au regard des tableaux en annexe 16, nous
remarquons que le PER moyen (hors extrêmes) des dix plus grosses capitalisations du Nasdaq
passe de 81 à 18,75 entre 2000 et 2015.
Enfin, lorsque l’on regarde les returns à long terme des entreprises ayant fait les IPOs les
plus performantes entre 2014 et 2015 (annexe 17), nous constatons qu’elles ont connu une
croissance moyenne de 17% de leur prix entre leur introduction et le 08/10/2015. Là encore, cela
atteste que les investisseurs semblent rationnels dans leurs décisions d’investissement sur le marché
coté.
La conclusion émanant de ces analyses est donc que s’il y a eu une survalorisation des
startups sur les marchés cotés, celle-ci n’est plus d’actualité. La survalorisation se situe à priori sur
le marché privé.
Cette première partie nous a permis d’affiner notre terrain d’analyse : la potentielle bulle de
valorisation se situerait sur les marchés privés américain et européen. La prochaine étape va donc
consister en la démonstration de l’existence ou non de cette bulle sur ces marchés.
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
Première partie : l’existence envisageable d’une bulle
Dans cette partie nous allons tenter d’identifier les éléments qui nous permettraient
d’affirmer que l’augmentation des valorisations observée en préambule s’explique par l’existence
d’une bulle. Pour ce faire, nous allons analyser si les éléments communs aux différentes bulles
financières se retrouvent dans le contexte actuel, puis nous détaillerons les éléments spécifiques au
Venture Capital qui laissent présager une bulle. Enfin, nous tenterons de voir si le schéma classique
d’une bulle s’applique à notre situation.
I. Les facteurs communs aux précédentes bulles
Afin de savoir si nous sommes dans un contexte de bulle, il convient dans un premier temps
de comprendre quelles caractéristiques permettent de la reconnaitre. Nous allons nous appuyer sur
les différentes travaux réalisés à ce sujet afin d’obtenir la liste la plus complète possible des points
communs à toutes les bulles. Nous regarderons ensuite si ces facteurs s’appliquent à la situation
actuelle.
a) Le concept de réflexivité
Tout d’abord, nous constatons une disparition de la théorie d’équilibre entre l’offre et la
demande lors des diverses bulles. Geroges Soros a développé le concept de réflexivité pour mettre
en lumière ce phénomène. Il résume ce concept de la manière suivante: “reflexivity is, in effect, a two-
way feedback mechanism in which reality helps shape the participants’ thinking and the participant’s
thinking helps shape reality in an unending process in which thinking and reality may come approach each
other but can never become identical”14
. Cela signifie donc que les participants ont une observation
biaisée de la réalité, les poussant à prendre des décisions baisées qui elles-mêmes changent la réalité,
etc. Ainsi, lorsque les conditions sont satisfaites, il se met en place une sorte de «prophétie auto-
réalisatrice » : “the participants’ views and actual state of affairs enter into a process of dynamic
disequilibrium, which may be self-reinforcing at first, moving both thinking and reality in a certain direction,
but is bound to become unsustainable in the long run and engender a move in the opposite direction”15
.
Cependant, pour que cela se produise, il doit préexister une tendance dans la réalité.
En conclusion, c’est cette réflexivité qui fait que parfois, contrairement à la théorie
d’équilibre, la croissance des prix entraine une croissance de la demande et que la baisse des prix
entraine une hausse de l’offre, pouvant aller jusqu’à générer des phénomènes de bulle.
14
George Soros, Discours proclamé au MIT Department of Economics World – Economy Laboratory Conference
à Washington, 26 Avril 1994.
15
Idem
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Marine Antona et Ugo Madern
b) De l’argent peu cher et en grande quantité
Les bulles apparaissent également dans un contexte où l’offre de crédit est considérable et
les taux d’intérêt très bas. En effet, lorsque l’offre de crédit est très importante, certains agents
adoptent un comportement différent de celui qu’ils auraient dans des conditions de crédit normales.
Ce phénomène a deux conséquences. D’une part, les prêteurs font preuve de laxisme et fournissent
des crédits à des agents qui ne devraient pas y avoir accès, de surcroit à des conditions ne tenant
pas suffisamment compte du risque ; cela débouche sur une crise lorsque la situation se dégrade et
que ces agents ne sont plus en mesure d’assumer leurs emprunts. D’autre part, les épargnants à la
recherche de rendement sont obligés de se tourner vers des actifs plus risqués afin d’améliorer leur
performance mais sans pour autant maîtriser suffisamment les risques de leurs investissements.
Aussi, nous observons que l’accroissement de l’offre de crédit trouve son origine dans des
innovations financières. En effet, dans la plupart des grandes crises, le crédit connait une forte
croissance grâce à l’innovation des agents financiers qui créent de nouveaux produits. Il s’agit par
exemple du forward lors de la tulipomanie au XVIIème
siècle, ou de la titrisation lors de la dernière
crise financière. Le problème est qu’en général, ces mêmes agents ne maitrisent pas tous les risques
de ces produits et en ont une vision optimiste. Ainsi, lorsqu’un évènement vient perturber la
situation, des risques non anticipés se matérialisent et une réaction en chaîne apparait.
c) L’entrée d’investisseurs amateurs influencés par des leaders d’opinion
Les bulles ont aussi pour caractéristiques l’arrivée d’investisseurs amateurs. Sous le terme
« amateur » se placent tous les agents dont le métier n’est pas d’intervenir sur un certain marché.
Ils n’en n’ont pas l’expérience, ni suffisamment de connaissances pour appréhender l’ensemble des
problématiques sous-jacentes à cet investissement. Dans ce contexte, leur investissement manque
de rationalité et se base sur des concepts éloignés de la finance traditionnelle.
Cela est d’ailleurs souvent associé à la présence de leaders qui influencent le comportement
de nombre d’investisseurs par leur discours et leurs actions. Ces leaders puisent généralement leur
crédibilité dans leur performance passée et leur expérience du marché concerné, et sont alors suivis
de près par les investisseurs « amateurs » cherchant à combler leur manque d’expérience.
Ces deux éléments combinés font que si un évènement perturbe la situation et que quelques
leaders « changent leur fusil d’épaule » alors une épidémie se produit et tout le monde réagit de
façon moutonnière.
d) Un phénomène particulier : « this time is different »
Ce concept est particulièrement bien décrit par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff dans
l’ouvrage « This time is different : eight centuries of financial folly ». Dans ce livre, ils constatent en étudiant,
au cours des huit derniers siècles et dans 66 pays différents, différentes crises financières au sens
large (défaut des états, panique bancaire, chute d’une monnaie, pic inflationniste, etc.) qu’à chaque
fois les experts pensent que « this time is different ». Ce terme désigne le fait que dans ces périodes,
les agents sont persuadés qu’une nouvelle ère commence et que les préceptes précédemment
utilisés ne s’appliquent plus. Ils établissent une nouvelle façon de raisonner qui les pousse à prendre
des décisions qu’ils n’auraient jamais prises en suivant leur raisonnement d’origine.
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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Or, les auteurs ont démontré que les experts avaient tort et que cette façon de penser menait
irrémédiablement à une crise puisque finalement « this time was not that different ».
II. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Maintenant que nous avons passé en revue les éléments communs aux différentes bulles
financières rencontrées, nous allons tenter de voir s’ils se retrouvent dans le contexte actuel.
a) Existence d’une réflexivité dynamique dans le VC aux Etats-Unis et en Europe ?
 Aux Etats-Unis :
Pour voir si nous sommes dans une situation de réflexivité dynamique, nous allons étudier
la hausse des investissements, de manière à voir si ceux-ci diminuent avec l’augmentation des
valorisations.
Concernant les startups en création, nous voyons à l’annexe 18 que l’investissement
diminue sur la période (passant de 450 M$ à 200M$ entre 2009 et 2015), dans une proportion
équivalente à celle de l’augmentation des valorisations vues précédemment à l’annexe 2. Cela réfute
donc l’hypothèse d’un phénomène de réflexivité.
Concernant les entreprises en early-stage, nous voyons en revanche à l’annexe 19 que
l’investissement augmente fortement sur la période (passant de 1 Md$ à 4 Mds$ entre 2009 et 2015)
et ce dans une proportion équivalente à celle de l’augmentation de la valorisation observée à
l’annexe 3. Nous pouvons faire la même observation pour les entreprises en expansion et phase
finale (comparaison des annexes 20 et 21 aux annexes 4 et 5). Ainsi, pour les phases de
développement early-stage, expansion et late stage, nous pouvons largement affirmer que le
phénomène de réflexivité est avéré.
En définitive, nous pouvons confirmer qu’hormis pour les entreprises en création, il existe
une potentielle bulle aux Etats-Unis selon le critère de réflexivité dynamique.
 En Europe :
Comme précédemment, il nous est impossible d’étayer cette étude sur des données
chiffrées d’une qualité équivalente à celles que nous avons trouvées pour les Etats-Unis.
Cependant, nous avons observé dans l’annexe 7 que les investissements dans les startups
augmentaient de 5 Md$ à 10 Md$ entre 2009 et 2015. Or les valorisations augmentant, nous
pouvons conclure que la réflexivité dynamique est bien présente. En revanche, nous ne sommes
pas en mesure d’affiner notre réponse pour les entreprises en création, même si selon nos
discussions avec les professionnels il semblerait que la remarque faite pour les US soit la même en
Europe : non-vérification de l’hypothèse de réflexivité dynamique pour les entreprises en création.
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b) L’argent est-il peu cher et en grande quantité actuellement ?
Nous avons vu qu’une bulle se formait dans une situation où l’offre de crédit était
importante et les taux d’intérêt très bas. Nous allons donc tenter de voir si cela est le cas aujourd’hui
en analysant le contexte actuel du marché monétaire.
Nous savons qu’afin de répondre aux problèmes engendrés par la crise financière puis
économique de 2007/2008, les banques centrales ont décidé de prendre des mesures afin d’assainir
la situation, renforcer la liquidité sur les marchés et assurer le retour de la croissance (ce dernier
point étant un objectif énoncé par la Réserve Fédérale (FED) des Etats-Unis uniquement). Cela
s’est traduit par deux principales prérogatives : la baisse des taux directeurs et la mise en place de
plan de quantitative easing (QE) par la FED et la Banque Centrale Européenne (BCE).
Aux US, le taux directeur est progressivement descendu pour s’établir à 0,25% en décembre
2008 et dans la zone euro, le taux est progressivement descendu à 1% au début 200916
. Ces
manœuvres ont évidemment pour but de baisser le taux de refinancement des banques qui peuvent
alors proposer des conditions d’emprunt plus favorables à leurs clients (entreprises comme
particuliers) dans le but de relancer l’investissement et la consommation.
Mais ce n’est pas tout. Malgré cette initiative, les USA ayant du mal à faire face à la situation, ont
décidé de mettre en œuvre des plans de QE. En effet, lorsque les actions engagées dans une
politique monétaire classique ne fonctionnent pas, les Banques Centrales peuvent faire appel à
d’autres leviers comme le QE.
Le QE, qui se traduit principalement par le rachat d’actifs auprès d’institutions financières,
a un double objectif. Il s’agit d’une part de contrer la baisse drastique des prix de ces actifs (comme
c’était le cas en 2007/2008 pour les produits issus de la titrisation des crédits américains), mais
surtout d’injecter de la liquidité dans les institutions financières qui pourront alors plus facilement
accorder de nouveaux crédits.
Ainsi, les USA ont mis en place entre 2008 et 2014 trois plans de QE. Le premier a permis
d’injecter entre novembre 2008 et juin 2009 1 700 Mds$, le deuxième programme a quant à lui
permis d’injecter 1 000 Mds$ de novembre 2010 à juin 2011. Enfin, le troisième plan ayant duré de
août 2012 à octobre 2014, a impliqué un rachat de 925 Mds$ d’actifs. Au total, la politique
monétaire américaine a permis d’injecter plus de 2 625 Mds$17
. Aujourd’hui, les programmes de
QE aux Etats-Unis sont terminés mais Janet Yellen, présidente de la FED, a annoncé que les taux
d’intérêt ne remonteraient pas avant un temps « considérable ».
En Europe, en revanche, la mise en place d’un tel plan a été plus tardive du fait des
différents entre les pays européen concernant la politique monétaire à mettre en place, mais aussi
car, contrairement à la FED, la BCE n’a pas pour mission de relancer l’économie. Ce n’est donc
qu’à partir de 2012 que le taux directeur est passé sous la barre des 1% pour atteindre
progressivement 0,05% en septembre 201418
. Une fois le taux proche de 0, et voyant l’insuffisance
de cette politique, les européens ont alors décidé de lancer leur premier plan de QE en mars 2015.
Celui-ci devrait durer jusqu’en septembre 2016 et le montant prévu s’élève à 1 100 Mds€.
Enfin au RU, il y a eu deux plans de QE qui ont permis d’injecter 375 Mds£19
depuis mars
2009.
16
Cf. annexe 22
17
Février 2014, Les politiques monétaires dites « quantitative easing », Académie de limoges – BTS banque
18
Cf. annexe 22
19
Février 2014, Les politiques monétaires dites « quantitative easing », Académie de limoges – BTS banque
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En conclusion, au regard de ces différents plans et des taux d’intérêt historiquement bas,
nous pouvons largement affirmer être dans une situation où l’argent est peu cher et en grande
quantité.
Cependant, il convient de noter que contrairement à l’importance de la place du crédit dans
les précédentes bulles observées, ici son impact est différent. En théorie, l’investissement dans les
startups se fait uniquement à partir de fonds propres et n’est donc pas impacté par la croissance de
l’offre de crédit (comme ce fut par exemple le cas sur le marché de l’immobilier américain avant
2007). Néanmoins, cette situation monétaire n’est pas sans impact puisque nombre d’investisseurs
à la recherche de rendement se déplacent vers des actifs plus risqués (tels que les actions de
startups). Nous sommes donc bien dans une situation où une bulle est envisageable.
c) Observe-t-on une arrivée récente d’investisseurs amateurs dans le Venture
Capital ?
Il y a quelques années encore, seuls les fonds de Venture Capital et quelques Business Angels
prenaient des parts dans les capitaux propres des startups. Aujourd’hui la situation est bien
différente. Certes, les fonds de VC restent majoritaires mais de nouveaux investisseurs
interviennent sur ce marché et leur manque d’expérience ne leur permet pas forcément de réaliser
des investissements dans les conditions que les professionnels jugeraient adaptées. Trois grandes
catégories de nouveaux investisseurs peuvent être mises en avant :
 Des particuliers attirés par les golden story
C’est grâce à l’émergence des plateformes de crowdfunding en equity (telles qu’Anaxago en
France, Seedrs au UK ou Early Shares aux US) que les particuliers ont obtenu une nouvelle source
de placement. Cependant, étant donnée la complexité de l’investissement en VC, il apparait
clairement que les choix d’investissement ne sont pas forcément pertinents. Cela débouche parfois
sur l’investissement dans des sociétés qui n’auraient pas trouvé de financement sans leur présence.
Dans cette situation, nous observons bien des sociétés dont les fondamentaux sont jugés
insuffisants par les professionnels mais qui obtiennent des financements sur la base d’une
valorisation non en lien avec leurs fondamentaux.
Par ailleurs, le fonctionnement lui-même de ces plateformes de crowdfunding entraine un biais
dans l’évaluation de ces startups. En effet, la valorisation est négociée entre l’entrepreneur et la
plateforme de crowdfunding, qui ne dispose pas des mêmes intérêts qu’un investisseur (puisque celle-
ci ne participe pas à l’opération en général). Même si ces plateformes visent à se rapprocher d’une
base de valorisation la plus juste possible afin d’assurer leur pérennité, elles font parfois preuve de
laxisme pour s’assurer la réalisation d’une opération. Ceci est en effet permis par l’inexpérience de
son réseau d’investisseurs.
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 L’arrivée des hedge funds, mutual funds, sovereign fund et pension funds : volonté de prendre une
part du gâteau et d’obtenir de meilleurs rendements
L’arrivée de nouveaux investisseurs ne se limite pas à des particuliers mais s’étend aussi à
des professionnels de l’investissement, dont la présence était jusqu’alors très restreinte dans le
Venture Capital. Il semblerait que cette tendance soit en train de s’inverser et de plus en plus de
fonds de ce type prennent des participations dans les startups. C’est en effet ce que nous montrent
les annexes 23 et 24 qui décrivent les investissements de cinq des mutuals funds et cinq des hedges
funds les plus actifs dans le VC : nous observons que leurs investissements dans le VC ont
drastiquement augmenté. De même, de plus en plus de pension funds se lancent dans cette catégorie.
A titre d’exemple, Ontario Municipal Employee Retirement System a lancé en 2012 OMERS
Venture avec une taille de 180 M$20
et Indiana’s Public Retirement System a alloué 363 M$ au
venture capital en 201321
.
Ce phénomène est d’ailleurs comparable aux années 1990 où les investisseurs demandaient toujours
plus de valeurs technologiques dans les fonds afin d’augmenter la performance de leurs
investissements.
Cette situation existe également en Europe. En effet, au regard de l’annexe 25, nous
observons que les fonds de pensions reviennent en force sur ce marché depuis 2012 après une
période de décroissance (les investissements augmentant de 200 M€ en 2012 à 450 M€ en 2014).
Les « government agencies » ont quant à elles connu une forte croissance depuis 2007 (augmentant
leurs investissements de 600 M€ à 1,2 Mds$ entre 2007 et 2014) et représentent aujourd’hui une
part substantielle du financement des startups (30% en 2014). En revanche, les fonds souverains
ne représentent pas grand-chose en Europe.
Au total, nous voyons bien une croissance massive des investissements de ces investisseurs
institutionnels n’ayant pas à l’origine vocation à investir une part importante dans le Venture
Capital.
 Des corporates prêts à tout pour surpasser la concurrence :
C’est à partir des années 1990 que l’on a commencé à observer un développement accru du
Corporate Venture Capital (CVC), avec des entreprises comme AOL et GlaxoSmithKline. Mais ce
mouvement a été fortement ralenti suite à la bulle dot.com. Cependant, d’après l’annexe 26, nous
pouvons voir que depuis quelques années les corporates reviennent en force, réalisant 18% des deals
de VC en 2014 (vs. 13% en 2009) pour un montant représentant 11% du montant total investi en
VC (vs. 7% en 2009).
