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LE POINT
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Mohammed Hocine Benkheira,
François Gauvin, Éric Geoffroy,
Henry Laurens, Réza Moghaddassi,
Daniel de Smet, Philippe Vallat,
Mohyddin Yahia et Nadget Zouggar.
Secrétariat de rédaction :
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Conception et réalisation
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Toute rePfOductiÔn est Stiba·rd·onflëe
à l'autorisation expresse de la direction
du Point.
ISLAM I Avant-propos
SOULEVER
LE VOILE
Par Catherine Golliau
L
e libre-arbitre existe-t-il en Islam?
Oui. La loi musulmane peut-elle évo­
luer? Oui. Existe-t-il de grands phi­
losophes en Islam? Oui. Mais qui le sait?
Trop peu de monde. Car qui, même chez
les musulmans cultivés, connaît l'œuvre
d'al-Châfi'î, le fondateur de la doctrine
sunnite, celle que suivent aujourd'hui
90 % des musulmans? Qui a lu Avicenne
et Averroès, les philosophes qui permi­
rent à l'Europe de mieux comprendre
Aristote? Qui sait qu'ac­
tuellement c'est en Iran
que l'on trouve les pen­
seurs musulmans les
plus modernes et les
plus inventifs?
L'islam, tout le monde
en parle, mais rares sont
ceux qui le connaissent.
Cette religion tant dé­
criée demeure un conti­
nent culturel à explorer,
un univers mental plus
riche et subtil que nous
rislam,
religion
tant décriée,
demeure
un continent
culturel à
explorer,
un univers
riche et subtil.
le donne à croire son image déformée
par le fondamentalisme. Cette richesse,
ce cinquième hors-série du Pointentend
la mettre aujourd'hui à la portée de tous.
II faut soulever le voile.
Certes, l'entreprise est périlleuse: le su­
jet est trop brûlant pour ne pas susciter
les passions. C'est pourquoi nous par­
tons comme toujours des textes fonda­
mentaux. Pour revenir aux sources, loin
des clichés et des préjugés.
Image de couverture : Andrea da Firenze, Averroès, x1v' siècle.
© Archivo iconografico, 5.A./Corbis
Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 3
§
Œ1
!9
Sommaire ! ISLAM
La pensée en Islam
1'
-· .J
Soulever le voile, par Catherine Golliau
Lire et comprendre
PENSER EN ISLAM, par Rémi Brague
L'arabe, langue sacrée, par Marie-Thérèse Urvoy
LE CORAN ET LA SUNNA
Aux sources de la pensée musulmane,
par François Déroche
Textes et commentaires
Repères : Les débuts de L'islam
LE MUTAZILISME
La théologie de la liberté,
par Roger Arnaldez
Textes et commentaires
LE DROIT
Une loi descendue du ciel,
par Mohammed Hocine Benkheira
Textes et commentaires
LA PHILOSOPHIE
Entre raison et Révélation,
par Dominique Urvoy
Textes et commentaires
Repères : Le califat
4 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n °
5 Le Point
3
6
8
14
16
16
20
30
34
34
38
44
44
48
56
56
60
70
Ave<
�
ISLAM I Sommaire
LE SOUFISME
La mystique de l'islam,
par Pierre Lory
Textes et commentaires
Repères : Les confréries
LE CHIISME
Un messianisme islamique,
par Daniel de Smet
Textes et commentaires
Repères : Le kharijisme
LA NAHDA
Le réveil de l'islam,
par Henry Laurens
Textes et commentaires
Repères : L'islam aujourd'hui
Gilles Kepel : Al-Qaïda dans le texte
Entretien avec Malek Chebel:
« Une seule alternative : rompre avec le discours théologique »
Carte : confessions et écoles juridiques musulmanes
Lexique
Bibliographie
74
74
78
82
84
84
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94
96
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Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 5
Lire et comprendre I ISLAM
Lire et comprendre
la pensée n Islam
RENDRE ACCESSIBLES au
plus grand nombre les
textes fondateurs de la
pensée musulmane, ceux
qui structurent la société
et la culture de plus d'un
milliard d'individus à tra­
vers le monde, telle est
l'ambition de ce cin­
quième hors-série du
Point. Ambition témé­
raire? Entreprise difficile,
c'est certain. Plus théolo­
gique et juridique que phi­
losophique, lapenséemu­
sulmane ne s'aborde pas
facilement. Elle évolue
dans un cadre strict, celui
des textes sacrés. L'islam
est soumission à la Loi di­
vine telle qu'elle a été ré­
vélée par Dieu à Maho­
met. C'est à l'intérieur de
cet espace et seulement
là que peut s'organiserla
réflexion du croyant. C'est
de là que vont émerger
les questionnements : le
Coran est-il créé, comme
l'homme, ou incréé et
donc divin par nature?
Face à un Dieu puissant
qui exige l'obéissance,
l'homme peut-il être libre?
Si la Loi repose sur un
texte sacré, peut-elle évo­
luer? Comment trouver la
solution aux problèmes
qui n'existaient pas du
temps de Mahomet?
Ce hors-série est une in­
cursion dans un univers
mental différent et pour­
tanttrèsproche. Les pen-
seurs musulmans, en ef­
fet, n'ont pas seulement
structuré leur société,
ils ont aussi modelé
la nôtre. Sans même par­
ler des chiffres indiens
que l'Islam nous a trans­
mis (d'où leur nom de
« chiffres arabes»), le
Moyen Âge chrétien et
juif n'aurait pas été ce
qu'il a été, iln'aurait pu
ouvrir la voie à la Re­
naissance si un calife ab­
basside n'avait encouragé
les traductions des au-
COMMENT S'ORGANISE CE HORS-SÉRIE?
teurs grecs. La scolas­
tique médiévale s'est for­
mée avec Avicenne et
Averroès, grands com­
mentateurs d'Aristote. La
sociologie moderne s'est
revivifiée à la pensée
d'lbn Khaldoun.
• Les textes ont été regroupés en sept parties : les principes fonda­
mentaux de l'islam à partir du Coran et de la Sunna, le mutazilisme,
ledroitetsesprincipes,laphilosophie (falsafa), lesoufisme,lechiisme
et le courant réformiste du XIXe siècle (Nahda). L'ensemble est intro­
duit par Rémi Brague, professeur à la Sorbonne et à l'université de
Munich, fin connaisseur de l'islam autant que de la pensée antique,
de la scolastique chrétienne et de la culture juive médiévale, et par
Marie-Thérèse Urvoy, spécialiste de la langue arabe, langue sacrée
dontl'étudeest l'une dessciencestraditionnelles de l'islam.
• Chacun des chapitres est divisé en deux phases : une introduc­
tionréaliséeparunauteurreconnu(parexemple,pourleréformisme,
Henry Laurens, professeur au Collège de France) ; ensuite, en vis-à­
vis, les textes eux-mêmes (page de droite) et leurs« Clés de lecture»
ou commentaires (page de gauche). Les pages« Clés de lecture» of­
frent une synthèse des éléments indispensables à une première ex­
ploration du texte. Elles l'expliquent, évaluent ses enjeux idéolo­
giques et sociologiques, précisentsa dimensioninnovante...
• Cettehistoirede lapenséeenislam comprend, commetoujours
dansnos hors-séries, un appareil critique important sous forme de
cartes, de chronologie, de mises en perspective historique, ainsi
qu'unlexique explicitant noms et notions.
• Et la conclusion? Elle est bien sûr consacrée à l'étude de la pen­
sée musulmane aujourd'hui. Gilles Kepel, professeur à l'Institut
des sciences politiques,analysel'impact des écrits d'Al-Qaida, et Ma­
lek Chebel, défenseur d'un« islam des Lumières», explique com­
ment,selonlui,lesmusulmanspeuvent retrouverle feude la contro­
verse pacifique et le plaisir de la pensée.
6 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
5 Le Point
Mais comment aborder
en si peu de pages une
pensée qui commence au
v11°
siècle et court de l'Es­
pagne à l'Inde? En se
montrantinjuste! Comme
pour toute anthologie,
notre choixest partiel et
donc critiquable. Ce hors­
série est une initiation,
rien d'autre. Mais il est
aussi une porte entrou­
verte sur une réalitéinfi­
niment riche que nous
voulons inviter le lecteur
à découvrir.
Nous n'avons donc retenu
que quelques versets du
Coran et quelques hadiths
pour poser les fonde­
ments des concepts es­
sentiels à la compréhen­
sion de l'islam. Nous
avons aussi dû faire des
choixdrastiques entre les
auteurs,les mouvements
et les périodes.
C'est ainsi quenousavons
consacré moins de place
au soufisme, mystique
fondamentale à la com­
préhension de la pensée
et de l'histoire de l'islam,
qu'auxmutazilites,cham­
pions de La liberté mais
longtemps dédaignés et
oubliés. Le soufisme,en
effet, est largement pré­
sent dans deux de nos
précédents hors-séries,
LesTextesfondamentaux
des trois religions du Livre
(disponible en librairie,
Éditions Tallandier-Le
Point) et Les Textesfon­
damentaux de l'ésoté­
risme. Les grands mys­
tiques que sont Rûmî et
Hallâj ne sont donc pas
présents dans ce recueil,
alors qu'ils avaient vo­
cation à y être. Mais
Ibn 'Arabî et al-Ghazâlî,
grands théologiens et
grands mystiques,y ont
toute leur place.
Deuxième acte : les com­
mentaires. Ceux-ci sont
réalisés par des spécia­
listes qui se sont livrés à
un travail délicat : pré­
senter des thèses souvent
complexes, particulère­
ment chezles mutazilites
et les philosophes,et les
expliquer de la manière
ISLAM I Lire et comprendre
la plus claire et la plus
neutre possible. Notre but
n'est en effet ni de juger
de la validité d'un auteur
ou d'un courant,ni d'in­
fluer le lecteur. li est,au
contraire,de l'aider à dé­
passer les partis pris et la
complexité des textes
pour mieux les appré­
hender et avoir ensuite
l'envie d'aller plus loin.
C. G.
Détail de
la mosquée
Seyyed,
Ispahan {Iran).
Le Point Hors-série n°
3 1 Novembre-décembre 2005 1 7
ISLAM I Introduction
La pensée islamique est traversée de paradoxes :
élaborée en langue arabe par des intellectuels persans
puisant aux sources grecques, elle connut son plus
grand retentissement hors de l'islam. Si elle ne parvint
pas à négocier le tournant de la modernité, ses avancées
rendirent possible les Renaissances occidentales.
PENSER
EN ISLAM
Rémi Brague,
professeur de
philosophie arabe
et médiévale à Paris-1,
et de philosophie des
religions à l'université
de Munich.
Parmi ses dernières
publications,
LaSagesse du monde
(Le Livre de Poche,
2002), Introduction
au monde grec
(Éditions de la
Transparence, 2005)
et La Loi de Dieu
(Gallimard, 2005).
Par Rémi Brague
L
e plus ancien fait dans l'histoire de
l'islam que l'onpuissedater de façon
incontestable est, au vue siècle, la
conquête du sud de la Méditerranée, du
Moyen-Orient et de l'Iran par des tribus
parties d'Arabie. Il semble s'être formé
ensuite, à partirdesannées 1980 du même
siècle, une religion qui re-
conquérants laissèrent le système ad­
ministratif en place. Ils n'intervinrent pas
non plus dans les querelles entre Églises
chrétiennes. Les conquérantsarabes for­
maient une minceélite militaire. Elle coif­
fait des pays qui depuis plusieurs siècles
avaient adopté soit le christianisme soit,
en Iran, la religion de
fusait d'associer au Dieu
unique et créateur que
tout le monde acceptait
des divinités intermé­
diaires. Elle se rattachait
à unmessagereçuparMa­
homet. Un Livre, le Coran,
en recueillit le contenu.
Jamais la philosophie
n'a connu en islam
Zoroastre* ou le mani­
chéisme*, et étaienttous
saupoudrés de commu­
nautés juives.
Les pays conquis, Sy-
ce phénomène
propre à l'Europe
l'enseignement
dans les universités.
En matière de religion,
les Arabes mirent en
place un système patient.
Pour les polythéistes, l'is-
lam ou la mort. Mais exis-
rie, Égypte, Mésopotamie, Iran, étaient
des régions de vieille civilisation. Leur
développement social et culturel était
très supérieur à celui de l'Arabie. Les
taient-ilsvraiment? Abandonner l'islam
était puni, en principe de mort. Pour les
« gens du Livre », juifs et chrétiens, la
conversion n'était pas obligatoire mais•
Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 9
Introduction I ISLAM
Miniature issue
du Livre de Kali/a
et Dimna, d'lbn
al-Muqaffa'*,
x,v• s., Le Caire,
Bibliothèque
nationale.
,+ avantageuse: elle libérait d'un impôt spé­
cial et de certaines vexations; elle per­
mettait de s'élever dans la société. En
conséquence, il se forma en quelques
siècles une société à majorité musulmane.
Les nouveaux convertis apportèrent
avec eux bien des éléments de leur an­
cienne culture : prières chrétiennes, ré­
cits juifs sur les anciens prophètes, pra­
tiques juridiques locales, tout cela se
retrouvedansles déclarations attribuées
à Mahomet (hadiths*). Endossées par le
Prophète, ces idées ou règles recevaient
une légitimité inouïe.
L'arabe, langue véhiculaire
Dans l'empire des califes, la langue de
communication et decultureétait l'arabe.
C'est dans cette langue qu'écrivirent les
grands intellectuels qui bâtirent la pen­
sée islamique, et qui n'étaient que rare-
lémique contre le dualisme des mani­
chéens, puis contre les« gens du Livre »,
enfin contre les innovations jugées« hé­
rétiques », suscitaune disciplinespéciale,
le Kalâm* (cf p. 34). La théologie chré­
tienne se propose d'explorer au moyen
de la raison le don que Dieu fait de soi.
LeKalâm cherche à défendrela tradition
en montrantqu'elleest plus plausibleque
ses adversaires. Sesthèmes centraux sont
la nécessité de la prophétie, l'authenti­
cité de celle de Mahomet, la façon dont
elleabroge les messages précédents, l'ar­
ticulation de la liberté humaine sur la
toute-puissance divine, la nature des ré­
compenses etdespunitions après la mort.
Aristote au secours de l'islam
En Syrie et en Irak, comme en Géorgie et
en Arménie, on s'occupait depuis long­
tempsde philosophie et de sciences. Les
médecinsarabeseurent besoin
des traités du médecingrec Ga­
lien*,qu'ontraduisit. Aristote*
avait été traduit en syriaque,
la forme d'araméen qui était
pour les chrétiens lalanguede
L'œuvre d'Averroès
connut un immense
succès dans l'Europe
juive et chrétienne,
mais n'eut presque
aucune influence dans
la liturgie et de la culture. Les
besoins de la controverse mu­
sulmane requirent la traduc­
tion de ses oeuvres, en com­
mençant par la logique. Sous
l'impulsiond'un noble mécène,
al-Kindî*, on synthétisa en
arabe le néoplatonisme un peu
diffus qui formait le fond de la
pensée des intellectuels de la
le monde musulman.
ment des Arabes de souche, mais très
souvent des Iraniens: ainsi Sîbawayh, le
premier grammairien, Bukhârî*, auteur
du premier recueil classique de hadiths,
l'historien Tabarî*, le premier à avoir
commenté tout le Coran. Quant à al­
Bîrûnî*, savant universel, il disait qu'il
aimait mieux être engueulé en arabe que
flatté en persan!
La nouvelle religion dût se définir en se
distinguant de celles des populations
conquises. À partir du vm• siècle, la po-
région : des paraphrases de
Plotin* formèrent la Théologie
d'Aristote, des extraits de Pro­
dus le Livre des causes.
Ces traductions furent !'oeuvre
de chrétiens des diverses confessions
présentes au Moyen-Orient. Elles furent
uneentrepriseprivée, sanssoutiende l'É­
tat. Il faut dissiper la légende de la« Mai­
son de la sagesse » de Bagdad: celle-ci
n'était pas un centre de traductions
d'oeuvres philosophiques, mais de pro­
pagande pour la tendance théologique
que soutenaient les califes.
Un public cultivé de fonctionnaires
constitua la base sociale d'une florai­
son littéraire et scientifique. Al-Fârâbî*
10 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
5 Le Point
(cf. p.62), Turc de culture persane, estbien
moins connu en Occident que ses suc­
cesseurs Avicenne* (cf p. 64) et Aver­
roès* (cf p.66), pour qui il était pourtant
la grande autorité. Il fut le premier à adap­
ter et à commenter systématiquement les
œuvres logiques d'Aristote.Il réfléchit sur
la place du philosophe dans la cité deve­
nue musulmane en s'inspirant de Platon.
Cependant, jamais la philosophie n'a
connu en islam ce phénomène propre à
l'Europe : l'institutionnalisation de son
enseignement dans les universités. Les
grands philosophes musulmans sont de
la taille des grands scolastiques de leur
époque ou d'après eux. Mais philosopher
n'est pas leur métier. Ils
ISLAM I Introduction
savoir.II faut aussiparler d'une stagnation
relative, non d'un recul absolu. L'empire
islamique a continué à s'étendre, aux Indes,
en Indonésie, en Afrique. Bien entendu, on
nes'est pas arrêté depenser. Des éléments
d'origine philosophique ontsubsisté.Ainsi,
les écoles de droit musulman ont intégré
un enseignementpréparatoirede logique
aristotélicienne. LeKalâm tardif a emprunté
à Avicenne. Et l'expérience mystique s'est
formulée en combinant deux idées fonda­
mentales du philosophe grec Plotin, que
celui-ci distinguait: l'Un indicible, et l'in­
tellect qui connaît toutes choses. Le sou­
fisme (cf p. 74) est devenu ainsi une sorte
de « néoplatonisme pour le peuple » où
sont musiciens, médecins,
juristes. Ils font de la phi­
losophie pendantleursloi­
La pensée arabe s'est
refermée sur elle-même
sirs et ne l'enseignent que
au moment où elle a
de façon privée. La philo­
sophie resta le fait d'une
très petite élite. En Eu­
rope, la pensée des géants
fut répercutée par une ar­
mée de « petits profs ». Elle
l'union à Dieu équivaut
parfois à une « disparition »
en Lui. On peut trouver
cette métaphysique un
peupauvre; cela nel'apas
empêché d'inspirer des
cessé de sentir le besoin chefs-d'œuvre de poésie
d'un contact avec
les sources grecques.
dans toutes les langues de
l'islam.
Dans l'ensemble, il reste
a pu imprégner théologiens, juristes et
médecins et donner à la pensée des grands
maîtres un relais social qui a manqué à
leurs confrères musulmans.
Les intellectuels de l'islam ne se sont
d'ailleurs pas occupés avant tout de phi­
losophie ou de mystique. Ce qui intéres­
sait le plus les musulmans du Moyen Âge
n'était pas forcément ce qui, aujourd'hui,
intéresse le plus les Occidentaux. Gardons­
nous d'une illusion de perspective trom­
peuse: ne confondons pas ce surquoinous
trouvons le plus de choses dans les librai­
ries d'Europe (le soufisme*, avant tout) et
cesurquoiles musulmans écrivaient, voire
écrivent encore. Ce serait négliger l'im­
portanceécrasantedu droit religieux (fiqh)
(cf p. 44) et des disciplines auxiliaires: tra­
ditions sur le Prophète et biographies de
ceux qui les ont transmises ; exégèse du
Coran, grammaire; traités sur les diver­
gences entre écoles juridiques...
Lapenséearabesembles'êtrelentement
ankylosée, environ à partir du XI" siècle. Il
faut certes nuancer le constat, varier à l'in­
fini selon les régions et les domaines du
vrai que la pensée mu­
sulmane a marquéle pas. Et qu'elle a man­
qué plusieurs tournants que l'Occident
avait, plus ou moins laborieusement,
réussi à négocier: les grandes décou­
vertes, la révolution astronomique et phy­
sique, la lecture critique des livres sacrés.
Et ce n'est qu'au début du x1x• siècle que
l'Orient a utilisé l'imprimerie.
Causes de la stagnation
On s'est beaucoup interrogé sur les
causes de cette stagnation intellectuelle.
L'essor de l'islam au v11• siècle avait re-
distribué l'espaceéconomique mondial,
capté à son profit les circuits commer-
ciaux, mis en contact des régions jus­
qu'alors séparées, remis en circulation
l'ordes tombeaux égyptiens etdes icônes
byzantines. Sa stagnation fut contempo­
raine d'un arrêt dans la croissance éco-
nomique, au moment même où l'Europe
latine commençait un décollage qui ne
s'est pas arrêté depuis: croissance dé­
mographique et innovations techniques
- donc gain de productivité- s'y provo­
quaient mutuellement. -+
Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 11
Introduction I ISLAM
• La prise de contrôle de l'Empire isla­
mique par les Turcs fut décisive dans la
lutte contre Byzance, depuis leur victoire
à Mantzikert (1071) jusqu'à la chute de
Constantinople (1453). Mais ils servirent
de force de frappe à une orthodoxie cen­
sée représenter la Tradition (Sunna*).
Les quatre grandes écoles de droit
(cf p. 52) s'accordèrent pour dire que
tous les problèmes devaient pouvoir être
résolus à partir des principes énoncés
par leurs fondateurs et qu'il n'était plus
nécessaired'innover. Ghazâlî* (cf p. 78)
a critiqué la philosophie, mais il a surtout
réalisé une synthèse du droit qu'il ensei­
gnait et du soufisme qui s'étaitassagide­
puis l'exécution de Hallâj* en 922. Ces
deux éléments de la vie musulmane ont
depuis lors cessé de s'opposer pour au
contraire se renforcer l'un l'autre. L'ob­
servation stricte de la charia légitime et
leste la quête mystique; celle-ci vient à
son tour animer de l'intérieur l'accom­
plissement des devoirs religieux en en ré­
vélant le sens profond.
La pensée arabe s'estreferméesur elle­
même au moment où elle a cessé de sen­
tir le besoin d'un contact avec les sources
grecques. Elle crut avoir rattrapé et dé­
passé les Grecs et donc pouvoir se pas­
ser de puiser chez eux. Cette impression
n'était pas sans fondement : en mathé­
matiques, en optique, en astronomie, en
médecine, les Grecs furent améliorés et
prolongés. Rhazès* put se permettre de
rassembler des « doutes » (difficultés)
contre le médecin Galien; Alhazen* fit
de même pour l'astronome Ptolémée*.
En philosophie, Avicenne représente
une lignede partagedes eaux ou une dé­
claration d'indépendance. Le premier, il
rompit avec l'habitude de rédiger des
commentaires sur Aristote, sur lequel il
n'écrivit que quelques courtes « notes ».
Son œuvre digère la pensée aristotéli­
cienne, traite des mêmes sujets que le
philosophe grec, mais de façon originale.
Après lui, philosopher, ce ne sera plus
lire Aristote, mais lireAvicenne. En Iran,
sa pensée se combina avec une revivis­
cencedes traditions réelles ou imaginaires
de la Perse antique, pour former une « sa­
gesse divine » restée vivace jusqu'au
xvme
siècle.
12 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
5 Le Point
Ifrîqiya
Averroès commenta plusieurs fois les
œuvres d'Aristote pour en décaper la
pensée des sédiments qui la couvraient.
Parallèlement, d'autres savants andalous
proposaient des hypothèses astrono­
miques plus fidèles à la physique aris­
totélicienne quecellesde Ptolémée. Cela
n'empêcha pas Averroès de soutenir des
théories puissamment originales, par
exemple en théorie de la connaissance.
Son œuvre connut un immense succès
dans l'Europe juive et chrétienne, mais
n'eut presque aucune influence dans le
monde musulman.
D'une langue à l'autre
Au Xle
siècle,l'Europe s'engageadansune
mutation profonde. Les progrès maté­
riels exigèrent des techniques plusfines
on traduisit donc de l'arabe des traités
de médecine. Les papes lancèrent une
réforme intérieure de l'Église et en re­
négocièrent le rapport avec l'Empire. Il
fallait aux deux adversaires des argu­
ments juridiques. On redécouvrit donc
les grands recueils de droit de l'empe­
reur Justinien (vie
siècle). À Bologne, on
les systématisa en une science déduc­
tive. Il fallait pour cela des outils intel­
lectuels plus fins que les deux traités
d'Aristote qui avaient été traduits par
Boèce*.
La demande créa l'offre: à Tolède, en Si­
cile, à Salerne, on traduisit Aristote, à
partir de traductions arabes ou directe­
ment à partir du grec. Et l'on traduisit
des penseurs musulmans. Ainsi, la Mé­
taphysique d'Avicenne, dernier cri de
cette science, fut traduite avant celle de
son fondateur Aristote.
ISLAM Introduction
FOYERS HISTORIQUES DE LA PENSÉE EN ISLAM
Océan Indien
. .=
En 1148, ladynastiemarocaine des Al­
mohades quiavaitprisle contrôle de l'Es­
pagne mauresque avait placé leurs su­
jets nonmusulmans devant le choix entre
la conversion, le martyre ou l'exil. Parmi
les juifs qui se réfugièrent en terre chré­
tienne, Catalogne, Languedoc ou Pro­
vence, certains emportèrent des textes
arabes, qu'ils traduisirent en hébreu,
langue de culture des juifs de ces régions
d'abord des œuvres juives de vie spiri­
tuelle, puis Maïmonide*, qui avait ac­
climaté la philosophie dans le judaïsme,
enfin des œuvres philosophiques dues à
des musulmans ou à des Grecs.
