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Le sujet et l'horizontalité!
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Mini-guide d'exploration de soi !
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Avant propos!
!

Un des piliers de la démarche de l'horizontalité est le consentement mutuel,
qui permet l'atteinte de buts du groupe, sans nécessiter de hiérarchie
institutionnalisée. Cette notion de consentement mutuel nous paraît effectivement
essentielle et sera une préoccupation permanente dès ce premier groupe constitué
par moi qui écrit, et vous qui lisez. Le lecteur devra avoir la possibilité de vérifier par
lui même ce qu'il découvre sur le «moi», et si la vérification s'avère concluante, nous
obtiendrons ce consentement mutuel.
Il sera ainsi nécessaire d'avancer pas à pas dans les diverses notions qui seront
abordées, car même si la description du «moi» est la plus concrète à aborder, car elle
est vérifiable par soi même, elle n'est pas pour autant la plus simple, car on
ambitionne d'appréhender ce qu'est un être humain, dans le respect total de l'unicité
et de la diversité de chacun. La réflexion proposée sera donc progressive et le lecteur
sera invité à une lecture critique, dans le souci de n'accepter les propositions
qu'après avoir vérifié par sa propre réflexion leur bienfondé. Après cette vérification,
le lecteur deviendra éventuellement lui même l'explorateur du «moi», capable de
reprendre à son compte et d'enrichir la réflexion. Son attention entièrement
mobilisée, le lecteur aura la possibilité de valider lui même ce qu'il découvre ici, en
tant que quiconque, c'est alors la possibilité d'un groupe beaucoup plus étendu qui
pourra voir le jour.

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Considérations préalables de méthode!

!

Convenons que le «moi» que l'on va tenter d'appréhender ici, bénéficie de
conditions actuelles de vie compatibles avec la possibilité d'entamer une réflexion.
Comme la présence du lecteur l'atteste, il est lui même en mesure de satisfaire ses
besoins vitaux et il n'est pas gravement perturbé par une crise contingente. Non pas
que la présente réflexion ne s'intéresserait pas aux difficultés auxquelles chacun peut
être confronté dans la traversée de l'existence, car elle ambitionne bien au contraire
de contribuer à créer une société suivant des modalités nouvelles, qui favoriseraient

2
in fine la possibilité d'une vie meilleure pour chacun et la capacité de mieux sortir des
crises. Mais l'éventualité d'être empêché d'initier une réflexion, pour cause de
priorités vitales urgentes, ou l'idée de ne pas pouvoir transposer immédiatement les
découvertes que nous pourrions mettre à jour ici, à un sujet traversant une crise ou
dans la difficulté, ne doivent pas constituer une censure au point de s'interdire de
commencer. Ce serait comme décréter que toute démarche de réflexion est inutile,
puisque nous aurions la «preuve» autour de nous d'un malheur trop présent pour
être traité directement. Cette vision pessimiste présupposerait que la difficulté et la
crise sont le destin de l'humanité, et aurait l'illusion d'en démontrer la pertinence en
s'interdisant justement de créer la possibilité de modalités nouvelles de la vie. On
s'interdira au contraire ces opinions, qui cachées sous l'illusion de constats, sont des
jugements.
Dans le même esprit, le fait de voir autour de soi trop de personnes adopter
des comportements inadaptés, comme l'agressivité, la violence, la jalousie etc. ne
doit pas nous faire conclure que rien d'autre n'est possible. Ce serait là encore partir
de l'idée que l'humanité serait vouée à la violence et au malheur, considérer que
cette idée s'applique à chacun, et contribuer ainsi à ne rien changer à cette
présomption en s'interdisant la possibilité de la création d'une modalité nouvelle de
la vie. Les idées mettent beaucoup de temps à s'établir et à progresser dans les
esprits. La démocratie ne s'est pas construite en un jour, celui qui aurait décrit la vie
d'aujourd'hui en Europe, à l'époque du moyen âge, serait passé pour un fou. Le
malheur trop répandu démontre surtout que la majorité d'entre nous fait n'importe
quoi, et constitue une raison de plus pour poser très sérieusement la réflexion.
Enfin, nos travaux ne prétendent pas a priori être capables d'apporter des
solutions à l'impossibilité évidente d'échapper à la brièveté de l'existence, et aux
crises auxquelles chacun peut être confronté comme la maladie ou la perte d'un
proche. Le caractère inévitable de ces épreuves ne constitue par pour autant une
raison de ne rien faire, bien au contraire, si une possibilité existe de ne pas ajouter
de tragique à nos vies, il est urgent d'y travailler. Puisque l'existence est courte et
que personne ne peut être certain d'en avoir plusieurs, il est primordial d'essayer de
faire de son mieux pour bien vivre.
On s'attachera à ne rien présupposer dans notre exploration, ni opinion, ni
présomption, ni dogme. Sans même avoir à se prononcer sur la validité ou non de

3
croyances ou de systèmes de représentation du monde, nous partirons par méthode
de ce qui nous est accessible dans l'actualité de l'existence, de manière immédiate et
irréfutable. La démarche consistera à commencer par presque rien, et à agrandir par
la réflexion et étapes après étapes cette connaissance, pour éclairer progressivement
le «moi». Comme le marin a d'abord besoin de connaître la profondeur de l'eau sous
la trajectoire de son bateau pour pouvoir naviguer, et pas la cartographie de tous les
océans, nous n'ambitionnerons pas d'être capables d'éclairer la totalité du monde,
sans présager non plus de limites qui serait inhérentes à la méthode de notre
réflexion. Nous explorerons ce qui nous est accessible, sans avoir la prétention de
juger de la validité de ce qui serait au delà de ce qui nous est accessible, mais sans
avoir besoin non plus de s'appuyer sur un quelconque présupposé à propos de cet au
delà. Cette méthode nous évitera l'écueil qui consiste à partir d'un système de
pensées ou de conception du monde, puis à l'appliquer au «moi», car ce seraient
alors les présupposés de cette conception du monde que nous projèterions, sans
réellement mettre à jour le pouvoir insoupçonnable de la liberté de l'individu
humain.
On s'attachera ainsi à avancer prudemment, pour faire en sorte que chaque
assertion nouvelle puisse passer le filtre de la réflexion du lecteur, et éviter l'écueil
d'affirmations polémiques ou discutables qui ne feraient que rajouter de la difficulté
aux difficultés.

!
!

Définitions: sujet, désir et action!

!

Dans les pages suivantes nous abandonnerons l'usage du «moi» pour le
remplacer par le mot «sujet» (qui perdra les guillemets). Le sujet est un individu
humain considéré au sein de la société. Décrire le sujet sera donc décrire le «moi»,
comme étant quiconque, vivant concrètement avec les autres. L'usage du mot «je»
sera assimilée au sujet, «je» étant

quiconque, moi ou le lecteur, ou tout autre

individualité humaine.
Nous aborderons dans la suite les notions d'action et de désir, car un être
humain n'est pas un objet inerte que l'on pourrait décrire comme une chose. Le sujet
dans sa vie concrète est au contraire une identité humaine active: il se déplace,

4
s'interrompt, commence à accomplir une certaine tâche, pense à quelque chose,
change d'activité etc. L'action désignera l'activité du sujet dans l'immédiateté de sa vie
concrète, y-compris l'activité de penser.
Par ailleurs, le sujet n'est pas non plus un robot ni un automate, car il est
comme moi-même. Toute action du sujet trouve sa source dans un processus
dynamique complexe, interne et autonome, qui se traduit par le déploiement d'actes
particuliers et in fine à une certaine activité, aussi banale et simple soit elle. Ce
dynamisme sera désigné par le désir, dont nous allons voir qu'il est intimement liée à
l'action.

!
!

Contexte et possibilité de l'exploration!

!

Parler du sujet paraît une entreprise ambitieuse. Il n'y a pas d'autre réalité de
l'humanité que l'existence concrète d'êtres humains individuels vivants, chacun étant
unique et tous différents. Comment dans ces conditions parler de l'être humain en
général? Il nous faut reconnaître que même si je suis une instance temporaire,
temporelle, concrète, unique et non transposable de ce que l'on appelle un être
humain, je suis apte à partager avec tout autre sujet des caractères universels de
cette humanité. On entend par universel, une vérité humaine transposable en tout
temps et en tout lieu, qui soit inhérente et inséparable de la condition humaine. Par
exemple, la brièveté de l'existence est universelle, mais la croyance dans le
géocentrisme ne l'a jamais été, même pendant les millénaires durant lesquels en tout
temps et en tout lieux, tous les êtres humains pensaient que le soleil tournait autour
de la terre. On n'identifie donc pas l'universalité en faisant des statistiques et des
moyennes sur des groupes humain, qui se comportent tous suivant une certaine
culture ou une certaine conviction, car ce qu'on identifie alors sont les
caractéristiques de cette culture qui effacent le sujet, sans lien immédiat avec
l'universalité fondatrice de ce qu'est un être humain.
Par contre la capacité d'un sujet à se savoir exister et sa capacité à réfléchir
sur cette existence est universelle. Quand cette réflexion du sujet, toujours possible
pour tous, identifie une vérité concrète comme universelle, c'est le véritable partage
qui peut voir le jour avec l'autre, c'est l'ambition du travail que nous proposons. 


5
!
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!

Mini-guide d'exploration de soi!
!
!

L'action comme réalité du désir!

!

À défaut d'y consacrer un peu de temps, on serait tenté de penser qu'une
description valide de l'existence concrète s'enchaînerait comme: constitution d'un
désir, lui même déclencheur d'une action, à l'image d'une relation de cause à effet.
L'idée d'étudier le désir seul et pour lui même, apparaîtrait donc cohérente en
première approche, dans l'optique sans doute de comprendre l'action et in fine la vie.
L'existence même de deux mots séparés, désir et action, maintient cette illusion que
l'on peut les étudier l'un indépendamment de l'autre, nous allons voir qu'il n'en est
rien.
Commençons par énoncer ce fait: toute action a un sens. Nous ne disons pas
que le sujet est toujours apte à savoir clairement quelle est l'origine de ce sens,
pourquoi il souhaite telle ou telle chose, ni précisément ce qui motive profondément

la poursuite des buts de son action. Nous disons simplement que l'action du sujet
n'est pas aveugle comme le serait celle d'un automate qui accomplirait une tâche
sans signification particulière, après avoir été programmé.

!

6
Je me promène banalement dans la rue, à la recherche d'un objet particulier.
Je décide d'entrer dans une boutique car l'enseigne attire mon attention, finalement
ce que j'y vois ne correspond pas exactement à mes attentes, je ressors et continue
ma recherche. Mon action présente est le déploiement actuel de mon désir et ce
désir est intelligent: il est capable de se réajuster à chaque instant, en même temps
qu'il se concrétise au travers de l'action. L'action est continûment imprégnée par le
désir et est finalement la matérialisation concrète du désir.
Cet exemple trivial est transposable à toute autre situation plus complexe
vécue. L'origine de la constitution de mon désir peut être obscure et sous l'influence
d'événements passés actuellement dans le brouillard de mes souvenirs, travesti par
mes erreurs d'analyse de la réalité des situations, mon activité n'en est pas moins
dotée d'une certaine intelligence et cohérence, et cette activité est le déploiement
même de mon désir. Nous comprenons donc que dans le désir et l'action sont deux
facettes d'une même réalité: le dynamisme de mon existence se déployant
concrètement.
Ayant compris que désir et action sont une même réalité, nous n'allons plus
décrire le désir comme une potentialité particulière qui serait inerte, et qui
déclencherait une action aveugle, mais au contraire comme un dynamisme se
déployant du présent vers le futur, fournissant le sens et l' actualité de l'action.
La description du désir comme objet d'étude seul et pour lui même, est voué

à nous conduire sur des voies sans issue sur la compréhension des finalités de
l'existence. En effet, sans y intégrer l'action, nous serions en présence d'un lieu

7
originel obscur qui serait plus important que la vie même, sans moyen de l'éclairer
par l'expérience irréfutable et actuelle de l'action. Sans nier les apports possibles de
l'analyse de la constitution de mon désir par un retour sur le passé, le fait de
découvrir et de toujours intégrer ce constat que mon action est l'autre nom de mon désir
se déployant dans son
actualité, permet de se donner
les moyens d'appréhender
sous un angle nouveau
l'investigation que nous
entamons

sur

les

significations de l'existence
concrète du sujet.
Que mon action soit inappropriée car mon désir se trompe de buts, c'est sans
doute la situation la plus courante, mais on peut sans aucune hypothèse sur
l'inconscient, et en s'attardant soi même sur la réalité et l'actualité de sa propre
existence, établir ce fait que je puisse apporter une nouvelle lumière sur le désir du
sujet en l'appréhendant par la facette de l'action. Donner les moyens au désir de
poursuivre des buts plus éclairés et de déployer progressivement une activité plus
appropriée, c'est justement l'objectif du travail que nous commençons.

!
!

L'action désirante est une attitude!

!