De manière générale, cette intervention des corporates dans le Venture s’explique par un
besoin de ne pas prendre de retard technologique. En effet, la plupart de ces corporates sont présents
dans des marchés marqués par des changements technologiques rapides et où les barrières à l’entrée
sont assez faibles. Ces investissements dans des startups leur permettent donc, moyennant des
20
A. Jacobius, Mai 2014, Institutional investors like venture capital again, Pensions & Investments
21
A. Schrager, Septembre 2014, Behind the Venture Capital Boom : Public Pensions, Bloomberg
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engagements modestes et flexibles, d’assurer leur pérennité. J-S Lantz et al.22
ont d’ailleurs identifié
cinq éléments expliquant l’intérêt des corporates pour le CVC :
- L’intérêt technologique : suivre les innovations de près sans engager de frais de R&D
supplémentaires avant une éventuelle acquisition ;
- Améliorer le portefeuille de brevets de l’entreprise par des licences d’utilisation sans les faire
apparaitre dans les comptes puisque nombre de brevets ne sont pas exploités dans les
entreprises ;
- Permettre un suivi du marché en utilisant leur expérience : les corporates récupèrent des
informations sur les comportements des consommateurs vis-à-vis d’un produit/service, ce
qui pourra aider les entreprises à développer leurs futures offres ;
- Un laboratoire pour les expériences : les startups peuvent également servir à tester les
pratiques managériales (vis-à-vis des consommateurs ou fournisseurs comme vis-à-vis des
employés) ;
- L’intérêt financier : comme tout investisseur, les corporates espèrent obtenir un gain financier
soit par la cession de la startup, soit par la distribution de dividendes.
Les investissements en startups deviennent donc cruciaux pour ces corporates et la concurrence
pousse à faire monter les prix. C’est en particulier ce que l’on a pu observer pour Instagram où,
Facebook n’a pas hésité à racheter la startup sur la base d’une valorisation de 1 Md$ afin d’empêcher
Google d’améliorer son réseau social Google+.
En conclusion, nous pouvons aisément affirmer que nous sommes dans une période où de
nombreux investisseurs, autres que les professionnels du Venture Capital, se sont orientés vers ce
marché, apportant une quantité importante d’argent nouveau à investir. Mais surtout, ils sont
insuffisamment expérimentés dans ce métier pour définir une valorisation adaptée au risque.
d) This time is different
Un des éléments majeurs qui ressort dans toutes les bulles est, comme nous l’avons vu, une
confiance exacerbée des investisseurs dans le fait qu’une nouvelle ère démarre et que les
raisonnements passés ne s’appliquent plus.
C’est ce qui se produit depuis quelques années dans le monde des technologies. En effet,
les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de créer de nouveaux marchés mais surtout de
transformer de très nombreuses industries traditionnelles pesant pour plusieurs milliards voire
centaines de milliards de dollars. Les investisseurs pensent donc qu’une large part du gâteau devrait
être récupérée par les startups dans lesquelles ils investissent. Quelques technologies peuvent à ce
titre être citées : les technologies mobiles, le cloud, le big data, le crowdsourcing, etc. C’est ainsi que
l’industrie traditionnelle du taxi s’est vue profondément redessinée avec l’arrivée d’Uber qui est une
combinaison entre la technologie mobile et le crowdsourcing.
Ainsi, selon les investisseurs, une startup ne doit pas être considérée dans le cadre de sa
valorisation comme une société créée dans un secteur d’activité existant. Elle doit au contraire être
valorisée sur la base de sa capacité à être transformante pour une économie. Nous pouvons donc
bien affirmer que pour les investisseurs : « this time is different ».
22
J.-S. Lantz, J.-M. Sahut, F. Teulon, What is the Real Role of Corporate Venture Capital ?, Ipag Business School
Working Paper Series
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En conclusion de cette sous-partie, nous avons vu qu’hormis pour les entreprises en
création, le phénomène de réflexivité était avéré, que l’argent était peu cher et en grande quantité,
que de nombreux investisseurs amateurs étaient récemment arrivés dans le Venture Capital et enfin
que les investisseurs avaient tendance à se dire « this time is different ». Ainsi, nous pouvons aisément
affirmer que l’ensemble des caractéristiques sont réunies pour la formation d’une bulle.
III. Des facteurs spécifiques au Venture Capital laissant penser à une forte
survalorisation des startups
Après avoir étudié les éléments communs aux précédentes bulles, il convient maintenant
d’analyser les facteurs spécifiques au VC qui vont dans le sens d’une bulle.
a) Un retour à l’utilisation de variables non conventionnelles et à une comptabilité
créative
Un premier élément pouvant laisser penser à une bulle est que, comme au cours de la bulle
dot.com, certaines variables inconnues jusqu’alors deviennent centrales dans la valorisation des
startups. Ces variables sont considérées plus adaptées à la compréhension du potentiel d’une
entreprise et représentent donc un meilleur baromètre.
Dans les années 2000, il s’agissait du nombre de visiteurs ou du nombre de clics.
Aujourd’hui, les entreprises dans la publicité numérique parlent d’ « argent géré », Uber parle de
« booking » pour l’ensemble des transactions réalisées sur la plateforme – c’est ce que nous
appellerions en France le volume d’affaires, qui n’est en rien comparable au chiffre d’affaires. De
même, les places de marché mettent fortement en avant le « Gross Merchandise Value », qui est un
indicateur biaisé puisqu’il ne prend pas en compte les coûts marketings, les promotions, ni les
retours de produits, etc. Mais surtout, les venture capitalists accordent plus d’importance à la traction
et à l’acquisition de clients qu’au revenu. Certes, cela est en partie nécessaire pour valoriser des
entreprises sans revenus, mais ils oublient trop souvent que la génération de résultat est à terme la
priorité.
Les états financiers avancés par les entreprises s’avèrent par ailleurs surévalués. En effet,
une étude du Wall Street Journal23
sur les entreprises ayant procédé aux 50 plus grosses IPO depuis
2013 met en avant ce phénomène. Sur les 50, six ont dû reporter des chiffres plus faibles
qu’annoncés du fait de l’utilisation de règles comptables plus conservatrices, telles qu’exigées sur le
marché coté.
Lise Buyer, conseillère de nombreuses sociétés dans la Silicon Valley et ancienne banquière
ayant travaillé pour Google lors de son IPO, affirme que les dirigeants de startups ont beaucoup
d’opportunités pour « générer des metrics magiques selon leur besoin, qu’elles soient pertinentes ou
23
T. Demos, S. Ovide, S. Pulliam, Juin 2015, Tech Startups Woo Investors With Unconventional Financial Metrics
– but Do Numbers Add Up?, The Wall Street Journal
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non »24
. A titre d’exemple, durant le premier trimestre 2015, la société Facebook a enregistré en
normes GAAP un revenu inférieur à la moitié de ce qu’elle affichait selon ses mesures internes25
.
b) Le phénomène de « Fear of Missing Out » à l’origine d’une irrationalité des
investisseurs
Le Fear of Missing Out (FOMO) se définit en finance comme la peur pour un agent de rater
une opportunité d’enrichissement.
Ce phénomène a récemment connu une forte accélération dans le VC, avec l’enrichissement
de nombre d’investisseurs grâce à leurs investissements dans ce que l’on appelle aujourd’hui les
« licornes ». Ces licornes sont des startups de moins de dix ans dont la valorisation dépasse le
milliard de dollars. En investissant dans ces entreprises lorsqu’elles étaient encore en création ou
connaissaient leur premier tour de financement, certains investisseurs ont réussi à multiplier par
cent, voire par mille leur investissement. Un exemple parmi tant d’autre est celui de Peter Thiel,
co-fondateur de Paypal, qui a investi en tant que business angel 500 000$ dans Facebook en 2004. Sa
participation est aujourd’hui évaluée à environ 2,5 Mds$ soit un multiple d’investissement de
5 000x26
.
Ce phénomène de FOMO s’est fortement développé ces dernières années, en particulier
suite à l’intervention des médias affichant en une de leurs articles les nombreuses success stories de
startups connaissant une croissance époustouflante. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons
poussant les investisseurs amateurs à intervenir dans le VC : amasser une part du gâteau. De même,
ce phénomène de FOMO s’est développé chez les corporates. Moins dans l’optique de réaliser une
plus-value, les corporates ont eux la volonté d’assurer leur pérennité et donc de ne surtout pas rater
la technologie de demain qui pourrait entraîner un péréclitement de leur activité, comme nous
l’avons vu précédemment.
Ainsi, cette peur de rater le prochain Facebook ou le prochain Uber pousse de nombreux
investisseurs à délaisser leurs analyses traditionnelles et à prendre des décisions irrationnelles.
c) Des investissements par opération comparables à la bulle dot.com
Un autre élément pouvant nous laisser penser à une bulle correspond à la taille des
opérations de financement lorsque nous la comparons à celle de la bulle dot.com. Au regard de
l’annexe 27, nous remarquons que la taille des deals est effectivement comparable à ce que l’on
observait en 2000 :
- le montant investi dans les startups en création en 2014 s’élève à environ 5 M$, comme en
2000 ;
- le montant investi dans les startups en early-stage en 2014 s’élève à environ 7,5 M$, soit
presque autant qu’en 2000 (8,5 M$) ;
- le montant investi dans les startups en expansion en 2014 s’élève à environ 17 M$, soit plus
qu’en 2000 (15,5 M$) ;
24
T. Demos, S. Ovide, S. Pulliam, Juin 2015, Tech Startups Woo Investors With Unconventional Financial Metrics
– but Do Numbers Add Up?, The Wall Street Journal
25
idem
26
6 Whealthy Venture Capitalists, Investopedia
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- le montant investi dans les startups en phase finale en 2014 s’élève à environ 14,5 M$,
contre 22 M$ en 2000.
Autrement dit, l’argent récolté par startup à chaque tour de table est équivalent à celui de 2000.
Nous voyons même un niveau plus élevé pour les entreprises en expansion.
Il y a donc une euphorie comparable à celle de la bulle dot.com, avec une demande de la
part des investisseurs suffisamment importante pour observer des tours de table de grande ampleur.
d) Des investisseurs allant même à investir en dette dans les startups
Dans la théorie traditionnelle de la finance, l’investissement en startup se fait uniquement
en fonds propres, du fait du fort degré de risque de l’entreprise (caractère très incertain du futur),
qui confère in fine un potentiel de gain très élevé pouvant permettre de compenser les pertes
réalisées sur d’autres startups. Cependant, depuis la fin des années 1980 aux US et 1990 en Europe,
nous avons vu apparaitre ce que l’on appelle le venture debt. A l’origine, ces dettes correspondaient
à du crédit-bail pour aider les jeunes entreprises à acquérir des outils technologiques coûteux, avec
une option d’achat à la fin ; ce que l’on appelle le venture leasing. Puis s’est développé par la suite le
venture loan, qui est une dette assez classique, comprenant des accès au capital de la société
(généralement des bons de souscription d’actions ou des obligations convertibles), avec un droit
sur l’ensemble des actifs de la société. Cette pratique contraire à la théorie a été grandement mise à
mal par la crise dot.com et s’est fortement réduite. De nombreux fonds de venture debt aux US ont
d’ailleurs fermé à l’occasion.
Pour autant, ces fonds ont rouvert assez rapidement (environ 4 ans après : Horizon, Kreos,
Noble, Lighthouse Capital, etc.) et ont récemment repris de l’importance. C’est en effet ce que l’on
observe dans l’annexe 28 puisque nous voyons que le montant mondial consacré au venture debt a
drastiquement augmenté depuis 2008. Le montant passe de 2 Mds$ à 7 Mds$ aujourd’hui. Cette
constatation est la même si l’on observe le montant moyen investi par deal : de 11,8 M$ en 2008,
il atteint en 2015YTD 40,5 M$27
. Cela signifie que le montant total pour 2015 sera encore plus
élevé.
Ce nouvel engouement pour le venture debt pose donc une question. D’une part, même si
nous n’avons pas pu obtenir les données pour les années 1999/2000 et ainsi réaliser une
comparaison, nous voyons un regain d’intérêt pour ce type d’investissement ces dernières années.
Et de manière plus générale, ce phénomène en contradiction totale avec la théorie financière est un
signe d’un appétit très important des investisseurs pour les startups et donc à minima d’une bulle
dans l’investissement, alimentant l’idée d’une bulle dans les valorisations.
e) Des licornes de plus en plus nombreuses, de plus en plus jeunes et fortement
survalorisées
Comme nous l’avons exprimé en introduction, notre questionnement autour de l’existence
d’une potentielle bulle est apparu suite à l’observation de valorisations très élevées. Nous faisons
particulièrement référence aux licornes, dont le nombre n’a cessé de croître ces dernières années.
Rien qu’au premier semestre 2015, 24 nouvelles licornes ont vu le jour dans le monde28
. Les US
27
Source : annexe 29
28
Octobre 2014, Valuation Multiples for Billion-Dollar Startups, CB Insights
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recensent 84 licornes à ce jour, représentant 327 Mds$ soit une valorisation moyenne de 3,9 Mds$
par startup. En Europe, on compte à ce jour 40 licornes représentant une valorisation moyenne de
3,0 Mds$. 13 startups européennes ont gagné le statut de licorne cette dernière année, pour une
valorisation moyenne de 2,1Mds$.
Lorsque l’on observe cette cartographie des licornes, aux US comme eu Europe (annexe
30), force est de constater que les entreprises cotées sont très minoritaires (21% uniquement aux
US). Cette première remarque est en ligne avec notre conclusion d’absence de bulle sur les marchés,
les startups choisissant de repousser leur introduction en bourse afin de bénéficier d’un round
supplémentaire de financement auprès d’investisseurs privés. Ainsi, si nous écartons les startups
cotées de notre panel, le nombre total de licornes à l’heure actuelle s’élève à 124 pour une
valorisation globale de 468 Mds$, contre 4 startups seulement en 2009 représentant 13 Mds$29
.
Au-delà de cette augmentation du nombre de licornes, nous pouvons également noter une
réduction du temps mis pour atteindre la valorisation de 1 Md$. En effet, si l’on observe un
échantillon des entreprises américaines (annexe 31) ayant dépassé le milliard de valorisation entre
2005 et 2011, et que l’on prend comme variable l’âge qu’elles avaient au moment d’atteindre cette
valeur, nous nous apercevons en effectuant une régression logarithmique que cette variable suit
une courbe décroissante avec le temps. Ainsi, alors qu’une entreprise mettait en moyenne 7,5 ans
en 2005 pour dépasser les 1 Mds$, il lui faut aujourd’hui environ 2,5 ans. Même si ce calcul reste
très simpliste, du fait qu’il ne prend pas en compte dans cette période les entreprises n’ayant pas
encore atteint cette valorisation, il donne une première approche approximative de cet effet
d’ « accélération » de la valorisation des firmes. De plus, si nous affinons l’analyse en séparant les
entreprises BtoC des entreprises BtoB, nous remarquons que les premières mettent en moyenne
moins de temps à atteindre le pallier des 1 Mds (environ 2 ans contre 3,5 ans respectivement). Cela
est d’autant plus marqué pour les entreprises de réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Instagram,
Twitter, Snapchat, Pinterest…).
Par ailleurs, nous nous sommes interrogés sur la cohérence de ces valorisations élevées, à
savoir leur corrélation aux performances intrinsèques des entreprises. Nous pouvons citer des
exemples d’ « aberrations » comme Instagram, valorisée 1 Md$ par Facebook lors de son
acquisition, la société ne générant pas encore de chiffre d’affaires et n’employant que 13 personnes,
ou encore Whatsapp, acquis par Facebook pour un montant de 22 Mds$, l’application ne générant
que 10 M$ de CA.
Nous avons donc étudié les multiples de chiffre d’affaires observés sur les licornes, en nous
appuyant pour cela sur les récentes opérations de financement des principales licornes privées
américaines. Nous avons recensé dans le graphique en annexe 32 les ratios valorisation / chiffre
d’affaires obtenus pour ces sociétés de 2011 à 2014, quand l’information est disponible. Ce
graphique met en exergue une certaine disparité des multiples, avec certains outsiders comme
Snapchat et Uber, et fait ressortir une moyenne de valorisation de 19,7x le chiffre d’affaires sur la
période. Aussi, si l’on affine l’analyse en regardant année par année, nous remarquons que la
valorisation moyenne augmente chaque année : de 9,0x en 2011, elle progresse à 14,0x en 2012 et
2013 puis 24,0x en 2014. En 2015, les deux exemples dont nous disposons font ressortir des
29
M. Bird, Septembre 2015, The number of ‘unicorn’ startups worth over $1 billion has grown by 3000% since
2009, Business Insider UK
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multiples très élevés : 320x et 45x. Cette analyse semble donc elle aussi aller dans le sens d’une bulle
de valorisation des startups.
Toutefois, elle n’est pas complète si elle ne prend pas en compte de point de comparaison.
Nous avons donc observé les multiples de CA au 30 juin 2015 de l’intégralité des licornes cotées
sur les marchés américains, soit 19 sociétés (annexe 33). Il en ressort un multiple moyen de 7,9x le
CA, ce qui corrobore notre hypothèse de survalorisation des startups sur le marché privée.
Ainsi, l’étude de ces startups particulière pour lequel nous obtenons facilement de
l’information nous permet là encore d’envisager l’existence d’une bulle.
IV. Suivi du schéma classique de la bulle
Les recherches réalisées jusqu’à maintenant nous mènent à penser qu’une bulle existe, mais
pour parfaire cette réflexion nous allons maintenant voir si le schéma classique d’une bulle
s’applique à notre situation en effectuant un parallèle avec les différentes étapes de sa formation.
Nous avons en annexe 34 les différentes étapes précédant l’explosion d’une bulle. Afin de faire
coïncider l’analyse avec la situation actuelle, il convient de faire démarrer ce graphique au début des
années 2000 (fin de la bulle dot.com).
La première étape est la gestation : au début des années 2000, les fonds de capital-risque se
« remettent » de la bulle dot.com mais continuent d’investir avec les business angels dans les startups.
L’étape suivante est celle de la naissance : nous l’avons vu plus haut, depuis quelques années
les investisseur institutionnels ont pénétré ce marché et ont accru leur position.
Intervient ensuite l‘étape de l’euphorie, marquée par l’arrivée des investisseurs grand public
et qui se traduit par 4 sous-étapes successives :
- En premier lieu, l’appropriation du sujet par les médias, qui en l’espèce ne cessent
d’alimenter la presse sur cette potentielle bulle depuis la fin de la décennie. A titre
d’exemple, un film sur la success story de Facebook est réalisé et de nombreux articles
répertorient les golden stories des investisseurs dans les startups à succès et les
valorisations record atteintes par certaines startups (renommées licornes par la presse).
- La seconde sous-étape réside dans l’enthousiasme général gravitant autour des startups.
Dans notre cas, la crise financière a entraîné une désaffection du public de la bourse et
de la Grande Entreprise. Celui-ci se recentre sur des actions plus locales et cherche à
donner un sens plus ESG30
à son investissement. Le VC est alors l’une des meilleures
options puisqu’il permet de participer à l’amélioration du monde de demain.
