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1
UNIVERSITE DE PARIS I, PANTHEON SORBONNE
Département de Science politique
Ecole doctorale de science politique, (ED 119)
Directeur : Lucien Sfez
La quête de soi,
une idéologie médiatique de
l’intériorité
Entre artificialité, normativité et standardisation :
le cas de Psychologies
Présenté et soutenu publiquement par M. Olivier Mauco
Mémoire pour le DEA « Communication, Technologies et Pouvoir »
Sous la Direction de Mme Brigitte Le Grignou
Septembre 2004
2
3
Avertissement : L’université Paris I Panthéon-Sorbonne
n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans
les mémoires ou doctorats. Ces opinions doivent être
considérées comme propres à leur auteur.
4
UNIVERSITE DE PARIS I, PANTHEON SORBONNE
Département de Science politique
Ecole doctorale de science politique, (ED 119)
Directeur : Lucien Sfez
La quête de soi,
une idéologie médiatique de
l’intériorité
Entre artificialité, normativité et standardisation :
le cas de Psychologies
Présenté et soutenu publiquement par M. Olivier Mauco
Mémoire pour le DEA « Communication, Technologies et Pouvoir »
Sous la Direction de Mme Brigitte Le Grignou
Septembre 2004
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ABSTRACT
Psychologies se présente comme un entreprise médiatique du souci de soi, destinée
à promouvoir le bien-être de chacun, illustrant un nouveau rapport à l’intériorité dont
l’individu incertain est la figure la plus représentative. La liberté entraînée par l’extension
du champ des possibles, entraîne un déficit identitaire et un replis sur soi liés au manque de
lisibilité des instances supérieures normatives. De nouveaux référentiels apparaissent
consacrant l’individu : Psychologies, dont le succès est conséquent, incarne cette nouvelle
quête de soi. La « psy » comme nouvelle grille de lecture de la société est de plus en plus
présente dans les médias télévisuels, et tend à évacuer toute dimension sociale et politique.
Psychologies répond à des attentes sociales qu’elle a elle-même suscitées en instituant une
grammaire de la psy et en constituant un ensemble de référentiels littéraires qui instaurent
les conditions sociales et médiatiques de l’émergence d’une culture du psy. Cette demande
anticipée est toutefois orientée par la production et les logiques médiatiques qui
normalisent l’individu, en proposant un ensemble de règles normatives et une image
standardisée de l’intériorité. Cette nouvelle définition de l’intériorité par un média, met en
exergue l’individualité comme nouveau référentiel appuyant une idéologie privée. Le lien
social devient de plus en plus artificiel, soumis à la logique de signe, de nouvelles
communautés d’individualités virtuelles apparaissent. Cette idéologie de soi en adéquation
avec les intérêts privés consiste à exclure les dimensions sociales et à renverser les
problèmes en maximes de vie, confortant l’individu dans sa conception subjective. Pour
accéder au bien-être tout un ensemble de techniques de soi est nécessaire, toutefois
l’autonomie visée n’aboutit qu’à une automatisation des individus. L’adoption d’un
nouveau référentiel normatif privé conduit à une nouvelle forme de contrôle non plus social
mais individuel : l’autocontrôle volontaire traduisant un besoin de normes intérieures.
6
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier Mme Brigitte Le Grignou qui a suivi la conception, m’a
judicieusement conseillé pour le développement et m’a encouragé à la
concrétisation de ce travail.
Je tiens aussi à remercier tout le personnel de l’Inathèque pour leur
compétence et leur gentillesse.
Je tiens enfin à remercier tous mes proches qui ont su m’entourer et m’aider.
7
SOMMAIRE
Introduction 8
1ère
partie : Les conditions sociales et médiatiques de
l’émergence de la « psy » 39
_
CHAPITRE I : HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE A LA TELEVISION ET
EMERGENCE DE L’ENTREPRISE PSYCHOLOGIES 40
I) L’APPARITION DU PSY ET DE LA PSY A LA TELEVISION 41
II) PSYCHOLOGIES, UNE ENTREPRISE UNIVERSALISTE DU SOUCI DE SOI 50
CHAPITRE 2 : LA CONSTITUTION D’UNE CULTURE DU PSY 64
I) INTRODUCTION D’UNE GRAMMAIRE DU PSY 65
II) LA CONSTITUTION D’UN REFERENTIEL 81
III) LA « PSYCHOLOGISATION » DE LA SOCIETE 94
2ème
partie : Un système d’accompagnement de soi 105
CHAPITRE 3 : RENVERSEMENT ET EVACUATION DES PROBLEMES :
L’IDEOLOGIE DE SOI 106
I) RENVERSEMENT DES PROBLEMES EN MAXIMES QUOTIDIENNES 107
II) CROIRE ET AGIR SUR SOI, UNE IDEOLOGIE DE SOI POUR LA QUETE
DU BIEN-ETRE 133
CHAPITRE 4 : LES TECHNIQUES DE SOI POUR UN AUTOCONTROLE
VOLONTAIRE 151
I) LES TECHNIQUES MEDICALES
152
II) DES PROGRAMMES DE MAINTENANCE A L’AUTOCONTROLE VOLONTAIRE 169
CONCLUSION 185
ANNEXES 187
BIBLIOGRAPHIE 189
8
INTRODUCTION
Le souci de soi et les techniques de soi
La recherche de soi est une préoccupation remontant à l’Antiquité. Michel
Foucault l’a démontré dans son Histoire de la sexualité en retraçant l’évolution de ce
principe et de ses pratiques. La culture de soi se traduit « par le fait que l’art de l’existence
– techné tou biou sous ses différentes formes – s’y trouve dominé par le principe qu’il faut
« prendre soin de soi-même » ; c’est ce principe du souci de soi qui en fonde la nécessité,
en commande le développement et en organise la pratique. »1
Ce principe philosophique
devient une réelle obligation morale lorsque l’insertion sociale de cette pensée et le partage
de ces valeurs morales permet l’érection de cette injonction en impératif reconnu par le plus
grand nombre. La dimension sociale est paradoxalement très importante dans cette pratique
individualiste. En effet, la philosophie grecque définit l’ « être » comme celui dédié au
« souci de soi ». Cette quête prend du temps, nécessite un certain recueillement, une rupture
avec les activités ordinaires, et nécessite l’utilisation de ressources, l’aide d’autrui pour y
parvenir.
Ce n’est pas un exercice solitaire mais hautement social « où sont liés le travail de
soi sur soi et la communication avec autrui »2
. Le travail sur soi consiste à mettre en
pratique un ensemble de techniques enseignées par un maître, intégré dans de réelles
institutions comme des écoles particulières. La place de l’autre lui permet d’être à tour de
rôle celui qui donne et celui qui reçoit les conseils, la connaissance de soi s’élabore par la
connaissance d’autrui et l’échange réciproque. La dimension sociale est à deux niveaux, le
rapport à l’autre dans un échange réciproque, et l’intégration dans un groupe d’individus
sous l’égide d’une institution plus ou moins formalisée du souci de soi.
Le travail sur soi répond à un ensemble de pratiques, « epimeleia », combinant des
actes de parole et d’écrit. Ces pratiques sont régulées par tout un ensemble de techniques :
« tout un art de la connaissance de soi s’est développé, avec des recettes précises, avec des
formes spécifiées d’examen et des exercices codifiés. »3
Il est possible de relever les
1
Foucault (Michel), Histoire de la sexualité. Le souci de soi (tome 3), NRF, 1984, page 57-58
2
Foucault (Michel), ibidem, page 67
3
Foucault (Michel), ibid., page 74
9
pratiques les plus courantes : les procédures d’épreuve basée sur des exercices d’abstinence
pour « faire avancer dans l’acquisition d’une vertu et de mesurer le point auquel on est
parvenu »4
, des examens de conscience présentés comme un tribunal – le for intérieur –
instaurant une césure du sujet entre « une instance qui juge et un individu accusé »5
, et
enfin un filtrage et un contrôle permanent des représentations, véritable travail sur la pensée
se basant sur l’examen, le contrôle et le tri. Cet ensemble de techniques permet de mesurer
le travail à accomplir pour accéder à la connaissance de soi, d’évaluer en permanence les
acquis, de s’ériger en juge de ses actes et pensées, et de modifier le rapport au monde en
exerçant un travail critique sur ses représentations. Le principe de vigilance permanente est
requis comme élément nécessaire à cette quête perpétuelle. Ce « souci de soi » n’est pas
subordonné à un but particulier, une sorte de finalité extrinsèque. Il ne s’agit en aucun cas
de le pratiquer pour accéder à un sens offert par la philosophie ou les institutions garantes.
La finalité est en soi : « il convient de garder à l’esprit que la fin principale qu’on doit se
proposer est à chercher en soi-même, dans le rapport de soi à soi. »6
Ce rapport de soi à soi
permet une acceptation de soi qui sera bénéfique pour autrui. Le but est de se connaître soi-
même, non pas en vue d’accéder à un état particulier de bien-être ou de béatitude
individualiste, mais au contraire pour savoir se contrôler dans une perspective de vie
sociale. Ce « souci de soi » traduit un souci de l’autre. La dimension sociale est donc
présente dans la pratique mais surtout dans sa finalité.
L’émergence de cette philosophie et de ces pratiques s’explique par une érosion
des cadres normatifs classiques, notamment la dimension politique et sociale qui ne saurait
maintenir les fonctions individuelles en place. L’autorité publique n’assurerait plus le lien
social entre les individus, et par conséquent l’émergence d’une recherche de conduites plus
personnelles concurrencerait les conduites collectives. « Moins fortement insérés dans la
cité, plus isolés les uns des autres et plus dépendants d’eux-mêmes, ils auraient cherché
dans la philosophie des règles de conduite plus personnelles. »7
Le « souci de soi »
apparaîtrait, selon cette hypothèse, dans un contexte d’incertitude, liée à l’affaiblissement
de l’emprise de l’autorité publique sur la destinée individuelle, les fonctions sociales
4
Foucault (Michel), ibid., page 75
5
Foucault (Michel), ibid., page 75
6
Foucault (Michel), ibid., page 81
7
Foucault (Michel), ibid., page 55
10
n’étant plus aussi prégnantes, et par conséquent permettant à l’individu de se définir dans
un cadre plus individuel.
L’autocontrôle comme régulation du souci de soi
Le contrôle de ses émotions, caractéristique du souci de soi, consiste à mettre en
évidence les moyens permettant une anticipation rationnelle des conséquences liées à tels
actes. Dans sa technique de tribunal intérieur il s’agit de renforcer « l’équipement rationnel
qui assure une conduite sage. »8
La dimension sociale de cette pratique demeure avec son
application quotidienne dans les relations humaines, ce qui au niveau politique offre la
possibilité de mettre en place un gouvernement éclairé, car celui qui prétend gouverner les
hommes doit savoir se gouverner lui-même. Le contrôle des émotions est donc un enjeu
hautement politique. Considérant l’approche sociétale, ce contrôle de soi permet une
stabilité sociale.
Norbert Elias développe la notion d’autocontrôle dans La Dynamique de
l’Occident. L’autocontrôle est un instrument de régulation des individus en leur for
intérieur dans une société pacifiée grâce au monopole de la violence par les institutions
étatiques. L’intérêt général prévalant sur l’intérêt et la volonté individuelle, il est nécessaire
de monopoliser les ressources de la violence afin que l’individu en proie à ses affects et
impulsions ne tente de concrétiser ses envies par un tel recours. Ceci permet
l’« élargissement de son espace mental »9
, en tant que capacité à considérer les causes du
passé et d’en tirer les conséquences pour le futur, et évacue l’instantanéité caractéristique
des sociétés féodales où la mort imminente est potentiellement partout. Le réseau
d’interdépendance des individus nécessite pour la préservation de l’entité collective la mise
en place d’une autocontrainte individuelle. Il s’agit d’homogénéiser les individus, de les
rendre autonomes tout en leur inculquant un ensemble de normes et de codes les
contraignant à agir dans l’intérêt général. « L’autocontrôle inculqué à chaque membre de la
société vise à réduire les contrastes et les brusques changements de comportement,
l’émotivité dans toutes les manifestations de l’homme. En effet l’individu est invité à
transformer son économie psychique dans le sens d’une régulation continue et uniforme de
8
Foucault (Michel), Histoire de la sexualité. Le souci de soi (tome 3), NRF, 1984, page 79
9
Elias (Norbert), La Dynamique de l’Occident, Pocket, 1999, page 189
11
sa vie pulsionnelle et de son comportement sur tous les plans »10
. Cette régulation
« uniforme et pulsionnelle », originellement souhaitée par les adeptes du souci de soi
antique, devient une obligation nécessaire pour maintenir l’équilibre entre individu et
société. Le souci de soi n’émane plus des volontés individuelles, mais de l’autorité
publique. Grâce à sa mise en place, le système démocratique, peut assurer le maintien du
système économique contemporain dont les contraintes d’anticipation rationnelle des
comportements, le maintien des fonctions sociales nécessitent une autodiscipline des
individus. Cet autocontrôle doit tenir compte du passé et du futur, car « elles requièrent la
maîtrise instantanée des mouvements affectifs et pulsionnels en prévision de leurs
prolongements futurs. Elles cultivent dans chaque personne une maîtrise de soi uniforme –
par rapport à d’autres normes – qui enserre dans un étau tous ses comportements. »11
L’individu intègre en son for intérieur les valeurs et normes sociales, notamment par les
instances de transmission directe comme la famille ou l’école. Si le monopôle de la
violence réduit la capacité à recourir à la force pour l’obtention de ses désirs, l’autocontrôle
agit à la source en agissant sur l’économie psychique des individus, évacuant leurs désirs en
les inscrivant dans une temporalité longue. Le souci de soi répond à un besoin social des
individus, alors que l’autocontrôle est un besoin vital de la société pour maintenir la paix, et
permettre sa prospérité.
Ce processus de pacification et d’intériorisation de normes sociales au sein de
l’individu a des conséquences sur son intégrité psychique : « Les contraintes pacifiques que
ses rapports avec les autres exercent sur lui trouvent leur reflet dans son psychisme. »12
Les pulsions et émotions de chacun sont intériorisées, ne s’expriment plus dans un conflit
entre les hommes, mais au contraire instaurent une lutte de chacun entre cette partie
pulsionnelle et affective et celle du mécanisme d’autocontrôle. L’ennemi n’est plus
extérieur mais en soi, ce que Norbert Elias résume ainsi : « dans un certain sens, le champ
de bataille a été transposé dans le for intérieur de l’homme. »13
L’instauration d’une liberté d’entreprendre grâce à l’extension du domaine des
possibles et la chute des interdits n’entraîne pas seulement une érosion de ces mécanismes
10
Elias (Norbert), ibidem., page 195
11
Elias (Norbert), ibid., page 196
12
Elias (Norbert), ibid., page 197
13
Elias (Norbert), ibid., page 197
12
d’autocontrôle, mais plutôt un sentiment d’indétermination qui au lieu de libérer l’individu,
l’asservit à un mal-être. La liberté d’action indéterminée par des instances supérieures,
entraîne non pas une libération de l’individu mais au contraire le plonge dans l’inaction.
Le paradoxe du tout est possible et de l’incertitude : le retour du souci de soi
La société contemporaine est plongée dans le paradoxe de l’extension individuelle
du champ des possibles et en même temps de l’apparition de l’incertitude individuelle.
Alain Ehrenberg note l’émergence des possibilités et la chute des interdits dans son ouvrage
La Fatigue d’être soi, modifiant les limites régulatrices de l’ordre intérieur : « le partage
entre le permis et le défendu décline au profit d’un déchirement entre le possible et
l’impossible. »14
Ce nouvel ordre permet l’émergence d’un individu souverain affranchi des
interdits, non pas tout puissant dans l’acception nietzschéenne, mais plutôt privé de guides
et de maîtres. L’individu devient son propre maître sans en avoir eu la volonté ni les
capacités. « On est de plus en plus propriétaire de soi, on en est de plus en plus le maître,
mais ce soi, plus présent pour soi-même comme pour la société, est en même temps, et très
concrètement, “ voué à l’indétermination ” »15
. Cette incertitude se traduit par un processus
renversé du contrat social. Initialement le pacte social permet à l’individu de gagner « la
liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède »16
. L’instauration de la sécurité
sociale et de l’aide sociale impliquait l’individu dans une logique de dette vis à vis d’un
Etat garant de ces privilèges. Cependant ce qui était un droit consenti par le pacte social est
perçu à la fois comme un acquis, étant un état de fait, et en même temps est perçu comme
de moins en moins garanti par l’Etat-providence. La logique capitaliste privatise non
seulement la propriété mais l’accession à cette propriété, et permet la mise en concurrence
et une individualisation des moyens de conservation traditionnellement aux mains de l’Etat.
L’individu devient de plus en plus responsable de son destin, et notamment des moyens
pour assurer sa pérennité : « la dette de la société envers l’individu s’élève à proportion de
l’augmentation de ses responsabilités. »17
Le champ de responsabilité individuelle s’accroît
de plus en plus en proportion de la baisse de la prise en charge par l’Etat. Nous pouvons
14
Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob poche, Paris, 2000, page 14
15
Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 307
16
Rousseau (Jean-Jacques), Du Contrat social, chapitre VIII, De L’Etat civil, Libre de poche, 1996, page 57
13
considérer qu’il y a un transfert non pas de compétences, mais d’obligations de
compétence : « un des problèmes majeurs de l’individualisation réside dans le report de
responsabilités illimitées sur l’individu, qui réduit la capacité à agir et conduit à cette face
sombre de la subjectivité qu’est l’impuissance psychique. »18
Cet écart entre les capacités
individuelles à prendre le relais de l’Etat et l’exigence d’assumer ces responsabilités crée
un état de malaise psychique, se traduisant par une hausse de la dépression. L’individu
devient incertain lorsqu’il n’a plus d’obligation vis à vis des normes de la société sur
lesquelles se construire, soit en conformité, soit en opposition.
