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Université Paris 8
Institut d’Études Européenne
Master 1 Études Européennes et internationales
Parcours : Politiques et gestion de la culture en Europe
Les enjeux du label du patrimoine
mondial de l’humanité
Soutenu par Mélisande Cornec
sous la direction de Mme Clara Levy
2019-2020
1
Remerciements
Nous souhaitons remercier notre directrice de mémoire, Mme Clara Lévy pour le suivi de notre
mémoire et le temps qu’elle nous a consacré.
Nous souhaiterions aussi exprimer notre reconnaissance à l’équipe s’occupant de la cathédrale de
Chartres pour son très bon accueil et particulièrement à M. Gilles Fresson avec qui l’entretien a été
extrêmement intéressant.
Enfin, nous souhaiterions remercier nos parents et nos amies, Valentine et Anthéa, pour leur soutien
dans l’écriture de ce mémoire en période de confinement.
Crédits des photos sous licence CC-BY-SA 3.0, Bruno Cornec ou Mélisande Cornec, sauf Figure 6.
2
Table des matières
Introduction..........................................................................................................................................4
I/ Enjeux du processus de labellisation................................................................................................8
A. Notion de patrimoine..................................................................................................................8
L’Unesco : sa création et ses missions........................................................................................8
Création du label et son évolution.............................................................................................10
Histoire du patrimoine en France..............................................................................................12
Patrimoine : au delà de l’esthétique, l’enjeu de mémoire.........................................................14
B. Critères de labellisation.............................................................................................................15
Processus d’inscription à la Liste du patrimoine mondial........................................................16
Valeur universelle exceptionnelle.............................................................................................17
Critères de sélection..................................................................................................................18
Hiérarchisation au sein du label ?.............................................................................................20
C. Aspects internationaux..............................................................................................................24
Enjeu de représentativité du label entre universalité et diversité culturelle..............................25
Répartition entre les nations......................................................................................................26
Politisation de l’Unesco............................................................................................................29
Soft power de l’Unesco : arme de diplomatie ?.........................................................................31
II/ Impacts du label sur les sites culturels...........................................................................................33
A. Enjeux de la conservation du patrimoine..................................................................................33
Protection et gestion des sites...................................................................................................33
Usage des sites..........................................................................................................................36
Peur du déclassement................................................................................................................38
B. Notoriété des sites labellisés.....................................................................................................40
Le label : un gage de qualité.....................................................................................................40
Le label : un choix (déjà) fait pour nous...................................................................................42
Médiation des sites et diffusion aux touristes...........................................................................45
C. Aspects touristiques et économiques.........................................................................................47
Le label : une marque pour l’économie et le tourisme..............................................................47
Financements du patrimoine mondial.......................................................................................48
Changement de priorité du label : de protection à développement économique......................50
Conclusion..........................................................................................................................................54
Annexes :............................................................................................................................................56
Annexe 1 : Critères culturels de labellisation...........................................................................57
Annexe 2 : Somme des critères pour les sites culturels mondiaux...........................................58
Annexe 3 : Sites culturels labellisés en France et leurs critères................................................60
Annexe 4 : Nombre de sites culturels français ayant le critère (i) en fonction des années.......62
Annexe 5 : Données du pourcentage d’États parties en fonction de celui du nombre de sites
labellisés....................................................................................................................................63
Annexe 6 : Retranscription de l’entretien avec Gilles Fresson.................................................64
Sources...............................................................................................................................................76
Bibliographie......................................................................................................................................80
3
Introduction
Qu’est-ce qui rapproche Le Mont St Michel, le Machu Picchu, l’Opéra de Sydney, les pyramides de
Gizeh, Le Grand Canyon, Le Havre, l’acropole d’Athènes, Auschwitz Birkenau, la forteresse de
Hwaseong, mais encore l’art mongol du chant Khoomei, les repas gastronomiques des français ou la
pêche aux crevettes à cheval à Oostduinkerke… ?
Tous ces biens pourraient être vus comme n’ayant rien en commun, ce sont des sites, lieux,
monuments, traditions, pratiques, appartenant à des pays différents à travers le monde et d’époques
extrêmement variées tant passées que contemporaines. Pourtant au-delà de leurs disparités, tous ces
biens posséderaient une “valeur universelle exceptionnelle”. C’est dans cet objectif que l’Unesco,
une institution spécialisée de l’ONU, les a réunis au sein de la Liste du patrimoine mondial de
l’humanité1
, qui rassemble des sites dont la disparition serait une perte pour l’ensemble de
l’humanité car « certains biens du patrimoine culturel et naturel présentent un intérêt exceptionnel
qui nécessite leur préservation en tant qu’élément du patrimoine mondial de l’humanité toute
entière »2
.
Si, l’Unesco n’utilise pas directement le terme de labellisation, la classification d’un bien au sein de
cette Liste du patrimoine mondial correspond à ce phénomène. Nous utiliserons donc les termes de
label et de labellisation car ce sont eux que nous avons le plus retrouvés dans les recherches traitant
du patrimoine mondial. Dans son sens générique, un label est défini, selon Le Robert, comme “une
marque sur un produit pour en garantir l’origine ou la qualité”. Dans ce cadre-ci, la labellisation
d’un bien à la Liste du patrimoine mondial correspond à la reconnaissance de cette valeur
universelle exceptionnelle.
L’étude de cette Liste et du label qui lui est associé est devenue au fur et à mesure du temps un
élément essentiel de ce mémoire, jusqu’à en devenir l’essence même. La raison de notre intérêt
envers cette Liste provient d’une grande attache aux lieux labellisés par l’Unesco, qui s’est
accentuée au gré de notre expérience touristique en France comme en Europe. Une confiance dans
la qualité du label est ainsi née de l’appréciation des aspects esthétiques et apports mémoriels des
biens patrimoniaux de cette Liste. Ayant conscience qu’à titre personnel, ce label représentait
l’excellence, nous avons souhaité l’analyser pour voir ce qu’il en était réellement.
À l’origine, le point de départ de notre réflexion se portait sur la culture européenne, et l’action que
l’Unesco, ainsi que le programme Erasmus, pouvaient avoir dans sa construction. Revenant d’une
année d’étude à l’étranger, le sujet de la formation de la culture européenne nous était apparu
comme très intéressant. Cependant, lors des cours de méthodologie du mémoire, on nous a souligné
que ce sujet était bien trop large et qu’il fallait le restreindre à l’étude d’un des deux cas. Nous
avons donc choisi de nous concentrer sur l’Unesco et la notion de classification au patrimoine
1 UNESCO, Centre du patrimoine mondial, Liste du patrimoine mondial
2 Unesco, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Paris, 1972
4
mondial qui semblait être un sujet plus réalisable par rapport à l’accessibilité du terrain et à
l’importante documentation qui existait déjà sur ce sujet. Nous avons tout d’abord voulu faire une
analyse à l’échelle européenne, mais devant les contraintes de temps du master, nous nous sommes
recentrés sur l’analyse des sites culturels en France. La première orientation des recherches s’est
tournée vers l’impact du label par rapport aux objectifs globaux de l’Unesco de bâtir la paix dans
l’esprit des hommes et des femmes. Nous rendant compte que cet impact était très difficilement
mesurable et analysable, nous avons changé notre angle d’approche. La nouvelle question de départ
devenait donc quels étaient les enjeux d’une labellisation au patrimoine mondial de l’Unesco des
sites culturels français, à travers l’étude de certains cas.
Comme nous l’avons présenté, le label du patrimoine mondial représente un champ d’étude très
large par le nombre de sites labellisés et leur pluralité. Il n’apparaît donc pas réalisable de tous les
étudier. Si chaque site rencontre des problématiques qui lui sont propres, il se dégage néanmoins
des remises en cause et des questionnements récurrents. Notre champ d’étude s’est ainsi porté plus
particulièrement sur le Centre du patrimoine mondial qui est l’organe en charge de la Liste du
patrimoine mondial. Au sein des 45 sites labellisés en France, nous nous sommes concentrés sur les
sites culturels, laissant de côté les sites naturels et mixtes. Parmi les 41 sites culturels français, nous
avions sélectionné la cathédrale de Chartres, le château de Fontainebleau, la cité de Carcassonne et
la ville de Lyon, ainsi que la basilique St-Denis en tant que site inscrit sur la Liste indicative de la
France. Cette sélection s’est faite par rapport à une volonté d’essayer de diversifier le corpus. Nous
avons choisi des sites patrimoniaux proches de la région parisienne pour des questions de praticité
mais nous ne voulions pas choisir de lieux trop connus aux abords de Paris (comme le château de
Versailles ou les bords de Seine), pour pouvoir avoir une meilleure facilité de contact et analyser
des sites hors de cet engouement touristique parisien. Par ailleurs, souhaitant représenter une
diversité d’attributions dans le patrimoine, nous avions sélectionné à la fois des sites religieux, dont
le culte est toujours la fonction principale, et des lieux profanes, aujourd’hui dédiés aux visites
touristiques. L’étude de la ville de Lyon aurait montré un exemple de la labellisation d’un ensemble
et non d’un monument unique. Et enfin, la cité de Carcassonne était une illustration intéressante
d’un patrimoine très touristique et dont les questions d’authenticité et de protection lors des travaux
de Viollet-le-Duc font encore débat. De plus, ce sont des sites que nous avions déjà visités et qui, à
titre personnel, nous avaient plu, tant dans leurs aspects artistiques, que par le témoignage
historique qu’ils apportent. C’est donc aussi avec un regard de touriste et de consommateur de lieux
labellisés que cette première sélection a été réfléchie.
La définition du terrain et le choix de méthodologie étant étroitement liés aux difficultés
rencontrées, nous traiterons donc ces points ensemble. Ce mémoire comportant une grande partie
conceptuelle et documentaire, les lectures, ouvrages scientifiques, littératures grises et rapports
constituent une part conséquente de nos recherches. Nous avons complété celles-ci avec des
observations non-participantes de la cathédrale de Chartres, de la basilique St-Denis ainsi que des
visites de sites labellisés effectués auparavant. Cela est enrichi de quatre entretiens semi-directifs
que nous avons réalisés et d'un échange téléphonique.
5
L’une des difficultés majeures de ce mémoire a été la définition précise d’un sujet et d’un terrain,
car le label du patrimoine mondial de l’Unesco englobe énormément d’enjeux et est étroitement
relié à de nombreux sujets. Il nous a donc fallu une période de temps assez conséquente pour
percevoir ces divers enjeux et déterminer les questions que nous souhaiterions poser lors
d’entretiens. S’ajoutant à ce délai, la prise de contact avec les personnes ressources des sites a été
compliquée. Nous avons sous-estimé la difficulté à trouver les personnes qui seraient à même de
nous répondre ainsi que le temps nécessaire pour entrer en contact avec celles-ci. Par exemple, lors
du contact avec le Centre du patrimoine mondial, les mails sont restés sans réponse et les personnes
dont nous avons réussi à avoir les numéros de téléphone ne nous ont jamais répondu. En réalisant la
difficulté d’avoir des entretiens, nous avons, au fur et à mesure, décidé de nous recentrer
uniquement sur la cathédrale de Chartres et le château de Fontainebleau, avec qui des échanges
avaient commencé à se former. Cependant, suite au confinement, nous avons dû réduire le terrain à
la cathédrale de Chartres, ne pouvant nous rendre au château de Fontainebleau comme nous
l’aurions souhaité.
Cette appellation de valeur universelle exceptionnelle est extrêmement large et pose le problème de
l’attribution d’une telle qualité. Comment déterminer quel site mérite ce qualificatif ? Il faut à la
fois déterminer ce qui est exceptionnel, par rapport à quoi cela peut l’être, mais aussi déterminer
quand cela peut avoir un impact de façon universelle. Si le Centre du patrimoine mondial a un parti
pris assez inclusif à ce propos, il a néanmoins déterminé des critères pour la labellisation qui
méritent une analyse car, à leur tour, ils laissent place à un grand degré d’interprétation.
De plus, cette notion de patrimoine mondial est assez complexe à définir, ce qui se ressent dans la
variété de sites représentés dans cette Liste. « Le patrimoine est perçu comme un bien reçu et à
transmettre, dont la propriété n’est pas exclusive d’une personne ou d’une famille, mais intéresse
tout le groupe social. Il matérialise en quelque sorte un passé à sauvegarder pour le présent et à
l’avenir »3
. Donc le patrimoine mondial serait un héritage à transmettre de génération en génération,
cette richesse étant commune à tous les habitants de la planète. Il serait considéré comme un bien
public global, dès lors que ses bénéfices et ses coûts s’étendent à tous les pays, toutes les
populations et toutes les générations4
. Il ne serait alors plus question de privé ou de public, de
familial ou de national, mais d’un patrimoine qui appartiendrait à tout un chacun. Ce statut de bien
commun de l’humanité, par l’appartenance de ce patrimoine à tous, soulève par conséquent des
questions de responsabilité. En tant que bien commun, un site ne serait plus seulement de la
responsabilité d’un État dont il serait dans le territoire géographique, mais de celle de tous, ainsi que
le serait la protection des océans ou de l’écosystème. L’Unesco a donc dû prendre en compte ces
questions d’interventions extérieures des États les uns envers les autres et chercher un équilibre
entre la protection des sites labellisés et l’ingérence dans le contrôle des territoires des États.
En effet, l’amélioration de la protection des sites est l’un des objectifs de la labellisation, mais ceci
est confronté au développement du tourisme qui a un impact directement sur les alentours du lieu et
par conséquent sur sa gestion. Ainsi, l’ambition du label oscille entre conservation et protection des
3 Audrerie, Dominique, Questions sur le patrimoine, éditions confluences, 2003
4 Benhamou, Françoise. « VI. Le patrimoine, bien public global », Françoise Benhamou éd., Économie du
patrimoine culturel. La Découverte, 2019, pp. 97-110.
6
sites, tout en servant de mise en valeur du patrimoine et de sa renommée, devenant alors un acteur
économique et touristique. Notre étude se concentrera donc sur les enjeux et impacts du label du
patrimoine mondial de l’humanité. Pour cela, nous nous intéresserons tout d’abord aux enjeux du
processus de labellisation puis dans un second temps nous traiterons des impacts du label sur les
sites culturels.
7
I/ Enjeux du processus de labellisation
Telles les sept merveilles du monde, l’Unesco a rassemblé au cours de ces quarante dernières
années des biens de tout horizon pour former une Liste très hétéroclite représentant l’excellence
patrimoniale à travers le monde. Il s’agira tout d’abord de revenir sur l’histoire de cette institution et
sur la création du label. Dans un second temps, nous aborderons le choix des critères d’attribution
du label. Enfin nous évoquerons les aspects internationaux.
A. Notion de patrimoine
L’Unesco : sa création et ses missions
L’Unesco, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, est l’une des
quinze institutions spécialisées des Nations Unies (ONU). Sa création se veut être dans la poursuite
de la SDN, la Société des Nations, qui possédait déjà une institution de collaboration pour l’élite
artistique et scientifique: l’Institut international de coopération intellectuelle5
. Ainsi, en 1945, lors
de la signature de la Charte des Nations Unies, l’article 57 bâtit les prémices d’une agence
spécialisée dans le domaine de l’éducation et de la culture. Elle vit le jour le 4 novembre 1946 avec
la ratification de l’Acte constitutif de l’Unesco par vingt pays6
.
La création de l’Unesco répond à une conviction forte des États qui est que les accords
économiques et politiques ne peuvent suffire à construire une paix durable. Celle-ci doit s’établir
sur les fondements de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité. Ainsi, selon son acte
constitutif, l’Unesco doit « contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par
l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel
de la justice, de la loi, des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour tous, sans
distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations unies reconnaît à
tous les peuples »7
. L’Unesco est animé par la formule de Paul Valéry, selon laquelle « les guerres
prenant naissance dans l'esprit des hommes, [c’est] dans l'esprit des hommes que doivent être
élevées les défenses de la paix »8
. Au cours de ses premières années d’existence, l’Unesco a
contribué à la reconstruction d’écoles, de bibliothèques et de musées détruits pendant la Seconde
Guerre mondiale et a servi de forum intellectuel international pour l’échange d’idées et de
connaissances scientifiques9
.
Les missions de l’Unesco pour la promotion de la paix sont donc très variées s’exprimant dans les
domaines de l’éducation, des sciences, de la culture, la communication et l’information10
. Dans ce
travail nous allons nous concentrer sur les actions dans le domaine de la culture. Pour cela il faut
tout d’abord revenir sur la définition qu’a l’Unesco de celle-ci. Comme le souligne Isabelle Brianso
5 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. », Encyclopædia Universalis
6 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, Ed. UNESCO, 2017
7 Acte constitutif, « Convention créant une Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture »
8 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. » op. cit.
9 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit.
10 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit.
8
la considération de l’Unesco envers la culture renvoie à une vue d’ensemble de la culture en tant
que société qui place l’homme au cœur de cette construction par de multiples approches croisées11
.
Cette vision suit une conception anthropologique inclusive de la culture où celle-ci se rapproche de
la notion de civilisation. C’est ainsi que, dans son ouvrage Primitive Culture, Edward Tylor la
définit comme cette « totalité complexe qui comprend les connaissances, les croyances, les arts, les
lois, la morale, la coutume, et toute autre capacité ou habitude acquise par l’homme en tant que
membre de la société »12
. C’est lors de la Conférence mondiale sur les politiques culturelles à
Mexico que l’Unesco délivre sa propre définition en disant que : « La culture, dans son sens le plus
large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et
affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres,
les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et
les croyances. »13
. Cette conférence a eu lieu en 1982 durant les débats concernant la place de la
culture dans l’économie à l’heure de la mondialisation. Cette déclaration marque donc le
positionnement de l’Unesco en faveur des diversités culturelles, terme qu’elle reprit en 2005 en
étant l’instigateur de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions
culturelles. Le principe de diversité culturelle s’appuie sur une résistance à la standardisation des
contenus et des formes artistiques et culturelles. Cette notion va dans le sens de la défense des
minorités14
.
L’idée du patrimoine mondial, déjà présente avant 1939, est reprise par l’Unesco dès les années
1950. Elle est consacrée le 16 novembre 1972, lors de la conférence générale de Paris qui adopte la
Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel qui est un traité
international exceptionnel marquant la création de ce nouveau concept de patrimoine mondial15
. Si
le concept est bien nouveau, les fondements d’un rassemblement autour des questions de patrimoine
avaient déjà connu deux dates clés : la première, est la conférence internationale consacrée aux
monuments historiques à Athènes, en 193116
qui a lancé l’idée d’une coopération intellectuelle pour
dégager un patrimoine commun à tous les peuples. Elle a incité les pays à se doter de législations
nationales en la matière17
. La deuxième, est la ratification de la Charte de Venise suite au second
Congrès international des architectes et techniciens des monuments historiques en 196418
. Cette
dernière pose les principes globaux destinés à régir les pratiques de conservation et de restauration
des monuments et sites qui sont toujours en vigueur aujourd’hui. Mais au-delà des aspects
techniques la charte aborde des valeurs humanistes et spirituelles qui font que, grâce à leurs
témoignages vivants, les œuvres peuvent être considérées par l’humanité comme un « patrimoine
commun »19
.
11 Brianso, Isabelle, « La médiation culturelle appliquée aux sites du patrimoine mondial. Vers une pédagogie
interculturelle », Les nouveaux enjeux des politiques culturelles, Dir. Saez, Guy et Saez, Jean-Pierre, Collection
« Recherches », Série « Territoires du politiques », Éditions La Découverte, 2012
12 Edward Burnett Tylor, Primitive Culture, rééd. New York, Harper Torchbooks, 1958
13 Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico
City, 26 juillet - 6 août 1982.
14 Cours de Élodie Bordat-Chauvin, Politique culturelle en France, dans le cadre du Master Politiques et gestion de la
culture en Europe, délivré au 2nd semestre
15 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, Presses universitaires de Rennes, 2014
16 Audrerie, Dominique, Questions sur le patrimoine, op. cit.
17 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
18 Ibid.
19 Ibid.
9
À l’issu de ces congrès, se sont développés certains principes fondateurs patrimoniaux ayant nourri
le principe de patrimoine mondial et permettant une homogénéité de pratiques pour les pays
signataires de ces chartes. Ainsi, selon Piero Gazzola, menant la rédaction de la charte de Venise,
« la finalité de la sauvegarde ne se justifie pas au premier chef par l’usage ou la beauté d’un édifice,
mais par son message culturel et spirituel ». Il sème donc les prémices de critères culturels qui
seraient autres que artistiques ou esthétiques. L’Unesco approfondit donc ces principes établis dans
ces chartes en décidant « de ne plus édicter et de diffuser des principes de restauration plus ou
moins admis par les différentes nations de la planète, mais d’instaurer un corpus de chefs-d’œuvre
de rang universel »20
.
La Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (ci-après appelée
Convention) s’applique pour les 191 États qui l’ont ratifiée à ce jour21
. Son but est d’encourager
l’identification, la protection et la préservation du patrimoine culturel et naturel doté d’une valeur
exceptionnelle pour l’humanité où que ce soit dans le monde. La responsabilité suprême de la
conservation des sites incombant aux États, l’Unesco ne peut que superviser, fournir son soutien
technique et partager ses connaissances avec les signataires22
. Les missions de l’Unesco sont en lien
direct avec les États et non avec leur patrimoine. L’organisation peut ainsi les encourager à proposer
des biens pour la labellisation, à élaborer des plans de gestion, à une coopération internationale, à
faire participer des populations locales23
… Il apparaît donc très vite que le fonctionnement de la
Liste dépend de l’investissement et du bon vouloir des États membres. Nous reviendrons plus loin
sur les enjeux d’intervention de l’Unesco sur le patrimoine et les actions réalisées par les États
membres.
Lorsqu’il s’agit du domaine culturel, la plus grande action de l’Unesco est réalisée par
l’intermédiaire du Centre du patrimoine mondial. En effet, si l’on parle du « patrimoine mondial de
l’Unesco » cela est en réalité un abus de langage collectif puisque la Convention s’est élaborée
comme un système juridiquement détaché de celui de l’organisation internationale24
. Le Centre du
patrimoine mondial constitue une unité administrative de l’organisation, qui bénéficie d’une
certaine « flexibilité opérationnelle sur le plan administratif et financier »25
. Elle possède, en effet,
sa propre instance exécutive : le Comité du patrimoine mondial, dont l’action est au cœur du
processus de labellisation sur lequel nous allons nous pencher.
Création du label et son évolution
Comment est-on passé de 12 biens labellisés en 1978 à, aujourd'hui, plus d’un millier ? En effet, à
l’heure actuelle la Liste du patrimoine mondial comporte 1121 biens labellisés dont 869 culturels,
213 naturels et 39 mixtes (c’est-à-dire étant labellisés à la fois pour des critères culturels et
20 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
21 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit.
22 Le Patrimoine mondial de l’UNESCO, Éditions Ouest France, 2016
23 Le Patrimoine mondial de l’UNESCO, op. cit.
24 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
25 Bories, Clémentine, « La convention du patrimoine mondial à l’aube de son 40e anniversaire: un colosse aux pieds
d’argile? », Annuaire Français du Droit International, 2010 p.139-165
10
naturels), au sein des 167 États parties2627
. Cette évolution a été marquée par des étapes fortes sur
lesquelles nous allons revenir.
L’un des évènements fondateur de la Liste
qui est cité régulièrement comme un
exemple de réussite du label est la
campagne internationale pour les temples
d’Abou Simbel en Égypte. Dans les années
1960 le projet de construction du barrage
d’Assouan menaçait d’inonder la vallée où
se trouvaient ces temples datant de la
civilisation de l’Égypte ancienne28
. Ce sont
la Syrie, le Yémen et l’Égypte qui ont
sollicité l’aide de l’Unesco en 1958 pour
trouver une solution à la perte de ces
monuments. Nous retrouvons ici, une
problématique récurrente des enjeux de préservation et de sauvegarde du patrimoine qui est de
trouver l’équilibre entre la protection des biens et le développement urbain, économique et social
des pays. L’Unesco a donc lancé une campagne internationale avec le projet d’envergure de
combiner le barrage avec la sauvegarde des sites. Grâce aux 80 millions de dollars US donnés par
une cinquantaine d’États membres, la recherche archéologique dans les zones qui allaient être
inondées a pu s’accélérer et les temples d’Abou Simbel et de Philae ont été démontés, déplacés et
réassemblés29
. Cette campagne qui s’est poursuivie jusqu’en 1980 a démontré l’importance d’un
partage des responsabilités entre pays pour préserver des sites culturels exceptionnels. Suite à cela
d’autres campagnes de sauvegarde patrimoniale ont eu lieu comme à Venise et Florence en 1966
pour palier les dommages catastrophiques causés par des inondations ; à Mohenjo Daro au Pakistan
ou encore à Borobudur en Indonésie30
. C’est donc fort de ces réussites que la Convention du
patrimoine mondial a été conçue dans l’objectif de fonder une action de protection internationale du
patrimoine culturel.
Nous parlons du patrimoine culturel car il a été le premier type de patrimoine a être inscrit sur la
Liste. L’ajout du patrimoine naturel vient des États-Unis, qui, lors d’une conférence à la Maison-
Blanche en 1965, ont demandé la création d’une « Fondation du patrimoine mondial » afin de
protéger « les lieux, les paysages et les sites historiques les plus extraordinaires pour le présent et
l’avenir de toute l’humanité ». En 1972, cette proposition a été présentée à la Conférence des
Nations unies sur l’Environnement humain à Stockholm et la reconnaissance du patrimoine naturel
a été prise en compte dans l’adoption de la Convention en 1972. Celle-ci rappelle l’interaction entre
l’être humain et la nature, et la nécessité fondamentale de préserver l’équilibre entre les deux31
.
26 Cette dénomination d’États parties correspond aux États membres de la Convention, nous l’utiliserons donc comme
un synonyme tel que l’Unesco l’utilise.
27 UNESCO, Centre du patrimoine mondial, Liste du patrimoine mondial
28 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit.
29 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
30 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit.
31 Ibid.
11
Figure 1: Site d'Abou Simbel
On lit dans les « considérants » de la Convention du patrimoine mondial que « la dégradation ou la
disparition d’un bien du patrimoine culturel et naturel constitue un appauvrissement néfaste du
patrimoine de tous les peuples du monde », ce qui justifie la nécessité de sauvegarder « ces biens
uniques et irremplaçables à quelque peuple qu’ils appartiennent », « en tant qu’éléments du
patrimoine mondial de l’humanité tout entière »32
.
Les biens culturels et naturels sont donc considérés comme devant tous deux être protégés de
manière équivalente. Cela ne concerne pas uniquement le patrimoine tangible, mais aussi le
patrimoine immatériel. Cette prise en compte de celui-ci au sein du label vient d’une initiative du
Japon. En effet, dans la culture nippone une grande place est attribuée aux traditions et à la
transmission de savoirs et de savoir-faire ancestraux qui sont pour eux un patrimoine essentiel de
leur nation et de leur identité au même titre que le patrimoine bâti ou naturel. C’est donc dans la
continuité de cet élargissement de la notion de patrimoine que le Comité du patrimoine mondial a
adopté en 1994, la déclaration de Nara. Ce document amorce une première étape vers la définition
du patrimoine immatériel, en admettant l’existence de valeurs spécifiques, propre à chaque contexte
culturel. En 2003, le Comité du patrimoine mondial adopte la sauvegarde du patrimoine culturel
immatériel au sein de sa Convention et donne 5 domaines d’excellence où il se manifeste : les
traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel
immatériel, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et évènements festifs, les
connaissances et pratiques concernant la nature et l’universel et les savoir-faire liés à l’artisanat
traditionnel33
. Les possibilités d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial se sont alors
multipliées car toute société au monde possède sa propre culture, se caractérisant par un groupe, des
pratiques34
… Le label doit donc trouver un équilibre entre son objectif d’universalité et la
sauvegarde de la diversité culturelle qui est devenue l’une des priorités de la coopération
internationale.
Histoire du patrimoine en France
La France est le 4ème
pays au monde en nombre de sites labellisés au patrimoine mondial de
l’Unesco après l’Espagne, la Chine et l’Italie, première avec ses 53 sites. La France possède
actuellement 45 biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial dont 39 culturels, 5 naturels et un
mixte35
. Elle demeure, par ailleurs, le pays le plus visité aux monde avec plus de 89 millions de
touristes étrangers recensés en 201736
. Ainsi, un lien semble s’établir entre sa capacité d’attraction et
son patrimoine.
En effet, la France est le premier pays à avoir apporté une attention forte à son patrimoine au nom
de l’intérêt général. Dès la révolution française les prémices des notions de conservation et de
32 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, op. cit.
33 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
34 Warnier, Jean-Pierre. « Introduction / Malaise dans la mondialisation », Jean-Pierre Warnier éd., La mondialisation
de la culture. La Découverte, 2017, pp. 3-16.
35 Unesco, Culture, Centre du patrimoine mondial, les États parties, France
36 « Tourisme: la France demeure le pays le plus visité », Air Journal, 19 mai 2019
12
préservation d’un patrimoine sont apparues. De 1837 à 1860, à l’initiative de Guizot et Mérimée,
une première ébauche de Liste du patrimoine français est réalisée sous la direction de chaque préfet
sur son territoire. Ils doivent faire connaître les monuments de leurs départements, les classer par
ordre d’importance et indiquer les sommes nécessaires pour les conserver ou les remettre en état37
.
On passe alors de la notion de collection pour le plaisir personnel, qui existait déjà dans les familles
aisées et nobles, à celle de protection pour un enjeu de mémoire et de biens collectifs à l’échelle
d’une nation. Six critères sont établis pour déterminer le patrimoine français qui mériterait une
protection et une préservation : le caractère artistique, le pittoresque, l’historique, le légendaire, le
naturel et l’intérêt architectural. S’est alors développée une administration spécialisée qui a la
double mission de recenser le patrimoine et d’en assurer la surveillance. C’est de la publication de
cette Liste recensant le patrimoine français qu’est né le tourisme culturel en France38
.
Les questions de restauration ont cependant fait débat. Nous pouvons constater que de tout temps
certains aimeraient que l’on donne plus de financement pour réaliser des travaux de restauration
d’envergure des monuments. Nous pouvons donner l’exemple de Notre-Dame de Paris dont la
restauration effectuée par Viollet-le-Duc a permis de sauver l’édifice qui sans actions rapides aurait
fini sûrement par tomber en ruine. Le problème de bâtiments aussi imposants, c’est qu’ils
nécessiteraient un financement très important, en une seule fois, plutôt que de multiples sommes qui
ne traiteraient pas les problèmes de fonds et qui ne feraient que retarder le délabrement de l’édifice.
C’est la thèse que porte Viollet-le-Duc en faveur de la restauration des cathédrales : « il est peu de
dépenses aussi fructueuses que celles-ci ; elles conservent des monuments dont l’utilité ne sera
jamais contestée par la masse saine de la population ; elles perpétuent des œuvres d’art
prodigieuses ; elles forment des ouvriers excellents, intelligents, habiles et familiarisés avec la
difficulté de l’art et bâtir ; elles attirent des étrangers dans nos villes, forment des foyers
d’instruction au milieu de chaque département ; elles entretiennent une rivalité de perfection entre
les arts nouveaux et les arts anciens, ce qui est, en construction du moins, une cause active de
progrès, car on devient bon constructeur qu’après avoir longtemps observé et longtemps
comparé. »39
. Il obtient en partie gain de cause lorsqu’on lui accorde la centralisation des crédits sur
les grandes restaurations spectaculaires. Mais même les opérations d’envergure ne sont pas toujours
synonymes de réussite et de nombreuses déceptions ont eu lieu concernant des architectes chargés
des restaurations. Nous pouvons citer l’exemple du démontage de la tour Nord de la basilique Saint-
Denis lors de la restauration par l’architecte Debret en 184740
. Déstabilisées par de multiples
tornades, la flèche puis la tour ont été démontées. Suite à des péripéties le projet de restauration
n’eut pas de suite, et la tour resta démontée. Le fait qu'aujourd'hui des actions de mécénats
conséquentes ont été réalisées pour rebâtir la tour viennent étayer la thèse de Viollet-le-Duc.
Par la suite les lois qui se sont succédé en France sont toujours allées dans le sens d’une plus grande
protection et surveillance du patrimoine. Ainsi, la loi de 1913 crée une classification des monuments
historiques. Son objectif est de sélectionner un nombre limité de monuments dont l’intérêt
exceptionnel justifiait des mesures de sauvegarde particulièrement contraignantes. Dans ce cas-là,
37 Bady, Jean-Pierre, Les monuments historiques en France, Presse universitaire de France, Que sais-je, 1998
38 Audrerie, Dominique, La notion et la protection du patrimoine, Presse universitaire de France, Que sais-je, 1997
39 Viollet-le-duc, Revue de l’architecture et des travaux publics, « Entretien et restauration des cathédrales de
France », 1851
40 Seine Saint-Denis Tourisme, « Remontage de la flèche de Saint-Denis »
13
l’État pourrait se substituer au propriétaire d’un monument historique classé pour procéder d’office
à des travaux de restauration41
. Cette Liste est donc, à l’échelle française, précurseur de la Liste du
patrimoine mondial.
Allant toujours dans le sens d’une plus grande protection, en 1962, la loi Malraux établit une
protection pour le patrimoine urbain dans son ensemble. Cette décision va contre le courant de
l’urbanisme de l’époque qui consistait à raser puis reconstruire de façon moderne. Elle montre que
les quartiers anciens sont des lieux cohérents, qui ne se limitent pas au principaux monuments que
l’on peut y trouver. La ville est faite avec l’accumulation d’architectures, ordonnée par l’histoire et
cet ensemble est un patrimoine en soi. La loi a élaboré un plan de sauvegarde immeuble après
immeuble pour savoir ce qu’il fallait démolir, conserver, reconstruire, tout cela à la charge de l’État.
Cela a permis de conserver les centres villes anciens et « à travers eux, les villes ont voulu souligner
leur identité culturelle »42
.
Patrimoine : au delà de l’esthétique, l’enjeu de mémoire
En effet, en France le classement des sites est perçu, non comme uniquement la mise en avant des
édifices remarquables, mais davantage comme celle des lieux de mémoire dont on cherche à éviter
la disparition43
. Le balancement entre mémoire et esthétisme artistique a eu lieu tantôt dans un sens
tantôt dans l’autre. Un monument se définit, comme tout artefact édifié, par une communauté
d’individus pour se remémorer ou faire remémorer à d’autres générations, des personnes, des
évènements, des sacrifices, des rites ou des croyances. C’est sa fonction philosophique qui constitue
l’essence du monument. Le mot a dérivé vers des valeurs esthétiques et prestigieuses à la
Renaissance avec la grande place qui a été attribuée aux arts, ce qui a conduit a une diminution de la
fonction mémorielle44
.
Aujourd’hui, la Liste du patrimoine mondial désigne un héritage commun de l’humanité dont la
mémoire est un facteur essentiel de l’identité et de la créativité de l’homme45
. Le mot patrimoine a
développé un sens englobant permettant, par une compréhension pluridisciplinaire, de désigner les
productions humaines les plus variées46
. En effet, le patrimoine détient de la valeur en tant qu’objet
d’art mais au-delà de ces critères esthétiques, sa valeur s’exprime par sa qualité de témoin
historique, culturel et de civilisation d’une époque. Ainsi, « le patrimoine tangible tire de la valeur
de sa dimension intangible. »47
Ce témoignage qu’il apporte comporte aussi une forte dimension
morale. Dans un contexte de mondialisation qui a tendance à effacer les différences culturelles entre
les pays, le patrimoine permet aux nations de se raccrocher à leur culture, leur langue, leur héritage
et leur richesse nationale. La crise d’identité rend plus urgent le maintien de souvenirs48
. La qualité
d’un site devient donc encore plus complexe à définir puisqu’elle est étroitement liée à la dimension
morale, aux valeurs et à l’histoire qu’il transmet. Dans les périodes de crises et de réflexions
41 Audrerie, Dominique, La notion et la protection du patrimoine, op. cit.
42 Ibid.
43 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
44 Choay, Françoise, L’allégorie du patrimoine, La couleur des idées, Seuil, 1992
45 Benhamou, Françoise, op. cit.
46 Leniaud, Jean-Michel, « PATRIMOINE, art et culture », Encyclopædia Universalis
47 Benhamou, Françoise, op. cit.
48 Audrerie, Dominique, La notion et la protection du patrimoine, op. cit.
14
identitaires face à des grands enjeux comme le nationalisme, un retour aux racines est recherché par
une part de la population, qui se retrouve aussi dans le fait de privilégier certaines formes de
tourismes à d’autres49
.
L’un des exemples forts de lieux de commémoration est le cas d’Auschwitz-Birkenau. Le site est
incontestablement un lieu fort de mémoire pour l’humanité. « Auschwitz a été classé assez
tardivement, car on s’est aperçu que les critères de beauté, de génie esthétique étaient réducteurs,
et qu’un site qui en dit autant sur l’aventure humaine, il faut y aller, [le classer] »50
. Le problème
qui est apparu est que la Liste du patrimoine mondial vise à souligner les réalisations positives de
l’humanité, même si ce n’est pas explicitement établi. La question s’est alors posée pour intégrer ce
type de lieux de mémoire tout en ne surchargeant pas la Liste de biens du « patrimoine sombre ».
Ainsi, Auschwitz fait acte de lieu représentatif de la tragédie de l’Holocauste et de tous les autres
camps de concentration et d’extermination qui existent51
.
« La force du patrimoine est telle que sa destruction revient à détruire ce qu’il représentait »52
. Cette
affirmation, Dominique Audrerie l’éclaire d’exemples de nombreux vandalismes historiques qui ont
eu lieu contre des lieux de mémoire. Lorsque l’on veut effacer le passé, on s’en prend à leur trace
historique, c’est-à-dire au patrimoine, comme cela a eu lieu durant la révolution française contre les
symboles de pouvoirs royaux et religieux ou de façon plus contemporaine avec les campagnes de
destruction de Mao Zedong, de Pol Pot ou de Daesh à Palmyre.
Il apparaît ainsi que le patrimoine est venu rejoindre « l’identité » et la « mémoire », puisqu’il est un
moyen qui nous relie à ces deux termes. Les enjeux mémoriaux des sites culturels ont donc été au
cœur des réflexions de labellisation et ont nourri celles sur l’universalité possible du label.
B. Critères de labellisation
Lorsque des sondages sont réalisés par des journaux auprès d’habitants pour savoir si un site mérite
d’être inscrit au patrimoine mondial, ce processus est en réalité complètement biaisé. Comme nous
l’avons souligné, ce label a pour but de souligner la qualité universelle d’un site, donc sonder les
habitants d’une région ou d’un pays ne serait pas représentatif de cette volonté. De plus, comme
nous allons l’aborder, l’avis des habitants, ne rentre pas en compte dans le processus de
labellisation. S’ouvre alors la problématique de la représentativité de ce label, déclarant une valeur
universelle, alors que la décision finale appartient au Comité du Centre du patrimoine mondial.
Quels sont alors les processus internes d’élaboration de ce label ? Nous allons donc aborder les
démarches d’inscription à la Liste, nous traiterons ensuite de la question de la valeur universelle
exceptionnelle, puis nous nous intéresserons aux critères définis pour l’adhésion à la Liste du
patrimoine mondial.
49 Audrerie, Dominique, Questions sur le patrimoine, éditions confluences, 2003
50 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, coordinateur de la cathédrale de Chartres, le 28 février 2020
51 Brumann, Christoph, « Comment le patrimoine mondial de l’Unesco devient immatériel », Gradhiva, 2013
52 Audrerie, Dominique, Questions sur le patrimoine, éditions confluences, 2003
15
Processus d’inscription à la Liste du patrimoine mondial
Le processus d’inscription de tout bien commence par son ajout sur la « Liste indicative ». Chaque
État membre de l’Unesco doit référencer dans cette Liste tout bien qu’il souhaiterait voir labelliser
et dont il pense qu’il répond au prérequis de valeur universelle exceptionnelle. Ce sont donc les
États qui décident en premier lieu des biens qui pourront être labellisés. Mais, seuls les États ayant
signé la Convention du patrimoine mondial et donc, s’étant engagés à respecter leur patrimoine
naturel et culturel, peuvent soumettre des propositions de labellisation53
. Selon l’article 11 de la
Convention « Chaque État doit soumettre un inventaire des biens du patrimoine culturel et naturel
situés sur son territoire et susceptibles d’être inscrit sur la Liste […] Cet inventaire [Liste
indicative], qui n’est pas considéré comme exhaustif, doit comporter une documentation sur le lieu
des biens en question et sur l’intérêt qu’ils présentent »54
.
Pour chaque bien inscrit sur cette Liste indicative, l’État doit fournir un dossier de proposition
d’inscription. Ce dernier doit comporter une délimitation précise du bien, une description de celui-ci
comportant son histoire et ses aménagements, une justification d’inscription indiquant clairement
les critères selon lesquels le bien posséderait une valeur universelle exceptionnelle. À cela s’ajoute
le besoin de justifier de l’intégrité et de l’authenticité du site, de son importance dans un contexte
national et international ainsi que de tous les éléments à prendre en compte dans la protection et la
conservation du site, c’est-à-dire tout facteur ou menace pouvant affecter le bien. Enfin,
l’élaboration d’un plan de gestion est maintenant obligatoire pour l’inscription d’un bien sur la
Liste. Il consiste à détailler les mesures législatives, ou à caractère réglementaire, contractuelles, de
planification, institutionnelles et/ou traditionnelles qui s’appliquent le plus précisément à la
protection du bien et fournir une analyse détaillée du fonctionnement effectif de cette protection,
selon l’article 132 des Orientations devant guider la mise en œuvre du patrimoine mondial55
.