- La troisième composante de l’euphorie intervenant ensuite est celle de la cupidité, où,
au regard de la démultiplication des success stories, avec une hausse continue des prix et
rendements, de plus en plus d’investisseurs cherchent à prendre une part du gâteau et
s’inscrivent dans une démarche d’investissement dans le VC. Tout le monde veut
30
Critères environnementaux, sociaux et de gouvernance afférents à un investissement
Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015
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profiter de l’eldorado et fait une course à l’achat en se détachant totalement de la logique
économique.
- Enfin, la dernière étape, qui intervient peu de temps avant l’éclatement, consiste en
l’illusion. C’est le moment où le sens commun réalise qu’il n’y a plus aucune logique
économique, les prix des actifs observés sont totalement décorrélés de la valeur
intrinsèque. Aujourd’hui l’illusion n’est pas prouvée et de nombreuses questions se
posent à ce sujet.
En conclusion, il semblerait que le schéma classique de la bulle soit suivi jusqu’à maintenant.
Il ne reste plus qu’à prouver l’illusion pour pouvoir estimer sans trop d’erreurs que nous sommes
dans une situation de bulle.
V. Une survalorisation d’abord sur les entreprises en late stage qui s’est
transmise aux rounds inférieurs par la suite
Pour terminer cette première partie, il nous a paru intéressant non plus d’essayer d’analyser
l’existence d’une bulle, mais plutôt de voir comment les survalorisations des startups se sont
développées sur le marché de l’investissement privé, en mettant en exergue le risque intrinsèque à
la formation de cette survalorisation.
Notre observation est qu’il s’est réalisé un mouvement de transmission de ce phénomène
de survalorisation : ayant d’abord touché les entreprises en late stage, il s’est ensuite
progressivement reporté vers les tours les plus jeunes.
Les graphiques en annexe 2, 3, 4 et 5 montrent en effet que l’explosion des valorisations
est arrivée plus tardivement pour les séries A et B, comme nous l’avons vu en préambule. Ce sont
d’abord les entreprises les plus matures qui ont bénéficié de l’augmentation de leur valorisation et
ce du fait des raisons explicitées précédemment :
- Arrivée de nouveaux investisseurs (public, mutual et hedge fund, corporates, etc.) ;
- Fearing of Missing Out.
Cependant, ce phénomène s’est mécaniquement transféré au tour de table en amont. En
effet, en sachant qu’ils pourraient revendre leur participation à un prix élevé lors des tours de table
suivants, les investisseurs ont accepté de réaliser leur investissement dans les premiers tours de
table à un prix élevé.
Nous pouvons d’ailleurs, d’une certaine manière, comparer cette observation au mécanisme
d’une chaîne de Ponzi. La chaine de Ponzi consiste à rémunérer les investissements d’une personne
par l’argent procuré par de nouveaux clients. Cela marche si la rémunération est attractive et que
de plus en plus de personnes sont prêtes à investir. Cependant, il arrive inéluctablement un moment
où l’argent frais collecté n’est plus suffisant pour rémunérer les anciens clients et alors la chaîne
éclate. Ce qui se passe sur le marché de l’investissement dans les startups est comparable à ce
système dans le sens où l’arrivée de nouveaux investisseurs pousse les valorisations à la hausse,
permettant aux investisseurs historiques d’afficher des performances très élevées. Ces
performances attirent elles-mêmes de nouvelles personnes qui alimentent alors le marché de
l’investissement en VC et qui continuent à pousser les valorisations à la hausse. Certes, ici les
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investisseurs ont un sous-jacent réel, mais il risque d’arriver un moment où la chaîne va éclater. Le
jour où les agents se rendront compte de la trop forte déconnexion entre le sous-jacent et la
valorisation, de nombreux investisseur quitteront alors ce marché qui reviendra à un niveau
considéré comme normal.
En conclusion de cette première partie nous pouvons affirmer qu’au regard des différents
éléments, tout nous laisse à croire que l’augmentation des valorisations dans le marché privé
s’apparente à une bulle. En effet, les éléments communs aux précédentes bulles sont satisfaits, des
éléments spécifiques au Venture Capital sont comparables à la bulle dot.com et/ou mettent en
exergue un appétit très fort des investisseurs pour les startups et il semble exister une forte
déconnexion entre la valorisation et les fondamentaux des entreprises. Enfin, le schéma classique
de la bulle est pour l’instant suivi. Dans ces conditions, une chute des valorisations, accompagnée
d’une forte baisse du montant des investissements, peut être attendue.
Néanmoins, nous pouvons ici détailler l’analyse en concluant qu’il semblerait que le
phénomène de bulle soit surtout présent pour les startups les plus matures et nettement moins
pour les startups en création (ne bénéficiant pas de l’investissement des corporates et autres
investisseurs institutionnels).
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Deuxième partie : des valorisations pour partie
justifiées
L’objectif de cette seconde partie est de voir si la hausse observée en préambule ne serait
pas en fait justifiée par une amélioration des fondamentaux des startups, avec un accroissement de
leur valeur, et/ou une amélioration de facteurs externes à ces entreprises impactant directement
leur financement en capitaux propres.
I. Des éléments internes aux startups démontrant une valeur intrinsèque
plus importante
Nous allons tenter dans cette sous-partie de voir si les startups ont connu des modifications
laissant penser à un accroissement de leur valeur.
a) Un chiffre d’affaires plus élevé plus rapidement
Un premier élément marquant est que les startups ont aujourd’hui tendance à avoir un
chiffre d’affaires plus élevé plus rapidement, ce qui est incontestablement à considérer comme une
amélioration des fondamentaux.
Empiriquement, si l’on regarde l’évolution du chiffre d’affaires des startups dans le temps,
force est de constater que celui-ci croit plus vite aujourd’hui. En comparant avec la bulle dot.com
de 2000, nous observons en effet que les startups US soutenues par des fonds VC et en cours
d’introduction sur un marché voyaient leur CA augmenter de 63% par an en moyenne en 1998, ce
chiffre étant de 85% en 201431
.
Cela s’explique en grande partie par le fait que la globalisation ne cesse de s’accélérer et la
technologie permet aujourd’hui aux startups de distribuer à bas coûts leurs produits ou services
quasiment dans le monde entier, et ce presque instantanément. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Steve
Blank32
en notant qu’une startup peut maintenant presque dès son premier jour être une « micro-
multinationale »33
.
Ceci s’explique en particulier par deux phénomènes :
- Le développement d’internet qui permet aujourd’hui d’accéder à des consommateurs dans
le monde entier sans nécessiter la mise en place de lourdes structures dans chaque
pays. Ainsi, alors que l’internet touchait 40 M de personnes dans le monde il y a 20 ans, il
concerne aujourd’hui plus de 3 Mds de personnes. Et d’après une étude du fonds
d’investissement Andreessen Horowitz, le marché atteindra les 4 Mds d’internautes en
2020. Le nombre de clients, potentiels ou non, augmente donc par effet d’échelle avec
31
T. Tunguz, Août 2015, Why Startups Are Growing Faster Today Than Ever Before, Tomtunguz.com
32
Serial entrepreneur et académicien de renom
33
Compass, The Global Startup Ecosystem Raking 2015
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l’utilisation d’internet, en témoigne la progression du e-commerce dans le monde de 23%
en 2014 : le marché s’établit à 1,9 Mds$ en 2014 et devrait atteindre 2,3 Mds$ en 2015. Si
l’on prend l’exemple de la France, nous observons une hausse de 14% au premier semestre
2015, soit un marché des ventes en ligne de 15,2 Mds€34
représentant 3% du PIB français.
Au niveau mondial, internet représentait déjà 3,4%35
du PIB en 2011, et les dépenses de
consommation liées à internet dépassaient celles de l’agriculture et de l’énergie.
- Le développement du nombre d’early adopters. Nous n’avons malheureusement trouvé
aucune statistique concernant ce dernier point, cependant lorsque l’on regarde
l’engouement du public pour les sites de crowdfunding en don avec contrepartie, on
comprend que de plus en plus de personnes souhaitent être les premières à détenir le nouvel
objet à la mode. En effet, ces sites offrent en général la possibilité aux personnes soutenant
un projet d’être les premières à recevoir le produit/service de ce projet.
Cet environnement plus favorable permet donc aux startups de se développer plus vite en
accédant à un marché plus large plus rapidement. Ce développement plus rapide est sans conteste
une amélioration des startups qui justifie une valorisation plus élevée.
b) Des startups plus efficientes
Un fait généralement observé par les professionnels que nous avons interrogés réside dans
la capacité pour une startup à générer de plus en plus de valeur dans le temps pour un même
montant investi. Nous avons donc décidé d’analyser cet indicateur qui témoigne encore selon nous
de l’accroissement de valeur des startups. Nous nous sommes appuyés pour cela sur une analyse
menée par le fonds américain Redpoint, sur les startups ayant procédé à une IPO entre 1998 (pré-
bulle des années 2000) et 2014. Cette étude s’est concentrée par simplification sur les startups du
SaaS au sens large en prenant en compte l’inflation sur la période. Ainsi, le chiffre d’affaires moyen
généré par startup lors de son IPO par dollar investi est passé de 0,8x en 1998 à 2,0x en 2014. Ce
phénomène est d’autant plus généralisé que le nombre d’entreprises dans l’échantillon a augmenté
à travers la période d’analyse. Cette étude conclut en expliquant cette hausse par une amélioration
du business model de ces entreprises dans le temps, avec une meilleure maîtrise des coûts de
construction et de déploiement des infrastructures du cloud permettant de se concentrer sur les
efforts marketing.
Cet élément est d’ailleurs lui aussi constaté dans The Global Startup Ecosystem Report 2015 qui
affirme que le coût de développement produit a été divisé par 10 au cours de la dernière décennie.
Ainsi, il est normal que les startups obtiennent une valorisation plus élevée car cela équivaut
pour l’investisseur à une dilution moindre pour un résultat équivalent. Ceci est fondamental et est
à considérer comme une modification majeure pour les startups, qui justifie largement une
valorisation plus élevée pour ces entreprises.
34
Ecommerce Foundation
35
McKinsey Global Institute, Mai 2011, Internet Matters : The Net’s sweeping impact on growth, jobs, and
prosperity
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c) Une base clients à prendre en compte
A l’instar d’Instagram, des entreprises ne réalisant aucun chiffre d’affaires se voient
valorisées à des montants très importants, mais ces valorisations ne sont pas nécessairement
dénuées de sens. En effet, en dehors de leur valeur technologique ou de la rentabilité de leur
business model, la valorisation de certaines startups peut être justifiée par leur base clients.
L’acquisition de clients est un point crucial pour les entreprises et celle-ci peut avoir un coût très
important. Il suffit par exemple de constater les budgets publicitaires de certaines entreprises pour
comprendre ce phénomène. Ainsi, lorsque des entreprises comme Instagram, Pinterest, Tumblr
sont valorisées à plusieurs centaines de millions de dollars, il ne faut pas oublier qu’elles fournissent
à leur repreneur des millions d’utilisateurs. A ce titre, les entreprises dont la valeur augmente le plus
vite semblent d’ailleurs être celles qui touchent le plus de consommateurs. Par exemple, parmi les
13 nouvelles licornes européennes de l’année passée, 77% sont orientées consommateurs36
. La
majorité des licornes américaines sont de même des startups BtoC.
En conclusion de cette première sous-partie, il apparait clairement que la valeur intrinsèque
des startups s’est améliorée, justifiant pour partie la hausse des valorisations.
II. Des éléments externes qui justifient des valorisations plus élevées
Tentons maintenant de voir si des facteurs externes aux startups pourraient expliquer une
augmentation de leur valorisation lors de leur financement en capitaux propres.
a) Des investissements par opération comparables à la bulle 2000 mais bien plus
réfléchis
Nous avons remarqué dans la première partie que la taille des opérations était revenue à un
niveau similaire à la période de la bulle dot.com, cependant il convient de nuancer cet argument.
En effet, au regard de l’évolution des montants investis au global (annexe 35), nous observons
qu’ils sont bien moindres qu’au cours de la bulle de 2000. Cela signifie donc qu’aujourd’hui les
investisseurs opèrent une sélection bien plus importante des entreprises dans lesquelles ils
investissent. Ils semblent s’attacher aujourd’hui à investir uniquement dans les sociétés dont le futur
est moins incertain et ayant donc un risque plus faible. Or, la valorisation est totalement dépendante
du risque et donc si le risque est amoindri, l’augmentation de valorisation est justifiée.
D’autre part, le plus faible montant des investissements par rapport aux années 2000 (de
moitié environ) nous permet de constater que nous sommes bien loin de l’euphorie des années
1999/2000.
36
GP. Bullhound, European Unicorns: Do They Have Legs?
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b) Des pactes d’actionnaires en faveur d’une valorisation plus élevée
Les pactes d’actionnaires signés par les investisseurs de startups visent à définir les relations
entre les actionnaires et la société et entre les actionnaires eux-mêmes. Ils contiennent de
nombreuses clauses et ont un général une importance capitale dans le VC, parfois plus que les
conditions financières de l’investissement. Ils peuvent donc très largement influencer la valorisation
acceptée par les investisseurs ou les actionnaires historiques selon les avantages qui leur sont
concédés.
En particulier, la clause de liquidité préférentielle peut jouer un rôle très important et a
d’ailleurs impacté les valorisations ces dernières années. En effet, il existait traditionnellement une
clause de liquidité préférentielle de « simple-dip » qui permettaient à un ou plusieurs investisseurs
bénéficiant de cette clause de protéger son/leur investissement. En pratique, cette clause permet
en cas de survenance d’un évènement de liquidité (faillite, cession, introduction en bourse, etc.) de
récupérer sa mise avant même que les autres investisseurs puissent toucher de l’argent.
Cependant, nous observons que cette clause a évolué depuis quelques années aux Etats-
Unis et plus récemment en Europe. En effet, de plus en plus de pactes d’actionnaires contiennent
des clauses de « double-dip », « triple-dip », voire « quadruple-dip ». Ces clauses permettent ainsi à
l’investisseur en bénéficiant de récupérer respectivement deux, trois ou quatre fois sa mise de départ
avant que les autres actionnaires ne puissent obtenir une « part du gâteau ». De cette façon,
l’investissement devient en partie moins risqué et permet d’accepter des valorisations bien plus
élevées.
C’est ainsi que lors du dernier tour d’Uber, valorisant la société à 51 Md$ et lui permettant
de lever plus d’un milliard de dollars, une clause de cette nature a été intégrée. Une telle valorisation
pour une société jeune de 5 ans et dont la position n’est pas encore pleinement assurée ne pouvait
être acceptée qu’avec la mise en place d’un « triple-dip » en faveur des investisseurs de ce tour37
.
Nous voyons donc bien, qu’en plus de l’évolution de certains fondamentaux, la façon de
structurer l’opération favorise l’augmentation des valorisations.
c) Un écosystème à l’origine d’une facilitation pour le développement des startups
Les startups sont de nos jours des entreprises en vogue et au cœur des préoccupations de
beaucoup d’acteurs qui interviennent pour améliorer leur environnement, et ainsi leur fournir un
écosystème adapté. Cet écosystème s’est développé dans les années 1990 dans la Silicon Valley et
connait une existence plus récente en Europe.
Tout d’abord, il est important de remarquer que les anciennes startups qui sont aujourd’hui
devenues des mastodontes, jouent un rôle très important puisqu’elles alimentent l’investissement
et facilitent l’innovation des jeunes startups.
Ces grandes entreprises sont présentes depuis plusieurs années aux US : Microsoft, Apple
et plus récemment, Google Amazon, Facebook, etc. Elles sont plus récentes en Europe et en
France : Skype, Spotify, Zalando, Rocket Internet, Vente Privée, Criteo, BlaBlaCar, etc. Toutes ces
entreprises cherchent à favoriser l’innovation en aidant les jeunes startupeurs à se lancer ou à se
développer. Cela passe soit par la participation de leurs dirigeants aux boards de jeunes startups (Max
37
Information récupérée lors de l’entretien avec M. Mandin.
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Levchin, co-fondateur de PayPal est membre du comité de direction d’Evernote), soit par la mise
en place de partenariats pour leur permettre d’accéder à des ressources que seule une grande
entreprise peut posséder (par exemple Google à travers son Firespotter Labs), ou encore par un
apport de financement (investissement en capitaux propres). Cela permet en particulier aux startups
d’accéder à des bases de clients larges et établies et à de larges réseaux de partenaires et conseils de
qualité, mais aussi d’obtenir de la crédibilité grâce à la notoriété du corporate.
Aussi, les professionnels spécialisés dans les startups sont de plus en plus nombreux, le
nombre de personnes ayant bénéficié d’une expérience en startup étant mécaniquement de plus en
plus important. Or, le succès d’une startup repose très fortement sur la qualité de l’équipe en charge
de son lancement et de son développement. En effet, être collaborateur dans une startup demande
de nombreuses compétences bien différentes des industries traditionnelles (créativité, adaptabilité,
etc.). Alors que dans les entreprises traditionnelles les collaborateurs travaillent sur la base
d’objectifs détaillés et écrits et sur des processus établis, les collaborateurs des startups doivent
repenser leurs actions tous les jours et se demander comment réussir à faire quelque chose qui n’a
jamais été fait auparavant. Ainsi, avec tous ces collaborateurs plus adaptés aux startups, les chances
de succès sont bien plus importantes.
En outre, le mécanisme de travail en freelance, qui se développe fortement, représente une
source de travailleurs importante pour les startups, de surcroît très adapté à leur besoin de flexibilité.
Il est ainsi estimé aujourd’hui qu’aux Etats-Unis, il y a 53 millions de personnes en freelance, soit
34% de la population active, et que ce nombre devrait augmenter à 50% d’ici à 202038
. En Europe,
le nombre de travailleurs indépendants a été estimé à près de 32,5 millions soit 15% de la population
active et ce chiffre devrait continuer de croître39
.
Par ailleurs, il y a de plus en plus de sociétés d’accompagnement. Même si pour une startup
trouver du financement est le nerf de la guerre, savoir le dépenser à bon escient est encore plus
important. Or, le porteur d’une idée n’a parfois pas les capacités à la produire, la développer, la
faire connaitre, la rentabiliser, et sans accompagnement la réussite du projet parait presque
impossible. Néanmoins, de plus en plus d’incubateurs et d’accélérateurs se développent, ce qui
permet de contrer ce manque et d’accroître les chances de réussite.
En particulier, l’annexe 36 montre qu’en Europe, le nombre d’incubateurs et d’accélérateurs
a drastiquement augmenté depuis 2007 (passant d’une cinquantaine en 2007 à environ 250 en 2013).
Ce phénomène est d’ailleurs mondial, en témoigne l’annexe 37 montrant que le nombre
d’incubateurs a plus que doublé entre 2006 et 2013 (de 4000 à 9000).
Enfin, les Etats favorisent de plus en plus le développement des startups. Ils ont en effet
compris que ces startups leur permettraient de s’assurer une place dans les économies de demain.