Cette émancipation individuelle s’accompagne de l’émergence de nouvelles
institutions endossant le rôle de guide. Ainsi la perte des référentiels classiques signe plus
la fin de leur monopôle que d’une réelle disparition, entraînant l’apparition d’une
multiplicité de référentiels en concurrence les uns envers les autres. L’individu libéré des
contraintes peut « négocier ses croyances »19
dans une situation de surmodernité
caractérisée par l’excès. La pluralité de l’offre de repères se centre non plus sur une
dimension sociale mais sur l’individu. Les nouvelles sagesses, philosophiques ou
religieuses relèvent essentiellement de la spiritualité plutôt que d’un réel partage
communautaire relatif aux religions. Cette pluralité d’offre est une « anticipation de la
demande »20
sociale influencée par les contraintes sociales, une formalisation des attentes
individuelles : « chacun veut et doit devenir l’acteur de sa propre vie. Ce mélange
d’aspirations et de normes dessine un style de rapport à la société qui fait de l’estime de
soi la condition de l’action. »21
Cette estime de soi22
se centre sur trois piliers : l’amour de
soi, la vision de soi et la confiance en soi. Elle cristallise le paradoxe énoncé
précédemment : « l’estime de soi se situe au carrefour d’une libération psychique et d’une
insécurité identitaire qui progressent parallèlement. »23
L’individu autonomisé doit trouver
les ressources psychiques pour retrouver une certitude dans ses actes et volontés.
17
Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 309
18
Ehrenberg (Alain), ibidem., page 309
19
Balandier (George), Le Dédale. Pour en finir avec le XXème siècle, 1992
20
Darras (Eric), « Les limites de la distance. Réflexions sur les modes d’appropriation des produits
culturels. » in Donnat (Olivier), dir., Regards croisés sur les pratiques culturelles, Paris, La documentation
française, 2003, page 239
21
Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 23
22
André (Christophe) et Lelord (François), L’Estime de soi, Odile Jacob poches, Paris, 2002 page 14
23
Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob poche, Paris, 2000, page 175
14
Afin de remplir cet objectif, le souci de soi ne devient plus une finalité en soi mais
un moyen d’accéder à l’estime de soi, qualité requise pour remplir les conditions de
l’action. « L’individu incertain caractérise une société de désinhibition, dont le ressort est
l’amélioration de soi, condition indispensable pour se gouverner dans une société
complexe et un avenir opaque. »24
L’intériorité comme construction sociale
L’estime de soi demeure un moyen asservi à un but, non plus de bonheur et
prospérité collective mais de bien être individuel. D’une volonté dynamique tendant vers un
idéal social, nous entrons dans une période souhaitant d’accéder à un état statique de bien
être individuel. « Le développement de soi devient collectivement une affaire personnelle
que la société doit favoriser. »25
Cependant la société civile prend de plus en plus en charge
ce développement de soi, et notamment par des entreprises privées comme Psychologies26
,
constitué d’un triptyque médiatique, magazine, site internet, et émission télévisée, dont le
succès traduit une réelle demande sociale. La « psychologisation » de la société comme
nouvelle grille de lecture du social évacue toute dimension socio-politique pour marquer
l’avènement de l’individu souverain, car capable de lire en lui, de renouer avec le respect
de soi et de ressusciter les volontés individuelles. L’entreprise Psychologies prône cette
nouvelle spiritualité individuelle en offrant un nouveau référentiel que l’individu peut
embrasser. Ce nouveau culte de l’intériorité peut être consacré de la sorte, considérant qu’il
répond à une demande sociale que Psychologies formalise, car comme le souligne Alain
Ehrenberg, « sans institution de l’intériorité il n’y a pas, socialement parlant, d’intériorité.
Elle est produite dans la construction collective qui fournit le cadre social pour exister. »27
De la même façon que le courant romantique en littérature avait une existence sociale,
transcrivant les aspirations sociales, ce courant de l’intériorité, consacrant le for intérieur
comme nouvelle grille de lecture, est institutionnalisé par des entreprises comme
Psychologies, traduisant une volonté d’autonomie des individus. La place des médias est
24
Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 24
25
Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 151
26
Nous appellerons Psychologies l’entreprise qui traite du bien-être comme l’ensemble des trois médias la
constituant : Psychologies magazines, Psychologie (sans « s ») qui est l'émission télévisée, et
psychologies.com pour le site internet
27
Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 143
15
centrale dans l’émergence de cette nouvelle donne, car ils « facilitent l’émergence d’une
nouvelle demande en fournissant les mots pour les formuler. »28
Ils s’instaurent donc en
institution du langage et d’apprentissage de cette nouvelle conception de soi, « ils ouvrent
un espace public pour mettre en forme la réalité psychique et façonnent le style d’une
psychologie pour les masses. »29
La société de communication, permet l’émergence rapide d’une culture pour le
plus grand nombre, définie par essence comme l’expression de la doxa. Si elle postule la
pluralité de l’offre, la liberté du choix, comment parvient-elle à homogénéiser cette
demande pour en faire le sens commun, et par conséquent à unifier les volontés initiales ?
Cette interrogation générale, est totalement transposable au cas de Psychologies. Comment
une entreprise comme Psychologies produit-elle une culture psychologique de masse,
posant un paradoxe entre l’intériorité subjective individuelle et une nouvelle approche de
l’intériorité proposée par une entreprise privée ? Alain Ehrenberg nous donne un premier
élément de réponse nous encourageant à mener l’enquête : « L’intériorité n’est pas dans la
tête des gens qui inventeraient par eux-mêmes son langage, elle est dans le monde et en
nous simultanément. »30
En socialisant ce qui relève de l’intime, Psychologies construit une
conception de l’intériorité, qu’elle instaure en offre pour une demande sous-jacente.
Problématique
La conception de l’intériorité de Psychologies n’est pas a priori totalisante dans la
mesure où ce sont des techniques de libération de soi adaptables à chacun qui sont
proposées, selon le leitmotiv « mieux vivre sa vie »31
. Le bien-être n’est pas concrètement
un état uniforme, mais au contraire adaptable à la conception de chacun. La liberté
individuelle de choix de bonheur est une des valeurs annoncées. Liberté individuelle de
choix et libération psychique sont les deux piliers de ce nouveau souci de soi, qui devient
non plus un but en soi, mais un moyen d’accéder au bien-être. Cependant, comment une
entreprise médiatique prônant ces valeurs individualistes parvient-elle à normaliser les
individus ? Par normaliser nous entendons normativité, comme ensemble de règles
28
Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 143
29
Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 143
30
Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 143
31
Sous-titre du magazine Psychologies.
16
inculquées au plus grand nombre, et standardisation comme conception uniforme de
l’individu. Normalisation et standardisation entraînent l’émergence d’un individu
semblable à l’autre, dont la conception de l’intériorité et les techniques de soi permettent
l’émergence d’un nouveau type d’autocontrôle de soi.
HYPOTHESES ET PISTES
Afin de comprendre la démarche scientifique entreprise, il m’apparaît comme
nécessaire de présenter l’ensemble des hypothèses qui m’ont amené à construire la
démonstration. Par un souci de rigueur, deux niveaux retracent cette genèse. Les
hypothèses premières, relativement lointaines du sujet, consistent plutôt en des pré-
concepts, des intuitions théoriques, relativement vagues mais qui ont certainement
influencé ce mémoire. Ensuite les hypothèses liées directement au cas de Psychologies qui
peuvent être considérées comme les hypothèses du thème traité par le présent ouvrage. Ce
va-et-vient entre le cas pratique de Psychologies et les considérations générales est justifié
par l’hypothèse de Alain Ehrenberg : « la télévision rend visible les évidences, elle est un
hypersymptôme »32
dès lors les considérations générales pourront-elles trouver une
expression paroxysmale dans l’analyse de Psychologies. Cette présentation des hypothèses
sera thématique afin d’éviter une dichotomie simpliste impressions générales / impressions
particulières.
Le rapport au temps
La première hypothèse est liée à un rapport au temps, qui est central dans
l’approche de la dépression. Comme le souligne Alain Ehrenberg, la dépression est une
« pathologie du temps » 33
, car le déprimé est sans avenir. Cette maladie liée à un manque
de perspective connaît un essor considérable ces trente dernières années. En écartant une
analyse médicale, est-il possible de considérer que le monde contemporain et ses conditions
32
Ehrenberg (Alain), L’Individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 169
33
Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob poche, Paris, 2000, page 294
17
de vie influent sur la psyché, modifiant notre rapport à la temporalité, certes subjectif, mais
d’autant plus modifiable qu’il correspond à notre perception des choses, des événements.
Ainsi une mutation du rapport au temps général au niveau de la société peut avoir des
conséquences individuelles. L’hypothèse est inspirée de l’état des lieux énoncé par la
surmodernité. La nouvelle temporalité centrée uniquement dans une sorte de présent
instantané crée une rupture avec la ligne classique passé / présent / futur permettant à
l’individu de se constituer par rapport à ce qu’il fut et en projection à ce qu’il espère. Ainsi
l’instantanéité plonge l’individu dans le présent, le coupant de son passé, par conséquent le
privant d’une part de son identité. Psychologies offrirait par conséquence un rapport
différent au temps, agissant sur la subjectivité individuelle, en proposant un mode
d’appréhension du rapport au temps renversant le problème en réel atout. L’instantanéité ne
serait plus un drame vécu mais au contraire une maxime quotidienne, par une
réactualisation du carpe diem et un éloge de l’idéologie de la communication, tous deux
insérés dans l’instant de vivre.
L’individu comme référentiel identitaire
La seconde hypothèse concerne le référentiel identitaire des individus.
Théoriquement les fonctions sociales donnent un sens extrinsèque à l’individu. La post-
modernité annonçait la fin des instances normatives classiques, la surmodernité constate la
multiplication de ces référentiels. Le culte de la vitesse, la flexibilité, la mobilité, l’érosion
progressives des fonctions sociales uniques pour une multiplication des fonctions sociales
créent un trouble dans la constitution identitaire de l’individu. Psychologies en tant
qu’entreprise du bien-être s’érige en un référentiel normatif privé, car indépendant des
autorités publiques. Elle instaure l’individu comme le centre de toutes les attentions, le
topique de toutes actions, comme lieu commun de chacun et plus petit dénominateur
commun. L’individu comme référentiel est le niveau minime de la cohésion sociale. Ce
culte de l’individu doit s’accompagner d’une idéologie de soi, capable de faire adhérer le
plus grand nombre aux valeurs de l’entreprise. Ce culte de l’individu doit essentiellement
s’appuyer sur les idéologies préexistantes, et doit consacrer l’idéologie de la
communication comme nouveau lien vital entre les personnes. L’idéologie de la
18
communication permet de relier les individus plongés dans l’instant présent, est une sorte
de lien social fictif.
L’accompagnement technique
Psychologie occupe une fonction de promotion des thérapies du bien-être. Cet
ensemble de thérapies est fixé sur le temps présent, créant une rupture avec la psychanalyse
traditionnellement recentrée sur l’histoire de vie, et la place du passé dans la constitution de
l’individu. L’accession au bien être se fait par l’intermédiaire de thérapies à visée médicale.
Ainsi les solutions proposées ne sont plus des solutions transcendantes mettant en jeu la
croyance en une entité supérieure, mais sont plongées dans l’immanence, directement
accessibles par l’individu qui peut se les réapproprier sans intermédiaire, si ce n’est le
détenteur de la technique. L’individu dans son rapport de soi à soi, ne permet plus
l’intrusion d’un tiers, comme c’était le cas lors du processus de la confession ou de la
psychanalyse. La technique remplace l’individu, et de par son aspect impersonnel crée
l’illusion d’autonomie de l’individu. L’individu peut ainsi s’auto-analyser, notamment avec
la pratique de tests d’auto-évaluation de sa personnalité, qui traitent la personnalité comme
une somme de symptômes, ce qui entraîne une approche technique de l’individu.
L’image idéale de soi
La télévision en tant que miroir est une thématique largement abordée, mais qui
peut trouver une justification dans l’analyse d’une émission traitant de la quête de soi. Il ne
s’agit pas de renvoyer une image de l’individu telle qu’il est, mais plutôt de proposer une
image fantasmée de soi, une sorte d’idéal du moi que l’émission lui renverrait. En tant
qu’élément déterminant dans la constitution de l’identité, l’idéal du moi proposé par
l’émission est un idéal du moi de substitution qui peut séduire un individu dont l’estime de
soi est faible. En normalisant l’image de l’individu, grâce aux procédés de prise de vue mis
en place pour une médiatisation des expériences individuelles quotidiennes par l’émission,
l’idéal du moi n’est plus incarné par des stars, mais par l’individu ordinaire. L’individu
ordinaire érigé en signe par les dispositifs télévisuels devient un référent encore plus
performatif puisqu’il est sensé représenter non plus un autre inaccessible, mais un même
transcendé par les techniques de soi. L’individu devient autonome par des techniques de
19
soi. Cette représentation du même permet d’élargir le champ des possibles et de réactiver la
volonté individuelle à se conformer à cette image idéale du soi médiatisée.
TERRAIN ET CORPUS
Choix et mise en place du corpus
L’analyse de l’émission ne peut se suffire en elle-même. Psychologies est une
entreprise du bien-être présente sur trois supports médiatiques différents : Psychologies
magazine imprimé, psychologies.com présent sur internet, et Psychologie diffusé sur
France5. Ainsi semble-t-il nécessaire pour comprendre l’émission télévisée d’analyser les
autres composantes de l’entreprise. Ces trois médias forment un tout mais répondent à des
logiques différentes, puisque la lecture du magazine renvoie à une sociologie de la lecture,
dans sa double acception de lecture didactique et de lecture de salut34
, le site internet
développe le mythe de l’interactivité et présente un panel de techniques d’auto-analyse de
soi, dessinant aussi les contours possibles d’une communauté d’individus autonomisés et
fidèles à l’idéologie de l’entreprise, alors que l’émission télévisée correspond à une logique
de mass media relayant une image idéale de soi, une idéologie de soi, et s’inscrit dans une
sociologie de la réception. Nous recentrerons l’analyse essentiellement sur deux des trois
supports : psychologies.com et l’émission Psychologie.
Le magazine Psychologies est exclu de notre analyse. Le site internet est une
transposition du support papier dans sa quasi intégralité, reprenant les articles le mois
suivant la publication du magazine, ce qui entraînerait une certaine redondance. De plus il
propose une relation plus directe avec le lecteur, qu’il est possible d’étudier sans mettre en
place de lourds dispositifs d’analyse de réception. Ensuite l’analyse du magazine a déjà été
effectuée par Dominique Mehl, dans son ouvrage La Bonne Parole35
dont la qualité des
analyses et les moyens dévoués à cette études ne sauraient être atteints par notre présente
étude, d’autant que les conclusions s’inscrivent dans notre perspective, en tant que point de
départ d’un travail qui aurait été préalable, et par conséquent notre mémoire aurait été lui
34
Mauger (Gérard) et Poliak (Claude F.), « Les usages sociaux de la lecture » in Bourdieu (Pierre), dir.,
Genèse de la croyance littéraire, Paris, Actes de la recherche en sciences sociales, 123, Seuil, juin 1998 page
12-13
35
Mehl (Dominique), La Bonne Parole, La Martinière, Paris, 2003. L’analyse du magazine se situe dans la
deuxième partie : « L’extension du domaine de la psy », chapitre I : « Psychologie ou la cause du bien être. »
20
aussi redondant. Enfin l’analyse de l’intégralité des numéros de Psychologies, au nombre
de 233 dans sa totalité ne peut être raisonnable considérant le temps imparti pour un
mémoire de troisième cycle, d’autant que les numéros ne sont pas tous accessibles.
L’analyse de l’émission Psychologie est concevable dans son intégralité,
considérant qu’il y a eu 32 émissions, entre le 12 octobre 2003, date du premier numéro :
Oser se parler et le 6 juin 2004, dernier numéro : Trouver le courage en soi. Cette saison
sera la seule, l’émission n’étant pas programmée à la rentrée pour des raisons
essentiellement juridiques36
. Ainsi ces trente-deux numéros confèrent une vision
d’ensemble. D’un point de vue pratique, la saison est disponible à l’Inathèque, dans le
dépôt légal de télédiffusion, instauré depuis 1995, et a pu être suivie en tant réel chaque
dimanche ou enregistrée.
L’analyse du site internet psychologie.com permet d’aborder un aspect nouveau
dans la constitution d’une intériorité. Le site a un taux d’audience important puisque 500
nouveaux messages par jour alimentent le forum qui compte 30 000 contributions37
. Vingt-
cinq mille personnes sont abonnées à la « newsletter » de www.psychologie.com. L’aspect
communautaire, centré sur l’interaction, peut être intéressant à analyser comme le
prolongement des deux autres supports, et permettre une analyse très sommaire des forums,
se substituant à une analyse de réception traditionnelle.