Si le dossier est considéré comme complet par le Centre du patrimoine mondial, il l’envoie alors à
l’organisation consultative compétente pour son évaluation. L’Unesco travaille avec trois
organisations consultatives externes : l’une pour les biens culturels, L’ICOMOS (International
Council on Monuments and Sites), une autre pour les biens naturels, l’UICN (Union Internationale
pour la Conservation de la Nature) et enfin avec l’ICCROM, le (International Center for the Study
of the Preservation and the Restoration of Cultural Property), qui fournit un avis pour toutes les
questions de conservations et de préservations des sites56
. Ces organismes sont chargés d’évaluer la
valeur universelle exceptionnelle, les conditions d’intégrité et d’authenticité des biens proposés,
ainsi que de vérifier qu’ils satisfassent les exigences de protection et de gestion57
. À ce jour, seuls
ces trois organismes ont été sollicités par le Centre du patrimoine mondial, mais il peut requérir
l’opinion d’autres experts s’il le souhaite. Après que les organismes ont rendu leurs avis, c’est au
Comité du patrimoine mondial que revient la décision de labelliser ou non le site. Tel qu’il est
institué par l’article 8 de la Convention, le dénommé « Comité du patrimoine mondial »58
, est
53 UNESCO, Centre du Patrimoine mondial, « Propositions d’inscriptions à la liste du patrimoine mondial »
54 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, op. cit.
55 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial
56 UNESCO, Centre du Patrimoine mondial, « Propositions d’inscriptions à la liste du patrimoine mondial »
57 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, op. cit.
58 De son nom complet : Comité intergouvernemental de la protection du patrimoine mondial culturel et naturel de
valeur universelle exceptionnelle
16
chargé d’établir la Liste du patrimoine mondial. Il est composé de 15 États, élus par l’ensemble des
signataires de la Convention, réunis en assemblée générale au cours de sessions ordinaires de la
Conférence générale de l’Unesco59
. Le Comité se base sur les critères détaillés dans le document
des Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial et les
critères peuvent être révisés régulièrement par le Comité pour rester en phase avec l’évolution du
concept même de patrimoine mondial, comme cela a été le cas pour la prise en compte du
patrimoine immatériel.
La procédure d’inscription demeure un processus complexe et les difficultés rencontrées avec
certaines propositions d’inscriptions problématiques ont conduit à la création, en 2010, d’un
nouveau concept de processus en amont. Son objectif est de permettre aux Organisations
consultatives et au Secrétariat de fournir directement aux États parties un soutien préalable sous la
forme de conseils, de consultations et d'analyses, avant la préparation ou la soumission d'une
proposition d'inscription. L’augmentation du nombre de demandes d’assistances de la part des États
ont institutionnalisé ce processus en amont qui a été intégré par le Comité dans les Orientations en
201560
.
Valeur universelle exceptionnelle
Il s’agit là de l’essence même de ce label tout en étant l’une de ses limites. L’exceptionnalité dans
cette notion découlerait de la hiérarchisation des biens entre eux à travers le monde et l’on ne
sélectionnerait que ceux qui se démarqueraient particulièrement. L’objectif de l’universalité est
« d’identifier des lieux qui, d’une certaine manière, racontent le génie de l’humanité, mais en
essayant d’être supra-national. Ce n’est pas le génie de la France, de l’Égypte ou de telle ou telle
communauté, c’est le génie de l’humanité, ça sous-entend ce qui unit les hommes. L’humanité c’est
ce qui dépasse les singularités culturelles, singularités nationales »61
. Ainsi, la notion de diffusion
et de rayonnement au-delà de son propre pays est importante pour pouvoir essayer d’évaluer la
valeur mondiale d’un bien. L’inscription à la Liste et donc l’attribution de cette valeur universelle
exceptionnelle reconnaît par conséquent que chaque bien inscrit est équivalent et comparable entre
eux selon la Convention. Cette affirmation a soulevé des débats principalement par rapport à la
comparaison entre des sites culturels et naturels qui peuvent être extrêmement différents62
. La valeur
exceptionnelle d’un parc national qui représente l’apothéose de la nature sur terre et la valeur
exceptionnelle d’un site culturel qui représente l’apothéose de la création humaine sont-ils vraiment
comparables ? Cela nous amènerait à nous interroger sur l’analogie possible entre un site désiré,
conçu et réalisé par les hommes et un autre qui est à la fois le fruit du hasard, tout en étant
absolument unique au monde.
La notion d’universalité est d’autant plus complexe qu’elle n’a pas toujours eu le même sens. En
effet, après l’adoption du document de Nara au Japon en 1994, la notion de patrimoine mondial a
changé au sein de l’Unesco avec la prise en compte du patrimoine immatériel comme nous l’avons
vu. Mais cela a aussi eu des conséquences sur l’universalité qui prévalait depuis 1972, qui a cédé sa
59 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, op. cit.
60 UNESCO, Centre du Patrimoine mondial, « Processus en amont »
61 Entretien réalisé avec Alain Sinou, professeur à l’Institut d’Étude Européenne de Paris 8, le 6 Novembre 2019
62 Brianso, Isabelle, op. cit.
17
place au relativisme. La Liste des sites ne doit plus seulement représenter le meilleur de l’humanité,
elle doit à présent « refléter les multiples segments de la variété culturelle planétaire »63
. Ainsi, si la
dénomination de valeur universelle exceptionnelle ne change pas, son sens, lui, a évolué vers la
recherche d’une représentativité culturelle de la diversité planétaire.
Cependant, « par définition, le patrimoine d’une civilisation ou d’une culture lui est propre. La
notion d’universalité en matière de patrimoine n’a de sens que comme caractéristique globale de
notre espèce, et implique alors la totalité de ses productions »64
. Jusqu’aux années 2000, aucun
critère d’évaluation de cette valeur universelle exceptionnelle n’existait. La décision revenait
uniquement au Comité, ce qui rendait cette labellisation très subjective considérant la difficulté à
affirmer qu’un bien soit exceptionnel ou universel. Nous allons donc à présent aborder les dix
critères officiels permettant de labelliser un site.
Critères de sélection
Pour être le plus inclusif possible par rapport à la diversité culturelle existante, les critères de
sélection ont dû prendre en compte la conservation de biens et de sites naturels ou bâtis et la
préservation du patrimoine immatériel qui leur est intimement lié65
. Le premier système de critères
établissait six critères culturels et quatre critères naturels, mais ceux-ci ont été refondés pour former
dix critères globaux. Cette volonté de gommer les différences entre critères culturels et naturels va
dans la lignée de la constitution de « paysages culturels » qui sont la reconnaissance des interactions
majeurs entre les Hommes et le milieu naturel66
. Il apparaît cependant qu’en réalité certains critères
sont toujours plus naturels et d’autres culturels. Cette démarche a surement été faite pour diminuer
la barrière entre ces deux distinctions et favoriser une prise en considération globale, mais le peu de
sites mixtes prouvent que la distinction existe toujours et que la fusion des critères reste très
théorique.
Ainsi, nous nous concentrerons sur les critères (i) à (vi)67
, qui concernent les sites culturels, tandis
que les critères sept à dix sont pour les sites naturels. Pour être inscrit, un site doit satisfaire au
moins un des critères et il peut les cumuler. Le fait de candidater en revendiquant plusieurs critères
tend à montrer que le site répondrait à différentes approches du label et sécuriserait sa labellisation ;
encore faut-il réussir à montrer que l’on répond à ces critères de sélection.
Le tableau ci-dessous définit les critères culturels de labellisation. Nous illustrons chaque critère par
un exemple de site culturel français, que nous jugeons représentatif, pour plus d’exemples se référer
à l’Annexe 3.
63 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
64 Choay, Françoise, Le patrimoine en questions, Anthologie pour un combat, collection « La couleur des idées »,
éditions du Seuil, 2009
65 Benhamou, Françoise, op. cit.
66 UNESCO, Centre du Patrimoine mondial, « Propositions d’inscriptions à la liste du patrimoine mondial »
67 Nous reprendrons la manière dont l’Unesco inscrit les critères de (i) à (x).
18
Les critères de sélection68
 :
(i) Génie créateur humain : représenter un chef-d’œuvre du génie créateur humain.
Ex : Le Mont St-Michel est labellisé notamment sous le critère un de génie créateur
humain.
(ii) Échange d’influences : témoigner d’un échange d’influences considérables pendant une
période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de
l’architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou
de la création de paysages.
Ex :Nous pouvons citer l’œuvre architecturale de Le Corbusier qui traduit un échange
d’influence par son développement du mouvement moderne à travers le monde.
(iii) Témoignage de tradition culturelle : apporter un témoignage unique ou du moins
exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue.
Ex : Les sites préhistoriques et grottes ornées de la vallée de la Vézère témoignent d’une
tradition culturelle par des objets et œuvres d’arts datant de la période paléolithique et
présentant un intérêt exceptionnel sur le plan historique, ethnologique, anthropologique et
esthétique.
(iv) Période significative dans l’histoire humaine : offrir un exemple éminent d’un type de
construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une
période ou des périodes significative(s) de l’histoire humaine.
Ex : Les Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France témoignent de l’importance
des pèlerinages et de la chrétienté dans les pays d’Europe au Moyen-Âge.
(v) Établissement humain traditionnel : Être un exemple éminent d’établissement humain
traditionnel, de l’utilisation traditionnelle du territoire ou de la mer, qui soit représentatif
d’une culture (ou de cultures), ou de l’interaction humaine avec l’environnement,
spécialement quand celui-ci est devenu vulnérable sous l’impact d’une mutation
irréversible.
Ex : Les Climats du vignoble de Bourgogne ont été labellisés notamment sous ce critère car
le site représente une construction historique d’un territoire viticole.
(vi) Patrimoine associé à des évènements à signification universelle : être directement ou
matériellement associé à des évènements ou des traditions vivantes, des idées, des
croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle
exceptionnelle (le Comité considère que ce critère doit être de préférence utilisé
conjointement avec d’autres critères).
Ex : Le château de Fontainebleau est représentatif puisqu’il a été une résidence royale
pendant quatre siècle et par conséquent il est associé à des événements de l’histoire de
France ayant une importance universelle exceptionnelle.
68 Ce tableau des critères culturels provient de l’ouvrage Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial et est aussi
disponible en Annexe 1.
19
De plus, deux notions rentrent en compte pour l’attribution du label. Tout d’abord, le bien doit
répondre à des conditions d’intégrité et doit pouvoir être d’une taille suffisante pour permettre une
représentation complète des caractéristiques et processus qui transmettent l’importance de ce bien.
Et le bien doit attester de son authenticité, c’est-à-dire la capacité à comprendre la valeur attribuée
au patrimoine qui dépend du degré de crédibilité ou de véracité que l’on peut accorder aux sources
d’information concernant cette valeur. Le tout doit pouvoir bénéficier d’un système adapté de
protection et de gestion pour assurer la sauvegarde du site69
.
Hiérarchisation au sein du label ?
Au nom de la valeur universelle exceptionnelle, tous les biens labellisés sont censés se valoir entre
eux. Pourtant, des sites comme le château de Versailles ne semblent pas avoir grand-chose en
commun avec la région minière préhistorique de silex rayé de Krzemionki, par exemple. Mais
quand chaque année, une trentaine de biens vient se rajouter à la Liste établie, qu’en est-il de
l’exceptionnalité de ces biens ? Nous sommes dans une société de commémorations où
l’augmentation quantitative s’accompagne d’une dévaluation qualitative et donc la notion
d’exceptionnalité va de pair avec celle de rareté70
. Bien que depuis 2018 le Comité ait décidé de
limiter à 45 le nombre de proposition de candidature qu’il étudiera chaque année71
, la question de
l’augmentation du nombre de sites labellisés se pose. Chaque étude que nous avons parcourue
mettait en avant le nombre important de sites labellisés, qu’elles aient été écrites lorsqu’il y avait
700-800 sites labellisés ou bien aujourd’hui avec plus de 1100. Pour l’instant il n’existe aucune
réflexion concernant l’établissement d’un numerus clausus ou une quelconque manière de limiter
cette croissance indéfinie de la Liste72
. Arrêter l’ajout de nouveaux biens à la Liste, comme des sites
contemporains ou à venir, la figerait dans l’état actuel et immobiliserait totalement son évolution.
En effet, comme nous l’a confié avec franchise Alain Sinou : « labelliser chaque année trente sites,
c’est donner un caractère un peu vivant à cette pratique, c’est une activité, ça fait vivre des gens, ça
coûte un peu d’argent, mais pas tant que cela. Il y a un peu la dynamique propre du Centre du
patrimoine mondial. S’ils ne créaient pas de nouveaux sites, ce serait un cimetière, vous voyez, ça
occupe. Il y a la dynamique propre de l’institution qui existe mais qu’il faut peut-être maintenir, on
peut la supprimer aussi. Mais on a le droit de la maintenir, et si on la maintient, il faut bien qu’ils
s’occupent, donc ça c’est une activité. Après, il y a un peu tout et n’importe quoi dans cette Liste.
Donc ce sont des choix qu’ils font, pour faire plaisir à tout le monde, ils mettent un peu la chèvre et
le chou. C’est un peu enquiquinant, car on ne voit pas vraiment ce qui réunit tous ces trucs-là »73
.
À travers notre étude de la cathédrale de Chartres et d’autres sites labellisés en France, il nous est
apparu que des sites aussi institutionnalisés ne craignaient pas vraiment de perdre leur
exceptionnalité du fait de l’augmentation du nombre total de sites. Nous nous sommes alors
penchés sur les raisons qu’ils pouvaient mettre en avant pour affirmer leur exceptionnalité et ne pas
être noyés au sein de cette Liste.
69 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, op. cit.
70 Audrerie, Dominique, Questions sur le patrimoine, op. cit.
71 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, op. cit.
72 Bourdeau, Laurent, Gravari-Barbas, Maria et Robinson, Mike, op.cit.
73 Entretien réalisé avec Alain Sinou, ent. cit.
20
Le premier argument qui est apparu est la date de labellisation. En effet, de manière assez
pragmatique, les sites qui ont été inscrits sur la Liste en premier sont ceux auxquels les États ont
pensé en premier pour correspondre à ces critères de valeur universelle exceptionnelle. « Donc à
part des petits [...] réajustements, on peut toujours dire que ceux qui ont été classés d’abord étaient
a priori les plus importants. Donc on est en train d’allonger la Liste et le tout, ça va être de ne pas
non plus exagérer. À titre personnel, il y a très peu de cas où je me suis dit ce classement est indu.
Quand vous allez sur le lieu vous découvrez souvent qu’il y a une raison. Mais vous vous dites
aussi : "Oui, ça a valeur universelle, c’est intéressant, ça mérite à être donné en exemple à des
gens du monde entier parce qu’il y a quelque chose de très intéressant qui se passe là." Mais on
n’est peut-être pas dans le même niveau de valeur ou d’intérêt qu’effectivement les "monstres" »74
.
Cela confirme le fait que les conséquences de l’augmentation de la Liste sont l’apparition d’un
nivellement entre les sites qui n’exprimeraient pas tous le même niveau d’exceptionnalité ou
d’universalité.
L’autre argument qui montrerait une hiérarchisation des sites au sein de la Liste serait lié aux
critères sous lesquels un site est labellisé. Certains critères seraient plus difficiles à démontrer que
d’autres et donc seraient garants d’une « meilleure » exceptionnalité. Parmi ceux-ci le critère (i) se
démarque particulièrement par son intitulé de « génie créateur humain ». « Il y a quelque chose qui
a un peu émergé dans notre discussion par rapport au plan de gestion, qui va un peu dans votre
sens. C’est que l’on se dit que l’on est au critère (i). L’Unesco ne serait pas content s’il nous
entendait dire ça, mais c’est peut-être une façon pour certains sites de re-faire le tri, en disant qu’il
y a les sites Unesco et les sites Unesco classés au critère (i). Il y en a quelques-uns qui ont
commencé à le faire, à le mettre dans leur communication. Ils voient bien que c’est délicat et ne
disent pas que c’est une sur-catégorie et qu’ils sont du super Unesco ou alors en rigolant dans les
couloirs entre collègues. Mais ils disent: "Classés parmi les premiers monuments classés, il y a la
question de, à quelle époque [il a été classé], et puis classé au critère (i)". Et de fait, la formule
éminente du critère (i), [est] : « génie créateur de l’homme ». Il suffit de cela pour dire que, ce qui
est là, c’est universel. Et oui, si on le perd, c’est toute l’humanité qui le perd. Sous-entendu pas
besoin de savoir si c’est très représentatif de..., si c’est authentique… Et ça je pense que c’est une
piste d’évolution clairement »75
.
Ainsi, la cathédrale de Chartres a été labellisée en 1979 et est la première cathédrale inscrite sur la
Liste, ce qui lui confère un statut « indétrônable ». De plus elle a été labellisée sous trois critères
dont le numéro (i) : « Tout d’abord, le génie créateur humain (ça fait peur dit comme ça). (rires), le
fait que l’on est un lieu très représentatif d’une époque, la civilisation médiévale chrétienne, et puis
le fait que l’on ait été un lieu qui a servi de modèle pour la diffusion de l’art du vitrail, de
l’architecture »76
. En effet, la cathédrale possède le critère (ii), de lieu d’influence par le fait que
d’autres grandes cathédrales en France (Reims, Amiens et Beauvais) comme en Europe (Cologne en
Allemagne, Westminster en Angleterre et León en Espagne) aient reproduit son schéma
fondamental. Elle possède le critère (iv) car elle est à la fois un symbole et un édifice-type en tant
que cathédrale gothique. Enfin son critère (i) vient de la construction en presque un seul jet de la
74 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, ent. cit.
75 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, ent. cit.
76 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, ent. cit.
21
cathédrale, ce qui lui octroie une unité dans son architecture, son décor vitré, sculpté et peint et qui
lui permet d’être représentatif des aspects les plus caractéristiques de l’art du Moyen Âge77
.
Sur ce graphique78
on peut voir la répartition de tous les sites culturels labellisés en fonction des
critères sous lesquels ils l’ont été. Tout d’abord nous pouvons observer le fort cumul de critères
puisqu'au total il y a 2132 critères cumulés pour 869 sites. Cela correspond en moyenne à 2,45
critères de labellisation par site79
. Ensuite, on peut remarquer une forte utilisation des critères (iv),
(iii) et (ii), puis une utilisation moyenne du critère (i) et (vi) et enfin une faible présence du critère
(v). Celui-ci correspond à un site témoignant d’un exemple éminent d’établissement humain
traditionnel, sa faible utilisation parmi les critères est liée à la surreprésentation du patrimoine
européen bâti au sein de la Liste.
77 UNESCO, Centre du Patrimoine mondial, Cathédrale de Chartres
78 Les données complètes, obtenues à partir de celles de l’ouvrage Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial et
celles de la Liste du patrimoine mondial sur le site de l’Unesco, sont dans l’annexe 2
79 Cf annexe 2.3
22
Critère (i) Critère (ii) Critère (iii) Critère (iv) Critère (v) Critère (vi)
0
100
200
300
400
500
600
700
Nombre de sites culturels mondiaux labellisés en fonction de leurs critères
Critères de labellisation
Nombre
de
sites
Nous émettons donc l’hypothèse que le critère (i), qui représenterait l’exceptionnalité d’un site par
sa difficulté à être accordé, aurait été davantage attribué dans les premières années d’inscription sur
la Liste, en suivant la thèse que la date de labellisation jouerait sur l’exceptionnalité d’un site. Pour
cela nous allons nous concentrer sur le cas des sites culturels français.Sur le graphique ci-dessus80
observe l’annexe 3.2 on peut remarquer que globalement la répartition des critères en France suit
celle de l’ensemble des sites dans le monde excepté pour le critère (iii) qui est peu représenté du
côté français.
En France, 19 sites sont labellisés sous le critère (i), mais seulement trois sites ont été inscris sous
ce critère de 1997 à 2017 alors que 16 sites l’ont été de 1978 à 1996. Cette évolution imagée par le
80 Les données complètes, obtenues à partir de celles de la Liste du patrimoine mondial sur le site de l’Unesco sont
dans l’annexe 4
23
Critère (i) Critère (ii) Critère (iii) Critère (iv) Critère (v) Critère (vi)
0
5
10
15
20
25
30
Nombre de sites culturels français labellisés en fonction de leurs critères
Nombre de sites
Critères
de
labellisation
1979
1981
1983
1985
1987
1989
1991
1993
1995
1997
1999
2001
2003
2005
2007
2009
2011
2013
2015
2017
0
1
2
3
4
5
6
Nombre de sites culturels français ayant le critère (i)
en fonction des années
Années
Nombre
de
sites
graphique ci-dessus81
atteste donc bien que l’utilisation du critère (i) diminue et que les premiers
sites à être labellisés l’ont fortement utilisé. Nous pouvons d’ailleurs noter que tous les sites étant
labellisés pour le critère (i) ont au minimum un autre critère de labellisation, ce qui renforce leur
poids au sein du label. À l’inverse aucun site n’avait été labellisé pour le critère (v) avant 2010, et
depuis sur les 9 sites culturels labellisés, quatre ont utilisé ce critère comme nous pouvons
l’observer Annexe 3. Cette évolution d’utilisation des critères dans le temps atteste de la dualité
entre culture savante et culture anthropologique. Elle témoigne d’un changement de mentalité et de
conception de la culture et donc par conséquent de ce qu’est un site du patrimoine mondial.