C’est pourquoi ils mettent en œuvre de nombreux projets et mesures visant à aider leur
développement. Cela passe notamment par la création de hubs d’innovation comprenant toutes les
infrastructures nécessaires, comme le font les Etats-Unis avec la Silicon Valley ou encore Londres
et Tel Aviv avec East London Tech City et Startup City Tel Aviv. Cela passe également par des
38
J. Wald, Novembre 2014, 5 Predictions for the Freelance Economy in 2015, Forbes
39
Commission Européenne - Bilan de l’Observatoire européen de l’emploi, Le travail indépendant en Europe
2010
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mesures visant à favoriser l’investissement dans les startups, à l’image des diverses incitations
fiscales qu’il existe à ce sujet. C’est le cas en France avec le PEA-PME. Une autre prérogative des
Etats consiste à injecter de l’argent public directement dans les startups pour aider leur
développement. En France, la BPI et les fonds régionaux ont d’ailleurs un impact de poids dans
l’investissement dans les startups. Dans le reste de l’Europe et les Etats-Unis, nous avons vu que
les fonds souverains prenaient de plus en plus d’importance. Enfin, les aides étatiques se traduisent
aussi par des actions diverses comme les simplifications administratives mises en œuvre pour les
startups, la création d’instruments de financement adaptés au startups en early stage, la création
d’instruments financiers de rémunération des salariés très favorables fiscalement (notamment les
BSPCE40
en France), l’aide à l’implantation d’incubateurs, etc.
Pour terminer cette partie, nous pouvons aussi introduire l’importance de l’évolution des
méthodes de Management. En effet, jusqu’à la fin du XXème
siècle, les méthodes de management
enseignées s’appuyaient sur les fondements de la théorie moderne du management dont l’origine
remonte aux théories de H. Ford et F. Taylor. Cependant, les premiers startupeurs de la fin du
XXème
siècle se sont rendus compte que ces pratiques n’étaient pas adaptées à l’entrepreneuriat, et
qu’une nouvelle méthode de management devait être développée. En particulier, certains
startupeurs de la bulle dot.com, qui ont « essuyé les plâtres », ont travaillé au développement d’un
nouveau modèle pour permettre aux futurs startupeurs de ne plus réaliser les mêmes erreurs et
d’être bien plus efficients dans leur méthode managériale. C’est le cas d’Eric Ries, qui le premier
mentionne le terme de Lean Startup dans son blog Startup Lessons Learned en septembre 2008, et en
juin 2009, la première conférence appelée Lean Startup Circle a vu le jour sous l’impulsion de R.
Collins. Depuis, de nombreux professionnels et académiciens ont travaillé sur le sujet et enrichi
cette nouvelle matière. E. Ries a, à ce titre, publié en 2011 le livre : The Lean Startup : How Today’s
Entrepreneurs Use Continuous Innovation to Create Radically Succesful Business.
La combinaison de tous ces facteurs permet incontestablement aux startups de se
développer plus rapidement et plus efficacement et d’améliorer leur chance de survie. Cette
diminution du risque et cette meilleure efficacité justifient aisément une augmentation des
valorisations de ces startups.
d) Un environnement économique favorable et qui devrait le rester
Le dernier argument allant à l’encontre de l’existence d’une bulle réside dans le contexte
économique actuel, en nette amélioration depuis la crise, jouant ainsi un rôle moteur dans le
développement des startups. Nous avons dressé une liste succincte et non exhaustive des critères
macroéconomiques permettant de justifier du dynamisme d’investissement dans les startups.
- Taux de chômage des pays occidentaux :
Le taux de chômage aux Etats-Unis est en forte baisse depuis le mois d’octobre 2009 : alors qu’il
atteignait 10% à cette date, il a continuellement décru pour atteindre 5,3% en juillet 201541
.
40
Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise
41
Les Echos Data, Etats-Unis – Taux de chômage
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Dans l’Union Européenne, la situation est moins bonne mais on note une diminution du chômage
depuis la fin de l’année 2013, le taux passant de 10,7% à 9,6% en mai 201542
.
- Produit Intérieur Brut :
Le taux de croissance du PIB américain semble repartir à la hausse. Alors que ce taux était stable
(voire en baisse) entre 2010 et 2013, en s’établissant à 2,2% en 2013, il a augmenté en 2014 à 2,4%.
Le FMI prévoit de plus des taux de 2,5% pour 2015 et 3% pour 201643
.
Dans l’Union Européenne, la situation est à peu près similaire. Le taux de PIB a connu une
tendance baissière jusqu’en 2012 (avec des niveaux négatifs), avant de remonter à 0,2% en 2013
puis 1,4% en 2014. Les prévisions pour 2015 et 2016 s’établissent respectivement à 1,8% et 2,1%44
.
- Indice de confiance des consommateurs :
L’indice de confiance des ménages est en forte hausse depuis la fin de l’année 2011 aux Etats-Unis
(passant de 96,79 en septembre 2011 à 100,23 en septembre 2015) et depuis la fin de l’année 2012
en Europe (de 97,74 en novembre 2012 à 100,79 en septembre 2015)45
.
L’amélioration de ces statistiques n’est pas sans conséquences pour les investisseurs
puisqu’elle est le signe d’un meilleur pouvoir d’achat et d’une consommation plus soutenue. Ce
contexte est particulièrement favorable à l’investissement et la situation des économies occidentales
s’améliorant, les perspectives d’avenir des startups sont meilleures et justifient donc une hausse des
valorisations.
La qualité de cet environnement économique est en outre indéniable au regard de la
croissance générale de la valeur des actifs :
- Si l’on observe l’évolution du S&P 500 depuis 2008 (annexe 38), nous remarquons que cet
indice a quasiment triplé depuis 2008 ;
- Pour le MSCI Euro (annexe 39), la croissance est moins nette mais nous notons tout de
même une croissance marquée à partir de 2012 ;
- Enfin, en ce qui concerne l’immobilier (annexe 40), nous constatons là aussi un
accroissement des prix généralisé dans le monde, certes bien moins important que celui des
actions, mais qui démontre tout de même un trend de croissance.
En conclusion de cette deuxième partie, il nous parait clair que la situation n’est pas si
simple. En effet, nous venons de voir que l’augmentation des valorisations trouvait une justification
dans l’amélioration des fondamentaux des startups mais aussi dans l’amélioration de leur
environnement, avec de nombreuses initiatives visant à favorisant le développement de l’
« écosystème startups ». Cependant, nous pensons que la forte hausse des valorisations observée
en préambule n’est pas entièrement justifiée par ces éléments et qu’une partie de l’augmentation
s’explique bien par des phénomènes de survalorisation.
42
Statistiques Mondiales, Taux de chomage dans l’Union Européenne
43
La Banque Mondiale, Croissance du PIB et Juin 2015, Croissance : le FMI pessimiste pour les USA, Le Figaro
44
Eurostat, Taux de croissance du PIB réel et Prévision économique de l’UE, Commissions Européenne –
Affaires Economiques et Financière
45
OCDE Données – Indicateurs avancés, Confiance des consommateurs
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  • 1. MEMOIRE DE FIN D’ETUDES : Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Sous la direction de M. Olivier Younès Marine Antona Ugo Madern 2014 - 2015
  • 2. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 1 - Marine Antona et Ugo Madern Remerciements Nous tenons tout d’abord à remercier chaleureusement M. Mortchev1 , M. Charquet2 , M. Daudier de Cassini3 , M. Dupont4 , M. Carbonne5 , M. Baschiera6 et M. Mandin7 pour nous avoir ouvert les portes de leur bureau et consacré du temps afin de répondre à nos questions. Nous remercions l’Université Paris Dauphine de nous offrir la possibilité de réaliser ce mémoire de fin d’études qui sera selon nous un atout supplémentaire pour notre employabilité future. Nous remercions Mme. Garcia, responsable Private Equity de BNP Paribas Wealth Management, qui nous a fourni des données de la plateforme Preqin nous permettant ainsi d’enrichir la robustesse de notre travail. Enfin nous adressons nos sincères remerciements à M. Younès qui a accepté de nous suivre dans la réalisation de ce mémoire et sans qui ce travail n’aurait pas vu le jour. 1 Co-fondateur associé de Sokrates Advisor, Société de conseil dédiée au Private Equity et Venture Capital 2 Managing Partner chez Generis Capital Partners, Société de gestion en capital risque ayant un département Venture Debt 3 Analyste chez Generis Capital Partners, Société de gestion en capital risque ayant un département Venture Debt 4 Président d’Anaxago, Plateforme de Crowdfunding en Equity française 5 Directeur Général d’Anaxago, Plateforme de Crowdfunding en Equity française 6 Co-fondateur d’Early Metrics, Agence de Notation de startups en France 7 Chargé d’Affaires chez Seventure, Fonds de Venture Capital de Natixis
  • 3. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 2 - Marine Antona et Ugo Madern Abstract Dans un contexte où des startups atteignent des valorisations jusqu’alors jamais observées et où de nombreux professionnels et journalistes parlent d’une bulle dans la valorisation des startups, nous avons cherché à voir si le phénomène était bien réel. Afin de répondre à cette question nous avons rassemblé un maximum de sources d’informations et d’opinions dans le but d’identifier les différentes pistes de réflexion. Puis nous avons analysé ces éléments afin de faire émerger ce qui nous est apparu comme étant le plus pertinent au regard du contexte actuel. Cette méthode de travail nous a ainsi permis d’approuver l’existence d’une survalorisation, mais qu’il ne convient pas selon nous de considérer comme une bulle.
  • 4. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 3 - Marine Antona et Ugo Madern Sommaire Introduction..................................................................................................- 4 - Préambule.....................................................................................................- 6 - I. Valorisation des startups sur le marché privé.........................................................................- 6 - II. Valorisation des startups sur le marché coté...........................................................................- 8 - Première partie : l’existence envisageable d’une bulle.............................. - 11 - I. Les facteurs communs aux précédentes bulles.....................................................................- 11 - II. Qu’en est-il aujourd’hui ?.........................................................................................................- 13 - III. Des facteurs spécifiques au Venture Capital laissant penser à une forte survalorisation des startups.........................................................................................................................................- 18 - IV. Suivi du schéma classique de la bulle.................................................................................- 22 - V. Une survalorisation d’abord sur les entreprises en late stage qui s’est transmise aux rounds inférieurs par la suite.........................................................................................................................- 23 - Deuxième partie : des valorisations pour partie justifiées.........................- 25 - I. Des éléments internes aux startups démontrant une valeur intrinsèque plus importante- 25 - II. Des éléments externes qui justifient des valorisations plus élevées...................................- 27 - Troisième partie : une survalorisation qui ne doit pas être considérée comme une bulle......................................................................................................- 32 - I. Les raisons laissant penser que les valorisations ne chuteront pas drastiquement..........- 32 - II. Le mécanisme du dégonflement.............................................................................................- 36 - Conclusion ..................................................................................................- 37 - Bibliographie ..............................................................................................- 38 - Annexes....................................................................................................... - 41 -
  • 5. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 4 - Marine Antona et Ugo Madern Introduction La valorisation des startups est depuis longtemps un sujet sur lequel de nombreux professionnels et chercheurs se sont penchés. Du fait de la nature très incertaine de l’avenir de ces entreprises et du manque d’expérience dans les domaines nouveaux, il est effectivement très difficile d’appliquer les méthodes de valorisation traditionnelles que l’on retrouve pour les actifs moins risqués. L’ingénierie financière a donc dû développer des modèles complexes pour appréhender cette valorisation avec comme exemple la méthode optionnelle. Cependant, le nombre de paramètres et d’hypothèses étant extrêmement élevés, une idée est partagée de tous, il est encore aujourd’hui très complexe de valoriser une startup de façon efficace et nombre d’éléments subjectifs influencent donc sa réalisation. Cette difficulté a d’ailleurs déjà eu de lourdes conséquences comme nous l’avons observé lors de la bulle dot.com, où les valeurs des entreprises de l’internet ont explosé à la fin des années 1990 pour atteindre un sommet en mars 2000. Dans l’euphorie du potentiel d’internet, les investisseurs semblent avoir perdu leur rationalité et pris des décisions déconnectées de presque tous les fondamentaux de leurs investissements. A ce titre, Alan Greenspan, ancien président de la Fed, a mentionné le terme « d’exubérance irrationnelle » lors de son discours devant l’American Entreprise Institue le 5 décembre 1996 pour caractériser le comportement des investisseurs sur les marchés actions et en particulier sur les valeurs de l’internet. De cette irrationalité a découlé la bulle dot.com dont l’éclatement a entrainé une division par 1,5 du Nasdaq en à peu près un mois (mars 2000) et par environ 4,5 entre le début du mois de mars 2000 et septembre 2002. Depuis quelques temps maintenant, des startups refont la une des journaux concernant les niveaux de valorisation qu’elles atteignent. A titre d’exemple, la startup Slack a fait couler beaucoup d’encre en octobre 2014, en levant des fonds sur une valorisation de 1 Md$, moins d’un an après son lancement. De même, en juillet 2015, Uber a atteint la valorisation impressionnante de 51 Md$ lors de son dernier tour de table. De tels chiffres ne nous ont pas laissés insensibles et nous nous sommes donc demandé s’il n’y avait un sujet à creuser autour de ces annonces. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls puisque l’on observe sur internet depuis 2013 une recrudescence des recherches liées au terme de « Tech Bubble » (annexe 1). Par ailleurs, la valorisation des startups est aujourd’hui un sujet touchant un grand nombre de personnes, avec l’arrivée récente des investisseurs grand public dans le Venture Capital via le développement du Crowdfunding en Europe et aux Etats-Unis. Ces derniers, qui n’ont aucune expérience de ce secteur, se demandent donc si les startups sont actuellement survalorisées au point de représenter une bulle. Dans ce contexte, il nous a semblé pertinent de se demander si la période actuelle correspondait à une période de bulle dans la valorisation des startups, ou si au contraire ces valorisations croissantes n’étaient pas simplement le reflet d’une amélioration des fondamentaux de ces entreprises. Afin de répondre à cette problématique, il faut tout d’abord définir les limites d’un tel sujet, car il serait trop ambitieux de vouloir le traiter dans sa globalité tout en analysant en profondeur chaque spectre de cette problématique. Nous avons donc cherché à nous restreindre aux Etats- Unis et à l’Europe car ces marchés présentent des similitudes fortes et nous concernent plus
  • 6. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 5 - Marine Antona et Ugo Madern particulièrement. Nous avons décidé de ne pas nous attacher à étudier le phénomène dans les pays émergents, qui ont des spécificités ne permettant pas de faire des rapprochements pour traiter le sujet en une fois, et pour lesquels il aurait donc fallu refaire un mémoire de manière à obtenir une réponse satisfaisante et adaptée. Aussi, il convient avant toute chose de présenter notre définition de « startup », terme générique souvent employé de manière différente selon les interlocuteurs. Nous avons ainsi retenu la définition de Paul Graham8 , pour qui la startup est une entreprise dont la croissance est très rapide et exponentielle. Celle-ci apporte en général une nouveauté sur un certain marché. Nous avons par ailleurs, pour quelques parties, concentré nos recherches sur les startups à caractère technologique ou ayant un rapport avec la technologie, celles-ci couvrant le plus large spectre des startups et offrant une plus grande quantité d’informations. Enfin il est nécessaire de définir ce qu’est une bulle. Une bulle arrive lorsque les investisseurs conduisent les prix sans aucune réflexion rationnelle sur la valeur réelle de l’actif. Les prix croissent alors de manière importante jusqu’à un certain stade où les investisseurs se rendent compte de la trop forte déconnexion entre le prix et la valeur de l’actif. C’est à ce moment que la bulle éclate et que les prix chutent drastiquement, provoquant de très lourdes pertes pour les investisseurs. Cette définition nous permet d’établir le raisonnement que nous allons suivre pour répondre à notre problématique, autrement dit voir s’il existe des signes d’irrationalité de la part des investisseurs ou si au contraire la montée des prix est justifiée par une valeur plus importante des startups, pour enfin se demander si une chute drastique des prix est envisageable. Un premier obstacle rencontré dans la conduite de cette analyse a été l’accès aux données, particulièrement difficile pour le marché privé. Mais la plus grande difficulté de ce sujet réside dans son essence même : il nous est apparu impossible de prouver scientifiquement l’existence d’une bulle dans la valorisation des startups. Pour autant, nous allons tenter de répondre à notre problématique en recoupant le maximum d’informations et d’opinions que nous avons pu obtenir. Nous étudierons ainsi en préambule le contexte actuel des valorisations des startups afin de cadrer notre recherche. Cette partie nous permettra en effet de savoir si cette potentielle bulle est générale ou si au contraire celle- ci est localisée sur un certains marché, une certaine maturité, etc. Puis dans la première partie nous étudierons les éléments qui nous laissent penser que les valorisations sont le reflet d’une bulle. Dans la deuxième partie nous tenterons de voir si ces valorisations ne sont pas au contraire le reflet de facteurs positifs à l’origine d’une augmentation de la valeur des startups. Ces deux parties, couplées à une étude de l’avenir du VC et des startups, nous permettront alors d’établir dans une troisième partie si nous pouvons anticiper une bulle ou si au contraire les valorisations ne connaitront pas le même chemin qu’ont connu les startups de la bulle dot.com. 8 Paul Graham est un éminent programmeur, venture capitaliste et essayiste.