De deux côtés, donc, despensées venues
de l'arabe ou transitées par lui entrèrent
en Europe. Elles alimentèrent une de ces
Renaissances qui rythment, de façon quasi
ininterrompue, l'histoire européenne. •
Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 13
Langue arabe ! ISLAM
Langle de la Révélation, comme il est dit à maintes
reprises dans le Coran, l'arabe s'est diversifié à mesure
que l'islà:m s'étendait. L'arabe classique, figé, a été
doublé d'une langue technique simplifiée, en même
temps que prospéraient les dialectes populaires.
L'arabe,
fondement de la pensée en islam
timportance de la langue dans la constitution
mentaledes Arabes est particulièrement mani­
festedans le culte que vouaient les Arabes mé­
diévaux à lapoésieantéislamique. Surtout durant les
quatrepremierssiècles, celle-ci aconstituéla source
fondamentale de leurs annales réglant les discus­
sions sur leurs généalogies et sur leurs guerres, par­
lant de leurs sciences, de leurs coutumes et de leur
histoire. Les esprits les plus religieux respectaient ce
monument de l'antiquité arabe (lajâhi/iyya). Des vers
étaient cités pour expliquer certaines expressions
rares de la parole de Dieu dans le Coran. À la diffé­
rence de l'époque moderne qui pratique la poésie
libre, la poésie n'était alors pas un art frivole ou fa­
cile, mais une discipline rigoureuse avec des règles
ardues et des mètres savants.
Une langue sauée etdivine
«Et il est, certes, une révélation du Seigneur des
mondes descendue[du ciel] par l'Esprit fidèle[...] en
langue arabe pure» (Coran, XXVI, 192-195).«Pure»
et non«claire», comme on traduit souvent, car le
langage du Coran est loin d'être clair; à preuve la
masse énorme de commentaires philologiques qui
ont été élaborés à son sujet. Il faut plutôt voir dans
cette phrase une réponse à la récrimination des
contemporains de Mahomet se plaignant que les
Arabes, contrairement aux juifs et aux chrétiens,
n'aient pas été gratifiés d'une révélation propre (VI,
155-156). Ainsi, en ne répétant pas moins de quinze
fois qu'il est«manifestement» en langue arabe, le
Coranenlèveà ces contestatairestouteéchappatoire
«Nous n'avons jamais envoyé aucun messager, si ce
n'est dans la langue de son peuple» (XIV, 4).
14 [ Novembre-décembre 2005 [ Hors-série n°
5 Le Point
PAR MARIE-THÉRÈSE URVOY*
Le croyant en déduit qu'il s'agit d'une révélation tex­
tuelle, que le Coran est«lesparolesmêmes de Dieu».
l:arabe n'est donc pas une langue liturgique, comme
le latin pour le christianisme de jadis, mais bien la
langue sacrée et divine, celle-là même que Dieu a uti­
lisée pour s'adresser à l'ultime prophète, pour une
ultime révélation, récapitulative de toutes les autres.
Avant l'islam, les Arabes parlaient divers dialectes;
cependant une languelittérairecommune, comprise
par tous, était utilisée dans les concours de poésie
dont le plus célèbre était celui de la foire annuelle
d'Ukaz, prochede La Mecque, enArabie. Cettelangue
devait être très proche des dialectes, mais aussi s'en
distinguer par les subtilités du vocabulaire, par les
inflexions et par les articulations de la syntaxe. La
sensibilité poétique etrythmique innée chezlesArabes
avait dû opérer une sélection progressive et systé­
matique, retenant ce qu'il y avait de plus pur dans
tel dialecte, et de plus riche et imagé dans tel autre.
À en croire les grammairiensanciens, le dialecte qui
l'aurait emporté, au point de devenir une sorte de
«collecteur», aurait été celui des Qoraychites, la
tribu deMahomet. Rienne le prouve. Laraisonde ce
privilège attribuéà la langue desQoraychitesest sans
doute à chercher dans la jonction du thème de l'in­
imitabilité du Coran (cf p. 22) et du privilège poli­
tique accordé par l'islammajoritaireà la tribu du Pro­
phète, telle l'idée quelecalifedevaitêtreissu de cette
tribu. Quant au premier thème, il a abouti à faire ad­
mettre par la majorité des musulmans que, comme
le dit le célèbre historien Ibn Khaldoun* (cf p. 68),
«l'élégance inimitable du style du Coran est telle­
ment grande qu'aucune intelligence ne saurait l'ap­
précier complètement».
C'est dire la force et la complexité du lien entre la
forme de la parole et la pensée. Aussi Renan*, qui
contestait auxArabestouteoriginalité dans les disci­
plines spéculatives, reconnaissait-il en revanche que
«[leur] génie s'est déployé dans la grammaire».
Spédallsatlon et éparpillement
LeCorans'estprésentéd'emblée comme un texte qu'il
fautmémoriser. Celaacontribuépuissammentà l'uni­
formisation de lalanguesur le territoire où s'implantait
l'islam. En même temps que le Coran, toute une lit­
térature religieuse se constitue, qui augmente la ri­
chessedu langage. Par ailleurs, l'expansionarabehors
de la péninsule entraîne des brassages de populations
favorisant son unification. l'arabe devient ainsi une
véritable langue de culture. Mais si celle-ci s'impose
comme languenationale dans certainesrégions, elle
ne reste ailleurs qu'un moyen d'expression pour let­
trés. Ainsi, très tôt, dès le v111' siècle, se manifeste une
distorsion entre la langue de culture, avec ses règles
et ses contraintes, et lapratique courante par des po­
pulations quisubissent l'influence deleurparlerpropre.
Le trait le plus dominant est l'abandon du système de
flexion, caractéristique essentielle de l'arabe classique,
qui aboutit à ce qu'aujourd'hui l'apprentissage de la
langue littéraire par les étrangers se fasse sans les vo­
calisations, ces voyelles courtes nécessaires à la défi­
nition grammaticale.
Très tôt cependant, la langue littéraire a été doublée
d'une languesimplifiéequiestdevenuelemoyend'ex­
pression écrite de minorités non musulmanes. Les tra­
ductionsscientifiquesà partir du syriaqueou du grec,
faites surtout par des chrétiens, en même temps
qu'ellesontenrichi le vocabulairepardesaspects tech­
niques jusqu'alors inconnus, ont facilité l'expansion
de cet arabe simplifié. Du persan, langue également
indo-européenne, l'arabe n'emprunte que des vo­
cables; malgré de fortes personnalités, tel Ibn Mu­
qaffa'* quisaitfondre un espritiraniendansuneforme
arabe, c'est plutôt le persan qui s'arabise et qui, tout
en conservant sa structure, emprunte à la langue de
l'islam près de la moitié de son vocabulaire.
Il y a donc un éparpillement de la langue en divers
niveaux : 1. - une langue littéraire fortement mar­
quée par leCoran et quicontinueà seréféreraux mo­
dèles poétiquesanciens tout enabandonnantquelque
peu leur exubérance lexicale; 2. - une langue tech­
nique, trèssimplifiée; 3. - les divers niveaux du lan­
gage populaire appelé dialectal.
l'évolution sociale et politique, avec l'affaiblissement
des Arabes et la montée en puissance des Persans et
des Turcs, accentue ce processus. Dès lesenvirons de
912 après J.-C., soit à la fin du 111' siècle de l'hégire*,
la langue classique reste réservée au domaine litté-
/
ISLAM I Langue arab.e
raire. Le respect de ses traits fondamentaux apparaît
même comme une marque de pédantisme, à moins
qu'il ne s'agisse d'une occasion solennelle(religieuse
ou artistique). Le mot 'arabiyya désigne désormais
un système codifiépar desspécialitésdu langage et,
du même coup, figé.
Les grammairiens arabes ont perçu leur objet comme
«un organismevivantauseinduqueljouent des forces
telles qu'un mot peut agir sur un autre et que c'est en
saisissantcetteactivité interne qu'on peut comprendre
ce qu'elle veut dire» (Roger Arnaldez). Lesmécanismes
propresà la langue permettent d'exprimer tout ce qui
doit être compris. Voyons quelques exemples mon­
trant à quel point ils peuvent commander l'organisa­
tion de la pensée etconditionnerlesréflexesde la com­
munauté qui la parle ou s'y réfère.
Le plus frappant est l'appel islamique:«Allâh akbar »,
«Dieu(est) le plus grand». Il n'est formé que de deux
termesn'exprimant aucune actionpuisque sans verbe.
Mais le superlatifest obtenu par une forme adjective
intensive que la grammairearabea développéeà l'envi
avec une créativité débordante.
Lorsque le Coran dit : «Les croyants sont seulement
des frères» (LXIX, 10), il utilise une particule gram­
maticale (innamâ), ni nom ni verbe, qui comporte un
sens exclusif mais aussi amplificateur, qui dynamise
la phrase nominale. Aussi l'exégète commente-t-il :
«pas de fraternitésaufentre les musulmans»; ce que
la communauté appliquera avec un grand scrupule.
EWpse et sens de la formule
Il en va de même pour le fameux cri : « Lâ illâh illâ a/­
/âh »(«il n'y apoint de divinitésauJDieu»).Cetorrent
sonore fait de cascades de «l» (olim) et de voyelles
longues, «â» (a/if), saisit l'auditeur jusqu'à l'ivresse.
Maisle«sauf»(laparticuleillâ) chargeaussilaphrase
nominale d'un exclusivisme brutal. Dans ces trois
exemples, l'effet produitestgarantipardesparticules,
dépourvues defonctiongrammaticalequandellessont
isolées, tirant leur force de leur brièveté.
Aussi, tout enétantcapabledereprendreà soncompte
le raisonnement hérité des Grecs ou le genre de l'apo­
logue venu de l'Inde, la production intellectuelle en
arabe garde une allure spécifique : la présentation
des idées cherche moins à satisfaire la spéculation
par des analyses graduées qu'à entamer la volonté
par des formules en pointe, procédant par allusion
etsuggestionplutôt que par des développements sui­
vis, préférant le confort du dilemme à la complexité
du syllogisme, et aimant passer directement du prin­
cipe à la conséquence.
* Marie-Thérèse Urvoy, professeur d'islamologie à l'Institut
catholique de Toulouse, auteur notamment de L'Orient chré­
tien dans l'empire musulman {Éditions de Paris, 2005).
Le Point Hors-série n°
1 Novembre-décembre 2005 1 15
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François
Déroche,
directeur d'études
à !'École pratique
des hautes études,
spécialiste de
l'histoire du livre en
Islam, auteur, entre
autres, du Coran
(PUF, 2005) et
du Livre manuscrit
arabe, préludes à une
histoire (BNF, 2004).
CORAN ET SUNNA I Introduction
L'islam s'appuie sur trois corpus : le Coran révélé
à Mahomet, la Sunna, compilation des hadiths,
paroles et gestes du Prophète, et le consensus des
docteurs de la Loi. Seul le Coran est incontesté,
même s'il se prête à bien des exégèses.
CORAN ET SUNNA
AUX SOURCES DE LA PENSÉE EN ISLAM
Par François Déroche
L
I islam repose sur le Coran, la Tra­
dition (Sunna*) et le consensus
des spécialistes de laLoi. Texte fon­
dateur, le Coran est dans son intégralité
laparolede Dieudictée par l'ange Gabriel
à Mahomet (cf p. 30) au cours de révé­
lations qui sesont espacées sur une ving­
taine d'années. Les versets coraniques,
groupés en sourates, ne sont pas organi­
sés de manière à développer une argu­
mentation. Ils ne prennent pas non plus
uneforme narrative, lesré-
Texte révélé, le Coran énonce une vérité
qui s'imposesans discussion à l'homme.
Mais parcequ'il n'est pas construit comme
un exposé systématique de la Loi, un cer­
tain nombre de points restent obscurs,
soit qu'ils n'aient pas été évoqués du tout,
soit qu'il ait existé une contradiction entre
deux versets traitant de la même ques­
tion. Sur ce point, un verset (li, 106) ap­
porte d'emblée une solution : « Dès que
nous abrogeons un verset ou dès que
nous le faisons oublier,
cits étant brefs et généra­
lement allusifs. Ils ne sont
enfin que partiellement re­
groupés sur une base thé­
matique. L'essentiel du
message est formé d'an­
nonces et d'admonesta­
tions: affirmation de l'exis-
Ni argumentation,
ni récit, l'essentiel
nous leremplaçons par un
autre meilleur ou sem­
blable. » En outre, la diffi­
culté du texte en certains
endroits est de nature à ré­
clamer un effort pour en
cerner le sens. Un verset
(III, 7) quia suscité d'abon-
du message coranique
est formé d'annonces
et d'admonestations.
tence d'un Dieu unique
transcendant, invitation faite à l'homme
de se soumettre à lui dans la perspective
du Jugement dernier et confirmations ré­
pétées de la mission de Mahomet. Une
part non négligeable du texte est enfin
constituée par des prescriptions légales.
dantsdébatsassure que le
Coran contient des « versets clairs » - la
basedu Livre - et d'autres « équivoques ».
Quels sont-ils? Les musulmans peuvent­
ils ou non chercher à les comprendre?
Les premiers théologiens de l'islam fu­
rentprincipalement préoccupés par les ,.
Le Point Hors-série n°
5 [ Novembre-décembre 2005 1 17
Introduction j CORAN ET SUNNA
C .... .
C
.,,J
! (A)
@1o,. .....
-+aspects juridiques et se passèrent de
toute approche spéculative dans l'étude
du Coran. En revanche, ils trouvèrent dans
les hadiths*, les « dits de Mahomet» - ma­
tière de la Sunna-, des réponses aux ques­
tions demeurées en suspens, essentielle­
ment dans le domaine légal et moral.
L'exemple du Prophète
Une partsubstantiellede cet énorme cor­
pus vise en effet à donner au croyant les
moyens de s'acquitter de ses obligations
envers Dieu en mettant son existence en
conformité avec le modèle parfait que re­
présente le Prophète : « Vous avez, dans
le Prophète de Dieu, un bel exemple»
Très tôt, la question de leur authenti­
cité est toutefois posée par les spécia­
listes musulmans eux-mêmes, qui s'ef­
forcent d'éliminer ceux qui paraissent
suspects; de fait, il était tentant (et facile)
d'inventer des hadiths pour étayer une
position, notamment dans le domaine du
droit. Plus près de nous, à la fin du
x1x• siècle, le grand arabisant lgnaz Gold­
ziher a remis en cause de manière plus
large leur véracité, une position critique
qui prévaut toujours chez certains cher­
cheurs contemporains. Troisième fonde­
ment, le consensus des spécialistes de la
Loi vise à garantir la permanence de l'en­
seignement du Coran et de la Sunnaqu'il
rend clair et décisif.
Comme on le voit, les deux
ensembles de textes quesont
Alors que le Coran est mis
par écrit vers le milieu
le Coran et la Sunna sont de
statut et de nature très diffé­
rents. Bien que des hadiths
aientétéinvoquésparlespre­
miers exégètes pour expli­
quer le sens du Coran, ils ne
contiennent que ponctuelle­
mentdeséléments de réponse
du vrre siècle, les hadiths
ne nous sont connus qu'à
travers des compilations
datant du rxe siècle.
(XXXIII, 21). Chaque hadith se présente
comme un rapportplus ou moins détaillé
relatant une parole ou un geste de Maho­
met et remontant à une personnalité qui
en fut le témoin direct et l'a raconté à un
autre fidèle, lequel, à son tour, l'a trans­
misàunepersonne bien précise, etc. C'est
par exemple au compagnon de Moham­
med Abû Hurayra (mort en 678) que se
rattache la chaîne de transmission d'un
hadith qui ditque « le Prophète a défendu
d'appuyer sa main sur la hanche pendant
la prière» (dans le recueil de Bukhârî*
compilé vers le milieu du 1x• siècle).
Alorsque le Coranestmis parécritvers
le milieu du vu• siècle, les hadiths, dont
la circulation, l'étude et l'utilisation par
des savants musulmans semblent re­
monter à la fin de ce même siècle, ne nous
sont connus qu'à travers des compila­
tions largement postérieures (lx• siècle).
Leur reconnaissance en tant que second
fondement de l'islam après le Coran est
l'œuvre du grand juriste al-Châfi'î*.
àcertainesquestionsthéolo­
giques essentielles - la pré­
destination, par exemple.
À partir du milieu du vu!° siècle et du­
rant le 1x•, les traductions en arabe des
philosophes grecs firent découvrir à l'is­
lam des possibilités nouvelles d'inter­
préter le monde et lestextes. Des esprits
qui ne se satisfaisaient pas des explica­
tions des tenants intransigeants de la Tra­
dition commencèrent à adapter les
concepts issus de !'Antiquité: certains
empruntèrent desméthodes, d'autres pro­
posèrent des synthèses plus ambitieuses.
Liberté ou prédestination
Assez rapidement, sous les Omeyades
(fin v11•-début vm• siècle), la question de
la liberté de l'homme a donné lieu à des
discussions qui tiraient du Corandes ar­
guments contradictoires. Le débat op­
posait ceux qui adhéraient à l'idée selon
laquelle les destins individuels étaient
inscrits de toute éternité dans le plan di­
vin, à d'autres qui objectaient que Dieu,
dont le Coran proclamait la miséricorde,
ne pouvaitpaspunir ou récompenser des
18 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
5 Le Point
hommes pour des actes dont la décision
in fine ne leur appartenait pas. Les se­
conds, tenants de la théologie rationnelle
(kalâm*), faisaient une place à la raison
et aux méthodes de la philosophie
grecque; les premiersse recrutaient parmi
les spécialistes musulmans des hadiths
et trouvaient dans la Sunna des hadiths
qui constituaient autant d'arguments en
faveur de la prédestination.
Des penseurs musulmans tentèrent de
réconcilier philosophie et Révélation.Sur
un certain nombre de points toutefois,
comme l'immortalité de l'âme ou la créa­
tion du monde, leur effort ne parvint pas
à rendrecomptede l'enseignement du Co­
ran. La question du caractère créé ou in­
créé du Coran cristallisa au IXe
siècle l'op­
position radicale et féroce entre les
promoteursdu kalâm et ceux qui, comme
Ibn Hanbal*, récusaient touteautresource
à la Loi que le Coran et la Sunna, et mani­
festaient une profonde suspicion vis-à-vis
de méthodes d'origine étrangère.
CORANETSUNNA j Introduction
Parce que les musulmans « ordonnent ce
qui est convenable et interdisent ce qui
est blâmable» (IX, 71), ilstrouventdans le
Coran etlaSunnaun enseignementqui leur
permet de vivre de manière à atteindre le
but ultime du croyant, l'agrément de Dieu
et sa récompense dans l'au-delà. L'accent
est davantage mis sur les actes qui per­
mettent de parvenir à ce but ou qui sont
déconseillésquesur une définition du bien
ou du mal.Dans le Coran, source de la Loi,
leséléments d'un code apparaissent à côté
d'injonctions formant l'ébauche d'une mo­
rale. Semblablement, biendes hadiths trai­
tent de points d'éthique et de problèmes
juridiques. Les uns et les autres consti­
tuent un tout pour les fidèles. Le Coran
propose une sagesse (hikma) qui ne se li­
mite pas à un catalogue des bonnes et des
mauvaises actions, l'injonction morale
étant souvent suivie d'une invitation à ré­
fléchir. Cette éthique aux contours parti­
culiers est demeurée largement en dehors
de la réflexion des philosophes.•
École islamique,
Coran, Chantilly,
musée Condé.
Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 19
Clés de lecture I CORAN ET SUNNA
a:
-
....
:z
...
:li
E
=
u
...
....
Le prophétisme
gu'est que le Coran? Le
textesacrédel'islamest
d'abord une somme de
v à croire et un code de
préceptes à appliquer, mais il
est aussi un discours sur lui­
même, sur l'histoire, sur les re­
ligions et sur Mahomet. C'est
sur cette base que vont se dé­
velopper au sein de l'islam la
réflexion et les sciences, reli­
gieuses ounon.Le premier ver­
set cité (li, 177), qui contient
virtuellement le dogme, le ri­
tuel et l'éthique du Coran, in­
clut aussi le devoir de croire
aux prophètes antérieurs à Ma­
homet, selon une perspective
qui dessine une histoire reli­
gieuse de l'humanité.
Histoire de la Révélation
Depuisla Genèse, Dieun'acessé
de lui envoyer des prophètes.
Chacun, dans la langue de son
peuple, lui a adressé le même
message divin : le créateur est
un; l'humanité a des devoirs
envers Lui.De cette succession
de prophètes, le Coran ne men­
tionne que quelques-uns : Adam
puis Noé, Abraham, Moïse, Sa­
lomon, David, Jésus... Ce dis­
cours apparaît moins comme
une histoire du salut que
comme celle de la Révélation
et d'une certaine unité des re­
ligions. Il revendique un héri­
tage religieux. Mieux, il le
confirme.Maissi Mahomet pré­
tend appartenir au cycle des
prophètes sémitiques, il intro­
duit une différence fondamen­
taleavecla tradition judéo-chré­
tienne : il élève Abraham au
rang de patriarche des musul­
mans, de fondateur de l'islam.
Abraham, patriarche des musulmans.
Cette théorie de la révélation
sera le point de départ d'une
double investigation.D'unepart
les hadiths*, censés témoigner
des paroles etdesgestes de Ma­
homet, suppléerontlessilences
de la révélation par quantité
d'anecdotes, puiséesnotamment
à la tradition juive, brodant une
histoire sacrée imprégnée de
merveilleux. D'autre part, des
tentativesd'histoire universelle,
selon les critères de la science
médiévale, amalgameront les
données coraniquesaveccelles
des peuples convertis en de
grandioses synthèses comme
celle d'un Tabarî*.
Quels seront maintenant le rôle
et la place de Mahomet par
rapport à ses prédécesseurs?
Il n'est, comme eux, qu'un
avertisseur, porteur du même
message; mais il est surtout
le dernier. Telle est du moins
l'interprétationclassique d'un
verset (XXXIII, 40), selon le­
quel Mahomet est le« sceau »
des prophètes. Il clôt avant la
findu monde lecyclede la pro­
phétie.Cette interprétation est
rejetée toutefois par nombre
de mouvements sectaires et
messianiques. Ainsi, selon le
20 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
5 Le Point
mystique Ibn 'Arabî (cf p. 80),
ce verset affirme simplement
que Mahomet est venu ap­
porter la dernière loi divine à
l'humanité. Laissant entendre
que l'inspiration divine ne dis­
paraît pas après lui, le grand
théoricien du soufisme* jetait
un pont avec l'idée chiite* de
l'imamat (cf. p.88).
D'autre part, si le Coran n'ins­
taure pas de hiérarchie entre
les prophètes, la Tradition
(Sunna*) a enrichi le portrait
de Mahomet de traits nouveaux
qui font de lui le« meilleur des
envoyés»: il parachève l'œuvre
de ses prédécesseurs, et il est
le premier des hommes dans
l'ordre de la création.
Un texte énigmatique
Enfin, le Coran se veut la réca­
pitulationde toutes les révéla­
tionsprécédentes.Mais il reste
souvent concis, allusif, voire
énigmatique. Aussi a-t-il sus­
cité un vaste mouvement in­
terprétatif. L'apport des civi­
lisations étrangères y fut es­
sentiel, et les sciences spéci­
fiques du texte coranique mi­
rentaupointune méthodologie
qui servit aux autres disciplines
non religieuses. Cette repré­
sentation musulmane du Co­
ran et de Mahomet n'a pas peu
contribué à ouvrir l'Islam, en
tant que civilisation, vers l'ex­
térieur. En même temps, la
place éminente accordée au
livre sacré et à Mahomet suffit
à expliquer pourquoi la com­
munauté religieuse s'est édi­
fiée exclusivement sur cesdeux
composantes.
Mohyddin Yahia
CORAN ET SUNNA Prophétisme
...
<< Mahomet est l'envoyé de Dieu
et le sceau des prophètes >>
�
><
...
�
...
....
•
Être pieux ne signifie point tourner vos
E visages vers l'orient ou vers l'occident.
:r,2
Est pieux l'homme qui croit en Dieu et
au Dernier Jour, aux anges, aux Écritures, aux
prophètes; l'homme qui, pour l'amour de Dieu,
donne ce qu'il possède à ses proches, aux or­
phelins, aux pauvres, auxvoyageurset aux men­
diants ainsi que pour racheter les captifs;
l'homme qui prie, donne l'aumône, observe la
foi jurée, demeure constant dansl'adversité, le
malheur, et face à la violence. Voilà l'homme
sincère, voilà l'homme qui craint Dieu!
CORAN, Il, 177
Ce furent toujours des hommes, commetoi, que
Nous envoyâmes comme prophètes inspirés
dans leurs cités. [...] Il est, dans les récits de
ces prophètes, un salutaire enseignement pour
les hommes doués de réflexion.Ce n'est pas un
propos qui puisse être démenti; bien au
contraire, c'est une confirmation des révéla­
tions antérieures, un exposé détaillé sur toute
choseet une miséricorde pourceux qui croient.
IBIDEM, XII, 109 ET 111
Il ne t'est révélé que ce qui fut révélé aux en­
voyés qui t'ont précédé[...].
IBIDEM, XLI, 43
Lorsque Abraham eut élevé avec Ismaël les as­
sises du temple [de la Kaaba], ils dirent : « ô
Seigneur[...], fais de nous des musulmans, et
de notre descendance une communauté mu­
sulmane. [...J Suscite parmielle un envoyéissu
d'elle qui leur récite tes versets, lui enseigne
!'Écriture et la Sagesse, et la purifie. Tu es le
Sage et le Tout-puissant! » [...J Certes, Nous
[Dieu] avons élu Abraham en ce monde, et il
sera au nombre des saints dans l'au-delà. Dès
que son Seigneur lui dit : « Sois musulman!», il
répondit : « Je me soumets au Maître de l'uni­
vers...» Et lorsque Jacob fut près de rendre
l'âme, ses enfants dirent : « Nousadorerons ton
Dieu, le dieu de tes pères, Abraham, Ismaël et
Isaac, dieu unique. À Lui nous serons soumis
[musulmans].»