Comme nous l’avons souligné, établir des critères pour une Liste du patrimoine mondial est une
tâche ardue car cela estimerait qu’il y a une échelle de jugement commune à toutes les aires
géographiques de la planète. Cette évaluation du mérite des sites a été difficile à établir du fait du
caractère composite des espaces considérés, de la profondeur des différences entre les cultures ainsi
que de la nécessité de superposer un niveau international aux classements nationaux antérieurs. En
effet, de nombreux États possédaient déjà un système de valorisation et de protection de leur
patrimoine national, tel que le classement des monuments historiques en France. Ils ont dû
déterminer parmi leur patrimoine déjà classé ceux qui pourraient être éligibles pour ce label. Ce
problème de chevauchement de classement a soulevé, dans certains pays postulant à la Liste du
patrimoine mondial, des problèmes de conscience quasiment insurmontables. C’est pour cela que
les critères retenus pour composer cette encyclopédie monumentale de la planète ont finalement dû
être hétérogènes et minimaux82
. « Ce sont des critères politiquement corrects parce qu’il fallait que
ça convienne à tout le monde, donc à un moment donné c’est le nivellement par le bas. Donc on
peut mettre un peu tout le monde [dans le label] »83
. Cela s’illustre dans le cas de la ville de
Varsovie qui a été classée pour mettre en valeur l’action de reconstruction entreprise par les
polonais après la seconde guerre mondiale. C’est davantage ce geste plutôt que la construction de la
ville elle-même qui a été classé84
. Cet exemple souligne la politisation du label et son utilisation
comme outil d’art politique que nous allons à présent traiter.
C. Aspects internationaux
L’Unesco, en tant qu’institution spécialisée liée à une organisation internationale indépendante de
l’ONU, possède une personnalité morale qui fait d’elle une entité distincte des membres qui la
composent85
. Par conséquent, elle possède une voix politique et diplomatique à l’international dont
ses actions vont être empreintes. L’origine même du label de patrimoine mondial est lié à une
mission diplomatique de pacification des échanges internationaux, ce n’est pas un label dont
l’utilisation est complètement neutre. Nous allons à présent nous intéresser aux problématiques que
soulèvent ces objectifs politiques et diplomatiques.
81 Les données complètes, obtenues à partir de celles de la Liste du patrimoine mondial sur le site de l’Unesco sont
dans l’annexe 4
82 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
83 Entretien réalisé avec Alain Sinou, professeur à l’Institut d’Étude Européenne de Paris 8, le 6 Novembre 2019
84 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
85 Cours de Romain Bourrel, Institutions publiques, délivré à l’Université Grenoble Alpes dans le cadre de la licence
de Sciences Humaines Appliquées
24
Enjeu de représentativité du label entre universalité et diversité
culturelle
Le label est confronté à une double problématique : il se veut à la fois être universel, donc
représenter ce qu’il y a de commun à l’ensemble de l’humanité, tout en voulant souligner la
diversité culturelle planétaire et en représentant la plus grande variété patrimoniale possible. La
Liste a ainsi évolué avec l’apparition de cette double volonté qui témoigne d’une superposition de
deux conceptions de la culture. On a ainsi commencé par labelliser les monuments historiques
imposants et bâtis en privilégiant une approche matérielle et très historique du patrimoine inscrit sur
la Liste. « La difficulté à laquelle ont été rapidement confrontés les gens du patrimoine mondial,
c’est que, très vite, ils se sont focalisés sur les sites européens, les plus anciens. Et donc ils se sont
intéressés beaucoup à la Grèce, à l’Italie, à ces pays-là. Et tous les pays où il n’y avait pas de
traces matérielles des cultures qui s’y étaient développées, je pense à tous les pays de traditions
orales, toutes les cultures aborigènes, africaines, indiennes etc, sont passées à la trappe. Ce qui fait
que, d’une certaine manière, le paradoxe de cette démarche qui se voulait internationale c’est
d’avoir encore plus stigmatisé les populations qui n’avaient pas produit de bâtiments avec de la
pierre, qui avaient des architectures beaucoup plus éphémères et qui évidemment disparaissaient et
ne pouvaient plus être considérées comme des lieux patrimoniaux parce qu’il n’y avait plus de
traces »86
.
Ayant fait ce même constat, la Liste a alors accueilli de plus en plus de biens s’éloignant de cette
culture savante et artistique pour aller dans le sens d’une diversité culturelle. L’objectif n’est alors
plus de choisir des sites qui représenteraient au mieux l’identité nationale du pays, mais au contraire
qui montrerait sa diversité naturelle et culturelle87
. Ainsi, en 1994, le Centre du patrimoine mondial
adopte la Stratégie globale pour une Liste du patrimoine mondial équilibré et représentative. Cette
action de stratégie globale « a pour but d’améliorer la représentativité des biens culturels sur la Liste
du patrimoine mondial et de corriger les déséquilibres dus à la prééminence de l’Europe, la
Chrétienté, l’architecture monumentale ainsi que d’encourager des propositions d’inscription qui
illustrent le patrimoine archéologique, industriel et technique des cultures non européennes et plus
généralement, de toutes les cultures vivantes, particulièrement les sociétés traditionnelles et leurs
interactions nombreuses et permanentes avec leur environnement naturel»88
. Ainsi, le Comité a
inscrit, dans l’article 61.c) des Orientations, un ordre de priorité pour l’examen de nouvelles
propositions d’inscription. Il s’intéressera d’abord : aux cas des États parties n’ayant pas de biens
labellisés, à ceux qui ont moins de 4 biens inscrits sur la Liste, aux propositions de biens naturels,
mixtes, de sites transfrontaliers et aux demandes venant de pays d’Afrique, du Pacifique et des
Caraïbes89
. Par cette déclaration, on comprend bien la volonté du Centre du patrimoine mondial de
procéder à une sorte de rééquilibrage de la Liste pour qu’elle puisse être au mieux représentative
d’une diversité culturelle planétaire.
86 Entretien réalisé avec Alain Sinou, ent. cit.
87 Brianso, Isabelle, op. cit.
88 Olivier, Lazzarotti, « Patrimoine et tourisme: un couple de la mondialisation », Mappemonde, n° 57, 2000
89 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, op. cit.
25
Est-ce un signe de l’échec de l’universalité du label ? En tout cas, c’est un changement fondamental
dans l’approche qu’il avait, qui peut être mis en parallèle avec l’insuccès des politiques
multiculturalistes théorisées au Canada et en Grande-Bretagne. Celles-ci visant à faire cohabiter sur
un pied d’égalité plusieurs communautés culturellement distinctes, ont eu le vent en poupe dans les
années 1980 et 1990, mais ont, par la suite, dû faire face aux critiques des habitants et à la montée
de mouvements identitaires90
. D’un autre point de vue, l’apport de cette conception de diversité
culturelle a permis une ouverture de l’Unesco (des sites occidentaux étant dans cette catégorie du
patrimoine bâti et historique) vers d’autres réalités de fonctionnement et de gestion du patrimoine.
Ainsi, « il y a deux façons de voir le problème, soit de dire que c’est bizarre que l’Unesco ne
s’adapte pas à nous, soit de dire que c’est très bien car cela amène les pays occidentaux à réfléchir,
raisonner comme un pays en développement et inversement. Qu’il y ait ce cadre commun ça permet
de poser une question universelle »91
.
Suite au relativisme, inspiré par la stratégie diplomatique victorieuse du Japon, l’objectif du label
est donc devenu de rééquilibrer la répartition des sites en fonction des continents et de protéger une
diversité culturelle considérée comme un bien en soi92
.
Répartition entre les nations
Comme présenté sur le graphique ci-dessus93
, la répartition des sites à travers le monde atteste d’un
déséquilibre de représentation des différents pays et même des aires géographiques. En effet, en
2016, l’Europe et l’Amérique du Nord, alors qu’ils représentent 30,5 % des États ayant ratifié la
90 Warnier, Jean-Pierre. op. cit.
91 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, ent. cit.
92 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
93 Les données complètes, obtenues à partir de celles de l’ouvrage Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, sont
dans l’annexe 5
26
Europe
et Am
érique
du
Nord
Asie
et Pacifique
Afrique
Am
érique
latine
et Caraïbes
États
Arabes
0
10
20
30
40
50
60
Répartition géographique des sites labellisés
Pourcentage des États parties
Pourcentage du nombre de
sites labellisés
Pourcentage
Convention, possédaient à eux seuls 527 sites labellisés, soit 48,1 % de l’ensemble des sites
labellisés. Ils apparaissent donc comme étant totalement sur-représentés au sein de la Liste. Le ratio
pour l’Asie et le Pacifique, ainsi que l’Amérique latine et les Caraïbes est plutôt équilibré. Les États
Arabes, quant à eux, sont sous-représentés avec 13,1 % de sites pour 16,5 % des États parties.
Enfin, la zone géographique pour laquelle la différence est la plus flagrante est le continent africain
avec seulement 8,7 % des sites labellisés alors qu’il représente 20,1 % des États ayant ratifié la
Convention94
.
Cette inégalité de répartition des sites labellisés témoigne du manque de maillage égal de biens
ayant une valeur universelle exceptionnelle entre les nations, ce que l’élargissement de cette notion
n’a pas pu complètement combler. En effet, ce déséquilibre de biens existe tant pour le patrimoine
bâti que pour le patrimoine naturel. Les États n’ont pas tous reçu un héritage patrimonial
comparable. La situation d’inégalité devant les richesses patrimoniales peut conduire à des
situations de conflits latents, surtout pour le patrimoine naturel qui est propre à une nation, non pas
par héritage culturel, mais par propriété territoriale. Le cas de biens transfrontaliers tels que la forêt
Amazonienne illustre les conflits d’intérêts qui peuvent se poser95
.
En 1997, sur 107 sites labellisés de l’Unesco, 22 étaient français96
. Nous percevons que la volonté
de rééquilibrer la labellisation entre les différents continents témoigne de la vision occidentale, qui a
évolué en approche universaliste97
. Qu’en est-il donc du point de vue européen ?
L’Europe est le continent qui a cherché à dominer le monde en utilisant du hard power98
durant la
colonisation, puis s’est tournée vers l’utilisation du soft power99
comme moyen d’influence
économique et culturel100
. Ces deux formes de pouvoirs ont propagé le patrimoine culturel européen
à travers le monde, ce qui favorise les critères d’échanges d’influences puisqu’il a été institué
comme référence patrimoniale par excellence.
Cependant, si d’un point de vue macroscopique, l’Europe est un bloc unifié économiquement,
politiquement et culturellement, au travers de son Union, une approche détaillée révèle la diversité
d’identités nationales et régionales qu’elle possède101
. Ce qui fait que cette approche occidentale de
l’universalité s’applique au sein même de l’Europe qui a du mal à mettre en valeur sa propre
diversité et l’histoire locale de ses régions .
Au sein de l’Union Européenne, les questions patrimoniales sont toujours complexes à traiter. L’UE
souhaiterait pouvoir utiliser les images patrimoniales pour consolider une identité européenne par le
renforcement d’une mémoire commune. Cependant cet enjeux mémoriel est complexe à établir car
le patrimoine est constitutif d’une nation. Il reste indissociable de la souveraineté des États qui y
sont très attachés, ne voulant pas que leur propre identité se dissolve au profit de celle
européenne102
. S’il n’y a pas de label de patrimoine européen, la Liste du patrimoine mondial est à
94 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit.
95 Audrerie, Dominique, La notion et la protection du patrimoine, op. cit.
96 Bady, Jean-Pierre, op. cit.
97 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
98 Traduction : Puissance contraignante, coercition, forte
99 Traduction : Puissance d’influence, douce
100 Cobast, Éric. Les 100 lieux de la culture générale. Presses Universitaires de France, 2018
101 Brianso, Isabelle, op. cit.
102 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit.
27
l’origine de parcours thématiques à travers l’Europe qui permettraient de faire du lien au sein de ce
patrimoine européen et témoigneraient d’une certaine cohérence entre les sites.
Donc l’argument de représentativité et de répartition entre les nations expliquerait certains choix
dans le sens de la labellisation, mais qu’en est-il concernant le report ou le refus d’une inscription ?
En prenant le cas de la cathédrale St-Denis, nous nous sommes interrogés pour savoir pourquoi
cette dernière n’était pas labellisée au patrimoine mondial quand, des consœurs comme Chartres,
Amiens, Notre-Dame de Paris ou encore Reims, le sont. La cathédrale de St-Denis a été ajoutée à la
Liste indicative de la France en 1996 sous les critères (i), (ii) et (iv), soit les mêmes critères que
celle de Chartres. Étant la première cathédrale gothique de France qui a même inspiré Chartres et
étant toute aussi impressionnante que les édifices cités auparavant, elle semblerait correspondre à
l’exigence du critère (i) et (ii). Elle posséderait donc une influence forte et son statut de nécropole
royale française attesterait d’une période significative dans l’histoire humaine correspondant au
critère (iv).
Seulement, « on sait qu’aujourd’hui, il n’y aura pas d’autres cathédrales inscrites en France avant
un certain temps, parce que l’Unesco considère que la Liste est déjà longue et que dans un souci de
diversification de tous les aspects du patrimoine, de toutes les époques il considère que la France,
médiévale religieuse, ça pèse un peu lourd. Il y en a déjà une dizaine : Amiens, Reims, Chartres,
Bourges, Notre-Dame de Paris, Strasbourg, et Albi qui était "limite" parce que c’était encore une
cathédrale française. L’Unesco trouve qu’il y a déjà beaucoup de cathédrales médiévales
françaises inscrites. St-Denis bloque pour son inscription bien qu’elle en ait presque tous les
critères […] Et donc elle couvrirait plusieurs choses, la seule chose qui bloque c’est qu’il y a déjà
trop de cathédrales gothiques, en France mais aussi en Europe »103
.
Nous avons tout d’abord notés que le département de Seine-Saint-Denis fait partie des territoires
français dont les monuments historiques sont le moins classés et inscrits à des labels104
. Quel que
soit le classement, le choix des monuments listés et les techniques de conservation résultent de
décisions d’experts et de politiciens. La culture, comme d’autres domaines, est marquée par des
choix politiques et des réglementations qui peuvent favoriser certains au détriment d’autres105
. Dans
le cas du label de patrimoine mondial, la procédure d’inscription est un acte lourd
administrativement qui demande à être portée au niveau national et local. Avec la complexification
des procédures d’inscription, il faut compter environ deux ans pour monter le dossier de candidature
et ensuite il faut attendre d’être évalué par les différents organes. De plus, l’objectif de
représentativité des diversités culturelles fait qu’un site français ne sera pas évalué en priorité et
donc cela diffère sa présentation devant le Comité de plusieurs années. Ainsi, lors de l’échange
téléphonique réalisé avec le coordinateur de la cathédrale de St-Denis, celui-ci nous a confirmé que
la labellisation au patrimoine mondial du site n’était pas dans les projets immédiats. Bien qu’il ne
dise pas non à une labellisation, la mise en place du dossier apparaît comme trop complexe,
notamment concernant la délimitation de la zone tampon autour du territoire labellisé par rapport
aux bâtiments limitrophes comme celui de la légion d’honneur106
.
103 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, ent. cit.
104 Bady, Jean-Pierre, op. cit.
105 Berliner, David, Istasse Manon, op. cit.
106 Échanges réalisés avec Serge Santos, l’administrateur de la cathédrale basilique de Saint-Denis, le 24 janvier 2020
28
Donc en plus du frein mis à la labellisation de sites occidentaux dans l’objectif de rééquilibrer la
Liste, une candidature nécessite un soutient local et national pour porter un projet d’inscription.
L’augmentation de la difficulté du dossier d’inscription nous apparaît aussi comme un moyen de
limiter les candidatures en décourageant à l’avance les sites. Il demeure que la cathédrale de St-
Denis a été ajoutée par la France qu’en 1996 lorsque déjà plusieurs cathédrales avaient été
labellisées au patrimoine mondial. Nous pouvons alors nous interroger pour savoir si, face à ce
manque de classement global des sites de Seine-Saint-Denis, une aide nationale aurait pu être
réalisée pour soutenir les porteurs du projet. En effet, le fait que la cathédrale ne possède pas le
label tend à souligner les discriminations qu’elle peut subir du fait de sa présence en banlieue et
n’aide pas à améliorer son attractivité face à la concurrence de la renommée des sites parisiens.
Ainsi, l’exemple de la cathédrale de Saint-Denis démontre une limite au label. Un site peut
répondre à tous les critères, mais avoir raté le bon moment pour son inscription. À l’inverse,
certains sites peuvent décider de ne pas adhérer à la Liste du patrimoine mondial car ils refusent
d’être assimilés et comparés à des sites qui n’apparaissent pas exceptionnels à leurs yeux107
.
Politisation de l’Unesco
Du fait de la nature même des problèmes de l’éducation, des sciences et de la culture, l’Unesco était
prédisposée à être entrainée dans des débats d’ordre politique108
. De plus, ces différents moyens
d’actions n’étant pas ses buts en soi mais servant à asseoir la paix, son action est donc
profondément traversée par des enjeux politiques. Ainsi, l’élection du directeur général en 2017 a
reflété les tensions qui peuvent survenir concernant les questions de pouvoir dans ce type
d’organisation internationale. De même que l’Unesco recherche une « juste » répartition des sites
labellisés à travers le monde, elle se doit que les personnes qui travaillent pour elle, proviennent
d’origines variées. L’élection du directeur général de l’Unesco se fait par les 58 membres du conseil
exécutif. Chaque pays et région du monde a alors essayé de tirer son épingle du jeu. Il y a eu une
volonté particulièrement forte de la part des pays arabes d’élire un représentant venant de leur
région puisqu’il n’y en a jamais eu109
. Le processus de vote a été long et très serré, mais face au
candidat qatari, c’est finalement l’ancienne ministre de la culture en France, Audrey Azoulay, qui
est devenue la directrice générale110
. Deux problèmes majeurs sont ressortis de ces tentions lors de
cette élection.
Tout d’abord, l’Unesco a dû réfléchir à certaines de ces actions concernant le problème Israélo-
palestinien, ce qui a affaibli son positionnement diplomatique de neutralité. En 1974, la Conférence
générale a voté des textes condamnant Israël pour ses fouilles à Jérusalem ainsi que pour sa
politique éducative et culturelle dans les territoires arabes occupés et priva l’État hébreu de sa
participation aux activités régionales de l’Unesco111
. De plus, l’organisation a été vue comme anti-
israélienne à cause de l’intégration de la ville de Hébron (Cisjordanie) à la Liste du patrimoine
107 Bourdeau, Laurent, Gravari-Barbas, Maria et Robinson, Mike, op.cit.
108 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. », op. cit.
109 Barthe, Benjamin et Carpentier, Laurent, op. cit.
110 « Unesco : Audrey Azoulay défend sa candidature », France info, 18 mars 2017
111 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. », op. cit.
29
mondial en péril, et en la caractérisant de ville islamique alors que les juifs, dont quelques centaines
y vivent aujourd'hui retranchés au milieu de 200 000 Palestiniens, y revendiquent une présence de
4000 ans112
. De nombreux intellectuels ont réagi en décidant de boycotter l’Unesco jusqu’au
« rétablissement de l’universalité » de celle-ci113
.
La seconde difficulté concerne les enjeux financiers de l’Unesco. Elle a dû tout d’abord faire face à
des problèmes de lobby, d’éthique et de blanchiment d’argent de la part de certains candidats au
poste de directeur général, témoignant des pratiques de corruption très répandues dans certains
pays. Et les différences de financements entre les États rendent la limite entre pot-de-vin et
donations assez floue114
. Le candidat qatari a, en effet souffert d’une accusation de lobby auprès des
pays africains115
.
Concernant le fonctionnement financier de l’Unesco, son budget annuel est de 326 millions d’euros
en 2017. Celui-ci provient des contributions obligatoires des États membres qui sont calculées en
fonction de leur PIB par habitant116
. Selon l’article 168bis des Orientations, « Les États parties
soumettant de nouvelles propositions d’inscription sont censés verser des contributions volontaires
en vue de financer l’évaluation des propositions d’inscription par les Organisations consultatives, en
prenant en compte les coûts moyens des évaluations tels qu’indiqués par le Secrétariat dans le
document relatif au Fonds du patrimoine mondial. » Il n’est cependant pas attendu de contributions
de la part « des États les moins avancés ou à faible revenu (tel que définis par le Comité des
politiques de développement des Nations Unies) et par définition de la Banque mondiale »117
. Ce
même article garantit la neutralité du Comité en affirmant que ces contributions n’auront pas
d’impact sur l’évaluation des sites ou sur leur ordre de priorité118
. Il demeure que l’organisation
internationale est dépendante des financements de ses États membres pour fonctionner, ce qui peut
créer un sentiment d’assujettissement. La menace de faire pression sur les budgets est présente pour
presque tous les États membres119
.
Nous allons à présent nous intéresser plus particulièrement au cas des États-Unis et de leur position
fluctuante au sein de l’Unesco. Alliés de longue date d’Israël, les États-Unis se sont retirés de
l’Unesco en 1984 en réaction au traitement, qu’ils jugeaient politisé, de celle-ci envers l’État
hébreu. De plus, les États-Unis jugeaient que la gestion de l’organisme devenait déficiente
(dispersion et manque de rigueur conceptuelle des programmes, bureaucratie concentrée à Paris au
détriment d'une présence sur le terrain et croissance budgétaire débridée). Au delà des raisons
énoncées, le pays trouvait de manière générale que les Nations Unies n’étaient plus assez pro-
américain dans ce contexte de fin de Guerre Froide120
. Les États-Unis s’étaient retirés des organes
exécutifs mais avaient conservé leur statut d’observateur. En 2003, sous l’administration Bush, le
112 « Israël et les États-Unis quittent l’Unesco », L’Express, 1er
janvier 2019
113 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. », op. cit.