  • 7. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 6 - Marine Antona et Ugo Madern Préambule Le but de ce préambule est de faire un état des lieux de l’évolution des valorisations des startups au cours des dernières années afin de mieux cerner le sujet et les marchés à étudier. Il est en effet indispensable de voir dans quelle mesure les valorisations ont augmenté et ainsi de se demander d’ores et déjà si nous ne sommes pas dans une situation d’écart dit « normal ». Cette étude est indispensable pour nous permettre d’identifier s’il existe des différences selon les étapes de financement et/ou les géographies et ainsi observer si cette potentielle bulle est globale ou localisée. I. Valorisation des startups sur le marché privé Notre mémoire ayant pour origine les valorisations de sociétés sur le marché privé, intéressons-nous d’abord à ce marché. a) L’évolution des valorisations aux Etats-Unis Nous avons dans un premier temps cherché à analyser le phénomène aux Etats-Unis puisque, si l’on en croit les journaux et les professionnels interrogés, c’est outre-Atlantique que celui-ci a débuté. Après de multiples recherches et demandes d’accès à des bases de données, nous avons réussi à récupérer des données pertinentes à partir du site de Quandl, nous permettant de retracer l’évolution des valorisations pré-money des startups au cours des différentes étapes de levées de fonds. Ces données sont rassemblées dans les graphiques en annexes 2, 3, 4 et 5. Sans analyse particulière, nous observons très rapidement que la forte croissance des valorisations est indéniable sur l’ensemble des rounds. Cependant, plusieurs remarques et constatations complémentaires sont à apporter : alors que pour les entreprises les plus jeunes cette croissance est assez constante, elle est beaucoup plus volatile pour les entreprises en phase plus avancée, en témoigne le graphique en annexes 4 et 5. Cette observation n’est toutefois pas problématique et s’explique d’une part par le fait que le nombre d’opérations à ces étapes-ci est beaucoup plus faible et donc que les statistiques peuvent être considérablement impactées par un investissement s’éloignant fortement de la moyenne. Mais surtout, cela vient du fait que la disparité des valorisations au sein de ces rounds est bien plus importante. Aussi, l’explosion n’est pas la même partout. En effet, alors que pour les séries C et D et supérieures, les valorisations ont été multipliées environ par trois9 , celles des séries A et B ont été multipliées approximativement par quatre10 . Par ailleurs, nous observons que l’augmentation s’est amorcée à des moments différents selon les stades de financement. Apparue aux alentours de début 2014 pour les séries A et B, elle 9 Passant de 25 M$ à 80 M$ pour les séries C et de 50 M$ à 150 M$ pour les séries D et supérieures 10 Passant de 4 M$ à 14 M$ pour les séries A et de 10 M$ à 45 M$ pour les séries B
  • 8. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 7 - Marine Antona et Ugo Madern est survenue dès début 2013 pour les séries C, et pour les séries D et supérieures, nous l’observons dès la fin 2012 avec un premier pic préalable fin 2010. Au total, nous avons donc en moyenne une multiplication par 3-4x des valorisations des startups aux US au cours des 5 dernières années, ce qui est incontestablement une augmentation majeure dont il est intéressant d’étudier le fondement. b) L’évolution des valorisations en Europe Dans cette deuxième sous-partie, nous allons essayer de mettre en lumière l’évolution des valorisations sur le marché privé européen. Malheureusement, il nous a été impossible de trouver des chiffres exacts concernant les valorisations des startups européennes du fait de l’opacité de ce marché et du retard de l’Europe dans la transmission de données concernant le Venture Capital. Nous avons donc cherché des indicateurs permettant de se rapprocher le plus possible des valorisations européennes. Nous avons ainsi choisi un premier proxy : les performances réalisées par les fonds de Venture Capital. En effet, plus un fonds revendra une startup à un multiple élevé, plus sa performance sera élevée. Nous avons réussi à récupérer via la plateforme Preqin les performances globales des fonds de Venture Capital axés sur l’Europe depuis 10 ans. Nous pouvons alors observer (annexe 6) une hausse des taux de rendement interne des fonds ces dernières années (les données dont nous disposons étant exprimées par vintage de fonds, il n’est pas pertinent d’analyser les données à partir de 2013). Nous avons réalisé un graphique faisant ressortir un TRI annuel moyen (en pondérant les performances par la taille des fonds) : bien que les niveaux de la bulle dot.com ne soient pas atteints à l’heure actuelle (le TRI moyen s’établissant à plus de 70% pour les fonds de vintage 1995), nous observons un rehaussement des performances moyennes des fonds européens à partir de 2010 (TRI moyen de 14% contre -5% en 2000). Toutefois, la base de données Preqin ne recueille que peu de données sur l’Europe comparativement aux US, encore une fois du fait de l’opacité en Europe : seuls quatre fonds font partie du benchmark en 2010, contre 11 en 2012. Il est donc plus difficile d’arriver à une conclusion nette du point de vue des valorisations, même s’il est certain que les fonds réalisent aujourd’hui de bonnes performances en moyenne. Nous avons donc cherché à analyser un second indicateur. Après discussions avec des professionnels, ceux-ci nous ont confirmé que l’évolution de la taille moyenne des investissements était un bon proxy de l’évolution des valorisations. Cela est tout à fait justifié puisque nous avons : 𝑣𝑎𝑙𝑜𝑟𝑖𝑠𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 = 𝑖𝑛𝑣𝑒𝑠𝑡𝑖𝑠𝑠𝑒𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟𝑡𝑢𝑟𝑒 𝑑𝑢 𝑐𝑎𝑝𝑖𝑡𝑎𝑙 . Or, comme d’après ces professionnels le pourcentage de capital concédé a en moyenne peu évolué ces dernières années, si la taille moyenne des investissements a augmenté, cela signifie que la valorisation moyenne a également progressé. A ce titre, l’annexe 7, représentant l’évolution du nombre d’opérations de Venture Capital et des montants globaux investis depuis 2007, met en exergue une forte hausse de la taille moyenne des deals, qui a augmenté à un rythme annuel moyen de 8% depuis 2007, et qui a presque triplé depuis 2012, sachant que l’année 2015 n’est pas encore terminée. Ce phénomène d’accroissement des valorisations, et plus généralement de fort engouement pour les startups, existe donc aussi en Europe sur le marché privé.
  • 9. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 8 - Marine Antona et Ugo Madern Il conviendrait d’approfondir l’analyse en détaillant maintenant cette observation est la même pour chaque étape de financement. Nous avons de nouveau été dans l’incapacité d’obtenir des informations pertinentes et exploitables : les données extraites de Preqin, en vue d’approcher la problématique par les performances des fonds, ne sont que très pauvres. En revanche, les interviews menées auprès de professionnels du Venture Capital nous permettent de dire que le phénomène est comparable à celui des US11 . Autrement dit, l’augmentation s’observe sur tous les rounds, mais elle est plus récente pour les étapes de financement les plus précoces et plus ancienne pour les étapes de financement des startups plus matures. II. Valorisation des startups sur le marché coté Après avoir effectué notre analyse sur le marché privé, nous allons maintenant nous intéresser à la valorisation des startups cotées. Pour se faire, nous avons choisi d’utiliser des indices des valeurs technologiques qui sont, selon nous, les indicateurs les plus adaptés à notre démarche et pour lesquels nous avons accès à une grande quantité d’informations. Concernant le marché américain, le Nasdaq Composite s’est avéré être l’indice le plus pertinent à observer, d’une part du fait de son caractère technologique, d’autre part car cette plateforme de cotation est souvent privilégiée pour les introductions en bourse de startups. Nous observons ainsi une remontée du Nasdaq à un haut niveau, avec la barre des 5 00012 points franchie en mars dernier, plus haut atteint depuis l’année 2000 (voir annexe 8). Cela nous conduit donc à envisager l’existence d’une éventuelle survalorisation des startups technologiques américaines. En Europe, comme il n’existe pas de marché des valeurs technologiques, nous avons choisi le Stoxx Europe 600 Technology. Pour cet indice nous n’observons pas d’augmentation de la valeur, et nous sommes loin des niveaux de 1999/2000 (voir annexe 9). Cela nous conduit à infirmer l’hypothèse de survalorisation excessive pour les startups cotées européennes. Dans ces conditions, nous pouvons maintenant nous demander si l’on peut parler de survalorisation et d’irrationalité des investisseurs sur le marché boursier américain. Pour répondre à cette question, notre analyse s’effectuera en deux temps : elle portera d’abord sur les introductions en bourse, puis sur le marché actions en lui-même. a) Les IPO aux Etats-Unis Le marché des IPOs américain a été plus d’une fois le théâtre de valorisations très élevées ces dernières années, en témoigne l’introduction en bourse de Facebook, valorisée plus de 100 Mds$ à cette occasion (soit un PER de 100). Nous allons donc nous atteler à identifier si cet événement est le reflet d’une bulle généralisée sur les marchés cotés ou s’il s’agit, au même titre que Twitter et d’autres IPOs, d’une « aberration » non représentative de l’état actuel des marchés. 11 Interview de M. Mortchev, M. Charquet, M. Daudier de Cassini, M. Dupont, M. Carbonne, M. Baschiera et M. Mandin 12 Clôture à 5 008,1 points le 2 mars
  • 10. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 9 - Marine Antona et Ugo Madern D’après les données du Dow Jones Venture et de la SEC (Security Exchange Commission) le nombre de startups (« VC-backed companies ») ayant procédé à une introduction en bourse n’a cessé de progresser depuis la crise financière de 2008, passant de 7 introductions cette année-là à 102 en 2014. Nous sommes toutefois loin des niveaux de la fin des années 1990 avec 261 IPOs de startups en 1999. Si l’on s’intéresse en revanche uniquement aux entreprises technologiques, nous constatons que celles-ci ont été à l’origine de 69 IPOs en 2014, plus grand nombre depuis 2000.En ce qui concerne les montants levés, ceux-ci sont également en nette progression depuis la crise, pour atteindre 9,9 Mds$ en 2014 (croissance annuelle moyenne de 152% depuis 2009). Nous pouvons toutefois observer une tendance baissière : alors que le montant moyen levé par startup était de 133 M$ en 2009, il n’était plus que de 119 M$ en 2013 et 97 M$ en 2014. A titre de comparaison, ce montant était de 94 M$ en 2000 mais il représentait le pic d’un mouvement haussier (78 M$ de montant moyen d’introduction en 1999) et les montants et nombres d’entreprises concernées étaient deux fois supérieurs. Cette analyse permet de confirmer la hausse des IPOs de startups mais ne permet pas de conclure sur une survalorisation de ces IPOs. Nous allons donc maintenant regarder les performances du premier jour de cotation afin de vérifier si les investisseurs conservent une certaine rationalité malgré leur regain d’intérêt pour ces opérations. Au regard des tableaux en annexe 10 et 11, réalisés à partir du site du Nasdaq, de Yahoo Finance et de quelques articles du Wall Street Journal, nous observons clairement que l’appétit des investisseurs pour les entreprises technologiques est bien moindre qu’à la fin des années 1990. Alors que dans les années 1999/2000 les plus importantes performances des titres le jour de l’IPO sont en moyenne de 511%, celles-ci ne sont que de 133% pour la période 2014/2015. Les décisions d’investissements semblent donc être plus réfléchies et prendre en compte l’importance de la valorisation. D’ailleurs, cette caractéristique impacte largement les décisions d’introduction en bourse des startups. En effet, sachant que le marché est bien plus exigeant, les startups attendent bien plus longtemps avant de procéder à une IPO. C’est ce que fait ressortir le graphique en annexe 12, réalisé à partir des données du Dow Jones VentureSource et de la SEC : les startups mettent 6,9 ans à l’heure actuelle avant de s’introduire en bourse, contre 2,8 ans en 1998. Aussi, ce graphique met en lumière une plus forte solidité des startups au moment de leur IPO puisque les montant levés totaux avant IPO sont 7 à 8 fois plus élevés aujourd’hui que lors de la période pré-bulle dot.com (89,6 Mds$ en 2014 contre 13 Mds$ en 1997), et ce pour un nombre plus faible d’opérations comme nous l’avons vu. Leur taille n’est pas non plus comparable : si l’on étudie deux startups au moment de leur IPO en 1998 et en 2014, la première reportait 11,8 M$ de CA en moyenne contre 54 M$ en 201413 . Tous ces éléments justifient donc davantage les valorisations élevées pouvant être observées au niveau des IPOs. Nous pouvons conclure de ces différentes constations que le marché des IPO de startups aux Etats-Unis ne semble pas survalorisé. 13 T. Tunguz, Août 2015, Why Startups Are Growing Faster Today Than Ever Before, Tomtunguz.com
  • 11. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 10 - Marine Antona et Ugo Madern b) Les startups cotées aux USA Suite à notre observation de hausse du Nasdaq Composite aux US, nous avons analysé plus en profondeur le marché actions en lui-même. En mars 2015, le Nasdaq a atteint un plus haut niveau depuis 2000, ce qui a contribué à alimenter les débats autour du retour d’une bulle internet. Nous avons donc voulu comparer le contexte actuel de marché avec celui de la bulle dot.com, celle- ci ayant porté, pour rappel, sur le marché boursier. Nous avons d’abord regardé l’évolution de l’indice durant les cinq années précédant l’explosion de la bulle dot.com et pendant ces cinq dernières années. Nous pouvons d’ores et déjà noter, au regard des annexes 13 et 14, que cette évolution vers le seuil des 5 000 points s’est faite de manière plus progressive ces dernières années (+99% jusqu’à aujourd’hui, +138 si l’on se réfère au plus haut de juillet 2015) que lors de la bulle dot.com (+573% de progression durant les 5 années ayant précédé le pic de 2000). De plus, cette tendance actuelle de hausse des marchés est généralisée, en témoigne le graphique en annexe 15 représentant l’évolution historique du S&P composite. Ensuite, nous observons de nouveau que les valorisations sont bien plus justifiées par les fondamentaux des entreprises qu’en 2000. En effet, au regard des tableaux en annexe 16, nous remarquons que le PER moyen (hors extrêmes) des dix plus grosses capitalisations du Nasdaq passe de 81 à 18,75 entre 2000 et 2015. Enfin, lorsque l’on regarde les returns à long terme des entreprises ayant fait les IPOs les plus performantes entre 2014 et 2015 (annexe 17), nous constatons qu’elles ont connu une croissance moyenne de 17% de leur prix entre leur introduction et le 08/10/2015. Là encore, cela atteste que les investisseurs semblent rationnels dans leurs décisions d’investissement sur le marché coté. La conclusion émanant de ces analyses est donc que s’il y a eu une survalorisation des startups sur les marchés cotés, celle-ci n’est plus d’actualité. La survalorisation se situe à priori sur le marché privé. Cette première partie nous a permis d’affiner notre terrain d’analyse : la potentielle bulle de valorisation se situerait sur les marchés privés américain et européen. La prochaine étape va donc consister en la démonstration de l’existence ou non de cette bulle sur ces marchés.
  • 12. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 11 - Marine Antona et Ugo Madern Première partie : l’existence envisageable d’une bulle Dans cette partie nous allons tenter d’identifier les éléments qui nous permettraient d’affirmer que l’augmentation des valorisations observée en préambule s’explique par l’existence d’une bulle. Pour ce faire, nous allons analyser si les éléments communs aux différentes bulles financières se retrouvent dans le contexte actuel, puis nous détaillerons les éléments spécifiques au Venture Capital qui laissent présager une bulle. Enfin, nous tenterons de voir si le schéma classique d’une bulle s’applique à notre situation. I. Les facteurs communs aux précédentes bulles Afin de savoir si nous sommes dans un contexte de bulle, il convient dans un premier temps de comprendre quelles caractéristiques permettent de la reconnaitre. Nous allons nous appuyer sur les différentes travaux réalisés à ce sujet afin d’obtenir la liste la plus complète possible des points communs à toutes les bulles. Nous regarderons ensuite si ces facteurs s’appliquent à la situation actuelle. a) Le concept de réflexivité Tout d’abord, nous constatons une disparition de la théorie d’équilibre entre l’offre et la demande lors des diverses bulles. Geroges Soros a développé le concept de réflexivité pour mettre en lumière ce phénomène. Il résume ce concept de la manière suivante: “reflexivity is, in effect, a two- way feedback mechanism in which reality helps shape the participants’ thinking and the participant’s thinking helps shape reality in an unending process in which thinking and reality may come approach each other but can never become identical”14 . Cela signifie donc que les participants ont une observation biaisée de la réalité, les poussant à prendre des décisions baisées qui elles-mêmes changent la réalité, etc. Ainsi, lorsque les conditions sont satisfaites, il se met en place une sorte de «prophétie auto- réalisatrice » : “the participants’ views and actual state of affairs enter into a process of dynamic disequilibrium, which may be self-reinforcing at first, moving both thinking and reality in a certain direction, but is bound to become unsustainable in the long run and engender a move in the opposite direction”15 . Cependant, pour que cela se produise, il doit préexister une tendance dans la réalité. En conclusion, c’est cette réflexivité qui fait que parfois, contrairement à la théorie d’équilibre, la croissance des prix entraine une croissance de la demande et que la baisse des prix entraine une hausse de l’offre, pouvant aller jusqu’à générer des phénomènes de bulle. 14 George Soros, Discours proclamé au MIT Department of Economics World – Economy Laboratory Conference à Washington, 26 Avril 1994. 15 Idem
  • 13. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 12 - Marine Antona et Ugo Madern b) De l’argent peu cher et en grande quantité Les bulles apparaissent également dans un contexte où l’offre de crédit est considérable et les taux d’intérêt très bas. En effet, lorsque l’offre de crédit est très importante, certains agents adoptent un comportement différent de celui qu’ils auraient dans des conditions de crédit normales. Ce phénomène a deux conséquences. D’une part, les prêteurs font preuve de laxisme et fournissent des crédits à des agents qui ne devraient pas y avoir accès, de surcroit à des conditions ne tenant pas suffisamment compte du risque ; cela débouche sur une crise lorsque la situation se dégrade et que ces agents ne sont plus en mesure d’assumer leurs emprunts. D’autre part, les épargnants à la recherche de rendement sont obligés de se tourner vers des actifs plus risqués afin d’améliorer leur performance mais sans pour autant maîtriser suffisamment les risques de leurs investissements. Aussi, nous observons que l’accroissement de l’offre de crédit trouve son origine dans des innovations financières. En effet, dans la plupart des grandes crises, le crédit connait une forte croissance grâce à l’innovation des agents financiers qui créent de nouveaux produits. Il s’agit par exemple du forward lors de la tulipomanie au XVIIème siècle, ou de la titrisation lors de la dernière crise financière. Le problème est qu’en général, ces mêmes agents ne maitrisent pas tous les risques de ces produits et en ont une vision optimiste. Ainsi, lorsqu’un évènement vient perturber la situation, des risques non anticipés se matérialisent et une réaction en chaîne apparait. c) L’entrée d’investisseurs amateurs influencés par des leaders d’opinion Les bulles ont aussi pour caractéristiques l’arrivée d’investisseurs amateurs. Sous le terme « amateur » se placent tous les agents dont le métier n’est pas d’intervenir sur un certain marché. Ils n’en n’ont pas l’expérience, ni suffisamment de connaissances pour appréhender l’ensemble des problématiques sous-jacentes à cet investissement. Dans ce contexte, leur investissement manque de rationalité et se base sur des concepts éloignés de la finance traditionnelle. Cela est d’ailleurs souvent associé à la présence de leaders qui influencent le comportement de nombre d’investisseurs par leur discours et leurs actions. Ces leaders puisent généralement leur crédibilité dans leur performance passée et leur expérience du marché concerné, et sont alors suivis de près par les investisseurs « amateurs » cherchant à combler leur manque d’expérience. Ces deux éléments combinés font que si un évènement perturbe la situation et que quelques leaders « changent leur fusil d’épaule » alors une épidémie se produit et tout le monde réagit de façon moutonnière. d) Un phénomène particulier : « this time is different » Ce concept est particulièrement bien décrit par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff dans l’ouvrage « This time is different : eight centuries of financial folly ». Dans ce livre, ils constatent en étudiant, au cours des huit derniers siècles et dans 66 pays différents, différentes crises financières au sens large (défaut des états, panique bancaire, chute d’une monnaie, pic inflationniste, etc.) qu’à chaque fois les experts pensent que « this time is different ». Ce terme désigne le fait que dans ces périodes, les agents sont persuadés qu’une nouvelle ère commence et que les préceptes précédemment utilisés ne s’appliquent plus. Ils établissent une nouvelle façon de raisonner qui les pousse à prendre des décisions qu’ils n’auraient jamais prises en suivant leur raisonnement d’origine.