IBIDEM, Il, 127·133
Car c'est à toi [Mahomet] que Nous avons fait
descendre ce Livre où toute.chose se trouve
éclairée, et qui est aussi un guide sûr, une mi­
séricorde et une annonce heureuse pour les
croyants.
IBIDEM, XVI, 89
Mahomet n'est le père d'aucun d'entre vous,
mais l'envoyé deDieu et le sceau des prophètes
[ ...].
IBIDEM, XXXIII, 40
Des gens vinrent unjour demander au Prophète
« Quand as-tu assumé ta charge de prophète?
-Alors qu'Adam était encore entre l'esprit et le
corps», répondit-il.
D'après Ibn 'Abbâs: « Je[Mahomet] suis le pre­
mier des hommes dans la création et le dernier
dans la mission [prophétique].J'étais le servi­
teur de Dieu et le sceau des envoyés alors
qu'Adam était encore dans son argile. [...]
Lorsque Dieu créa Adam, je fus transféré à sa
descendance et jedescendissur terre.Puisj'ap­
partins à la descendance de Noé et je fus placé
dans l'Arche. Je ne cessai de passer dans les
matrices les plus pures jusqu'à ce que je vienne
au monde engendré par mes deux parents.»
TIRMIDHÎ*, LA SOMME AUTHENTIQUE
Abû Hurayra rapporte le propossuivant de l'en­
voyé de Dieu: « Telle est par rapport aux pro­
phètes qui m'ont précédé, la parabole qui s'ap­
plique à moi : un homme a construit une
magnifique maison, sauf qu'une pierre manque
à l'un des angles. Les gens viennent la visiter,
tournent autour et admirent sa beauté, tout en
disant : "Mais pourquoi donc cette brique
manque-t-elle ici?" Cette pierre, dit le Prophète,
c'est moi, et je suis le dernier des prophètes. »
MUSLIM IBN AL·HAJJÂJ*, LA SOMME AUTHENTIQUE
(TRADUCTIONS ORIGINALES DE MOHYDDIN YAHIA)
Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 21
Clés de lecture I CORAN ET SUNNA
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c..:»
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....
L'inimitabilité du Livre
P
ersuadés que le Coranest
la parole divine, les mu­
sulmans tiennent celle-ci
pour parfaite et estiment qu'au­
cun autre texte ne peut l'éga­
ler. Àpartir du me siècle de l'hé­
gire*, cette conviction prit la ·
forme d'un dogme : le carac­
tère inimitable (i'iâz) du Coran.
Ce dogme ne s'est toutefoispas
imposé avec tant de rigueur
dèsl'origine. Aune
siècle de l'hé­
gire, les premiei:s théologiens
mutazilites* (cf p. 34) n'ad­
mettaient le principe de l'ini­
mitabilité que pour le fond du
texte sacré, non pour la forme.
Il existe par ailleurs quelques
tentatives audacieuses pour
surpasser la qualité littéraire
du Coran ou la mettre en
doute: celles d'lbn Muqaffa'*
et de Mutanabbî*, que d'au­
cuns tiennent pour le plus
grand poète arabe, et surtout
celle du libre penseur Ibn al­
Râwandî*, qui n'hésita pas à
écrire au nom de la raison un
pamphlet contre le Coran.
Le Coran, miracle absolu
Affirmer que le Coran était au­
dessus des forces humaines
était une manière de défendre
lareligion. Mahometavaitreçu
unlivre venu d'en haut: il était
donc unenvoyé de Dieu.C'était
aussi prétendre que le Coran
tenait du miracle, alors que les
religions concurrentes repro­
chaient à l'islam d'en être dé­
pourvu. Le dogme de 1'iJâz his­
sait ainsi l'islam au niveau des
« religions vraies ». Mais tous
les miracles ne se valent pas.
Un simple prodige ne peut être
comparé au miracle suprême
de Mahomet qui n'est autre...
que le Coran lui-même.
Restait à prouver le caractère
exceptionnel de la Révélation
coranique. L'islam fut ainsi
amené à préciser la définition
de miracle. C'estd'abordce qui
rompt le cours naturel des
choses que Dieu a établi et qu'il
peut suspendre : un phéno­
mène miraculeux est le signe
de son intervention dans l'uni­
vers. Mais un miracle est aussi
ce qui authentifie la mission di-
vine d'un Prophète.Pour Jésus,
la marche sur les eaux; pour
Moïse, le bâton transformé en
serpent. Les recueils de ha­
diths* comme celui de Bu­
khârî* attribuent également à
Mahomet des miracles: l'eau
quijailliten abondance d'entre
ses doigts, la lune qui se fend
en deux, etc. Mais ces prodiges
auraient très bien pu être
l'œuvre d'un magicien, ce
qu'avaient d'ailleurs insinué les
Mecquois hostiles, accusations
que le Prophète avait repous­
sées énergiquement.
Les théologiens du ne siècle de
l'hégire durent donc chercher
ailleurs le miracle, signe de la
22 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
5 Le Point
prophétie (âya), dans son in­
humanité. Le vrai miracle était
dans ce qui n'était pas au pou­
voir de l'homme d'accomplir,
fût-il magicien: quelque chose
comme un défi jeté à ses
contemporains qui, impuis­
sants à le relever, prouvaient
ainsi par défaut que Mahomet
était Prophète. Ce quelque
chose est le Coran.
Mais en quoi celivre écrit dans
une langue humaine - fût-elle
inspirée - était-il suprahumain,
Tous les miracles
ne se valent pas.
Un simple prodige
ne peut être comparé
au miracle suprême
de Mahomet qui
n'est autre... que
le Coran lui-même.
miraculeux et inimitable? Les
chrétiens et les juifs ne reven­
diquaient rien de tel pour leurs
Écritures. C'est ce que les mu­
sulmans, par l'examen minu­
tieux dutexte coranique, s'ap­
pliquèrent à vouloir démontrer,
au prix d'une abondante litté­
rature. Ainsi cet extrait de Ba­
qillânî*, un classique du genre.
Son argumentation? Il est pos­
sible, en analysant les chefs­
d'œuvre dela littérature arabe,
de déceler qu'il s'y mêle inva­
riablement quelque imperfec­
tion quant au style ou à l'har­
monieentrele fond et la forme.
Le Coran, au contraire, ne tra­
hit aucune faiblesse. M. Y.
CORAN ET SUNNA lnimitabilité
<< Le Coranest au-delà de ce que
l'imaginationpeut concevoir>>
....
....
>C
....
....
....
....
•
[...] Gardez-vous d'associer à Dieu, en
connaissance de cause, des divinités.
Si vous avez des doutes sur le message
que Nous avons révélé à notre serviteur, ap­
portez donc une sourate semblable à ceci et in­
voquez alors comme témoins celles-là même
que vous associez à Dieu. Si vous ne le faites
point - et vous ne le ferez point - redoutez un
Feu dont les hommes seront l'aliment[...].
CORAN, Il, 22-
24
Dis:« Si les hommes et les génies s'unissaient
pour produire une œuvre semblable à ce Co­
ran, ils n'y parviendraient pas,dussent-ils y em­
ployer tous leurs efforts réunis.»
IBIDEM, XVII, 88
Si un océan tout entier se muait en encre pour
transcrire les paroles de ton Seigneur, l'encre se
tarirait avant qu'elles ne s'épuisent, quand bien
même Dieu yajouterait une mer aussi immense.
IBIDEM, XVIII, 109
Quoi d'étonnant pour les mortels qu'ayant ins­
piré un des leurs, Nous lui ayons dit:« Avertis
les hommes,annonce pour leur plus grande joie
qu'ils jouiront, s'ils croient, d'un privilège cer­
tain.» Les incroyants se sont écriés:« Voilà bien
un magicien manifeste!»
IBIDEM, X, 2
D'après Jâber:« Nous avions grandement soif
le jour où fut conclu le pacte de Hudaybiyya.
Un petit bol se trouvaitalorsdevant le Prophète
et, lorsqu'il eut achevé d'en utiliser l'eau pour
se purifier, nous nous précipitâmes vers elle à
notre tour."Qu'avez-vous donc?" demanda-t-il.
Nous répondîmes: "Nous n'avons pas d'eau
pour nous purifier ni pour boire, si ce n'est celle
que tu as utilisée."
« Il introduisit alors sa main dans le bol et nous
vîmes l'eau couler entre les doigts du Prophète
comme autant de sources. Chacun de nous s'y
désaltéra et fit ses ablutions avec.»
Je[le compagnon qui interrogea Jâber] deman­
dai:« Combien étiez-vous?- Même si nous avions
été une centaine de milliers, l'eau était tellement
abondante qu'elle nous aurait suffi.Nous étions
quinze cents hommes », répondit Jâber.
BUKHÂRÎ, SAHÎH
[...] Certains disent que le caractère inimitable
du Coran se déduit des chapitres sur les figures
de rhétorique que nous avons citées. Mais telle
n'est pas notre opinion. En effet, ces procédés
[...] peuvent être acquis par la pratique et l'ef­
fort soutenu.Il en va de même de lapoésiesil'on
est doué pour elle et qu'onconnaît lesvoiespour
en composer.Quelle que soit la manière de clas­
ser ces procédés, nous maintenons que le ca­
ractère inimitable du Coran ne peut être repro­
duit par aucun homme. Beaucoup de poètes
modernes font en effet de grands efforts pour
s'assimilerlestechniques dela poésie [...] comme
Abû Tammâm par exemple dans son poème rimé
par la lettre « 1 ». Or, des spécialistes de la litté­
rature y ont relevé l'emploi blâmable et artificiel
des figures de rhétorique et de la composition.
[...] Certes Buhturî, quant à lui, ne place pas si
haut la paronomase dans ses poèmes, et ce n'est
qu'en de rares occasions qu'il fait usage de
moyens artificiels.La paronomase, chez lui, sait
rester belle, élégante, raffinée. Il en va de même
pour l'antithèse et les autres figures de style.Et
malgré cela, il n'arrive pas à atteindre la perfec­
tion, tout comme elle futrefuséeaux plus grands
poètes anciens. Nous allons montrer cela dans
un chapitre séparé qui comparera la beauté rhé­
torique de ces poètes à celle du Coran. Ce sera
notre voie pour prouver le caractère inimitable
du Coran.[...] Il t'apparaîtra que[...] la rhéto­
rique, ne rompt en aucune manière le cours ha­
bituel du langage; mieux, elle peut faire l'objet
d'une étude,[...] de même que l'art de la com­
position.[...] Au contraire, quiconque ambi­
tionnerait de rivaliser avec le Coran ne trouve­
rait [...] aucune voie toute tracée : ni vers
extraordinaire, ni maxime bien connue, ni idée
brillante, ni terme rare.[...] Quant à la compo­
sition du Coran, elle est au-delà de ce que l'ima­
gination ou l'esprit peuvent concevoir; on ne
saurait l'apprendre, ni se l'approprier.
BAQILLÂNÎ, LE CARACTÈRE INIMITABLE DU CORAN
(TRADUCTIONS ORIGINALES DE MOHYDDIN YAHIA)
Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 23
Clés de lecture I CORAN ET SUNNA
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....
...
L'exégèse coranique
L
'activité intellectuelledes
musulmans, pendant les
deux premiers siècles
après Mahomet, fut presque ex­
clusivement dominée par des
investigations autour du Co­
ran.Ellesdébouchèrent sur des
sciences typiquement isla­
miques, qui devinrent bientôt
autonomes : lectures et va­
riantes coraniques, lexicogra­
phie, grammaire de la langue
arabe, droit, étude des tradi­
tionshistoriques relatives à l'is­
lam primitif et au Prophète.
Chaque grand commentaire
classique du Coran ne manque
pas de les mettre à contribu­
tion. Grâce à elles, il est tout
autantune élucidation du sens
des versets qu'un commentaire
du livre sacré.
Sens multiples
L'exégèse coranique (tafsîr) ré­
pondait à un besoin qui s'était
fait sentir dès les premières
conquêtes. Qu'ils soient arabes
ou convertis, les musulmans
se heurtaient aux obscurités
du texte. Celles-ci tenaient à
plusieursfacteurs. Selon le ver­
set 7 de la sourate III, le Coran
divise son propre contenu en
révélations muhkam (claires,
précises) et mutashâbih (équi­
voques ou analogues), favori­
sant ainsi la pluralité des in­
terprétations. De plus, l'arabe
étant unelangue souvent étran­
gèreaux convertis, le Coran de­
vait nécessairement leur être
expliqué. Les Arabes eux­
mêmes, quand ils étaient ins­
tallés hors de leur patrie, com­
mençaient à perdre la langue
du Coran dans toute sa pureté
et nesaisissaient plus bien des
constructionset destermes qui
étaient compréhensibles au mo­
ment où ils furent révélés.
On distingue donctroisgrands
types de commentaires, selon
qu'ils fondent l'explication sur
des autorités antérieures, sur
l'opinion personnelle (ray*)
du commentateur ou sur des
renvois à d'autres parties du
Coran. En fait, aucun com­
mentaire ne se réduit à un seul
de ces trois types d'explication,
il les contient toutes dans des
proportions variables.
e Coran divise
son propre contenu
en révélations muhkam
(claires) et mutashâbih
(équivoques),
favorisant la pluralité
des interprétations.
L'extrait ci-contre est tiré du
tafsîr deTabari*, premier grand
exégète du Coran dont l'œuvre
est à la source de la plupartdes
commentaires. L'auteur y dé­
fendavec forcel'idée que ceux­
ci doivent se baser sur l'auto­
rité par excellence : les dires
du Prophète ou ceux de la gé­
nération suivante. Le Prophète,
en effet, avait parfois lui-même
fourni des explicationssur cer­
tains versets, maispas surtous.
Pour le reste, pensait-on,
d'utiles éclaircissements se
trouvaient dans tout ce qui
avait été rapporté delui ou sur
lui. En effet, il était réputé com­
prendre en profondeur le Co­
ran et n'avait pas manqué de
24 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
s Le Point
vivre conformément à sa Loi.
Cette méthode eutla faveur des
milieux dévots. Ainsi le tafsîr,
très connu en islam, de l'his­
torien Ibn Kathîr*, typiquedu
genre, est essentiellement un
résumé de celui de Tabarî.
Mais personne n'a jamais limité
son interprétation à la tradi­
tion. L'opinion personnelle, le
ra'.Y, ne fut jamais évincée. Il fut
même brillamment illustré au
me siècle de l'hégire* par cer­
tains penseurs du mouvement
mutazilite* (cf. p. 34), mais
aussi beaucoup plus tard par
des théologiens orthodoxes,
tels qu'al-Râzî*, qui produisit
le tafsîr le plusfameux du genre,
Les Clés de l'invisible.
L'opinion du commentateur
Prenons un seul exemple. Le
Coran affirme dans la sourate
VI, verset 103, qu'il est impos­
sibleaux hommes de voir Dieu.
Dans un autre passage (LXXV,
22-23), il est dit au contraire
qu'au jour de la résurrection,
« les visages seront brillants,
regardantleur Seigneur». Com­
ment interpréter l'un et l'autre
passage? Tabarî, qui s'appuie
sur la tradition, résout la
contradiction entre les deux
versets en invoquant le fait que
le Prophète déclara un jour que
tous les hommes, lors du Ju­
gement dernier, verront leur
Seigneur « aussi clairement que
la lune lors d'une nuit de pleine
lune ». Les mutazilites, au
contraire, s'appuieront sur le
premier verset pour juger que
le second doit recevoir une in­
terprétation métaphorique.
M.Y.
CORAN ET SUNNA Exégèse
....
1-
>C
....
<< Le Coran contient des passages
dont seul Allâh possède la science>>
1-
....
....
•
« Ces prophètes étaient nantis de
preuves évidentes. Ils apportaient des
Écritures. Nous te révélons de même
ce Livre afin que tu expliques clairement aux
hommes ce qui leur a été révélé, dans l'espoir
qu'ils en méditent le sens» (Coran, XVI, 44).
Le Coran contient des passages dont on nepeut
saisir la signification que grâce aux explications
de !'Envoyé d'Allâh: ce sont des passages où
sont formulés les différents ordres divins, l'obli­
gatoire, le recommandé et l'orientation spiri­
tuelle, ainsi que les divers interdits, les droits,
les limites à ne pas transgresser, la portée des
obligations, les normes à respecter dans les re­
lations humaines et tant d'autres statuts dont
seul !'Envoyé peut nous expliquer la nature et
la signification. Il n'est pas permis de parler de
ces passages sans fonder ce que l'on en dit sur
les explications et les éclaircissements que le
Prophète lui-mêmea donnés sur ces questions.
Le Coran contientégalement des passages dont
seul Allâh, !'Unique, possède la science: ce sont
les passages qui concernent les époques à ve­
nir, les temps ultimes, !'Heure Dernière, le mo­
ment où l'on « soufflera dans le Cor » de la Fin
des temps et où Jésus redescendra [du cielJ. Le
Prophète lui-même ne pouvait pas dire à quel
moment aura lieu tel ou tel événement de cet
ordre car Allâh seul en a la science comme Il le
lui adit dans ce verset [suit la citation de la sou­
rate VII, verset 187]. La seule chose que le Pro­
phète pouvait indiquer à ceux qui l'interro­
geaient àcesujet, c'était certaines des conditions
dans lesquelles se produiraient ces événements.
Le Coran contient également une partie com­
préhensible pour quiconque est versé dans la
langue arabe. Parexemple, dans le verset: « Lors­
qu'on leur dit : "Cessez de semer partout le
désordre", eux de répondre: "C'est la cause du
bien que nous servons"» (Coran, II, 11), les no­
tions d'ifsâd (corruption) et d'islâh (réforme,
amélioration) [employées dans ce verset] sont
claires pour quiconque connaît la langue arabe,
même s'il ignore par ailleurs à quoi Allâh veut
les appliquer. Il en est encore de même pour les
autres notions premières attachées aux mots
utilisés dans le Coran, à moins que le Coran ou
le Prophète n'aient utilisé un mot ou une ex­
pression dans un sens différent de son sens
commun en arabe, auquel cas il n'est pas per­
mis de ne pas tenir compte de cette acception
particulière.
Le Prophète lui-même a dit : « Le Coran est des­
cendu selon quatre aspects: le licite et l'illicite
qu'il n'est permis à personne d'ignorer; ce qui
peut être expliqué par les Arabes; ce qui peut
l'être par des savants, et enfin les versets mu­
tashâbih que nul ne connaît hormis Allâh. Celui
qui, en dehors de Lui, prétendrait en posséder
la science serait un menteur. »
Le Prophète a d'ailleurs mis en garde contre les
interprétations du coran selon le point de vue
individuel (ra'.Y). Abû Bakr [le premier calife] a
dit:« Quelleterre me porteraet quel ciel m'abri­
tera si, à propos du Coran, je dis des choses
que j'ignore?»
Ces données traditionnelles confirment ce que
nous disions, à savoir qu'il n'est permis à per­
sonne d'interpréter selon son propre point de
vue (individuel) les versets coraniques dont
l'interprétation (véritable) ne peut être connue
que grâce aux explications du Prophète lui­
même. Celuiqui donnerait de telles interpréta­
tions serait dans l'erreur quand bien même ce
qu'il dirait serait juste en soi, car dans ce cas
la justesse de son interprétation serait le ré­
sultat accidentel de la conjecture et de la sup­
positionau lieud'être fondée sur une certitude
et une science véritable. Dans ce cas, il parle­
rait de la religion d'Allâh par conjecture, ce
qu'Allâh a interdit à se serviteurs : « Dis:"Mon
Seigneur interdit seulement de se livrer à des
actes honteux, manifestes ou cachés, de com­
mettre le mal, d'user injustement de violence.
Il interdit qu'on Lui prête des égaux que Lui­
même n'a point accrédités, et enfin de rien in­
férer de Lui qu'on ne sache de science certaine."»
ÎABARÎ, COMMENTAIRE OU CORAN
UÂMI' AL·BAYÂN FÎ TAFSÎR AL·QUR'ÂN), PRÉFACE, TRAD. P. GODÉ,
LES HEURES CLAIRES, 1983
Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 25
Clés de lecture I CORAN ET SUNNA
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E
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c.,
Les hadiths
Q
uoique le Prophète fût
déclaré par le Coran
simple mortel, sa mé­
mmre fut très tôt auréolée
d'une grande dévotion. Des
dires (« hadiths ») émanant de
ses compagnons les plus fidèles
faisaient de lui un être inspiré
doublé d'un saint. Comme le
Coran faisait de Mahomet un
modèle à suivre, le moindre de
ses faits et gestes, voire ses si­
lences, pouvaitservir de norme
de conduite ou d'action pour
le croyant. Ce fut une raison
supplémentaire pour recher­
cher et conserver toute infor­
mation relative au Prophète.
Transmission orale
Il était nécessaire de les re­
cueillir chez ceux qui les
connaissaient, à l'heure où la
transmission orale, qui domi­
nait, laissait peu de place à
l'écrit.D'abordauprèsdes com­
pagnons ou de leurs familles.
Puis, avec le temps, auprès de
tousceux qui connaissaient de
telles traditions. La méthode
employée, dont on peut suivre
les traces jusque dans !'Anti­
quité tardive, privilégia tou­
joursle contact personnel entre
le mail:re et le disciple. Elle sub­
sista même lorsque les livres
furent utilisés. Ils étaient ré­
putés impropres, à eux seuls,
à former une véritable spécia­
lité, dite traditionniste*.
Avec le temps, la masse des tra­
ditions recueillies augmenta
considérablement. Cette abon­
dance favorisa les contradic­
tions, les informations dou­
teuses, voire les pures (ou
pieuses) inventions.li devenait
ScuateXXI (� Les prophètes »), verset30.
nécessaire de faire un tri : dès
le début du nie siècle de l'hégire
se mit en place une méthodo­
logie destinée à séparer le vrai
du faux dans les traditions pro­
phétiques. Le texte ci-contre
est une sorte de manifeste, dû
à la plume de Muslim*, tradi­
tionniste très estimé; il y dé­
fend ce qu'il considère comme
la méthodologie saine et y ex­
pose pour la première fois les
règles de collecte qui s'impo­
seront par la suite.
Les critères d'authenticité
Une tradition contenait tou­
jours deux éléments : le pro­
pos rapporté, précédé de la
liste des transmetteurs qui se
le sont transmis de bouche à
oreille jusqu'au Prophète.Cette
chaîne de rapporteurs, appe­
lée isnâd, est une première
condition indispensable pour
que le hadith puisse être pris
en compte avant d'être exper­
tisé pour connaître son degré
d'authenticité. Les chaînes
étaient plus ou moins bonnes.
Tout défaut - lacune, person­
nage mal identifié ou anonyme,
etc.- affaiblissait ou discrédi­
tait la tradition.
Un autre critère fut mis en
œuvre : la valeur des maillons
de la chaîne, les transmetteurs.
Chacun devait être « intègre »,
26 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
S Le Point
ce qui voulait dire notamment
avoir une excellente mémoire,
mais aussi, pour Muslim, être
moralement irréprochable,
sous-entendu, ne pas avoir com­
mis d'« erreurs » théologiques.
Dans la liste que cet auteur
donne des maillons « suspects »,
on reconnaît un penseur mu­
tazilite* (cf. p. 34), des chiites*
(cf. p. 84), et un hérétique...
La fin du texte laisse deviner
quemêmeces critères, à l'heure
où l'auteur écrivait, n'étaient
pas reconnus par tous les tra­
ditionnistes.
Ce texte nous éclaire aussi sur
la manière dont ont été réali­
sées les compilations de ha­
diths dans le monde sunnite*
les traditionnistes ont écarté -
ou discrédité - les traditions
dont les maillons professaient
des opinions religieuses diffé­
rentes.Comme il se rencontrait
des traditionnistes dans chaque
école théologique, on com­
prend aisément que chacune
ait fini par constituer, à côté
d'un fond commun, ses propres
traditions.
Ces critères ne prennent pas
en compte le contenu des tra­
ditions; le souci des tradition­
nistes est avant tout de ne pas
perdre d'informations jugées
importantes. Leur science est
d'abord une science du témoi­
gnage. De ce fait, ce sont des
disciplines voisines, comme la
jurisprudence, qui vont initier
une relative critique interne.
La démarchefutcependant tou­
jours limitée. Et encore au­
jourd'hui, la recherche scien­
tifique sur les hadiths n'en est
qu'à ses débuts. M. Y.