Site internet et émission télévisée sont deux aspects complémentaires, deux futurs
possibles du magazine, car ces supports répondent à des objectifs certes différents, mais
peuvent toucher potentiellement un public plus conséquent.
Initialement, il avait été envisagé d’analyser les magazines télévisuels faisant écho
de Psychologie. Un corpus avait été prédéfini, comprenant Télérama, Télé 7 jours, Télé
Loisir, Le Nouvel Obs Télé, Télépoche. Malheureusement après avoir parcouru l’ensemble
de ces journaux, aucune mention particulière n’est apparue concernant Psychologie, car
même si Télérama lui consacre deux « TT » pour la première, l’émission ne fait pas l’objet
d’un seul commentaire, et perd ses « T » au fil des semaines. Seul Télé Loisir accole à côté
du thème de l’émission la mention « magazine », s’aventurant à la qualifier.
36
Informations obtenues auprès de France 5, toutefois les raisons ne sont pas connues précisément.
37
Guerrier (Philippe), « Psychologies tente de rééditer son succès magazine sur Internet » in Le Journal du
Net, 3 octobre 2002 : http://www.journaldunet.com/0210/021002psychologies.shtml
21
Corpus d’étude définitif de l’étude :
• Psychologie, émission diffusée sur France 5, intégralité des numéros, du 1er
au 32ème
.
Visionnage de l’intégralité de la série et sélection d’émissions analysées plus en
profondeur, en fonction des thèmes abordées et de leur représentativité. Oser se parler
(12/10/03), Thérapies : y aller ou pas ? (26/10/03), Le Bonheur dépend-il de nous ?
(21/11/03), Se déculpabiliser (30/11/03), Sommes-nous vraiment adulte ? (07/12/03),
Dépression, comment l’éviter ? (11/04/04), Faut-il multiplier les thérapies ? (21/03/04),
Peut-on se débarrasser des complexes ? (02/05/04) La Foi aide-t-elle à vivre ?
(16/05/04).
• Site internet Psychologie.com entre le 1er
mars 2004 et le 31 juillet 2004. Analyse des
contenus des différentes rubriques, notamment « Maîtres de vie » et « Tests ». Analyse
des forums, en particulier la rubrique « Se connaître » et « Quelle est votre
spiritualité ? », permettant de transcrire le rapport à soi et le rapport à la croyance.
METHODE
Choix de l’approche méthodologique
En tant qu’entreprise de soi, Psychologies doit être analysée d’un point de vue
sociologique, économique et idéologique. D’un point de vue sociologique, l’entreprise
permet de formuler une conception de l’intériorité en tant que conception sociale, et non
pas purement au niveau de la production d’une entreprise ou d’individus. Il s’agit
d’analyser la formulation de cette nouvelle intériorité, ainsi que les conséquences sur le lien
social et les fonctions sociales. D’un point de vue économique, l’entreprise est insérée dans
un complexe médiatique, ayant des contraintes de production et devant remplir des
impératifs de vente. Des stratégies économiques d’expansions internationales, de
concentration horizontale avec la multiplication et la diversification des supports, et enfin
de concentration verticale avec les liens entretenus avec les techniques de soi publicisées,
ont des conséquences sur la formulation de l’offre. Cette entreprise est marquée par des
liens familiaux forts entre Jean-Louis, Perla, David, et Florence Servan-Schreiber qui
22
apparaissent tous les quatre dans l’ours du magazine. D’un point de vue idéologique,
l’entreprise crée une nouvelle institution de soi marquée par un ensemble de valeurs, de
référentiels idéologiques et de normes comportementales inspirées de l’idéologie de la
communication, de l’idéologie du bien être et de l’idéologie de soi qui peuvent être
considérées comme autant de facettes de l’idéologie de l’individu souverain, appuyé sur
une idéologie de la technique comme nouveau lien dans le rapport de soi à soi et instrument
de libération.
Nous analyserons l’émission Psychologie en ayant à l’esprit ces trois approches
qui sont le triptyque de toute analyse de média. Ce travail peut être considéré comme une
première partie d’un travail intégral sur cette entreprise du bien-être, dans la mesure où il
nous est apparu nécessaire de commencer notre étude par une analyse de contenu offert par
la production. Ce premier travail de mise à jour des contraintes socio-économiques et des
visées idéologiques permet de cerner l’objet dans sa dimension productive, comme un tout
qui aurait anticipé la demande, ensuite proposé au spectateur qui le recevrait dans un
schéma de la communication qui peut sembler peu interactif. Toutefois en tant
qu’institution de soi, un rapport dialectique entre un maître qui enseigne et un élève qui
apprend est concevable, car contrairement à l’antiquité où le souci de soi passe par l’autre,
ici ce souci de soi passe par un média impersonnel. C’est pourquoi nous nous intéresserons
à l’enseignement et à l’apprentissage proposé, car l’élève est supposé assoiffé de savoir.
L’échec d’une analyse de réception
D’un point de vue bien plus pratique, la question de l’étude de réception s’est
posée et des démarches ont été entreprises pour la mettre en place. Une demande a été
formulée en décembre auprès de la rédaction de Psychologies pour passer un appel à
candidature dans la rubrique petites annonces pour une enquête de réception dans le cadre
d’un mémoire de DEA à la Sorbonne. Après un mois de négociation, nous sommes arrivés
à un désaccord : l’entreprise exigeait 189 euros TTC pour passer l’annonce, ne certifiant
aucunement le nombre de réponses qui n’aurait pas dépassé la dizaine selon Lucile
Bourgeois, « chef de publicité ». Malgré une ultime tentative de monnayer mon travail en
présentant l’utilité que pourrait représenter une telle étude, la direction n’a rien voulu
23
savoir. De toutes façons un tel engagement moral aurait modifié mon approche en me
contraignant à une conception beaucoup plus marketing. N’ayant pas les moyens financiers,
je me tournai vers une tactique plus artisanale en passant des annonces dans mes
commerces de proximité ; ce fut un échec complet, car si Psychologies tend à devenir une
institution de soi, il n’y a pas de réelle communauté d’individus, excepté le forum internet,
sur lequel je postai un message faisant part de mon intention de réunir un public de cette
émission. Le message resta sans réponse et fut retiré par le webmaster. Un dernier espoir
résidait dans l’émission, mais le refus de la rédaction s’avéra sans appel, car l’émission ne
diffuse pas de messages dans son générique, et d’autre part le public n’est pas analysé par
France 5 et demeure scellé par la confidentialité. Le public n’étant pas suffisamment
important, la chance pour trouver des téléspectateurs au hasard de pérégrinations dans la
rue était plus que faible. Un public artificiel aurait pu être mis en place, toutefois l’analyse
n’aurait pu se cantonner à des impressions de téléspectateurs n’ayant pas le « souci de soi »
et le bien-être comme leitmotiv de leurs pratiques télévisuelles et se serait résumée à des
réactions classiques d’individus visionnant un magazine culturel et médical sans être a
priori intéressés par le sujet. Car les motivations et intérêts pour une telle émission étaient
le centre des préoccupations, il me semblait nécessaire de trouver un public déjà existant et
de ne pas le construire de toute pièce. Face à de telles difficultés, il apparaissait comme une
fatalité de se recentrer sur la production.
Cependant le forum de discussion offrait un public d’adeptes de l’entreprise et de
la psy. Ce public disparate était présent sous la forme de cette communauté virtuelle
d’individu. Ainsi l’idée d’intégrer cette communauté germa. Pour ce faire, j’observais le
type de relation, les thèmes abordés et les codes de conduite. J’endossais une fausse identité
et tentais de me présenter comme le même, en conservant à l’esprit les problèmes liés à
l’observation participante. Afin de recueillir des informations, je formulais des questions
relatives qui pouvaient m’intéresser dans la recherche, tout en jouant sur le principe de
précaution, en n’osant pas affirmer des vérités, mais plutôt en faisant appel à un ressenti
simulé. J’abordais ainsi la question du rapport au temps, sollicitais les internautes pour
qu’ils me conseillent des méthodes pour se sortir du mal-être et posais innocemment la
question : peut-on vivre sans les autres ? Je reçus quelques réponses, assez contradictoires
24
qui ne peuvent être considérées comme une étude de terrain mais qui répondent en partie à
mes attentes.
Méthode pratique
La méthode pratique consiste à visionner l’ensemble des émissions une première
fois, puis de sélectionner les émissions les plus représentatives qui seront analysées par le
biais d’une grille de lecture dont les thèmes sont : les fonctions de l’émission (informative,
curative, incitative), la structure de l’émission (en corrélation avec la fonction), le statut et
le rôle des référents, le statut et le rôle de l’animateur, le statut et le rôle de la star, le statut
et le rôle de l’individu ordinaire, l’image de l’individu proposée (image idéale du moi,
image statique ou dynamique, homogène ou hétérogène, semblable ou autre), la place de la
communauté et du groupe (présence dans l’émission, place des problèmes sociaux,
nouvelle forme de communauté suggérée) et enfin l’homogénéité de l’idéologie (idéologie
de soi, du bien être, de la communication, de la technique de soi). Le choix de ces thèmes
oriente inéluctablement l’analyse de l’émission, mais permet de donner une cohérence à
mon approche. Ce visionnage s’est déroulé à l’INAthèque qui possède l’intégralité de la
saison de Psychologie, des postes de travail performants, un moteur de recherche efficace et
un personnel d’une gentillesse et d’une compétence extrême.
Cette grille de lecture s’est aussi appliquée au site internet, en mettant l’accent sur
les techniques pour se connaître soi, comme les tests, les dossiers thématiques. L’analyse
de la communauté virtuelle s’axe sur le type d’interaction des individus entre eux, la nature
de leurs messages, et le rapport à l’autre internaute.
L’analyse des techniques de soi consiste à relever statistiquement le nombre de
citations dans l’émission, dans une approche quantitative, et le mode de présentation de ces
techniques dans une approche plus qualitative.
Enfin un cadre théorique a été mis en place, et deux parties ont été rédigées sur le
rapport à soi, le problème de la place des intermédiaires dans la connaissance de soi, dans
une tentative de genèse de ce for intérieur. Ce cadre théorique m’a permis de solidifier
l’approche de l’émission, contrepoint d’une analyse seulement pratique. De ces deux
parties, il ne reste que des fragments épars, disséminés dans l’analyse de l’émission.
25
RAPPORT A L’OBJET
Poser la question du rapport à l’objet consiste à prendre conscience de sa
conscience, à extérioriser son for intérieur, dans une autoanalyse proche de celle suggérée
par Psychologies. Faire une autoanalyse de son rapport à la psychologie tient presque de la
prise de conscience de son rapport à l’intériorité et de l’influence de la psychologie comme
grille de lecture de soi. Ces considérations subjectives par essence doivent faire l’objet
d’une objectivation, exercice périlleux, puisqu’une part d’inconscient retient peut être les
mystères de la naissance de ce désir. Cependant cet exercice est nécessaire, comme le
souligne Pierre Bourdieu dans une tentative de distanciation de l’énonciation : « S’il est
vrai que ce que je dis de la lecture est le produit des conditions dans lesquelles j’ai été
produit en tant que lecteur, le fait d’en prendre conscience est peut-être la seule chance
d’échapper à l’effet de ces conditions. »38
Cette étude s’inscrit dans une triple continuité,
dans un rapport spirituel, dans un rapport affectif et dans un rapport universitaire.
Le rapport à la croyance semble l’élément premier, formulable simplement par le
pourquoi croire ? Pour symboliser une figure du père qui nous accompagnerait, accéder à
une transcendance, réveiller la volonté de puissance, s’intégrer socialement dans une
communauté ? Mais alors pourquoi ne pas croire considérant l’ensemble des avantages ?
Le problème de la liberté s’est alors posé comme une évidence, percevant la croyance en
une supériorité exogène comme une marque d’asservissement volontaire, de facilité, une
musique intérieure à jouer plutôt qu’à composer. La liberté entraîne la question du choix.
L’analyse de Psychologie a une dimension personnelle que je résumerai
brièvement. J’ai connu le magazine au domicile familial, il y a quatre ans. La curiosité me
prenant je parcourais ces pages où les conseils pour « mieux vivre sa vie » n’avaient qu’un
faible écho à ma lecture. Cependant en considérant les pratiques religieuses et spirituelles
de l’abonné, un sentiment d’étonnement me taraudait. Pourquoi concilier psychologie(s),
religion, mysticisme, spiritualité ? Pourquoi une telle pluralité de référentiels ? Mais
pourquoi ce besoin de trouver des guides, de les multiplier ?
38
Bourdieu (Pierre), « La Lecture : une pratique culturelle » in Chartier (Roger), dir., Pratiques de lectures,
Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1993, page 270
26
L’intérêt pour les croyances culturelles s’est formulé de par mes études
universitaires et l’ensemble de cours sur la communication, ce qui m’a poussé à faire un
mémoire sur le best-sellers39
en littérature l’année précédente, de comprendre les conditions
de production et de réception d’un tel phénomène. L’étude sur Psychologies rejoint ce
premier travail, en ce sens qu’il s’agit toujours d’une pratique culturelle, mais cette fois-ci
explicitement porté sur la croyance et la spiritualité, du moins ces nouvelles formes
stigmatisées par l’entreprise.
L’analyse de Psychologies cristallise donc cette triple dimension spirituelle,
affective et universitaire qui peuvent être considérées comme les conditions de production
de mon intérêt pour ce sujet. Cette présentation, peut-être intempestive, me semblait
nécessaire dans un souci d’honnêteté intellectuelle. Toutefois elle illustre mon rapport à la
psychologie, étant moi-même le produit de cette nouvelle grille de lecture de soi. Cette
analyse du for intérieur est par ailleurs une caractéristique de Psychologies : « le for
intérieur, comme réflexion de soi avec soi-même, détrône l’inconscient comme grille de
lecture du rapport de chacun à une conduite de son existence. »40
Cependant Psychologies
n’est pas l’instigatrice de cette nouvelle grille de lecture, mais formalise une caractéristique
d’évolution sociale du rapport à soi. Aussi est-il nécessaire de défricher cette genèse du for
intérieur comme nouveau rapport à soi.
L’EVOLUTION DU FOR INTERIEUR : UN ENJEU DE CONTROLE DE SOI
Le for intérieur comme instance d’intégration de normes sociales.
L’expression « for intérieur » est communément usitée pour définir ce qui relève
de l’expérience intime, de la sphère privée la plus profonde, le cœur même de la
conscience, « une instance intime, lovée au creux de l’être, où sont conservés des grands et
des petits secrets vécus comme des trésors. »41
Le dictionnaire Le Petit Robert propose une
double définition de cette expression. Il s’agit dans son acception courante d’un lieu :
39
Mémoire de fin de cycle de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, sous la direction d’Eric Darras.
Mauco (Olivier), Le Best-sellers ou la lecture des temps modernes, Tableau synchronique d’un phénomène
culturel, d’un point de vue économique et sociologique, IEP Toulouse, 2004
40
Mehl (Dominique), La Bonne Parole, La Martinière, Paris, 2003, page 217
41
Enriquez (Eugène), « Approches du for intérieur » in CURAPP, Le For intérieur, PUF, 1995. P 12
27
« dans la conscience, au fond de soi-même. »42
, et dans son acception littéraire le « for
intérieur » est assimilé au siège de délibération de la conscience en tant que « tribunal de la
conscience ».
L’expression « for intérieur » n’a pas toujours été réduite à cette simple définition.
Sa particularité première est l’unique emploi du nom « for » dans le langage actuel. Or tout
le sens de « for intérieur » réside dans ce nom, « intérieur » n’étant qu’un adjectif relatif à
« for », issu du latin « forum » qui se traduit par « place publique », « tribunal ». Un for est
donc un espace initialement public où sont jugés des faits et rendus des sentences. Une
première contradiction est perceptible dans l’expression « for intérieur » puisque suivant
son étymologie, il s’agirait par nature d’un espace public intérieur, soit un espace
d’intégration de normes sociales. La place du représentant en tant qu’intermédiaire entre
l’intériorité et les normes sociales apparaît décisive. C’est l’évolution de cet intermédiaire
et du référentiel qui modifient la conception du for intérieur. Psychologies en produisant un
référentiel idéologique et un ensemble de normes influe sur ce for intérieur contemporain
qui est institué en nouvelle grille de lecture de son intériorité.
Dans son ouvrage La Politique symbolique, Lucien Sfez analyse que « le
représentant-signe lie un petit objet, concret, réel, à un grand objet abstrait qui constitue
les règles d’intelligibilité de l’ensemble. Il assure l’intégration du petit objet dans le plan
d’ensemble. »43
S’il est possible de considérer que l’introduction d’un tiers mandataire du
référentiel absolu permet de faire le lien entre l’individu et l’universel, en orientant le « for
intérieur », ce schéma abstraction / signe-chose / signe-mot peut se traduire dans notre cas
par ce schéma ternaire individu / représentant / référentiel. Le représentant s’accapare le
« for intérieur » de l’individu pour l’extérioriser via la formulation orale, ce qui permet de
le contrôler en orientant la parole, et d’intérioriser les valeurs du système référent par la
symbolisation de l’acte. Ainsi l’évolution du sens de « for intérieur » est-elle liée à la
structure de représentation des normes de la conscience dans le « for intérieur ». Aussi
l’autonomie du sujet provoquerait-elle une modification considérable dans l’unité et la
cohésion, car « pour qu’il y ait à la fois représentation et vérité, il faut qu’une figure
actualise la vérité dans la représentation, qu’elle assure de sa toute-puissance non
empruntée, que la figure symbolique paraisse comme le lieu, et le seul d’où tirer
42
Le Petit Robert, juin 2000
28
enseignement, vie et valeur. »44
Si l’individu juge « en son for intérieur » ses pensées et
actes, sans se référer à un système supérieur, ou en utilisant une trop grande liberté
interprétative, le danger de délitement du lien social est tangible, le système de
représentation prêt à s’effondrer, et l’autocontrôle individuel menacé, le for intérieur étant
le topique de cet autocontrôle. Ainsi le contrôle du « for intérieur » est-il un véritable enjeu
de contrôle social et politique, et permet jusqu’à susciter l’adhésion de l’individu aux
préceptes moraux de l’abstraction. De la sorte, le représentant du système noue-t-il un lien
étroit avec le « for intérieur » des individus pour s’assurer de la continuité et de la pérennité
des valeurs de son référentiel absolu. C’est ce rapport que nous nous proposons d’étudier,
car structurant la définition du for intérieur et permettant de saisir la place et le pouvoir de
Psychologies.