Nous avons vu plus haut qu'il est plus juste de parler d'action désirante pour

décrire la réalité de l'activité du sujet, afin de toujours se souvenir que l'action a dans
son actualité, un sens et une signification, qui lui sont donnés en permanence par le

8
désir, sans rien affirmer sur l’éventuelle connaissance que l'on a de ce désir, de ce
sens ou de cette signification. Nous pouvons maintenant faire un pas
supplémentaire dans la compréhension, en consacrant le terme d'attitude à la
description de l'enchaînement successif des actions du sujet.
Dans la vie de tous les jours, au travail, lors de l'accomplissement d'une tâche
particulière, dans la conduite amoureuse, l’activité de jeu, toute relation avec autrui
ou quelconque activité impliquant une certaine intensité de mes actions, je me situe
moi même dans une manière d’être spécifique et concrète, qui caractérise une
certaine qualité de mon action. On entend par qualité, l'idée que je puisse conduire
mon activité actuelle en étant triste, impatient, enthousiaste etc. et imprimer alors
un style affectif particulier à cette activité.
Ainsi, je suis capable de créer dans ma relation avec autrui une modalité
particulière qui caractérisera la relation, qui pourra être confiante, distante, cordiale,

méfiante, suivant la qualité affective dans laquelle je me positionne à l'abord de cette
relation, c'est à dire suivant mon attitude. Nous ne disons pas ici que je fais
intervenir la volonté pour adopter une certaine attitude, ni que j'ai une pleine
connaissance des raisons de la qualité de ma manière d'être, de mon humeur. mais
le fait important que nous cherchons à mettre ici en évidence est que mon attitude est

9
ma propre œuvre. Que mon attitude ne soit pas une décision de l'ordre de la volonté ne
doit pas occulter ce fait qu'elle est inévitablement une autoproduction actuelle du
sujet, en tant qu'organisme autonome animé par son dynamisme interne que nous
avons appelé désir. Ce constat, mon attitude est ma propre œuvre, est la conséquence
immédiate de la certitude suivant laquelle le sujet n'est pas une machine ou un
automate qui serait gouverné de l'extérieur ou qui serait que la production aveugle
du hasard des possibilités physicochimiques de son organisme.
Que cette attitude résulte en moi de mon histoire, que ma compréhension de
mon désir puisse être partielle voire absente, nous ne le nions pas. Nous disons
simplement que mon attitude est la manifestation de mon désir, qui vaut comme
interprétation
actuelle de
mon histoire
et

de

la

situation que
je suis en
train de vivre.
Si j'interprète mon passé et le monde de telle ou telle manière (je ne suis pas aimé,
je suis le préféré, je ne vaux rien, je suis le meilleur), j'adopte dès lors une certaine
attitude concrète dans mon
activité présente (je me fais
confiant, pessimiste, fidèle,
inconstant). Le fait que la
volonté n'intervienne pas
(quand

je

me

fais

mélancolique, gêné, à l'aise,
enjoué), ne doit pas occulter
le fait que ce soit mon désir (même méconnu, sombre, obscur, caché, refoulé) qui
interprète actuellement ma vie de telle ou telle manière, et donne le sens d'une
certaine attitude. C'est ici que nous découvrons que notre rapport à l'avenir est une
attitude. Ce n'est pas l'avenir qui produit en moi le style affectif que j'adopte, c'est le
contraire, j'imprime par mon attitude une certaine qualité à mon existence à venir.
Nous ne sommes pas ici en train de dire c'est la volonté qui intervient, mais

10
simplement que c'est mon attitude actuelle, comme angoisse ou attente joyeuse, qui
projette sur l'avenir des couleurs sombres ou lumineuses.
Ce constat peut facilement être vérifié par tout un chacun: je vois le monde
beau quand je suis d'une humeur joyeuse, je le vois insignifiant quand je suis d'une
humeur mélancolique. Si entre ces deux séquences de l'existence, rien dans le
monde n'est réellement différent,
cela montre que c'est mon
attitude qui qualifie actuellement
le monde et ma vie de telle ou
telle façon. L'avenir n'existe pas,
il ne peut pas produire mon
attitude, elle est sa propre œuvre
et sa propre création.

!

L'attitude est une activité libre!

!

Nous avons vu précédemment que l'action et le désir recouvraient une même
réalité, et ce simple constat nous a ouvert une nouvelle possibilité d'éclairer le désir:
il est la signification actuelle de mon action, et mon action est la matérialisation
concrète et actuelle de ce désir. Nous avons ensuite appréhendé sous le terme
d'attitude le déploiement de mon action désirante, et nous avons vu que cette
attitude ne pouvait pas être autre chose que ma propre œuvre: l'avenir n'existe pas, il
ne peut pas créer mon attitude, elle est l'autodétermination qualitative de ma conscience.
Nous allons maintenant voir que cette attitude est aussi une activité libre.
De la même façon que nous avions montré que le désir et l'action ne sont pas
en enchaînement causal, comme on pourrait le croire sans y réfléchir suffisamment,
il est très important de s'attarder sur cette notion de liberté, car c'est le pouvoir
insoupçonnable de la liberté qui rend possible le commencement. De plus, le
déterminisme apparaît comme une telle évidence, que le simple fait d'en douter peut
facilement soulever l'étonnement et la protestation. Prenons un exemple avant
d'entrer dans le détail de ce que nous voulons dévoiler: imaginez deux spectateurs
d'un match de football, chacun soutient l'équipe adverse. Au moment du coup de
sifflet final, une des équipes fait la différence en marquant un but, un des

11
spectateurs explose de joie, l'autre s'effondre de déception. Aucun des deux ne
pensera qu'il était libre de sa réaction: elle n'était ni prévue ni volontaire, et chacun
pensera que c'est à cause de l'issue du match qu'il a du "subir" son attitude, la joie

pour l'un, la tristesse pour l'autre. Pourtant cette attitude est un bien une liberté,
c'est parce que chacun a posé des valeurs sur ce sport et sur une équipe en
particulier, qu'il s'est fait triste ou joyeux. Celui qui ne s'intéresse pas au football vit la
fin du match sans réaction. Cet exemple simple ne se veut pas complet, l'autre
raison qui peut me faire croire que je serais déterminé est l'incompréhension

éventuelle des choix de mon désir (je me fais mélancolique, je n'ai pas confiance en
moi, je me fais enjoué, je suis sûr de moi, etc.). Si mon attitude résulte de quelque

12
chose en moi que je ne comprends pas, je suis tenté de poser une détermination,
une origine (neurochimique, métaphysique) pour donner une source à cette chose.
Notre travail présent sera au contraire de montrer que ce déterminisme supposé est
une illusion. Nous aurons besoin d'être précis et progressifs pour bien comprendre
de quoi parle t'on et quelle est cette liberté.
La conscience désirante est descriptible comme une série organisée
d'attitudes, qui s'inscrit dans une certaine continuité dans le temps. Cette
continuité, que l'on nomme sous les termes de «caractère» ou de «personnalité» ne
peut se déployer sous le seul effet d'une pesanteur, mais elle est au contraire la

permanence d'une décision. On ne parle pas ici d'une décision en pleine conscience,
qui serait le pur produit de la volonté, mais il s'agit bien de choix réitérés du sujet,
qui maintient lui même la permanence de la qualité de son mouvement du présent
vers l'avenir, ce mouvement étant l'expression du désir, résumé dans ce que nous
avons appelé une attitude.
Un retour sur soi permet de commencer à le vérifier: le sujet dispose toujours
d'une liberté immédiate, je peux interrompre l'écriture de cette ligne, décider de faire
une faute d'orthografe, le lecteur peut arrêter de lire cet ouvrage, etc. Cette liberté
immédiate ne peut être une détermination qui ne serait que l'illusion de la liberté,
nous allons voir précisément quelles en sont les preuves.
En premier lieu comme nous l'avons précisé au sujet de la méthode, nous ne
faisons pas appel à un système de représentation du monde qui serait préalable à
notre recherche. Ainsi, on ne s'appuiera pas sur l'idée suivant laquelle l'action
immédiate du sujet serait gouvernée par des forces invisibles et transcendantes. Cela

13
nous conduirait à déplacer l'étude dans un domaine qui serait au delà de la réalité
que nous pouvons appréhender. Cela reviendrait à réduire a priori le sujet à une
chose gouvernée par des forces inaccessibles à notre entendement, et nous avons
déjà intégré cette vérité que le sujet n'est ni une marionnette, ni un robot. Le point
de départ de la réflexion sur la liberté est au contraire fondé sur l'évidence de la
finitude du sujet: je suis un corps délimité par mon enveloppe qui est ma peau. Mon
action immédiate est le résultat d'opérations psychiques et physico-chimiques
complexes internes à cette enveloppe.
Ce constat étant acquis, on pourrait encore douter de la liberté en invoquant
la causalité, qui apparaît comme une évidence dans le monde qui nous entoure: tout
événement a une origine et tout événement est la cause d'un événement suivant.
Ainsi à partir de toute situation donnée, nous pourrions en théorie prévoir la situation
suivante, et ce serait seulement mon incapacité à comprendre la complexité du
fonctionnement de mon corps et de ma psyché qui me donnerait l'illusion de la
liberté. Je serais ainsi comme un pierre jetée en l'air qui, dotée d'une conscience, se
mettrait à croire qu'elle est l'origine et la cause de sa trajectoire parabolique. Ce
raisonnement ignore cependant tout un domaine de la mécanique classique: la
théorie du chaos. Faire l'hypothèse de la causalité, c'est méconnaître que des
phénomènes dynamiques même très simples, peuvent posséder la propriété de
pouvoir, à partir de situations initiales infiniment proches, aboutir à des états
d'arrivées totalement différents et imprévisibles, car mathématiquement indéterminés.
C'est le cas de la simple expérience des 3 aimants colorés, dont la carte du bassin
d'influences présente une géométrie fractale: d'aussi près (infiniment) que je
m'approche de cette partie de la carte je trouve des zones d'influence des 3 aimants.
Si la position d'une simple bille métallique lâchée au centre de 3 aimants n'est pas
déterminée, comment croire que mes actes, fruits d'une complexité sans aucune
commune mesure, dont je suis certain qu'ils peuvent être multiples, le seraient? Les
neurosciences croient démontrer l'absence de libre arbitre en étudiant la causalité
mentale, ce qui est manifestement une erreur de méthode: l'hypothèse de la
causalité est fausse et leurs conclusions ne font que boucler sur une erreur posée
comme vérité préalable. À partir d'états initiaux infiniment proches de ma psyché et
donc indétectables, je peux aboutir à des états subséquents totalement différents.
Dans l'exemple de la bille d'acier et des aimants, ce n'est pas l'incapacité à

14
comprendre le système ou à connaître avec précision la position initiale de la bille,
mais c'est bien le hasard (théorique, mathématique et réel) qui est à l'origine de la

direction prise par bille vers un aimant en particulier. Mais dans le cas d'un sujet
humain, qui choisit l'action immédiate qu'il déploie dans l'instantanéité de
l'existence? Ce ne peut être le hasard, le sujet ne serait alors qu'un mécanisme dont
les actes n'auraient ni sens, ni cohérence. C'est donc bien le désir du sujet qui choisit
lui même, à partir de possibilités multiples, de privilégier telle ou telle attitude,
même si on ne parle toujours pas ici de volonté déployée en pleine connaissance de

ses buts profonds.
À chaque instant toutes les actions sont donc possibles: même si le cerveau
initie en tant qu'organe une potentialité d'action (éventuellement détectée par les

15
images cérébrales avant la décision consciente), l'événement suivant reste toujours
toute action possible, même quand l'action est commencée, une suite différente peut
toujours être donnée.
Cette liberté immédiate et concrète qui constitue in fine mon attitude, peut
refléter toutes les qualités de mon désir: mélancolie, agacement, frustration, crainte,
gêne, renoncement, jalousie, etc. mais nous l'avons maintenant démontré, ces
attitudes sont libres. C'est ce mouvement qualifié du présent vers l'avenir que nous appelons
liberté.
Les qualités de l'existence étant souvent vécues comme subies par le sujet et
résultantes d'une histoire ancienne, confuse et obscure, il peut garder le sentiment
de l'aliénation sans issue possible à sa «névrose». Pourtant la somme des expériences

de l'existence passée, sensations d'abandon, renoncements, crises refoulées,
souffrances originelles, même si elle peuvent apporter une explication a posteriori sur
la forme mon désir, ne sont pas des armatures de fer. Il y a toujours dans mon action
actuelle un sens, qui vaut comme poursuite d'un but non encore existant, quand
bien même ce but serait erroné ou éloigné de sa véritable signification. Freud l'avait
déjà révélé dans ses travaux en évoquants le bénéfice de la maladie du patient. Les
praticiens de la psychanalyse en font l'expérience généralisée: l'efficacité de la cure
analytique fait débat et nombre de patients prolongent indéfiniment leur
«traitement» révélant leur névrose comme langage et appel. La «maladie» montre
ainsi sa véritable source: une série unifiée des attitudes du sujet, choix réitérés,
passivité complice et active qui poursuit le maintien d'un modèle sécurisant d'une
prise en compte médicale et affective, comme motivation et donc comme
déploiement d'une liberté.

16
Ainsi nous pouvons en prendre acte: l'action humaine est toujours libre car elle est
toujours un système organisé d'attitudes et de finalités signifiantes. La liberté ainsi
décrite est contenue dans l'idée même du désir: un rapport du présent au futur
comme motivation actuelle du sujet pour un avenir non encore existant. Si cet avenir
était déterminé, le futur serait la répétition mécanique du passé, ce qui exclut la
capacité de distanciation et de motivation du sujet pour un but, qui constituent peut

être l'essence même du désir.

!
!

L'activité libre comme réflexivité pratique
constituante!

!

Convenons que tout ce que nous venons d'établir précédemment, se résume
dans cette seule phrase: De la série d'actions désirantes du sujet résulte son attitude, et cette
attitude est une liberté. Cependant, ce constat de la liberté que chacun peut vérifier par
lui même, ne suffit pas pour, comme par magie, être capable d'exercer cette liberté.

17
L'incompréhension éventuellement persistante du sens de mon action et de la
signification de mon désir, reste une entrave à cette liberté qui se trouve en quelque
sorte aliénée, en l'absence de réflexion suffisamment approfondie. Il s'agit donc de
poursuivre la réflexion pour avancer sur ce que nous allons appeler le pouvoir
constituant de l'activité libre et sur une propriété essentielle de ce pouvoir constituant
que nous dénommerons la réflexivité.
Il n'est pas besoin de développer ici cette vérité vers laquelle converge la
pluralité des disciplines qui s'intéressent de prêt ou de loin à la réalité de ce qu'est
un être humain : la conscience est un pouvoir constituant. On entend par là qu'il y a
une impossibilité matérielle à décrire la «réalité extérieure» indépendamment de la
production psychique que nous constituons de cette «réalité». Sans y penser avec un
peu d'attention, on est tenté de croire l'inverse et d'adhérer à l'idée de n'être que le
simple témoin passif de ce que je vois, je sens, j'entends et que la description que
j'en fais corresponde à cette réalité, en elle même. Pourtant, il n'en est rien.
Nous savons que les images d'un objet matériel, constituées par le système
<œil-système nerveux-cerveau>, ne me sont accessibles que dans la partie visible
du rayonnement électromagnétique. La réalité que j'en constitue est seulement
relative à ma capacité à capter la longueur d'onde visible, puis à créer dans mon
cerveau une représentation mentale, en référence à ce que je connais déjà. Nombre
d'illusions d'optiques illustrent de manière ludique ce propos. Par exemple, un objet
spécifique existe bien indépendamment de moi, comme aggloméra de molécules de
silice ayant une forme cylindrique avec un fond, mais il n'est un «verre» comme objet
translucide utile pour boire, que dans mon cerveau. Autre illustration: si je croise un
panneau m'indiquant Paris à 200 km, je pense que la réalité de ce panneau est qu'il
m'informe de la distance à laquelle je suis de Paris, alors qu'il ne s'agit que d'une
plaque métallique couverte de taches de pigments différents. Je suis le créateur de
l'information grâce à ma capacité à distinguer des lettres dans les formes visibles et
grâce à ma culture. Exemple encore plus «  parlant  », la musique ou la parole
entendue n’a aucune existence réelle en dehors de vibrations de molécules d’air
entre mon tympan et la source. La signification et l'émotion suscitées par ces
vibrations après le passage dans le système auditif ne sont que mes propres
créations, fruits de mon pouvoir constituant.