CORAN ET SUNNA Hadiths
<< Les traditions rapportées par un
pécheur doivent être écartées >>
•
[...J Tu as déclaré vouloir étudier tout
l'ensemble des traditions transmises
de !'Envoyé de dieu, relatives aux sun­
nas, aux commandements de la religion aussi
bien qu'à tout ce qui a trait aux châtiments ou
aux récompenses dans l'au-delà, et à ce qui
[dans le Coran] inspire la peur ou le désir. Tu
as d'autre art déclaré vouloir étudier d'autres
informations concernant les chaînes de trans­
metteurs au moyen desquelles les traditions
ont été rapportées et dont les traditionnistes
ont fait un usage depuis longtemps.[...J Nous
allons entreprendre de réunir ce que tu as de­
mandé. Cependant, il y a une condition que je
dois te signaler : nous nous appliquerons uni­
quement à la majorité des traditions qui re­
montent à !'Envoyé de Dieu.Nous les divisons
en trois groupes
-cellesqui sont exemptes dedéfauts qu'on
trouve dans les autres et qui sont irréprochables
dans le sens suivant : les transmetteurs sont
des gens intègres, exacts dans les propos rap­
portés qui, en outre, ne font pas l'objetde contro­
verses ou de confusion, comme c'est le cas pour
les hadiths de nombreux traditionnistes;
- puis celles dont les chaînes de transmis­
sion contiennent des rapporteurs dont la mé­
moire et l'exactitude ne sont pas aussi bonnes
que ceux de la première catégorie;
- celles enfin des transmetteurs qui sont
suspects aux yeux des traditionnistes, ou au
moins de la plupart d'entre eux. Nous ne cite­
ronspasleurs traditions prophétiquesdans cet
ouvrage.Par exemple, 'Abdallâh b.Miswâr abû
Ja'far al-Madâ'inî, 'Amr b. Khâlid, 'Abd al-Qud­
dûs ash-Shâmî, Mahomet b. Sa 'îs al-Maslûb,
Ghiyâth b.Ibrâhîm, Sulaymân b.'AmrabûDawûd
an-Nakhâ'îet consorts, qui appartiennent àcette
catégorie de transmetteurs accusés d'avoir forgé
des traditions de toutes pièces.
[...]Sache qu'il estdudevoirdeceluiquisaitdis­
tinguer les chaînes saines des chaînes défec­
tueuses d'être sur ses gardes à propos d'infor­
mations émanant degensquisont d'une manière
ou d'une autre suspects, ou des innovateurs in­
corrigibles. Dieu a dit (Coran, II, 282) :« Requé-
rez le témoignaged'hommes d'équité parmi vous.»
Ce verset prouve que les traditions rapportées
par un pécheur doivent être écartées[...].
Ce que nous avons dit suffit à ceux qui com­
prennent la procédure suivie par les tradition­
nistes. lis se sont attelés à la tâche de décou­
vrir les défauts de ceux qui transmettent des
traditions et ils énoncent un jugement sur l'in­
formation quandon leur pose la question de ce
qu'elle signifie concernant la religion.Cela peut
porter sur ce qui est permis ou défendu[par la
Loi], sur ce qui est recommandé ou non, sur ce
qui[dans le Coran] inspire la peur ou le désir.
Enfin, les traditions saines transmises par les
personnes dignes de confiance[...J sontsi nom­
breuses que nous ne sommes pas obligés de
mentionner les traditions de ceux qui ne sont
pas dignes de confiance.
Un prétendu traditionniste, parmi nos contem­
porains, s'est prononcé sur le caractère sain ou
défectueux des isnâds sur la base d'une certaine
doctrine.[...] li prétend que si, dans un isnâd, le
transmetteur utilise le terme« d'après un autre
transmetteur », cet isnâd ne constitue pas une
preuve. Ce serait le cas, d'après lui, même si la
science traditionniste afermementétablique les
deux transmetteurs étaient bien contemporains,
et qu'ils ont donc pu se la communiquer de
bouche à oreille. Ce traditionniste ajoute que
[pourqu'ilaccepte l'information], il doitêtre par­
venu àsa connaissance que durant leur vie, ces
transmetteurs se sont effectivement rencontrés
en une ou plusieurs occasions; ou bien, il faut
qu'une autre tradition existe, attestant de cette
rencontre une ou plusieurs fois. Faute de quoi,
ce traditionniste ne mentionnera pas la tradition
en question. Cette doctrine qui jette le discrédit
sur certains isnâds est complètement nouvelle.
Elle n'aaucuneautorité chez nos prédécesseurs.
L'opinion reçue[...], aujourd'hui comme hier,
est que lorsqu'une personne de confiance trans­
met une information d'une autre personne éga­
lementdigne de confiance,l'informationdoit être
considérée comme authentique[...].
MUSLIM IBN AL·HAJJÂJ, LA SOMME AUTHENTIQUE, PRÉFACE,
TRAD. ORIGINALE M. YAHIA
Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 27
Clés de lecture I CORAN ET SUNNA
....
a:
- La formation du dogme sunnite
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&
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....
... C
omment le sunnisme*,
qui représente 90 % des
musulmans, définit-il sa
foi? Il suffit pour le savoir de
se reporter aux traités de théo­
logie qui s'enseignent dans les
facultés religieuses, des ou­
vrages devenus classiques et
rédigés après la période de sta­
bilisation du sunnisme, après
le x1• siècle. Le Credo du théo­
logien Abû Haf's al-Nasafi*,
dont nous publions un extrait
ci-contre, est caractéristique
de cette littérature.
Sources et points du credo
Les principaux points de la pro­
fession de foi sunnite qu'il ré­
capitule ont plusieurs sources.
D'abord le Coran, qui affirme
l'existence de Dieu, unique, sans
associé,assis sur un Trône, Dieu
qui n'engendre pas et qui n'est
pas engendré. Vient du Coran
également l'affirmation d'un
dernier jouroù leshommes se­
ront jugés; celle du paradis et
de l'enfer; celle des anges et
des prophètes avant Mahomet.
Autre source, la Tradition
(Sunna*) : Dieu sera vu dans
l'autre monde; dans la tombe,
le mort sera interrogé par deux
anges; la fin du mondesera pré­
cédéepar des signesavant-cou­
reurs; Mahomet intercédera
pour les pécheurs, etc.
À ces points fondamentaux du
sunnisme s'ajoutent ceux, plus
tardifs, qui portent la marque
des débatsqui agitèrent lacom­
munauté - influence du muta­
zilisme* (cf. p. 34) et de la phi­
losophie grecque : Dieu est
différent de toute chose créée
(réfutation de l'anthropomor-
phisme); Dieu possède des at­
tributs éternels qui ne sont pas
Dieu, mais ne sont pas distincts
de Lui; le Coran est incréé; la
volonté de Dieu est libre au
point qu'il veut toute chose
existante, bonne ou mauvaise;
les actes de l'homme sont
Le sunnisme est
é d'âpres luttes
exégétiques et
·héologiques ; son
credo résulte d'une
ente et douloureuse
maturation.
créés par Dieu, bien que pro­
cédant du libre arbitre; l'in­
faillibilité et l'intercession des
prophètes pour les pécheurs;
la foi est conviction du cœur,
pécher n'est pas une preuve
d'incroyance.
La profession de foi
Ce credo ne s'est pas imposé
à la communauté d'un seul
coup. Le Coran, comme on le
voit dans les versets cités ci­
contre, ne contient pas « le »
verset qui récapitulerait tout
ce qu'il faut croire ou tout ce
qu'il faut faire. La Révélation,
et donc la constitution de la
nouvelle religion, fut progres­
sive, étalée sur une vingtaine
d'années. De son vivant, Ma­
homet n'exigeait sans doute
que la profession de foi de la
shahâda (« Il n'est de divinité
que Dieu et Mahomet est Son
Prophète »). Quant aux œuvres,
la tradition citée ci-contre
montre queles quatre devoirs
28 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
5 Le Point
canoniques - prière, jeûne du
ramadan, pèlerinage etaumône
(zakât) - ne s'imposèrent que
peu avant la mort du Prophète,
voire après.
Compromis théologiques
Il convient de se souvenir que
les deux premiers sièclesde l'is­
lam sont une période d'intense
effervescencethéologique: une
grandevariétédepositionsexis­
tait sur des problèmesaussiim­
portantsquele libre arbitreface
à lavolonté divine, la nature de
la parole de Dieu, le statut du
musulman pécheur, etc. L'his­
torien a des difficultés à dater
la naissance du sunnisme, voire
même à le définir pour cette
époque. Le dernier texte cité
est dû à Abû Hanîfa*, repré­
sentant du sunnisme primitif et
fondateur de l'une des quatre
écoles juridiques (cf. p. 50) de
cette obédience. Il est particu­
lièrement important dans la
mesure où ilestlapremière pro­
fession de foi sunnite histori­
quement attestée. En la rap­
prochant del'énumération faite
plus haut, on constate qu'y fi­
gurent plusieurs desarticlesdu
dogme tardif, mais que beau­
coup d'autres manquent. En
outre, chaque article est une
réponse polémique àdes posi­
tions théologiques qu'Abû Ha­
nîfa considère comme por­
teuses de dissidence. Ce texte
fut bientôt dépassé. Le sun­
nisme est né d'âpres luttes
exégétiques et théologiques.
Contrairement à une idée ré­
pandue, son credoest le résul­
tat d'une lente et douloureuse
maturation. M. Y.
CORAN ET SUNNA Sunnisme
....
....
<< La divergence d'opinions est une
marque de la miséricorde divine >>
><
....
....
....
...
•
[...] La raison est, elle aussi, une source
de connaissance. Ce qui est connu par
l'intuition est un savoir nécessaire, tel
que la proposition : « le tout est plus grand que
les parties ».Ce qui est connu par déduction est
un savoir acquis. [...] Le monde dans toutes ses
parties a étécréé, puisqu'il consiste en substances
et en accidents. Les substances sont ce qui sub­
siste par soi-même.Une substance est soit com­
posée, c'est-à-dire un corps, ou non composée,
comme un atome, à savoir la partie qui ne peut
plus être divisée. L'accident est ce qui ne sub­
siste pas par lui-même, mais qui a été créé dans
les corps et les atomes comme les couleurs, les
étatsphysiques, les goûts et les odeurs. Le créa­
teur du monde est Dieu.Il est Pré-éternel,Vivant,
Puissant, Sachant, Désirant et Voulant.Il n'est ni
accident ni corps ni atome. li n'a pas de forme,
ni de limite, ni de multiplicité. li n'a pas de par­
ties, et il n'est pas composé. li est infini. Il n'est
pas caractérisé par la quiddité ni la qualité. li
n'est pas localisé dans un lieu. L'écoulement du
temps n'a pas de prise sur Lui.
ABÛ HAF'S AL·NASAFÎ, CREDO
Dis : « Lui, Dieu, est unique; Dieu, le Tout Autre;
Il n'a pas engendré et ne fut pas engendré; et
nul n'est égal à Lui. »
CORAN, CXII, 1-4
N'invoque nulle autre divinité avec Dieu. Tout
doit périr sauf Sa Face. Il détient le Jugement,
et c'est vers Lui que vous serez ramenés.
IBIDEM, XXVIII, 88
Dieu - il n'est d'autre divinité que Lui - est le
Vivant, !'Auto-subsistant. Ni la somnolence, ni
le sommeil n'ont de prise sur Lui. Tout ce qui
est dans les cieux et sur la terre lui appartient
exclusivement. Qui pourrait intercéder auprès
de Lui, sinon par Sa permission? Il sait tout du
présent et du passé des êtres; eux ne connais­
sent rien de Sa Science, hormis ce qu'il veut.
Son trône s'étend des cieux à la terre. Il tient
sans peine tous deux sous Sa garde. Il est !'Au­
guste, l'immense.
IBIDEM, Il, 255 (VERSET DIT« DU TRÔNE")
-[...] D'après Talha, qui rapporte ceci : un jour,
un habitant du Najd vint trouver !'Envoyé de
Dieu. Il avait la chevelure hirsute et nous pou­
vionsentendre de loin sa voix tonitruante, sans
néanmoins pouvoir comprendre ce qu'il disait,
jusqu'à ce qu'il se fût suffisamment approché de
!'Envoyé de Dieu.Il se mit alors àl'interroger sur
l'islam. Le Prophète répondit qu'il consistait en
cinq prières jour et nuit. -Rien de plus?-Non,
répondit le Prophète. Le resteest à ta discrétion.
En outre, le jeûne du ramadan. -Rien de plus?
-Non, répondit le Prophète.Le reste est àta dis­
crétion. En outre, le Prophète mentionna l'au­
mône [zakât].-Rien de plus?-Non, répondit le
Prophète.Le reste est à ta discrétion.
Sur ce, l'homme s'éloigna, disant: « Par Dieu,
je n'y ajouterai ni n'en retrancherai rien. » Le
Prophète commenta: « Il sera sauvé, s'il s'en
tient à ce qu'il dit. »
MUSLIM IBN A L -
HAJJÂJ*, LA SOMME AUTHENTIQUE
1.Nousne déclarons personne infidèlepour avoir
péché; nous ne récusons pas sa foi; 2. Nous en­
joignons le bien et interdisons le mal; 3. Ce qui
nous advient n'aurait pu manquer de l'être; ce
qui ne nousadvientpasn'auraitpu avoir eu lieu;
4.Nous ne désavouons aucun des Compagnons
de !'Envoyé de Dieu; nous ne sommes les parti­
sans exclusifs d'aucun d'entre eux; 5. Nous lais­
sons l'affaire de 'Uthmân et celle de 'Alî à Dieu,
qui connaît les choses manifestes et les choses
cachées; 6. li vaut mieux être intelligent en ma­
tière de religion qu'en matière de traditions et
de sunnas; 7. La divergence d'opinions dans la
communauté est une marque de la miséricorde
divine; 8. Quiconque ajoute foi à tout ce auquel
il est tenu de croire, mais déclare ne pas savoir
si Moïse et Jésus [...] sont des Envoyés de Dieu,
celui-làest un infidèle, puisqu'ilrejette le Coran;
9. Celui qui prétend ne pas savoir si Dieu est au
ciel ou sur la terre est de même un infidèle; 10.
Quiconque affirme ne pasconnaîtrele châtiment
du tombeau, celui-là appartient à la faction des
Djahmites, et il est en danger de perdition.
ABÛ HANÎFA, LA PLUS CONSIDÉRABLE DES SCIENCES, 1
(TRADUCTIONS ORIGINALES DE MOHYDDIN YAHIA)
Le Point Hors-série n°
5 1 Novembre-décembre 2005 1 29
Repères I CORAN ET SUNNA
•
Les débuts de l'islam
MAHOMET
Qui est le Prophète? Le Coran
n'apporte aucun renseigne­
ment sur sa vie et sa person­
nalité, et les biographies re­
censées dans la Sîra* - texte
rédigépar Ibn lshâq au milieu
du v111' siècle et remanié
par Ibn Hisham au début
1x' siècle -, sont fondées sur
les souvenirs de ses Compa­
gnons et n'ont qu'une valeur
historique relative. Seule la
date de l'hégire (622), le mo­
ment où Mahomet quitta La
Mecque, sa ville natale deve­
nue hostile,pourYathrib, la fu­
ture Médine,semblebien éta­
blie. Elle marque le début du
calendrier musulman.
L'ENFANCE DU PROPHÈTE
Selon la Tradition, Mahomet
(570?-632) appartenait à la
puissantetribudesQoraychites
qui dominait alors La Mecque.
30 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
5 Le Point
Cette oasisinstalléeprès de la
côte, au centre de l'Arabie, est
alors un riche centre carava­
nierà la croiséedes routesvers
l'Égypte, la Syrie, le Yémen et
la Mésopotamie, et un grand
centre religieux grâce au sanc­
tuaire de la Kaaba, où sont ré­
unies toutes les divinités des
Arabes. Legrand-pèrepaternel KHADIIA
de Mahomet, 'Abdal-Muttalib, Mahomet dut toutefois être
était un personnage considé­
rable, le gardien de la source
sacrée de Zemzem, qui tenait
en héritage l'une des charges
principales du pèlerinage po­
lythéiste de La Mecque. Or­
phelin à 7 ans, Mahomet est
d'abord élevéparcegrand-père
puis par son oncle Abû Tâlib,
père d'Ali, qui fut ainsi le com­
pagnon de jeunesse du Pro­
phète. MêmesilaTraditionrap­
portedesvoyages en Syrie avec
son oncle et le dit illettré, on
ne sait rien ou presque de son
adolescence et de sa formation.
suffisamment avisé pour se
faireremarquer parune riche
veuve de La Mecque, Khadija,
qui en fait son régisseur puis
son époux. ll a alors 25 ans et
se voit dégagé de tout souci
matériel.Tant que Khadija vit,
elle reste son unique épouse
et c'est seulement après sa
mort, en 619, qu'il porte le
nombre de ses femmes à neuf.
Pour l'islam, Khadija restera
La Kaabade La Mecque,
lieu du pèlerinage institué
par Mahomet en 632.
l'épouseparfaite, cellequi don­
nera sept enfants au Prophète,
qui le soutiendra dans sa mis­
sion envers et contre tout et
sera la première à se conver­
tir. Khadija est considérée par
l'islamcommel'unedes quatre
femmes parfaites de l'huma­
nité, avec Marie, mère de Jé­
sus, la femme de Pharaon et
la sœur de Moïse.
À Yathrib,
que Mahomet
rebaptise Médine,
le Prophète prend
une dimension
nouvelle, celle de
chef théocratique
de lajeune
communauté
musulmane.
LA RÉVÉLATION
On pense que jusqu'à la Ré­
vélation, Mahomet mena la
vied'un riche commerçant, res­
pecté et reconnu. Mais il était
probablement en proie au
doute. D'après la Tradition, il
avait pris l'habitude de se re­
tirer pour méditer. Mais c'est
à 40 ans, pendant le mois du
ramadan, au cours de l'unede
ses périodes de solitude dans
une grotte du mont Hira, que
l'angeGabriel luiseraitapparu
et lui aurait dità plusieurs re­
prises« Récite» (iqrâ). Maho­
met fut alors convaincud'avoir
été choisi pour être ['Envoyé
d'Allah, chargé de réciter les
révélations que Dieu lui trans­
mettrait.Celles-ci, regroupées
par la suite, constitueront le
Coran(Qôran, récitation).
En 610, il fait part de sa vision
à safemme. Pendant trois ans,
il n'entend plus rien et songeà
se suicider,tantilestdésespéré.
Seuls quelques intimes sont
alors au courant de sa vision,
parmi lesquels Abû Bakr, son
futur beau-père, qui sera aussi
le premier calife, et Othman,
l'un de ses futurs gendres. À
partir de 613, Mahomet se dé­
cideà apporter la Révélationà
ses concitoyens de La Mecque.
Seuls l'écoutent au départ les
plus humbles. Les grandes fa­
millesmecquoisess'élèventvite
en effet contre une prédication
qui risque de ruiner le pèleri­
nage polythéiste de la Kaaba
Mahomet annonce un Dieu
unique et s'opposeauxidoles,
ébranlant ainsi la religion des
anciens et l'ordre social. Ses
adeptesfontl'objetdemenaces.
Certains, dont Ali, fuient alors
vers l'Abyssinie.
L'HÉGIRE
Mahomet entre en contact
avecdes tribus arabes du voi­
sinage, puis avecdes habitants
de Yathrib, une oasis au nord
de La Mecque, qui s'engagent
à lui obéir et à se convertir.
Avecsesquelques fidèles etsa
famille, il quitte secrètement
La Mecque le 24 septembre
622,jourqui s'appellera doré­
navant l'hégire, ['Expatriation,
CORAN ET SUNNA I Repères
DE MAHOMET À ALI
v. 570. Naissance de Mahomet.
v. 595. Mahomet épouse la veuve Khadija.
v. 610. Premières révélations.
v. 613. Début de la prédication.
619. Mort de Khadija.
620. Premiers convertis à Médine.
622 (an 1 de l'hégire). Émigration de Mahomet à Yathrib.
Le dialecte qoraychite est promu au rang de langue sacrée.
Mars 624. Première victoire sur La Mecque.
Avril 624. Expulsion de Médine de la tribu juive des Banoû
Qaynoqâ.
Août 625. Expulsion de la tribu juive des Banoû Nadhir.
Mars-avril 627. Siège avorté de Médine par les Mecquois
« guerre du Fossé».
Mai 627. Massacre de la tribu juive des Banoû Qorayza.
Janvier 630. Prise de La Mecque par Mahomet.
631. Pèlerinage d'adieu à La Mecque.
8 juin 632. Mort de Mahomet à Médine.
632-634. Califat d'Abû Bakr.
633. Incursion en Irak.
luillet 634. Victoire en Palestine sur les Byzantins.
634-644. Califat d'Omar.
636. Occupation de la majeure partie de la Syrie
et de la Palestine.
Mai 637. Prise de Jérusalem.
639-641. Conquête de la Mésopotamie.
644. Assassinat d'Omar.
644-656. Califat d'Othman.
v. 650. Constitution de la vulgate coranique.
651. Conquête de la Perse orientale.
656-661. Califat d'Ali.
Décembre 656. Bataille duChameau.
Début 657. Rébellion de Mo'âwiya en Syrie contre Ali.
Juillet 657. Défaite d'Ali. Convention de Siffin.
Dissidence des kharijites.
658. Mo'âwiya s'empare de l'Égypte.
Janvier 659. Mo'âwiya est déclaré calife.
24 janvier 661. Assassinat d'Ali.
661-680. Début de la dynastie omeyade. Campagne d'Irak.
et marquera le début du ca- MÉDINE
lendrier musulman. Aux sou­
rates brèves, fougueuses et
poétiques des premiers temps
de la Révélation vont succéder
alors des sourates plus lon­
gues, moins tourmentées,
riches enprescriptions d'ordre
économique et social.
À Yathrib, que Mahomet re­
baptise Médine (Madînat an
Nabî,« la ville du Prophète»),
le Prophète prend une di­
mension nouvelle, celle de
chef théocratique de la toute
jeune communauté musul­
mane. Aux anciennes organi-
Le Point Hors-série n°
5 [ Novembre-décembre 2005 [ 31
Repères I CORAN ET SUNNA
sations tribales, il substitue la
communauté des croyants
(Oumma), fondée sur le seul
lien religieux. Dans les pre­
miers temps, il semble avoir
voulu gagner le soutien des
tribusjuivesde Médine, puis­
santes dans l'oasis, et dont il
considérait la religion comme
proche de celle qu'il prêchait.
Ainsi,c'est verslésuralem qu'il
enjoint alors à ses fidèles de
se tourner pour prier.
Mais les juifs se moquent de
ce nouveau prophète. Maho­
met rompt alors avec eux et
choisit LaMecquecomme ville
de référence pour la prière,
marquant du mêmecoupclai­
rement l'autonomie de sa re­
ligion par rapport à celle de
l'Ancien Testament. Progres­
sivement, il va aussi se dé­
barrasser, en les chassant ou
en les massacrant, des tribus
juives de Médine qui contes­
tent son autorité.
lA PRISE DE lA MECQUE
Pour assurer la survie de sa
nouvelle communauté, le Pro·
phète lance ses troupes dans
le pillage des caravanes et se
heurte ainsi rapidement aux
intérêts des Mecquois. Ceux-ci
vont livrer plusieurs combats,
dont labataillede Badr en l'an
2 de l'hégire, surnommée« le
jour décisif»,parcequ'ildonna
aux hommes de Mahomet qui
ensortirentvainqueurs le sen­
timent qu'Allah était de leur
côté. Enl'an5 (627), la« guerre
du Fossé» tourne, elle aussi,
en faveur_de Mahomet. En 630,
les musulmans, qui ont déjà
vaincu la plupart des tribus du
voisinage et réussi à convertir
des personnalités mecquoises,
marchent sur La Mecque. Ils y
entrent sans coup férir. Ma­
homet fait détruire les idoles
et consacre la Kaaba au culte
d'Allah, annonçant une nou·
velle ère, celle où « la seule
aristocratie sera celle de la
piété».
Enmoinsde dixans, Mahomet
a réussi à étendre sa domina­
tion sur l'Arabie, obtenant,
quand il ne convertit pas, la
soumission de toutes les tri­
bus. Il conclut ainsi avec les
chrétiensde la ville de Najrân
un accord qui va faire juris·
prudence et fonder le statut
L'ÉTABLISSEMENT DU TEXTE CORANIQUE
C'est sous le califat d'Othman que fut établi
le texte coranique. Mahomet avait reçu en ef­
fet des révélations sur une période de vingt­
cinq ans, et il avait transmis oralement l'es­
sentiel de son message à ses Compagnons.
Même si quelques scribes avaient pu noter
des passages par écrit, l'essentiel dutextesa­
cré était récité et dépendait donc de la fidé­
lité et de la mémoire des transmetteurs. De
plus, pour compliquer les choses, les récep­
teurs n'avaient pas tous reçu la même partie
du message.
Lors de la bataille d'Aqabâ, au début de l'an­
née 633, plusieurs des musulmans qui connais­
saient par cœur le Coran trouvent la mort, ce
qui faitcraindreàOmar,qui n'estencorequ'un
des proches du Prophète, que le Coran ne
vienne à disparaître. Il persuade Abû Bakr de
consigner le texte par écrit. La mission est
confiée à un jeune Médinois, Zayd ibn Thâbit,
qui va travailler à partir de documents hété­
roclites - tessons de bouteille, pierres plates,
omoplates de chameau - sur lesquels avaient
été notés les premiers versets. Il transcrit le
tout sur des« feuilles» qu'ilremetà Abû Bakr.
Celles-ci vont être transmises à Omar devenu
calife, puis, à sa mort, à sa fille, Hafsa. Elle
lesprêta à Othman quand celui-ci, inquiet des
divergences apparues dans la manière de ré­
citer le Coran, décida de le mettre complète­
ment par écrit.
Le nouveau texte, établi une fois encore sous
la direction d'lbn Thâbit, devient la« vulgate
othmanienne». Celle-ci fut envoyée dans
toutes les grandes villes de l'empire pour ser­
vir de base à toute transmission écrite ulté·
rieure, et au terme de ce processus, d'après
la Tradition, Othman aurait donné l'ordre de
détruire tous les autres documents écrits. Sa
vulgate souleva toutefois de vives critiques,
à Koufa notamment, où Ibn Maç'oud, vieux
compagnon de Mahomet, accusa Othman
d'avoir fait établir un texte falsifié et incom­
plet où toutes les révélations défavorables
aux Omeyades avaient été supprimées. Des
textes quelque peu divergents de la vulgate
furent toutefois utilisés jusqu'au x• siècle.
C.G.