  • 14. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 13 - Marine Antona et Ugo Madern Or, les auteurs ont démontré que les experts avaient tort et que cette façon de penser menait irrémédiablement à une crise puisque finalement « this time was not that different ». II. Qu’en est-il aujourd’hui ? Maintenant que nous avons passé en revue les éléments communs aux différentes bulles financières rencontrées, nous allons tenter de voir s’ils se retrouvent dans le contexte actuel. a) Existence d’une réflexivité dynamique dans le VC aux Etats-Unis et en Europe ?  Aux Etats-Unis : Pour voir si nous sommes dans une situation de réflexivité dynamique, nous allons étudier la hausse des investissements, de manière à voir si ceux-ci diminuent avec l’augmentation des valorisations. Concernant les startups en création, nous voyons à l’annexe 18 que l’investissement diminue sur la période (passant de 450 M$ à 200M$ entre 2009 et 2015), dans une proportion équivalente à celle de l’augmentation des valorisations vues précédemment à l’annexe 2. Cela réfute donc l’hypothèse d’un phénomène de réflexivité. Concernant les entreprises en early-stage, nous voyons en revanche à l’annexe 19 que l’investissement augmente fortement sur la période (passant de 1 Md$ à 4 Mds$ entre 2009 et 2015) et ce dans une proportion équivalente à celle de l’augmentation de la valorisation observée à l’annexe 3. Nous pouvons faire la même observation pour les entreprises en expansion et phase finale (comparaison des annexes 20 et 21 aux annexes 4 et 5). Ainsi, pour les phases de développement early-stage, expansion et late stage, nous pouvons largement affirmer que le phénomène de réflexivité est avéré. En définitive, nous pouvons confirmer qu’hormis pour les entreprises en création, il existe une potentielle bulle aux Etats-Unis selon le critère de réflexivité dynamique.  En Europe : Comme précédemment, il nous est impossible d’étayer cette étude sur des données chiffrées d’une qualité équivalente à celles que nous avons trouvées pour les Etats-Unis. Cependant, nous avons observé dans l’annexe 7 que les investissements dans les startups augmentaient de 5 Md$ à 10 Md$ entre 2009 et 2015. Or les valorisations augmentant, nous pouvons conclure que la réflexivité dynamique est bien présente. En revanche, nous ne sommes pas en mesure d’affiner notre réponse pour les entreprises en création, même si selon nos discussions avec les professionnels il semblerait que la remarque faite pour les US soit la même en Europe : non-vérification de l’hypothèse de réflexivité dynamique pour les entreprises en création.
  • 15. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 14 - Marine Antona et Ugo Madern b) L’argent est-il peu cher et en grande quantité actuellement ? Nous avons vu qu’une bulle se formait dans une situation où l’offre de crédit était importante et les taux d’intérêt très bas. Nous allons donc tenter de voir si cela est le cas aujourd’hui en analysant le contexte actuel du marché monétaire. Nous savons qu’afin de répondre aux problèmes engendrés par la crise financière puis économique de 2007/2008, les banques centrales ont décidé de prendre des mesures afin d’assainir la situation, renforcer la liquidité sur les marchés et assurer le retour de la croissance (ce dernier point étant un objectif énoncé par la Réserve Fédérale (FED) des Etats-Unis uniquement). Cela s’est traduit par deux principales prérogatives : la baisse des taux directeurs et la mise en place de plan de quantitative easing (QE) par la FED et la Banque Centrale Européenne (BCE). Aux US, le taux directeur est progressivement descendu pour s’établir à 0,25% en décembre 2008 et dans la zone euro, le taux est progressivement descendu à 1% au début 200916 . Ces manœuvres ont évidemment pour but de baisser le taux de refinancement des banques qui peuvent alors proposer des conditions d’emprunt plus favorables à leurs clients (entreprises comme particuliers) dans le but de relancer l’investissement et la consommation. Mais ce n’est pas tout. Malgré cette initiative, les USA ayant du mal à faire face à la situation, ont décidé de mettre en œuvre des plans de QE. En effet, lorsque les actions engagées dans une politique monétaire classique ne fonctionnent pas, les Banques Centrales peuvent faire appel à d’autres leviers comme le QE. Le QE, qui se traduit principalement par le rachat d’actifs auprès d’institutions financières, a un double objectif. Il s’agit d’une part de contrer la baisse drastique des prix de ces actifs (comme c’était le cas en 2007/2008 pour les produits issus de la titrisation des crédits américains), mais surtout d’injecter de la liquidité dans les institutions financières qui pourront alors plus facilement accorder de nouveaux crédits. Ainsi, les USA ont mis en place entre 2008 et 2014 trois plans de QE. Le premier a permis d’injecter entre novembre 2008 et juin 2009 1 700 Mds$, le deuxième programme a quant à lui permis d’injecter 1 000 Mds$ de novembre 2010 à juin 2011. Enfin, le troisième plan ayant duré de août 2012 à octobre 2014, a impliqué un rachat de 925 Mds$ d’actifs. Au total, la politique monétaire américaine a permis d’injecter plus de 2 625 Mds$17 . Aujourd’hui, les programmes de QE aux Etats-Unis sont terminés mais Janet Yellen, présidente de la FED, a annoncé que les taux d’intérêt ne remonteraient pas avant un temps « considérable ». En Europe, en revanche, la mise en place d’un tel plan a été plus tardive du fait des différents entre les pays européen concernant la politique monétaire à mettre en place, mais aussi car, contrairement à la FED, la BCE n’a pas pour mission de relancer l’économie. Ce n’est donc qu’à partir de 2012 que le taux directeur est passé sous la barre des 1% pour atteindre progressivement 0,05% en septembre 201418 . Une fois le taux proche de 0, et voyant l’insuffisance de cette politique, les européens ont alors décidé de lancer leur premier plan de QE en mars 2015. Celui-ci devrait durer jusqu’en septembre 2016 et le montant prévu s’élève à 1 100 Mds€. Enfin au RU, il y a eu deux plans de QE qui ont permis d’injecter 375 Mds£19 depuis mars 2009. 16 Cf. annexe 22 17 Février 2014, Les politiques monétaires dites « quantitative easing », Académie de limoges – BTS banque 18 Cf. annexe 22 19 Février 2014, Les politiques monétaires dites « quantitative easing », Académie de limoges – BTS banque
  • 16. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 15 - Marine Antona et Ugo Madern En conclusion, au regard de ces différents plans et des taux d’intérêt historiquement bas, nous pouvons largement affirmer être dans une situation où l’argent est peu cher et en grande quantité. Cependant, il convient de noter que contrairement à l’importance de la place du crédit dans les précédentes bulles observées, ici son impact est différent. En théorie, l’investissement dans les startups se fait uniquement à partir de fonds propres et n’est donc pas impacté par la croissance de l’offre de crédit (comme ce fut par exemple le cas sur le marché de l’immobilier américain avant 2007). Néanmoins, cette situation monétaire n’est pas sans impact puisque nombre d’investisseurs à la recherche de rendement se déplacent vers des actifs plus risqués (tels que les actions de startups). Nous sommes donc bien dans une situation où une bulle est envisageable. c) Observe-t-on une arrivée récente d’investisseurs amateurs dans le Venture Capital ? Il y a quelques années encore, seuls les fonds de Venture Capital et quelques Business Angels prenaient des parts dans les capitaux propres des startups. Aujourd’hui la situation est bien différente. Certes, les fonds de VC restent majoritaires mais de nouveaux investisseurs interviennent sur ce marché et leur manque d’expérience ne leur permet pas forcément de réaliser des investissements dans les conditions que les professionnels jugeraient adaptées. Trois grandes catégories de nouveaux investisseurs peuvent être mises en avant :  Des particuliers attirés par les golden story C’est grâce à l’émergence des plateformes de crowdfunding en equity (telles qu’Anaxago en France, Seedrs au UK ou Early Shares aux US) que les particuliers ont obtenu une nouvelle source de placement. Cependant, étant donnée la complexité de l’investissement en VC, il apparait clairement que les choix d’investissement ne sont pas forcément pertinents. Cela débouche parfois sur l’investissement dans des sociétés qui n’auraient pas trouvé de financement sans leur présence. Dans cette situation, nous observons bien des sociétés dont les fondamentaux sont jugés insuffisants par les professionnels mais qui obtiennent des financements sur la base d’une valorisation non en lien avec leurs fondamentaux. Par ailleurs, le fonctionnement lui-même de ces plateformes de crowdfunding entraine un biais dans l’évaluation de ces startups. En effet, la valorisation est négociée entre l’entrepreneur et la plateforme de crowdfunding, qui ne dispose pas des mêmes intérêts qu’un investisseur (puisque celle- ci ne participe pas à l’opération en général). Même si ces plateformes visent à se rapprocher d’une base de valorisation la plus juste possible afin d’assurer leur pérennité, elles font parfois preuve de laxisme pour s’assurer la réalisation d’une opération. Ceci est en effet permis par l’inexpérience de son réseau d’investisseurs.
  • 17. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 16 - Marine Antona et Ugo Madern  L’arrivée des hedge funds, mutual funds, sovereign fund et pension funds : volonté de prendre une part du gâteau et d’obtenir de meilleurs rendements L’arrivée de nouveaux investisseurs ne se limite pas à des particuliers mais s’étend aussi à des professionnels de l’investissement, dont la présence était jusqu’alors très restreinte dans le Venture Capital. Il semblerait que cette tendance soit en train de s’inverser et de plus en plus de fonds de ce type prennent des participations dans les startups. C’est en effet ce que nous montrent les annexes 23 et 24 qui décrivent les investissements de cinq des mutuals funds et cinq des hedges funds les plus actifs dans le VC : nous observons que leurs investissements dans le VC ont drastiquement augmenté. De même, de plus en plus de pension funds se lancent dans cette catégorie. A titre d’exemple, Ontario Municipal Employee Retirement System a lancé en 2012 OMERS Venture avec une taille de 180 M$20 et Indiana’s Public Retirement System a alloué 363 M$ au venture capital en 201321 . Ce phénomène est d’ailleurs comparable aux années 1990 où les investisseurs demandaient toujours plus de valeurs technologiques dans les fonds afin d’augmenter la performance de leurs investissements. Cette situation existe également en Europe. En effet, au regard de l’annexe 25, nous observons que les fonds de pensions reviennent en force sur ce marché depuis 2012 après une période de décroissance (les investissements augmentant de 200 M€ en 2012 à 450 M€ en 2014). Les « government agencies » ont quant à elles connu une forte croissance depuis 2007 (augmentant leurs investissements de 600 M€ à 1,2 Mds$ entre 2007 et 2014) et représentent aujourd’hui une part substantielle du financement des startups (30% en 2014). En revanche, les fonds souverains ne représentent pas grand-chose en Europe. Au total, nous voyons bien une croissance massive des investissements de ces investisseurs institutionnels n’ayant pas à l’origine vocation à investir une part importante dans le Venture Capital.  Des corporates prêts à tout pour surpasser la concurrence : C’est à partir des années 1990 que l’on a commencé à observer un développement accru du Corporate Venture Capital (CVC), avec des entreprises comme AOL et GlaxoSmithKline. Mais ce mouvement a été fortement ralenti suite à la bulle dot.com. Cependant, d’après l’annexe 26, nous pouvons voir que depuis quelques années les corporates reviennent en force, réalisant 18% des deals de VC en 2014 (vs. 13% en 2009) pour un montant représentant 11% du montant total investi en VC (vs. 7% en 2009). De manière générale, cette intervention des corporates dans le Venture s’explique par un besoin de ne pas prendre de retard technologique. En effet, la plupart de ces corporates sont présents dans des marchés marqués par des changements technologiques rapides et où les barrières à l’entrée sont assez faibles. Ces investissements dans des startups leur permettent donc, moyennant des 20 A. Jacobius, Mai 2014, Institutional investors like venture capital again, Pensions & Investments 21 A. Schrager, Septembre 2014, Behind the Venture Capital Boom : Public Pensions, Bloomberg
  • 18. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 17 - Marine Antona et Ugo Madern engagements modestes et flexibles, d’assurer leur pérennité. J-S Lantz et al.22 ont d’ailleurs identifié cinq éléments expliquant l’intérêt des corporates pour le CVC : - L’intérêt technologique : suivre les innovations de près sans engager de frais de R&D supplémentaires avant une éventuelle acquisition ; - Améliorer le portefeuille de brevets de l’entreprise par des licences d’utilisation sans les faire apparaitre dans les comptes puisque nombre de brevets ne sont pas exploités dans les entreprises ; - Permettre un suivi du marché en utilisant leur expérience : les corporates récupèrent des informations sur les comportements des consommateurs vis-à-vis d’un produit/service, ce qui pourra aider les entreprises à développer leurs futures offres ; - Un laboratoire pour les expériences : les startups peuvent également servir à tester les pratiques managériales (vis-à-vis des consommateurs ou fournisseurs comme vis-à-vis des employés) ; - L’intérêt financier : comme tout investisseur, les corporates espèrent obtenir un gain financier soit par la cession de la startup, soit par la distribution de dividendes. Les investissements en startups deviennent donc cruciaux pour ces corporates et la concurrence pousse à faire monter les prix. C’est en particulier ce que l’on a pu observer pour Instagram où, Facebook n’a pas hésité à racheter la startup sur la base d’une valorisation de 1 Md$ afin d’empêcher Google d’améliorer son réseau social Google+. En conclusion, nous pouvons aisément affirmer que nous sommes dans une période où de nombreux investisseurs, autres que les professionnels du Venture Capital, se sont orientés vers ce marché, apportant une quantité importante d’argent nouveau à investir. Mais surtout, ils sont insuffisamment expérimentés dans ce métier pour définir une valorisation adaptée au risque. d) This time is different Un des éléments majeurs qui ressort dans toutes les bulles est, comme nous l’avons vu, une confiance exacerbée des investisseurs dans le fait qu’une nouvelle ère démarre et que les raisonnements passés ne s’appliquent plus. C’est ce qui se produit depuis quelques années dans le monde des technologies. En effet, les nouvelles technologies permettent aujourd’hui de créer de nouveaux marchés mais surtout de transformer de très nombreuses industries traditionnelles pesant pour plusieurs milliards voire centaines de milliards de dollars. Les investisseurs pensent donc qu’une large part du gâteau devrait être récupérée par les startups dans lesquelles ils investissent. Quelques technologies peuvent à ce titre être citées : les technologies mobiles, le cloud, le big data, le crowdsourcing, etc. C’est ainsi que l’industrie traditionnelle du taxi s’est vue profondément redessinée avec l’arrivée d’Uber qui est une combinaison entre la technologie mobile et le crowdsourcing. Ainsi, selon les investisseurs, une startup ne doit pas être considérée dans le cadre de sa valorisation comme une société créée dans un secteur d’activité existant. Elle doit au contraire être valorisée sur la base de sa capacité à être transformante pour une économie. Nous pouvons donc bien affirmer que pour les investisseurs : « this time is different ». 22 J.-S. Lantz, J.-M. Sahut, F. Teulon, What is the Real Role of Corporate Venture Capital ?, Ipag Business School Working Paper Series
  • 19. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 18 - Marine Antona et Ugo Madern En conclusion de cette sous-partie, nous avons vu qu’hormis pour les entreprises en création, le phénomène de réflexivité était avéré, que l’argent était peu cher et en grande quantité, que de nombreux investisseurs amateurs étaient récemment arrivés dans le Venture Capital et enfin que les investisseurs avaient tendance à se dire « this time is different ». Ainsi, nous pouvons aisément affirmer que l’ensemble des caractéristiques sont réunies pour la formation d’une bulle. III. Des facteurs spécifiques au Venture Capital laissant penser à une forte survalorisation des startups Après avoir étudié les éléments communs aux précédentes bulles, il convient maintenant d’analyser les facteurs spécifiques au VC qui vont dans le sens d’une bulle. a) Un retour à l’utilisation de variables non conventionnelles et à une comptabilité créative Un premier élément pouvant laisser penser à une bulle est que, comme au cours de la bulle dot.com, certaines variables inconnues jusqu’alors deviennent centrales dans la valorisation des startups. Ces variables sont considérées plus adaptées à la compréhension du potentiel d’une entreprise et représentent donc un meilleur baromètre. Dans les années 2000, il s’agissait du nombre de visiteurs ou du nombre de clics. Aujourd’hui, les entreprises dans la publicité numérique parlent d’ « argent géré », Uber parle de « booking » pour l’ensemble des transactions réalisées sur la plateforme – c’est ce que nous appellerions en France le volume d’affaires, qui n’est en rien comparable au chiffre d’affaires. De même, les places de marché mettent fortement en avant le « Gross Merchandise Value », qui est un indicateur biaisé puisqu’il ne prend pas en compte les coûts marketings, les promotions, ni les retours de produits, etc. Mais surtout, les venture capitalists accordent plus d’importance à la traction et à l’acquisition de clients qu’au revenu. Certes, cela est en partie nécessaire pour valoriser des entreprises sans revenus, mais ils oublient trop souvent que la génération de résultat est à terme la priorité. Les états financiers avancés par les entreprises s’avèrent par ailleurs surévalués. En effet, une étude du Wall Street Journal23 sur les entreprises ayant procédé aux 50 plus grosses IPO depuis 2013 met en avant ce phénomène. Sur les 50, six ont dû reporter des chiffres plus faibles qu’annoncés du fait de l’utilisation de règles comptables plus conservatrices, telles qu’exigées sur le marché coté. Lise Buyer, conseillère de nombreuses sociétés dans la Silicon Valley et ancienne banquière ayant travaillé pour Google lors de son IPO, affirme que les dirigeants de startups ont beaucoup d’opportunités pour « générer des metrics magiques selon leur besoin, qu’elles soient pertinentes ou 23 T. Demos, S. Ovide, S. Pulliam, Juin 2015, Tech Startups Woo Investors With Unconventional Financial Metrics – but Do Numbers Add Up?, The Wall Street Journal