18
Nous voyons que dès mon tout premier accès le plus élémentaire aux objets
accessibles à ma conscience, je constitue une représentation qui est le résultat d’un
processus interne complexe d’interprétations et d’activités cognitives. Nous ne
disons pas qu'il s'agit d'une pure subjectivité, mais bien d'une activité créatrice. A
fortiori, le fait de désirer, un objet, un but, un objectif, est une activité constituante
du sujet, qui le créé l'objet comme réalité, puis comme porteur de significations et
de qualités. Il existe donc un pouvoir pratique et constituant du désir sur lequel sera
fondée la suite de nos travaux, ce pouvoir étant la constitution par ma psyché d'une
réalité à la foi objective et porteuse de sens et de significations. Nous allons

maintenant décrire la propriété essentielle de ce pouvoir constituant : il est
également une réflexivité.
On entend par réflexivité la présence à soi même que peut vérifier tout un
chacun, toujours et en tout lieu. Quelle que soit l'activité pratiquée, je ne suis jamais

19
aveugle à ma propre action. L'activité désirante n'est pas un dynamisme opaque, le
sujet serait alors dans l'impossibilité de se rendre compte et de rendre compte de
son actualité, comme vivant dans l'obscurité ou l'ignorance de sa propose existence.
Au contraire, la constitution de sens est en même temps conscience de cette
l'activité constituante. Nous appelons réflexivité cette présence à soi même que le
sujet éprouve dans son activité désirante, comme l'expérience même de cette

activité. Désirer c'est en même temps savoir que l'on désire. Le lecteur ne découvre
pas la réflexivité au travers de ces lignes, il découvre peut être un mot, mais ce mot
traduit quelque chose qu'il a toujours su, sans éventuellement y avoir réfléchi. La
réflexivité, cette légère distanciation à soi même, n'est donc pas une réflexion, mais
une propriété de la conscience, qui se présente comme conscience d'activité,
simultanément à l'activité. Il ne s'agit pas d'une nouvelle compétence que l'on
déciderait de rajouter à nos possibilités en s'y entraînant, mais d'une composante
inséparable de l'existence présente chez chacun, qui apporte une première lumière
sur cette conscience. Cette première lumière, est tellement proche du sujet qu'il ne
s'en saisit que très rarement.
La distanciation de la réflexivité n'est pas non plus une scission entre un
"moi" actif et un autre "moi" qui serait témoin voire évaluateur ou juge de cette
activité. Au contraire, la réflexivité est la capacité à se savoir être activité désirante
constitutive dans sa totalité, avec ses ambivalences, ses incompréhensions, ses
obscurités. On peut se savoir morcelé, tiraillé entre deux buts, dans
l'incompréhension du sens de son désir, la réflexivité est la présence à la totalité de

20
ces expériences de l'existence. Inversement, il n'y a pas de témoignage de plénitude
sans la réflexivité, le véritable plaisir est sentiment de plaisir, et adhésion à ce
sentiment. Seule la réflexivité peut rendre compte de la réalité du plaisir et de
l'adhésion du sujet à ce plaisir.
Je peux par mon pouvoir constituant me créer joyeux, attentiste, méditatif,
mélancolique, interrogatif, dubitatif, partagé, épanoui, apaisé, etc. sans que j'en

21
saisisse nécessairement ni les raisons ni la signification, la réflexivité est toujours
apte à en saisir le résultat: je me sais comme tel maintenant. L'inconscient comme
obscurité sur la compréhension de mon désir, n'échappe donc pas à la réflexivité
quand à son influence sur la constitution actuelle de mon action désirante. Par
exemple, ma soumission à un patron peut être la reproduction inconsciente d'une
soumission antérieure au père ou à la mère, je n'en suis pas moins apte à saisir mon

activité actuelle comme soumise. Sans présager des effets positifs ou non qu'auraient
la compréhension de mon désir par un retour sur le passé, la réflexivité donne une
lumière directe sur cette actualité de mon désir.
C'est une véritable prise de conscience à laquelle nous conduit notre réflexion: je
suis la source de toute chose et je suis apte à effectuer une véritable rotation sur moi
même grâce à la réflexivité: je ne suis pas un témoin passif du déroulement de ma
vie, j'en suis le libre créateur. Même sans être dans la clairvoyance de mes buts, je
peux me saisir de cette première lumière qu'est la réflexivité pour accrocher ma
réflexion à la réalité de mon pouvoir constituant, et me donner la possibilité d'agrandir
encore l'éclairage de la connaissance de moi-même.

!

Le désir de jouissance et les deux libertés!

!

La séparation rigoureuse entre la réflexivité et la réflexion permet la

description de la totalité du sujet: il n'y a pas la réflexivité comme témoin de mon
action d'un côté, dans le même temps autocritique ou adhésion à cette activité de
l'autre côté (qualité de mon action), et enfin réflexions formulées sur ce
morcèlement et pourquoi pas interrogations supplémentaires sur des modèles
psychologiques à appliquer sur d'autres zones obscures de mon désir qui me seraient

22
inaccessibles. Au contraire, la réflexivité est la conscience permanente, globale et
unitaire de toutes ces facettes de mon existence, et la réflexion est un redoublement
possible de cette conscience.
Constatons à ce stade que la réflexivité n'est pas le résultat d'une théorie
idéaliste. Une telle théorie présupposerait en effet la pré-existence de principes ou
d'idées, indépendamment et en dehors de l'existence concrète d'êtres humains. La
description que nous faisons du sujet intègre au contraire la réalité d'un pouvoir
constituant présent à lui même, comme création autonome et libre d'un corps-sujet,
sans autre hypothèse non vérifiable sur une transcendance ou un au-delà. Notre

approche n'est pas non plus une conception matérialiste du sujet, car elle reconnaît
la richesse de la totalité du pouvoir constituant sans amputation et sans limitation,
excluant ainsi l'écueil d'assimiler le sujet à une chose. On entend par totalité,

23
l'ensemble de ce que vit concrètement un sujet, présent à lui même par la réflexivité,
dans toutes les possibilités de création de son pouvoir constituant, y compris la

félicité, la plénitude ou encore la joie stupéfaite, qui est la joie d'amour. Notre
doctrine n'est donc ni idéaliste, ni matérialiste, elle est immanente et totalisante.
Mais la description de la globalité d'un être humain par la réflexivité et la
réflexion permet aussi de résoudre le paradoxe apparent de l'opposition entre
l'aliénation et la liberté, et le passage de l'un à l'autre état. Cette question peut être
posée banalement par le sujet quand il se demande si dans sa vie, il fait ce qu'il veut
ou ce qu'il peut. La réponse immédiate peut être: «je fais ce que je veux, puisque je
suis libre». Mais si j’étais né dans un autre pays, baigné dans une autre culture, à
une autre époque, ferais-je les mêmes choix? Finalement mes choix ne sont ils pas le
produit d’une contingence? Ce que je crois être une liberté n’est elle pas une
reproduction par mimétisme, ou sous influence de valeurs que l’on m’a inculquées,
ou en réaction à mon histoire personnelle (ex: je suis soumis à ma hiérarchie, en
raison d’un passé de soumission aux parents)? Finalement ma liberté serait-elle
qu’une aliénation, sans que je sois capable de faire la part des choses entre ce que je
veux et ce que je peux? Alors comment affirmer qu'il est possible d'être libre,
puisque l'aliénation par définition ne se sait pas aliénée.

24
A la lumière de la réflexion que nous venons d’entreprendre, nous sommes en
mesure de résoudre ce paradoxe. La réalité, c’est que l’opposition liberté-aliénation

n’est qu’une opposition d’apparence. Le pouvoir constituant est toujours libre et il
n'y pas d'autre liberté que celle qui est concrètement vécue dans l'actualité de
l'existence. L'aliénation est donc toujours un enfermement (une éducation, dans des
habitudes, des schémas de pensée, de attitudes involontaires) librement consenti,
même inconsciemment et involontairement. Seule un pouvoir constituant librement

aliéné peut devenir une liberté réellement exercée. La résolution du paradoxe de la

25
coexistence liberté/aliénation est une validation supplémentaire de notre doctrine de
description du sujet: je peux passer de l’aliénation à la liberté car j’étais déjà libre,
mais en l’absence de réflexion correctement posée, mon pouvoir constituant s’était
librement enfermé. Seule la réflexivité peut rendre possible, par son propre
redoublement par la réflexion, le passage d'un liberté aliénée à une liberté seconde.
Nous comprenons donc qu'il y a une liberté première, immédiate,

fondamentale et qui est capable de s'aliéner elle-même. Par ailleurs, la réflexivité,
sans être savoir intégral de soi, est la possibilité de se retourner sur soi-même
concrètement dans sa propre actualité. La réflexion, s'accrochant à la réflexivité, est
apte à comprendre la réalité de cette libre aliénation, comme une véritable
révélation. La poursuite de cette réflexion permet de dégager progressivement ce qui
relève de soi, ou ce qui relève de la reproduction de conventions ou de règles
implicites, qui est le travail de construction de sa propre vie, le travail de la liberté.
Voici mis à jour la possibilité de ce que nous appelons d'une liberté seconde, vers
laquelle le passage est rendu possible par la réflexion, comme un véritable
commencement d'une nouvelle vie qui sera la vraie vie, une vie éthique façonnée par
le sujet et plus la vie contingente qui est celle de la liberté première.

!

26
Mais il nous reste à répondre à une question fondamentale qui touche au
cœur même du désir: je comprends la possibilité de passer d'une liberté aliénée à
une liberté seconde mais il nous reste à savoir pourquoi ce passage. Qu'est ce qui peut
expliquer qu'un sujet se mette à vouloir sortir de son aliénation librement consentie
dans sa vie contingente, même sans avoir fait le travail de réflexion que nous venons
d'exposer? Pourquoi un sujet veut-il du changement? La réflexion que nous
proposons ici, vaut-elle la peine d'être conduite, et pourquoi? Quel est finalement le
but ultime de tout cela, pourquoi ne resterai-je pas dans ma vie contingente si elle
me convient, pourquoi voudrais-je me libérer? Nous touchons ici finalement à la
question du sens
du désir et de la
signification même
vie. Pour ne pas
avoir à chanter
comme Aragon «le
temps d'apprendre
à vivre il est déjà
trop tard» il est
urgent de le vérifier: le désir de changement est toujours un désir de joie, qui est le
désir d'amour.
En effet, le désir de changement dans son actualité concrète ne peut
s'expliquer que par un désir d'une satisfaction plus grande, désir de passer d'un

présent insuffisamment comblé, vers un futur qui le serait d'avantage. Nul ne peut
prétendre désirer la souffrance et le malheur, le désir de changement est toujours un
désir de joie plus authentique et plus fiable, fondée sur une joie réflexive déjà

27
éprouvée. C'est quand la jouissance n'est pas complète que le sujet peut désirer autre
chose, et il ne peut le savoir même confusément, que si cette jouissance a déjà été
vécue. C'est le véritable cœur du désir du sujet, la recherche de la plénitude, de la
jouissance et de la joie authentique.

Parce que le malheur et l'aliénation sont les plus répandus, on les étudie
directement, comme si l'aliénation pouvait se comprendre avant la liberté, et comme
si l'angoisse pouvait se comprendre avant la jouissance, c'est à dire comme si
l'exploration des chemins sans issues pouvait conduire sur la bonne voie. La liberté
n'est donc pas une valeur recherchée pour elle même, mais pour ce qu'elle permet au
sujet.
Nous touchons ici au sol absolument originel de toute activité et du désir, la
satisfaction ou encore la jouissance c'est à dire la plénitude. L'intentionnalité de
toute action est la recherche de cette plénitude ou félicité. La liberté première n'y
conduit que parfois et que de manière contingente, et le bonheur paraît alors comme
un instant fugace insaisissable, non reproductible et voué à ne rester plus qu'un

28
souvenir. La réflexivité est toujours consciente de l'absence de cette plénitude et
tous les actes du sujet sont orientés, même inconsciemment, vers la recherche du
recommencement de la félicité, sans y parvenir la plupart du temps, dans le premier
stade de la liberté. Ce premier stade de la liberté contingente, comme pouvoir
réflexif constituant se faisant librement aliénation, peut être dépassé pour atteindre
une liberté seconde, qui sera alors capable de se déployer comme liberté véritable du
sujet, dont les choix seront ceux de la vraie vie car fondée sur son désir véritable qui
est toujours un désir d'amour, c'est à dire un désir de joie. Il y a donc un sens à
décrire ce que sont les contenus concrets du bonheur, car le déterminisme tragique
n'est que le nom de notre renoncement complice, et le sujet est toujours doté d'un
pouvoir qui lui appartient de mettre en œuvre être soi et pour vivre le Préférable
absolu le temps de son existence concrète.

!

29
!

Une entrée en matière !
!

Le commencement!

!