32 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n°
s Le Point
de « dhimmi » (protégé). En
échange de la vie sauve, du
respect de leurs biens et de la
liberté de culte, les chrétiens
de Najrân s'engagent à payer
un tribut. Ce statut réservé en
général aux religions du Livre
sera en vigueur dans tout
l'espace musulman jusqu'au
xx• siècle. En 631, Mahomet ac­
complit le pèlerinage à La
Mecque, selonlerite qu'il avait
lui-même prescrit. Quelques
mois plustard, le 8 juin 632, il
meurt à Médine d'une forte
fièvre, dans les bras d'Aïcha,
son épouse préférée.
L'EXPANSION DE L'ISlAM
Lesquatre premiers califes (632-
656) et successeurs du Pro­
phète à la tête de la commu­
nauté sontappelésrâchidoun,
« ceuxqui guident danslavoie
droite». Sous leur gouverne­
ment, l'islam connut un déve­
loppement triomphal (cf.
carte). Poussés par la foi et le
souci de diffuser le message
de Mahomet, mais aussi par
le désir de conquête, les mu­
sulmans s'emparèrent, outre
de l'Arabie, de la Syrie, d'une
partie de la Mésopotamie et
de la Perse, de l'Égypte et de
la Cyrénaïque. Ils effectuèrent
des razzias en Asie mineure,
dans les îles de la mer Égée et
en Afrique du Nord.
Comment expliquer que les
Arabes aient conquis si vite
des empires aussi puissants
que la Perse ou Byzance? Au­
cun de ces grands voisins de
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  • 2. LE POINT 74, AVENUE OU MAINE, 75682 PARIS CEDEX 14 Tél. : 01.44.10.10.10 Fax: 01.43.21.43,24 Service abonnements B 600, 60732 Sainte-Geneviève Cedex 03.44,62.52.20 e-mail : lepoint@presse-info.fr Président-directeur général, directeur de la publication : Franz-Olivier Giesbert Rédaction en chef et coordination : Catherine Golliau Choix des textes et rédaction des commentaires Mohammed Hocine Benkheira, François Gauvin, Éric Geoffroy, Henry Laurens, Réza Moghaddassi, Daniel de Smet, Philippe Vallat, Mohyddin Yahia et Nadget Zouggar. Secrétariat de rédaction : Pierre Sommé Révision Francys Gramet Conception et réalisation Rampauo & Associés Le Point, fondé en1972, est édité par la Société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point - Sebdo. Société anonyme au capital de 10100160 euros, 74. avenue du Maine, 75682 Paris Cedex 14. R.C.S. Paris B 312 408 784 Associé principal : ARTEMIS S.A. Dépôt légal : à parution - n° ISSN 0242 · 6005 · n" de commission paritaire: 0605(79739 Impression : Imprimerie Canale, Borgaro (Italie) , , �;;;, _ . Diffusion: N.M.P.P. LE POINT contrôle les publicités commerciales avant insertion pour qu'elles soient pdrfaitemenl loydles. Il suit les recommandations du Bureau de vérification de la publicité. Si, malgré ces précautions, vous aviez une remarque à faire, vous nous rendriez service en écrivant au BVP, BP 4058 • 75362 PARIS CEDEX 08 �RVD m� Toute rePfOductiÔn est Stiba·rd·onflëe à l'autorisation expresse de la direction du Point. ISLAM I Avant-propos SOULEVER LE VOILE Par Catherine Golliau L e libre-arbitre existe-t-il en Islam? Oui. La loi musulmane peut-elle évo­ luer? Oui. Existe-t-il de grands phi­ losophes en Islam? Oui. Mais qui le sait? Trop peu de monde. Car qui, même chez les musulmans cultivés, connaît l'œuvre d'al-Châfi'î, le fondateur de la doctrine sunnite, celle que suivent aujourd'hui 90 % des musulmans? Qui a lu Avicenne et Averroès, les philosophes qui permi­ rent à l'Europe de mieux comprendre Aristote? Qui sait qu'ac­ tuellement c'est en Iran que l'on trouve les pen­ seurs musulmans les plus modernes et les plus inventifs? L'islam, tout le monde en parle, mais rares sont ceux qui le connaissent. Cette religion tant dé­ criée demeure un conti­ nent culturel à explorer, un univers mental plus riche et subtil que nous rislam, religion tant décriée, demeure un continent culturel à explorer, un univers riche et subtil. le donne à croire son image déformée par le fondamentalisme. Cette richesse, ce cinquième hors-série du Pointentend la mettre aujourd'hui à la portée de tous. II faut soulever le voile. Certes, l'entreprise est périlleuse: le su­ jet est trop brûlant pour ne pas susciter les passions. C'est pourquoi nous par­ tons comme toujours des textes fonda­ mentaux. Pour revenir aux sources, loin des clichés et des préjugés. Image de couverture : Andrea da Firenze, Averroès, x1v' siècle. © Archivo iconografico, 5.A./Corbis Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 3
  • 3. § Œ1 !9 Sommaire ! ISLAM La pensée en Islam 1' -· .J Soulever le voile, par Catherine Golliau Lire et comprendre PENSER EN ISLAM, par Rémi Brague L'arabe, langue sacrée, par Marie-Thérèse Urvoy LE CORAN ET LA SUNNA Aux sources de la pensée musulmane, par François Déroche Textes et commentaires Repères : Les débuts de L'islam LE MUTAZILISME La théologie de la liberté, par Roger Arnaldez Textes et commentaires LE DROIT Une loi descendue du ciel, par Mohammed Hocine Benkheira Textes et commentaires LA PHILOSOPHIE Entre raison et Révélation, par Dominique Urvoy Textes et commentaires Repères : Le califat 4 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n ° 5 Le Point 3 6 8 14 16 16 20 30 34 34 38 44 44 48 56 56 60 70
  • 4. Ave< � ISLAM I Sommaire LE SOUFISME La mystique de l'islam, par Pierre Lory Textes et commentaires Repères : Les confréries LE CHIISME Un messianisme islamique, par Daniel de Smet Textes et commentaires Repères : Le kharijisme LA NAHDA Le réveil de l'islam, par Henry Laurens Textes et commentaires Repères : L'islam aujourd'hui Gilles Kepel : Al-Qaïda dans le texte Entretien avec Malek Chebel: « Une seule alternative : rompre avec le discours théologique » Carte : confessions et écoles juridiques musulmanes Lexique Bibliographie 74 74 78 82 84 84 88 94 96 96 100 108 110 112 116 118 130 Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 5
  • 5. Lire et comprendre I ISLAM Lire et comprendre la pensée n Islam RENDRE ACCESSIBLES au plus grand nombre les textes fondateurs de la pensée musulmane, ceux qui structurent la société et la culture de plus d'un milliard d'individus à tra­ vers le monde, telle est l'ambition de ce cin­ quième hors-série du Point. Ambition témé­ raire? Entreprise difficile, c'est certain. Plus théolo­ gique et juridique que phi­ losophique, lapenséemu­ sulmane ne s'aborde pas facilement. Elle évolue dans un cadre strict, celui des textes sacrés. L'islam est soumission à la Loi di­ vine telle qu'elle a été ré­ vélée par Dieu à Maho­ met. C'est à l'intérieur de cet espace et seulement là que peut s'organiserla réflexion du croyant. C'est de là que vont émerger les questionnements : le Coran est-il créé, comme l'homme, ou incréé et donc divin par nature? Face à un Dieu puissant qui exige l'obéissance, l'homme peut-il être libre? Si la Loi repose sur un texte sacré, peut-elle évo­ luer? Comment trouver la solution aux problèmes qui n'existaient pas du temps de Mahomet? Ce hors-série est une in­ cursion dans un univers mental différent et pour­ tanttrèsproche. Les pen- seurs musulmans, en ef­ fet, n'ont pas seulement structuré leur société, ils ont aussi modelé la nôtre. Sans même par­ ler des chiffres indiens que l'Islam nous a trans­ mis (d'où leur nom de « chiffres arabes»), le Moyen Âge chrétien et juif n'aurait pas été ce qu'il a été, iln'aurait pu ouvrir la voie à la Re­ naissance si un calife ab­ basside n'avait encouragé les traductions des au- COMMENT S'ORGANISE CE HORS-SÉRIE? teurs grecs. La scolas­ tique médiévale s'est for­ mée avec Avicenne et Averroès, grands com­ mentateurs d'Aristote. La sociologie moderne s'est revivifiée à la pensée d'lbn Khaldoun. • Les textes ont été regroupés en sept parties : les principes fonda­ mentaux de l'islam à partir du Coran et de la Sunna, le mutazilisme, ledroitetsesprincipes,laphilosophie (falsafa), lesoufisme,lechiisme et le courant réformiste du XIXe siècle (Nahda). L'ensemble est intro­ duit par Rémi Brague, professeur à la Sorbonne et à l'université de Munich, fin connaisseur de l'islam autant que de la pensée antique, de la scolastique chrétienne et de la culture juive médiévale, et par Marie-Thérèse Urvoy, spécialiste de la langue arabe, langue sacrée dontl'étudeest l'une dessciencestraditionnelles de l'islam. • Chacun des chapitres est divisé en deux phases : une introduc­ tionréaliséeparunauteurreconnu(parexemple,pourleréformisme, Henry Laurens, professeur au Collège de France) ; ensuite, en vis-à­ vis, les textes eux-mêmes (page de droite) et leurs« Clés de lecture» ou commentaires (page de gauche). Les pages« Clés de lecture» of­ frent une synthèse des éléments indispensables à une première ex­ ploration du texte. Elles l'expliquent, évaluent ses enjeux idéolo­ giques et sociologiques, précisentsa dimensioninnovante... • Cettehistoirede lapenséeenislam comprend, commetoujours dansnos hors-séries, un appareil critique important sous forme de cartes, de chronologie, de mises en perspective historique, ainsi qu'unlexique explicitant noms et notions. • Et la conclusion? Elle est bien sûr consacrée à l'étude de la pen­ sée musulmane aujourd'hui. Gilles Kepel, professeur à l'Institut des sciences politiques,analysel'impact des écrits d'Al-Qaida, et Ma­ lek Chebel, défenseur d'un« islam des Lumières», explique com­ ment,selonlui,lesmusulmanspeuvent retrouverle feude la contro­ verse pacifique et le plaisir de la pensée. 6 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° 5 Le Point
  • 6. Mais comment aborder en si peu de pages une pensée qui commence au v11° siècle et court de l'Es­ pagne à l'Inde? En se montrantinjuste! Comme pour toute anthologie, notre choixest partiel et donc critiquable. Ce hors­ série est une initiation, rien d'autre. Mais il est aussi une porte entrou­ verte sur une réalitéinfi­ niment riche que nous voulons inviter le lecteur à découvrir. Nous n'avons donc retenu que quelques versets du Coran et quelques hadiths pour poser les fonde­ ments des concepts es­ sentiels à la compréhen­ sion de l'islam. Nous avons aussi dû faire des choixdrastiques entre les auteurs,les mouvements et les périodes. C'est ainsi quenousavons consacré moins de place au soufisme, mystique fondamentale à la com­ préhension de la pensée et de l'histoire de l'islam, qu'auxmutazilites,cham­ pions de La liberté mais longtemps dédaignés et oubliés. Le soufisme,en effet, est largement pré­ sent dans deux de nos précédents hors-séries, LesTextesfondamentaux des trois religions du Livre (disponible en librairie, Éditions Tallandier-Le Point) et Les Textesfon­ damentaux de l'ésoté­ risme. Les grands mys­ tiques que sont Rûmî et Hallâj ne sont donc pas présents dans ce recueil, alors qu'ils avaient vo­ cation à y être. Mais Ibn 'Arabî et al-Ghazâlî, grands théologiens et grands mystiques,y ont toute leur place. Deuxième acte : les com­ mentaires. Ceux-ci sont réalisés par des spécia­ listes qui se sont livrés à un travail délicat : pré­ senter des thèses souvent complexes, particulère­ ment chezles mutazilites et les philosophes,et les expliquer de la manière ISLAM I Lire et comprendre la plus claire et la plus neutre possible. Notre but n'est en effet ni de juger de la validité d'un auteur ou d'un courant,ni d'in­ fluer le lecteur. li est,au contraire,de l'aider à dé­ passer les partis pris et la complexité des textes pour mieux les appré­ hender et avoir ensuite l'envie d'aller plus loin. C. G. Détail de la mosquée Seyyed, Ispahan {Iran). Le Point Hors-série n° 3 1 Novembre-décembre 2005 1 7
  • 7.
  • 8. ISLAM I Introduction La pensée islamique est traversée de paradoxes : élaborée en langue arabe par des intellectuels persans puisant aux sources grecques, elle connut son plus grand retentissement hors de l'islam. Si elle ne parvint pas à négocier le tournant de la modernité, ses avancées rendirent possible les Renaissances occidentales. PENSER EN ISLAM Rémi Brague, professeur de philosophie arabe et médiévale à Paris-1, et de philosophie des religions à l'université de Munich. Parmi ses dernières publications, LaSagesse du monde (Le Livre de Poche, 2002), Introduction au monde grec (Éditions de la Transparence, 2005) et La Loi de Dieu (Gallimard, 2005). Par Rémi Brague L e plus ancien fait dans l'histoire de l'islam que l'onpuissedater de façon incontestable est, au vue siècle, la conquête du sud de la Méditerranée, du Moyen-Orient et de l'Iran par des tribus parties d'Arabie. Il semble s'être formé ensuite, à partirdesannées 1980 du même siècle, une religion qui re- conquérants laissèrent le système ad­ ministratif en place. Ils n'intervinrent pas non plus dans les querelles entre Églises chrétiennes. Les conquérantsarabes for­ maient une minceélite militaire. Elle coif­ fait des pays qui depuis plusieurs siècles avaient adopté soit le christianisme soit, en Iran, la religion de fusait d'associer au Dieu unique et créateur que tout le monde acceptait des divinités intermé­ diaires. Elle se rattachait à unmessagereçuparMa­ homet. Un Livre, le Coran, en recueillit le contenu. Jamais la philosophie n'a connu en islam Zoroastre* ou le mani­ chéisme*, et étaienttous saupoudrés de commu­ nautés juives. Les pays conquis, Sy- ce phénomène propre à l'Europe l'enseignement dans les universités. En matière de religion, les Arabes mirent en place un système patient. Pour les polythéistes, l'is- lam ou la mort. Mais exis- rie, Égypte, Mésopotamie, Iran, étaient des régions de vieille civilisation. Leur développement social et culturel était très supérieur à celui de l'Arabie. Les taient-ilsvraiment? Abandonner l'islam était puni, en principe de mort. Pour les « gens du Livre », juifs et chrétiens, la conversion n'était pas obligatoire mais• Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 9
  • 9. Introduction I ISLAM Miniature issue du Livre de Kali/a et Dimna, d'lbn al-Muqaffa'*, x,v• s., Le Caire, Bibliothèque nationale. ,+ avantageuse: elle libérait d'un impôt spé­ cial et de certaines vexations; elle per­ mettait de s'élever dans la société. En conséquence, il se forma en quelques siècles une société à majorité musulmane. Les nouveaux convertis apportèrent avec eux bien des éléments de leur an­ cienne culture : prières chrétiennes, ré­ cits juifs sur les anciens prophètes, pra­ tiques juridiques locales, tout cela se retrouvedansles déclarations attribuées à Mahomet (hadiths*). Endossées par le Prophète, ces idées ou règles recevaient une légitimité inouïe. L'arabe, langue véhiculaire Dans l'empire des califes, la langue de communication et decultureétait l'arabe. C'est dans cette langue qu'écrivirent les grands intellectuels qui bâtirent la pen­ sée islamique, et qui n'étaient que rare- lémique contre le dualisme des mani­ chéens, puis contre les« gens du Livre », enfin contre les innovations jugées« hé­ rétiques », suscitaune disciplinespéciale, le Kalâm* (cf p. 34). La théologie chré­ tienne se propose d'explorer au moyen de la raison le don que Dieu fait de soi. LeKalâm cherche à défendrela tradition en montrantqu'elleest plus plausibleque ses adversaires. Sesthèmes centraux sont la nécessité de la prophétie, l'authenti­ cité de celle de Mahomet, la façon dont elleabroge les messages précédents, l'ar­ ticulation de la liberté humaine sur la toute-puissance divine, la nature des ré­ compenses etdespunitions après la mort. Aristote au secours de l'islam En Syrie et en Irak, comme en Géorgie et en Arménie, on s'occupait depuis long­ tempsde philosophie et de sciences. Les médecinsarabeseurent besoin des traités du médecingrec Ga­ lien*,qu'ontraduisit. Aristote* avait été traduit en syriaque, la forme d'araméen qui était pour les chrétiens lalanguede L'œuvre d'Averroès connut un immense succès dans l'Europe juive et chrétienne, mais n'eut presque aucune influence dans la liturgie et de la culture. Les besoins de la controverse mu­ sulmane requirent la traduc­ tion de ses oeuvres, en com­ mençant par la logique. Sous l'impulsiond'un noble mécène, al-Kindî*, on synthétisa en arabe le néoplatonisme un peu diffus qui formait le fond de la pensée des intellectuels de la le monde musulman. ment des Arabes de souche, mais très souvent des Iraniens: ainsi Sîbawayh, le premier grammairien, Bukhârî*, auteur du premier recueil classique de hadiths, l'historien Tabarî*, le premier à avoir commenté tout le Coran. Quant à al­ Bîrûnî*, savant universel, il disait qu'il aimait mieux être engueulé en arabe que flatté en persan! La nouvelle religion dût se définir en se distinguant de celles des populations conquises. À partir du vm• siècle, la po- région : des paraphrases de Plotin* formèrent la Théologie d'Aristote, des extraits de Pro­ dus le Livre des causes. Ces traductions furent !'oeuvre de chrétiens des diverses confessions présentes au Moyen-Orient. Elles furent uneentrepriseprivée, sanssoutiende l'É­ tat. Il faut dissiper la légende de la« Mai­ son de la sagesse » de Bagdad: celle-ci n'était pas un centre de traductions d'oeuvres philosophiques, mais de pro­ pagande pour la tendance théologique que soutenaient les califes. Un public cultivé de fonctionnaires constitua la base sociale d'une florai­ son littéraire et scientifique. Al-Fârâbî* 10 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° 5 Le Point
  • 10. (cf. p.62), Turc de culture persane, estbien moins connu en Occident que ses suc­ cesseurs Avicenne* (cf p. 64) et Aver­ roès* (cf p.66), pour qui il était pourtant la grande autorité. Il fut le premier à adap­ ter et à commenter systématiquement les œuvres logiques d'Aristote.Il réfléchit sur la place du philosophe dans la cité deve­ nue musulmane en s'inspirant de Platon. Cependant, jamais la philosophie n'a connu en islam ce phénomène propre à l'Europe : l'institutionnalisation de son enseignement dans les universités. Les grands philosophes musulmans sont de la taille des grands scolastiques de leur époque ou d'après eux. Mais philosopher n'est pas leur métier. Ils ISLAM I Introduction savoir.II faut aussiparler d'une stagnation relative, non d'un recul absolu. L'empire islamique a continué à s'étendre, aux Indes, en Indonésie, en Afrique. Bien entendu, on nes'est pas arrêté depenser. Des éléments d'origine philosophique ontsubsisté.Ainsi, les écoles de droit musulman ont intégré un enseignementpréparatoirede logique aristotélicienne. LeKalâm tardif a emprunté à Avicenne. Et l'expérience mystique s'est formulée en combinant deux idées fonda­ mentales du philosophe grec Plotin, que celui-ci distinguait: l'Un indicible, et l'in­ tellect qui connaît toutes choses. Le sou­ fisme (cf p. 74) est devenu ainsi une sorte de « néoplatonisme pour le peuple » où sont musiciens, médecins, juristes. Ils font de la phi­ losophie pendantleursloi­ La pensée arabe s'est refermée sur elle-même sirs et ne l'enseignent que au moment où elle a de façon privée. La philo­ sophie resta le fait d'une très petite élite. En Eu­ rope, la pensée des géants fut répercutée par une ar­ mée de « petits profs ». Elle l'union à Dieu équivaut parfois à une « disparition » en Lui. On peut trouver cette métaphysique un peupauvre; cela nel'apas empêché d'inspirer des cessé de sentir le besoin chefs-d'œuvre de poésie d'un contact avec les sources grecques. dans toutes les langues de l'islam. Dans l'ensemble, il reste a pu imprégner théologiens, juristes et médecins et donner à la pensée des grands maîtres un relais social qui a manqué à leurs confrères musulmans. Les intellectuels de l'islam ne se sont d'ailleurs pas occupés avant tout de phi­ losophie ou de mystique. Ce qui intéres­ sait le plus les musulmans du Moyen Âge n'était pas forcément ce qui, aujourd'hui, intéresse le plus les Occidentaux. Gardons­ nous d'une illusion de perspective trom­ peuse: ne confondons pas ce surquoinous trouvons le plus de choses dans les librai­ ries d'Europe (le soufisme*, avant tout) et cesurquoiles musulmans écrivaient, voire écrivent encore. Ce serait négliger l'im­ portanceécrasantedu droit religieux (fiqh) (cf p. 44) et des disciplines auxiliaires: tra­ ditions sur le Prophète et biographies de ceux qui les ont transmises ; exégèse du Coran, grammaire; traités sur les diver­ gences entre écoles juridiques... Lapenséearabesembles'êtrelentement ankylosée, environ à partir du XI" siècle. Il faut certes nuancer le constat, varier à l'in­ fini selon les régions et les domaines du vrai que la pensée mu­ sulmane a marquéle pas. Et qu'elle a man­ qué plusieurs tournants que l'Occident avait, plus ou moins laborieusement, réussi à négocier: les grandes décou­ vertes, la révolution astronomique et phy­ sique, la lecture critique des livres sacrés. Et ce n'est qu'au début du x1x• siècle que l'Orient a utilisé l'imprimerie. Causes de la stagnation On s'est beaucoup interrogé sur les causes de cette stagnation intellectuelle. L'essor de l'islam au v11• siècle avait re- distribué l'espaceéconomique mondial, capté à son profit les circuits commer- ciaux, mis en contact des régions jus­ qu'alors séparées, remis en circulation l'ordes tombeaux égyptiens etdes icônes byzantines. Sa stagnation fut contempo­ raine d'un arrêt dans la croissance éco- nomique, au moment même où l'Europe latine commençait un décollage qui ne s'est pas arrêté depuis: croissance dé­ mographique et innovations techniques - donc gain de productivité- s'y provo­ quaient mutuellement. -+ Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 11
  • 11. Introduction I ISLAM • La prise de contrôle de l'Empire isla­ mique par les Turcs fut décisive dans la lutte contre Byzance, depuis leur victoire à Mantzikert (1071) jusqu'à la chute de Constantinople (1453). Mais ils servirent de force de frappe à une orthodoxie cen­ sée représenter la Tradition (Sunna*). Les quatre grandes écoles de droit (cf p. 52) s'accordèrent pour dire que tous les problèmes devaient pouvoir être résolus à partir des principes énoncés par leurs fondateurs et qu'il n'était plus nécessaired'innover. Ghazâlî* (cf p. 78) a critiqué la philosophie, mais il a surtout réalisé une synthèse du droit qu'il ensei­ gnait et du soufisme qui s'étaitassagide­ puis l'exécution de Hallâj* en 922. Ces deux éléments de la vie musulmane ont depuis lors cessé de s'opposer pour au contraire se renforcer l'un l'autre. L'ob­ servation stricte de la charia légitime et leste la quête mystique; celle-ci vient à son tour animer de l'intérieur l'accom­ plissement des devoirs religieux en en ré­ vélant le sens profond. La pensée arabe s'estreferméesur elle­ même au moment où elle a cessé de sen­ tir le besoin d'un contact avec les sources grecques. Elle crut avoir rattrapé et dé­ passé les Grecs et donc pouvoir se pas­ ser de puiser chez eux. Cette impression n'était pas sans fondement : en mathé­ matiques, en optique, en astronomie, en médecine, les Grecs furent améliorés et prolongés. Rhazès* put se permettre de rassembler des « doutes » (difficultés) contre le médecin Galien; Alhazen* fit de même pour l'astronome Ptolémée*. En philosophie, Avicenne représente une lignede partagedes eaux ou une dé­ claration d'indépendance. Le premier, il rompit avec l'habitude de rédiger des commentaires sur Aristote, sur lequel il n'écrivit que quelques courtes « notes ». Son œuvre digère la pensée aristotéli­ cienne, traite des mêmes sujets que le philosophe grec, mais de façon originale. Après lui, philosopher, ce ne sera plus lire Aristote, mais lireAvicenne. En Iran, sa pensée se combina avec une revivis­ cencedes traditions réelles ou imaginaires de la Perse antique, pour former une « sa­ gesse divine » restée vivace jusqu'au xvme siècle. 12 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° 5 Le Point Ifrîqiya Averroès commenta plusieurs fois les œuvres d'Aristote pour en décaper la pensée des sédiments qui la couvraient. Parallèlement, d'autres savants andalous proposaient des hypothèses astrono­ miques plus fidèles à la physique aris­ totélicienne quecellesde Ptolémée. Cela n'empêcha pas Averroès de soutenir des théories puissamment originales, par exemple en théorie de la connaissance. Son œuvre connut un immense succès dans l'Europe juive et chrétienne, mais n'eut presque aucune influence dans le monde musulman. D'une langue à l'autre Au Xle siècle,l'Europe s'engageadansune mutation profonde. Les progrès maté­ riels exigèrent des techniques plusfines on traduisit donc de l'arabe des traités
  • 12. de médecine. Les papes lancèrent une réforme intérieure de l'Église et en re­ négocièrent le rapport avec l'Empire. Il fallait aux deux adversaires des argu­ ments juridiques. On redécouvrit donc les grands recueils de droit de l'empe­ reur Justinien (vie siècle). À Bologne, on les systématisa en une science déduc­ tive. Il fallait pour cela des outils intel­ lectuels plus fins que les deux traités d'Aristote qui avaient été traduits par Boèce*. La demande créa l'offre: à Tolède, en Si­ cile, à Salerne, on traduisit Aristote, à partir de traductions arabes ou directe­ ment à partir du grec. Et l'on traduisit des penseurs musulmans. Ainsi, la Mé­ taphysique d'Avicenne, dernier cri de cette science, fut traduite avant celle de son fondateur Aristote. ISLAM Introduction FOYERS HISTORIQUES DE LA PENSÉE EN ISLAM Océan Indien . .= En 1148, ladynastiemarocaine des Al­ mohades quiavaitprisle contrôle de l'Es­ pagne mauresque avait placé leurs su­ jets nonmusulmans devant le choix entre la conversion, le martyre ou l'exil. Parmi les juifs qui se réfugièrent en terre chré­ tienne, Catalogne, Languedoc ou Pro­ vence, certains emportèrent des textes arabes, qu'ils traduisirent en hébreu, langue de culture des juifs de ces régions d'abord des œuvres juives de vie spiri­ tuelle, puis Maïmonide*, qui avait ac­ climaté la philosophie dans le judaïsme, enfin des œuvres philosophiques dues à des musulmans ou à des Grecs. De deux côtés, donc, despensées venues de l'arabe ou transitées par lui entrèrent en Europe. Elles alimentèrent une de ces Renaissances qui rythment, de façon quasi ininterrompue, l'histoire européenne. • Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 13
  • 13. Langue arabe ! ISLAM Langle de la Révélation, comme il est dit à maintes reprises dans le Coran, l'arabe s'est diversifié à mesure que l'islà:m s'étendait. L'arabe classique, figé, a été doublé d'une langue technique simplifiée, en même temps que prospéraient les dialectes populaires. L'arabe, fondement de la pensée en islam timportance de la langue dans la constitution mentaledes Arabes est particulièrement mani­ festedans le culte que vouaient les Arabes mé­ diévaux à lapoésieantéislamique. Surtout durant les quatrepremierssiècles, celle-ci aconstituéla source fondamentale de leurs annales réglant les discus­ sions sur leurs généalogies et sur leurs guerres, par­ lant de leurs sciences, de leurs coutumes et de leur histoire. Les esprits les plus religieux respectaient ce monument de l'antiquité arabe (lajâhi/iyya). Des vers étaient cités pour expliquer certaines expressions rares de la parole de Dieu dans le Coran. À la diffé­ rence de l'époque moderne qui pratique la poésie libre, la poésie n'était alors pas un art frivole ou fa­ cile, mais une discipline rigoureuse avec des règles ardues et des mètres savants. Une langue sauée etdivine «Et il est, certes, une révélation du Seigneur des mondes descendue[du ciel] par l'Esprit fidèle[...] en langue arabe pure» (Coran, XXVI, 192-195).«Pure» et non«claire», comme on traduit souvent, car le langage du Coran est loin d'être clair; à preuve la masse énorme de commentaires philologiques qui ont été élaborés à son sujet. Il faut plutôt voir dans cette phrase une réponse à la récrimination des contemporains de Mahomet se plaignant que les Arabes, contrairement aux juifs et aux chrétiens, n'aient pas été gratifiés d'une révélation propre (VI, 155-156). Ainsi, en ne répétant pas moins de quinze fois qu'il est«manifestement» en langue arabe, le Coranenlèveà ces contestatairestouteéchappatoire «Nous n'avons jamais envoyé aucun messager, si ce n'est dans la langue de son peuple» (XIV, 4). 14 [ Novembre-décembre 2005 [ Hors-série n° 5 Le Point PAR MARIE-THÉRÈSE URVOY* Le croyant en déduit qu'il s'agit d'une révélation tex­ tuelle, que le Coran est«lesparolesmêmes de Dieu». l:arabe n'est donc pas une langue liturgique, comme le latin pour le christianisme de jadis, mais bien la langue sacrée et divine, celle-là même que Dieu a uti­ lisée pour s'adresser à l'ultime prophète, pour une ultime révélation, récapitulative de toutes les autres. Avant l'islam, les Arabes parlaient divers dialectes; cependant une languelittérairecommune, comprise par tous, était utilisée dans les concours de poésie dont le plus célèbre était celui de la foire annuelle d'Ukaz, prochede La Mecque, enArabie. Cettelangue devait être très proche des dialectes, mais aussi s'en distinguer par les subtilités du vocabulaire, par les inflexions et par les articulations de la syntaxe. La sensibilité poétique etrythmique innée chezlesArabes avait dû opérer une sélection progressive et systé­ matique, retenant ce qu'il y avait de plus pur dans tel dialecte, et de plus riche et imagé dans tel autre. À en croire les grammairiensanciens, le dialecte qui l'aurait emporté, au point de devenir une sorte de «collecteur», aurait été celui des Qoraychites, la tribu deMahomet. Rienne le prouve. Laraisonde ce privilège attribuéà la langue desQoraychitesest sans doute à chercher dans la jonction du thème de l'in­ imitabilité du Coran (cf p. 22) et du privilège poli­ tique accordé par l'islammajoritaireà la tribu du Pro­ phète, telle l'idée quelecalifedevaitêtreissu de cette tribu. Quant au premier thème, il a abouti à faire ad­ mettre par la majorité des musulmans que, comme le dit le célèbre historien Ibn Khaldoun* (cf p. 68), «l'élégance inimitable du style du Coran est telle­ ment grande qu'aucune intelligence ne saurait l'ap­ précier complètement».