Le for intérieur comme instance de contrôle par l’Eglise de l’âme des pécheurs,
sous l’ancien régime
Initialement, une opposition existe entre « for extérieur ou externe » et « for
intérieur ». Le « for extérieur » renvoie au fonctionnement et respect des lois, à la bonne
application de la justice, alors que le « for intérieur » fait appel à l’intériorité spirituelle des
individus, au respect des lois divines. Dans le cas du « for extérieur », le système normatif
est bicéphale. En effet, « le for extérieur est le tribunal des hommes, l’autorité de la justice
humaine qui s’exerce sur les personnes et sur les biens. Il y a deux forces, le civil et
l’ecclésiastique. »45
La dualité n’est donc pas celle entre l’individu et la société, mais plutôt
entre la société civile et la société religieuse soumises toutes les deux à la notion de justice.
Le tribunal des hommes rend une justice ecclésiastique ou civile, selon que les règles
dépendent d’un des deux champs. Ainsi le « for extérieur » est marqué par une tripartition
individu / tribunal / référentiel normatif. C’est un espace juridictionnel double, entre d’une
part le civil normatif et d’autre part l’ecclésiastique normatif.
Le « for intérieur » est une juridiction extérieure jugeant les troubles de l’âme :
« Le for intérieur de l’Eglise est la puissance spirituelle que l’Eglise tient de Dieu seul, &
43
Sfez (Lucien), La Politique symbolique, PUF Quadrige, 1993, page 15
44
Sfez, ibidem., page 48
45
Dictionnaire universel François Latin, vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux, 1771 (Tome 4, p 236)
L’ensemble des définitions de ce paragraphe est issue de ce dictionnaire
29
qu’elle exerce sur les âmes & sur les choses purement spirituelles. » Seul le divin peut le
pénétrer la conscience, par l’intermédiaire du prêtre, représentant de Dieu lors du processus
de la confession, les choix moraux se faisant par rapport à un référentiel transmis par son
représentant. Le schéma ternaire est respecté : individu (conscience) / représentant de Dieu
(prêtre) / Dieu (référentiel absolu). Le « for intérieur » n’est donc pas la propriété de
l’individu, mais un jugement sur l’âme et l’intériorité de l’être humain – la psyché future –
par une instance supérieure. L’omniscience de Dieu exige un contrôle permanent de l’âme,
qui n’est pas autonome mais aux mains du confesseur. L’individu ne peut seul se référer
aux normes supérieures, et s’autoréguler car il n’a pas l’autonomie de la conscience et la
compétence de l’absolution. Le prêtre46
comme lien entre le pêcheur et Dieu permet une
extériorisation du for intérieur et une symbolisation, en faisant de la faute un pêché, en
élevant le crime factuel en offense spirituelle, en présentant l’âme du pêcheur à Dieu et à
lui-même. « C’est ainsi qu’on dit qu’un homme est absous dans le for extérieur, in foro
fori, devant les hommes, dans le for de la conscience, devant Dieu. »47
La laïcisation du
« for intérieur » évacue la pénétration permanente de la conscience par Dieu, et autonomise
la faculté individuelle de juger.
La laïcisation du for intérieur au XIXème
siècle
La définition proposée par Louis-Nicolas Bescherelle48
, un siècle plus tard, évacue
le « for extérieur » de l’église pour ne caractériser que « l’autorité de la justice qui s’exerce
sur les personnes et sur les biens, en vertu des lois positives. » L’étymologie est par ailleurs
réduite à la seconde acception : « forum, lieu où l’on plaide » mettant de côté la notion
d’espace de rassemblement, qui est sous-entendue.
Une séparation entre individu et citoyen s’opère, notamment avec Rousseau et
Hobbes qui distinguent liberté de pensée (en son for intérieur) et liberté d’expression
(traduction de son for intérieur sur la place publique). Pour Rousseau, le « droit divin
naturel » est issu de la religion de l’homme « bornée au culte purement intérieur du
46
« Le prêtre-directeur de conscience aide le pénitent à pénétrer dans les replis les plus cachés de son âme
afin de lui montrer l’impureté de son For Intérieur une fois celui-ci oralisé et extériorisé. » Dubois
(Françoise), « La confession » in CURAPP, Le For intérieur, PUF, 1995. P 297
47
Dictionnaire universel François Latin, vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux, 1771 (Tome 4, p 236)
48
Bescherelle (Louis-Nicolas) Dictionnaire national ou Dictionnaire universel de la langue française, édition
numérique Gallica-bnf 1856, tome 1. Page 1278,.
30
Dieu »49
, et s’oppose à la religion du citoyen dont « son culte extérieur (est) prescrit par
des lois »50
. Cette dualité stipule l’existence d’un « for intérieur » pour l’homme qui
permettrait la liberté de pensée et de croyance, mais non pour le citoyen dont la volonté
particulière doit s’effacer devant la volonté générale tendue vers l’intérêt général. Le for
intérieur s’intériorise et se laïcise.
Hobbes opère une autonomisation du « for intérieur » en laissant à chacun la
liberté de pensée en l’opposant à la liberté d’expression. Chacun peut « en son for
intérieur » penser, être déviant, mais en tant qu’individu citoyen en société, la faculté
d’expression est réprimée car susceptible d’engendrer des troubles. L’opposition homme et
citoyen est instaurée. Le « for intérieur » est inscrit dans la sphère privée quand il s’agit de
celui de l’individu et est publicisé quand il s’agit du citoyen, sous certaines conditions
favorables au respect de la paix civile : « La reconnaissance moderne de la citoyenneté
implique ainsi une double reconnaissance : celle du for intérieur de l’individu, c’est à dire
un espace privé échappant à toute emprise publique, mais aussi celle du for intérieur du
citoyen, c’est à dire d’un espace de délibération intérieure du citoyen. »51
L’homme est
donc un individu libre mais soumis, en tant que citoyen, aux règles sociales et non plus
divines. Cette individualisation de l’homme permet une intériorisation du « for intérieur »,
dès lors que les puissances spirituelles de l’église se soumettent de plus en plus aux
puissances rationnelles de l’Etat de droit.
Louis-Nicolas Bescherelle ajoute une dernière définition du « for » : « For.
Particule invariable (du latin foris, dehors). Ajoute au mot une idée de position en
dehors. »52
Ainsi l’expression « for intérieur » sous-entend une extériorisation de
l’intérieur de l’individu, cette définition allant à l’encontre de l’usage courant de « for
intérieur » perçu comme sphère secrète de l’individu, peut-être dû à un mauvais jeu de mots
entre « for » et « fort », déformation homonymique. Le « for intérieur » serait donc par
extension le résultat visible de la délibération de soi à soi après jugement. Ceci est tout à
fait concevable en considérant le « for intérieur » du citoyen tel qu’il a été décrit par
Hobbes, car ce « for intérieur » est en quelque sorte publicisé dès lors qu’un débat public
49
Rousseau (Jean-Jacques), Du Contrat social, Chap 4.8, De la religion civile
50
Rousseau (Jean-Jacques), Du Contrat social, Chap 4.8, De la religion civile
51
Rangeon (François), « Citoyenneté et for intérieur », in CURAPP, Le For intérieur, PUF, 1995, p 109
52
Bescherelle (Louis-Nicolas), Dictionnaire national ou Dictionnaire universel de la langue française, 1856,
tome 1. P 1278
31
est en jeu, qu’il concerne non pas l’individu mais le citoyen. L’intériorité peut être
extériorisée, Psychologies jouera de cette faculté et de la confusion des repères distinctifs
entre le politique et le privé.
Distinction entre surmoi et for intérieur.
En tant que tribunal de la conscience, le « for intérieur » ne devrait être lié qu’avec
les parties conscientes, délaissant les parties inconscientes dans l’ombre, or le « surmoi »
est invoqué comme faculté de juger autonome et de contrôle individuel, alors que le « ça »
n’est que pulsions et affects animaux. Cette observation, relativement simple permet de
faire un lien direct entre le « surmoi » et le « for intérieur », dans la mesure où tous les deux
sont attachés consciemment à la morale. Le « surmoi » est régi par des mécanismes
particuliers qui sont la « conscience morale » et l’ « idéal du moi ». Le « for intérieur »
relève des « lois naturelles de la morale » dont les logiques sont relativement mystérieuses.
Or les deux servent à l’intériorisation de normes extérieures, qu’elles soient parentales ou
sociétales.
Ainsi à première vue, le « surmoi » est individuation inscrite dans le processus
d’introjection des normes familiales, alors que le « for intérieur » serait l’introjection de
normes sociétales dans un individu en constitution. En introduisant un troisième élément
entre ces deux termes, le lien individu et société peut être comblé par l’instance de
légation primaire : la famille. Le problème de la transmission des valeurs et de la filiation
est soulevé. Les parents en tant qu’individus constitués et « êtres sociaux » peuvent être la
première interface entre le « moi » et la société avant qu’il y ait émancipation. En façonnant
un « idéal du moi » inconscient, de par les différentes observations faites sur l’ordre des
choses auprès de l’enfant, ils créent des interdits qui seront ressentis par la « conscience
morale ». L’enfant apprend qu’il ne peut tout faire. Ainsi le « surmoi » est une instance de
censure des pulsions premières. La première fonction est celle d’« auto-condamnation ».
Les normes sont intégrées. Or une fois le cadre fixé, l’enfant s’émancipe, est amené à faire
des choix d’action au niveau sociétal, et non plus pour lui même. S’il sait ce qu’il ne peut
pas faire en tant qu’individu, il ne sait pas ce qu’il doit faire en tant qu’ « être social ». La
première expérience du « surmoi » est une « pré-vision » organique des contraintes morales
à venir qui animeront le « for intérieur ».
32
Le « surmoi » joue un rôle d’intériorisation de valeurs au niveau interne
individuel, pour constituer l’individu en tant qu’entité unique et homogène, créant ainsi les
attributs de la personne. Le « for intérieur » concernerait l’ « être social », c’est à dire
l’individu en relation non plus avec lui-même mais avec autrui. D’où une certaine
ambiguïté sur le terme de « for intérieur » qui se lève. Le « surmoi » est le jugement
constitutif de soi à soi, alors que le « for intérieur » est le jugement de soi par rapport au
monde extérieur. Le terme de « for » en tant que préposition marquant l’extériorisation
acquiert tout son sens : l’individu ne juge pas le monde par rapport à lui-même, ce qui
serait une vision égocentrique, mais se projette en dehors (fors) de lui-même dans le monde
extérieur. Son intimité est jugée selon les règles extérieures, le « moi » devient dual,
interface entre l’intériorité et l’extériorité53
. Un mouvement de retour s’effectue après s’être
frotté au monde extérieur, l’individu se replie sur son intérieur54
, juge ce monde extérieur,
son moi dans le monde extérieur, avec ses instances internes de jugement, « en son for
intérieur ». « Dans la conception analytique freudienne, le moi garde des fonctions
médiatrices, puisqu’il est «situé», dans les topiques, «entre» le ça et le surmoi. Mais, et
c’est là que porte la mutation, l’extériorité est à l’intérieur du sujet. »55
Cette approche en
terme de topique inscrit le moi dans l’acception de lieu faisant lien. Ainsi le « moi » doit-il
composer avec deux parties conscientes : le « surmoi » qui serait les règles de conduites
intérieures premières et le « for intérieur » en tant que règle de comportement extérieur. Or
ces deux règles se rapportent à l’homme, tiraillé entre son impératif d’être (individu) et son
obligation d’action sociale (être social). Le « surmoi » est acquis pendant l’enfance, lors du
processus d’individuation, alors que le « for intérieur » peut s’inscrire en tant que deuxième
53
L’unité du moi est postulée, la division entre « moi individuel » et « moi social » de William James est une
dichotomie inadéquate à notre propos. L’individu demeure lui-même, même s’il appartient à différents
groupes, il ne change pas mais s’adapte, aussi cette pluralité de « moi » évoquée dans Principles of
Psychology, doit être centralisée en un seul moi présentant différents aspects. Bergson nous éclairera dans la
deuxième partie.
54
Cette démarche peut s’apparenter à celle de Descartes dans son Discours de la méthode : « Mais après que
j’eu employé quelques années à étudier ainsi dans le livre du monde et à tâcher d’acquérir quelque
expérience, je pris un jour la résolution d’étudier aussi en moi-même, et d’employer toutes les forces de mon
esprit à choisir les chemins que je me devais suivre. » Discours de la méthode, 1ere
partie, Librio, page 16.
Connaissant l’extérieur, l’inconnu réside en lui. Or Descartes posera comme principe la véracité de tout ce qui
se présente claires et distinctes à nos yeux, que nos idées et notions le sont, car inculquées par Dieu. (4ème
partie). Or l’individu doute de ses décisions dès lors que Dieu l’abandonne, qu’il est postulé qu’il est lui-
même le propre producteur de ses normes et référents ; dans la conception freudienne, les décisions sont
structurées par l’inconscient, notamment le surmoi. Lacan considèrera l’inconscient comme un langage.
55
Clément (Catherine), « moi » in Encyclopedia Universalis, édition numérique, 1995
33
étape corrélative de la première, lorsque l’individu constitué se confronte au monde,
découvre l’altérité et perd sa conception sollipsiste. L’avènement du for intérieur comme
grille de lecture du moi provoque une confusion entre la dimension personnelle et la
dimension sociale.
Le for intérieur se dilue en société de la communication
Le « for intérieur » est passé d’une instance de régulation extérieur à une instance
de régulation interne toujours en présence d’un tiers détenant les clefs de la vérité. Ce
passage d’une juridiction religieuse à une analyse psychologique met en avant la laïcisation
et l’individualisation de la faculté de juger de chaque individu. Le for intérieur comme
nouvelle grille de lecture de l’intériorité, met en avant la dimension sociale de cette grille
qui initialement relève du citoyen, alors que l’inconscient concerne le sujet psychanalysée.
Cependant une confusion et une dilution de ce for intérieur s’opère. La distinction
public / privé n’est plus dans l’acception contemporaine de for intérieur, perçu simplement
comme tribunal de la conscience, comme lieu et mécanisme de jugement. Il devient
technicisé, c’est à dire un ensemble de processus délibératoires dont le but est de trouver
une solution.
La multiplication des référentiels délite les repères constitutifs de l’identité.
L’extension du domaine des possibles incite l’individu à ne plus se référer à des normes
supérieures qu’il distingue difficilement considérant leur multiplication, mais à se tourner
vers soi et de produire lui-même ses propres codes et règles. En parallèle, la
psychologisation de la société tend à porter sur la place publique des préoccupations
d’ordre privé, créant une interaction entre les deux espaces et contribuant à cette
interpénétration qui modifie les repères. En tant que nouvelle grille de lecture, le for
intérieur est « psychologisé » et étendu comme moyen de juger aux deux domaines. Le
retour du souci de soi traduit un repli sur soi : « Quand on ne croit plus ni en Dieu ni en
Marx, on ne peut croire qu’en soi-même. »56
56
Perla Servan-Schreiber, cité dans Mehl (Dominique), La Bonne Parole, La Martinière, Paris, 2003, page
227
34
Dans une société marquée par la communication, où l’égalité et le réseau
remplacent la hiérarchie et les structures pyramidales57
, l’individu est potentiellement au
même plan que n’importe quel autre individu : chacun est l’égal de l’autre, et surtout aucun
ne peut dominer l’autre. Dès lors chacun peut être capable d’édicter ce qui est bien ou mal,
en fonction de son référentiel de valeur, qui n’est plus commun mais individualisé, ce qui
crée une certaine concurrence au niveau de la légitimité des normes. Cette dérive relativiste
remet en question le tiers détenant la vérité apparaissant de plus en plus comme le
semblable. Le sentiment de délitement du lien social, et l’intrusion des nouvelles
technologies bouleverse le rapport à l’autre. Ce double processus incite l’individu à vouloir
considérer l’autre comme son semblable, malgré ses différences. Psychologies répond à
cette attente en proposant une intériorité standardisée. C’est en ce sens que l’entreprise
opère une normalisation des individus.
La chute des grandes institutions contribue à contester l’ordre supérieur même
marqué du sceau de l’échec. Ces remises en cause plongent l’individu face à lui-même,
mais l’ « individu souverain », dont le for intérieur est indépendant et autonome, producteur
de ses propres lois, laisse place à l’ « individu incertain » dont l’incapacité à assumer sa
responsabilité le pousse à une demande d’ordre non plus social mais d’ordre interne. Dès
lors apparaît la demande commune d’une nouvelle normativité de l’intériorité en
adéquation avec non plus avec un intérêt collectif mais avec un intérêt individuel.