114 Barthe, Benjamin et Carpentier, Laurent, op. cit.
115 Gbadamassi, Falila, « Vote à l’Unesco: l’Égypte accuse le Qatar de corrompre les pays africains », France info, 12
octiobre 2017
116 Barthe, Benjamin et Carpentier, Laurent, « Perdue dans ses multiples missions, l’Unesco cherche sa direction », Le
Monde, 6 octobre 2017
117 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, op. cit.
118 Ibid.
119 Rapport de la 18e
session de l’assemblée générale des États parties, op. cit
120 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. », op. cit.
30
Mémoire - Mélisande Cornec
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Mémoire - Mélisande Cornec

  • 1. Université Paris 8 Institut d’Études Européenne Master 1 Études Européennes et internationales Parcours : Politiques et gestion de la culture en Europe Les enjeux du label du patrimoine mondial de l’humanité Soutenu par Mélisande Cornec sous la direction de Mme Clara Levy 2019-2020 1
  • 2. Remerciements Nous souhaitons remercier notre directrice de mémoire, Mme Clara Lévy pour le suivi de notre mémoire et le temps qu’elle nous a consacré. Nous souhaiterions aussi exprimer notre reconnaissance à l’équipe s’occupant de la cathédrale de Chartres pour son très bon accueil et particulièrement à M. Gilles Fresson avec qui l’entretien a été extrêmement intéressant. Enfin, nous souhaiterions remercier nos parents et nos amies, Valentine et Anthéa, pour leur soutien dans l’écriture de ce mémoire en période de confinement. Crédits des photos sous licence CC-BY-SA 3.0, Bruno Cornec ou Mélisande Cornec, sauf Figure 6. 2
  • 3. Table des matières Introduction..........................................................................................................................................4 I/ Enjeux du processus de labellisation................................................................................................8 A. Notion de patrimoine..................................................................................................................8 L’Unesco : sa création et ses missions........................................................................................8 Création du label et son évolution.............................................................................................10 Histoire du patrimoine en France..............................................................................................12 Patrimoine : au delà de l’esthétique, l’enjeu de mémoire.........................................................14 B. Critères de labellisation.............................................................................................................15 Processus d’inscription à la Liste du patrimoine mondial........................................................16 Valeur universelle exceptionnelle.............................................................................................17 Critères de sélection..................................................................................................................18 Hiérarchisation au sein du label ?.............................................................................................20 C. Aspects internationaux..............................................................................................................24 Enjeu de représentativité du label entre universalité et diversité culturelle..............................25 Répartition entre les nations......................................................................................................26 Politisation de l’Unesco............................................................................................................29 Soft power de l’Unesco : arme de diplomatie ?.........................................................................31 II/ Impacts du label sur les sites culturels...........................................................................................33 A. Enjeux de la conservation du patrimoine..................................................................................33 Protection et gestion des sites...................................................................................................33 Usage des sites..........................................................................................................................36 Peur du déclassement................................................................................................................38 B. Notoriété des sites labellisés.....................................................................................................40 Le label : un gage de qualité.....................................................................................................40 Le label : un choix (déjà) fait pour nous...................................................................................42 Médiation des sites et diffusion aux touristes...........................................................................45 C. Aspects touristiques et économiques.........................................................................................47 Le label : une marque pour l’économie et le tourisme..............................................................47 Financements du patrimoine mondial.......................................................................................48 Changement de priorité du label : de protection à développement économique......................50 Conclusion..........................................................................................................................................54 Annexes :............................................................................................................................................56 Annexe 1 : Critères culturels de labellisation...........................................................................57 Annexe 2 : Somme des critères pour les sites culturels mondiaux...........................................58 Annexe 3 : Sites culturels labellisés en France et leurs critères................................................60 Annexe 4 : Nombre de sites culturels français ayant le critère (i) en fonction des années.......62 Annexe 5 : Données du pourcentage d’États parties en fonction de celui du nombre de sites labellisés....................................................................................................................................63 Annexe 6 : Retranscription de l’entretien avec Gilles Fresson.................................................64 Sources...............................................................................................................................................76 Bibliographie......................................................................................................................................80 3
  • 4. Introduction Qu’est-ce qui rapproche Le Mont St Michel, le Machu Picchu, l’Opéra de Sydney, les pyramides de Gizeh, Le Grand Canyon, Le Havre, l’acropole d’Athènes, Auschwitz Birkenau, la forteresse de Hwaseong, mais encore l’art mongol du chant Khoomei, les repas gastronomiques des français ou la pêche aux crevettes à cheval à Oostduinkerke… ? Tous ces biens pourraient être vus comme n’ayant rien en commun, ce sont des sites, lieux, monuments, traditions, pratiques, appartenant à des pays différents à travers le monde et d’époques extrêmement variées tant passées que contemporaines. Pourtant au-delà de leurs disparités, tous ces biens posséderaient une “valeur universelle exceptionnelle”. C’est dans cet objectif que l’Unesco, une institution spécialisée de l’ONU, les a réunis au sein de la Liste du patrimoine mondial de l’humanité1 , qui rassemble des sites dont la disparition serait une perte pour l’ensemble de l’humanité car « certains biens du patrimoine culturel et naturel présentent un intérêt exceptionnel qui nécessite leur préservation en tant qu’élément du patrimoine mondial de l’humanité toute entière »2 . Si, l’Unesco n’utilise pas directement le terme de labellisation, la classification d’un bien au sein de cette Liste du patrimoine mondial correspond à ce phénomène. Nous utiliserons donc les termes de label et de labellisation car ce sont eux que nous avons le plus retrouvés dans les recherches traitant du patrimoine mondial. Dans son sens générique, un label est défini, selon Le Robert, comme “une marque sur un produit pour en garantir l’origine ou la qualité”. Dans ce cadre-ci, la labellisation d’un bien à la Liste du patrimoine mondial correspond à la reconnaissance de cette valeur universelle exceptionnelle. L’étude de cette Liste et du label qui lui est associé est devenue au fur et à mesure du temps un élément essentiel de ce mémoire, jusqu’à en devenir l’essence même. La raison de notre intérêt envers cette Liste provient d’une grande attache aux lieux labellisés par l’Unesco, qui s’est accentuée au gré de notre expérience touristique en France comme en Europe. Une confiance dans la qualité du label est ainsi née de l’appréciation des aspects esthétiques et apports mémoriels des biens patrimoniaux de cette Liste. Ayant conscience qu’à titre personnel, ce label représentait l’excellence, nous avons souhaité l’analyser pour voir ce qu’il en était réellement. À l’origine, le point de départ de notre réflexion se portait sur la culture européenne, et l’action que l’Unesco, ainsi que le programme Erasmus, pouvaient avoir dans sa construction. Revenant d’une année d’étude à l’étranger, le sujet de la formation de la culture européenne nous était apparu comme très intéressant. Cependant, lors des cours de méthodologie du mémoire, on nous a souligné que ce sujet était bien trop large et qu’il fallait le restreindre à l’étude d’un des deux cas. Nous avons donc choisi de nous concentrer sur l’Unesco et la notion de classification au patrimoine 1 UNESCO, Centre du patrimoine mondial, Liste du patrimoine mondial 2 Unesco, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, Paris, 1972 4
  • 5. mondial qui semblait être un sujet plus réalisable par rapport à l’accessibilité du terrain et à l’importante documentation qui existait déjà sur ce sujet. Nous avons tout d’abord voulu faire une analyse à l’échelle européenne, mais devant les contraintes de temps du master, nous nous sommes recentrés sur l’analyse des sites culturels en France. La première orientation des recherches s’est tournée vers l’impact du label par rapport aux objectifs globaux de l’Unesco de bâtir la paix dans l’esprit des hommes et des femmes. Nous rendant compte que cet impact était très difficilement mesurable et analysable, nous avons changé notre angle d’approche. La nouvelle question de départ devenait donc quels étaient les enjeux d’une labellisation au patrimoine mondial de l’Unesco des sites culturels français, à travers l’étude de certains cas. Comme nous l’avons présenté, le label du patrimoine mondial représente un champ d’étude très large par le nombre de sites labellisés et leur pluralité. Il n’apparaît donc pas réalisable de tous les étudier. Si chaque site rencontre des problématiques qui lui sont propres, il se dégage néanmoins des remises en cause et des questionnements récurrents. Notre champ d’étude s’est ainsi porté plus particulièrement sur le Centre du patrimoine mondial qui est l’organe en charge de la Liste du patrimoine mondial. Au sein des 45 sites labellisés en France, nous nous sommes concentrés sur les sites culturels, laissant de côté les sites naturels et mixtes. Parmi les 41 sites culturels français, nous avions sélectionné la cathédrale de Chartres, le château de Fontainebleau, la cité de Carcassonne et la ville de Lyon, ainsi que la basilique St-Denis en tant que site inscrit sur la Liste indicative de la France. Cette sélection s’est faite par rapport à une volonté d’essayer de diversifier le corpus. Nous avons choisi des sites patrimoniaux proches de la région parisienne pour des questions de praticité mais nous ne voulions pas choisir de lieux trop connus aux abords de Paris (comme le château de Versailles ou les bords de Seine), pour pouvoir avoir une meilleure facilité de contact et analyser des sites hors de cet engouement touristique parisien. Par ailleurs, souhaitant représenter une diversité d’attributions dans le patrimoine, nous avions sélectionné à la fois des sites religieux, dont le culte est toujours la fonction principale, et des lieux profanes, aujourd’hui dédiés aux visites touristiques. L’étude de la ville de Lyon aurait montré un exemple de la labellisation d’un ensemble et non d’un monument unique. Et enfin, la cité de Carcassonne était une illustration intéressante d’un patrimoine très touristique et dont les questions d’authenticité et de protection lors des travaux de Viollet-le-Duc font encore débat. De plus, ce sont des sites que nous avions déjà visités et qui, à titre personnel, nous avaient plu, tant dans leurs aspects artistiques, que par le témoignage historique qu’ils apportent. C’est donc aussi avec un regard de touriste et de consommateur de lieux labellisés que cette première sélection a été réfléchie. La définition du terrain et le choix de méthodologie étant étroitement liés aux difficultés rencontrées, nous traiterons donc ces points ensemble. Ce mémoire comportant une grande partie conceptuelle et documentaire, les lectures, ouvrages scientifiques, littératures grises et rapports constituent une part conséquente de nos recherches. Nous avons complété celles-ci avec des observations non-participantes de la cathédrale de Chartres, de la basilique St-Denis ainsi que des visites de sites labellisés effectués auparavant. Cela est enrichi de quatre entretiens semi-directifs que nous avons réalisés et d'un échange téléphonique. 5
  • 6. L’une des difficultés majeures de ce mémoire a été la définition précise d’un sujet et d’un terrain, car le label du patrimoine mondial de l’Unesco englobe énormément d’enjeux et est étroitement relié à de nombreux sujets. Il nous a donc fallu une période de temps assez conséquente pour percevoir ces divers enjeux et déterminer les questions que nous souhaiterions poser lors d’entretiens. S’ajoutant à ce délai, la prise de contact avec les personnes ressources des sites a été compliquée. Nous avons sous-estimé la difficulté à trouver les personnes qui seraient à même de nous répondre ainsi que le temps nécessaire pour entrer en contact avec celles-ci. Par exemple, lors du contact avec le Centre du patrimoine mondial, les mails sont restés sans réponse et les personnes dont nous avons réussi à avoir les numéros de téléphone ne nous ont jamais répondu. En réalisant la difficulté d’avoir des entretiens, nous avons, au fur et à mesure, décidé de nous recentrer uniquement sur la cathédrale de Chartres et le château de Fontainebleau, avec qui des échanges avaient commencé à se former. Cependant, suite au confinement, nous avons dû réduire le terrain à la cathédrale de Chartres, ne pouvant nous rendre au château de Fontainebleau comme nous l’aurions souhaité. Cette appellation de valeur universelle exceptionnelle est extrêmement large et pose le problème de l’attribution d’une telle qualité. Comment déterminer quel site mérite ce qualificatif ? Il faut à la fois déterminer ce qui est exceptionnel, par rapport à quoi cela peut l’être, mais aussi déterminer quand cela peut avoir un impact de façon universelle. Si le Centre du patrimoine mondial a un parti pris assez inclusif à ce propos, il a néanmoins déterminé des critères pour la labellisation qui méritent une analyse car, à leur tour, ils laissent place à un grand degré d’interprétation. De plus, cette notion de patrimoine mondial est assez complexe à définir, ce qui se ressent dans la variété de sites représentés dans cette Liste. « Le patrimoine est perçu comme un bien reçu et à transmettre, dont la propriété n’est pas exclusive d’une personne ou d’une famille, mais intéresse tout le groupe social. Il matérialise en quelque sorte un passé à sauvegarder pour le présent et à l’avenir »3 . Donc le patrimoine mondial serait un héritage à transmettre de génération en génération, cette richesse étant commune à tous les habitants de la planète. Il serait considéré comme un bien public global, dès lors que ses bénéfices et ses coûts s’étendent à tous les pays, toutes les populations et toutes les générations4 . Il ne serait alors plus question de privé ou de public, de familial ou de national, mais d’un patrimoine qui appartiendrait à tout un chacun. Ce statut de bien commun de l’humanité, par l’appartenance de ce patrimoine à tous, soulève par conséquent des questions de responsabilité. En tant que bien commun, un site ne serait plus seulement de la responsabilité d’un État dont il serait dans le territoire géographique, mais de celle de tous, ainsi que le serait la protection des océans ou de l’écosystème. L’Unesco a donc dû prendre en compte ces questions d’interventions extérieures des États les uns envers les autres et chercher un équilibre entre la protection des sites labellisés et l’ingérence dans le contrôle des territoires des États. En effet, l’amélioration de la protection des sites est l’un des objectifs de la labellisation, mais ceci est confronté au développement du tourisme qui a un impact directement sur les alentours du lieu et par conséquent sur sa gestion. Ainsi, l’ambition du label oscille entre conservation et protection des 3 Audrerie, Dominique, Questions sur le patrimoine, éditions confluences, 2003 4 Benhamou, Françoise. « VI. Le patrimoine, bien public global », Françoise Benhamou éd., Économie du patrimoine culturel. La Découverte, 2019, pp. 97-110. 6
  • 7. sites, tout en servant de mise en valeur du patrimoine et de sa renommée, devenant alors un acteur économique et touristique. Notre étude se concentrera donc sur les enjeux et impacts du label du patrimoine mondial de l’humanité. Pour cela, nous nous intéresserons tout d’abord aux enjeux du processus de labellisation puis dans un second temps nous traiterons des impacts du label sur les sites culturels. 7
  • 8. I/ Enjeux du processus de labellisation Telles les sept merveilles du monde, l’Unesco a rassemblé au cours de ces quarante dernières années des biens de tout horizon pour former une Liste très hétéroclite représentant l’excellence patrimoniale à travers le monde. Il s’agira tout d’abord de revenir sur l’histoire de cette institution et sur la création du label. Dans un second temps, nous aborderons le choix des critères d’attribution du label. Enfin nous évoquerons les aspects internationaux. A. Notion de patrimoine L’Unesco : sa création et ses missions L’Unesco, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, est l’une des quinze institutions spécialisées des Nations Unies (ONU). Sa création se veut être dans la poursuite de la SDN, la Société des Nations, qui possédait déjà une institution de collaboration pour l’élite artistique et scientifique: l’Institut international de coopération intellectuelle5 . Ainsi, en 1945, lors de la signature de la Charte des Nations Unies, l’article 57 bâtit les prémices d’une agence spécialisée dans le domaine de l’éducation et de la culture. Elle vit le jour le 4 novembre 1946 avec la ratification de l’Acte constitutif de l’Unesco par vingt pays6 . La création de l’Unesco répond à une conviction forte des États qui est que les accords économiques et politiques ne peuvent suffire à construire une paix durable. Celle-ci doit s’établir sur les fondements de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité. Ainsi, selon son acte constitutif, l’Unesco doit « contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que la Charte des Nations unies reconnaît à tous les peuples »7 . L’Unesco est animé par la formule de Paul Valéry, selon laquelle « les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, [c’est] dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix »8 . Au cours de ses premières années d’existence, l’Unesco a contribué à la reconstruction d’écoles, de bibliothèques et de musées détruits pendant la Seconde Guerre mondiale et a servi de forum intellectuel international pour l’échange d’idées et de connaissances scientifiques9 . Les missions de l’Unesco pour la promotion de la paix sont donc très variées s’exprimant dans les domaines de l’éducation, des sciences, de la culture, la communication et l’information10 . Dans ce travail nous allons nous concentrer sur les actions dans le domaine de la culture. Pour cela il faut tout d’abord revenir sur la définition qu’a l’Unesco de celle-ci. Comme le souligne Isabelle Brianso 5 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. », Encyclopædia Universalis 6 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, Ed. UNESCO, 2017 7 Acte constitutif, « Convention créant une Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture » 8 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. » op. cit. 9 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit. 10 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit. 8
  • 9. la considération de l’Unesco envers la culture renvoie à une vue d’ensemble de la culture en tant que société qui place l’homme au cœur de cette construction par de multiples approches croisées11 . Cette vision suit une conception anthropologique inclusive de la culture où celle-ci se rapproche de la notion de civilisation. C’est ainsi que, dans son ouvrage Primitive Culture, Edward Tylor la définit comme cette « totalité complexe qui comprend les connaissances, les croyances, les arts, les lois, la morale, la coutume, et toute autre capacité ou habitude acquise par l’homme en tant que membre de la société »12 . C’est lors de la Conférence mondiale sur les politiques culturelles à Mexico que l’Unesco délivre sa propre définition en disant que : « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. »13 . Cette conférence a eu lieu en 1982 durant les débats concernant la place de la culture dans l’économie à l’heure de la mondialisation. Cette déclaration marque donc le positionnement de l’Unesco en faveur des diversités culturelles, terme qu’elle reprit en 2005 en étant l’instigateur de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Le principe de diversité culturelle s’appuie sur une résistance à la standardisation des contenus et des formes artistiques et culturelles. Cette notion va dans le sens de la défense des minorités14 . L’idée du patrimoine mondial, déjà présente avant 1939, est reprise par l’Unesco dès les années 1950. Elle est consacrée le 16 novembre 1972, lors de la conférence générale de Paris qui adopte la Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel qui est un traité international exceptionnel marquant la création de ce nouveau concept de patrimoine mondial15 . Si le concept est bien nouveau, les fondements d’un rassemblement autour des questions de patrimoine avaient déjà connu deux dates clés : la première, est la conférence internationale consacrée aux monuments historiques à Athènes, en 193116 qui a lancé l’idée d’une coopération intellectuelle pour dégager un patrimoine commun à tous les peuples. Elle a incité les pays à se doter de législations nationales en la matière17 . La deuxième, est la ratification de la Charte de Venise suite au second Congrès international des architectes et techniciens des monuments historiques en 196418 . Cette dernière pose les principes globaux destinés à régir les pratiques de conservation et de restauration des monuments et sites qui sont toujours en vigueur aujourd’hui. Mais au-delà des aspects techniques la charte aborde des valeurs humanistes et spirituelles qui font que, grâce à leurs témoignages vivants, les œuvres peuvent être considérées par l’humanité comme un « patrimoine commun »19 . 11 Brianso, Isabelle, « La médiation culturelle appliquée aux sites du patrimoine mondial. Vers une pédagogie interculturelle », Les nouveaux enjeux des politiques culturelles, Dir. Saez, Guy et Saez, Jean-Pierre, Collection « Recherches », Série « Territoires du politiques », Éditions La Découverte, 2012 12 Edward Burnett Tylor, Primitive Culture, rééd. New York, Harper Torchbooks, 1958 13 Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles. Conférence mondiale sur les politiques culturelles, Mexico City, 26 juillet - 6 août 1982. 14 Cours de Élodie Bordat-Chauvin, Politique culturelle en France, dans le cadre du Master Politiques et gestion de la culture en Europe, délivré au 2nd semestre 15 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, Presses universitaires de Rennes, 2014 16 Audrerie, Dominique, Questions sur le patrimoine, op. cit. 17 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 18 Ibid. 19 Ibid. 9