  • 14. C'est dire la force et la complexité du lien entre la forme de la parole et la pensée. Aussi Renan*, qui contestait auxArabestouteoriginalité dans les disci­ plines spéculatives, reconnaissait-il en revanche que «[leur] génie s'est déployé dans la grammaire». Spédallsatlon et éparpillement LeCorans'estprésentéd'emblée comme un texte qu'il fautmémoriser. Celaacontribuépuissammentà l'uni­ formisation de lalanguesur le territoire où s'implantait l'islam. En même temps que le Coran, toute une lit­ térature religieuse se constitue, qui augmente la ri­ chessedu langage. Par ailleurs, l'expansionarabehors de la péninsule entraîne des brassages de populations favorisant son unification. l'arabe devient ainsi une véritable langue de culture. Mais si celle-ci s'impose comme languenationale dans certainesrégions, elle ne reste ailleurs qu'un moyen d'expression pour let­ trés. Ainsi, très tôt, dès le v111' siècle, se manifeste une distorsion entre la langue de culture, avec ses règles et ses contraintes, et lapratique courante par des po­ pulations quisubissent l'influence deleurparlerpropre. Le trait le plus dominant est l'abandon du système de flexion, caractéristique essentielle de l'arabe classique, qui aboutit à ce qu'aujourd'hui l'apprentissage de la langue littéraire par les étrangers se fasse sans les vo­ calisations, ces voyelles courtes nécessaires à la défi­ nition grammaticale. Très tôt cependant, la langue littéraire a été doublée d'une languesimplifiéequiestdevenuelemoyend'ex­ pression écrite de minorités non musulmanes. Les tra­ ductionsscientifiquesà partir du syriaqueou du grec, faites surtout par des chrétiens, en même temps qu'ellesontenrichi le vocabulairepardesaspects tech­ niques jusqu'alors inconnus, ont facilité l'expansion de cet arabe simplifié. Du persan, langue également indo-européenne, l'arabe n'emprunte que des vo­ cables; malgré de fortes personnalités, tel Ibn Mu­ qaffa'* quisaitfondre un espritiraniendansuneforme arabe, c'est plutôt le persan qui s'arabise et qui, tout en conservant sa structure, emprunte à la langue de l'islam près de la moitié de son vocabulaire. Il y a donc un éparpillement de la langue en divers niveaux : 1. - une langue littéraire fortement mar­ quée par leCoran et quicontinueà seréféreraux mo­ dèles poétiquesanciens tout enabandonnantquelque peu leur exubérance lexicale; 2. - une langue tech­ nique, trèssimplifiée; 3. - les divers niveaux du lan­ gage populaire appelé dialectal. l'évolution sociale et politique, avec l'affaiblissement des Arabes et la montée en puissance des Persans et des Turcs, accentue ce processus. Dès lesenvirons de 912 après J.-C., soit à la fin du 111' siècle de l'hégire*, la langue classique reste réservée au domaine litté- / ISLAM I Langue arab.e raire. Le respect de ses traits fondamentaux apparaît même comme une marque de pédantisme, à moins qu'il ne s'agisse d'une occasion solennelle(religieuse ou artistique). Le mot 'arabiyya désigne désormais un système codifiépar desspécialitésdu langage et, du même coup, figé. Les grammairiens arabes ont perçu leur objet comme «un organismevivantauseinduqueljouent des forces telles qu'un mot peut agir sur un autre et que c'est en saisissantcetteactivité interne qu'on peut comprendre ce qu'elle veut dire» (Roger Arnaldez). Lesmécanismes propresà la langue permettent d'exprimer tout ce qui doit être compris. Voyons quelques exemples mon­ trant à quel point ils peuvent commander l'organisa­ tion de la pensée etconditionnerlesréflexesde la com­ munauté qui la parle ou s'y réfère. Le plus frappant est l'appel islamique:«Allâh akbar », «Dieu(est) le plus grand». Il n'est formé que de deux termesn'exprimant aucune actionpuisque sans verbe. Mais le superlatifest obtenu par une forme adjective intensive que la grammairearabea développéeà l'envi avec une créativité débordante. Lorsque le Coran dit : «Les croyants sont seulement des frères» (LXIX, 10), il utilise une particule gram­ maticale (innamâ), ni nom ni verbe, qui comporte un sens exclusif mais aussi amplificateur, qui dynamise la phrase nominale. Aussi l'exégète commente-t-il : «pas de fraternitésaufentre les musulmans»; ce que la communauté appliquera avec un grand scrupule. EWpse et sens de la formule Il en va de même pour le fameux cri : « Lâ illâh illâ a/­ /âh »(«il n'y apoint de divinitésauJDieu»).Cetorrent sonore fait de cascades de «l» (olim) et de voyelles longues, «â» (a/if), saisit l'auditeur jusqu'à l'ivresse. Maisle«sauf»(laparticuleillâ) chargeaussilaphrase nominale d'un exclusivisme brutal. Dans ces trois exemples, l'effet produitestgarantipardesparticules, dépourvues defonctiongrammaticalequandellessont isolées, tirant leur force de leur brièveté. Aussi, tout enétantcapabledereprendreà soncompte le raisonnement hérité des Grecs ou le genre de l'apo­ logue venu de l'Inde, la production intellectuelle en arabe garde une allure spécifique : la présentation des idées cherche moins à satisfaire la spéculation par des analyses graduées qu'à entamer la volonté par des formules en pointe, procédant par allusion etsuggestionplutôt que par des développements sui­ vis, préférant le confort du dilemme à la complexité du syllogisme, et aimant passer directement du prin­ cipe à la conséquence. * Marie-Thérèse Urvoy, professeur d'islamologie à l'Institut catholique de Toulouse, auteur notamment de L'Orient chré­ tien dans l'empire musulman {Éditions de Paris, 2005). Le Point Hors-série n° 1 Novembre-décembre 2005 1 15
  • 15.
  • 16. C 0 0 � œ 3 François Déroche, directeur d'études à !'École pratique des hautes études, spécialiste de l'histoire du livre en Islam, auteur, entre autres, du Coran (PUF, 2005) et du Livre manuscrit arabe, préludes à une histoire (BNF, 2004). CORAN ET SUNNA I Introduction L'islam s'appuie sur trois corpus : le Coran révélé à Mahomet, la Sunna, compilation des hadiths, paroles et gestes du Prophète, et le consensus des docteurs de la Loi. Seul le Coran est incontesté, même s'il se prête à bien des exégèses. CORAN ET SUNNA AUX SOURCES DE LA PENSÉE EN ISLAM Par François Déroche L I islam repose sur le Coran, la Tra­ dition (Sunna*) et le consensus des spécialistes de laLoi. Texte fon­ dateur, le Coran est dans son intégralité laparolede Dieudictée par l'ange Gabriel à Mahomet (cf p. 30) au cours de révé­ lations qui sesont espacées sur une ving­ taine d'années. Les versets coraniques, groupés en sourates, ne sont pas organi­ sés de manière à développer une argu­ mentation. Ils ne prennent pas non plus uneforme narrative, lesré- Texte révélé, le Coran énonce une vérité qui s'imposesans discussion à l'homme. Mais parcequ'il n'est pas construit comme un exposé systématique de la Loi, un cer­ tain nombre de points restent obscurs, soit qu'ils n'aient pas été évoqués du tout, soit qu'il ait existé une contradiction entre deux versets traitant de la même ques­ tion. Sur ce point, un verset (li, 106) ap­ porte d'emblée une solution : « Dès que nous abrogeons un verset ou dès que nous le faisons oublier, cits étant brefs et généra­ lement allusifs. Ils ne sont enfin que partiellement re­ groupés sur une base thé­ matique. L'essentiel du message est formé d'an­ nonces et d'admonesta­ tions: affirmation de l'exis- Ni argumentation, ni récit, l'essentiel nous leremplaçons par un autre meilleur ou sem­ blable. » En outre, la diffi­ culté du texte en certains endroits est de nature à ré­ clamer un effort pour en cerner le sens. Un verset (III, 7) quia suscité d'abon- du message coranique est formé d'annonces et d'admonestations. tence d'un Dieu unique transcendant, invitation faite à l'homme de se soumettre à lui dans la perspective du Jugement dernier et confirmations ré­ pétées de la mission de Mahomet. Une part non négligeable du texte est enfin constituée par des prescriptions légales. dantsdébatsassure que le Coran contient des « versets clairs » - la basedu Livre - et d'autres « équivoques ». Quels sont-ils? Les musulmans peuvent­ ils ou non chercher à les comprendre? Les premiers théologiens de l'islam fu­ rentprincipalement préoccupés par les ,. Le Point Hors-série n° 5 [ Novembre-décembre 2005 1 17
  • 17. Introduction j CORAN ET SUNNA C .... . C .,,J ! (A) @1o,. ..... -+aspects juridiques et se passèrent de toute approche spéculative dans l'étude du Coran. En revanche, ils trouvèrent dans les hadiths*, les « dits de Mahomet» - ma­ tière de la Sunna-, des réponses aux ques­ tions demeurées en suspens, essentielle­ ment dans le domaine légal et moral. L'exemple du Prophète Une partsubstantiellede cet énorme cor­ pus vise en effet à donner au croyant les moyens de s'acquitter de ses obligations envers Dieu en mettant son existence en conformité avec le modèle parfait que re­ présente le Prophète : « Vous avez, dans le Prophète de Dieu, un bel exemple» Très tôt, la question de leur authenti­ cité est toutefois posée par les spécia­ listes musulmans eux-mêmes, qui s'ef­ forcent d'éliminer ceux qui paraissent suspects; de fait, il était tentant (et facile) d'inventer des hadiths pour étayer une position, notamment dans le domaine du droit. Plus près de nous, à la fin du x1x• siècle, le grand arabisant lgnaz Gold­ ziher a remis en cause de manière plus large leur véracité, une position critique qui prévaut toujours chez certains cher­ cheurs contemporains. Troisième fonde­ ment, le consensus des spécialistes de la Loi vise à garantir la permanence de l'en­ seignement du Coran et de la Sunnaqu'il rend clair et décisif. Comme on le voit, les deux ensembles de textes quesont Alors que le Coran est mis par écrit vers le milieu le Coran et la Sunna sont de statut et de nature très diffé­ rents. Bien que des hadiths aientétéinvoquésparlespre­ miers exégètes pour expli­ quer le sens du Coran, ils ne contiennent que ponctuelle­ mentdeséléments de réponse du vrre siècle, les hadiths ne nous sont connus qu'à travers des compilations datant du rxe siècle. (XXXIII, 21). Chaque hadith se présente comme un rapportplus ou moins détaillé relatant une parole ou un geste de Maho­ met et remontant à une personnalité qui en fut le témoin direct et l'a raconté à un autre fidèle, lequel, à son tour, l'a trans­ misàunepersonne bien précise, etc. C'est par exemple au compagnon de Moham­ med Abû Hurayra (mort en 678) que se rattache la chaîne de transmission d'un hadith qui ditque « le Prophète a défendu d'appuyer sa main sur la hanche pendant la prière» (dans le recueil de Bukhârî* compilé vers le milieu du 1x• siècle). Alorsque le Coranestmis parécritvers le milieu du vu• siècle, les hadiths, dont la circulation, l'étude et l'utilisation par des savants musulmans semblent re­ monter à la fin de ce même siècle, ne nous sont connus qu'à travers des compila­ tions largement postérieures (lx• siècle). Leur reconnaissance en tant que second fondement de l'islam après le Coran est l'œuvre du grand juriste al-Châfi'î*. àcertainesquestionsthéolo­ giques essentielles - la pré­ destination, par exemple. À partir du milieu du vu!° siècle et du­ rant le 1x•, les traductions en arabe des philosophes grecs firent découvrir à l'is­ lam des possibilités nouvelles d'inter­ préter le monde et lestextes. Des esprits qui ne se satisfaisaient pas des explica­ tions des tenants intransigeants de la Tra­ dition commencèrent à adapter les concepts issus de !'Antiquité: certains empruntèrent desméthodes, d'autres pro­ posèrent des synthèses plus ambitieuses. Liberté ou prédestination Assez rapidement, sous les Omeyades (fin v11•-début vm• siècle), la question de la liberté de l'homme a donné lieu à des discussions qui tiraient du Corandes ar­ guments contradictoires. Le débat op­ posait ceux qui adhéraient à l'idée selon laquelle les destins individuels étaient inscrits de toute éternité dans le plan di­ vin, à d'autres qui objectaient que Dieu, dont le Coran proclamait la miséricorde, ne pouvaitpaspunir ou récompenser des 18 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° 5 Le Point
  • 18. hommes pour des actes dont la décision in fine ne leur appartenait pas. Les se­ conds, tenants de la théologie rationnelle (kalâm*), faisaient une place à la raison et aux méthodes de la philosophie grecque; les premiersse recrutaient parmi les spécialistes musulmans des hadiths et trouvaient dans la Sunna des hadiths qui constituaient autant d'arguments en faveur de la prédestination. Des penseurs musulmans tentèrent de réconcilier philosophie et Révélation.Sur un certain nombre de points toutefois, comme l'immortalité de l'âme ou la créa­ tion du monde, leur effort ne parvint pas à rendrecomptede l'enseignement du Co­ ran. La question du caractère créé ou in­ créé du Coran cristallisa au IXe siècle l'op­ position radicale et féroce entre les promoteursdu kalâm et ceux qui, comme Ibn Hanbal*, récusaient touteautresource à la Loi que le Coran et la Sunna, et mani­ festaient une profonde suspicion vis-à-vis de méthodes d'origine étrangère. CORANETSUNNA j Introduction Parce que les musulmans « ordonnent ce qui est convenable et interdisent ce qui est blâmable» (IX, 71), ilstrouventdans le Coran etlaSunnaun enseignementqui leur permet de vivre de manière à atteindre le but ultime du croyant, l'agrément de Dieu et sa récompense dans l'au-delà. L'accent est davantage mis sur les actes qui per­ mettent de parvenir à ce but ou qui sont déconseillésquesur une définition du bien ou du mal.Dans le Coran, source de la Loi, leséléments d'un code apparaissent à côté d'injonctions formant l'ébauche d'une mo­ rale. Semblablement, biendes hadiths trai­ tent de points d'éthique et de problèmes juridiques. Les uns et les autres consti­ tuent un tout pour les fidèles. Le Coran propose une sagesse (hikma) qui ne se li­ mite pas à un catalogue des bonnes et des mauvaises actions, l'injonction morale étant souvent suivie d'une invitation à ré­ fléchir. Cette éthique aux contours parti­ culiers est demeurée largement en dehors de la réflexion des philosophes.• École islamique, Coran, Chantilly, musée Condé. Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 19
  • 19. Clés de lecture I CORAN ET SUNNA a: - .... :z ... :li E = u ... .... Le prophétisme gu'est que le Coran? Le textesacrédel'islamest d'abord une somme de v à croire et un code de préceptes à appliquer, mais il est aussi un discours sur lui­ même, sur l'histoire, sur les re­ ligions et sur Mahomet. C'est sur cette base que vont se dé­ velopper au sein de l'islam la réflexion et les sciences, reli­ gieuses ounon.Le premier ver­ set cité (li, 177), qui contient virtuellement le dogme, le ri­ tuel et l'éthique du Coran, in­ clut aussi le devoir de croire aux prophètes antérieurs à Ma­ homet, selon une perspective qui dessine une histoire reli­ gieuse de l'humanité. Histoire de la Révélation Depuisla Genèse, Dieun'acessé de lui envoyer des prophètes. Chacun, dans la langue de son peuple, lui a adressé le même message divin : le créateur est un; l'humanité a des devoirs envers Lui.De cette succession de prophètes, le Coran ne men­ tionne que quelques-uns : Adam puis Noé, Abraham, Moïse, Sa­ lomon, David, Jésus... Ce dis­ cours apparaît moins comme une histoire du salut que comme celle de la Révélation et d'une certaine unité des re­ ligions. Il revendique un héri­ tage religieux. Mieux, il le confirme.Maissi Mahomet pré­ tend appartenir au cycle des prophètes sémitiques, il intro­ duit une différence fondamen­ taleavecla tradition judéo-chré­ tienne : il élève Abraham au rang de patriarche des musul­ mans, de fondateur de l'islam. Abraham, patriarche des musulmans. Cette théorie de la révélation sera le point de départ d'une double investigation.D'unepart les hadiths*, censés témoigner des paroles etdesgestes de Ma­ homet, suppléerontlessilences de la révélation par quantité d'anecdotes, puiséesnotamment à la tradition juive, brodant une histoire sacrée imprégnée de merveilleux. D'autre part, des tentativesd'histoire universelle, selon les critères de la science médiévale, amalgameront les données coraniquesaveccelles des peuples convertis en de grandioses synthèses comme celle d'un Tabarî*. Quels seront maintenant le rôle et la place de Mahomet par rapport à ses prédécesseurs? Il n'est, comme eux, qu'un avertisseur, porteur du même message; mais il est surtout le dernier. Telle est du moins l'interprétationclassique d'un verset (XXXIII, 40), selon le­ quel Mahomet est le« sceau » des prophètes. Il clôt avant la findu monde lecyclede la pro­ phétie.Cette interprétation est rejetée toutefois par nombre de mouvements sectaires et messianiques. Ainsi, selon le 20 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° 5 Le Point mystique Ibn 'Arabî (cf p. 80), ce verset affirme simplement que Mahomet est venu ap­ porter la dernière loi divine à l'humanité. Laissant entendre que l'inspiration divine ne dis­ paraît pas après lui, le grand théoricien du soufisme* jetait un pont avec l'idée chiite* de l'imamat (cf. p.88). D'autre part, si le Coran n'ins­ taure pas de hiérarchie entre les prophètes, la Tradition (Sunna*) a enrichi le portrait de Mahomet de traits nouveaux qui font de lui le« meilleur des envoyés»: il parachève l'œuvre de ses prédécesseurs, et il est le premier des hommes dans l'ordre de la création. Un texte énigmatique Enfin, le Coran se veut la réca­ pitulationde toutes les révéla­ tionsprécédentes.Mais il reste souvent concis, allusif, voire énigmatique. Aussi a-t-il sus­ cité un vaste mouvement in­ terprétatif. L'apport des civi­ lisations étrangères y fut es­ sentiel, et les sciences spéci­ fiques du texte coranique mi­ rentaupointune méthodologie qui servit aux autres disciplines non religieuses. Cette repré­ sentation musulmane du Co­ ran et de Mahomet n'a pas peu contribué à ouvrir l'Islam, en tant que civilisation, vers l'ex­ térieur. En même temps, la place éminente accordée au livre sacré et à Mahomet suffit à expliquer pourquoi la com­ munauté religieuse s'est édi­ fiée exclusivement sur cesdeux composantes. Mohyddin Yahia
  • 20. CORAN ET SUNNA Prophétisme ... << Mahomet est l'envoyé de Dieu et le sceau des prophètes >> � >< ... � ... .... • Être pieux ne signifie point tourner vos E visages vers l'orient ou vers l'occident. :r,2 Est pieux l'homme qui croit en Dieu et au Dernier Jour, aux anges, aux Écritures, aux prophètes; l'homme qui, pour l'amour de Dieu, donne ce qu'il possède à ses proches, aux or­ phelins, aux pauvres, auxvoyageurset aux men­ diants ainsi que pour racheter les captifs; l'homme qui prie, donne l'aumône, observe la foi jurée, demeure constant dansl'adversité, le malheur, et face à la violence. Voilà l'homme sincère, voilà l'homme qui craint Dieu! CORAN, Il, 177 Ce furent toujours des hommes, commetoi, que Nous envoyâmes comme prophètes inspirés dans leurs cités. [...] Il est, dans les récits de ces prophètes, un salutaire enseignement pour les hommes doués de réflexion.Ce n'est pas un propos qui puisse être démenti; bien au contraire, c'est une confirmation des révéla­ tions antérieures, un exposé détaillé sur toute choseet une miséricorde pourceux qui croient. IBIDEM, XII, 109 ET 111 Il ne t'est révélé que ce qui fut révélé aux en­ voyés qui t'ont précédé[...]. IBIDEM, XLI, 43 Lorsque Abraham eut élevé avec Ismaël les as­ sises du temple [de la Kaaba], ils dirent : « ô Seigneur[...], fais de nous des musulmans, et de notre descendance une communauté mu­ sulmane. [...J Suscite parmielle un envoyéissu d'elle qui leur récite tes versets, lui enseigne !'Écriture et la Sagesse, et la purifie. Tu es le Sage et le Tout-puissant! » [...J Certes, Nous [Dieu] avons élu Abraham en ce monde, et il sera au nombre des saints dans l'au-delà. Dès que son Seigneur lui dit : « Sois musulman!», il répondit : « Je me soumets au Maître de l'uni­ vers...» Et lorsque Jacob fut près de rendre l'âme, ses enfants dirent : « Nousadorerons ton Dieu, le dieu de tes pères, Abraham, Ismaël et Isaac, dieu unique. À Lui nous serons soumis [musulmans].» IBIDEM, Il, 127·133 Car c'est à toi [Mahomet] que Nous avons fait descendre ce Livre où toute.chose se trouve éclairée, et qui est aussi un guide sûr, une mi­ séricorde et une annonce heureuse pour les croyants. IBIDEM, XVI, 89 Mahomet n'est le père d'aucun d'entre vous, mais l'envoyé deDieu et le sceau des prophètes [ ...]. IBIDEM, XXXIII, 40 Des gens vinrent unjour demander au Prophète « Quand as-tu assumé ta charge de prophète? -Alors qu'Adam était encore entre l'esprit et le corps», répondit-il. D'après Ibn 'Abbâs: « Je[Mahomet] suis le pre­ mier des hommes dans la création et le dernier dans la mission [prophétique].J'étais le servi­ teur de Dieu et le sceau des envoyés alors qu'Adam était encore dans son argile. [...] Lorsque Dieu créa Adam, je fus transféré à sa descendance et jedescendissur terre.Puisj'ap­ partins à la descendance de Noé et je fus placé dans l'Arche. Je ne cessai de passer dans les matrices les plus pures jusqu'à ce que je vienne au monde engendré par mes deux parents.» TIRMIDHÎ*, LA SOMME AUTHENTIQUE Abû Hurayra rapporte le propossuivant de l'en­ voyé de Dieu: « Telle est par rapport aux pro­ phètes qui m'ont précédé, la parabole qui s'ap­ plique à moi : un homme a construit une magnifique maison, sauf qu'une pierre manque à l'un des angles. Les gens viennent la visiter, tournent autour et admirent sa beauté, tout en disant : "Mais pourquoi donc cette brique manque-t-elle ici?" Cette pierre, dit le Prophète, c'est moi, et je suis le dernier des prophètes. » MUSLIM IBN AL·HAJJÂJ*, LA SOMME AUTHENTIQUE (TRADUCTIONS ORIGINALES DE MOHYDDIN YAHIA) Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 21
  • 21. Clés de lecture I CORAN ET SUNNA .... a:: :z .... & & = c..:» .... .... L'inimitabilité du Livre P ersuadés que le Coranest la parole divine, les mu­ sulmans tiennent celle-ci pour parfaite et estiment qu'au­ cun autre texte ne peut l'éga­ ler. Àpartir du me siècle de l'hé­ gire*, cette conviction prit la · forme d'un dogme : le carac­ tère inimitable (i'iâz) du Coran. Ce dogme ne s'est toutefoispas imposé avec tant de rigueur dèsl'origine. Aune siècle de l'hé­ gire, les premiei:s théologiens mutazilites* (cf p. 34) n'ad­ mettaient le principe de l'ini­ mitabilité que pour le fond du texte sacré, non pour la forme. Il existe par ailleurs quelques tentatives audacieuses pour surpasser la qualité littéraire du Coran ou la mettre en doute: celles d'lbn Muqaffa'* et de Mutanabbî*, que d'au­ cuns tiennent pour le plus grand poète arabe, et surtout celle du libre penseur Ibn al­ Râwandî*, qui n'hésita pas à écrire au nom de la raison un pamphlet contre le Coran. Le Coran, miracle absolu Affirmer que le Coran était au­ dessus des forces humaines était une manière de défendre lareligion. Mahometavaitreçu unlivre venu d'en haut: il était donc unenvoyé de Dieu.C'était aussi prétendre que le Coran tenait du miracle, alors que les religions concurrentes repro­ chaient à l'islam d'en être dé­ pourvu. Le dogme de 1'iJâz his­ sait ainsi l'islam au niveau des « religions vraies ». Mais tous les miracles ne se valent pas. Un simple prodige ne peut être comparé au miracle suprême de Mahomet qui n'est autre... que le Coran lui-même. Restait à prouver le caractère exceptionnel de la Révélation coranique. L'islam fut ainsi amené à préciser la définition de miracle. C'estd'abordce qui rompt le cours naturel des choses que Dieu a établi et qu'il peut suspendre : un phéno­ mène miraculeux est le signe de son intervention dans l'uni­ vers. Mais un miracle est aussi ce qui authentifie la mission di- vine d'un Prophète.Pour Jésus, la marche sur les eaux; pour Moïse, le bâton transformé en serpent. Les recueils de ha­ diths* comme celui de Bu­ khârî* attribuent également à Mahomet des miracles: l'eau quijailliten abondance d'entre ses doigts, la lune qui se fend en deux, etc. Mais ces prodiges auraient très bien pu être l'œuvre d'un magicien, ce qu'avaient d'ailleurs insinué les Mecquois hostiles, accusations que le Prophète avait repous­ sées énergiquement. Les théologiens du ne siècle de l'hégire durent donc chercher ailleurs le miracle, signe de la 22 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° 5 Le Point prophétie (âya), dans son in­ humanité. Le vrai miracle était dans ce qui n'était pas au pou­ voir de l'homme d'accomplir, fût-il magicien: quelque chose comme un défi jeté à ses contemporains qui, impuis­ sants à le relever, prouvaient ainsi par défaut que Mahomet était Prophète. Ce quelque chose est le Coran. Mais en quoi celivre écrit dans une langue humaine - fût-elle inspirée - était-il suprahumain, Tous les miracles ne se valent pas. Un simple prodige ne peut être comparé au miracle suprême de Mahomet qui n'est autre... que le Coran lui-même. miraculeux et inimitable? Les chrétiens et les juifs ne reven­ diquaient rien de tel pour leurs Écritures. C'est ce que les mu­ sulmans, par l'examen minu­ tieux dutexte coranique, s'ap­ pliquèrent à vouloir démontrer, au prix d'une abondante litté­ rature. Ainsi cet extrait de Ba­ qillânî*, un classique du genre. Son argumentation? Il est pos­ sible, en analysant les chefs­ d'œuvre dela littérature arabe, de déceler qu'il s'y mêle inva­ riablement quelque imperfec­ tion quant au style ou à l'har­ monieentrele fond et la forme. Le Coran, au contraire, ne tra­ hit aucune faiblesse. M. Y.