Psychologies en tant qu’entreprise de soi, propose une offre de normativité de soi comblant
ce besoin individuel, et non plus social, d’autocontrôle volontaire.
57
« Quel que soit le domaine envisagé (entreprise, école, famille), le monde a changé de règles. Elles ne sont
plus obéissance, discipline, conformité à la morale, mais flexibilité, changement, rapidité de création, etc. »
Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob Poches, 2000 p 236
35
ANNONCE DU PLAN
Cette présente étude se composera de quatre chapitres analysant cette fiction du
bien être. Car Psychologies instaure une réelle fiction, en offrant une trame narrative
simple : un héros (moi) une quête pacifique (le souci de soi). Aidé par des armes magiques
(les techniques de soi), il rencontrera des amis (les référents), devra lutter contre des
démons intérieurs (ses autres moi), affrontera des épreuves (les tests) qui lui apporteront la
lumière (intérieure) afin d’accéder au Saint Graal (le bien être). Ce schéma, certes
simpliste, présente l’avantage de résumer les différents acteurs de cette étude. Chaque
fiction instaure un « “effet de récit”, une production d’actions par le récit, à tout le moins
production d’identité. »58
Le but de Psychologies est d’aider son public à accéder au bien-
être, de l’aider à « mieux vivre sa vie », le libérer de ses craintes, de ses tourments. En tant
qu’entreprise médiatique, cette volonté se matérialise par la diffusion d’un message sur
différents supports (internet, journal et télévision). Psychologies encourage par son discours
l’individu à se soucier de lui, mais en aucun cas ne le prend en charge directement : elle
produit un récit répondant à une demande. Cette démarche n’est pas altruiste, car si
l’intériorité est une construction sociale, elle est transformée en marchandise, ce qui sous-
entend un enjeu de pouvoir pour la conquête des nouveaux marchés. Il s’agit dès lors de
séduire le consommateur. Deux temps sont nécessaires à cette mise en place, l’émergence
d’un espace de formulation de la demande de bien être, et la mise en place d’un dispositif
d’offre de référentiel idéologique avec un ensemble de techniques de soi.
Pour que la « psy »59
devienne une demande sociale, il est nécessaire de produire
les conditions sociales et médiatiques de son émergence (1ère
partie). Ce premier processus
consiste à mettre en place un espace public où la psychologie pourra devenir sujet de
préoccupation grâce à l’ouverture d’un espace public médiatique (chapitre I), puis d’offrir
la possibilité de formuler cette demande avec la mise en place d’une culture psy (chapitre
II).
58
Sfez (Lucien), Technique et idéologie, Le Seuil, Paris, 2002, page 234
59
Définitions dans la première partie.
36
La télévision peut être considérée comme un espace public dans la mesure où sont
portés à l’écran, sous formes de symptômes hypertrophiés, les préoccupations de la société,
s’instaurant comme lien entre les attentes et permettant la formulation de cette opinion
public. Selon Alain Ehrenberg, les médias « ouvrent un espace public pour mettre en forme
la réalité psychique et façonnent le style d’une psychologie pour les masses. »60
La
télévision permet de créer un espace virtuel public pour la « psy » et les « psys ». La
psychologie n’est apparue que récemment dans les médias audiovisuels. La première
émission radiophonique donnant la parole à l’auditeur remonte à 1967, avec Ménie
Grégoire. La psy quitte les canapés feutrés des cabinets pour s’installer à la télévision en
1983 avec l’émission Psy-Show. En vingt ans, les médias accordent une place de plus en
plus prépondérante à la « psy » et aux « psys », jusqu’à devenir une réelle grille de lecture
de la télévision de la réalité. Aussi semble-t-il nécessaire de faire une histoire de la psy et
des psy à la télévision, comme généalogie de la naissance de l’espace public de la psy
médiatique qui permet l’avènement de Psychologie. L’entreprise médiatique n’existe que
depuis 1998, lancé par Jean-Louis et Perla Servan-Schreiber. Une politique d’image a été
nécessaire pour s’installer dans cet espace public, en tant que référence dans le domaine de
la « psy ». De par ce double processus historique, un espace public est mis en place pour
permettre l’extension de la psy sur les médias (chapitre I)
En parallèle l’opinion publique peut trouver un terrain pour s’exprimer mais doit
avoir la capacité à formuler sa demande. Tout un ensemble rhétorique est nécessaire,
l’apprentissage d’un langage permet de saisir certaines nuances imperceptibles avec un
vocabulaire limité. « Les médias déculpabilisent leur lecteur et facilitent l’émergence d’une
nouvelle demande en fournissant les mots pour les formuler. »61
Ce rôle d’apprentissage est
pris en charge par Psychologies qui développe une grammaire de la psy adaptée à l’offre
future. Le pouvoir performatif de la langue n’est pas négligeable. Un ensemble de
références idéologiques viennent corroborer cette première démarche, donnant un socle
théorique à cette demande. De par le référentiel d’auteurs, l’entreprise oriente la demande
psychologique. La langue et les textes permettent une psychologisation de la société, étant
donné que le cadre de formulation et les références théoriques évacuent toute dimension
60
Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob Poches, 2000 page 143
61
Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob Poches, 2000 page 143
37
sociale, et par conséquent ne peuvent permettre à l’individu de formuler de telles
revendications. Une « culture du psy » est mise en place (chapitre II), terrain favorable à
l’acceptation de l’offre idéologique de Psychologies.
Afin d’accéder au bien-être et de répondre aux aspirations individuelles,
Psychologies présente un système intégral prenant en charge ce souci de soi (2ème
partie).
La mise en place de système d’accompagnement de l’individu nécessite l’adhésion à
l’idéologie de soi, comme nouveau référentiel normatif (chapitre III), et tout un dispositif
de technique de soi assurant aux individus un autocontrôle volontaire (chapitre IV)
L’idéologie du bien-être n’est qu’une facette de l’idéologie de soi, qui consiste à
ériger l’individu en référentiel absolu, et par conséquent lui suggérer que tout est possible,
que tout est question de point de vue, que la réalité n’est qu’un produit de sa subjectivité.
L’entreprise parvient à renverser l’ensemble des contraintes en valeurs individuelles :
l’instantanéité permet le retour du carpe diem, la pluralité des référentiels est une chance de
trouver dans chacun les éléments propices à l’essor spirituel, la communication devient
l’outil magique pour résoudre tous les conflits. Il est nécessaire de croire en soi, car cultiver
l’estime de soi, permet de s’affranchir des contraintes sociales, de canaliser ses efforts pour
son accomplissement personnel. La leçon inculquée est simple : tout est question de point
de vue, il n’y a de vérité que la sienne, nos émotions dépendent de notre volonté. Cette
idéologie de soi enserre l’individu dans une conception subjective, ce qui permet à
l’entreprise de faire croire en la possibilité de changer le monde en se changeant soi-même.
L’individu renoue avec l’action, devenant le propre objet de ses attentions. (chapitre III)
Cependant, malgré la volonté stimulée par cette idéologie, le public ne peut
accéder au bien être que par l’intermédiaire de techniques promues par l’entreprise. Ces
techniques sont un ensemble de procédés plus ou moins scientifiques, d’influences
diverses, emprunt au mysticisme et à la médecine traditionnelle. Contrairement à la
psychanalyse classique, elles abordent le sujet d’un point de vue contextuel, l’insérant dans
l’instant présent. L’idéologie de soi était donc nécessaire pour légitimer leur usage.
Psychologie informe le public de leur existence, abordant les problèmes pratiques, tels que
le coût, la durée, le type de relation avec le professionnel, et l’incite à consulter. Ensuite
tout un dispositif de techniques permettent d’accompagner l’individu au quotidien. Les test
38
permettent de se comprendre mais risquent de techniciser l’âme de par leur approche
symptomatique, toutefois le but est de parvenir à une auto-médicamentation. Enfin cette
idéologie et ces techniques de soi permettent la constitution de l’autocontrôle volontaire.
(Chapitre IV)
39
1ère
partie
Les conditions sociales et médiatiques de
l’émergence de la « psy »
40
CHAPITRE I : HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE A LA TELEVISION ET
EMERGENCE DE L’ENTREPRISE PSYCHOLOGIES
La présence du « psy » et de la « psy » dans les médias connaît une véritable
extension depuis ces vingt dernières années. Quels que soient les supports, le psy est
présent pour parler de la psy. Dans un premier temps est-il possible de considérer comme le
psy celui qui se prétend professionnel, interprète de la psy. La psy renvoie à la notion de
psyché et de tous les avatars conduisant à une introspection de l’intimité des individus.
Cependant le psy peut aussi être considéré comme le domaine relevant de la psy, c’est à
dire tout ce qui est psychologique au sens large du terme, c’est à dire tout ce qui relève de
la psyché, alors que les psys seraient les professionnels de ce domaine. La confusion
sémantique met en avant la confusion générale lorsqu’il s’agit de définir les professionnels
(psychologues, psychiatres, psychothérapeutes, développement personnel) et l’activité
relative à un domaine particulier (psychologie, psychanalyse, psychothérapies, recherche de
soi). Ainsi une convention doit-elle être passée : le psy est le domaine de la psy, les psy
sont les représentants du domaine.
Dans cette partie historique, nous tenterons d’esquisser l’évolution de la psy et du
psy dans les médias, avec leur première apparition à la radio et leur arrivée à la télévision.
La psy et les psys forment un couple souvent uni à chaque nouveau concept d’émission et
très vite séparé lorsque le nouveau genre d’émission est généralisé, la psy passant du champ
de compétence réservé au psy, vers une dilution de ce champ de compétence dans les mains
de l’animateur. Toutefois la psy, jusqu’alors asservies aux besoins télévisuels, trouve son
autonomie en faisant l’objet d’émissions informatives et culturelles. Cette transition permet
l’émergence de Psychologie.
L’émergence de l’entreprise Psychologies sera présentée dans la deuxième partie,
où nous nous attacherons à la politique de l’image. Psychologies se sert des médias pour
étendre son influence, renversant la tendance. Cette constitution d’une image de marque
tend à en faire un référent de la culture commune, image qui pourra être déclinée sur de
nombreux supports et domaines, notamment l’émission télévisée dont nous présenterons la
trame narrative et les dispositifs techniques.
41
I) L’APPARITION DU PSY ET DE LA PSY A LA TELEVISION
La psychologie apparaît en premier dans les médias sur les ondes radiophoniques.
La radio est l’instrument de la parole et semble naturellement se prêter à la psychologie, qui
est fondée sur un échange entre le consultant et le professionnel. La connaissance de soi
passe par une formulation orale des non-dits structurant la pensée. La radio permet de
retranscrire cet exercice en créant un nouvel espace public pour une parole relevant
initialement de l’intimité. Ménie Grégoire instaure un premier dialogue avec l’auditeur, sur
le ton de la confession. Françoise Dolto privilégie la réflexivité individuelle en
encourageant l’auditeur à lui écrire, lettre qu’elle analysera et commentera ensuite en
compagnie de Jacques Pradel. La parole intime sort du carcan privé pour trouver une place
dans l’espace public. Ce processus continuera avec notamment l’émission emblématique
des jeunes, Lovin’ Fun dans les années 1990, combinant le commentaire de l’écrit et le
dialogue direct avec l’auditeur.
L’arrivée de la psy à la télévision instaure une nouvelle dimension, puisque à la
parole seule qui protégeait l’individu, ne s’exposant que par des propos audibles, est
incarnée dans l’image télévisuelle. Le psy est physiquement présent et perceptible par le
téléspectateur qui assiste à un spectacle de l’intimité, très vivement critiqué avec la
première de Psy-show, en 1983. La psy sert dès lors de grille de lecture pour accompagner
un nouveau sujet télévisuel : l’individu ordinaire qui, de téléspectateur, devient acteur de
ses émissions. Cette intrusion de la réalité dans la télévision permet à la psy de devenir une
nouvelle grille de lecture de l’expérience individuelle. Cependant le monopole de la psy,
jadis aux mains du psy, s’effrite pour être réutilisé par l’animateur qui en fait une arme pour
mener ses talk-show. L’apparition de la télé-réalité et des jeux mettant en scène des
individus dans des conditions reconstituées de réalité, nécessite le recours au professionnel
de la psy qui initie tout un mouvement de décryptage de l’invisible.
Ainsi la psy, initialement représentée par le professionnel, se banalise aux mains
de l’animateur. A chaque nouveau type d’émission il est possible de constater ce retour du
psy, qui légitime l’usage d’une telle grille de lecture, puis la vulgarisation par l’animateur
qui s’en sert à son compte.
42
A) L’apparition de la psy dans les médias
1) La radio, où la naissance médiatique de la psy
La radio, associée au téléphone, est le premier média à tisser une relation directe
entre l’animateur et l’auditeur, permettant la constitution d’une échange, d’un dialogue
audible par le plus grand nombre. Une relation d’intimité est envisageable. A partir de
1967, Ménie Grégoire anime pendant quatorze ans sur RTL une émission particulière
mettant en scène les auditeurs, sur le mode de la confession, abordant le thème de
l’éducation sexuelle. Des auditeurs sont appelés à témoigner, les plus représentatifs sont
diffusés afin de donner leur avis et faire part de leurs problèmes. L’émission est diffusée en
différé pour pouvoir mettre en place une censure. L’originalité d’une telle émission est la
« mise en place d’un dispositif inédit des plaintes ordinaires »62
. Chacun peut exprimer son
opinion par ce média qui rend public des préoccupations privées.
En 1976, Françoise Dolto, anime une émission d’un nouveau genre sur France
Inter, Lorsque l’enfant paraît. Il ne s’agit pas de psychanalyse en direct, mais plutôt d’une
analyse des lettres des auditeurs, car l’écriture est un élément primordial dans la
compréhension de soi : « parce que rester chez soi, prendre une feuille blanche, sa plume
et commencer à mettre sur le papier ce qui nous trouble, c’est déjà un premier pas. »63
Présentée comme une émission de « bon sens », et non pas officiellement comme une
émission psy, l’émission consacre l’arrivée du psy dans les médias grand public en tant que
détenteur légitime de la grille de lecture de l’intimité.
En septembre 1992, l’émission Lovin’ fun connaît un succès sans précédent pour
les 13-25 ans sur la station Fun Radio. Composée du tandem Doc (Christian Spitz, pédiatre)
et Difool, le trublion dédramatisant la situation par ses blagues, l’émission aborde des
problèmes touchant les jeunes, analyse les lettres des auditeurs sur le modèle de Françoise
Dolto, et reçoit en direct les coups de fils des auditeurs, mettant en place un « modèle de
62
Cardon (Dominique), « Chère Ménie… » in Réseaux n°70, page 2
63
Entretien Sylvia Lakhoff de Jacques Pradel citant françois Dolto, Lakhoff (Sylvia) « Psy mania sur toutes
les chaînes » in Les Dossiers de l’audiovisuel, INA, septembre octobre 2003
43
réflexivité »64
. Les thèmes sont les relations amoureuses, les problèmes sexuels, les
questions de société, les relations avec les parents. Actuellement Christian Spitz anime une
émission de coaching psychologique, le Christian Psy Show sur RMC info.
Ces émissions ouvrent un espace public de parole privée, conférant une dimension
sociale à l’intériorité, l’intimité, le for intérieur individuel. Se comprendre par l’expérience
individuelle d’autrui était le schéma directeur principal. Le psy opère le passage du cas
singulier en expérience collectivement applicable, propose une nouvelle grille de lecture de
soi, et légitime l’usage de la psy comme instrument de connaissance.