  • 20. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 19 - Marine Antona et Ugo Madern non »24 . A titre d’exemple, durant le premier trimestre 2015, la société Facebook a enregistré en normes GAAP un revenu inférieur à la moitié de ce qu’elle affichait selon ses mesures internes25 . b) Le phénomène de « Fear of Missing Out » à l’origine d’une irrationalité des investisseurs Le Fear of Missing Out (FOMO) se définit en finance comme la peur pour un agent de rater une opportunité d’enrichissement. Ce phénomène a récemment connu une forte accélération dans le VC, avec l’enrichissement de nombre d’investisseurs grâce à leurs investissements dans ce que l’on appelle aujourd’hui les « licornes ». Ces licornes sont des startups de moins de dix ans dont la valorisation dépasse le milliard de dollars. En investissant dans ces entreprises lorsqu’elles étaient encore en création ou connaissaient leur premier tour de financement, certains investisseurs ont réussi à multiplier par cent, voire par mille leur investissement. Un exemple parmi tant d’autre est celui de Peter Thiel, co-fondateur de Paypal, qui a investi en tant que business angel 500 000$ dans Facebook en 2004. Sa participation est aujourd’hui évaluée à environ 2,5 Mds$ soit un multiple d’investissement de 5 000x26 . Ce phénomène de FOMO s’est fortement développé ces dernières années, en particulier suite à l’intervention des médias affichant en une de leurs articles les nombreuses success stories de startups connaissant une croissance époustouflante. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons poussant les investisseurs amateurs à intervenir dans le VC : amasser une part du gâteau. De même, ce phénomène de FOMO s’est développé chez les corporates. Moins dans l’optique de réaliser une plus-value, les corporates ont eux la volonté d’assurer leur pérennité et donc de ne surtout pas rater la technologie de demain qui pourrait entraîner un péréclitement de leur activité, comme nous l’avons vu précédemment. Ainsi, cette peur de rater le prochain Facebook ou le prochain Uber pousse de nombreux investisseurs à délaisser leurs analyses traditionnelles et à prendre des décisions irrationnelles. c) Des investissements par opération comparables à la bulle dot.com Un autre élément pouvant nous laisser penser à une bulle correspond à la taille des opérations de financement lorsque nous la comparons à celle de la bulle dot.com. Au regard de l’annexe 27, nous remarquons que la taille des deals est effectivement comparable à ce que l’on observait en 2000 : - le montant investi dans les startups en création en 2014 s’élève à environ 5 M$, comme en 2000 ; - le montant investi dans les startups en early-stage en 2014 s’élève à environ 7,5 M$, soit presque autant qu’en 2000 (8,5 M$) ; - le montant investi dans les startups en expansion en 2014 s’élève à environ 17 M$, soit plus qu’en 2000 (15,5 M$) ; 24 T. Demos, S. Ovide, S. Pulliam, Juin 2015, Tech Startups Woo Investors With Unconventional Financial Metrics – but Do Numbers Add Up?, The Wall Street Journal 25 idem 26 6 Whealthy Venture Capitalists, Investopedia
  • 21. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 20 - Marine Antona et Ugo Madern - le montant investi dans les startups en phase finale en 2014 s’élève à environ 14,5 M$, contre 22 M$ en 2000. Autrement dit, l’argent récolté par startup à chaque tour de table est équivalent à celui de 2000. Nous voyons même un niveau plus élevé pour les entreprises en expansion. Il y a donc une euphorie comparable à celle de la bulle dot.com, avec une demande de la part des investisseurs suffisamment importante pour observer des tours de table de grande ampleur. d) Des investisseurs allant même à investir en dette dans les startups Dans la théorie traditionnelle de la finance, l’investissement en startup se fait uniquement en fonds propres, du fait du fort degré de risque de l’entreprise (caractère très incertain du futur), qui confère in fine un potentiel de gain très élevé pouvant permettre de compenser les pertes réalisées sur d’autres startups. Cependant, depuis la fin des années 1980 aux US et 1990 en Europe, nous avons vu apparaitre ce que l’on appelle le venture debt. A l’origine, ces dettes correspondaient à du crédit-bail pour aider les jeunes entreprises à acquérir des outils technologiques coûteux, avec une option d’achat à la fin ; ce que l’on appelle le venture leasing. Puis s’est développé par la suite le venture loan, qui est une dette assez classique, comprenant des accès au capital de la société (généralement des bons de souscription d’actions ou des obligations convertibles), avec un droit sur l’ensemble des actifs de la société. Cette pratique contraire à la théorie a été grandement mise à mal par la crise dot.com et s’est fortement réduite. De nombreux fonds de venture debt aux US ont d’ailleurs fermé à l’occasion. Pour autant, ces fonds ont rouvert assez rapidement (environ 4 ans après : Horizon, Kreos, Noble, Lighthouse Capital, etc.) et ont récemment repris de l’importance. C’est en effet ce que l’on observe dans l’annexe 28 puisque nous voyons que le montant mondial consacré au venture debt a drastiquement augmenté depuis 2008. Le montant passe de 2 Mds$ à 7 Mds$ aujourd’hui. Cette constatation est la même si l’on observe le montant moyen investi par deal : de 11,8 M$ en 2008, il atteint en 2015YTD 40,5 M$27 . Cela signifie que le montant total pour 2015 sera encore plus élevé. Ce nouvel engouement pour le venture debt pose donc une question. D’une part, même si nous n’avons pas pu obtenir les données pour les années 1999/2000 et ainsi réaliser une comparaison, nous voyons un regain d’intérêt pour ce type d’investissement ces dernières années. Et de manière plus générale, ce phénomène en contradiction totale avec la théorie financière est un signe d’un appétit très important des investisseurs pour les startups et donc à minima d’une bulle dans l’investissement, alimentant l’idée d’une bulle dans les valorisations. e) Des licornes de plus en plus nombreuses, de plus en plus jeunes et fortement survalorisées Comme nous l’avons exprimé en introduction, notre questionnement autour de l’existence d’une potentielle bulle est apparu suite à l’observation de valorisations très élevées. Nous faisons particulièrement référence aux licornes, dont le nombre n’a cessé de croître ces dernières années. Rien qu’au premier semestre 2015, 24 nouvelles licornes ont vu le jour dans le monde28 . Les US 27 Source : annexe 29 28 Octobre 2014, Valuation Multiples for Billion-Dollar Startups, CB Insights
  • 22. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 21 - Marine Antona et Ugo Madern recensent 84 licornes à ce jour, représentant 327 Mds$ soit une valorisation moyenne de 3,9 Mds$ par startup. En Europe, on compte à ce jour 40 licornes représentant une valorisation moyenne de 3,0 Mds$. 13 startups européennes ont gagné le statut de licorne cette dernière année, pour une valorisation moyenne de 2,1Mds$. Lorsque l’on observe cette cartographie des licornes, aux US comme eu Europe (annexe 30), force est de constater que les entreprises cotées sont très minoritaires (21% uniquement aux US). Cette première remarque est en ligne avec notre conclusion d’absence de bulle sur les marchés, les startups choisissant de repousser leur introduction en bourse afin de bénéficier d’un round supplémentaire de financement auprès d’investisseurs privés. Ainsi, si nous écartons les startups cotées de notre panel, le nombre total de licornes à l’heure actuelle s’élève à 124 pour une valorisation globale de 468 Mds$, contre 4 startups seulement en 2009 représentant 13 Mds$29 . Au-delà de cette augmentation du nombre de licornes, nous pouvons également noter une réduction du temps mis pour atteindre la valorisation de 1 Md$. En effet, si l’on observe un échantillon des entreprises américaines (annexe 31) ayant dépassé le milliard de valorisation entre 2005 et 2011, et que l’on prend comme variable l’âge qu’elles avaient au moment d’atteindre cette valeur, nous nous apercevons en effectuant une régression logarithmique que cette variable suit une courbe décroissante avec le temps. Ainsi, alors qu’une entreprise mettait en moyenne 7,5 ans en 2005 pour dépasser les 1 Mds$, il lui faut aujourd’hui environ 2,5 ans. Même si ce calcul reste très simpliste, du fait qu’il ne prend pas en compte dans cette période les entreprises n’ayant pas encore atteint cette valorisation, il donne une première approche approximative de cet effet d’ « accélération » de la valorisation des firmes. De plus, si nous affinons l’analyse en séparant les entreprises BtoC des entreprises BtoB, nous remarquons que les premières mettent en moyenne moins de temps à atteindre le pallier des 1 Mds (environ 2 ans contre 3,5 ans respectivement). Cela est d’autant plus marqué pour les entreprises de réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Instagram, Twitter, Snapchat, Pinterest…). Par ailleurs, nous nous sommes interrogés sur la cohérence de ces valorisations élevées, à savoir leur corrélation aux performances intrinsèques des entreprises. Nous pouvons citer des exemples d’ « aberrations » comme Instagram, valorisée 1 Md$ par Facebook lors de son acquisition, la société ne générant pas encore de chiffre d’affaires et n’employant que 13 personnes, ou encore Whatsapp, acquis par Facebook pour un montant de 22 Mds$, l’application ne générant que 10 M$ de CA. Nous avons donc étudié les multiples de chiffre d’affaires observés sur les licornes, en nous appuyant pour cela sur les récentes opérations de financement des principales licornes privées américaines. Nous avons recensé dans le graphique en annexe 32 les ratios valorisation / chiffre d’affaires obtenus pour ces sociétés de 2011 à 2014, quand l’information est disponible. Ce graphique met en exergue une certaine disparité des multiples, avec certains outsiders comme Snapchat et Uber, et fait ressortir une moyenne de valorisation de 19,7x le chiffre d’affaires sur la période. Aussi, si l’on affine l’analyse en regardant année par année, nous remarquons que la valorisation moyenne augmente chaque année : de 9,0x en 2011, elle progresse à 14,0x en 2012 et 2013 puis 24,0x en 2014. En 2015, les deux exemples dont nous disposons font ressortir des 29 M. Bird, Septembre 2015, The number of ‘unicorn’ startups worth over $1 billion has grown by 3000% since 2009, Business Insider UK
  • 23. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 22 - Marine Antona et Ugo Madern multiples très élevés : 320x et 45x. Cette analyse semble donc elle aussi aller dans le sens d’une bulle de valorisation des startups. Toutefois, elle n’est pas complète si elle ne prend pas en compte de point de comparaison. Nous avons donc observé les multiples de CA au 30 juin 2015 de l’intégralité des licornes cotées sur les marchés américains, soit 19 sociétés (annexe 33). Il en ressort un multiple moyen de 7,9x le CA, ce qui corrobore notre hypothèse de survalorisation des startups sur le marché privée. Ainsi, l’étude de ces startups particulière pour lequel nous obtenons facilement de l’information nous permet là encore d’envisager l’existence d’une bulle. IV. Suivi du schéma classique de la bulle Les recherches réalisées jusqu’à maintenant nous mènent à penser qu’une bulle existe, mais pour parfaire cette réflexion nous allons maintenant voir si le schéma classique d’une bulle s’applique à notre situation en effectuant un parallèle avec les différentes étapes de sa formation. Nous avons en annexe 34 les différentes étapes précédant l’explosion d’une bulle. Afin de faire coïncider l’analyse avec la situation actuelle, il convient de faire démarrer ce graphique au début des années 2000 (fin de la bulle dot.com). La première étape est la gestation : au début des années 2000, les fonds de capital-risque se « remettent » de la bulle dot.com mais continuent d’investir avec les business angels dans les startups. L’étape suivante est celle de la naissance : nous l’avons vu plus haut, depuis quelques années les investisseur institutionnels ont pénétré ce marché et ont accru leur position. Intervient ensuite l‘étape de l’euphorie, marquée par l’arrivée des investisseurs grand public et qui se traduit par 4 sous-étapes successives : - En premier lieu, l’appropriation du sujet par les médias, qui en l’espèce ne cessent d’alimenter la presse sur cette potentielle bulle depuis la fin de la décennie. A titre d’exemple, un film sur la success story de Facebook est réalisé et de nombreux articles répertorient les golden stories des investisseurs dans les startups à succès et les valorisations record atteintes par certaines startups (renommées licornes par la presse). - La seconde sous-étape réside dans l’enthousiasme général gravitant autour des startups. Dans notre cas, la crise financière a entraîné une désaffection du public de la bourse et de la Grande Entreprise. Celui-ci se recentre sur des actions plus locales et cherche à donner un sens plus ESG30 à son investissement. Le VC est alors l’une des meilleures options puisqu’il permet de participer à l’amélioration du monde de demain. - La troisième composante de l’euphorie intervenant ensuite est celle de la cupidité, où, au regard de la démultiplication des success stories, avec une hausse continue des prix et rendements, de plus en plus d’investisseurs cherchent à prendre une part du gâteau et s’inscrivent dans une démarche d’investissement dans le VC. Tout le monde veut 30 Critères environnementaux, sociaux et de gouvernance afférents à un investissement
  • 24. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 23 - Marine Antona et Ugo Madern profiter de l’eldorado et fait une course à l’achat en se détachant totalement de la logique économique. - Enfin, la dernière étape, qui intervient peu de temps avant l’éclatement, consiste en l’illusion. C’est le moment où le sens commun réalise qu’il n’y a plus aucune logique économique, les prix des actifs observés sont totalement décorrélés de la valeur intrinsèque. Aujourd’hui l’illusion n’est pas prouvée et de nombreuses questions se posent à ce sujet. En conclusion, il semblerait que le schéma classique de la bulle soit suivi jusqu’à maintenant. Il ne reste plus qu’à prouver l’illusion pour pouvoir estimer sans trop d’erreurs que nous sommes dans une situation de bulle. V. Une survalorisation d’abord sur les entreprises en late stage qui s’est transmise aux rounds inférieurs par la suite Pour terminer cette première partie, il nous a paru intéressant non plus d’essayer d’analyser l’existence d’une bulle, mais plutôt de voir comment les survalorisations des startups se sont développées sur le marché de l’investissement privé, en mettant en exergue le risque intrinsèque à la formation de cette survalorisation. Notre observation est qu’il s’est réalisé un mouvement de transmission de ce phénomène de survalorisation : ayant d’abord touché les entreprises en late stage, il s’est ensuite progressivement reporté vers les tours les plus jeunes. Les graphiques en annexe 2, 3, 4 et 5 montrent en effet que l’explosion des valorisations est arrivée plus tardivement pour les séries A et B, comme nous l’avons vu en préambule. Ce sont d’abord les entreprises les plus matures qui ont bénéficié de l’augmentation de leur valorisation et ce du fait des raisons explicitées précédemment : - Arrivée de nouveaux investisseurs (public, mutual et hedge fund, corporates, etc.) ; - Fearing of Missing Out. Cependant, ce phénomène s’est mécaniquement transféré au tour de table en amont. En effet, en sachant qu’ils pourraient revendre leur participation à un prix élevé lors des tours de table suivants, les investisseurs ont accepté de réaliser leur investissement dans les premiers tours de table à un prix élevé. Nous pouvons d’ailleurs, d’une certaine manière, comparer cette observation au mécanisme d’une chaîne de Ponzi. La chaine de Ponzi consiste à rémunérer les investissements d’une personne par l’argent procuré par de nouveaux clients. Cela marche si la rémunération est attractive et que de plus en plus de personnes sont prêtes à investir. Cependant, il arrive inéluctablement un moment où l’argent frais collecté n’est plus suffisant pour rémunérer les anciens clients et alors la chaîne éclate. Ce qui se passe sur le marché de l’investissement dans les startups est comparable à ce système dans le sens où l’arrivée de nouveaux investisseurs pousse les valorisations à la hausse, permettant aux investisseurs historiques d’afficher des performances très élevées. Ces performances attirent elles-mêmes de nouvelles personnes qui alimentent alors le marché de l’investissement en VC et qui continuent à pousser les valorisations à la hausse. Certes, ici les
  • 25. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 24 - Marine Antona et Ugo Madern investisseurs ont un sous-jacent réel, mais il risque d’arriver un moment où la chaîne va éclater. Le jour où les agents se rendront compte de la trop forte déconnexion entre le sous-jacent et la valorisation, de nombreux investisseur quitteront alors ce marché qui reviendra à un niveau considéré comme normal. En conclusion de cette première partie nous pouvons affirmer qu’au regard des différents éléments, tout nous laisse à croire que l’augmentation des valorisations dans le marché privé s’apparente à une bulle. En effet, les éléments communs aux précédentes bulles sont satisfaits, des éléments spécifiques au Venture Capital sont comparables à la bulle dot.com et/ou mettent en exergue un appétit très fort des investisseurs pour les startups et il semble exister une forte déconnexion entre la valorisation et les fondamentaux des entreprises. Enfin, le schéma classique de la bulle est pour l’instant suivi. Dans ces conditions, une chute des valorisations, accompagnée d’une forte baisse du montant des investissements, peut être attendue. Néanmoins, nous pouvons ici détailler l’analyse en concluant qu’il semblerait que le phénomène de bulle soit surtout présent pour les startups les plus matures et nettement moins pour les startups en création (ne bénéficiant pas de l’investissement des corporates et autres investisseurs institutionnels).