  • 22. CORAN ET SUNNA lnimitabilité << Le Coranest au-delà de ce que l'imaginationpeut concevoir>> .... .... >C .... .... .... .... • [...] Gardez-vous d'associer à Dieu, en connaissance de cause, des divinités. Si vous avez des doutes sur le message que Nous avons révélé à notre serviteur, ap­ portez donc une sourate semblable à ceci et in­ voquez alors comme témoins celles-là même que vous associez à Dieu. Si vous ne le faites point - et vous ne le ferez point - redoutez un Feu dont les hommes seront l'aliment[...]. CORAN, Il, 22- 24 Dis:« Si les hommes et les génies s'unissaient pour produire une œuvre semblable à ce Co­ ran, ils n'y parviendraient pas,dussent-ils y em­ ployer tous leurs efforts réunis.» IBIDEM, XVII, 88 Si un océan tout entier se muait en encre pour transcrire les paroles de ton Seigneur, l'encre se tarirait avant qu'elles ne s'épuisent, quand bien même Dieu yajouterait une mer aussi immense. IBIDEM, XVIII, 109 Quoi d'étonnant pour les mortels qu'ayant ins­ piré un des leurs, Nous lui ayons dit:« Avertis les hommes,annonce pour leur plus grande joie qu'ils jouiront, s'ils croient, d'un privilège cer­ tain.» Les incroyants se sont écriés:« Voilà bien un magicien manifeste!» IBIDEM, X, 2 D'après Jâber:« Nous avions grandement soif le jour où fut conclu le pacte de Hudaybiyya. Un petit bol se trouvaitalorsdevant le Prophète et, lorsqu'il eut achevé d'en utiliser l'eau pour se purifier, nous nous précipitâmes vers elle à notre tour."Qu'avez-vous donc?" demanda-t-il. Nous répondîmes: "Nous n'avons pas d'eau pour nous purifier ni pour boire, si ce n'est celle que tu as utilisée." « Il introduisit alors sa main dans le bol et nous vîmes l'eau couler entre les doigts du Prophète comme autant de sources. Chacun de nous s'y désaltéra et fit ses ablutions avec.» Je[le compagnon qui interrogea Jâber] deman­ dai:« Combien étiez-vous?- Même si nous avions été une centaine de milliers, l'eau était tellement abondante qu'elle nous aurait suffi.Nous étions quinze cents hommes », répondit Jâber. BUKHÂRÎ, SAHÎH [...] Certains disent que le caractère inimitable du Coran se déduit des chapitres sur les figures de rhétorique que nous avons citées. Mais telle n'est pas notre opinion. En effet, ces procédés [...] peuvent être acquis par la pratique et l'ef­ fort soutenu.Il en va de même de lapoésiesil'on est doué pour elle et qu'onconnaît lesvoiespour en composer.Quelle que soit la manière de clas­ ser ces procédés, nous maintenons que le ca­ ractère inimitable du Coran ne peut être repro­ duit par aucun homme. Beaucoup de poètes modernes font en effet de grands efforts pour s'assimilerlestechniques dela poésie [...] comme Abû Tammâm par exemple dans son poème rimé par la lettre « 1 ». Or, des spécialistes de la litté­ rature y ont relevé l'emploi blâmable et artificiel des figures de rhétorique et de la composition. [...] Certes Buhturî, quant à lui, ne place pas si haut la paronomase dans ses poèmes, et ce n'est qu'en de rares occasions qu'il fait usage de moyens artificiels.La paronomase, chez lui, sait rester belle, élégante, raffinée. Il en va de même pour l'antithèse et les autres figures de style.Et malgré cela, il n'arrive pas à atteindre la perfec­ tion, tout comme elle futrefuséeaux plus grands poètes anciens. Nous allons montrer cela dans un chapitre séparé qui comparera la beauté rhé­ torique de ces poètes à celle du Coran. Ce sera notre voie pour prouver le caractère inimitable du Coran.[...] Il t'apparaîtra que[...] la rhéto­ rique, ne rompt en aucune manière le cours ha­ bituel du langage; mieux, elle peut faire l'objet d'une étude,[...] de même que l'art de la com­ position.[...] Au contraire, quiconque ambi­ tionnerait de rivaliser avec le Coran ne trouve­ rait [...] aucune voie toute tracée : ni vers extraordinaire, ni maxime bien connue, ni idée brillante, ni terme rare.[...] Quant à la compo­ sition du Coran, elle est au-delà de ce que l'ima­ gination ou l'esprit peuvent concevoir; on ne saurait l'apprendre, ni se l'approprier. BAQILLÂNÎ, LE CARACTÈRE INIMITABLE DU CORAN (TRADUCTIONS ORIGINALES DE MOHYDDIN YAHIA) Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 23
  • 23. Clés de lecture I CORAN ET SUNNA :z .... :E :E c::, u .... ... L'exégèse coranique L 'activité intellectuelledes musulmans, pendant les deux premiers siècles après Mahomet, fut presque ex­ clusivement dominée par des investigations autour du Co­ ran.Ellesdébouchèrent sur des sciences typiquement isla­ miques, qui devinrent bientôt autonomes : lectures et va­ riantes coraniques, lexicogra­ phie, grammaire de la langue arabe, droit, étude des tradi­ tionshistoriques relatives à l'is­ lam primitif et au Prophète. Chaque grand commentaire classique du Coran ne manque pas de les mettre à contribu­ tion. Grâce à elles, il est tout autantune élucidation du sens des versets qu'un commentaire du livre sacré. Sens multiples L'exégèse coranique (tafsîr) ré­ pondait à un besoin qui s'était fait sentir dès les premières conquêtes. Qu'ils soient arabes ou convertis, les musulmans se heurtaient aux obscurités du texte. Celles-ci tenaient à plusieursfacteurs. Selon le ver­ set 7 de la sourate III, le Coran divise son propre contenu en révélations muhkam (claires, précises) et mutashâbih (équi­ voques ou analogues), favori­ sant ainsi la pluralité des in­ terprétations. De plus, l'arabe étant unelangue souvent étran­ gèreaux convertis, le Coran de­ vait nécessairement leur être expliqué. Les Arabes eux­ mêmes, quand ils étaient ins­ tallés hors de leur patrie, com­ mençaient à perdre la langue du Coran dans toute sa pureté et nesaisissaient plus bien des constructionset destermes qui étaient compréhensibles au mo­ ment où ils furent révélés. On distingue donctroisgrands types de commentaires, selon qu'ils fondent l'explication sur des autorités antérieures, sur l'opinion personnelle (ray*) du commentateur ou sur des renvois à d'autres parties du Coran. En fait, aucun com­ mentaire ne se réduit à un seul de ces trois types d'explication, il les contient toutes dans des proportions variables. e Coran divise son propre contenu en révélations muhkam (claires) et mutashâbih (équivoques), favorisant la pluralité des interprétations. L'extrait ci-contre est tiré du tafsîr deTabari*, premier grand exégète du Coran dont l'œuvre est à la source de la plupartdes commentaires. L'auteur y dé­ fendavec forcel'idée que ceux­ ci doivent se baser sur l'auto­ rité par excellence : les dires du Prophète ou ceux de la gé­ nération suivante. Le Prophète, en effet, avait parfois lui-même fourni des explicationssur cer­ tains versets, maispas surtous. Pour le reste, pensait-on, d'utiles éclaircissements se trouvaient dans tout ce qui avait été rapporté delui ou sur lui. En effet, il était réputé com­ prendre en profondeur le Co­ ran et n'avait pas manqué de 24 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° s Le Point vivre conformément à sa Loi. Cette méthode eutla faveur des milieux dévots. Ainsi le tafsîr, très connu en islam, de l'his­ torien Ibn Kathîr*, typiquedu genre, est essentiellement un résumé de celui de Tabarî. Mais personne n'a jamais limité son interprétation à la tradi­ tion. L'opinion personnelle, le ra'.Y, ne fut jamais évincée. Il fut même brillamment illustré au me siècle de l'hégire* par cer­ tains penseurs du mouvement mutazilite* (cf. p. 34), mais aussi beaucoup plus tard par des théologiens orthodoxes, tels qu'al-Râzî*, qui produisit le tafsîr le plusfameux du genre, Les Clés de l'invisible. L'opinion du commentateur Prenons un seul exemple. Le Coran affirme dans la sourate VI, verset 103, qu'il est impos­ sibleaux hommes de voir Dieu. Dans un autre passage (LXXV, 22-23), il est dit au contraire qu'au jour de la résurrection, « les visages seront brillants, regardantleur Seigneur». Com­ ment interpréter l'un et l'autre passage? Tabarî, qui s'appuie sur la tradition, résout la contradiction entre les deux versets en invoquant le fait que le Prophète déclara un jour que tous les hommes, lors du Ju­ gement dernier, verront leur Seigneur « aussi clairement que la lune lors d'une nuit de pleine lune ». Les mutazilites, au contraire, s'appuieront sur le premier verset pour juger que le second doit recevoir une in­ terprétation métaphorique. M.Y.
  • 24. CORAN ET SUNNA Exégèse .... 1- >C .... << Le Coran contient des passages dont seul Allâh possède la science>> 1- .... .... • « Ces prophètes étaient nantis de preuves évidentes. Ils apportaient des Écritures. Nous te révélons de même ce Livre afin que tu expliques clairement aux hommes ce qui leur a été révélé, dans l'espoir qu'ils en méditent le sens» (Coran, XVI, 44). Le Coran contient des passages dont on nepeut saisir la signification que grâce aux explications de !'Envoyé d'Allâh: ce sont des passages où sont formulés les différents ordres divins, l'obli­ gatoire, le recommandé et l'orientation spiri­ tuelle, ainsi que les divers interdits, les droits, les limites à ne pas transgresser, la portée des obligations, les normes à respecter dans les re­ lations humaines et tant d'autres statuts dont seul !'Envoyé peut nous expliquer la nature et la signification. Il n'est pas permis de parler de ces passages sans fonder ce que l'on en dit sur les explications et les éclaircissements que le Prophète lui-mêmea donnés sur ces questions. Le Coran contientégalement des passages dont seul Allâh, !'Unique, possède la science: ce sont les passages qui concernent les époques à ve­ nir, les temps ultimes, !'Heure Dernière, le mo­ ment où l'on « soufflera dans le Cor » de la Fin des temps et où Jésus redescendra [du cielJ. Le Prophète lui-même ne pouvait pas dire à quel moment aura lieu tel ou tel événement de cet ordre car Allâh seul en a la science comme Il le lui adit dans ce verset [suit la citation de la sou­ rate VII, verset 187]. La seule chose que le Pro­ phète pouvait indiquer à ceux qui l'interro­ geaient àcesujet, c'était certaines des conditions dans lesquelles se produiraient ces événements. Le Coran contient également une partie com­ préhensible pour quiconque est versé dans la langue arabe. Parexemple, dans le verset: « Lors­ qu'on leur dit : "Cessez de semer partout le désordre", eux de répondre: "C'est la cause du bien que nous servons"» (Coran, II, 11), les no­ tions d'ifsâd (corruption) et d'islâh (réforme, amélioration) [employées dans ce verset] sont claires pour quiconque connaît la langue arabe, même s'il ignore par ailleurs à quoi Allâh veut les appliquer. Il en est encore de même pour les autres notions premières attachées aux mots utilisés dans le Coran, à moins que le Coran ou le Prophète n'aient utilisé un mot ou une ex­ pression dans un sens différent de son sens commun en arabe, auquel cas il n'est pas per­ mis de ne pas tenir compte de cette acception particulière. Le Prophète lui-même a dit : « Le Coran est des­ cendu selon quatre aspects: le licite et l'illicite qu'il n'est permis à personne d'ignorer; ce qui peut être expliqué par les Arabes; ce qui peut l'être par des savants, et enfin les versets mu­ tashâbih que nul ne connaît hormis Allâh. Celui qui, en dehors de Lui, prétendrait en posséder la science serait un menteur. » Le Prophète a d'ailleurs mis en garde contre les interprétations du coran selon le point de vue individuel (ra'.Y). Abû Bakr [le premier calife] a dit:« Quelleterre me porteraet quel ciel m'abri­ tera si, à propos du Coran, je dis des choses que j'ignore?» Ces données traditionnelles confirment ce que nous disions, à savoir qu'il n'est permis à per­ sonne d'interpréter selon son propre point de vue (individuel) les versets coraniques dont l'interprétation (véritable) ne peut être connue que grâce aux explications du Prophète lui­ même. Celuiqui donnerait de telles interpréta­ tions serait dans l'erreur quand bien même ce qu'il dirait serait juste en soi, car dans ce cas la justesse de son interprétation serait le ré­ sultat accidentel de la conjecture et de la sup­ positionau lieud'être fondée sur une certitude et une science véritable. Dans ce cas, il parle­ rait de la religion d'Allâh par conjecture, ce qu'Allâh a interdit à se serviteurs : « Dis:"Mon Seigneur interdit seulement de se livrer à des actes honteux, manifestes ou cachés, de com­ mettre le mal, d'user injustement de violence. Il interdit qu'on Lui prête des égaux que Lui­ même n'a point accrédités, et enfin de rien in­ férer de Lui qu'on ne sache de science certaine."» ÎABARÎ, COMMENTAIRE OU CORAN UÂMI' AL·BAYÂN FÎ TAFSÎR AL·QUR'ÂN), PRÉFACE, TRAD. P. GODÉ, LES HEURES CLAIRES, 1983 Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 25
  • 25. Clés de lecture I CORAN ET SUNNA .... m z .... :E E 0 c., Les hadiths Q uoique le Prophète fût déclaré par le Coran simple mortel, sa mé­ mmre fut très tôt auréolée d'une grande dévotion. Des dires (« hadiths ») émanant de ses compagnons les plus fidèles faisaient de lui un être inspiré doublé d'un saint. Comme le Coran faisait de Mahomet un modèle à suivre, le moindre de ses faits et gestes, voire ses si­ lences, pouvaitservir de norme de conduite ou d'action pour le croyant. Ce fut une raison supplémentaire pour recher­ cher et conserver toute infor­ mation relative au Prophète. Transmission orale Il était nécessaire de les re­ cueillir chez ceux qui les connaissaient, à l'heure où la transmission orale, qui domi­ nait, laissait peu de place à l'écrit.D'abordauprèsdes com­ pagnons ou de leurs familles. Puis, avec le temps, auprès de tousceux qui connaissaient de telles traditions. La méthode employée, dont on peut suivre les traces jusque dans !'Anti­ quité tardive, privilégia tou­ joursle contact personnel entre le mail:re et le disciple. Elle sub­ sista même lorsque les livres furent utilisés. Ils étaient ré­ putés impropres, à eux seuls, à former une véritable spécia­ lité, dite traditionniste*. Avec le temps, la masse des tra­ ditions recueillies augmenta considérablement. Cette abon­ dance favorisa les contradic­ tions, les informations dou­ teuses, voire les pures (ou pieuses) inventions.li devenait ScuateXXI (� Les prophètes »), verset30. nécessaire de faire un tri : dès le début du nie siècle de l'hégire se mit en place une méthodo­ logie destinée à séparer le vrai du faux dans les traditions pro­ phétiques. Le texte ci-contre est une sorte de manifeste, dû à la plume de Muslim*, tradi­ tionniste très estimé; il y dé­ fend ce qu'il considère comme la méthodologie saine et y ex­ pose pour la première fois les règles de collecte qui s'impo­ seront par la suite. Les critères d'authenticité Une tradition contenait tou­ jours deux éléments : le pro­ pos rapporté, précédé de la liste des transmetteurs qui se le sont transmis de bouche à oreille jusqu'au Prophète.Cette chaîne de rapporteurs, appe­ lée isnâd, est une première condition indispensable pour que le hadith puisse être pris en compte avant d'être exper­ tisé pour connaître son degré d'authenticité. Les chaînes étaient plus ou moins bonnes. Tout défaut - lacune, person­ nage mal identifié ou anonyme, etc.- affaiblissait ou discrédi­ tait la tradition. Un autre critère fut mis en œuvre : la valeur des maillons de la chaîne, les transmetteurs. Chacun devait être « intègre », 26 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° S Le Point ce qui voulait dire notamment avoir une excellente mémoire, mais aussi, pour Muslim, être moralement irréprochable, sous-entendu, ne pas avoir com­ mis d'« erreurs » théologiques. Dans la liste que cet auteur donne des maillons « suspects », on reconnaît un penseur mu­ tazilite* (cf. p. 34), des chiites* (cf. p. 84), et un hérétique... La fin du texte laisse deviner quemêmeces critères, à l'heure où l'auteur écrivait, n'étaient pas reconnus par tous les tra­ ditionnistes. Ce texte nous éclaire aussi sur la manière dont ont été réali­ sées les compilations de ha­ diths dans le monde sunnite* les traditionnistes ont écarté - ou discrédité - les traditions dont les maillons professaient des opinions religieuses diffé­ rentes.Comme il se rencontrait des traditionnistes dans chaque école théologique, on com­ prend aisément que chacune ait fini par constituer, à côté d'un fond commun, ses propres traditions. Ces critères ne prennent pas en compte le contenu des tra­ ditions; le souci des tradition­ nistes est avant tout de ne pas perdre d'informations jugées importantes. Leur science est d'abord une science du témoi­ gnage. De ce fait, ce sont des disciplines voisines, comme la jurisprudence, qui vont initier une relative critique interne. La démarchefutcependant tou­ jours limitée. Et encore au­ jourd'hui, la recherche scien­ tifique sur les hadiths n'en est qu'à ses débuts. M. Y.