La réflexion que nous venons de dérouler n'a pas été inventée par l'auteur,

c'est une tentative de rédaction d'un mini-guide d'exploration de soi, qui s'est
inspirée directement d'une infime partie de l'œuvre d'un géant (Robert Misrahi, les
actes de la joie, introduction). Que le lecteur sceptique qui pense qu'il y a une faille,
un piège dans tout cela, qu'il n'aurait pas encore détecté, que si nous cherchions la
joie nous l'aurions déjà trouvée, approfondisse la réflexion en revenant à la source: il
vérifiera par lui même que le fondement de l'éthique de la joie est solide comme le
roc.
Et si nous touchions ici au vrai sens de la vie des hommes ? En cette période
de mutation mondiale ou l'on déplore une perte de significations et de repères, un
retour des croyances et des religions monothéismes, il est urgent de le vérifier
individuellement. La maturation des idées est encore toute jeune au regard de l'âge
de l'humanité: des dizaines de milliers d'années sans l'écriture, au plus 5 000 ans
d'histoire et 3 000 ans de philosophie. L'éveil de l'humanité commence à peine.
Leuccipe nous révèle que la joie authentique est le but de l'âme, Platon nous
enseigne que le chemin de la joie est long et jalonné d'embûches, Epicure nous
recommande je vivre comme un dieu Paris les hommes, Saint Augustin le premier
décrit sa joie à la première personne, Descartes nous éclaire en proposant le doute
systématique sur toute chose et de fonder la pensée à partir de soi, Spinoza nous
enseigne que l'homme est désir, Kierkegaard préfigure l'existentialisme, Sartre met à
jour la liberté. Robert Misrahi nous livre une formidable synthèse et nous offre une
philosophie qui nous parle de nous, de nous tous, les êtres humains. La liste
d'auteur ici déroulée est très courte et ne se veut ni dogmatique ni même pertinente,
mais prétend juste illustrer que tout un chacun peut s'intéresser aux très nombreux
courants de pensées philosophiques. Éclairés par l'éthique de la joie et vérifiés par la
réflexion personnelle, tous approchent et parlent sous différentes facettes de notre
réalité.

30
La réflexion philosophique et l'éducation par la culture ne constituent pas un
enfermement dans un certain système qui empêcherait de penser par soi-même,
c'est l'inverse. C'est la vie spontanée qui peut devenir une aliénation, quand les choix
du sujet ne sont pas réfléchis, ils sont consentis sous la dictée d'une coutume de la
société, d'une croyance qui ne dit pas son nom, d'une morale qui se fait passer pour
une éthique, d'une histoire personnelle qui devient un carcan psychologique
complice. Les hommes vivent alors en quelque sorte comme dans le mythe de la
caverne de Platon, sans ancrer leur réflexion sur la réalité réflexive, ils ne voient que
l'ombre d'eux mêmes et toutes les opinions, toutes les croyances, toutes les
convictions sont possibles: «il n'y a pas d'amour heureux, avec le temps tout s'en va,
l'homme est un loup pour l'homme, on le constate autour de nous, il n'y a rien à
faire». Oui, en l'absence de réflexion correctement posée, l'homme libre fait
n'importe quoi, mais ce n'est pas une fatalité.
Se saisir de la réflexivité, c'est effectuer un véritable retournement sur soi : la
réalité est ma propre création, je suis la source concrète, actuelle et permanente de
cette création. Cette prise de conscience est la possibilité d'une véritable deuxième
naissance du sujet. Le sujet sait que dorénavant, ses choix seront progressivement
libérés des normes ou des recettes toutes faites qui l'amenaient à reproduire par
mimétisme une coutume ou à adopter une attitude par réaction à une histoire
personnelle contingente ou dans la poursuite de buts irréfléchis. La prise de
conscience peut être brutale, la liberté seconde se déploie au contraire
progressivement. Par la réflexion le sujet parvient à faire le tri entre de dérisoire et
l'essentiel, il sait qu'il sera en mesure de résister aux opinions et de faire des choix
par lui même, de fonder sa vie. Cette certitude est déjà une joie, comme si le résultat
recherché était déjà obtenu partiellement dès le début du parcours, ce qui vaut pour
confirmation immédiate par le sujet, de la validité du chemin qu'il commence à
emprunter.
Le sujet réalise également grâce à sa réflexion rendue possible par la
réflexivité, qu'il n'est pas morcelé comme le prétendent les théories qui inventent
des concepts pour rendre compte de l'ambivalence éventuelle du désir. Quand je ne
suis pas en pleine adhésion avec l'objet de mon désir, j'en ai toujours une pleine
conscience. Cette ambivalence démontre au contraire que je suis un individu unique
et indivisible, puisque dans le cas inverse je pourrais éprouver deux désirs

31
antagonistes, sans me sentir tiraillé ou dubitatif. L'ambivalence n'est possible que
parce que je ne suis qu'une seule personne, et s'explique car mon désir n'est pas
encore en adéquation complète avec mon être. Je dois encore le purifier, le
débarrasser des opinons, jugements, présomptions et jalousies en avançant pas à pas
dans ma nouvelle vie faite de liberté réfléchie.
Comme la liberté, le désir se présente sur deux niveaux, au premier niveau de
la vie spontanée, le désir libre non repris par la réflexion peut conduire le sujet sur
des voies sans issues, des chemins incompréhensible.
Au contraire le désir de deuxième niveau, réflexif et réfléchi, devient le guide
et la lumière et de la libération du sujet. Ce désir qui a l'intensité d'une simple soif
est au deuxième niveau la possibilité d'une spontanéité nouvelle, plus innocente et
véritablement libre, qui participe à la construction du bonheur du sujet. Le sujet sait
maintenant que son désir est un désir de joie, innocent et libre, il est la possibilité
de poursuivre le voyage de la liberté aliénée à la liberté seconde, et le sujet en fait un
ami et plus un sentiment tragique contre lequel lutter. Le sujet peut alors à vivre en
adhésion de plus en plus complète avec lui même, et monter pas à pas vers la
plénitude, car le sujet est désir.
Ayant compris tout cela, je réalise que l'autre est comme moi même, il est un
pouvoir constituant libre et réflexif, la source autonome de sens et de signification
qui pose le monde en lui, comme je pose le monde en moi. Il n'est pas un objet que
je peux utiliser, il est un sujet comme moi. Une relation tout autre peut alors
s'établir, cette conversion à soi même est aussi dans le même temps une conversion
à l'autre.
Je réalise enfin que notre désir d'avenir est un toujours désir de jouissance, on
ne désire jamais le malheur, la joie est un acte, une possibilité de notre pouvoir
constituant, que nous pouvons activer tranquillement. Nous parlons ici d'émotions
concrètes et bien humaine, petites joies d'écouter un morceau de musique, de
retrouver des proches, de partir en WE etc, et grande joie stupéfaite de l'amour.
Alors que l'on passe son temps à décrire le tragique de l'humanité, il suffit de se
poster dans un aéroport pour voir sa vraie nature: attente enjouée des retrouvailles,
joie de partir en voyage, les 3 milliards d'êtres humains qui voyagent chaque année
savent de quoi il s'agit. Tout le monde peut savoir de quoi il s'agit, cette joie d'amour
rencontrée sur la route de Madison, le grand amour, le nirvana, l'amour dont parlent

32
les mystiques, tous ces vécus de plénitude absolue, de grâce, sont les créations de
notre pouvoir constituant, possibles pour chacun dans notre vie sans aucune
croyance, sans principe préalable à accepter, et en le décidant tranquillement. Pour
rejoindre le lieu de l'être, le Haut Pays, il suffit d'un peu d'innocence, d'être à l'écoute
de son désir et de sa liberté, et de décider de se mettre en route, guidé par ce que
Robert Misrahi appelle le Préférable absolu.

!

Une société toute autre!

!

L'action politique se fixe des objectifs concrets (logement, éducation,
nourriture, travail, sécurité) sans jamais se poser la question de pourquoi tout cela.
Pourtant, si la politique à pour but final d'aider concrètement chaque sujet, elle
interrompt manifestement la réflexion au tout début du chemin, et elle ne pourra
jamais atteindre l'objectif supposé même s'il est rarement explicite: bien vivre. On
présuppose sans doute que des conditions matérielles améliorées et la sécurité
suffiront à procurer la satisfaction et l'épanouissement. C'est ici qu'il est
indispensable d'approfondir la réflexion, car si des conditions sociales dégradées
sont bien un obstacle très important à une vie heureuse, on ne peut que constater
que l'inverse n'est pas vrai, et l'on entre alors de plein pied dans le champ
philosophique, car il s'agit de s'intéresser au sens même de la vie.
Nous pourrions nous dire, occupons nous d'abord d'améliorer globalement les
conditions sociales, ce qui paraît de toute évidence prioritaire, et pour le reste on
verra plus tard ! Mais c'est alors au moment où tout devrait aller pour le mieux, que
l'on est confronté à la déception en réalisant que le plus dur reste encore à faire : la
satisfaction fait toujours défaut et pourtant, «j'ai tout pour être heureux», comme dit
le dicton. On peut alors assister à ce qui se réalise sous nos yeux : une certaine fuite
en avant et toujours plus pour les uns, car la satisfaction n'est pas au rendez-vous,
quitte à ce que cela se fasse au détriment des autres, en l'absence d'une réflexion
approfondie.
Ainsi, en repoussant au second plan ou à plus tard les sujet fondamentaux, on
laisse le champ libre aux fictions et aux écueils, de manière non exhaustive:
• le modèle démocratique capitaliste sensé procurer à tous la plénitude individuelle,
ne réussissant que très partiellement à apporter confort et sécurité à certains;

33
• la question de la mélancolie de l'existence abandonnée aux psychanalystes, qui
reconnaissent aujourd'hui eux mêmes les limites de leurs modèles psychiques en
termes thérapeutiques,
• la question du sens de la vie abandonnée aux religions, qui s'en emparent pour
réintroduire la morale dans la politique, avec les écueils que cela peut comporter;
• la question du désir et du bonheur, abandonnée aux divers mouvements de
développement personnel plus ou moins mystiques, qui ont surtout réussi à en
dévoyer la richesse et qui ne peuvent pas convenir aux esprits libres;
Comment faire dans ces conditions? L'humanité serait elle vouée à la
tragédie? Non, certainement pas, nos sociétés ne se sont pas construites en un jour.
C'est une possibilité formidable qui s'offre à chacun de nous car il s'agit d'une
véritable et profonde conversion humaniste, mais sans avoir à franchir un
mystérieux «saut de la foi»: juste un peu d'efforts de réflexion commençant par un
retour sur soi, avec

une motivation à la hauteur des promesses du pouvoir

insoupçonnable de la liberté. La philosophie n'est pas incompatible avec la vie
quotidienne et concrète, c'est l'inverse.
Tout est à construire, l'avenir est un vaste champ de liberté devant nous, c’est
la responsabilité de chacun et chacune d’entre nous. La possibilité de changer
progressivement le monde est bien réelle, mais il faut commencer par le
commencement: la société n'existe que par les individus qui la fondent, il faut
commencer par se connaître soi même et permettre à chacun de faire de même en
approfondissant et en diffusant la conversion philosophique et l'éthique de la joie.

!

***

!

C'est l'appel de ce petit fascicule, proposition d'entrée en matière comme une
porte entrouverte montré au lecteur, pour partager et faire connaître la puissance et
la vérité de cette pensée formidable. Si le lecteur sent confusément qu'il y'a quelque
chose derrière tout cela, ce n'est pas seulement avec ces quelques pages qu'il en sera
convaincu. Découvrir, approfondir et partager l'éthique de la joie, c'est la possibilité
pour chacun d'entre nous à sa façon de faire fructifier le véritable trésor que nous
avons la responsabilité de nous approprier et de faire connaître, pour vraiment tout
changer.


34
!
!
!

Appendice

Trois passages du livre «les actes de la joie» furent remarqués comme spécialement
signifiants, au point de désirer les recopier et les conserver. Les voici à nouveau pour
le plaisir du partage et comme un avant goût la lecture des actes de la joie.

!

Un temps vient toujours, pour chacun, où le temps de la vie paraît pour une bonne part comme
cela qui a déjà été déployé. Un temps calme vient qui est comme le haut plateau de la vie, la
grande étendue solaire et tranquille en deçà de laquelle s'étagent, dépassés, les combats, les
colères, les échecs et les tristesses. Ce passé vaut alors comme la guerre ancienne, comme l'ancienne
tristesse. Jadis, la guerre : chacun est en mesure, s'il l'a vraiment désiré, de vivre un jour cette
expérience. La guerre, le heurt de l'agression délirante et cosmique, la grande clameur de la peur et
de l'envie, la grande angoisse de la pénurie de pain et d'amour, tout cela un jour devient comme le
passé laissé derrière soi au bas des collines, au fond des ravins, au creux marécageux des
montagnes. Ce n'est pas le fruit d'un miracle, et non plus je ne sais quelle prolifération du temps
qui se porterait, comme par inertie, de L'obscurité vers la splendeur. Le haut plateau de la vie n
est pas une nécessité, ni un automatisme, ni une fatalité, mais un acte rare.

!
!

***

La délimitation par moi-même du lieu de mon être ne fut pas légère activité de connaissance. Le
domaine que l'on se propose d'habiter et sur lequel doivent se construire les demeures de l'être, il a
fallu durement le défricher ; puis un labeur pénible et long de terrassement permit seul d'accéder
jusqu'au roc et d'y établir à neuf les fondations de la future demeure. Le déroulement des travaux,
laborieux, concerna parfois des volumes de terre et de roc si considérables, des quantités de
matériaux si énormes qu'on se demanda souvent si la tâche était réalisable par celui-là même qui
était en train de faire émerger, avec les fondations de l'être, ses limites.
La délimitation comprise comme création de l'être réel est bien une œuvre exaltante et joyeuse, elle
n'en reste pas moins un dur labeur : non pas celui du négatif destructeur auquel on se réfère
souvent mais celui de l'affirmation créatrice. Elle travaille d'abord dans un matériau lourd et
rebelle : la roche grise de la résistance intérieure, la lourde terre noire de l'ignorance de soi.

35
Fonder de nouveau le sujet en le commençant à soi-même est une joie dynamique, la justification,
on l'a vu, du travail de seconde fondation. Mais cette joie n'apparaît dans tout son éclat qu'après
l'évidence du travail et la réalisation de ses buts : en cours d'opération, le travail de délimitation
fondatrice et d'affirmation de la liberté seconde est parfois un douloureux labeur. « Sacrifices », «
déceptions », effondrements et ravages de la solitude et du malentendu, corrosion véritable des «
échecs », imaginaires ou sans importance, fatigues et épuisements des ambitions pourtant
illusoires et renoncées, forment le matériau brut sur lequel travaille le sujet : l'affirmation
nouvelle se fait avec la chair de la vie, consumant l'illusion qui est d'abord le vif, pour construire le
nouvel être qui, par son voyage et son labeur, se posera comme le vivant véritable et joyeux.

!
!