  • 10. À l’issu de ces congrès, se sont développés certains principes fondateurs patrimoniaux ayant nourri le principe de patrimoine mondial et permettant une homogénéité de pratiques pour les pays signataires de ces chartes. Ainsi, selon Piero Gazzola, menant la rédaction de la charte de Venise, « la finalité de la sauvegarde ne se justifie pas au premier chef par l’usage ou la beauté d’un édifice, mais par son message culturel et spirituel ». Il sème donc les prémices de critères culturels qui seraient autres que artistiques ou esthétiques. L’Unesco approfondit donc ces principes établis dans ces chartes en décidant « de ne plus édicter et de diffuser des principes de restauration plus ou moins admis par les différentes nations de la planète, mais d’instaurer un corpus de chefs-d’œuvre de rang universel »20 . La Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (ci-après appelée Convention) s’applique pour les 191 États qui l’ont ratifiée à ce jour21 . Son but est d’encourager l’identification, la protection et la préservation du patrimoine culturel et naturel doté d’une valeur exceptionnelle pour l’humanité où que ce soit dans le monde. La responsabilité suprême de la conservation des sites incombant aux États, l’Unesco ne peut que superviser, fournir son soutien technique et partager ses connaissances avec les signataires22 . Les missions de l’Unesco sont en lien direct avec les États et non avec leur patrimoine. L’organisation peut ainsi les encourager à proposer des biens pour la labellisation, à élaborer des plans de gestion, à une coopération internationale, à faire participer des populations locales23 … Il apparaît donc très vite que le fonctionnement de la Liste dépend de l’investissement et du bon vouloir des États membres. Nous reviendrons plus loin sur les enjeux d’intervention de l’Unesco sur le patrimoine et les actions réalisées par les États membres. Lorsqu’il s’agit du domaine culturel, la plus grande action de l’Unesco est réalisée par l’intermédiaire du Centre du patrimoine mondial. En effet, si l’on parle du « patrimoine mondial de l’Unesco » cela est en réalité un abus de langage collectif puisque la Convention s’est élaborée comme un système juridiquement détaché de celui de l’organisation internationale24 . Le Centre du patrimoine mondial constitue une unité administrative de l’organisation, qui bénéficie d’une certaine « flexibilité opérationnelle sur le plan administratif et financier »25 . Elle possède, en effet, sa propre instance exécutive : le Comité du patrimoine mondial, dont l’action est au cœur du processus de labellisation sur lequel nous allons nous pencher. Création du label et son évolution Comment est-on passé de 12 biens labellisés en 1978 à, aujourd'hui, plus d’un millier ? En effet, à l’heure actuelle la Liste du patrimoine mondial comporte 1121 biens labellisés dont 869 culturels, 213 naturels et 39 mixtes (c’est-à-dire étant labellisés à la fois pour des critères culturels et 20 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 21 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit. 22 Le Patrimoine mondial de l’UNESCO, Éditions Ouest France, 2016 23 Le Patrimoine mondial de l’UNESCO, op. cit. 24 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 25 Bories, Clémentine, « La convention du patrimoine mondial à l’aube de son 40e anniversaire: un colosse aux pieds d’argile? », Annuaire Français du Droit International, 2010 p.139-165 10
  • 11. naturels), au sein des 167 États parties2627 . Cette évolution a été marquée par des étapes fortes sur lesquelles nous allons revenir. L’un des évènements fondateur de la Liste qui est cité régulièrement comme un exemple de réussite du label est la campagne internationale pour les temples d’Abou Simbel en Égypte. Dans les années 1960 le projet de construction du barrage d’Assouan menaçait d’inonder la vallée où se trouvaient ces temples datant de la civilisation de l’Égypte ancienne28 . Ce sont la Syrie, le Yémen et l’Égypte qui ont sollicité l’aide de l’Unesco en 1958 pour trouver une solution à la perte de ces monuments. Nous retrouvons ici, une problématique récurrente des enjeux de préservation et de sauvegarde du patrimoine qui est de trouver l’équilibre entre la protection des biens et le développement urbain, économique et social des pays. L’Unesco a donc lancé une campagne internationale avec le projet d’envergure de combiner le barrage avec la sauvegarde des sites. Grâce aux 80 millions de dollars US donnés par une cinquantaine d’États membres, la recherche archéologique dans les zones qui allaient être inondées a pu s’accélérer et les temples d’Abou Simbel et de Philae ont été démontés, déplacés et réassemblés29 . Cette campagne qui s’est poursuivie jusqu’en 1980 a démontré l’importance d’un partage des responsabilités entre pays pour préserver des sites culturels exceptionnels. Suite à cela d’autres campagnes de sauvegarde patrimoniale ont eu lieu comme à Venise et Florence en 1966 pour palier les dommages catastrophiques causés par des inondations ; à Mohenjo Daro au Pakistan ou encore à Borobudur en Indonésie30 . C’est donc fort de ces réussites que la Convention du patrimoine mondial a été conçue dans l’objectif de fonder une action de protection internationale du patrimoine culturel. Nous parlons du patrimoine culturel car il a été le premier type de patrimoine a être inscrit sur la Liste. L’ajout du patrimoine naturel vient des États-Unis, qui, lors d’une conférence à la Maison- Blanche en 1965, ont demandé la création d’une « Fondation du patrimoine mondial » afin de protéger « les lieux, les paysages et les sites historiques les plus extraordinaires pour le présent et l’avenir de toute l’humanité ». En 1972, cette proposition a été présentée à la Conférence des Nations unies sur l’Environnement humain à Stockholm et la reconnaissance du patrimoine naturel a été prise en compte dans l’adoption de la Convention en 1972. Celle-ci rappelle l’interaction entre l’être humain et la nature, et la nécessité fondamentale de préserver l’équilibre entre les deux31 . 26 Cette dénomination d’États parties correspond aux États membres de la Convention, nous l’utiliserons donc comme un synonyme tel que l’Unesco l’utilise. 27 UNESCO, Centre du patrimoine mondial, Liste du patrimoine mondial 28 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit. 29 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 30 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit. 31 Ibid. 11 Figure 1: Site d'Abou Simbel
  • 12. On lit dans les « considérants » de la Convention du patrimoine mondial que « la dégradation ou la disparition d’un bien du patrimoine culturel et naturel constitue un appauvrissement néfaste du patrimoine de tous les peuples du monde », ce qui justifie la nécessité de sauvegarder « ces biens uniques et irremplaçables à quelque peuple qu’ils appartiennent », « en tant qu’éléments du patrimoine mondial de l’humanité tout entière »32 . Les biens culturels et naturels sont donc considérés comme devant tous deux être protégés de manière équivalente. Cela ne concerne pas uniquement le patrimoine tangible, mais aussi le patrimoine immatériel. Cette prise en compte de celui-ci au sein du label vient d’une initiative du Japon. En effet, dans la culture nippone une grande place est attribuée aux traditions et à la transmission de savoirs et de savoir-faire ancestraux qui sont pour eux un patrimoine essentiel de leur nation et de leur identité au même titre que le patrimoine bâti ou naturel. C’est donc dans la continuité de cet élargissement de la notion de patrimoine que le Comité du patrimoine mondial a adopté en 1994, la déclaration de Nara. Ce document amorce une première étape vers la définition du patrimoine immatériel, en admettant l’existence de valeurs spécifiques, propre à chaque contexte culturel. En 2003, le Comité du patrimoine mondial adopte la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel au sein de sa Convention et donne 5 domaines d’excellence où il se manifeste : les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine culturel immatériel, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et évènements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’universel et les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel33 . Les possibilités d’inscription sur la Liste du patrimoine mondial se sont alors multipliées car toute société au monde possède sa propre culture, se caractérisant par un groupe, des pratiques34 … Le label doit donc trouver un équilibre entre son objectif d’universalité et la sauvegarde de la diversité culturelle qui est devenue l’une des priorités de la coopération internationale. Histoire du patrimoine en France La France est le 4ème pays au monde en nombre de sites labellisés au patrimoine mondial de l’Unesco après l’Espagne, la Chine et l’Italie, première avec ses 53 sites. La France possède actuellement 45 biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial dont 39 culturels, 5 naturels et un mixte35 . Elle demeure, par ailleurs, le pays le plus visité aux monde avec plus de 89 millions de touristes étrangers recensés en 201736 . Ainsi, un lien semble s’établir entre sa capacité d’attraction et son patrimoine. En effet, la France est le premier pays à avoir apporté une attention forte à son patrimoine au nom de l’intérêt général. Dès la révolution française les prémices des notions de conservation et de 32 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, op. cit. 33 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 34 Warnier, Jean-Pierre. « Introduction / Malaise dans la mondialisation », Jean-Pierre Warnier éd., La mondialisation de la culture. La Découverte, 2017, pp. 3-16. 35 Unesco, Culture, Centre du patrimoine mondial, les États parties, France 36 « Tourisme: la France demeure le pays le plus visité », Air Journal, 19 mai 2019 12
  • 13. préservation d’un patrimoine sont apparues. De 1837 à 1860, à l’initiative de Guizot et Mérimée, une première ébauche de Liste du patrimoine français est réalisée sous la direction de chaque préfet sur son territoire. Ils doivent faire connaître les monuments de leurs départements, les classer par ordre d’importance et indiquer les sommes nécessaires pour les conserver ou les remettre en état37 . On passe alors de la notion de collection pour le plaisir personnel, qui existait déjà dans les familles aisées et nobles, à celle de protection pour un enjeu de mémoire et de biens collectifs à l’échelle d’une nation. Six critères sont établis pour déterminer le patrimoine français qui mériterait une protection et une préservation : le caractère artistique, le pittoresque, l’historique, le légendaire, le naturel et l’intérêt architectural. S’est alors développée une administration spécialisée qui a la double mission de recenser le patrimoine et d’en assurer la surveillance. C’est de la publication de cette Liste recensant le patrimoine français qu’est né le tourisme culturel en France38 . Les questions de restauration ont cependant fait débat. Nous pouvons constater que de tout temps certains aimeraient que l’on donne plus de financement pour réaliser des travaux de restauration d’envergure des monuments. Nous pouvons donner l’exemple de Notre-Dame de Paris dont la restauration effectuée par Viollet-le-Duc a permis de sauver l’édifice qui sans actions rapides aurait fini sûrement par tomber en ruine. Le problème de bâtiments aussi imposants, c’est qu’ils nécessiteraient un financement très important, en une seule fois, plutôt que de multiples sommes qui ne traiteraient pas les problèmes de fonds et qui ne feraient que retarder le délabrement de l’édifice. C’est la thèse que porte Viollet-le-Duc en faveur de la restauration des cathédrales : « il est peu de dépenses aussi fructueuses que celles-ci ; elles conservent des monuments dont l’utilité ne sera jamais contestée par la masse saine de la population ; elles perpétuent des œuvres d’art prodigieuses ; elles forment des ouvriers excellents, intelligents, habiles et familiarisés avec la difficulté de l’art et bâtir ; elles attirent des étrangers dans nos villes, forment des foyers d’instruction au milieu de chaque département ; elles entretiennent une rivalité de perfection entre les arts nouveaux et les arts anciens, ce qui est, en construction du moins, une cause active de progrès, car on devient bon constructeur qu’après avoir longtemps observé et longtemps comparé. »39 . Il obtient en partie gain de cause lorsqu’on lui accorde la centralisation des crédits sur les grandes restaurations spectaculaires. Mais même les opérations d’envergure ne sont pas toujours synonymes de réussite et de nombreuses déceptions ont eu lieu concernant des architectes chargés des restaurations. Nous pouvons citer l’exemple du démontage de la tour Nord de la basilique Saint- Denis lors de la restauration par l’architecte Debret en 184740 . Déstabilisées par de multiples tornades, la flèche puis la tour ont été démontées. Suite à des péripéties le projet de restauration n’eut pas de suite, et la tour resta démontée. Le fait qu'aujourd'hui des actions de mécénats conséquentes ont été réalisées pour rebâtir la tour viennent étayer la thèse de Viollet-le-Duc. Par la suite les lois qui se sont succédé en France sont toujours allées dans le sens d’une plus grande protection et surveillance du patrimoine. Ainsi, la loi de 1913 crée une classification des monuments historiques. Son objectif est de sélectionner un nombre limité de monuments dont l’intérêt exceptionnel justifiait des mesures de sauvegarde particulièrement contraignantes. Dans ce cas-là, 37 Bady, Jean-Pierre, Les monuments historiques en France, Presse universitaire de France, Que sais-je, 1998 38 Audrerie, Dominique, La notion et la protection du patrimoine, Presse universitaire de France, Que sais-je, 1997 39 Viollet-le-duc, Revue de l’architecture et des travaux publics, « Entretien et restauration des cathédrales de France », 1851 40 Seine Saint-Denis Tourisme, « Remontage de la flèche de Saint-Denis » 13
  • 14. l’État pourrait se substituer au propriétaire d’un monument historique classé pour procéder d’office à des travaux de restauration41 . Cette Liste est donc, à l’échelle française, précurseur de la Liste du patrimoine mondial. Allant toujours dans le sens d’une plus grande protection, en 1962, la loi Malraux établit une protection pour le patrimoine urbain dans son ensemble. Cette décision va contre le courant de l’urbanisme de l’époque qui consistait à raser puis reconstruire de façon moderne. Elle montre que les quartiers anciens sont des lieux cohérents, qui ne se limitent pas au principaux monuments que l’on peut y trouver. La ville est faite avec l’accumulation d’architectures, ordonnée par l’histoire et cet ensemble est un patrimoine en soi. La loi a élaboré un plan de sauvegarde immeuble après immeuble pour savoir ce qu’il fallait démolir, conserver, reconstruire, tout cela à la charge de l’État. Cela a permis de conserver les centres villes anciens et « à travers eux, les villes ont voulu souligner leur identité culturelle »42 . Patrimoine : au delà de l’esthétique, l’enjeu de mémoire En effet, en France le classement des sites est perçu, non comme uniquement la mise en avant des édifices remarquables, mais davantage comme celle des lieux de mémoire dont on cherche à éviter la disparition43 . Le balancement entre mémoire et esthétisme artistique a eu lieu tantôt dans un sens tantôt dans l’autre. Un monument se définit, comme tout artefact édifié, par une communauté d’individus pour se remémorer ou faire remémorer à d’autres générations, des personnes, des évènements, des sacrifices, des rites ou des croyances. C’est sa fonction philosophique qui constitue l’essence du monument. Le mot a dérivé vers des valeurs esthétiques et prestigieuses à la Renaissance avec la grande place qui a été attribuée aux arts, ce qui a conduit a une diminution de la fonction mémorielle44 . Aujourd’hui, la Liste du patrimoine mondial désigne un héritage commun de l’humanité dont la mémoire est un facteur essentiel de l’identité et de la créativité de l’homme45 . Le mot patrimoine a développé un sens englobant permettant, par une compréhension pluridisciplinaire, de désigner les productions humaines les plus variées46 . En effet, le patrimoine détient de la valeur en tant qu’objet d’art mais au-delà de ces critères esthétiques, sa valeur s’exprime par sa qualité de témoin historique, culturel et de civilisation d’une époque. Ainsi, « le patrimoine tangible tire de la valeur de sa dimension intangible. »47 Ce témoignage qu’il apporte comporte aussi une forte dimension morale. Dans un contexte de mondialisation qui a tendance à effacer les différences culturelles entre les pays, le patrimoine permet aux nations de se raccrocher à leur culture, leur langue, leur héritage et leur richesse nationale. La crise d’identité rend plus urgent le maintien de souvenirs48 . La qualité d’un site devient donc encore plus complexe à définir puisqu’elle est étroitement liée à la dimension morale, aux valeurs et à l’histoire qu’il transmet. Dans les périodes de crises et de réflexions 41 Audrerie, Dominique, La notion et la protection du patrimoine, op. cit. 42 Ibid. 43 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 44 Choay, Françoise, L’allégorie du patrimoine, La couleur des idées, Seuil, 1992 45 Benhamou, Françoise, op. cit. 46 Leniaud, Jean-Michel, « PATRIMOINE, art et culture », Encyclopædia Universalis 47 Benhamou, Françoise, op. cit. 48 Audrerie, Dominique, La notion et la protection du patrimoine, op. cit. 14
  • 15. identitaires face à des grands enjeux comme le nationalisme, un retour aux racines est recherché par une part de la population, qui se retrouve aussi dans le fait de privilégier certaines formes de tourismes à d’autres49 . L’un des exemples forts de lieux de commémoration est le cas d’Auschwitz-Birkenau. Le site est incontestablement un lieu fort de mémoire pour l’humanité. « Auschwitz a été classé assez tardivement, car on s’est aperçu que les critères de beauté, de génie esthétique étaient réducteurs, et qu’un site qui en dit autant sur l’aventure humaine, il faut y aller, [le classer] »50 . Le problème qui est apparu est que la Liste du patrimoine mondial vise à souligner les réalisations positives de l’humanité, même si ce n’est pas explicitement établi. La question s’est alors posée pour intégrer ce type de lieux de mémoire tout en ne surchargeant pas la Liste de biens du « patrimoine sombre ». Ainsi, Auschwitz fait acte de lieu représentatif de la tragédie de l’Holocauste et de tous les autres camps de concentration et d’extermination qui existent51 . « La force du patrimoine est telle que sa destruction revient à détruire ce qu’il représentait »52 . Cette affirmation, Dominique Audrerie l’éclaire d’exemples de nombreux vandalismes historiques qui ont eu lieu contre des lieux de mémoire. Lorsque l’on veut effacer le passé, on s’en prend à leur trace historique, c’est-à-dire au patrimoine, comme cela a eu lieu durant la révolution française contre les symboles de pouvoirs royaux et religieux ou de façon plus contemporaine avec les campagnes de destruction de Mao Zedong, de Pol Pot ou de Daesh à Palmyre. Il apparaît ainsi que le patrimoine est venu rejoindre « l’identité » et la « mémoire », puisqu’il est un moyen qui nous relie à ces deux termes. Les enjeux mémoriaux des sites culturels ont donc été au cœur des réflexions de labellisation et ont nourri celles sur l’universalité possible du label. B. Critères de labellisation Lorsque des sondages sont réalisés par des journaux auprès d’habitants pour savoir si un site mérite d’être inscrit au patrimoine mondial, ce processus est en réalité complètement biaisé. Comme nous l’avons souligné, ce label a pour but de souligner la qualité universelle d’un site, donc sonder les habitants d’une région ou d’un pays ne serait pas représentatif de cette volonté. De plus, comme nous allons l’aborder, l’avis des habitants, ne rentre pas en compte dans le processus de labellisation. S’ouvre alors la problématique de la représentativité de ce label, déclarant une valeur universelle, alors que la décision finale appartient au Comité du Centre du patrimoine mondial. Quels sont alors les processus internes d’élaboration de ce label ? Nous allons donc aborder les démarches d’inscription à la Liste, nous traiterons ensuite de la question de la valeur universelle exceptionnelle, puis nous nous intéresserons aux critères définis pour l’adhésion à la Liste du patrimoine mondial. 49 Audrerie, Dominique, Questions sur le patrimoine, éditions confluences, 2003 50 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, coordinateur de la cathédrale de Chartres, le 28 février 2020 51 Brumann, Christoph, « Comment le patrimoine mondial de l’Unesco devient immatériel », Gradhiva, 2013 52 Audrerie, Dominique, Questions sur le patrimoine, éditions confluences, 2003 15