2) Psy-show ou la première exposition de l’intimité à la télévision
Le psy à la télévision fait une entrée fracassante. L’émission Psy-show peut être
considérée comme la première à faire entrer le psy sur la scène publique. En octobre 1983,
sur Antenne 2, la première émission fait scandale en présentant un couple marié, Viviane et
Michel, abordant un thème jusqu’alors absent de la télévision : les problèmes personnels
intimes. Le thème de l’émission est synthétique et marque une rupture avec les émissions
précédentes : « Mon mari souffre d’éjaculation précoce, et je n’ai jamais éprouvé de plaisir
avec lui. » C’est un psychanalyste de renom, Serge Leclaire qui anime la « séance
télévisée », créant une révolution dans l’approche de la télévision : ce qui relevait du secret
médial ou de l’intimité se trouve exposé aux yeux du plus grand nombre. Pascale Breugnot,
productrice de Psy-show prétend rompre avec la « télévision tisane »65
pour laisser la place
à une « télévision active » capable de susciter de l’émotion chez le téléspectateur mais aussi
proposant d’offrir un nouveau cadre d’expression de soi pour l’individu. Il s’agit de jouer
sur deux nouveaux fronts, tout en faisant du premier une avancée en ouvrant la télévision à
la parole du profane. Toutefois il ne s’agit pas d’une réelle thérapie en direct mais d’un
espace d’expression des malheurs et problèmes quotidiens. « Psy-show fut un événement
pour la télévision et un non-événement pour la société, parce que l’entrée du for intérieur
sur le petit écran s’est produite alors qu’il régnait déjà partout dans la société. »66
Le for
64
Rui (Sandrine), « La foule sentimentale », in Réseaux n°70, page 6
65
Cité dans Ehrenberg (Alain), L’Individu incertain, Pluriel, 1995, page 167
66
Ehrenberg (Alain), ibidem, page 169
44
intérieur comme lieu d’expression des troubles de l’âme se publicise, s’ouvre et dévoile ses
logiques. Les maux, dilemmes, querelles, tensions, non-dits se projettent sous le regard du
psychanalyste. Les logiques secrètent se révèlent, et par conséquent deviennent une
référence possible pour le téléspectateur. La voie est ouverte à une possible technicisation
de cette capacité de jugement en proposant à des individus des modèles d’analyse de soi :
« On n’est pas là pour dire aux téléspectateurs ce qu’ils doivent penser, mais pour leur
fournir matière à réagir. »67
En effet, le drame individuel est postulé, les difficultés
quotidiennes trop longtemps refoulées, Psy-show met à jour tout ceci en stipulant que le
téléspectateur est resté trop longtemps victime de la télévision tisane. Matière à réagir mais
aussi matière à agir en érigeant en exemple les cas présentés, en élevant le cas particulier à
généralité. Toutes les femmes dont le mari souffrent d’éjaculation précoce pourront
s’inspirer des conseils prodigués par l’émission, ouvrir un dialogue avec le mari ou les
proches, rompre le tabou (qui n’est plus tabou car présent à la télévision). Le mode de
présentation du thème peut devenir un référent pour le téléspectateur. Dès lors que le for
intérieur se publicise, la liberté de constitution individuelle est atteinte, car la liberté
d’errance en son for intérieur, l’intimité des logiques intérieures pour trouver une solution
se trouvent sorties de la zone d’ombre, présentées telles quelles. Or le plus grand nombre
peut préférer utiliser un résultat que de construire et chercher le résultat. Nous achetons de
plus en plus de salades en sachet, pourquoi la choisir, la nettoyer, l’essorer, la couper,
sélectionner le blanc ou le vert, écarter les feuilles passées alors que le résultat fini est
offert. Juste un peu d’assaisonnement à son goût, et la salade est prête. En se positionnant
comme matière à réagir, Psy-show propose une offre de vision de l’intimité et des recettes
de résolution des problèmes. Evidemment chacun peut améliorer ses recettes, modifier les
ingrédients, mais la base demeure la même. Ce spectacle de la réalité « maintient le lien
entre l’individu et le monde – et c’est la fonction phatique de la communication – et
l’interprète en le mettant en scène pour le spectateur. »68
Psy-show est donc la première
émission à interpréter le lien entre l’individu et son for intérieur en l’interprétant, or chaque
interprétation réduit la vision originelle, oriente les conceptions, édicte des règles
d’interprétation se confortant à la logique de « conviction du sens commun » mise en avant
par Esquenazi : « il serait possible de découvrir l’âme de la personne en la regardant au
67
Ehrenberg (Alain), ibid., page 169
Mauco, La quête de soi, une idéologie médiatique de l'intériorité, 2004
Mauco, La quête de soi, une idéologie médiatique de l'intériorité, 2004
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Mauco, La quête de soi, une idéologie médiatique de l'intériorité, 2004

  • 1. 1 UNIVERSITE DE PARIS I, PANTHEON SORBONNE Département de Science politique Ecole doctorale de science politique, (ED 119) Directeur : Lucien Sfez La quête de soi, une idéologie médiatique de l’intériorité Entre artificialité, normativité et standardisation : le cas de Psychologies Présenté et soutenu publiquement par M. Olivier Mauco Mémoire pour le DEA « Communication, Technologies et Pouvoir » Sous la Direction de Mme Brigitte Le Grignou Septembre 2004
  • 2. 2
  • 3. 3 Avertissement : L’université Paris I Panthéon-Sorbonne n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires ou doctorats. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
  • 4. 4 UNIVERSITE DE PARIS I, PANTHEON SORBONNE Département de Science politique Ecole doctorale de science politique, (ED 119) Directeur : Lucien Sfez La quête de soi, une idéologie médiatique de l’intériorité Entre artificialité, normativité et standardisation : le cas de Psychologies Présenté et soutenu publiquement par M. Olivier Mauco Mémoire pour le DEA « Communication, Technologies et Pouvoir » Sous la Direction de Mme Brigitte Le Grignou Septembre 2004
  • 5. 5 ABSTRACT Psychologies se présente comme un entreprise médiatique du souci de soi, destinée à promouvoir le bien-être de chacun, illustrant un nouveau rapport à l’intériorité dont l’individu incertain est la figure la plus représentative. La liberté entraînée par l’extension du champ des possibles, entraîne un déficit identitaire et un replis sur soi liés au manque de lisibilité des instances supérieures normatives. De nouveaux référentiels apparaissent consacrant l’individu : Psychologies, dont le succès est conséquent, incarne cette nouvelle quête de soi. La « psy » comme nouvelle grille de lecture de la société est de plus en plus présente dans les médias télévisuels, et tend à évacuer toute dimension sociale et politique. Psychologies répond à des attentes sociales qu’elle a elle-même suscitées en instituant une grammaire de la psy et en constituant un ensemble de référentiels littéraires qui instaurent les conditions sociales et médiatiques de l’émergence d’une culture du psy. Cette demande anticipée est toutefois orientée par la production et les logiques médiatiques qui normalisent l’individu, en proposant un ensemble de règles normatives et une image standardisée de l’intériorité. Cette nouvelle définition de l’intériorité par un média, met en exergue l’individualité comme nouveau référentiel appuyant une idéologie privée. Le lien social devient de plus en plus artificiel, soumis à la logique de signe, de nouvelles communautés d’individualités virtuelles apparaissent. Cette idéologie de soi en adéquation avec les intérêts privés consiste à exclure les dimensions sociales et à renverser les problèmes en maximes de vie, confortant l’individu dans sa conception subjective. Pour accéder au bien-être tout un ensemble de techniques de soi est nécessaire, toutefois l’autonomie visée n’aboutit qu’à une automatisation des individus. L’adoption d’un nouveau référentiel normatif privé conduit à une nouvelle forme de contrôle non plus social mais individuel : l’autocontrôle volontaire traduisant un besoin de normes intérieures.
  • 6. 6 REMERCIEMENTS Je tiens à remercier Mme Brigitte Le Grignou qui a suivi la conception, m’a judicieusement conseillé pour le développement et m’a encouragé à la concrétisation de ce travail. Je tiens aussi à remercier tout le personnel de l’Inathèque pour leur compétence et leur gentillesse. Je tiens enfin à remercier tous mes proches qui ont su m’entourer et m’aider.
  • 7. 7 SOMMAIRE Introduction 8 1ère partie : Les conditions sociales et médiatiques de l’émergence de la « psy » 39 _ CHAPITRE I : HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE A LA TELEVISION ET EMERGENCE DE L’ENTREPRISE PSYCHOLOGIES 40 I) L’APPARITION DU PSY ET DE LA PSY A LA TELEVISION 41 II) PSYCHOLOGIES, UNE ENTREPRISE UNIVERSALISTE DU SOUCI DE SOI 50 CHAPITRE 2 : LA CONSTITUTION D’UNE CULTURE DU PSY 64 I) INTRODUCTION D’UNE GRAMMAIRE DU PSY 65 II) LA CONSTITUTION D’UN REFERENTIEL 81 III) LA « PSYCHOLOGISATION » DE LA SOCIETE 94 2ème partie : Un système d’accompagnement de soi 105 CHAPITRE 3 : RENVERSEMENT ET EVACUATION DES PROBLEMES : L’IDEOLOGIE DE SOI 106 I) RENVERSEMENT DES PROBLEMES EN MAXIMES QUOTIDIENNES 107 II) CROIRE ET AGIR SUR SOI, UNE IDEOLOGIE DE SOI POUR LA QUETE DU BIEN-ETRE 133 CHAPITRE 4 : LES TECHNIQUES DE SOI POUR UN AUTOCONTROLE VOLONTAIRE 151 I) LES TECHNIQUES MEDICALES 152 II) DES PROGRAMMES DE MAINTENANCE A L’AUTOCONTROLE VOLONTAIRE 169 CONCLUSION 185 ANNEXES 187 BIBLIOGRAPHIE 189
  • 8. 8 INTRODUCTION Le souci de soi et les techniques de soi La recherche de soi est une préoccupation remontant à l’Antiquité. Michel Foucault l’a démontré dans son Histoire de la sexualité en retraçant l’évolution de ce principe et de ses pratiques. La culture de soi se traduit « par le fait que l’art de l’existence – techné tou biou sous ses différentes formes – s’y trouve dominé par le principe qu’il faut « prendre soin de soi-même » ; c’est ce principe du souci de soi qui en fonde la nécessité, en commande le développement et en organise la pratique. »1 Ce principe philosophique devient une réelle obligation morale lorsque l’insertion sociale de cette pensée et le partage de ces valeurs morales permet l’érection de cette injonction en impératif reconnu par le plus grand nombre. La dimension sociale est paradoxalement très importante dans cette pratique individualiste. En effet, la philosophie grecque définit l’ « être » comme celui dédié au « souci de soi ». Cette quête prend du temps, nécessite un certain recueillement, une rupture avec les activités ordinaires, et nécessite l’utilisation de ressources, l’aide d’autrui pour y parvenir. Ce n’est pas un exercice solitaire mais hautement social « où sont liés le travail de soi sur soi et la communication avec autrui »2 . Le travail sur soi consiste à mettre en pratique un ensemble de techniques enseignées par un maître, intégré dans de réelles institutions comme des écoles particulières. La place de l’autre lui permet d’être à tour de rôle celui qui donne et celui qui reçoit les conseils, la connaissance de soi s’élabore par la connaissance d’autrui et l’échange réciproque. La dimension sociale est à deux niveaux, le rapport à l’autre dans un échange réciproque, et l’intégration dans un groupe d’individus sous l’égide d’une institution plus ou moins formalisée du souci de soi. Le travail sur soi répond à un ensemble de pratiques, « epimeleia », combinant des actes de parole et d’écrit. Ces pratiques sont régulées par tout un ensemble de techniques : « tout un art de la connaissance de soi s’est développé, avec des recettes précises, avec des formes spécifiées d’examen et des exercices codifiés. »3 Il est possible de relever les 1 Foucault (Michel), Histoire de la sexualité. Le souci de soi (tome 3), NRF, 1984, page 57-58 2 Foucault (Michel), ibidem, page 67 3 Foucault (Michel), ibid., page 74
  • 9. 9 pratiques les plus courantes : les procédures d’épreuve basée sur des exercices d’abstinence pour « faire avancer dans l’acquisition d’une vertu et de mesurer le point auquel on est parvenu »4 , des examens de conscience présentés comme un tribunal – le for intérieur – instaurant une césure du sujet entre « une instance qui juge et un individu accusé »5 , et enfin un filtrage et un contrôle permanent des représentations, véritable travail sur la pensée se basant sur l’examen, le contrôle et le tri. Cet ensemble de techniques permet de mesurer le travail à accomplir pour accéder à la connaissance de soi, d’évaluer en permanence les acquis, de s’ériger en juge de ses actes et pensées, et de modifier le rapport au monde en exerçant un travail critique sur ses représentations. Le principe de vigilance permanente est requis comme élément nécessaire à cette quête perpétuelle. Ce « souci de soi » n’est pas subordonné à un but particulier, une sorte de finalité extrinsèque. Il ne s’agit en aucun cas de le pratiquer pour accéder à un sens offert par la philosophie ou les institutions garantes. La finalité est en soi : « il convient de garder à l’esprit que la fin principale qu’on doit se proposer est à chercher en soi-même, dans le rapport de soi à soi. »6 Ce rapport de soi à soi permet une acceptation de soi qui sera bénéfique pour autrui. Le but est de se connaître soi- même, non pas en vue d’accéder à un état particulier de bien-être ou de béatitude individualiste, mais au contraire pour savoir se contrôler dans une perspective de vie sociale. Ce « souci de soi » traduit un souci de l’autre. La dimension sociale est donc présente dans la pratique mais surtout dans sa finalité. L’émergence de cette philosophie et de ces pratiques s’explique par une érosion des cadres normatifs classiques, notamment la dimension politique et sociale qui ne saurait maintenir les fonctions individuelles en place. L’autorité publique n’assurerait plus le lien social entre les individus, et par conséquent l’émergence d’une recherche de conduites plus personnelles concurrencerait les conduites collectives. « Moins fortement insérés dans la cité, plus isolés les uns des autres et plus dépendants d’eux-mêmes, ils auraient cherché dans la philosophie des règles de conduite plus personnelles. »7 Le « souci de soi » apparaîtrait, selon cette hypothèse, dans un contexte d’incertitude, liée à l’affaiblissement de l’emprise de l’autorité publique sur la destinée individuelle, les fonctions sociales 4 Foucault (Michel), ibid., page 75 5 Foucault (Michel), ibid., page 75 6 Foucault (Michel), ibid., page 81 7 Foucault (Michel), ibid., page 55
  • 10. 10 n’étant plus aussi prégnantes, et par conséquent permettant à l’individu de se définir dans un cadre plus individuel. L’autocontrôle comme régulation du souci de soi Le contrôle de ses émotions, caractéristique du souci de soi, consiste à mettre en évidence les moyens permettant une anticipation rationnelle des conséquences liées à tels actes. Dans sa technique de tribunal intérieur il s’agit de renforcer « l’équipement rationnel qui assure une conduite sage. »8 La dimension sociale de cette pratique demeure avec son application quotidienne dans les relations humaines, ce qui au niveau politique offre la possibilité de mettre en place un gouvernement éclairé, car celui qui prétend gouverner les hommes doit savoir se gouverner lui-même. Le contrôle des émotions est donc un enjeu hautement politique. Considérant l’approche sociétale, ce contrôle de soi permet une stabilité sociale. Norbert Elias développe la notion d’autocontrôle dans La Dynamique de l’Occident. L’autocontrôle est un instrument de régulation des individus en leur for intérieur dans une société pacifiée grâce au monopole de la violence par les institutions étatiques. L’intérêt général prévalant sur l’intérêt et la volonté individuelle, il est nécessaire de monopoliser les ressources de la violence afin que l’individu en proie à ses affects et impulsions ne tente de concrétiser ses envies par un tel recours. Ceci permet l’« élargissement de son espace mental »9 , en tant que capacité à considérer les causes du passé et d’en tirer les conséquences pour le futur, et évacue l’instantanéité caractéristique des sociétés féodales où la mort imminente est potentiellement partout. Le réseau d’interdépendance des individus nécessite pour la préservation de l’entité collective la mise en place d’une autocontrainte individuelle. Il s’agit d’homogénéiser les individus, de les rendre autonomes tout en leur inculquant un ensemble de normes et de codes les contraignant à agir dans l’intérêt général. « L’autocontrôle inculqué à chaque membre de la société vise à réduire les contrastes et les brusques changements de comportement, l’émotivité dans toutes les manifestations de l’homme. En effet l’individu est invité à transformer son économie psychique dans le sens d’une régulation continue et uniforme de 8 Foucault (Michel), Histoire de la sexualité. Le souci de soi (tome 3), NRF, 1984, page 79 9 Elias (Norbert), La Dynamique de l’Occident, Pocket, 1999, page 189
  • 11. 11 sa vie pulsionnelle et de son comportement sur tous les plans »10 . Cette régulation « uniforme et pulsionnelle », originellement souhaitée par les adeptes du souci de soi antique, devient une obligation nécessaire pour maintenir l’équilibre entre individu et société. Le souci de soi n’émane plus des volontés individuelles, mais de l’autorité publique. Grâce à sa mise en place, le système démocratique, peut assurer le maintien du système économique contemporain dont les contraintes d’anticipation rationnelle des comportements, le maintien des fonctions sociales nécessitent une autodiscipline des individus. Cet autocontrôle doit tenir compte du passé et du futur, car « elles requièrent la maîtrise instantanée des mouvements affectifs et pulsionnels en prévision de leurs prolongements futurs. Elles cultivent dans chaque personne une maîtrise de soi uniforme – par rapport à d’autres normes – qui enserre dans un étau tous ses comportements. »11 L’individu intègre en son for intérieur les valeurs et normes sociales, notamment par les instances de transmission directe comme la famille ou l’école. Si le monopôle de la violence réduit la capacité à recourir à la force pour l’obtention de ses désirs, l’autocontrôle agit à la source en agissant sur l’économie psychique des individus, évacuant leurs désirs en les inscrivant dans une temporalité longue. Le souci de soi répond à un besoin social des individus, alors que l’autocontrôle est un besoin vital de la société pour maintenir la paix, et permettre sa prospérité. Ce processus de pacification et d’intériorisation de normes sociales au sein de l’individu a des conséquences sur son intégrité psychique : « Les contraintes pacifiques que ses rapports avec les autres exercent sur lui trouvent leur reflet dans son psychisme. »12 Les pulsions et émotions de chacun sont intériorisées, ne s’expriment plus dans un conflit entre les hommes, mais au contraire instaurent une lutte de chacun entre cette partie pulsionnelle et affective et celle du mécanisme d’autocontrôle. L’ennemi n’est plus extérieur mais en soi, ce que Norbert Elias résume ainsi : « dans un certain sens, le champ de bataille a été transposé dans le for intérieur de l’homme. »13 L’instauration d’une liberté d’entreprendre grâce à l’extension du domaine des possibles et la chute des interdits n’entraîne pas seulement une érosion de ces mécanismes 10 Elias (Norbert), ibidem., page 195 11 Elias (Norbert), ibid., page 196 12 Elias (Norbert), ibid., page 197 13 Elias (Norbert), ibid., page 197