***

On purifie par le feu du renoncement à l'accessoire la substance primordiale de son désir. On
s'écarte de l'inessentiel, on brûle le dérisoire. Après avoir extrait et broyé l'or fin du désir, après
avoir réduit, détruit et dissous les éléments secondaires de la soif (ambitions, jalousies,
présomptions, narcissismes, colères, angoisses), on commence la condensation et la sublimation de
son plus haut désir, on le fixe dans sa détermination et dans son lieu, on l'amène à l'évidence
lumineuse de sa forme. Mais c'est par les flammes que l'on parvient à la lumière : on brûle les
mouvements élémentaires et frustes de son moi pour accéder à la haute conscience de son désir,
pour entrer dans les Hautes Terres du domaine de l'être.

!

***

36

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Le sujet et l'horizontalité

  • 1. ! Le sujet et l'horizontalité! ! ! Mini-guide d'exploration de soi !
  • 2. ! Avant propos! ! Un des piliers de la démarche de l'horizontalité est le consentement mutuel, qui permet l'atteinte de buts du groupe, sans nécessiter de hiérarchie institutionnalisée. Cette notion de consentement mutuel nous paraît effectivement essentielle et sera une préoccupation permanente dès ce premier groupe constitué par moi qui écrit, et vous qui lisez. Le lecteur devra avoir la possibilité de vérifier par lui même ce qu'il découvre sur le «moi», et si la vérification s'avère concluante, nous obtiendrons ce consentement mutuel. Il sera ainsi nécessaire d'avancer pas à pas dans les diverses notions qui seront abordées, car même si la description du «moi» est la plus concrète à aborder, car elle est vérifiable par soi même, elle n'est pas pour autant la plus simple, car on ambitionne d'appréhender ce qu'est un être humain, dans le respect total de l'unicité et de la diversité de chacun. La réflexion proposée sera donc progressive et le lecteur sera invité à une lecture critique, dans le souci de n'accepter les propositions qu'après avoir vérifié par sa propre réflexion leur bienfondé. Après cette vérification, le lecteur deviendra éventuellement lui même l'explorateur du «moi», capable de reprendre à son compte et d'enrichir la réflexion. Son attention entièrement mobilisée, le lecteur aura la possibilité de valider lui même ce qu'il découvre ici, en tant que quiconque, c'est alors la possibilité d'un groupe beaucoup plus étendu qui pourra voir le jour. ! ! Considérations préalables de méthode! ! Convenons que le «moi» que l'on va tenter d'appréhender ici, bénéficie de conditions actuelles de vie compatibles avec la possibilité d'entamer une réflexion. Comme la présence du lecteur l'atteste, il est lui même en mesure de satisfaire ses besoins vitaux et il n'est pas gravement perturbé par une crise contingente. Non pas que la présente réflexion ne s'intéresserait pas aux difficultés auxquelles chacun peut être confronté dans la traversée de l'existence, car elle ambitionne bien au contraire de contribuer à créer une société suivant des modalités nouvelles, qui favoriseraient 2
  • 3. in fine la possibilité d'une vie meilleure pour chacun et la capacité de mieux sortir des crises. Mais l'éventualité d'être empêché d'initier une réflexion, pour cause de priorités vitales urgentes, ou l'idée de ne pas pouvoir transposer immédiatement les découvertes que nous pourrions mettre à jour ici, à un sujet traversant une crise ou dans la difficulté, ne doivent pas constituer une censure au point de s'interdire de commencer. Ce serait comme décréter que toute démarche de réflexion est inutile, puisque nous aurions la «preuve» autour de nous d'un malheur trop présent pour être traité directement. Cette vision pessimiste présupposerait que la difficulté et la crise sont le destin de l'humanité, et aurait l'illusion d'en démontrer la pertinence en s'interdisant justement de créer la possibilité de modalités nouvelles de la vie. On s'interdira au contraire ces opinions, qui cachées sous l'illusion de constats, sont des jugements. Dans le même esprit, le fait de voir autour de soi trop de personnes adopter des comportements inadaptés, comme l'agressivité, la violence, la jalousie etc. ne doit pas nous faire conclure que rien d'autre n'est possible. Ce serait là encore partir de l'idée que l'humanité serait vouée à la violence et au malheur, considérer que cette idée s'applique à chacun, et contribuer ainsi à ne rien changer à cette présomption en s'interdisant la possibilité de la création d'une modalité nouvelle de la vie. Les idées mettent beaucoup de temps à s'établir et à progresser dans les esprits. La démocratie ne s'est pas construite en un jour, celui qui aurait décrit la vie d'aujourd'hui en Europe, à l'époque du moyen âge, serait passé pour un fou. Le malheur trop répandu démontre surtout que la majorité d'entre nous fait n'importe quoi, et constitue une raison de plus pour poser très sérieusement la réflexion. Enfin, nos travaux ne prétendent pas a priori être capables d'apporter des solutions à l'impossibilité évidente d'échapper à la brièveté de l'existence, et aux crises auxquelles chacun peut être confronté comme la maladie ou la perte d'un proche. Le caractère inévitable de ces épreuves ne constitue par pour autant une raison de ne rien faire, bien au contraire, si une possibilité existe de ne pas ajouter de tragique à nos vies, il est urgent d'y travailler. Puisque l'existence est courte et que personne ne peut être certain d'en avoir plusieurs, il est primordial d'essayer de faire de son mieux pour bien vivre. On s'attachera à ne rien présupposer dans notre exploration, ni opinion, ni présomption, ni dogme. Sans même avoir à se prononcer sur la validité ou non de 3
  • 4. croyances ou de systèmes de représentation du monde, nous partirons par méthode de ce qui nous est accessible dans l'actualité de l'existence, de manière immédiate et irréfutable. La démarche consistera à commencer par presque rien, et à agrandir par la réflexion et étapes après étapes cette connaissance, pour éclairer progressivement le «moi». Comme le marin a d'abord besoin de connaître la profondeur de l'eau sous la trajectoire de son bateau pour pouvoir naviguer, et pas la cartographie de tous les océans, nous n'ambitionnerons pas d'être capables d'éclairer la totalité du monde, sans présager non plus de limites qui serait inhérentes à la méthode de notre réflexion. Nous explorerons ce qui nous est accessible, sans avoir la prétention de juger de la validité de ce qui serait au delà de ce qui nous est accessible, mais sans avoir besoin non plus de s'appuyer sur un quelconque présupposé à propos de cet au delà. Cette méthode nous évitera l'écueil qui consiste à partir d'un système de pensées ou de conception du monde, puis à l'appliquer au «moi», car ce seraient alors les présupposés de cette conception du monde que nous projèterions, sans réellement mettre à jour le pouvoir insoupçonnable de la liberté de l'individu humain. On s'attachera ainsi à avancer prudemment, pour faire en sorte que chaque assertion nouvelle puisse passer le filtre de la réflexion du lecteur, et éviter l'écueil d'affirmations polémiques ou discutables qui ne feraient que rajouter de la difficulté aux difficultés. ! ! Définitions: sujet, désir et action! ! Dans les pages suivantes nous abandonnerons l'usage du «moi» pour le remplacer par le mot «sujet» (qui perdra les guillemets). Le sujet est un individu humain considéré au sein de la société. Décrire le sujet sera donc décrire le «moi», comme étant quiconque, vivant concrètement avec les autres. L'usage du mot «je» sera assimilée au sujet, «je» étant quiconque, moi ou le lecteur, ou tout autre individualité humaine. Nous aborderons dans la suite les notions d'action et de désir, car un être humain n'est pas un objet inerte que l'on pourrait décrire comme une chose. Le sujet dans sa vie concrète est au contraire une identité humaine active: il se déplace, 4
  • 5. s'interrompt, commence à accomplir une certaine tâche, pense à quelque chose, change d'activité etc. L'action désignera l'activité du sujet dans l'immédiateté de sa vie concrète, y-compris l'activité de penser. Par ailleurs, le sujet n'est pas non plus un robot ni un automate, car il est comme moi-même. Toute action du sujet trouve sa source dans un processus dynamique complexe, interne et autonome, qui se traduit par le déploiement d'actes particuliers et in fine à une certaine activité, aussi banale et simple soit elle. Ce dynamisme sera désigné par le désir, dont nous allons voir qu'il est intimement liée à l'action. ! ! Contexte et possibilité de l'exploration! ! Parler du sujet paraît une entreprise ambitieuse. Il n'y a pas d'autre réalité de l'humanité que l'existence concrète d'êtres humains individuels vivants, chacun étant unique et tous différents. Comment dans ces conditions parler de l'être humain en général? Il nous faut reconnaître que même si je suis une instance temporaire, temporelle, concrète, unique et non transposable de ce que l'on appelle un être humain, je suis apte à partager avec tout autre sujet des caractères universels de cette humanité. On entend par universel, une vérité humaine transposable en tout temps et en tout lieu, qui soit inhérente et inséparable de la condition humaine. Par exemple, la brièveté de l'existence est universelle, mais la croyance dans le géocentrisme ne l'a jamais été, même pendant les millénaires durant lesquels en tout temps et en tout lieux, tous les êtres humains pensaient que le soleil tournait autour de la terre. On n'identifie donc pas l'universalité en faisant des statistiques et des moyennes sur des groupes humain, qui se comportent tous suivant une certaine culture ou une certaine conviction, car ce qu'on identifie alors sont les caractéristiques de cette culture qui effacent le sujet, sans lien immédiat avec l'universalité fondatrice de ce qu'est un être humain. Par contre la capacité d'un sujet à se savoir exister et sa capacité à réfléchir sur cette existence est universelle. Quand cette réflexion du sujet, toujours possible pour tous, identifie une vérité concrète comme universelle, c'est le véritable partage qui peut voir le jour avec l'autre, c'est l'ambition du travail que nous proposons. 
 5
  • 6. ! ! ! Mini-guide d'exploration de soi! ! ! L'action comme réalité du désir! ! À défaut d'y consacrer un peu de temps, on serait tenté de penser qu'une description valide de l'existence concrète s'enchaînerait comme: constitution d'un désir, lui même déclencheur d'une action, à l'image d'une relation de cause à effet. L'idée d'étudier le désir seul et pour lui même, apparaîtrait donc cohérente en première approche, dans l'optique sans doute de comprendre l'action et in fine la vie. L'existence même de deux mots séparés, désir et action, maintient cette illusion que l'on peut les étudier l'un indépendamment de l'autre, nous allons voir qu'il n'en est rien. Commençons par énoncer ce fait: toute action a un sens. Nous ne disons pas que le sujet est toujours apte à savoir clairement quelle est l'origine de ce sens, pourquoi il souhaite telle ou telle chose, ni précisément ce qui motive profondément la poursuite des buts de son action. Nous disons simplement que l'action du sujet n'est pas aveugle comme le serait celle d'un automate qui accomplirait une tâche sans signification particulière, après avoir été programmé. ! 6
  • 7. Je me promène banalement dans la rue, à la recherche d'un objet particulier. Je décide d'entrer dans une boutique car l'enseigne attire mon attention, finalement ce que j'y vois ne correspond pas exactement à mes attentes, je ressors et continue ma recherche. Mon action présente est le déploiement actuel de mon désir et ce désir est intelligent: il est capable de se réajuster à chaque instant, en même temps qu'il se concrétise au travers de l'action. L'action est continûment imprégnée par le désir et est finalement la matérialisation concrète du désir. Cet exemple trivial est transposable à toute autre situation plus complexe vécue. L'origine de la constitution de mon désir peut être obscure et sous l'influence d'événements passés actuellement dans le brouillard de mes souvenirs, travesti par mes erreurs d'analyse de la réalité des situations, mon activité n'en est pas moins dotée d'une certaine intelligence et cohérence, et cette activité est le déploiement même de mon désir. Nous comprenons donc que dans le désir et l'action sont deux facettes d'une même réalité: le dynamisme de mon existence se déployant concrètement. Ayant compris que désir et action sont une même réalité, nous n'allons plus décrire le désir comme une potentialité particulière qui serait inerte, et qui déclencherait une action aveugle, mais au contraire comme un dynamisme se déployant du présent vers le futur, fournissant le sens et l' actualité de l'action. La description du désir comme objet d'étude seul et pour lui même, est voué à nous conduire sur des voies sans issue sur la compréhension des finalités de l'existence. En effet, sans y intégrer l'action, nous serions en présence d'un lieu 7
  • 8. originel obscur qui serait plus important que la vie même, sans moyen de l'éclairer par l'expérience irréfutable et actuelle de l'action. Sans nier les apports possibles de l'analyse de la constitution de mon désir par un retour sur le passé, le fait de découvrir et de toujours intégrer ce constat que mon action est l'autre nom de mon désir se déployant dans son actualité, permet de se donner les moyens d'appréhender sous un angle nouveau l'investigation que nous entamons sur les significations de l'existence concrète du sujet. Que mon action soit inappropriée car mon désir se trompe de buts, c'est sans doute la situation la plus courante, mais on peut sans aucune hypothèse sur l'inconscient, et en s'attardant soi même sur la réalité et l'actualité de sa propre existence, établir ce fait que je puisse apporter une nouvelle lumière sur le désir du sujet en l'appréhendant par la facette de l'action. Donner les moyens au désir de poursuivre des buts plus éclairés et de déployer progressivement une activité plus appropriée, c'est justement l'objectif du travail que nous commençons. ! ! L'action désirante est une attitude! ! Nous avons vu plus haut qu'il est plus juste de parler d'action désirante pour décrire la réalité de l'activité du sujet, afin de toujours se souvenir que l'action a dans son actualité, un sens et une signification, qui lui sont donnés en permanence par le 8