  • 16. Processus d’inscription à la Liste du patrimoine mondial Le processus d’inscription de tout bien commence par son ajout sur la « Liste indicative ». Chaque État membre de l’Unesco doit référencer dans cette Liste tout bien qu’il souhaiterait voir labelliser et dont il pense qu’il répond au prérequis de valeur universelle exceptionnelle. Ce sont donc les États qui décident en premier lieu des biens qui pourront être labellisés. Mais, seuls les États ayant signé la Convention du patrimoine mondial et donc, s’étant engagés à respecter leur patrimoine naturel et culturel, peuvent soumettre des propositions de labellisation53 . Selon l’article 11 de la Convention « Chaque État doit soumettre un inventaire des biens du patrimoine culturel et naturel situés sur son territoire et susceptibles d’être inscrit sur la Liste […] Cet inventaire [Liste indicative], qui n’est pas considéré comme exhaustif, doit comporter une documentation sur le lieu des biens en question et sur l’intérêt qu’ils présentent »54 . Pour chaque bien inscrit sur cette Liste indicative, l’État doit fournir un dossier de proposition d’inscription. Ce dernier doit comporter une délimitation précise du bien, une description de celui-ci comportant son histoire et ses aménagements, une justification d’inscription indiquant clairement les critères selon lesquels le bien posséderait une valeur universelle exceptionnelle. À cela s’ajoute le besoin de justifier de l’intégrité et de l’authenticité du site, de son importance dans un contexte national et international ainsi que de tous les éléments à prendre en compte dans la protection et la conservation du site, c’est-à-dire tout facteur ou menace pouvant affecter le bien. Enfin, l’élaboration d’un plan de gestion est maintenant obligatoire pour l’inscription d’un bien sur la Liste. Il consiste à détailler les mesures législatives, ou à caractère réglementaire, contractuelles, de planification, institutionnelles et/ou traditionnelles qui s’appliquent le plus précisément à la protection du bien et fournir une analyse détaillée du fonctionnement effectif de cette protection, selon l’article 132 des Orientations devant guider la mise en œuvre du patrimoine mondial55 . Si le dossier est considéré comme complet par le Centre du patrimoine mondial, il l’envoie alors à l’organisation consultative compétente pour son évaluation. L’Unesco travaille avec trois organisations consultatives externes : l’une pour les biens culturels, L’ICOMOS (International Council on Monuments and Sites), une autre pour les biens naturels, l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) et enfin avec l’ICCROM, le (International Center for the Study of the Preservation and the Restoration of Cultural Property), qui fournit un avis pour toutes les questions de conservations et de préservations des sites56 . Ces organismes sont chargés d’évaluer la valeur universelle exceptionnelle, les conditions d’intégrité et d’authenticité des biens proposés, ainsi que de vérifier qu’ils satisfassent les exigences de protection et de gestion57 . À ce jour, seuls ces trois organismes ont été sollicités par le Centre du patrimoine mondial, mais il peut requérir l’opinion d’autres experts s’il le souhaite. Après que les organismes ont rendu leurs avis, c’est au Comité du patrimoine mondial que revient la décision de labelliser ou non le site. Tel qu’il est institué par l’article 8 de la Convention, le dénommé « Comité du patrimoine mondial »58 , est 53 UNESCO, Centre du Patrimoine mondial, « Propositions d’inscriptions à la liste du patrimoine mondial » 54 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, op. cit. 55 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial 56 UNESCO, Centre du Patrimoine mondial, « Propositions d’inscriptions à la liste du patrimoine mondial » 57 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, op. cit. 58 De son nom complet : Comité intergouvernemental de la protection du patrimoine mondial culturel et naturel de valeur universelle exceptionnelle 16
  • 17. chargé d’établir la Liste du patrimoine mondial. Il est composé de 15 États, élus par l’ensemble des signataires de la Convention, réunis en assemblée générale au cours de sessions ordinaires de la Conférence générale de l’Unesco59 . Le Comité se base sur les critères détaillés dans le document des Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial et les critères peuvent être révisés régulièrement par le Comité pour rester en phase avec l’évolution du concept même de patrimoine mondial, comme cela a été le cas pour la prise en compte du patrimoine immatériel. La procédure d’inscription demeure un processus complexe et les difficultés rencontrées avec certaines propositions d’inscriptions problématiques ont conduit à la création, en 2010, d’un nouveau concept de processus en amont. Son objectif est de permettre aux Organisations consultatives et au Secrétariat de fournir directement aux États parties un soutien préalable sous la forme de conseils, de consultations et d'analyses, avant la préparation ou la soumission d'une proposition d'inscription. L’augmentation du nombre de demandes d’assistances de la part des États ont institutionnalisé ce processus en amont qui a été intégré par le Comité dans les Orientations en 201560 . Valeur universelle exceptionnelle Il s’agit là de l’essence même de ce label tout en étant l’une de ses limites. L’exceptionnalité dans cette notion découlerait de la hiérarchisation des biens entre eux à travers le monde et l’on ne sélectionnerait que ceux qui se démarqueraient particulièrement. L’objectif de l’universalité est « d’identifier des lieux qui, d’une certaine manière, racontent le génie de l’humanité, mais en essayant d’être supra-national. Ce n’est pas le génie de la France, de l’Égypte ou de telle ou telle communauté, c’est le génie de l’humanité, ça sous-entend ce qui unit les hommes. L’humanité c’est ce qui dépasse les singularités culturelles, singularités nationales »61 . Ainsi, la notion de diffusion et de rayonnement au-delà de son propre pays est importante pour pouvoir essayer d’évaluer la valeur mondiale d’un bien. L’inscription à la Liste et donc l’attribution de cette valeur universelle exceptionnelle reconnaît par conséquent que chaque bien inscrit est équivalent et comparable entre eux selon la Convention. Cette affirmation a soulevé des débats principalement par rapport à la comparaison entre des sites culturels et naturels qui peuvent être extrêmement différents62 . La valeur exceptionnelle d’un parc national qui représente l’apothéose de la nature sur terre et la valeur exceptionnelle d’un site culturel qui représente l’apothéose de la création humaine sont-ils vraiment comparables ? Cela nous amènerait à nous interroger sur l’analogie possible entre un site désiré, conçu et réalisé par les hommes et un autre qui est à la fois le fruit du hasard, tout en étant absolument unique au monde. La notion d’universalité est d’autant plus complexe qu’elle n’a pas toujours eu le même sens. En effet, après l’adoption du document de Nara au Japon en 1994, la notion de patrimoine mondial a changé au sein de l’Unesco avec la prise en compte du patrimoine immatériel comme nous l’avons vu. Mais cela a aussi eu des conséquences sur l’universalité qui prévalait depuis 1972, qui a cédé sa 59 UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, op. cit. 60 UNESCO, Centre du Patrimoine mondial, « Processus en amont » 61 Entretien réalisé avec Alain Sinou, professeur à l’Institut d’Étude Européenne de Paris 8, le 6 Novembre 2019 62 Brianso, Isabelle, op. cit. 17
  • 18. place au relativisme. La Liste des sites ne doit plus seulement représenter le meilleur de l’humanité, elle doit à présent « refléter les multiples segments de la variété culturelle planétaire »63 . Ainsi, si la dénomination de valeur universelle exceptionnelle ne change pas, son sens, lui, a évolué vers la recherche d’une représentativité culturelle de la diversité planétaire. Cependant, « par définition, le patrimoine d’une civilisation ou d’une culture lui est propre. La notion d’universalité en matière de patrimoine n’a de sens que comme caractéristique globale de notre espèce, et implique alors la totalité de ses productions »64 . Jusqu’aux années 2000, aucun critère d’évaluation de cette valeur universelle exceptionnelle n’existait. La décision revenait uniquement au Comité, ce qui rendait cette labellisation très subjective considérant la difficulté à affirmer qu’un bien soit exceptionnel ou universel. Nous allons donc à présent aborder les dix critères officiels permettant de labelliser un site. Critères de sélection Pour être le plus inclusif possible par rapport à la diversité culturelle existante, les critères de sélection ont dû prendre en compte la conservation de biens et de sites naturels ou bâtis et la préservation du patrimoine immatériel qui leur est intimement lié65 . Le premier système de critères établissait six critères culturels et quatre critères naturels, mais ceux-ci ont été refondés pour former dix critères globaux. Cette volonté de gommer les différences entre critères culturels et naturels va dans la lignée de la constitution de « paysages culturels » qui sont la reconnaissance des interactions majeurs entre les Hommes et le milieu naturel66 . Il apparaît cependant qu’en réalité certains critères sont toujours plus naturels et d’autres culturels. Cette démarche a surement été faite pour diminuer la barrière entre ces deux distinctions et favoriser une prise en considération globale, mais le peu de sites mixtes prouvent que la distinction existe toujours et que la fusion des critères reste très théorique. Ainsi, nous nous concentrerons sur les critères (i) à (vi)67 , qui concernent les sites culturels, tandis que les critères sept à dix sont pour les sites naturels. Pour être inscrit, un site doit satisfaire au moins un des critères et il peut les cumuler. Le fait de candidater en revendiquant plusieurs critères tend à montrer que le site répondrait à différentes approches du label et sécuriserait sa labellisation ; encore faut-il réussir à montrer que l’on répond à ces critères de sélection. Le tableau ci-dessous définit les critères culturels de labellisation. Nous illustrons chaque critère par un exemple de site culturel français, que nous jugeons représentatif, pour plus d’exemples se référer à l’Annexe 3. 63 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 64 Choay, Françoise, Le patrimoine en questions, Anthologie pour un combat, collection « La couleur des idées », éditions du Seuil, 2009 65 Benhamou, Françoise, op. cit. 66 UNESCO, Centre du Patrimoine mondial, « Propositions d’inscriptions à la liste du patrimoine mondial » 67 Nous reprendrons la manière dont l’Unesco inscrit les critères de (i) à (x). 18
  • 19. Les critères de sélection68  : (i) Génie créateur humain : représenter un chef-d’œuvre du génie créateur humain. Ex : Le Mont St-Michel est labellisé notamment sous le critère un de génie créateur humain. (ii) Échange d’influences : témoigner d’un échange d’influences considérables pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l’architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages. Ex :Nous pouvons citer l’œuvre architecturale de Le Corbusier qui traduit un échange d’influence par son développement du mouvement moderne à travers le monde. (iii) Témoignage de tradition culturelle : apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue. Ex : Les sites préhistoriques et grottes ornées de la vallée de la Vézère témoignent d’une tradition culturelle par des objets et œuvres d’arts datant de la période paléolithique et présentant un intérêt exceptionnel sur le plan historique, ethnologique, anthropologique et esthétique. (iv) Période significative dans l’histoire humaine : offrir un exemple éminent d’un type de construction ou d’ensemble architectural ou technologique ou de paysage illustrant une période ou des périodes significative(s) de l’histoire humaine. Ex : Les Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle en France témoignent de l’importance des pèlerinages et de la chrétienté dans les pays d’Europe au Moyen-Âge. (v) Établissement humain traditionnel : Être un exemple éminent d’établissement humain traditionnel, de l’utilisation traditionnelle du territoire ou de la mer, qui soit représentatif d’une culture (ou de cultures), ou de l’interaction humaine avec l’environnement, spécialement quand celui-ci est devenu vulnérable sous l’impact d’une mutation irréversible. Ex : Les Climats du vignoble de Bourgogne ont été labellisés notamment sous ce critère car le site représente une construction historique d’un territoire viticole. (vi) Patrimoine associé à des évènements à signification universelle : être directement ou matériellement associé à des évènements ou des traditions vivantes, des idées, des croyances ou des œuvres artistiques et littéraires ayant une signification universelle exceptionnelle (le Comité considère que ce critère doit être de préférence utilisé conjointement avec d’autres critères). Ex : Le château de Fontainebleau est représentatif puisqu’il a été une résidence royale pendant quatre siècle et par conséquent il est associé à des événements de l’histoire de France ayant une importance universelle exceptionnelle. 68 Ce tableau des critères culturels provient de l’ouvrage Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial et est aussi disponible en Annexe 1. 19
  • 20. De plus, deux notions rentrent en compte pour l’attribution du label. Tout d’abord, le bien doit répondre à des conditions d’intégrité et doit pouvoir être d’une taille suffisante pour permettre une représentation complète des caractéristiques et processus qui transmettent l’importance de ce bien. Et le bien doit attester de son authenticité, c’est-à-dire la capacité à comprendre la valeur attribuée au patrimoine qui dépend du degré de crédibilité ou de véracité que l’on peut accorder aux sources d’information concernant cette valeur. Le tout doit pouvoir bénéficier d’un système adapté de protection et de gestion pour assurer la sauvegarde du site69 . Hiérarchisation au sein du label ? Au nom de la valeur universelle exceptionnelle, tous les biens labellisés sont censés se valoir entre eux. Pourtant, des sites comme le château de Versailles ne semblent pas avoir grand-chose en commun avec la région minière préhistorique de silex rayé de Krzemionki, par exemple. Mais quand chaque année, une trentaine de biens vient se rajouter à la Liste établie, qu’en est-il de l’exceptionnalité de ces biens ? Nous sommes dans une société de commémorations où l’augmentation quantitative s’accompagne d’une dévaluation qualitative et donc la notion d’exceptionnalité va de pair avec celle de rareté70 . Bien que depuis 2018 le Comité ait décidé de limiter à 45 le nombre de proposition de candidature qu’il étudiera chaque année71 , la question de l’augmentation du nombre de sites labellisés se pose. Chaque étude que nous avons parcourue mettait en avant le nombre important de sites labellisés, qu’elles aient été écrites lorsqu’il y avait 700-800 sites labellisés ou bien aujourd’hui avec plus de 1100. Pour l’instant il n’existe aucune réflexion concernant l’établissement d’un numerus clausus ou une quelconque manière de limiter cette croissance indéfinie de la Liste72 . Arrêter l’ajout de nouveaux biens à la Liste, comme des sites contemporains ou à venir, la figerait dans l’état actuel et immobiliserait totalement son évolution. En effet, comme nous l’a confié avec franchise Alain Sinou : « labelliser chaque année trente sites, c’est donner un caractère un peu vivant à cette pratique, c’est une activité, ça fait vivre des gens, ça coûte un peu d’argent, mais pas tant que cela. Il y a un peu la dynamique propre du Centre du patrimoine mondial. S’ils ne créaient pas de nouveaux sites, ce serait un cimetière, vous voyez, ça occupe. Il y a la dynamique propre de l’institution qui existe mais qu’il faut peut-être maintenir, on peut la supprimer aussi. Mais on a le droit de la maintenir, et si on la maintient, il faut bien qu’ils s’occupent, donc ça c’est une activité. Après, il y a un peu tout et n’importe quoi dans cette Liste. Donc ce sont des choix qu’ils font, pour faire plaisir à tout le monde, ils mettent un peu la chèvre et le chou. C’est un peu enquiquinant, car on ne voit pas vraiment ce qui réunit tous ces trucs-là »73 . À travers notre étude de la cathédrale de Chartres et d’autres sites labellisés en France, il nous est apparu que des sites aussi institutionnalisés ne craignaient pas vraiment de perdre leur exceptionnalité du fait de l’augmentation du nombre total de sites. Nous nous sommes alors penchés sur les raisons qu’ils pouvaient mettre en avant pour affirmer leur exceptionnalité et ne pas être noyés au sein de cette Liste. 69 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, op. cit. 70 Audrerie, Dominique, Questions sur le patrimoine, op. cit. 71 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, op. cit. 72 Bourdeau, Laurent, Gravari-Barbas, Maria et Robinson, Mike, op.cit. 73 Entretien réalisé avec Alain Sinou, ent. cit. 20
  • 21. Le premier argument qui est apparu est la date de labellisation. En effet, de manière assez pragmatique, les sites qui ont été inscrits sur la Liste en premier sont ceux auxquels les États ont pensé en premier pour correspondre à ces critères de valeur universelle exceptionnelle. « Donc à part des petits [...] réajustements, on peut toujours dire que ceux qui ont été classés d’abord étaient a priori les plus importants. Donc on est en train d’allonger la Liste et le tout, ça va être de ne pas non plus exagérer. À titre personnel, il y a très peu de cas où je me suis dit ce classement est indu. Quand vous allez sur le lieu vous découvrez souvent qu’il y a une raison. Mais vous vous dites aussi : "Oui, ça a valeur universelle, c’est intéressant, ça mérite à être donné en exemple à des gens du monde entier parce qu’il y a quelque chose de très intéressant qui se passe là." Mais on n’est peut-être pas dans le même niveau de valeur ou d’intérêt qu’effectivement les "monstres" »74 . Cela confirme le fait que les conséquences de l’augmentation de la Liste sont l’apparition d’un nivellement entre les sites qui n’exprimeraient pas tous le même niveau d’exceptionnalité ou d’universalité. L’autre argument qui montrerait une hiérarchisation des sites au sein de la Liste serait lié aux critères sous lesquels un site est labellisé. Certains critères seraient plus difficiles à démontrer que d’autres et donc seraient garants d’une « meilleure » exceptionnalité. Parmi ceux-ci le critère (i) se démarque particulièrement par son intitulé de « génie créateur humain ». « Il y a quelque chose qui a un peu émergé dans notre discussion par rapport au plan de gestion, qui va un peu dans votre sens. C’est que l’on se dit que l’on est au critère (i). L’Unesco ne serait pas content s’il nous entendait dire ça, mais c’est peut-être une façon pour certains sites de re-faire le tri, en disant qu’il y a les sites Unesco et les sites Unesco classés au critère (i). Il y en a quelques-uns qui ont commencé à le faire, à le mettre dans leur communication. Ils voient bien que c’est délicat et ne disent pas que c’est une sur-catégorie et qu’ils sont du super Unesco ou alors en rigolant dans les couloirs entre collègues. Mais ils disent: "Classés parmi les premiers monuments classés, il y a la question de, à quelle époque [il a été classé], et puis classé au critère (i)". Et de fait, la formule éminente du critère (i), [est] : « génie créateur de l’homme ». Il suffit de cela pour dire que, ce qui est là, c’est universel. Et oui, si on le perd, c’est toute l’humanité qui le perd. Sous-entendu pas besoin de savoir si c’est très représentatif de..., si c’est authentique… Et ça je pense que c’est une piste d’évolution clairement »75 . Ainsi, la cathédrale de Chartres a été labellisée en 1979 et est la première cathédrale inscrite sur la Liste, ce qui lui confère un statut « indétrônable ». De plus elle a été labellisée sous trois critères dont le numéro (i) : « Tout d’abord, le génie créateur humain (ça fait peur dit comme ça). (rires), le fait que l’on est un lieu très représentatif d’une époque, la civilisation médiévale chrétienne, et puis le fait que l’on ait été un lieu qui a servi de modèle pour la diffusion de l’art du vitrail, de l’architecture »76 . En effet, la cathédrale possède le critère (ii), de lieu d’influence par le fait que d’autres grandes cathédrales en France (Reims, Amiens et Beauvais) comme en Europe (Cologne en Allemagne, Westminster en Angleterre et León en Espagne) aient reproduit son schéma fondamental. Elle possède le critère (iv) car elle est à la fois un symbole et un édifice-type en tant que cathédrale gothique. Enfin son critère (i) vient de la construction en presque un seul jet de la 74 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, ent. cit. 75 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, ent. cit. 76 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, ent. cit. 21
  • 22. cathédrale, ce qui lui octroie une unité dans son architecture, son décor vitré, sculpté et peint et qui lui permet d’être représentatif des aspects les plus caractéristiques de l’art du Moyen Âge77 . Sur ce graphique78 on peut voir la répartition de tous les sites culturels labellisés en fonction des critères sous lesquels ils l’ont été. Tout d’abord nous pouvons observer le fort cumul de critères puisqu'au total il y a 2132 critères cumulés pour 869 sites. Cela correspond en moyenne à 2,45 critères de labellisation par site79 . Ensuite, on peut remarquer une forte utilisation des critères (iv), (iii) et (ii), puis une utilisation moyenne du critère (i) et (vi) et enfin une faible présence du critère (v). Celui-ci correspond à un site témoignant d’un exemple éminent d’établissement humain traditionnel, sa faible utilisation parmi les critères est liée à la surreprésentation du patrimoine européen bâti au sein de la Liste. 77 UNESCO, Centre du Patrimoine mondial, Cathédrale de Chartres 78 Les données complètes, obtenues à partir de celles de l’ouvrage Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial et celles de la Liste du patrimoine mondial sur le site de l’Unesco, sont dans l’annexe 2 79 Cf annexe 2.3 22 Critère (i) Critère (ii) Critère (iii) Critère (iv) Critère (v) Critère (vi) 0 100 200 300 400 500 600 700 Nombre de sites culturels mondiaux labellisés en fonction de leurs critères Critères de labellisation Nombre de sites
  • 23. Nous émettons donc l’hypothèse que le critère (i), qui représenterait l’exceptionnalité d’un site par sa difficulté à être accordé, aurait été davantage attribué dans les premières années d’inscription sur la Liste, en suivant la thèse que la date de labellisation jouerait sur l’exceptionnalité d’un site. Pour cela nous allons nous concentrer sur le cas des sites culturels français.Sur le graphique ci-dessus80 observe l’annexe 3.2 on peut remarquer que globalement la répartition des critères en France suit celle de l’ensemble des sites dans le monde excepté pour le critère (iii) qui est peu représenté du côté français. En France, 19 sites sont labellisés sous le critère (i), mais seulement trois sites ont été inscris sous ce critère de 1997 à 2017 alors que 16 sites l’ont été de 1978 à 1996. Cette évolution imagée par le 80 Les données complètes, obtenues à partir de celles de la Liste du patrimoine mondial sur le site de l’Unesco sont dans l’annexe 4 23 Critère (i) Critère (ii) Critère (iii) Critère (iv) Critère (v) Critère (vi) 0 5 10 15 20 25 30 Nombre de sites culturels français labellisés en fonction de leurs critères Nombre de sites Critères de labellisation 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013 2015 2017 0 1 2 3 4 5 6 Nombre de sites culturels français ayant le critère (i) en fonction des années Années Nombre de sites