  • 12. 12 d’autocontrôle, mais plutôt un sentiment d’indétermination qui au lieu de libérer l’individu, l’asservit à un mal-être. La liberté d’action indéterminée par des instances supérieures, entraîne non pas une libération de l’individu mais au contraire le plonge dans l’inaction. Le paradoxe du tout est possible et de l’incertitude : le retour du souci de soi La société contemporaine est plongée dans le paradoxe de l’extension individuelle du champ des possibles et en même temps de l’apparition de l’incertitude individuelle. Alain Ehrenberg note l’émergence des possibilités et la chute des interdits dans son ouvrage La Fatigue d’être soi, modifiant les limites régulatrices de l’ordre intérieur : « le partage entre le permis et le défendu décline au profit d’un déchirement entre le possible et l’impossible. »14 Ce nouvel ordre permet l’émergence d’un individu souverain affranchi des interdits, non pas tout puissant dans l’acception nietzschéenne, mais plutôt privé de guides et de maîtres. L’individu devient son propre maître sans en avoir eu la volonté ni les capacités. « On est de plus en plus propriétaire de soi, on en est de plus en plus le maître, mais ce soi, plus présent pour soi-même comme pour la société, est en même temps, et très concrètement, “ voué à l’indétermination ” »15 . Cette incertitude se traduit par un processus renversé du contrat social. Initialement le pacte social permet à l’individu de gagner « la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède »16 . L’instauration de la sécurité sociale et de l’aide sociale impliquait l’individu dans une logique de dette vis à vis d’un Etat garant de ces privilèges. Cependant ce qui était un droit consenti par le pacte social est perçu à la fois comme un acquis, étant un état de fait, et en même temps est perçu comme de moins en moins garanti par l’Etat-providence. La logique capitaliste privatise non seulement la propriété mais l’accession à cette propriété, et permet la mise en concurrence et une individualisation des moyens de conservation traditionnellement aux mains de l’Etat. L’individu devient de plus en plus responsable de son destin, et notamment des moyens pour assurer sa pérennité : « la dette de la société envers l’individu s’élève à proportion de l’augmentation de ses responsabilités. »17 Le champ de responsabilité individuelle s’accroît de plus en plus en proportion de la baisse de la prise en charge par l’Etat. Nous pouvons 14 Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob poche, Paris, 2000, page 14 15 Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 307 16 Rousseau (Jean-Jacques), Du Contrat social, chapitre VIII, De L’Etat civil, Libre de poche, 1996, page 57
  • 13. 13 considérer qu’il y a un transfert non pas de compétences, mais d’obligations de compétence : « un des problèmes majeurs de l’individualisation réside dans le report de responsabilités illimitées sur l’individu, qui réduit la capacité à agir et conduit à cette face sombre de la subjectivité qu’est l’impuissance psychique. »18 Cet écart entre les capacités individuelles à prendre le relais de l’Etat et l’exigence d’assumer ces responsabilités crée un état de malaise psychique, se traduisant par une hausse de la dépression. L’individu devient incertain lorsqu’il n’a plus d’obligation vis à vis des normes de la société sur lesquelles se construire, soit en conformité, soit en opposition. Cette émancipation individuelle s’accompagne de l’émergence de nouvelles institutions endossant le rôle de guide. Ainsi la perte des référentiels classiques signe plus la fin de leur monopôle que d’une réelle disparition, entraînant l’apparition d’une multiplicité de référentiels en concurrence les uns envers les autres. L’individu libéré des contraintes peut « négocier ses croyances »19 dans une situation de surmodernité caractérisée par l’excès. La pluralité de l’offre de repères se centre non plus sur une dimension sociale mais sur l’individu. Les nouvelles sagesses, philosophiques ou religieuses relèvent essentiellement de la spiritualité plutôt que d’un réel partage communautaire relatif aux religions. Cette pluralité d’offre est une « anticipation de la demande »20 sociale influencée par les contraintes sociales, une formalisation des attentes individuelles : « chacun veut et doit devenir l’acteur de sa propre vie. Ce mélange d’aspirations et de normes dessine un style de rapport à la société qui fait de l’estime de soi la condition de l’action. »21 Cette estime de soi22 se centre sur trois piliers : l’amour de soi, la vision de soi et la confiance en soi. Elle cristallise le paradoxe énoncé précédemment : « l’estime de soi se situe au carrefour d’une libération psychique et d’une insécurité identitaire qui progressent parallèlement. »23 L’individu autonomisé doit trouver les ressources psychiques pour retrouver une certitude dans ses actes et volontés. 17 Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 309 18 Ehrenberg (Alain), ibidem., page 309 19 Balandier (George), Le Dédale. Pour en finir avec le XXème siècle, 1992 20 Darras (Eric), « Les limites de la distance. Réflexions sur les modes d’appropriation des produits culturels. » in Donnat (Olivier), dir., Regards croisés sur les pratiques culturelles, Paris, La documentation française, 2003, page 239 21 Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 23 22 André (Christophe) et Lelord (François), L’Estime de soi, Odile Jacob poches, Paris, 2002 page 14 23 Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob poche, Paris, 2000, page 175
  • 14. 14 Afin de remplir cet objectif, le souci de soi ne devient plus une finalité en soi mais un moyen d’accéder à l’estime de soi, qualité requise pour remplir les conditions de l’action. « L’individu incertain caractérise une société de désinhibition, dont le ressort est l’amélioration de soi, condition indispensable pour se gouverner dans une société complexe et un avenir opaque. »24 L’intériorité comme construction sociale L’estime de soi demeure un moyen asservi à un but, non plus de bonheur et prospérité collective mais de bien être individuel. D’une volonté dynamique tendant vers un idéal social, nous entrons dans une période souhaitant d’accéder à un état statique de bien être individuel. « Le développement de soi devient collectivement une affaire personnelle que la société doit favoriser. »25 Cependant la société civile prend de plus en plus en charge ce développement de soi, et notamment par des entreprises privées comme Psychologies26 , constitué d’un triptyque médiatique, magazine, site internet, et émission télévisée, dont le succès traduit une réelle demande sociale. La « psychologisation » de la société comme nouvelle grille de lecture du social évacue toute dimension socio-politique pour marquer l’avènement de l’individu souverain, car capable de lire en lui, de renouer avec le respect de soi et de ressusciter les volontés individuelles. L’entreprise Psychologies prône cette nouvelle spiritualité individuelle en offrant un nouveau référentiel que l’individu peut embrasser. Ce nouveau culte de l’intériorité peut être consacré de la sorte, considérant qu’il répond à une demande sociale que Psychologies formalise, car comme le souligne Alain Ehrenberg, « sans institution de l’intériorité il n’y a pas, socialement parlant, d’intériorité. Elle est produite dans la construction collective qui fournit le cadre social pour exister. »27 De la même façon que le courant romantique en littérature avait une existence sociale, transcrivant les aspirations sociales, ce courant de l’intériorité, consacrant le for intérieur comme nouvelle grille de lecture, est institutionnalisé par des entreprises comme Psychologies, traduisant une volonté d’autonomie des individus. La place des médias est 24 Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 24 25 Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 151 26 Nous appellerons Psychologies l’entreprise qui traite du bien-être comme l’ensemble des trois médias la constituant : Psychologies magazines, Psychologie (sans « s ») qui est l'émission télévisée, et psychologies.com pour le site internet 27 Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 143
  • 15. 15 centrale dans l’émergence de cette nouvelle donne, car ils « facilitent l’émergence d’une nouvelle demande en fournissant les mots pour les formuler. »28 Ils s’instaurent donc en institution du langage et d’apprentissage de cette nouvelle conception de soi, « ils ouvrent un espace public pour mettre en forme la réalité psychique et façonnent le style d’une psychologie pour les masses. »29 La société de communication, permet l’émergence rapide d’une culture pour le plus grand nombre, définie par essence comme l’expression de la doxa. Si elle postule la pluralité de l’offre, la liberté du choix, comment parvient-elle à homogénéiser cette demande pour en faire le sens commun, et par conséquent à unifier les volontés initiales ? Cette interrogation générale, est totalement transposable au cas de Psychologies. Comment une entreprise comme Psychologies produit-elle une culture psychologique de masse, posant un paradoxe entre l’intériorité subjective individuelle et une nouvelle approche de l’intériorité proposée par une entreprise privée ? Alain Ehrenberg nous donne un premier élément de réponse nous encourageant à mener l’enquête : « L’intériorité n’est pas dans la tête des gens qui inventeraient par eux-mêmes son langage, elle est dans le monde et en nous simultanément. »30 En socialisant ce qui relève de l’intime, Psychologies construit une conception de l’intériorité, qu’elle instaure en offre pour une demande sous-jacente. Problématique La conception de l’intériorité de Psychologies n’est pas a priori totalisante dans la mesure où ce sont des techniques de libération de soi adaptables à chacun qui sont proposées, selon le leitmotiv « mieux vivre sa vie »31 . Le bien-être n’est pas concrètement un état uniforme, mais au contraire adaptable à la conception de chacun. La liberté individuelle de choix de bonheur est une des valeurs annoncées. Liberté individuelle de choix et libération psychique sont les deux piliers de ce nouveau souci de soi, qui devient non plus un but en soi, mais un moyen d’accéder au bien-être. Cependant, comment une entreprise médiatique prônant ces valeurs individualistes parvient-elle à normaliser les individus ? Par normaliser nous entendons normativité, comme ensemble de règles 28 Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 143 29 Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 143 30 Ehrenberg (Alain), L’individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 143 31 Sous-titre du magazine Psychologies.
  • 16. 16 inculquées au plus grand nombre, et standardisation comme conception uniforme de l’individu. Normalisation et standardisation entraînent l’émergence d’un individu semblable à l’autre, dont la conception de l’intériorité et les techniques de soi permettent l’émergence d’un nouveau type d’autocontrôle de soi. HYPOTHESES ET PISTES Afin de comprendre la démarche scientifique entreprise, il m’apparaît comme nécessaire de présenter l’ensemble des hypothèses qui m’ont amené à construire la démonstration. Par un souci de rigueur, deux niveaux retracent cette genèse. Les hypothèses premières, relativement lointaines du sujet, consistent plutôt en des pré- concepts, des intuitions théoriques, relativement vagues mais qui ont certainement influencé ce mémoire. Ensuite les hypothèses liées directement au cas de Psychologies qui peuvent être considérées comme les hypothèses du thème traité par le présent ouvrage. Ce va-et-vient entre le cas pratique de Psychologies et les considérations générales est justifié par l’hypothèse de Alain Ehrenberg : « la télévision rend visible les évidences, elle est un hypersymptôme »32 dès lors les considérations générales pourront-elles trouver une expression paroxysmale dans l’analyse de Psychologies. Cette présentation des hypothèses sera thématique afin d’éviter une dichotomie simpliste impressions générales / impressions particulières. Le rapport au temps La première hypothèse est liée à un rapport au temps, qui est central dans l’approche de la dépression. Comme le souligne Alain Ehrenberg, la dépression est une « pathologie du temps » 33 , car le déprimé est sans avenir. Cette maladie liée à un manque de perspective connaît un essor considérable ces trente dernières années. En écartant une analyse médicale, est-il possible de considérer que le monde contemporain et ses conditions 32 Ehrenberg (Alain), L’Individu incertain, Pluriel, Paris, 1995, page 169 33 Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob poche, Paris, 2000, page 294
  • 17. 17 de vie influent sur la psyché, modifiant notre rapport à la temporalité, certes subjectif, mais d’autant plus modifiable qu’il correspond à notre perception des choses, des événements. Ainsi une mutation du rapport au temps général au niveau de la société peut avoir des conséquences individuelles. L’hypothèse est inspirée de l’état des lieux énoncé par la surmodernité. La nouvelle temporalité centrée uniquement dans une sorte de présent instantané crée une rupture avec la ligne classique passé / présent / futur permettant à l’individu de se constituer par rapport à ce qu’il fut et en projection à ce qu’il espère. Ainsi l’instantanéité plonge l’individu dans le présent, le coupant de son passé, par conséquent le privant d’une part de son identité. Psychologies offrirait par conséquence un rapport différent au temps, agissant sur la subjectivité individuelle, en proposant un mode d’appréhension du rapport au temps renversant le problème en réel atout. L’instantanéité ne serait plus un drame vécu mais au contraire une maxime quotidienne, par une réactualisation du carpe diem et un éloge de l’idéologie de la communication, tous deux insérés dans l’instant de vivre. L’individu comme référentiel identitaire La seconde hypothèse concerne le référentiel identitaire des individus. Théoriquement les fonctions sociales donnent un sens extrinsèque à l’individu. La post- modernité annonçait la fin des instances normatives classiques, la surmodernité constate la multiplication de ces référentiels. Le culte de la vitesse, la flexibilité, la mobilité, l’érosion progressives des fonctions sociales uniques pour une multiplication des fonctions sociales créent un trouble dans la constitution identitaire de l’individu. Psychologies en tant qu’entreprise du bien-être s’érige en un référentiel normatif privé, car indépendant des autorités publiques. Elle instaure l’individu comme le centre de toutes les attentions, le topique de toutes actions, comme lieu commun de chacun et plus petit dénominateur commun. L’individu comme référentiel est le niveau minime de la cohésion sociale. Ce culte de l’individu doit s’accompagner d’une idéologie de soi, capable de faire adhérer le plus grand nombre aux valeurs de l’entreprise. Ce culte de l’individu doit essentiellement s’appuyer sur les idéologies préexistantes, et doit consacrer l’idéologie de la communication comme nouveau lien vital entre les personnes. L’idéologie de la
  • 18. 18 communication permet de relier les individus plongés dans l’instant présent, est une sorte de lien social fictif. L’accompagnement technique Psychologie occupe une fonction de promotion des thérapies du bien-être. Cet ensemble de thérapies est fixé sur le temps présent, créant une rupture avec la psychanalyse traditionnellement recentrée sur l’histoire de vie, et la place du passé dans la constitution de l’individu. L’accession au bien être se fait par l’intermédiaire de thérapies à visée médicale. Ainsi les solutions proposées ne sont plus des solutions transcendantes mettant en jeu la croyance en une entité supérieure, mais sont plongées dans l’immanence, directement accessibles par l’individu qui peut se les réapproprier sans intermédiaire, si ce n’est le détenteur de la technique. L’individu dans son rapport de soi à soi, ne permet plus l’intrusion d’un tiers, comme c’était le cas lors du processus de la confession ou de la psychanalyse. La technique remplace l’individu, et de par son aspect impersonnel crée l’illusion d’autonomie de l’individu. L’individu peut ainsi s’auto-analyser, notamment avec la pratique de tests d’auto-évaluation de sa personnalité, qui traitent la personnalité comme une somme de symptômes, ce qui entraîne une approche technique de l’individu. L’image idéale de soi La télévision en tant que miroir est une thématique largement abordée, mais qui peut trouver une justification dans l’analyse d’une émission traitant de la quête de soi. Il ne s’agit pas de renvoyer une image de l’individu telle qu’il est, mais plutôt de proposer une image fantasmée de soi, une sorte d’idéal du moi que l’émission lui renverrait. En tant qu’élément déterminant dans la constitution de l’identité, l’idéal du moi proposé par l’émission est un idéal du moi de substitution qui peut séduire un individu dont l’estime de soi est faible. En normalisant l’image de l’individu, grâce aux procédés de prise de vue mis en place pour une médiatisation des expériences individuelles quotidiennes par l’émission, l’idéal du moi n’est plus incarné par des stars, mais par l’individu ordinaire. L’individu ordinaire érigé en signe par les dispositifs télévisuels devient un référent encore plus performatif puisqu’il est sensé représenter non plus un autre inaccessible, mais un même transcendé par les techniques de soi. L’individu devient autonome par des techniques de