  • 9. désir, sans rien affirmer sur l’éventuelle connaissance que l'on a de ce désir, de ce sens ou de cette signification. Nous pouvons maintenant faire un pas supplémentaire dans la compréhension, en consacrant le terme d'attitude à la description de l'enchaînement successif des actions du sujet. Dans la vie de tous les jours, au travail, lors de l'accomplissement d'une tâche particulière, dans la conduite amoureuse, l’activité de jeu, toute relation avec autrui ou quelconque activité impliquant une certaine intensité de mes actions, je me situe moi même dans une manière d’être spécifique et concrète, qui caractérise une certaine qualité de mon action. On entend par qualité, l'idée que je puisse conduire mon activité actuelle en étant triste, impatient, enthousiaste etc. et imprimer alors un style affectif particulier à cette activité. Ainsi, je suis capable de créer dans ma relation avec autrui une modalité particulière qui caractérisera la relation, qui pourra être confiante, distante, cordiale, méfiante, suivant la qualité affective dans laquelle je me positionne à l'abord de cette relation, c'est à dire suivant mon attitude. Nous ne disons pas ici que je fais intervenir la volonté pour adopter une certaine attitude, ni que j'ai une pleine connaissance des raisons de la qualité de ma manière d'être, de mon humeur. mais le fait important que nous cherchons à mettre ici en évidence est que mon attitude est 9
  • 10. ma propre œuvre. Que mon attitude ne soit pas une décision de l'ordre de la volonté ne doit pas occulter ce fait qu'elle est inévitablement une autoproduction actuelle du sujet, en tant qu'organisme autonome animé par son dynamisme interne que nous avons appelé désir. Ce constat, mon attitude est ma propre œuvre, est la conséquence immédiate de la certitude suivant laquelle le sujet n'est pas une machine ou un automate qui serait gouverné de l'extérieur ou qui serait que la production aveugle du hasard des possibilités physicochimiques de son organisme. Que cette attitude résulte en moi de mon histoire, que ma compréhension de mon désir puisse être partielle voire absente, nous ne le nions pas. Nous disons simplement que mon attitude est la manifestation de mon désir, qui vaut comme interprétation actuelle de mon histoire et de la situation que je suis en train de vivre. Si j'interprète mon passé et le monde de telle ou telle manière (je ne suis pas aimé, je suis le préféré, je ne vaux rien, je suis le meilleur), j'adopte dès lors une certaine attitude concrète dans mon activité présente (je me fais confiant, pessimiste, fidèle, inconstant). Le fait que la volonté n'intervienne pas (quand je me fais mélancolique, gêné, à l'aise, enjoué), ne doit pas occulter le fait que ce soit mon désir (même méconnu, sombre, obscur, caché, refoulé) qui interprète actuellement ma vie de telle ou telle manière, et donne le sens d'une certaine attitude. C'est ici que nous découvrons que notre rapport à l'avenir est une attitude. Ce n'est pas l'avenir qui produit en moi le style affectif que j'adopte, c'est le contraire, j'imprime par mon attitude une certaine qualité à mon existence à venir. Nous ne sommes pas ici en train de dire c'est la volonté qui intervient, mais 10
  • 11. simplement que c'est mon attitude actuelle, comme angoisse ou attente joyeuse, qui projette sur l'avenir des couleurs sombres ou lumineuses. Ce constat peut facilement être vérifié par tout un chacun: je vois le monde beau quand je suis d'une humeur joyeuse, je le vois insignifiant quand je suis d'une humeur mélancolique. Si entre ces deux séquences de l'existence, rien dans le monde n'est réellement différent, cela montre que c'est mon attitude qui qualifie actuellement le monde et ma vie de telle ou telle façon. L'avenir n'existe pas, il ne peut pas produire mon attitude, elle est sa propre œuvre et sa propre création. ! L'attitude est une activité libre! ! Nous avons vu précédemment que l'action et le désir recouvraient une même réalité, et ce simple constat nous a ouvert une nouvelle possibilité d'éclairer le désir: il est la signification actuelle de mon action, et mon action est la matérialisation concrète et actuelle de ce désir. Nous avons ensuite appréhendé sous le terme d'attitude le déploiement de mon action désirante, et nous avons vu que cette attitude ne pouvait pas être autre chose que ma propre œuvre: l'avenir n'existe pas, il ne peut pas créer mon attitude, elle est l'autodétermination qualitative de ma conscience. Nous allons maintenant voir que cette attitude est aussi une activité libre. De la même façon que nous avions montré que le désir et l'action ne sont pas en enchaînement causal, comme on pourrait le croire sans y réfléchir suffisamment, il est très important de s'attarder sur cette notion de liberté, car c'est le pouvoir insoupçonnable de la liberté qui rend possible le commencement. De plus, le déterminisme apparaît comme une telle évidence, que le simple fait d'en douter peut facilement soulever l'étonnement et la protestation. Prenons un exemple avant d'entrer dans le détail de ce que nous voulons dévoiler: imaginez deux spectateurs d'un match de football, chacun soutient l'équipe adverse. Au moment du coup de sifflet final, une des équipes fait la différence en marquant un but, un des 11
  • 12. spectateurs explose de joie, l'autre s'effondre de déception. Aucun des deux ne pensera qu'il était libre de sa réaction: elle n'était ni prévue ni volontaire, et chacun pensera que c'est à cause de l'issue du match qu'il a du "subir" son attitude, la joie pour l'un, la tristesse pour l'autre. Pourtant cette attitude est un bien une liberté, c'est parce que chacun a posé des valeurs sur ce sport et sur une équipe en particulier, qu'il s'est fait triste ou joyeux. Celui qui ne s'intéresse pas au football vit la fin du match sans réaction. Cet exemple simple ne se veut pas complet, l'autre raison qui peut me faire croire que je serais déterminé est l'incompréhension éventuelle des choix de mon désir (je me fais mélancolique, je n'ai pas confiance en moi, je me fais enjoué, je suis sûr de moi, etc.). Si mon attitude résulte de quelque 12
  • 13. chose en moi que je ne comprends pas, je suis tenté de poser une détermination, une origine (neurochimique, métaphysique) pour donner une source à cette chose. Notre travail présent sera au contraire de montrer que ce déterminisme supposé est une illusion. Nous aurons besoin d'être précis et progressifs pour bien comprendre de quoi parle t'on et quelle est cette liberté. La conscience désirante est descriptible comme une série organisée d'attitudes, qui s'inscrit dans une certaine continuité dans le temps. Cette continuité, que l'on nomme sous les termes de «caractère» ou de «personnalité» ne peut se déployer sous le seul effet d'une pesanteur, mais elle est au contraire la permanence d'une décision. On ne parle pas ici d'une décision en pleine conscience, qui serait le pur produit de la volonté, mais il s'agit bien de choix réitérés du sujet, qui maintient lui même la permanence de la qualité de son mouvement du présent vers l'avenir, ce mouvement étant l'expression du désir, résumé dans ce que nous avons appelé une attitude. Un retour sur soi permet de commencer à le vérifier: le sujet dispose toujours d'une liberté immédiate, je peux interrompre l'écriture de cette ligne, décider de faire une faute d'orthografe, le lecteur peut arrêter de lire cet ouvrage, etc. Cette liberté immédiate ne peut être une détermination qui ne serait que l'illusion de la liberté, nous allons voir précisément quelles en sont les preuves. En premier lieu comme nous l'avons précisé au sujet de la méthode, nous ne faisons pas appel à un système de représentation du monde qui serait préalable à notre recherche. Ainsi, on ne s'appuiera pas sur l'idée suivant laquelle l'action immédiate du sujet serait gouvernée par des forces invisibles et transcendantes. Cela 13
  • 14. nous conduirait à déplacer l'étude dans un domaine qui serait au delà de la réalité que nous pouvons appréhender. Cela reviendrait à réduire a priori le sujet à une chose gouvernée par des forces inaccessibles à notre entendement, et nous avons déjà intégré cette vérité que le sujet n'est ni une marionnette, ni un robot. Le point de départ de la réflexion sur la liberté est au contraire fondé sur l'évidence de la finitude du sujet: je suis un corps délimité par mon enveloppe qui est ma peau. Mon action immédiate est le résultat d'opérations psychiques et physico-chimiques complexes internes à cette enveloppe. Ce constat étant acquis, on pourrait encore douter de la liberté en invoquant la causalité, qui apparaît comme une évidence dans le monde qui nous entoure: tout événement a une origine et tout événement est la cause d'un événement suivant. Ainsi à partir de toute situation donnée, nous pourrions en théorie prévoir la situation suivante, et ce serait seulement mon incapacité à comprendre la complexité du fonctionnement de mon corps et de ma psyché qui me donnerait l'illusion de la liberté. Je serais ainsi comme un pierre jetée en l'air qui, dotée d'une conscience, se mettrait à croire qu'elle est l'origine et la cause de sa trajectoire parabolique. Ce raisonnement ignore cependant tout un domaine de la mécanique classique: la théorie du chaos. Faire l'hypothèse de la causalité, c'est méconnaître que des phénomènes dynamiques même très simples, peuvent posséder la propriété de pouvoir, à partir de situations initiales infiniment proches, aboutir à des états d'arrivées totalement différents et imprévisibles, car mathématiquement indéterminés. C'est le cas de la simple expérience des 3 aimants colorés, dont la carte du bassin d'influences présente une géométrie fractale: d'aussi près (infiniment) que je m'approche de cette partie de la carte je trouve des zones d'influence des 3 aimants. Si la position d'une simple bille métallique lâchée au centre de 3 aimants n'est pas déterminée, comment croire que mes actes, fruits d'une complexité sans aucune commune mesure, dont je suis certain qu'ils peuvent être multiples, le seraient? Les neurosciences croient démontrer l'absence de libre arbitre en étudiant la causalité mentale, ce qui est manifestement une erreur de méthode: l'hypothèse de la causalité est fausse et leurs conclusions ne font que boucler sur une erreur posée comme vérité préalable. À partir d'états initiaux infiniment proches de ma psyché et donc indétectables, je peux aboutir à des états subséquents totalement différents. Dans l'exemple de la bille d'acier et des aimants, ce n'est pas l'incapacité à 14
  • 15. comprendre le système ou à connaître avec précision la position initiale de la bille, mais c'est bien le hasard (théorique, mathématique et réel) qui est à l'origine de la direction prise par bille vers un aimant en particulier. Mais dans le cas d'un sujet humain, qui choisit l'action immédiate qu'il déploie dans l'instantanéité de l'existence? Ce ne peut être le hasard, le sujet ne serait alors qu'un mécanisme dont les actes n'auraient ni sens, ni cohérence. C'est donc bien le désir du sujet qui choisit lui même, à partir de possibilités multiples, de privilégier telle ou telle attitude, même si on ne parle toujours pas ici de volonté déployée en pleine connaissance de ses buts profonds. À chaque instant toutes les actions sont donc possibles: même si le cerveau initie en tant qu'organe une potentialité d'action (éventuellement détectée par les 15
  • 16. images cérébrales avant la décision consciente), l'événement suivant reste toujours toute action possible, même quand l'action est commencée, une suite différente peut toujours être donnée. Cette liberté immédiate et concrète qui constitue in fine mon attitude, peut refléter toutes les qualités de mon désir: mélancolie, agacement, frustration, crainte, gêne, renoncement, jalousie, etc. mais nous l'avons maintenant démontré, ces attitudes sont libres. C'est ce mouvement qualifié du présent vers l'avenir que nous appelons liberté. Les qualités de l'existence étant souvent vécues comme subies par le sujet et résultantes d'une histoire ancienne, confuse et obscure, il peut garder le sentiment de l'aliénation sans issue possible à sa «névrose». Pourtant la somme des expériences de l'existence passée, sensations d'abandon, renoncements, crises refoulées, souffrances originelles, même si elle peuvent apporter une explication a posteriori sur la forme mon désir, ne sont pas des armatures de fer. Il y a toujours dans mon action actuelle un sens, qui vaut comme poursuite d'un but non encore existant, quand bien même ce but serait erroné ou éloigné de sa véritable signification. Freud l'avait déjà révélé dans ses travaux en évoquants le bénéfice de la maladie du patient. Les praticiens de la psychanalyse en font l'expérience généralisée: l'efficacité de la cure analytique fait débat et nombre de patients prolongent indéfiniment leur «traitement» révélant leur névrose comme langage et appel. La «maladie» montre ainsi sa véritable source: une série unifiée des attitudes du sujet, choix réitérés, passivité complice et active qui poursuit le maintien d'un modèle sécurisant d'une prise en compte médicale et affective, comme motivation et donc comme déploiement d'une liberté. 16
  • 17. Ainsi nous pouvons en prendre acte: l'action humaine est toujours libre car elle est toujours un système organisé d'attitudes et de finalités signifiantes. La liberté ainsi décrite est contenue dans l'idée même du désir: un rapport du présent au futur comme motivation actuelle du sujet pour un avenir non encore existant. Si cet avenir était déterminé, le futur serait la répétition mécanique du passé, ce qui exclut la capacité de distanciation et de motivation du sujet pour un but, qui constituent peut être l'essence même du désir. ! ! L'activité libre comme réflexivité pratique constituante! ! Convenons que tout ce que nous venons d'établir précédemment, se résume dans cette seule phrase: De la série d'actions désirantes du sujet résulte son attitude, et cette attitude est une liberté. Cependant, ce constat de la liberté que chacun peut vérifier par lui même, ne suffit pas pour, comme par magie, être capable d'exercer cette liberté. 17
  • 18. L'incompréhension éventuellement persistante du sens de mon action et de la signification de mon désir, reste une entrave à cette liberté qui se trouve en quelque sorte aliénée, en l'absence de réflexion suffisamment approfondie. Il s'agit donc de poursuivre la réflexion pour avancer sur ce que nous allons appeler le pouvoir constituant de l'activité libre et sur une propriété essentielle de ce pouvoir constituant que nous dénommerons la réflexivité. Il n'est pas besoin de développer ici cette vérité vers laquelle converge la pluralité des disciplines qui s'intéressent de prêt ou de loin à la réalité de ce qu'est un être humain : la conscience est un pouvoir constituant. On entend par là qu'il y a une impossibilité matérielle à décrire la «réalité extérieure» indépendamment de la production psychique que nous constituons de cette «réalité». Sans y penser avec un peu d'attention, on est tenté de croire l'inverse et d'adhérer à l'idée de n'être que le simple témoin passif de ce que je vois, je sens, j'entends et que la description que j'en fais corresponde à cette réalité, en elle même. Pourtant, il n'en est rien. Nous savons que les images d'un objet matériel, constituées par le système <œil-système nerveux-cerveau>, ne me sont accessibles que dans la partie visible du rayonnement électromagnétique. La réalité que j'en constitue est seulement relative à ma capacité à capter la longueur d'onde visible, puis à créer dans mon cerveau une représentation mentale, en référence à ce que je connais déjà. Nombre d'illusions d'optiques illustrent de manière ludique ce propos. Par exemple, un objet spécifique existe bien indépendamment de moi, comme aggloméra de molécules de silice ayant une forme cylindrique avec un fond, mais il n'est un «verre» comme objet translucide utile pour boire, que dans mon cerveau. Autre illustration: si je croise un panneau m'indiquant Paris à 200 km, je pense que la réalité de ce panneau est qu'il m'informe de la distance à laquelle je suis de Paris, alors qu'il ne s'agit que d'une plaque métallique couverte de taches de pigments différents. Je suis le créateur de l'information grâce à ma capacité à distinguer des lettres dans les formes visibles et grâce à ma culture. Exemple encore plus «  parlant  », la musique ou la parole entendue n’a aucune existence réelle en dehors de vibrations de molécules d’air entre mon tympan et la source. La signification et l'émotion suscitées par ces vibrations après le passage dans le système auditif ne sont que mes propres créations, fruits de mon pouvoir constituant. 18