  • 26. CORAN ET SUNNA Hadiths << Les traditions rapportées par un pécheur doivent être écartées >> • [...J Tu as déclaré vouloir étudier tout l'ensemble des traditions transmises de !'Envoyé de dieu, relatives aux sun­ nas, aux commandements de la religion aussi bien qu'à tout ce qui a trait aux châtiments ou aux récompenses dans l'au-delà, et à ce qui [dans le Coran] inspire la peur ou le désir. Tu as d'autre art déclaré vouloir étudier d'autres informations concernant les chaînes de trans­ metteurs au moyen desquelles les traditions ont été rapportées et dont les traditionnistes ont fait un usage depuis longtemps.[...J Nous allons entreprendre de réunir ce que tu as de­ mandé. Cependant, il y a une condition que je dois te signaler : nous nous appliquerons uni­ quement à la majorité des traditions qui re­ montent à !'Envoyé de Dieu.Nous les divisons en trois groupes -cellesqui sont exemptes dedéfauts qu'on trouve dans les autres et qui sont irréprochables dans le sens suivant : les transmetteurs sont des gens intègres, exacts dans les propos rap­ portés qui, en outre, ne font pas l'objetde contro­ verses ou de confusion, comme c'est le cas pour les hadiths de nombreux traditionnistes; - puis celles dont les chaînes de transmis­ sion contiennent des rapporteurs dont la mé­ moire et l'exactitude ne sont pas aussi bonnes que ceux de la première catégorie; - celles enfin des transmetteurs qui sont suspects aux yeux des traditionnistes, ou au moins de la plupart d'entre eux. Nous ne cite­ ronspasleurs traditions prophétiquesdans cet ouvrage.Par exemple, 'Abdallâh b.Miswâr abû Ja'far al-Madâ'inî, 'Amr b. Khâlid, 'Abd al-Qud­ dûs ash-Shâmî, Mahomet b. Sa 'îs al-Maslûb, Ghiyâth b.Ibrâhîm, Sulaymân b.'AmrabûDawûd an-Nakhâ'îet consorts, qui appartiennent àcette catégorie de transmetteurs accusés d'avoir forgé des traditions de toutes pièces. [...]Sache qu'il estdudevoirdeceluiquisaitdis­ tinguer les chaînes saines des chaînes défec­ tueuses d'être sur ses gardes à propos d'infor­ mations émanant degensquisont d'une manière ou d'une autre suspects, ou des innovateurs in­ corrigibles. Dieu a dit (Coran, II, 282) :« Requé- rez le témoignaged'hommes d'équité parmi vous.» Ce verset prouve que les traditions rapportées par un pécheur doivent être écartées[...]. Ce que nous avons dit suffit à ceux qui com­ prennent la procédure suivie par les tradition­ nistes. lis se sont attelés à la tâche de décou­ vrir les défauts de ceux qui transmettent des traditions et ils énoncent un jugement sur l'in­ formation quandon leur pose la question de ce qu'elle signifie concernant la religion.Cela peut porter sur ce qui est permis ou défendu[par la Loi], sur ce qui est recommandé ou non, sur ce qui[dans le Coran] inspire la peur ou le désir. Enfin, les traditions saines transmises par les personnes dignes de confiance[...J sontsi nom­ breuses que nous ne sommes pas obligés de mentionner les traditions de ceux qui ne sont pas dignes de confiance. Un prétendu traditionniste, parmi nos contem­ porains, s'est prononcé sur le caractère sain ou défectueux des isnâds sur la base d'une certaine doctrine.[...] li prétend que si, dans un isnâd, le transmetteur utilise le terme« d'après un autre transmetteur », cet isnâd ne constitue pas une preuve. Ce serait le cas, d'après lui, même si la science traditionniste afermementétablique les deux transmetteurs étaient bien contemporains, et qu'ils ont donc pu se la communiquer de bouche à oreille. Ce traditionniste ajoute que [pourqu'ilaccepte l'information], il doitêtre par­ venu àsa connaissance que durant leur vie, ces transmetteurs se sont effectivement rencontrés en une ou plusieurs occasions; ou bien, il faut qu'une autre tradition existe, attestant de cette rencontre une ou plusieurs fois. Faute de quoi, ce traditionniste ne mentionnera pas la tradition en question. Cette doctrine qui jette le discrédit sur certains isnâds est complètement nouvelle. Elle n'aaucuneautorité chez nos prédécesseurs. L'opinion reçue[...], aujourd'hui comme hier, est que lorsqu'une personne de confiance trans­ met une information d'une autre personne éga­ lementdigne de confiance,l'informationdoit être considérée comme authentique[...]. MUSLIM IBN AL·HAJJÂJ, LA SOMME AUTHENTIQUE, PRÉFACE, TRAD. ORIGINALE M. YAHIA Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 27
  • 27. Clés de lecture I CORAN ET SUNNA .... a: - La formation du dogme sunnite z .... & ::E � u .... ... C omment le sunnisme*, qui représente 90 % des musulmans, définit-il sa foi? Il suffit pour le savoir de se reporter aux traités de théo­ logie qui s'enseignent dans les facultés religieuses, des ou­ vrages devenus classiques et rédigés après la période de sta­ bilisation du sunnisme, après le x1• siècle. Le Credo du théo­ logien Abû Haf's al-Nasafi*, dont nous publions un extrait ci-contre, est caractéristique de cette littérature. Sources et points du credo Les principaux points de la pro­ fession de foi sunnite qu'il ré­ capitule ont plusieurs sources. D'abord le Coran, qui affirme l'existence de Dieu, unique, sans associé,assis sur un Trône, Dieu qui n'engendre pas et qui n'est pas engendré. Vient du Coran également l'affirmation d'un dernier jouroù leshommes se­ ront jugés; celle du paradis et de l'enfer; celle des anges et des prophètes avant Mahomet. Autre source, la Tradition (Sunna*) : Dieu sera vu dans l'autre monde; dans la tombe, le mort sera interrogé par deux anges; la fin du mondesera pré­ cédéepar des signesavant-cou­ reurs; Mahomet intercédera pour les pécheurs, etc. À ces points fondamentaux du sunnisme s'ajoutent ceux, plus tardifs, qui portent la marque des débatsqui agitèrent lacom­ munauté - influence du muta­ zilisme* (cf. p. 34) et de la phi­ losophie grecque : Dieu est différent de toute chose créée (réfutation de l'anthropomor- phisme); Dieu possède des at­ tributs éternels qui ne sont pas Dieu, mais ne sont pas distincts de Lui; le Coran est incréé; la volonté de Dieu est libre au point qu'il veut toute chose existante, bonne ou mauvaise; les actes de l'homme sont Le sunnisme est é d'âpres luttes exégétiques et ·héologiques ; son credo résulte d'une ente et douloureuse maturation. créés par Dieu, bien que pro­ cédant du libre arbitre; l'in­ faillibilité et l'intercession des prophètes pour les pécheurs; la foi est conviction du cœur, pécher n'est pas une preuve d'incroyance. La profession de foi Ce credo ne s'est pas imposé à la communauté d'un seul coup. Le Coran, comme on le voit dans les versets cités ci­ contre, ne contient pas « le » verset qui récapitulerait tout ce qu'il faut croire ou tout ce qu'il faut faire. La Révélation, et donc la constitution de la nouvelle religion, fut progres­ sive, étalée sur une vingtaine d'années. De son vivant, Ma­ homet n'exigeait sans doute que la profession de foi de la shahâda (« Il n'est de divinité que Dieu et Mahomet est Son Prophète »). Quant aux œuvres, la tradition citée ci-contre montre queles quatre devoirs 28 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° 5 Le Point canoniques - prière, jeûne du ramadan, pèlerinage etaumône (zakât) - ne s'imposèrent que peu avant la mort du Prophète, voire après. Compromis théologiques Il convient de se souvenir que les deux premiers sièclesde l'is­ lam sont une période d'intense effervescencethéologique: une grandevariétédepositionsexis­ tait sur des problèmesaussiim­ portantsquele libre arbitreface à lavolonté divine, la nature de la parole de Dieu, le statut du musulman pécheur, etc. L'his­ torien a des difficultés à dater la naissance du sunnisme, voire même à le définir pour cette époque. Le dernier texte cité est dû à Abû Hanîfa*, repré­ sentant du sunnisme primitif et fondateur de l'une des quatre écoles juridiques (cf. p. 50) de cette obédience. Il est particu­ lièrement important dans la mesure où ilestlapremière pro­ fession de foi sunnite histori­ quement attestée. En la rap­ prochant del'énumération faite plus haut, on constate qu'y fi­ gurent plusieurs desarticlesdu dogme tardif, mais que beau­ coup d'autres manquent. En outre, chaque article est une réponse polémique àdes posi­ tions théologiques qu'Abû Ha­ nîfa considère comme por­ teuses de dissidence. Ce texte fut bientôt dépassé. Le sun­ nisme est né d'âpres luttes exégétiques et théologiques. Contrairement à une idée ré­ pandue, son credoest le résul­ tat d'une lente et douloureuse maturation. M. Y.
  • 28. CORAN ET SUNNA Sunnisme .... .... << La divergence d'opinions est une marque de la miséricorde divine >> >< .... .... .... ... • [...] La raison est, elle aussi, une source de connaissance. Ce qui est connu par l'intuition est un savoir nécessaire, tel que la proposition : « le tout est plus grand que les parties ».Ce qui est connu par déduction est un savoir acquis. [...] Le monde dans toutes ses parties a étécréé, puisqu'il consiste en substances et en accidents. Les substances sont ce qui sub­ siste par soi-même.Une substance est soit com­ posée, c'est-à-dire un corps, ou non composée, comme un atome, à savoir la partie qui ne peut plus être divisée. L'accident est ce qui ne sub­ siste pas par lui-même, mais qui a été créé dans les corps et les atomes comme les couleurs, les étatsphysiques, les goûts et les odeurs. Le créa­ teur du monde est Dieu.Il est Pré-éternel,Vivant, Puissant, Sachant, Désirant et Voulant.Il n'est ni accident ni corps ni atome. li n'a pas de forme, ni de limite, ni de multiplicité. li n'a pas de par­ ties, et il n'est pas composé. li est infini. Il n'est pas caractérisé par la quiddité ni la qualité. li n'est pas localisé dans un lieu. L'écoulement du temps n'a pas de prise sur Lui. ABÛ HAF'S AL·NASAFÎ, CREDO Dis : « Lui, Dieu, est unique; Dieu, le Tout Autre; Il n'a pas engendré et ne fut pas engendré; et nul n'est égal à Lui. » CORAN, CXII, 1-4 N'invoque nulle autre divinité avec Dieu. Tout doit périr sauf Sa Face. Il détient le Jugement, et c'est vers Lui que vous serez ramenés. IBIDEM, XXVIII, 88 Dieu - il n'est d'autre divinité que Lui - est le Vivant, !'Auto-subsistant. Ni la somnolence, ni le sommeil n'ont de prise sur Lui. Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre lui appartient exclusivement. Qui pourrait intercéder auprès de Lui, sinon par Sa permission? Il sait tout du présent et du passé des êtres; eux ne connais­ sent rien de Sa Science, hormis ce qu'il veut. Son trône s'étend des cieux à la terre. Il tient sans peine tous deux sous Sa garde. Il est !'Au­ guste, l'immense. IBIDEM, Il, 255 (VERSET DIT« DU TRÔNE") -[...] D'après Talha, qui rapporte ceci : un jour, un habitant du Najd vint trouver !'Envoyé de Dieu. Il avait la chevelure hirsute et nous pou­ vionsentendre de loin sa voix tonitruante, sans néanmoins pouvoir comprendre ce qu'il disait, jusqu'à ce qu'il se fût suffisamment approché de !'Envoyé de Dieu.Il se mit alors àl'interroger sur l'islam. Le Prophète répondit qu'il consistait en cinq prières jour et nuit. -Rien de plus?-Non, répondit le Prophète. Le resteest à ta discrétion. En outre, le jeûne du ramadan. -Rien de plus? -Non, répondit le Prophète.Le reste est àta dis­ crétion. En outre, le Prophète mentionna l'au­ mône [zakât].-Rien de plus?-Non, répondit le Prophète.Le reste est à ta discrétion. Sur ce, l'homme s'éloigna, disant: « Par Dieu, je n'y ajouterai ni n'en retrancherai rien. » Le Prophète commenta: « Il sera sauvé, s'il s'en tient à ce qu'il dit. » MUSLIM IBN A L - HAJJÂJ*, LA SOMME AUTHENTIQUE 1.Nousne déclarons personne infidèlepour avoir péché; nous ne récusons pas sa foi; 2. Nous en­ joignons le bien et interdisons le mal; 3. Ce qui nous advient n'aurait pu manquer de l'être; ce qui ne nousadvientpasn'auraitpu avoir eu lieu; 4.Nous ne désavouons aucun des Compagnons de !'Envoyé de Dieu; nous ne sommes les parti­ sans exclusifs d'aucun d'entre eux; 5. Nous lais­ sons l'affaire de 'Uthmân et celle de 'Alî à Dieu, qui connaît les choses manifestes et les choses cachées; 6. li vaut mieux être intelligent en ma­ tière de religion qu'en matière de traditions et de sunnas; 7. La divergence d'opinions dans la communauté est une marque de la miséricorde divine; 8. Quiconque ajoute foi à tout ce auquel il est tenu de croire, mais déclare ne pas savoir si Moïse et Jésus [...] sont des Envoyés de Dieu, celui-làest un infidèle, puisqu'ilrejette le Coran; 9. Celui qui prétend ne pas savoir si Dieu est au ciel ou sur la terre est de même un infidèle; 10. Quiconque affirme ne pasconnaîtrele châtiment du tombeau, celui-là appartient à la faction des Djahmites, et il est en danger de perdition. ABÛ HANÎFA, LA PLUS CONSIDÉRABLE DES SCIENCES, 1 (TRADUCTIONS ORIGINALES DE MOHYDDIN YAHIA) Le Point Hors-série n° 5 1 Novembre-décembre 2005 1 29
  • 29. Repères I CORAN ET SUNNA • Les débuts de l'islam MAHOMET Qui est le Prophète? Le Coran n'apporte aucun renseigne­ ment sur sa vie et sa person­ nalité, et les biographies re­ censées dans la Sîra* - texte rédigépar Ibn lshâq au milieu du v111' siècle et remanié par Ibn Hisham au début 1x' siècle -, sont fondées sur les souvenirs de ses Compa­ gnons et n'ont qu'une valeur historique relative. Seule la date de l'hégire (622), le mo­ ment où Mahomet quitta La Mecque, sa ville natale deve­ nue hostile,pourYathrib, la fu­ ture Médine,semblebien éta­ blie. Elle marque le début du calendrier musulman. L'ENFANCE DU PROPHÈTE Selon la Tradition, Mahomet (570?-632) appartenait à la puissantetribudesQoraychites qui dominait alors La Mecque. 30 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° 5 Le Point Cette oasisinstalléeprès de la côte, au centre de l'Arabie, est alors un riche centre carava­ nierà la croiséedes routesvers l'Égypte, la Syrie, le Yémen et la Mésopotamie, et un grand centre religieux grâce au sanc­ tuaire de la Kaaba, où sont ré­ unies toutes les divinités des Arabes. Legrand-pèrepaternel KHADIIA de Mahomet, 'Abdal-Muttalib, Mahomet dut toutefois être était un personnage considé­ rable, le gardien de la source sacrée de Zemzem, qui tenait en héritage l'une des charges principales du pèlerinage po­ lythéiste de La Mecque. Or­ phelin à 7 ans, Mahomet est d'abord élevéparcegrand-père puis par son oncle Abû Tâlib, père d'Ali, qui fut ainsi le com­ pagnon de jeunesse du Pro­ phète. MêmesilaTraditionrap­ portedesvoyages en Syrie avec son oncle et le dit illettré, on ne sait rien ou presque de son adolescence et de sa formation. suffisamment avisé pour se faireremarquer parune riche veuve de La Mecque, Khadija, qui en fait son régisseur puis son époux. ll a alors 25 ans et se voit dégagé de tout souci matériel.Tant que Khadija vit, elle reste son unique épouse et c'est seulement après sa mort, en 619, qu'il porte le nombre de ses femmes à neuf. Pour l'islam, Khadija restera La Kaabade La Mecque, lieu du pèlerinage institué par Mahomet en 632.
  • 30. l'épouseparfaite, cellequi don­ nera sept enfants au Prophète, qui le soutiendra dans sa mis­ sion envers et contre tout et sera la première à se conver­ tir. Khadija est considérée par l'islamcommel'unedes quatre femmes parfaites de l'huma­ nité, avec Marie, mère de Jé­ sus, la femme de Pharaon et la sœur de Moïse. À Yathrib, que Mahomet rebaptise Médine, le Prophète prend une dimension nouvelle, celle de chef théocratique de lajeune communauté musulmane. LA RÉVÉLATION On pense que jusqu'à la Ré­ vélation, Mahomet mena la vied'un riche commerçant, res­ pecté et reconnu. Mais il était probablement en proie au doute. D'après la Tradition, il avait pris l'habitude de se re­ tirer pour méditer. Mais c'est à 40 ans, pendant le mois du ramadan, au cours de l'unede ses périodes de solitude dans une grotte du mont Hira, que l'angeGabriel luiseraitapparu et lui aurait dità plusieurs re­ prises« Récite» (iqrâ). Maho­ met fut alors convaincud'avoir été choisi pour être ['Envoyé d'Allah, chargé de réciter les révélations que Dieu lui trans­ mettrait.Celles-ci, regroupées par la suite, constitueront le Coran(Qôran, récitation). En 610, il fait part de sa vision à safemme. Pendant trois ans, il n'entend plus rien et songeà se suicider,tantilestdésespéré. Seuls quelques intimes sont alors au courant de sa vision, parmi lesquels Abû Bakr, son futur beau-père, qui sera aussi le premier calife, et Othman, l'un de ses futurs gendres. À partir de 613, Mahomet se dé­ cideà apporter la Révélationà ses concitoyens de La Mecque. Seuls l'écoutent au départ les plus humbles. Les grandes fa­ millesmecquoisess'élèventvite en effet contre une prédication qui risque de ruiner le pèleri­ nage polythéiste de la Kaaba Mahomet annonce un Dieu unique et s'opposeauxidoles, ébranlant ainsi la religion des anciens et l'ordre social. Ses adeptesfontl'objetdemenaces. Certains, dont Ali, fuient alors vers l'Abyssinie. L'HÉGIRE Mahomet entre en contact avecdes tribus arabes du voi­ sinage, puis avecdes habitants de Yathrib, une oasis au nord de La Mecque, qui s'engagent à lui obéir et à se convertir. Avecsesquelques fidèles etsa famille, il quitte secrètement La Mecque le 24 septembre 622,jourqui s'appellera doré­ navant l'hégire, ['Expatriation, CORAN ET SUNNA I Repères DE MAHOMET À ALI v. 570. Naissance de Mahomet. v. 595. Mahomet épouse la veuve Khadija. v. 610. Premières révélations. v. 613. Début de la prédication. 619. Mort de Khadija. 620. Premiers convertis à Médine. 622 (an 1 de l'hégire). Émigration de Mahomet à Yathrib. Le dialecte qoraychite est promu au rang de langue sacrée. Mars 624. Première victoire sur La Mecque. Avril 624. Expulsion de Médine de la tribu juive des Banoû Qaynoqâ. Août 625. Expulsion de la tribu juive des Banoû Nadhir. Mars-avril 627. Siège avorté de Médine par les Mecquois « guerre du Fossé». Mai 627. Massacre de la tribu juive des Banoû Qorayza. Janvier 630. Prise de La Mecque par Mahomet. 631. Pèlerinage d'adieu à La Mecque. 8 juin 632. Mort de Mahomet à Médine. 632-634. Califat d'Abû Bakr. 633. Incursion en Irak. luillet 634. Victoire en Palestine sur les Byzantins. 634-644. Califat d'Omar. 636. Occupation de la majeure partie de la Syrie et de la Palestine. Mai 637. Prise de Jérusalem. 639-641. Conquête de la Mésopotamie. 644. Assassinat d'Omar. 644-656. Califat d'Othman. v. 650. Constitution de la vulgate coranique. 651. Conquête de la Perse orientale. 656-661. Califat d'Ali. Décembre 656. Bataille duChameau. Début 657. Rébellion de Mo'âwiya en Syrie contre Ali. Juillet 657. Défaite d'Ali. Convention de Siffin. Dissidence des kharijites. 658. Mo'âwiya s'empare de l'Égypte. Janvier 659. Mo'âwiya est déclaré calife. 24 janvier 661. Assassinat d'Ali. 661-680. Début de la dynastie omeyade. Campagne d'Irak. et marquera le début du ca- MÉDINE lendrier musulman. Aux sou­ rates brèves, fougueuses et poétiques des premiers temps de la Révélation vont succéder alors des sourates plus lon­ gues, moins tourmentées, riches enprescriptions d'ordre économique et social. À Yathrib, que Mahomet re­ baptise Médine (Madînat an Nabî,« la ville du Prophète»), le Prophète prend une di­ mension nouvelle, celle de chef théocratique de la toute jeune communauté musul­ mane. Aux anciennes organi- Le Point Hors-série n° 5 [ Novembre-décembre 2005 [ 31
  • 31. Repères I CORAN ET SUNNA sations tribales, il substitue la communauté des croyants (Oumma), fondée sur le seul lien religieux. Dans les pre­ miers temps, il semble avoir voulu gagner le soutien des tribusjuivesde Médine, puis­ santes dans l'oasis, et dont il considérait la religion comme proche de celle qu'il prêchait. Ainsi,c'est verslésuralem qu'il enjoint alors à ses fidèles de se tourner pour prier. Mais les juifs se moquent de ce nouveau prophète. Maho­ met rompt alors avec eux et choisit LaMecquecomme ville de référence pour la prière, marquant du mêmecoupclai­ rement l'autonomie de sa re­ ligion par rapport à celle de l'Ancien Testament. Progres­ sivement, il va aussi se dé­ barrasser, en les chassant ou en les massacrant, des tribus juives de Médine qui contes­ tent son autorité. lA PRISE DE lA MECQUE Pour assurer la survie de sa nouvelle communauté, le Pro· phète lance ses troupes dans le pillage des caravanes et se heurte ainsi rapidement aux intérêts des Mecquois. Ceux-ci vont livrer plusieurs combats, dont labataillede Badr en l'an 2 de l'hégire, surnommée« le jour décisif»,parcequ'ildonna aux hommes de Mahomet qui ensortirentvainqueurs le sen­ timent qu'Allah était de leur côté. Enl'an5 (627), la« guerre du Fossé» tourne, elle aussi, en faveur_de Mahomet. En 630, les musulmans, qui ont déjà vaincu la plupart des tribus du voisinage et réussi à convertir des personnalités mecquoises, marchent sur La Mecque. Ils y entrent sans coup férir. Ma­ homet fait détruire les idoles et consacre la Kaaba au culte d'Allah, annonçant une nou· velle ère, celle où « la seule aristocratie sera celle de la piété». Enmoinsde dixans, Mahomet a réussi à étendre sa domina­ tion sur l'Arabie, obtenant, quand il ne convertit pas, la soumission de toutes les tri­ bus. Il conclut ainsi avec les chrétiensde la ville de Najrân un accord qui va faire juris· prudence et fonder le statut L'ÉTABLISSEMENT DU TEXTE CORANIQUE C'est sous le califat d'Othman que fut établi le texte coranique. Mahomet avait reçu en ef­ fet des révélations sur une période de vingt­ cinq ans, et il avait transmis oralement l'es­ sentiel de son message à ses Compagnons. Même si quelques scribes avaient pu noter des passages par écrit, l'essentiel dutextesa­ cré était récité et dépendait donc de la fidé­ lité et de la mémoire des transmetteurs. De plus, pour compliquer les choses, les récep­ teurs n'avaient pas tous reçu la même partie du message. Lors de la bataille d'Aqabâ, au début de l'an­ née 633, plusieurs des musulmans qui connais­ saient par cœur le Coran trouvent la mort, ce qui faitcraindreàOmar,qui n'estencorequ'un des proches du Prophète, que le Coran ne vienne à disparaître. Il persuade Abû Bakr de consigner le texte par écrit. La mission est confiée à un jeune Médinois, Zayd ibn Thâbit, qui va travailler à partir de documents hété­ roclites - tessons de bouteille, pierres plates, omoplates de chameau - sur lesquels avaient été notés les premiers versets. Il transcrit le tout sur des« feuilles» qu'ilremetà Abû Bakr. Celles-ci vont être transmises à Omar devenu calife, puis, à sa mort, à sa fille, Hafsa. Elle lesprêta à Othman quand celui-ci, inquiet des divergences apparues dans la manière de ré­ citer le Coran, décida de le mettre complète­ ment par écrit. Le nouveau texte, établi une fois encore sous la direction d'lbn Thâbit, devient la« vulgate othmanienne». Celle-ci fut envoyée dans toutes les grandes villes de l'empire pour ser­ vir de base à toute transmission écrite ulté· rieure, et au terme de ce processus, d'après la Tradition, Othman aurait donné l'ordre de détruire tous les autres documents écrits. Sa vulgate souleva toutefois de vives critiques, à Koufa notamment, où Ibn Maç'oud, vieux compagnon de Mahomet, accusa Othman d'avoir fait établir un texte falsifié et incom­ plet où toutes les révélations défavorables aux Omeyades avaient été supprimées. Des textes quelque peu divergents de la vulgate furent toutefois utilisés jusqu'au x• siècle. C.G. 32 1 Novembre-décembre 2005 1 Hors-série n° s Le Point de « dhimmi » (protégé). En échange de la vie sauve, du respect de leurs biens et de la liberté de culte, les chrétiens de Najrân s'engagent à payer un tribut. Ce statut réservé en général aux religions du Livre sera en vigueur dans tout l'espace musulman jusqu'au xx• siècle. En 631, Mahomet ac­ complit le pèlerinage à La Mecque, selonlerite qu'il avait lui-même prescrit. Quelques mois plustard, le 8 juin 632, il meurt à Médine d'une forte fièvre, dans les bras d'Aïcha, son épouse préférée. L'EXPANSION DE L'ISlAM Lesquatre premiers califes (632- 656) et successeurs du Pro­ phète à la tête de la commu­ nauté sontappelésrâchidoun, « ceuxqui guident danslavoie droite». Sous leur gouverne­ ment, l'islam connut un déve­ loppement triomphal (cf. carte). Poussés par la foi et le souci de diffuser le message de Mahomet, mais aussi par le désir de conquête, les mu­ sulmans s'emparèrent, outre de l'Arabie, de la Syrie, d'une partie de la Mésopotamie et de la Perse, de l'Égypte et de la Cyrénaïque. Ils effectuèrent des razzias en Asie mineure, dans les îles de la mer Égée et en Afrique du Nord. Comment expliquer que les Arabes aient conquis si vite des empires aussi puissants que la Perse ou Byzance? Au­ cun de ces grands voisins de