  • 26. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 25 - Marine Antona et Ugo Madern Deuxième partie : des valorisations pour partie justifiées L’objectif de cette seconde partie est de voir si la hausse observée en préambule ne serait pas en fait justifiée par une amélioration des fondamentaux des startups, avec un accroissement de leur valeur, et/ou une amélioration de facteurs externes à ces entreprises impactant directement leur financement en capitaux propres. I. Des éléments internes aux startups démontrant une valeur intrinsèque plus importante Nous allons tenter dans cette sous-partie de voir si les startups ont connu des modifications laissant penser à un accroissement de leur valeur. a) Un chiffre d’affaires plus élevé plus rapidement Un premier élément marquant est que les startups ont aujourd’hui tendance à avoir un chiffre d’affaires plus élevé plus rapidement, ce qui est incontestablement à considérer comme une amélioration des fondamentaux. Empiriquement, si l’on regarde l’évolution du chiffre d’affaires des startups dans le temps, force est de constater que celui-ci croit plus vite aujourd’hui. En comparant avec la bulle dot.com de 2000, nous observons en effet que les startups US soutenues par des fonds VC et en cours d’introduction sur un marché voyaient leur CA augmenter de 63% par an en moyenne en 1998, ce chiffre étant de 85% en 201431 . Cela s’explique en grande partie par le fait que la globalisation ne cesse de s’accélérer et la technologie permet aujourd’hui aux startups de distribuer à bas coûts leurs produits ou services quasiment dans le monde entier, et ce presque instantanément. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Steve Blank32 en notant qu’une startup peut maintenant presque dès son premier jour être une « micro- multinationale »33 . Ceci s’explique en particulier par deux phénomènes : - Le développement d’internet qui permet aujourd’hui d’accéder à des consommateurs dans le monde entier sans nécessiter la mise en place de lourdes structures dans chaque pays. Ainsi, alors que l’internet touchait 40 M de personnes dans le monde il y a 20 ans, il concerne aujourd’hui plus de 3 Mds de personnes. Et d’après une étude du fonds d’investissement Andreessen Horowitz, le marché atteindra les 4 Mds d’internautes en 2020. Le nombre de clients, potentiels ou non, augmente donc par effet d’échelle avec 31 T. Tunguz, Août 2015, Why Startups Are Growing Faster Today Than Ever Before, Tomtunguz.com 32 Serial entrepreneur et académicien de renom 33 Compass, The Global Startup Ecosystem Raking 2015
  • 27. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 26 - Marine Antona et Ugo Madern l’utilisation d’internet, en témoigne la progression du e-commerce dans le monde de 23% en 2014 : le marché s’établit à 1,9 Mds$ en 2014 et devrait atteindre 2,3 Mds$ en 2015. Si l’on prend l’exemple de la France, nous observons une hausse de 14% au premier semestre 2015, soit un marché des ventes en ligne de 15,2 Mds€34 représentant 3% du PIB français. Au niveau mondial, internet représentait déjà 3,4%35 du PIB en 2011, et les dépenses de consommation liées à internet dépassaient celles de l’agriculture et de l’énergie. - Le développement du nombre d’early adopters. Nous n’avons malheureusement trouvé aucune statistique concernant ce dernier point, cependant lorsque l’on regarde l’engouement du public pour les sites de crowdfunding en don avec contrepartie, on comprend que de plus en plus de personnes souhaitent être les premières à détenir le nouvel objet à la mode. En effet, ces sites offrent en général la possibilité aux personnes soutenant un projet d’être les premières à recevoir le produit/service de ce projet. Cet environnement plus favorable permet donc aux startups de se développer plus vite en accédant à un marché plus large plus rapidement. Ce développement plus rapide est sans conteste une amélioration des startups qui justifie une valorisation plus élevée. b) Des startups plus efficientes Un fait généralement observé par les professionnels que nous avons interrogés réside dans la capacité pour une startup à générer de plus en plus de valeur dans le temps pour un même montant investi. Nous avons donc décidé d’analyser cet indicateur qui témoigne encore selon nous de l’accroissement de valeur des startups. Nous nous sommes appuyés pour cela sur une analyse menée par le fonds américain Redpoint, sur les startups ayant procédé à une IPO entre 1998 (pré- bulle des années 2000) et 2014. Cette étude s’est concentrée par simplification sur les startups du SaaS au sens large en prenant en compte l’inflation sur la période. Ainsi, le chiffre d’affaires moyen généré par startup lors de son IPO par dollar investi est passé de 0,8x en 1998 à 2,0x en 2014. Ce phénomène est d’autant plus généralisé que le nombre d’entreprises dans l’échantillon a augmenté à travers la période d’analyse. Cette étude conclut en expliquant cette hausse par une amélioration du business model de ces entreprises dans le temps, avec une meilleure maîtrise des coûts de construction et de déploiement des infrastructures du cloud permettant de se concentrer sur les efforts marketing. Cet élément est d’ailleurs lui aussi constaté dans The Global Startup Ecosystem Report 2015 qui affirme que le coût de développement produit a été divisé par 10 au cours de la dernière décennie. Ainsi, il est normal que les startups obtiennent une valorisation plus élevée car cela équivaut pour l’investisseur à une dilution moindre pour un résultat équivalent. Ceci est fondamental et est à considérer comme une modification majeure pour les startups, qui justifie largement une valorisation plus élevée pour ces entreprises. 34 Ecommerce Foundation 35 McKinsey Global Institute, Mai 2011, Internet Matters : The Net’s sweeping impact on growth, jobs, and prosperity
  • 28. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 27 - Marine Antona et Ugo Madern c) Une base clients à prendre en compte A l’instar d’Instagram, des entreprises ne réalisant aucun chiffre d’affaires se voient valorisées à des montants très importants, mais ces valorisations ne sont pas nécessairement dénuées de sens. En effet, en dehors de leur valeur technologique ou de la rentabilité de leur business model, la valorisation de certaines startups peut être justifiée par leur base clients. L’acquisition de clients est un point crucial pour les entreprises et celle-ci peut avoir un coût très important. Il suffit par exemple de constater les budgets publicitaires de certaines entreprises pour comprendre ce phénomène. Ainsi, lorsque des entreprises comme Instagram, Pinterest, Tumblr sont valorisées à plusieurs centaines de millions de dollars, il ne faut pas oublier qu’elles fournissent à leur repreneur des millions d’utilisateurs. A ce titre, les entreprises dont la valeur augmente le plus vite semblent d’ailleurs être celles qui touchent le plus de consommateurs. Par exemple, parmi les 13 nouvelles licornes européennes de l’année passée, 77% sont orientées consommateurs36 . La majorité des licornes américaines sont de même des startups BtoC. En conclusion de cette première sous-partie, il apparait clairement que la valeur intrinsèque des startups s’est améliorée, justifiant pour partie la hausse des valorisations. II. Des éléments externes qui justifient des valorisations plus élevées Tentons maintenant de voir si des facteurs externes aux startups pourraient expliquer une augmentation de leur valorisation lors de leur financement en capitaux propres. a) Des investissements par opération comparables à la bulle 2000 mais bien plus réfléchis Nous avons remarqué dans la première partie que la taille des opérations était revenue à un niveau similaire à la période de la bulle dot.com, cependant il convient de nuancer cet argument. En effet, au regard de l’évolution des montants investis au global (annexe 35), nous observons qu’ils sont bien moindres qu’au cours de la bulle de 2000. Cela signifie donc qu’aujourd’hui les investisseurs opèrent une sélection bien plus importante des entreprises dans lesquelles ils investissent. Ils semblent s’attacher aujourd’hui à investir uniquement dans les sociétés dont le futur est moins incertain et ayant donc un risque plus faible. Or, la valorisation est totalement dépendante du risque et donc si le risque est amoindri, l’augmentation de valorisation est justifiée. D’autre part, le plus faible montant des investissements par rapport aux années 2000 (de moitié environ) nous permet de constater que nous sommes bien loin de l’euphorie des années 1999/2000. 36 GP. Bullhound, European Unicorns: Do They Have Legs?
  • 29. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 28 - Marine Antona et Ugo Madern b) Des pactes d’actionnaires en faveur d’une valorisation plus élevée Les pactes d’actionnaires signés par les investisseurs de startups visent à définir les relations entre les actionnaires et la société et entre les actionnaires eux-mêmes. Ils contiennent de nombreuses clauses et ont un général une importance capitale dans le VC, parfois plus que les conditions financières de l’investissement. Ils peuvent donc très largement influencer la valorisation acceptée par les investisseurs ou les actionnaires historiques selon les avantages qui leur sont concédés. En particulier, la clause de liquidité préférentielle peut jouer un rôle très important et a d’ailleurs impacté les valorisations ces dernières années. En effet, il existait traditionnellement une clause de liquidité préférentielle de « simple-dip » qui permettaient à un ou plusieurs investisseurs bénéficiant de cette clause de protéger son/leur investissement. En pratique, cette clause permet en cas de survenance d’un évènement de liquidité (faillite, cession, introduction en bourse, etc.) de récupérer sa mise avant même que les autres investisseurs puissent toucher de l’argent. Cependant, nous observons que cette clause a évolué depuis quelques années aux Etats- Unis et plus récemment en Europe. En effet, de plus en plus de pactes d’actionnaires contiennent des clauses de « double-dip », « triple-dip », voire « quadruple-dip ». Ces clauses permettent ainsi à l’investisseur en bénéficiant de récupérer respectivement deux, trois ou quatre fois sa mise de départ avant que les autres actionnaires ne puissent obtenir une « part du gâteau ». De cette façon, l’investissement devient en partie moins risqué et permet d’accepter des valorisations bien plus élevées. C’est ainsi que lors du dernier tour d’Uber, valorisant la société à 51 Md$ et lui permettant de lever plus d’un milliard de dollars, une clause de cette nature a été intégrée. Une telle valorisation pour une société jeune de 5 ans et dont la position n’est pas encore pleinement assurée ne pouvait être acceptée qu’avec la mise en place d’un « triple-dip » en faveur des investisseurs de ce tour37 . Nous voyons donc bien, qu’en plus de l’évolution de certains fondamentaux, la façon de structurer l’opération favorise l’augmentation des valorisations. c) Un écosystème à l’origine d’une facilitation pour le développement des startups Les startups sont de nos jours des entreprises en vogue et au cœur des préoccupations de beaucoup d’acteurs qui interviennent pour améliorer leur environnement, et ainsi leur fournir un écosystème adapté. Cet écosystème s’est développé dans les années 1990 dans la Silicon Valley et connait une existence plus récente en Europe. Tout d’abord, il est important de remarquer que les anciennes startups qui sont aujourd’hui devenues des mastodontes, jouent un rôle très important puisqu’elles alimentent l’investissement et facilitent l’innovation des jeunes startups. Ces grandes entreprises sont présentes depuis plusieurs années aux US : Microsoft, Apple et plus récemment, Google Amazon, Facebook, etc. Elles sont plus récentes en Europe et en France : Skype, Spotify, Zalando, Rocket Internet, Vente Privée, Criteo, BlaBlaCar, etc. Toutes ces entreprises cherchent à favoriser l’innovation en aidant les jeunes startupeurs à se lancer ou à se développer. Cela passe soit par la participation de leurs dirigeants aux boards de jeunes startups (Max 37 Information récupérée lors de l’entretien avec M. Mandin.
  • 30. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 29 - Marine Antona et Ugo Madern Levchin, co-fondateur de PayPal est membre du comité de direction d’Evernote), soit par la mise en place de partenariats pour leur permettre d’accéder à des ressources que seule une grande entreprise peut posséder (par exemple Google à travers son Firespotter Labs), ou encore par un apport de financement (investissement en capitaux propres). Cela permet en particulier aux startups d’accéder à des bases de clients larges et établies et à de larges réseaux de partenaires et conseils de qualité, mais aussi d’obtenir de la crédibilité grâce à la notoriété du corporate. Aussi, les professionnels spécialisés dans les startups sont de plus en plus nombreux, le nombre de personnes ayant bénéficié d’une expérience en startup étant mécaniquement de plus en plus important. Or, le succès d’une startup repose très fortement sur la qualité de l’équipe en charge de son lancement et de son développement. En effet, être collaborateur dans une startup demande de nombreuses compétences bien différentes des industries traditionnelles (créativité, adaptabilité, etc.). Alors que dans les entreprises traditionnelles les collaborateurs travaillent sur la base d’objectifs détaillés et écrits et sur des processus établis, les collaborateurs des startups doivent repenser leurs actions tous les jours et se demander comment réussir à faire quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant. Ainsi, avec tous ces collaborateurs plus adaptés aux startups, les chances de succès sont bien plus importantes. En outre, le mécanisme de travail en freelance, qui se développe fortement, représente une source de travailleurs importante pour les startups, de surcroît très adapté à leur besoin de flexibilité. Il est ainsi estimé aujourd’hui qu’aux Etats-Unis, il y a 53 millions de personnes en freelance, soit 34% de la population active, et que ce nombre devrait augmenter à 50% d’ici à 202038 . En Europe, le nombre de travailleurs indépendants a été estimé à près de 32,5 millions soit 15% de la population active et ce chiffre devrait continuer de croître39 . Par ailleurs, il y a de plus en plus de sociétés d’accompagnement. Même si pour une startup trouver du financement est le nerf de la guerre, savoir le dépenser à bon escient est encore plus important. Or, le porteur d’une idée n’a parfois pas les capacités à la produire, la développer, la faire connaitre, la rentabiliser, et sans accompagnement la réussite du projet parait presque impossible. Néanmoins, de plus en plus d’incubateurs et d’accélérateurs se développent, ce qui permet de contrer ce manque et d’accroître les chances de réussite. En particulier, l’annexe 36 montre qu’en Europe, le nombre d’incubateurs et d’accélérateurs a drastiquement augmenté depuis 2007 (passant d’une cinquantaine en 2007 à environ 250 en 2013). Ce phénomène est d’ailleurs mondial, en témoigne l’annexe 37 montrant que le nombre d’incubateurs a plus que doublé entre 2006 et 2013 (de 4000 à 9000). Enfin, les Etats favorisent de plus en plus le développement des startups. Ils ont en effet compris que ces startups leur permettraient de s’assurer une place dans les économies de demain. C’est pourquoi ils mettent en œuvre de nombreux projets et mesures visant à aider leur développement. Cela passe notamment par la création de hubs d’innovation comprenant toutes les infrastructures nécessaires, comme le font les Etats-Unis avec la Silicon Valley ou encore Londres et Tel Aviv avec East London Tech City et Startup City Tel Aviv. Cela passe également par des 38 J. Wald, Novembre 2014, 5 Predictions for the Freelance Economy in 2015, Forbes 39 Commission Européenne - Bilan de l’Observatoire européen de l’emploi, Le travail indépendant en Europe 2010
  • 31. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 30 - Marine Antona et Ugo Madern mesures visant à favoriser l’investissement dans les startups, à l’image des diverses incitations fiscales qu’il existe à ce sujet. C’est le cas en France avec le PEA-PME. Une autre prérogative des Etats consiste à injecter de l’argent public directement dans les startups pour aider leur développement. En France, la BPI et les fonds régionaux ont d’ailleurs un impact de poids dans l’investissement dans les startups. Dans le reste de l’Europe et les Etats-Unis, nous avons vu que les fonds souverains prenaient de plus en plus d’importance. Enfin, les aides étatiques se traduisent aussi par des actions diverses comme les simplifications administratives mises en œuvre pour les startups, la création d’instruments de financement adaptés au startups en early stage, la création d’instruments financiers de rémunération des salariés très favorables fiscalement (notamment les BSPCE40 en France), l’aide à l’implantation d’incubateurs, etc. Pour terminer cette partie, nous pouvons aussi introduire l’importance de l’évolution des méthodes de Management. En effet, jusqu’à la fin du XXème siècle, les méthodes de management enseignées s’appuyaient sur les fondements de la théorie moderne du management dont l’origine remonte aux théories de H. Ford et F. Taylor. Cependant, les premiers startupeurs de la fin du XXème siècle se sont rendus compte que ces pratiques n’étaient pas adaptées à l’entrepreneuriat, et qu’une nouvelle méthode de management devait être développée. En particulier, certains startupeurs de la bulle dot.com, qui ont « essuyé les plâtres », ont travaillé au développement d’un nouveau modèle pour permettre aux futurs startupeurs de ne plus réaliser les mêmes erreurs et d’être bien plus efficients dans leur méthode managériale. C’est le cas d’Eric Ries, qui le premier mentionne le terme de Lean Startup dans son blog Startup Lessons Learned en septembre 2008, et en juin 2009, la première conférence appelée Lean Startup Circle a vu le jour sous l’impulsion de R. Collins. Depuis, de nombreux professionnels et académiciens ont travaillé sur le sujet et enrichi cette nouvelle matière. E. Ries a, à ce titre, publié en 2011 le livre : The Lean Startup : How Today’s Entrepreneurs Use Continuous Innovation to Create Radically Succesful Business. La combinaison de tous ces facteurs permet incontestablement aux startups de se développer plus rapidement et plus efficacement et d’améliorer leur chance de survie. Cette diminution du risque et cette meilleure efficacité justifient aisément une augmentation des valorisations de ces startups. d) Un environnement économique favorable et qui devrait le rester Le dernier argument allant à l’encontre de l’existence d’une bulle réside dans le contexte économique actuel, en nette amélioration depuis la crise, jouant ainsi un rôle moteur dans le développement des startups. Nous avons dressé une liste succincte et non exhaustive des critères macroéconomiques permettant de justifier du dynamisme d’investissement dans les startups. - Taux de chômage des pays occidentaux : Le taux de chômage aux Etats-Unis est en forte baisse depuis le mois d’octobre 2009 : alors qu’il atteignait 10% à cette date, il a continuellement décru pour atteindre 5,3% en juillet 201541 . 40 Bons de Souscription de Parts de Créateur d’Entreprise 41 Les Echos Data, Etats-Unis – Taux de chômage
  • 32. Mémoire Master 225 – Y a-t-il une bulle dans la valorisation des startups ? Année 2014-2015 - 31 - Marine Antona et Ugo Madern Dans l’Union Européenne, la situation est moins bonne mais on note une diminution du chômage depuis la fin de l’année 2013, le taux passant de 10,7% à 9,6% en mai 201542 . - Produit Intérieur Brut : Le taux de croissance du PIB américain semble repartir à la hausse. Alors que ce taux était stable (voire en baisse) entre 2010 et 2013, en s’établissant à 2,2% en 2013, il a augmenté en 2014 à 2,4%. Le FMI prévoit de plus des taux de 2,5% pour 2015 et 3% pour 201643 . Dans l’Union Européenne, la situation est à peu près similaire. Le taux de PIB a connu une tendance baissière jusqu’en 2012 (avec des niveaux négatifs), avant de remonter à 0,2% en 2013 puis 1,4% en 2014. Les prévisions pour 2015 et 2016 s’établissent respectivement à 1,8% et 2,1%44 . - Indice de confiance des consommateurs : L’indice de confiance des ménages est en forte hausse depuis la fin de l’année 2011 aux Etats-Unis (passant de 96,79 en septembre 2011 à 100,23 en septembre 2015) et depuis la fin de l’année 2012 en Europe (de 97,74 en novembre 2012 à 100,79 en septembre 2015)45 . L’amélioration de ces statistiques n’est pas sans conséquences pour les investisseurs puisqu’elle est le signe d’un meilleur pouvoir d’achat et d’une consommation plus soutenue. Ce contexte est particulièrement favorable à l’investissement et la situation des économies occidentales s’améliorant, les perspectives d’avenir des startups sont meilleures et justifient donc une hausse des valorisations. La qualité de cet environnement économique est en outre indéniable au regard de la croissance générale de la valeur des actifs : - Si l’on observe l’évolution du S&P 500 depuis 2008 (annexe 38), nous remarquons que cet indice a quasiment triplé depuis 2008 ; - Pour le MSCI Euro (annexe 39), la croissance est moins nette mais nous notons tout de même une croissance marquée à partir de 2012 ; - Enfin, en ce qui concerne l’immobilier (annexe 40), nous constatons là aussi un accroissement des prix généralisé dans le monde, certes bien moins important que celui des actions, mais qui démontre tout de même un trend de croissance. En conclusion de cette deuxième partie, il nous parait clair que la situation n’est pas si simple. En effet, nous venons de voir que l’augmentation des valorisations trouvait une justification dans l’amélioration des fondamentaux des startups mais aussi dans l’amélioration de leur environnement, avec de nombreuses initiatives visant à favorisant le développement de l’ « écosystème startups ». Cependant, nous pensons que la forte hausse des valorisations observée en préambule n’est pas entièrement justifiée par ces éléments et qu’une partie de l’augmentation s’explique bien par des phénomènes de survalorisation. 42 Statistiques Mondiales, Taux de chomage dans l’Union Européenne 43 La Banque Mondiale, Croissance du PIB et Juin 2015, Croissance : le FMI pessimiste pour les USA, Le Figaro 44 Eurostat, Taux de croissance du PIB réel et Prévision économique de l’UE, Commissions Européenne – Affaires Economiques et Financière 45 OCDE Données – Indicateurs avancés, Confiance des consommateurs