  • 19. Nous voyons que dès mon tout premier accès le plus élémentaire aux objets accessibles à ma conscience, je constitue une représentation qui est le résultat d’un processus interne complexe d’interprétations et d’activités cognitives. Nous ne disons pas qu'il s'agit d'une pure subjectivité, mais bien d'une activité créatrice. A fortiori, le fait de désirer, un objet, un but, un objectif, est une activité constituante du sujet, qui le créé l'objet comme réalité, puis comme porteur de significations et de qualités. Il existe donc un pouvoir pratique et constituant du désir sur lequel sera fondée la suite de nos travaux, ce pouvoir étant la constitution par ma psyché d'une réalité à la foi objective et porteuse de sens et de significations. Nous allons maintenant décrire la propriété essentielle de ce pouvoir constituant : il est également une réflexivité. On entend par réflexivité la présence à soi même que peut vérifier tout un chacun, toujours et en tout lieu. Quelle que soit l'activité pratiquée, je ne suis jamais 19
  • 20. aveugle à ma propre action. L'activité désirante n'est pas un dynamisme opaque, le sujet serait alors dans l'impossibilité de se rendre compte et de rendre compte de son actualité, comme vivant dans l'obscurité ou l'ignorance de sa propose existence. Au contraire, la constitution de sens est en même temps conscience de cette l'activité constituante. Nous appelons réflexivité cette présence à soi même que le sujet éprouve dans son activité désirante, comme l'expérience même de cette activité. Désirer c'est en même temps savoir que l'on désire. Le lecteur ne découvre pas la réflexivité au travers de ces lignes, il découvre peut être un mot, mais ce mot traduit quelque chose qu'il a toujours su, sans éventuellement y avoir réfléchi. La réflexivité, cette légère distanciation à soi même, n'est donc pas une réflexion, mais une propriété de la conscience, qui se présente comme conscience d'activité, simultanément à l'activité. Il ne s'agit pas d'une nouvelle compétence que l'on déciderait de rajouter à nos possibilités en s'y entraînant, mais d'une composante inséparable de l'existence présente chez chacun, qui apporte une première lumière sur cette conscience. Cette première lumière, est tellement proche du sujet qu'il ne s'en saisit que très rarement. La distanciation de la réflexivité n'est pas non plus une scission entre un "moi" actif et un autre "moi" qui serait témoin voire évaluateur ou juge de cette activité. Au contraire, la réflexivité est la capacité à se savoir être activité désirante constitutive dans sa totalité, avec ses ambivalences, ses incompréhensions, ses obscurités. On peut se savoir morcelé, tiraillé entre deux buts, dans l'incompréhension du sens de son désir, la réflexivité est la présence à la totalité de 20
  • 21. ces expériences de l'existence. Inversement, il n'y a pas de témoignage de plénitude sans la réflexivité, le véritable plaisir est sentiment de plaisir, et adhésion à ce sentiment. Seule la réflexivité peut rendre compte de la réalité du plaisir et de l'adhésion du sujet à ce plaisir. Je peux par mon pouvoir constituant me créer joyeux, attentiste, méditatif, mélancolique, interrogatif, dubitatif, partagé, épanoui, apaisé, etc. sans que j'en 21
  • 22. saisisse nécessairement ni les raisons ni la signification, la réflexivité est toujours apte à en saisir le résultat: je me sais comme tel maintenant. L'inconscient comme obscurité sur la compréhension de mon désir, n'échappe donc pas à la réflexivité quand à son influence sur la constitution actuelle de mon action désirante. Par exemple, ma soumission à un patron peut être la reproduction inconsciente d'une soumission antérieure au père ou à la mère, je n'en suis pas moins apte à saisir mon activité actuelle comme soumise. Sans présager des effets positifs ou non qu'auraient la compréhension de mon désir par un retour sur le passé, la réflexivité donne une lumière directe sur cette actualité de mon désir. C'est une véritable prise de conscience à laquelle nous conduit notre réflexion: je suis la source de toute chose et je suis apte à effectuer une véritable rotation sur moi même grâce à la réflexivité: je ne suis pas un témoin passif du déroulement de ma vie, j'en suis le libre créateur. Même sans être dans la clairvoyance de mes buts, je peux me saisir de cette première lumière qu'est la réflexivité pour accrocher ma réflexion à la réalité de mon pouvoir constituant, et me donner la possibilité d'agrandir encore l'éclairage de la connaissance de moi-même. ! Le désir de jouissance et les deux libertés! ! La séparation rigoureuse entre la réflexivité et la réflexion permet la description de la totalité du sujet: il n'y a pas la réflexivité comme témoin de mon action d'un côté, dans le même temps autocritique ou adhésion à cette activité de l'autre côté (qualité de mon action), et enfin réflexions formulées sur ce morcèlement et pourquoi pas interrogations supplémentaires sur des modèles psychologiques à appliquer sur d'autres zones obscures de mon désir qui me seraient 22
  • 23. inaccessibles. Au contraire, la réflexivité est la conscience permanente, globale et unitaire de toutes ces facettes de mon existence, et la réflexion est un redoublement possible de cette conscience. Constatons à ce stade que la réflexivité n'est pas le résultat d'une théorie idéaliste. Une telle théorie présupposerait en effet la pré-existence de principes ou d'idées, indépendamment et en dehors de l'existence concrète d'êtres humains. La description que nous faisons du sujet intègre au contraire la réalité d'un pouvoir constituant présent à lui même, comme création autonome et libre d'un corps-sujet, sans autre hypothèse non vérifiable sur une transcendance ou un au-delà. Notre approche n'est pas non plus une conception matérialiste du sujet, car elle reconnaît la richesse de la totalité du pouvoir constituant sans amputation et sans limitation, excluant ainsi l'écueil d'assimiler le sujet à une chose. On entend par totalité, 23
  • 24. l'ensemble de ce que vit concrètement un sujet, présent à lui même par la réflexivité, dans toutes les possibilités de création de son pouvoir constituant, y compris la félicité, la plénitude ou encore la joie stupéfaite, qui est la joie d'amour. Notre doctrine n'est donc ni idéaliste, ni matérialiste, elle est immanente et totalisante. Mais la description de la globalité d'un être humain par la réflexivité et la réflexion permet aussi de résoudre le paradoxe apparent de l'opposition entre l'aliénation et la liberté, et le passage de l'un à l'autre état. Cette question peut être posée banalement par le sujet quand il se demande si dans sa vie, il fait ce qu'il veut ou ce qu'il peut. La réponse immédiate peut être: «je fais ce que je veux, puisque je suis libre». Mais si j’étais né dans un autre pays, baigné dans une autre culture, à une autre époque, ferais-je les mêmes choix? Finalement mes choix ne sont ils pas le produit d’une contingence? Ce que je crois être une liberté n’est elle pas une reproduction par mimétisme, ou sous influence de valeurs que l’on m’a inculquées, ou en réaction à mon histoire personnelle (ex: je suis soumis à ma hiérarchie, en raison d’un passé de soumission aux parents)? Finalement ma liberté serait-elle qu’une aliénation, sans que je sois capable de faire la part des choses entre ce que je veux et ce que je peux? Alors comment affirmer qu'il est possible d'être libre, puisque l'aliénation par définition ne se sait pas aliénée. 24
  • 25. A la lumière de la réflexion que nous venons d’entreprendre, nous sommes en mesure de résoudre ce paradoxe. La réalité, c’est que l’opposition liberté-aliénation n’est qu’une opposition d’apparence. Le pouvoir constituant est toujours libre et il n'y pas d'autre liberté que celle qui est concrètement vécue dans l'actualité de l'existence. L'aliénation est donc toujours un enfermement (une éducation, dans des habitudes, des schémas de pensée, de attitudes involontaires) librement consenti, même inconsciemment et involontairement. Seule un pouvoir constituant librement aliéné peut devenir une liberté réellement exercée. La résolution du paradoxe de la 25
  • 26. coexistence liberté/aliénation est une validation supplémentaire de notre doctrine de description du sujet: je peux passer de l’aliénation à la liberté car j’étais déjà libre, mais en l’absence de réflexion correctement posée, mon pouvoir constituant s’était librement enfermé. Seule la réflexivité peut rendre possible, par son propre redoublement par la réflexion, le passage d'un liberté aliénée à une liberté seconde. Nous comprenons donc qu'il y a une liberté première, immédiate, fondamentale et qui est capable de s'aliéner elle-même. Par ailleurs, la réflexivité, sans être savoir intégral de soi, est la possibilité de se retourner sur soi-même concrètement dans sa propre actualité. La réflexion, s'accrochant à la réflexivité, est apte à comprendre la réalité de cette libre aliénation, comme une véritable révélation. La poursuite de cette réflexion permet de dégager progressivement ce qui relève de soi, ou ce qui relève de la reproduction de conventions ou de règles implicites, qui est le travail de construction de sa propre vie, le travail de la liberté. Voici mis à jour la possibilité de ce que nous appelons d'une liberté seconde, vers laquelle le passage est rendu possible par la réflexion, comme un véritable commencement d'une nouvelle vie qui sera la vraie vie, une vie éthique façonnée par le sujet et plus la vie contingente qui est celle de la liberté première. ! 26
  • 27. Mais il nous reste à répondre à une question fondamentale qui touche au cœur même du désir: je comprends la possibilité de passer d'une liberté aliénée à une liberté seconde mais il nous reste à savoir pourquoi ce passage. Qu'est ce qui peut expliquer qu'un sujet se mette à vouloir sortir de son aliénation librement consentie dans sa vie contingente, même sans avoir fait le travail de réflexion que nous venons d'exposer? Pourquoi un sujet veut-il du changement? La réflexion que nous proposons ici, vaut-elle la peine d'être conduite, et pourquoi? Quel est finalement le but ultime de tout cela, pourquoi ne resterai-je pas dans ma vie contingente si elle me convient, pourquoi voudrais-je me libérer? Nous touchons ici finalement à la question du sens du désir et de la signification même vie. Pour ne pas avoir à chanter comme Aragon «le temps d'apprendre à vivre il est déjà trop tard» il est urgent de le vérifier: le désir de changement est toujours un désir de joie, qui est le désir d'amour. En effet, le désir de changement dans son actualité concrète ne peut s'expliquer que par un désir d'une satisfaction plus grande, désir de passer d'un présent insuffisamment comblé, vers un futur qui le serait d'avantage. Nul ne peut prétendre désirer la souffrance et le malheur, le désir de changement est toujours un désir de joie plus authentique et plus fiable, fondée sur une joie réflexive déjà 27
  • 28. éprouvée. C'est quand la jouissance n'est pas complète que le sujet peut désirer autre chose, et il ne peut le savoir même confusément, que si cette jouissance a déjà été vécue. C'est le véritable cœur du désir du sujet, la recherche de la plénitude, de la jouissance et de la joie authentique. Parce que le malheur et l'aliénation sont les plus répandus, on les étudie directement, comme si l'aliénation pouvait se comprendre avant la liberté, et comme si l'angoisse pouvait se comprendre avant la jouissance, c'est à dire comme si l'exploration des chemins sans issues pouvait conduire sur la bonne voie. La liberté n'est donc pas une valeur recherchée pour elle même, mais pour ce qu'elle permet au sujet. Nous touchons ici au sol absolument originel de toute activité et du désir, la satisfaction ou encore la jouissance c'est à dire la plénitude. L'intentionnalité de toute action est la recherche de cette plénitude ou félicité. La liberté première n'y conduit que parfois et que de manière contingente, et le bonheur paraît alors comme un instant fugace insaisissable, non reproductible et voué à ne rester plus qu'un 28
  • 29. souvenir. La réflexivité est toujours consciente de l'absence de cette plénitude et tous les actes du sujet sont orientés, même inconsciemment, vers la recherche du recommencement de la félicité, sans y parvenir la plupart du temps, dans le premier stade de la liberté. Ce premier stade de la liberté contingente, comme pouvoir réflexif constituant se faisant librement aliénation, peut être dépassé pour atteindre une liberté seconde, qui sera alors capable de se déployer comme liberté véritable du sujet, dont les choix seront ceux de la vraie vie car fondée sur son désir véritable qui est toujours un désir d'amour, c'est à dire un désir de joie. Il y a donc un sens à décrire ce que sont les contenus concrets du bonheur, car le déterminisme tragique n'est que le nom de notre renoncement complice, et le sujet est toujours doté d'un pouvoir qui lui appartient de mettre en œuvre être soi et pour vivre le Préférable absolu le temps de son existence concrète. ! 29