  • 24. graphique ci-dessus81 atteste donc bien que l’utilisation du critère (i) diminue et que les premiers sites à être labellisés l’ont fortement utilisé. Nous pouvons d’ailleurs noter que tous les sites étant labellisés pour le critère (i) ont au minimum un autre critère de labellisation, ce qui renforce leur poids au sein du label. À l’inverse aucun site n’avait été labellisé pour le critère (v) avant 2010, et depuis sur les 9 sites culturels labellisés, quatre ont utilisé ce critère comme nous pouvons l’observer Annexe 3. Cette évolution d’utilisation des critères dans le temps atteste de la dualité entre culture savante et culture anthropologique. Elle témoigne d’un changement de mentalité et de conception de la culture et donc par conséquent de ce qu’est un site du patrimoine mondial. Comme nous l’avons souligné, établir des critères pour une Liste du patrimoine mondial est une tâche ardue car cela estimerait qu’il y a une échelle de jugement commune à toutes les aires géographiques de la planète. Cette évaluation du mérite des sites a été difficile à établir du fait du caractère composite des espaces considérés, de la profondeur des différences entre les cultures ainsi que de la nécessité de superposer un niveau international aux classements nationaux antérieurs. En effet, de nombreux États possédaient déjà un système de valorisation et de protection de leur patrimoine national, tel que le classement des monuments historiques en France. Ils ont dû déterminer parmi leur patrimoine déjà classé ceux qui pourraient être éligibles pour ce label. Ce problème de chevauchement de classement a soulevé, dans certains pays postulant à la Liste du patrimoine mondial, des problèmes de conscience quasiment insurmontables. C’est pour cela que les critères retenus pour composer cette encyclopédie monumentale de la planète ont finalement dû être hétérogènes et minimaux82 . « Ce sont des critères politiquement corrects parce qu’il fallait que ça convienne à tout le monde, donc à un moment donné c’est le nivellement par le bas. Donc on peut mettre un peu tout le monde [dans le label] »83 . Cela s’illustre dans le cas de la ville de Varsovie qui a été classée pour mettre en valeur l’action de reconstruction entreprise par les polonais après la seconde guerre mondiale. C’est davantage ce geste plutôt que la construction de la ville elle-même qui a été classé84 . Cet exemple souligne la politisation du label et son utilisation comme outil d’art politique que nous allons à présent traiter. C. Aspects internationaux L’Unesco, en tant qu’institution spécialisée liée à une organisation internationale indépendante de l’ONU, possède une personnalité morale qui fait d’elle une entité distincte des membres qui la composent85 . Par conséquent, elle possède une voix politique et diplomatique à l’international dont ses actions vont être empreintes. L’origine même du label de patrimoine mondial est lié à une mission diplomatique de pacification des échanges internationaux, ce n’est pas un label dont l’utilisation est complètement neutre. Nous allons à présent nous intéresser aux problématiques que soulèvent ces objectifs politiques et diplomatiques. 81 Les données complètes, obtenues à partir de celles de la Liste du patrimoine mondial sur le site de l’Unesco sont dans l’annexe 4 82 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 83 Entretien réalisé avec Alain Sinou, professeur à l’Institut d’Étude Européenne de Paris 8, le 6 Novembre 2019 84 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 85 Cours de Romain Bourrel, Institutions publiques, délivré à l’Université Grenoble Alpes dans le cadre de la licence de Sciences Humaines Appliquées 24
  • 25. Enjeu de représentativité du label entre universalité et diversité culturelle Le label est confronté à une double problématique : il se veut à la fois être universel, donc représenter ce qu’il y a de commun à l’ensemble de l’humanité, tout en voulant souligner la diversité culturelle planétaire et en représentant la plus grande variété patrimoniale possible. La Liste a ainsi évolué avec l’apparition de cette double volonté qui témoigne d’une superposition de deux conceptions de la culture. On a ainsi commencé par labelliser les monuments historiques imposants et bâtis en privilégiant une approche matérielle et très historique du patrimoine inscrit sur la Liste. « La difficulté à laquelle ont été rapidement confrontés les gens du patrimoine mondial, c’est que, très vite, ils se sont focalisés sur les sites européens, les plus anciens. Et donc ils se sont intéressés beaucoup à la Grèce, à l’Italie, à ces pays-là. Et tous les pays où il n’y avait pas de traces matérielles des cultures qui s’y étaient développées, je pense à tous les pays de traditions orales, toutes les cultures aborigènes, africaines, indiennes etc, sont passées à la trappe. Ce qui fait que, d’une certaine manière, le paradoxe de cette démarche qui se voulait internationale c’est d’avoir encore plus stigmatisé les populations qui n’avaient pas produit de bâtiments avec de la pierre, qui avaient des architectures beaucoup plus éphémères et qui évidemment disparaissaient et ne pouvaient plus être considérées comme des lieux patrimoniaux parce qu’il n’y avait plus de traces »86 . Ayant fait ce même constat, la Liste a alors accueilli de plus en plus de biens s’éloignant de cette culture savante et artistique pour aller dans le sens d’une diversité culturelle. L’objectif n’est alors plus de choisir des sites qui représenteraient au mieux l’identité nationale du pays, mais au contraire qui montrerait sa diversité naturelle et culturelle87 . Ainsi, en 1994, le Centre du patrimoine mondial adopte la Stratégie globale pour une Liste du patrimoine mondial équilibré et représentative. Cette action de stratégie globale « a pour but d’améliorer la représentativité des biens culturels sur la Liste du patrimoine mondial et de corriger les déséquilibres dus à la prééminence de l’Europe, la Chrétienté, l’architecture monumentale ainsi que d’encourager des propositions d’inscription qui illustrent le patrimoine archéologique, industriel et technique des cultures non européennes et plus généralement, de toutes les cultures vivantes, particulièrement les sociétés traditionnelles et leurs interactions nombreuses et permanentes avec leur environnement naturel»88 . Ainsi, le Comité a inscrit, dans l’article 61.c) des Orientations, un ordre de priorité pour l’examen de nouvelles propositions d’inscription. Il s’intéressera d’abord : aux cas des États parties n’ayant pas de biens labellisés, à ceux qui ont moins de 4 biens inscrits sur la Liste, aux propositions de biens naturels, mixtes, de sites transfrontaliers et aux demandes venant de pays d’Afrique, du Pacifique et des Caraïbes89 . Par cette déclaration, on comprend bien la volonté du Centre du patrimoine mondial de procéder à une sorte de rééquilibrage de la Liste pour qu’elle puisse être au mieux représentative d’une diversité culturelle planétaire. 86 Entretien réalisé avec Alain Sinou, ent. cit. 87 Brianso, Isabelle, op. cit. 88 Olivier, Lazzarotti, « Patrimoine et tourisme: un couple de la mondialisation », Mappemonde, n° 57, 2000 89 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, op. cit. 25
  • 26. Est-ce un signe de l’échec de l’universalité du label ? En tout cas, c’est un changement fondamental dans l’approche qu’il avait, qui peut être mis en parallèle avec l’insuccès des politiques multiculturalistes théorisées au Canada et en Grande-Bretagne. Celles-ci visant à faire cohabiter sur un pied d’égalité plusieurs communautés culturellement distinctes, ont eu le vent en poupe dans les années 1980 et 1990, mais ont, par la suite, dû faire face aux critiques des habitants et à la montée de mouvements identitaires90 . D’un autre point de vue, l’apport de cette conception de diversité culturelle a permis une ouverture de l’Unesco (des sites occidentaux étant dans cette catégorie du patrimoine bâti et historique) vers d’autres réalités de fonctionnement et de gestion du patrimoine. Ainsi, « il y a deux façons de voir le problème, soit de dire que c’est bizarre que l’Unesco ne s’adapte pas à nous, soit de dire que c’est très bien car cela amène les pays occidentaux à réfléchir, raisonner comme un pays en développement et inversement. Qu’il y ait ce cadre commun ça permet de poser une question universelle »91 . Suite au relativisme, inspiré par la stratégie diplomatique victorieuse du Japon, l’objectif du label est donc devenu de rééquilibrer la répartition des sites en fonction des continents et de protéger une diversité culturelle considérée comme un bien en soi92 . Répartition entre les nations Comme présenté sur le graphique ci-dessus93 , la répartition des sites à travers le monde atteste d’un déséquilibre de représentation des différents pays et même des aires géographiques. En effet, en 2016, l’Europe et l’Amérique du Nord, alors qu’ils représentent 30,5 % des États ayant ratifié la 90 Warnier, Jean-Pierre. op. cit. 91 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, ent. cit. 92 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 93 Les données complètes, obtenues à partir de celles de l’ouvrage Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, sont dans l’annexe 5 26 Europe et Am érique du Nord Asie et Pacifique Afrique Am érique latine et Caraïbes États Arabes 0 10 20 30 40 50 60 Répartition géographique des sites labellisés Pourcentage des États parties Pourcentage du nombre de sites labellisés Pourcentage
  • 27. Convention, possédaient à eux seuls 527 sites labellisés, soit 48,1 % de l’ensemble des sites labellisés. Ils apparaissent donc comme étant totalement sur-représentés au sein de la Liste. Le ratio pour l’Asie et le Pacifique, ainsi que l’Amérique latine et les Caraïbes est plutôt équilibré. Les États Arabes, quant à eux, sont sous-représentés avec 13,1 % de sites pour 16,5 % des États parties. Enfin, la zone géographique pour laquelle la différence est la plus flagrante est le continent africain avec seulement 8,7 % des sites labellisés alors qu’il représente 20,1 % des États ayant ratifié la Convention94 . Cette inégalité de répartition des sites labellisés témoigne du manque de maillage égal de biens ayant une valeur universelle exceptionnelle entre les nations, ce que l’élargissement de cette notion n’a pas pu complètement combler. En effet, ce déséquilibre de biens existe tant pour le patrimoine bâti que pour le patrimoine naturel. Les États n’ont pas tous reçu un héritage patrimonial comparable. La situation d’inégalité devant les richesses patrimoniales peut conduire à des situations de conflits latents, surtout pour le patrimoine naturel qui est propre à une nation, non pas par héritage culturel, mais par propriété territoriale. Le cas de biens transfrontaliers tels que la forêt Amazonienne illustre les conflits d’intérêts qui peuvent se poser95 . En 1997, sur 107 sites labellisés de l’Unesco, 22 étaient français96 . Nous percevons que la volonté de rééquilibrer la labellisation entre les différents continents témoigne de la vision occidentale, qui a évolué en approche universaliste97 . Qu’en est-il donc du point de vue européen ? L’Europe est le continent qui a cherché à dominer le monde en utilisant du hard power98 durant la colonisation, puis s’est tournée vers l’utilisation du soft power99 comme moyen d’influence économique et culturel100 . Ces deux formes de pouvoirs ont propagé le patrimoine culturel européen à travers le monde, ce qui favorise les critères d’échanges d’influences puisqu’il a été institué comme référence patrimoniale par excellence. Cependant, si d’un point de vue macroscopique, l’Europe est un bloc unifié économiquement, politiquement et culturellement, au travers de son Union, une approche détaillée révèle la diversité d’identités nationales et régionales qu’elle possède101 . Ce qui fait que cette approche occidentale de l’universalité s’applique au sein même de l’Europe qui a du mal à mettre en valeur sa propre diversité et l’histoire locale de ses régions . Au sein de l’Union Européenne, les questions patrimoniales sont toujours complexes à traiter. L’UE souhaiterait pouvoir utiliser les images patrimoniales pour consolider une identité européenne par le renforcement d’une mémoire commune. Cependant cet enjeux mémoriel est complexe à établir car le patrimoine est constitutif d’une nation. Il reste indissociable de la souveraineté des États qui y sont très attachés, ne voulant pas que leur propre identité se dissolve au profit de celle européenne102 . S’il n’y a pas de label de patrimoine européen, la Liste du patrimoine mondial est à 94 Le grand atlas UNESCO patrimoine mondial, op. cit. 95 Audrerie, Dominique, La notion et la protection du patrimoine, op. cit. 96 Bady, Jean-Pierre, op. cit. 97 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 98 Traduction : Puissance contraignante, coercition, forte 99 Traduction : Puissance d’influence, douce 100 Cobast, Éric. Les 100 lieux de la culture générale. Presses Universitaires de France, 2018 101 Brianso, Isabelle, op. cit. 102 Andrieux, Jean-Yves et Chevalier, Fabienne, Le patrimoine monumental, op. cit. 27
  • 28. l’origine de parcours thématiques à travers l’Europe qui permettraient de faire du lien au sein de ce patrimoine européen et témoigneraient d’une certaine cohérence entre les sites. Donc l’argument de représentativité et de répartition entre les nations expliquerait certains choix dans le sens de la labellisation, mais qu’en est-il concernant le report ou le refus d’une inscription ? En prenant le cas de la cathédrale St-Denis, nous nous sommes interrogés pour savoir pourquoi cette dernière n’était pas labellisée au patrimoine mondial quand, des consœurs comme Chartres, Amiens, Notre-Dame de Paris ou encore Reims, le sont. La cathédrale de St-Denis a été ajoutée à la Liste indicative de la France en 1996 sous les critères (i), (ii) et (iv), soit les mêmes critères que celle de Chartres. Étant la première cathédrale gothique de France qui a même inspiré Chartres et étant toute aussi impressionnante que les édifices cités auparavant, elle semblerait correspondre à l’exigence du critère (i) et (ii). Elle posséderait donc une influence forte et son statut de nécropole royale française attesterait d’une période significative dans l’histoire humaine correspondant au critère (iv). Seulement, « on sait qu’aujourd’hui, il n’y aura pas d’autres cathédrales inscrites en France avant un certain temps, parce que l’Unesco considère que la Liste est déjà longue et que dans un souci de diversification de tous les aspects du patrimoine, de toutes les époques il considère que la France, médiévale religieuse, ça pèse un peu lourd. Il y en a déjà une dizaine : Amiens, Reims, Chartres, Bourges, Notre-Dame de Paris, Strasbourg, et Albi qui était "limite" parce que c’était encore une cathédrale française. L’Unesco trouve qu’il y a déjà beaucoup de cathédrales médiévales françaises inscrites. St-Denis bloque pour son inscription bien qu’elle en ait presque tous les critères […] Et donc elle couvrirait plusieurs choses, la seule chose qui bloque c’est qu’il y a déjà trop de cathédrales gothiques, en France mais aussi en Europe »103 . Nous avons tout d’abord notés que le département de Seine-Saint-Denis fait partie des territoires français dont les monuments historiques sont le moins classés et inscrits à des labels104 . Quel que soit le classement, le choix des monuments listés et les techniques de conservation résultent de décisions d’experts et de politiciens. La culture, comme d’autres domaines, est marquée par des choix politiques et des réglementations qui peuvent favoriser certains au détriment d’autres105 . Dans le cas du label de patrimoine mondial, la procédure d’inscription est un acte lourd administrativement qui demande à être portée au niveau national et local. Avec la complexification des procédures d’inscription, il faut compter environ deux ans pour monter le dossier de candidature et ensuite il faut attendre d’être évalué par les différents organes. De plus, l’objectif de représentativité des diversités culturelles fait qu’un site français ne sera pas évalué en priorité et donc cela diffère sa présentation devant le Comité de plusieurs années. Ainsi, lors de l’échange téléphonique réalisé avec le coordinateur de la cathédrale de St-Denis, celui-ci nous a confirmé que la labellisation au patrimoine mondial du site n’était pas dans les projets immédiats. Bien qu’il ne dise pas non à une labellisation, la mise en place du dossier apparaît comme trop complexe, notamment concernant la délimitation de la zone tampon autour du territoire labellisé par rapport aux bâtiments limitrophes comme celui de la légion d’honneur106 . 103 Entretien réalisé avec Gilles Fresson, ent. cit. 104 Bady, Jean-Pierre, op. cit. 105 Berliner, David, Istasse Manon, op. cit. 106 Échanges réalisés avec Serge Santos, l’administrateur de la cathédrale basilique de Saint-Denis, le 24 janvier 2020 28
  • 29. Donc en plus du frein mis à la labellisation de sites occidentaux dans l’objectif de rééquilibrer la Liste, une candidature nécessite un soutient local et national pour porter un projet d’inscription. L’augmentation de la difficulté du dossier d’inscription nous apparaît aussi comme un moyen de limiter les candidatures en décourageant à l’avance les sites. Il demeure que la cathédrale de St- Denis a été ajoutée par la France qu’en 1996 lorsque déjà plusieurs cathédrales avaient été labellisées au patrimoine mondial. Nous pouvons alors nous interroger pour savoir si, face à ce manque de classement global des sites de Seine-Saint-Denis, une aide nationale aurait pu être réalisée pour soutenir les porteurs du projet. En effet, le fait que la cathédrale ne possède pas le label tend à souligner les discriminations qu’elle peut subir du fait de sa présence en banlieue et n’aide pas à améliorer son attractivité face à la concurrence de la renommée des sites parisiens. Ainsi, l’exemple de la cathédrale de Saint-Denis démontre une limite au label. Un site peut répondre à tous les critères, mais avoir raté le bon moment pour son inscription. À l’inverse, certains sites peuvent décider de ne pas adhérer à la Liste du patrimoine mondial car ils refusent d’être assimilés et comparés à des sites qui n’apparaissent pas exceptionnels à leurs yeux107 . Politisation de l’Unesco Du fait de la nature même des problèmes de l’éducation, des sciences et de la culture, l’Unesco était prédisposée à être entrainée dans des débats d’ordre politique108 . De plus, ces différents moyens d’actions n’étant pas ses buts en soi mais servant à asseoir la paix, son action est donc profondément traversée par des enjeux politiques. Ainsi, l’élection du directeur général en 2017 a reflété les tensions qui peuvent survenir concernant les questions de pouvoir dans ce type d’organisation internationale. De même que l’Unesco recherche une « juste » répartition des sites labellisés à travers le monde, elle se doit que les personnes qui travaillent pour elle, proviennent d’origines variées. L’élection du directeur général de l’Unesco se fait par les 58 membres du conseil exécutif. Chaque pays et région du monde a alors essayé de tirer son épingle du jeu. Il y a eu une volonté particulièrement forte de la part des pays arabes d’élire un représentant venant de leur région puisqu’il n’y en a jamais eu109 . Le processus de vote a été long et très serré, mais face au candidat qatari, c’est finalement l’ancienne ministre de la culture en France, Audrey Azoulay, qui est devenue la directrice générale110 . Deux problèmes majeurs sont ressortis de ces tentions lors de cette élection. Tout d’abord, l’Unesco a dû réfléchir à certaines de ces actions concernant le problème Israélo- palestinien, ce qui a affaibli son positionnement diplomatique de neutralité. En 1974, la Conférence générale a voté des textes condamnant Israël pour ses fouilles à Jérusalem ainsi que pour sa politique éducative et culturelle dans les territoires arabes occupés et priva l’État hébreu de sa participation aux activités régionales de l’Unesco111 . De plus, l’organisation a été vue comme anti- israélienne à cause de l’intégration de la ville de Hébron (Cisjordanie) à la Liste du patrimoine 107 Bourdeau, Laurent, Gravari-Barbas, Maria et Robinson, Mike, op.cit. 108 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. », op. cit. 109 Barthe, Benjamin et Carpentier, Laurent, op. cit. 110 « Unesco : Audrey Azoulay défend sa candidature », France info, 18 mars 2017 111 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. », op. cit. 29
  • 30. mondial en péril, et en la caractérisant de ville islamique alors que les juifs, dont quelques centaines y vivent aujourd'hui retranchés au milieu de 200 000 Palestiniens, y revendiquent une présence de 4000 ans112 . De nombreux intellectuels ont réagi en décidant de boycotter l’Unesco jusqu’au « rétablissement de l’universalité » de celle-ci113 . La seconde difficulté concerne les enjeux financiers de l’Unesco. Elle a dû tout d’abord faire face à des problèmes de lobby, d’éthique et de blanchiment d’argent de la part de certains candidats au poste de directeur général, témoignant des pratiques de corruption très répandues dans certains pays. Et les différences de financements entre les États rendent la limite entre pot-de-vin et donations assez floue114 . Le candidat qatari a, en effet souffert d’une accusation de lobby auprès des pays africains115 . Concernant le fonctionnement financier de l’Unesco, son budget annuel est de 326 millions d’euros en 2017. Celui-ci provient des contributions obligatoires des États membres qui sont calculées en fonction de leur PIB par habitant116 . Selon l’article 168bis des Orientations, « Les États parties soumettant de nouvelles propositions d’inscription sont censés verser des contributions volontaires en vue de financer l’évaluation des propositions d’inscription par les Organisations consultatives, en prenant en compte les coûts moyens des évaluations tels qu’indiqués par le Secrétariat dans le document relatif au Fonds du patrimoine mondial. » Il n’est cependant pas attendu de contributions de la part « des États les moins avancés ou à faible revenu (tel que définis par le Comité des politiques de développement des Nations Unies) et par définition de la Banque mondiale »117 . Ce même article garantit la neutralité du Comité en affirmant que ces contributions n’auront pas d’impact sur l’évaluation des sites ou sur leur ordre de priorité118 . Il demeure que l’organisation internationale est dépendante des financements de ses États membres pour fonctionner, ce qui peut créer un sentiment d’assujettissement. La menace de faire pression sur les budgets est présente pour presque tous les États membres119 . Nous allons à présent nous intéresser plus particulièrement au cas des États-Unis et de leur position fluctuante au sein de l’Unesco. Alliés de longue date d’Israël, les États-Unis se sont retirés de l’Unesco en 1984 en réaction au traitement, qu’ils jugeaient politisé, de celle-ci envers l’État hébreu. De plus, les États-Unis jugeaient que la gestion de l’organisme devenait déficiente (dispersion et manque de rigueur conceptuelle des programmes, bureaucratie concentrée à Paris au détriment d'une présence sur le terrain et croissance budgétaire débridée). Au delà des raisons énoncées, le pays trouvait de manière générale que les Nations Unies n’étaient plus assez pro- américain dans ce contexte de fin de Guerre Froide120 . Les États-Unis s’étaient retirés des organes exécutifs mais avaient conservé leur statut d’observateur. En 2003, sous l’administration Bush, le 112 « Israël et les États-Unis quittent l’Unesco », L’Express, 1er janvier 2019 113 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. », op. cit. 114 Barthe, Benjamin et Carpentier, Laurent, op. cit. 115 Gbadamassi, Falila, « Vote à l’Unesco: l’Égypte accuse le Qatar de corrompre les pays africains », France info, 12 octiobre 2017 116 Barthe, Benjamin et Carpentier, Laurent, « Perdue dans ses multiples missions, l’Unesco cherche sa direction », Le Monde, 6 octobre 2017 117 UNESCO, Orientations devant guider la mise en œuvre de la Convention du patrimoine mondial, op. cit. 118 Ibid. 119 Rapport de la 18e session de l’assemblée générale des États parties, op. cit 120 Ghebali, Victor-Yves  « U.N.E.S.C.O. », op. cit. 30