  • 30. ! Une entrée en matière ! ! Le commencement! ! La réflexion que nous venons de dérouler n'a pas été inventée par l'auteur, c'est une tentative de rédaction d'un mini-guide d'exploration de soi, qui s'est inspirée directement d'une infime partie de l'œuvre d'un géant (Robert Misrahi, les actes de la joie, introduction). Que le lecteur sceptique qui pense qu'il y a une faille, un piège dans tout cela, qu'il n'aurait pas encore détecté, que si nous cherchions la joie nous l'aurions déjà trouvée, approfondisse la réflexion en revenant à la source: il vérifiera par lui même que le fondement de l'éthique de la joie est solide comme le roc. Et si nous touchions ici au vrai sens de la vie des hommes ? En cette période de mutation mondiale ou l'on déplore une perte de significations et de repères, un retour des croyances et des religions monothéismes, il est urgent de le vérifier individuellement. La maturation des idées est encore toute jeune au regard de l'âge de l'humanité: des dizaines de milliers d'années sans l'écriture, au plus 5 000 ans d'histoire et 3 000 ans de philosophie. L'éveil de l'humanité commence à peine. Leuccipe nous révèle que la joie authentique est le but de l'âme, Platon nous enseigne que le chemin de la joie est long et jalonné d'embûches, Epicure nous recommande je vivre comme un dieu Paris les hommes, Saint Augustin le premier décrit sa joie à la première personne, Descartes nous éclaire en proposant le doute systématique sur toute chose et de fonder la pensée à partir de soi, Spinoza nous enseigne que l'homme est désir, Kierkegaard préfigure l'existentialisme, Sartre met à jour la liberté. Robert Misrahi nous livre une formidable synthèse et nous offre une philosophie qui nous parle de nous, de nous tous, les êtres humains. La liste d'auteur ici déroulée est très courte et ne se veut ni dogmatique ni même pertinente, mais prétend juste illustrer que tout un chacun peut s'intéresser aux très nombreux courants de pensées philosophiques. Éclairés par l'éthique de la joie et vérifiés par la réflexion personnelle, tous approchent et parlent sous différentes facettes de notre réalité. 30
  • 31. La réflexion philosophique et l'éducation par la culture ne constituent pas un enfermement dans un certain système qui empêcherait de penser par soi-même, c'est l'inverse. C'est la vie spontanée qui peut devenir une aliénation, quand les choix du sujet ne sont pas réfléchis, ils sont consentis sous la dictée d'une coutume de la société, d'une croyance qui ne dit pas son nom, d'une morale qui se fait passer pour une éthique, d'une histoire personnelle qui devient un carcan psychologique complice. Les hommes vivent alors en quelque sorte comme dans le mythe de la caverne de Platon, sans ancrer leur réflexion sur la réalité réflexive, ils ne voient que l'ombre d'eux mêmes et toutes les opinions, toutes les croyances, toutes les convictions sont possibles: «il n'y a pas d'amour heureux, avec le temps tout s'en va, l'homme est un loup pour l'homme, on le constate autour de nous, il n'y a rien à faire». Oui, en l'absence de réflexion correctement posée, l'homme libre fait n'importe quoi, mais ce n'est pas une fatalité. Se saisir de la réflexivité, c'est effectuer un véritable retournement sur soi : la réalité est ma propre création, je suis la source concrète, actuelle et permanente de cette création. Cette prise de conscience est la possibilité d'une véritable deuxième naissance du sujet. Le sujet sait que dorénavant, ses choix seront progressivement libérés des normes ou des recettes toutes faites qui l'amenaient à reproduire par mimétisme une coutume ou à adopter une attitude par réaction à une histoire personnelle contingente ou dans la poursuite de buts irréfléchis. La prise de conscience peut être brutale, la liberté seconde se déploie au contraire progressivement. Par la réflexion le sujet parvient à faire le tri entre de dérisoire et l'essentiel, il sait qu'il sera en mesure de résister aux opinions et de faire des choix par lui même, de fonder sa vie. Cette certitude est déjà une joie, comme si le résultat recherché était déjà obtenu partiellement dès le début du parcours, ce qui vaut pour confirmation immédiate par le sujet, de la validité du chemin qu'il commence à emprunter. Le sujet réalise également grâce à sa réflexion rendue possible par la réflexivité, qu'il n'est pas morcelé comme le prétendent les théories qui inventent des concepts pour rendre compte de l'ambivalence éventuelle du désir. Quand je ne suis pas en pleine adhésion avec l'objet de mon désir, j'en ai toujours une pleine conscience. Cette ambivalence démontre au contraire que je suis un individu unique et indivisible, puisque dans le cas inverse je pourrais éprouver deux désirs 31
  • 32. antagonistes, sans me sentir tiraillé ou dubitatif. L'ambivalence n'est possible que parce que je ne suis qu'une seule personne, et s'explique car mon désir n'est pas encore en adéquation complète avec mon être. Je dois encore le purifier, le débarrasser des opinons, jugements, présomptions et jalousies en avançant pas à pas dans ma nouvelle vie faite de liberté réfléchie. Comme la liberté, le désir se présente sur deux niveaux, au premier niveau de la vie spontanée, le désir libre non repris par la réflexion peut conduire le sujet sur des voies sans issues, des chemins incompréhensible. Au contraire le désir de deuxième niveau, réflexif et réfléchi, devient le guide et la lumière et de la libération du sujet. Ce désir qui a l'intensité d'une simple soif est au deuxième niveau la possibilité d'une spontanéité nouvelle, plus innocente et véritablement libre, qui participe à la construction du bonheur du sujet. Le sujet sait maintenant que son désir est un désir de joie, innocent et libre, il est la possibilité de poursuivre le voyage de la liberté aliénée à la liberté seconde, et le sujet en fait un ami et plus un sentiment tragique contre lequel lutter. Le sujet peut alors à vivre en adhésion de plus en plus complète avec lui même, et monter pas à pas vers la plénitude, car le sujet est désir. Ayant compris tout cela, je réalise que l'autre est comme moi même, il est un pouvoir constituant libre et réflexif, la source autonome de sens et de signification qui pose le monde en lui, comme je pose le monde en moi. Il n'est pas un objet que je peux utiliser, il est un sujet comme moi. Une relation tout autre peut alors s'établir, cette conversion à soi même est aussi dans le même temps une conversion à l'autre. Je réalise enfin que notre désir d'avenir est un toujours désir de jouissance, on ne désire jamais le malheur, la joie est un acte, une possibilité de notre pouvoir constituant, que nous pouvons activer tranquillement. Nous parlons ici d'émotions concrètes et bien humaine, petites joies d'écouter un morceau de musique, de retrouver des proches, de partir en WE etc, et grande joie stupéfaite de l'amour. Alors que l'on passe son temps à décrire le tragique de l'humanité, il suffit de se poster dans un aéroport pour voir sa vraie nature: attente enjouée des retrouvailles, joie de partir en voyage, les 3 milliards d'êtres humains qui voyagent chaque année savent de quoi il s'agit. Tout le monde peut savoir de quoi il s'agit, cette joie d'amour rencontrée sur la route de Madison, le grand amour, le nirvana, l'amour dont parlent 32
  • 33. les mystiques, tous ces vécus de plénitude absolue, de grâce, sont les créations de notre pouvoir constituant, possibles pour chacun dans notre vie sans aucune croyance, sans principe préalable à accepter, et en le décidant tranquillement. Pour rejoindre le lieu de l'être, le Haut Pays, il suffit d'un peu d'innocence, d'être à l'écoute de son désir et de sa liberté, et de décider de se mettre en route, guidé par ce que Robert Misrahi appelle le Préférable absolu. ! Une société toute autre! ! L'action politique se fixe des objectifs concrets (logement, éducation, nourriture, travail, sécurité) sans jamais se poser la question de pourquoi tout cela. Pourtant, si la politique à pour but final d'aider concrètement chaque sujet, elle interrompt manifestement la réflexion au tout début du chemin, et elle ne pourra jamais atteindre l'objectif supposé même s'il est rarement explicite: bien vivre. On présuppose sans doute que des conditions matérielles améliorées et la sécurité suffiront à procurer la satisfaction et l'épanouissement. C'est ici qu'il est indispensable d'approfondir la réflexion, car si des conditions sociales dégradées sont bien un obstacle très important à une vie heureuse, on ne peut que constater que l'inverse n'est pas vrai, et l'on entre alors de plein pied dans le champ philosophique, car il s'agit de s'intéresser au sens même de la vie. Nous pourrions nous dire, occupons nous d'abord d'améliorer globalement les conditions sociales, ce qui paraît de toute évidence prioritaire, et pour le reste on verra plus tard ! Mais c'est alors au moment où tout devrait aller pour le mieux, que l'on est confronté à la déception en réalisant que le plus dur reste encore à faire : la satisfaction fait toujours défaut et pourtant, «j'ai tout pour être heureux», comme dit le dicton. On peut alors assister à ce qui se réalise sous nos yeux : une certaine fuite en avant et toujours plus pour les uns, car la satisfaction n'est pas au rendez-vous, quitte à ce que cela se fasse au détriment des autres, en l'absence d'une réflexion approfondie. Ainsi, en repoussant au second plan ou à plus tard les sujet fondamentaux, on laisse le champ libre aux fictions et aux écueils, de manière non exhaustive: • le modèle démocratique capitaliste sensé procurer à tous la plénitude individuelle, ne réussissant que très partiellement à apporter confort et sécurité à certains; 33
  • 34. • la question de la mélancolie de l'existence abandonnée aux psychanalystes, qui reconnaissent aujourd'hui eux mêmes les limites de leurs modèles psychiques en termes thérapeutiques, • la question du sens de la vie abandonnée aux religions, qui s'en emparent pour réintroduire la morale dans la politique, avec les écueils que cela peut comporter; • la question du désir et du bonheur, abandonnée aux divers mouvements de développement personnel plus ou moins mystiques, qui ont surtout réussi à en dévoyer la richesse et qui ne peuvent pas convenir aux esprits libres; Comment faire dans ces conditions? L'humanité serait elle vouée à la tragédie? Non, certainement pas, nos sociétés ne se sont pas construites en un jour. C'est une possibilité formidable qui s'offre à chacun de nous car il s'agit d'une véritable et profonde conversion humaniste, mais sans avoir à franchir un mystérieux «saut de la foi»: juste un peu d'efforts de réflexion commençant par un retour sur soi, avec une motivation à la hauteur des promesses du pouvoir insoupçonnable de la liberté. La philosophie n'est pas incompatible avec la vie quotidienne et concrète, c'est l'inverse. Tout est à construire, l'avenir est un vaste champ de liberté devant nous, c’est la responsabilité de chacun et chacune d’entre nous. La possibilité de changer progressivement le monde est bien réelle, mais il faut commencer par le commencement: la société n'existe que par les individus qui la fondent, il faut commencer par se connaître soi même et permettre à chacun de faire de même en approfondissant et en diffusant la conversion philosophique et l'éthique de la joie. ! *** ! C'est l'appel de ce petit fascicule, proposition d'entrée en matière comme une porte entrouverte montré au lecteur, pour partager et faire connaître la puissance et la vérité de cette pensée formidable. Si le lecteur sent confusément qu'il y'a quelque chose derrière tout cela, ce n'est pas seulement avec ces quelques pages qu'il en sera convaincu. Découvrir, approfondir et partager l'éthique de la joie, c'est la possibilité pour chacun d'entre nous à sa façon de faire fructifier le véritable trésor que nous avons la responsabilité de nous approprier et de faire connaître, pour vraiment tout changer.
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  • 35. ! ! ! Appendice Trois passages du livre «les actes de la joie» furent remarqués comme spécialement signifiants, au point de désirer les recopier et les conserver. Les voici à nouveau pour le plaisir du partage et comme un avant goût la lecture des actes de la joie. ! Un temps vient toujours, pour chacun, où le temps de la vie paraît pour une bonne part comme cela qui a déjà été déployé. Un temps calme vient qui est comme le haut plateau de la vie, la grande étendue solaire et tranquille en deçà de laquelle s'étagent, dépassés, les combats, les colères, les échecs et les tristesses. Ce passé vaut alors comme la guerre ancienne, comme l'ancienne tristesse. Jadis, la guerre : chacun est en mesure, s'il l'a vraiment désiré, de vivre un jour cette expérience. La guerre, le heurt de l'agression délirante et cosmique, la grande clameur de la peur et de l'envie, la grande angoisse de la pénurie de pain et d'amour, tout cela un jour devient comme le passé laissé derrière soi au bas des collines, au fond des ravins, au creux marécageux des montagnes. Ce n'est pas le fruit d'un miracle, et non plus je ne sais quelle prolifération du temps qui se porterait, comme par inertie, de L'obscurité vers la splendeur. Le haut plateau de la vie n est pas une nécessité, ni un automatisme, ni une fatalité, mais un acte rare. ! ! *** La délimitation par moi-même du lieu de mon être ne fut pas légère activité de connaissance. Le domaine que l'on se propose d'habiter et sur lequel doivent se construire les demeures de l'être, il a fallu durement le défricher ; puis un labeur pénible et long de terrassement permit seul d'accéder jusqu'au roc et d'y établir à neuf les fondations de la future demeure. Le déroulement des travaux, laborieux, concerna parfois des volumes de terre et de roc si considérables, des quantités de matériaux si énormes qu'on se demanda souvent si la tâche était réalisable par celui-là même qui était en train de faire émerger, avec les fondations de l'être, ses limites. La délimitation comprise comme création de l'être réel est bien une œuvre exaltante et joyeuse, elle n'en reste pas moins un dur labeur : non pas celui du négatif destructeur auquel on se réfère souvent mais celui de l'affirmation créatrice. Elle travaille d'abord dans un matériau lourd et rebelle : la roche grise de la résistance intérieure, la lourde terre noire de l'ignorance de soi. 35
  • 36. Fonder de nouveau le sujet en le commençant à soi-même est une joie dynamique, la justification, on l'a vu, du travail de seconde fondation. Mais cette joie n'apparaît dans tout son éclat qu'après l'évidence du travail et la réalisation de ses buts : en cours d'opération, le travail de délimitation fondatrice et d'affirmation de la liberté seconde est parfois un douloureux labeur. « Sacrifices », « déceptions », effondrements et ravages de la solitude et du malentendu, corrosion véritable des « échecs », imaginaires ou sans importance, fatigues et épuisements des ambitions pourtant illusoires et renoncées, forment le matériau brut sur lequel travaille le sujet : l'affirmation nouvelle se fait avec la chair de la vie, consumant l'illusion qui est d'abord le vif, pour construire le nouvel être qui, par son voyage et son labeur, se posera comme le vivant véritable et joyeux. ! ! *** On purifie par le feu du renoncement à l'accessoire la substance primordiale de son désir. On s'écarte de l'inessentiel, on brûle le dérisoire. Après avoir extrait et broyé l'or fin du désir, après avoir réduit, détruit et dissous les éléments secondaires de la soif (ambitions, jalousies, présomptions, narcissismes, colères, angoisses), on commence la condensation et la sublimation de son plus haut désir, on le fixe dans sa détermination et dans son lieu, on l'amène à l'évidence lumineuse de sa forme. Mais c'est par les flammes que l'on parvient à la lumière : on brûle les mouvements élémentaires et frustes de son moi pour accéder à la haute conscience de son désir, pour entrer dans les Hautes Terres du domaine de l'être. ! *** 36