  • 19. 19 soi. Cette représentation du même permet d’élargir le champ des possibles et de réactiver la volonté individuelle à se conformer à cette image idéale du soi médiatisée. TERRAIN ET CORPUS Choix et mise en place du corpus L’analyse de l’émission ne peut se suffire en elle-même. Psychologies est une entreprise du bien-être présente sur trois supports médiatiques différents : Psychologies magazine imprimé, psychologies.com présent sur internet, et Psychologie diffusé sur France5. Ainsi semble-t-il nécessaire pour comprendre l’émission télévisée d’analyser les autres composantes de l’entreprise. Ces trois médias forment un tout mais répondent à des logiques différentes, puisque la lecture du magazine renvoie à une sociologie de la lecture, dans sa double acception de lecture didactique et de lecture de salut34 , le site internet développe le mythe de l’interactivité et présente un panel de techniques d’auto-analyse de soi, dessinant aussi les contours possibles d’une communauté d’individus autonomisés et fidèles à l’idéologie de l’entreprise, alors que l’émission télévisée correspond à une logique de mass media relayant une image idéale de soi, une idéologie de soi, et s’inscrit dans une sociologie de la réception. Nous recentrerons l’analyse essentiellement sur deux des trois supports : psychologies.com et l’émission Psychologie. Le magazine Psychologies est exclu de notre analyse. Le site internet est une transposition du support papier dans sa quasi intégralité, reprenant les articles le mois suivant la publication du magazine, ce qui entraînerait une certaine redondance. De plus il propose une relation plus directe avec le lecteur, qu’il est possible d’étudier sans mettre en place de lourds dispositifs d’analyse de réception. Ensuite l’analyse du magazine a déjà été effectuée par Dominique Mehl, dans son ouvrage La Bonne Parole35 dont la qualité des analyses et les moyens dévoués à cette études ne sauraient être atteints par notre présente étude, d’autant que les conclusions s’inscrivent dans notre perspective, en tant que point de départ d’un travail qui aurait été préalable, et par conséquent notre mémoire aurait été lui 34 Mauger (Gérard) et Poliak (Claude F.), « Les usages sociaux de la lecture » in Bourdieu (Pierre), dir., Genèse de la croyance littéraire, Paris, Actes de la recherche en sciences sociales, 123, Seuil, juin 1998 page 12-13 35 Mehl (Dominique), La Bonne Parole, La Martinière, Paris, 2003. L’analyse du magazine se situe dans la deuxième partie : « L’extension du domaine de la psy », chapitre I : « Psychologie ou la cause du bien être. »
  • 20. 20 aussi redondant. Enfin l’analyse de l’intégralité des numéros de Psychologies, au nombre de 233 dans sa totalité ne peut être raisonnable considérant le temps imparti pour un mémoire de troisième cycle, d’autant que les numéros ne sont pas tous accessibles. L’analyse de l’émission Psychologie est concevable dans son intégralité, considérant qu’il y a eu 32 émissions, entre le 12 octobre 2003, date du premier numéro : Oser se parler et le 6 juin 2004, dernier numéro : Trouver le courage en soi. Cette saison sera la seule, l’émission n’étant pas programmée à la rentrée pour des raisons essentiellement juridiques36 . Ainsi ces trente-deux numéros confèrent une vision d’ensemble. D’un point de vue pratique, la saison est disponible à l’Inathèque, dans le dépôt légal de télédiffusion, instauré depuis 1995, et a pu être suivie en tant réel chaque dimanche ou enregistrée. L’analyse du site internet psychologie.com permet d’aborder un aspect nouveau dans la constitution d’une intériorité. Le site a un taux d’audience important puisque 500 nouveaux messages par jour alimentent le forum qui compte 30 000 contributions37 . Vingt- cinq mille personnes sont abonnées à la « newsletter » de www.psychologie.com. L’aspect communautaire, centré sur l’interaction, peut être intéressant à analyser comme le prolongement des deux autres supports, et permettre une analyse très sommaire des forums, se substituant à une analyse de réception traditionnelle. Site internet et émission télévisée sont deux aspects complémentaires, deux futurs possibles du magazine, car ces supports répondent à des objectifs certes différents, mais peuvent toucher potentiellement un public plus conséquent. Initialement, il avait été envisagé d’analyser les magazines télévisuels faisant écho de Psychologie. Un corpus avait été prédéfini, comprenant Télérama, Télé 7 jours, Télé Loisir, Le Nouvel Obs Télé, Télépoche. Malheureusement après avoir parcouru l’ensemble de ces journaux, aucune mention particulière n’est apparue concernant Psychologie, car même si Télérama lui consacre deux « TT » pour la première, l’émission ne fait pas l’objet d’un seul commentaire, et perd ses « T » au fil des semaines. Seul Télé Loisir accole à côté du thème de l’émission la mention « magazine », s’aventurant à la qualifier. 36 Informations obtenues auprès de France 5, toutefois les raisons ne sont pas connues précisément. 37 Guerrier (Philippe), « Psychologies tente de rééditer son succès magazine sur Internet » in Le Journal du Net, 3 octobre 2002 : http://www.journaldunet.com/0210/021002psychologies.shtml
  • 21. 21 Corpus d’étude définitif de l’étude : • Psychologie, émission diffusée sur France 5, intégralité des numéros, du 1er au 32ème . Visionnage de l’intégralité de la série et sélection d’émissions analysées plus en profondeur, en fonction des thèmes abordées et de leur représentativité. Oser se parler (12/10/03), Thérapies : y aller ou pas ? (26/10/03), Le Bonheur dépend-il de nous ? (21/11/03), Se déculpabiliser (30/11/03), Sommes-nous vraiment adulte ? (07/12/03), Dépression, comment l’éviter ? (11/04/04), Faut-il multiplier les thérapies ? (21/03/04), Peut-on se débarrasser des complexes ? (02/05/04) La Foi aide-t-elle à vivre ? (16/05/04). • Site internet Psychologie.com entre le 1er mars 2004 et le 31 juillet 2004. Analyse des contenus des différentes rubriques, notamment « Maîtres de vie » et « Tests ». Analyse des forums, en particulier la rubrique « Se connaître » et « Quelle est votre spiritualité ? », permettant de transcrire le rapport à soi et le rapport à la croyance. METHODE Choix de l’approche méthodologique En tant qu’entreprise de soi, Psychologies doit être analysée d’un point de vue sociologique, économique et idéologique. D’un point de vue sociologique, l’entreprise permet de formuler une conception de l’intériorité en tant que conception sociale, et non pas purement au niveau de la production d’une entreprise ou d’individus. Il s’agit d’analyser la formulation de cette nouvelle intériorité, ainsi que les conséquences sur le lien social et les fonctions sociales. D’un point de vue économique, l’entreprise est insérée dans un complexe médiatique, ayant des contraintes de production et devant remplir des impératifs de vente. Des stratégies économiques d’expansions internationales, de concentration horizontale avec la multiplication et la diversification des supports, et enfin de concentration verticale avec les liens entretenus avec les techniques de soi publicisées, ont des conséquences sur la formulation de l’offre. Cette entreprise est marquée par des liens familiaux forts entre Jean-Louis, Perla, David, et Florence Servan-Schreiber qui
  • 22. 22 apparaissent tous les quatre dans l’ours du magazine. D’un point de vue idéologique, l’entreprise crée une nouvelle institution de soi marquée par un ensemble de valeurs, de référentiels idéologiques et de normes comportementales inspirées de l’idéologie de la communication, de l’idéologie du bien être et de l’idéologie de soi qui peuvent être considérées comme autant de facettes de l’idéologie de l’individu souverain, appuyé sur une idéologie de la technique comme nouveau lien dans le rapport de soi à soi et instrument de libération. Nous analyserons l’émission Psychologie en ayant à l’esprit ces trois approches qui sont le triptyque de toute analyse de média. Ce travail peut être considéré comme une première partie d’un travail intégral sur cette entreprise du bien-être, dans la mesure où il nous est apparu nécessaire de commencer notre étude par une analyse de contenu offert par la production. Ce premier travail de mise à jour des contraintes socio-économiques et des visées idéologiques permet de cerner l’objet dans sa dimension productive, comme un tout qui aurait anticipé la demande, ensuite proposé au spectateur qui le recevrait dans un schéma de la communication qui peut sembler peu interactif. Toutefois en tant qu’institution de soi, un rapport dialectique entre un maître qui enseigne et un élève qui apprend est concevable, car contrairement à l’antiquité où le souci de soi passe par l’autre, ici ce souci de soi passe par un média impersonnel. C’est pourquoi nous nous intéresserons à l’enseignement et à l’apprentissage proposé, car l’élève est supposé assoiffé de savoir. L’échec d’une analyse de réception D’un point de vue bien plus pratique, la question de l’étude de réception s’est posée et des démarches ont été entreprises pour la mettre en place. Une demande a été formulée en décembre auprès de la rédaction de Psychologies pour passer un appel à candidature dans la rubrique petites annonces pour une enquête de réception dans le cadre d’un mémoire de DEA à la Sorbonne. Après un mois de négociation, nous sommes arrivés à un désaccord : l’entreprise exigeait 189 euros TTC pour passer l’annonce, ne certifiant aucunement le nombre de réponses qui n’aurait pas dépassé la dizaine selon Lucile Bourgeois, « chef de publicité ». Malgré une ultime tentative de monnayer mon travail en présentant l’utilité que pourrait représenter une telle étude, la direction n’a rien voulu
  • 23. 23 savoir. De toutes façons un tel engagement moral aurait modifié mon approche en me contraignant à une conception beaucoup plus marketing. N’ayant pas les moyens financiers, je me tournai vers une tactique plus artisanale en passant des annonces dans mes commerces de proximité ; ce fut un échec complet, car si Psychologies tend à devenir une institution de soi, il n’y a pas de réelle communauté d’individus, excepté le forum internet, sur lequel je postai un message faisant part de mon intention de réunir un public de cette émission. Le message resta sans réponse et fut retiré par le webmaster. Un dernier espoir résidait dans l’émission, mais le refus de la rédaction s’avéra sans appel, car l’émission ne diffuse pas de messages dans son générique, et d’autre part le public n’est pas analysé par France 5 et demeure scellé par la confidentialité. Le public n’étant pas suffisamment important, la chance pour trouver des téléspectateurs au hasard de pérégrinations dans la rue était plus que faible. Un public artificiel aurait pu être mis en place, toutefois l’analyse n’aurait pu se cantonner à des impressions de téléspectateurs n’ayant pas le « souci de soi » et le bien-être comme leitmotiv de leurs pratiques télévisuelles et se serait résumée à des réactions classiques d’individus visionnant un magazine culturel et médical sans être a priori intéressés par le sujet. Car les motivations et intérêts pour une telle émission étaient le centre des préoccupations, il me semblait nécessaire de trouver un public déjà existant et de ne pas le construire de toute pièce. Face à de telles difficultés, il apparaissait comme une fatalité de se recentrer sur la production. Cependant le forum de discussion offrait un public d’adeptes de l’entreprise et de la psy. Ce public disparate était présent sous la forme de cette communauté virtuelle d’individu. Ainsi l’idée d’intégrer cette communauté germa. Pour ce faire, j’observais le type de relation, les thèmes abordés et les codes de conduite. J’endossais une fausse identité et tentais de me présenter comme le même, en conservant à l’esprit les problèmes liés à l’observation participante. Afin de recueillir des informations, je formulais des questions relatives qui pouvaient m’intéresser dans la recherche, tout en jouant sur le principe de précaution, en n’osant pas affirmer des vérités, mais plutôt en faisant appel à un ressenti simulé. J’abordais ainsi la question du rapport au temps, sollicitais les internautes pour qu’ils me conseillent des méthodes pour se sortir du mal-être et posais innocemment la question : peut-on vivre sans les autres ? Je reçus quelques réponses, assez contradictoires
  • 24. 24 qui ne peuvent être considérées comme une étude de terrain mais qui répondent en partie à mes attentes. Méthode pratique La méthode pratique consiste à visionner l’ensemble des émissions une première fois, puis de sélectionner les émissions les plus représentatives qui seront analysées par le biais d’une grille de lecture dont les thèmes sont : les fonctions de l’émission (informative, curative, incitative), la structure de l’émission (en corrélation avec la fonction), le statut et le rôle des référents, le statut et le rôle de l’animateur, le statut et le rôle de la star, le statut et le rôle de l’individu ordinaire, l’image de l’individu proposée (image idéale du moi, image statique ou dynamique, homogène ou hétérogène, semblable ou autre), la place de la communauté et du groupe (présence dans l’émission, place des problèmes sociaux, nouvelle forme de communauté suggérée) et enfin l’homogénéité de l’idéologie (idéologie de soi, du bien être, de la communication, de la technique de soi). Le choix de ces thèmes oriente inéluctablement l’analyse de l’émission, mais permet de donner une cohérence à mon approche. Ce visionnage s’est déroulé à l’INAthèque qui possède l’intégralité de la saison de Psychologie, des postes de travail performants, un moteur de recherche efficace et un personnel d’une gentillesse et d’une compétence extrême. Cette grille de lecture s’est aussi appliquée au site internet, en mettant l’accent sur les techniques pour se connaître soi, comme les tests, les dossiers thématiques. L’analyse de la communauté virtuelle s’axe sur le type d’interaction des individus entre eux, la nature de leurs messages, et le rapport à l’autre internaute. L’analyse des techniques de soi consiste à relever statistiquement le nombre de citations dans l’émission, dans une approche quantitative, et le mode de présentation de ces techniques dans une approche plus qualitative. Enfin un cadre théorique a été mis en place, et deux parties ont été rédigées sur le rapport à soi, le problème de la place des intermédiaires dans la connaissance de soi, dans une tentative de genèse de ce for intérieur. Ce cadre théorique m’a permis de solidifier l’approche de l’émission, contrepoint d’une analyse seulement pratique. De ces deux parties, il ne reste que des fragments épars, disséminés dans l’analyse de l’émission.
  • 25. 25 RAPPORT A L’OBJET Poser la question du rapport à l’objet consiste à prendre conscience de sa conscience, à extérioriser son for intérieur, dans une autoanalyse proche de celle suggérée par Psychologies. Faire une autoanalyse de son rapport à la psychologie tient presque de la prise de conscience de son rapport à l’intériorité et de l’influence de la psychologie comme grille de lecture de soi. Ces considérations subjectives par essence doivent faire l’objet d’une objectivation, exercice périlleux, puisqu’une part d’inconscient retient peut être les mystères de la naissance de ce désir. Cependant cet exercice est nécessaire, comme le souligne Pierre Bourdieu dans une tentative de distanciation de l’énonciation : « S’il est vrai que ce que je dis de la lecture est le produit des conditions dans lesquelles j’ai été produit en tant que lecteur, le fait d’en prendre conscience est peut-être la seule chance d’échapper à l’effet de ces conditions. »38 Cette étude s’inscrit dans une triple continuité, dans un rapport spirituel, dans un rapport affectif et dans un rapport universitaire. Le rapport à la croyance semble l’élément premier, formulable simplement par le pourquoi croire ? Pour symboliser une figure du père qui nous accompagnerait, accéder à une transcendance, réveiller la volonté de puissance, s’intégrer socialement dans une communauté ? Mais alors pourquoi ne pas croire considérant l’ensemble des avantages ? Le problème de la liberté s’est alors posé comme une évidence, percevant la croyance en une supériorité exogène comme une marque d’asservissement volontaire, de facilité, une musique intérieure à jouer plutôt qu’à composer. La liberté entraîne la question du choix. L’analyse de Psychologie a une dimension personnelle que je résumerai brièvement. J’ai connu le magazine au domicile familial, il y a quatre ans. La curiosité me prenant je parcourais ces pages où les conseils pour « mieux vivre sa vie » n’avaient qu’un faible écho à ma lecture. Cependant en considérant les pratiques religieuses et spirituelles de l’abonné, un sentiment d’étonnement me taraudait. Pourquoi concilier psychologie(s), religion, mysticisme, spiritualité ? Pourquoi une telle pluralité de référentiels ? Mais pourquoi ce besoin de trouver des guides, de les multiplier ? 38 Bourdieu (Pierre), « La Lecture : une pratique culturelle » in Chartier (Roger), dir., Pratiques de lectures, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1993, page 270
  • 26. 26 L’intérêt pour les croyances culturelles s’est formulé de par mes études universitaires et l’ensemble de cours sur la communication, ce qui m’a poussé à faire un mémoire sur le best-sellers39 en littérature l’année précédente, de comprendre les conditions de production et de réception d’un tel phénomène. L’étude sur Psychologies rejoint ce premier travail, en ce sens qu’il s’agit toujours d’une pratique culturelle, mais cette fois-ci explicitement porté sur la croyance et la spiritualité, du moins ces nouvelles formes stigmatisées par l’entreprise. L’analyse de Psychologies cristallise donc cette triple dimension spirituelle, affective et universitaire qui peuvent être considérées comme les conditions de production de mon intérêt pour ce sujet. Cette présentation, peut-être intempestive, me semblait nécessaire dans un souci d’honnêteté intellectuelle. Toutefois elle illustre mon rapport à la psychologie, étant moi-même le produit de cette nouvelle grille de lecture de soi. Cette analyse du for intérieur est par ailleurs une caractéristique de Psychologies : « le for intérieur, comme réflexion de soi avec soi-même, détrône l’inconscient comme grille de lecture du rapport de chacun à une conduite de son existence. »40 Cependant Psychologies n’est pas l’instigatrice de cette nouvelle grille de lecture, mais formalise une caractéristique d’évolution sociale du rapport à soi. Aussi est-il nécessaire de défricher cette genèse du for intérieur comme nouveau rapport à soi. L’EVOLUTION DU FOR INTERIEUR : UN ENJEU DE CONTROLE DE SOI Le for intérieur comme instance d’intégration de normes sociales. L’expression « for intérieur » est communément usitée pour définir ce qui relève de l’expérience intime, de la sphère privée la plus profonde, le cœur même de la conscience, « une instance intime, lovée au creux de l’être, où sont conservés des grands et des petits secrets vécus comme des trésors. »41 Le dictionnaire Le Petit Robert propose une double définition de cette expression. Il s’agit dans son acception courante d’un lieu : 39 Mémoire de fin de cycle de l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, sous la direction d’Eric Darras. Mauco (Olivier), Le Best-sellers ou la lecture des temps modernes, Tableau synchronique d’un phénomène culturel, d’un point de vue économique et sociologique, IEP Toulouse, 2004 40 Mehl (Dominique), La Bonne Parole, La Martinière, Paris, 2003, page 217 41 Enriquez (Eugène), « Approches du for intérieur » in CURAPP, Le For intérieur, PUF, 1995. P 12
  • 27. 27 « dans la conscience, au fond de soi-même. »42 , et dans son acception littéraire le « for intérieur » est assimilé au siège de délibération de la conscience en tant que « tribunal de la conscience ». L’expression « for intérieur » n’a pas toujours été réduite à cette simple définition. Sa particularité première est l’unique emploi du nom « for » dans le langage actuel. Or tout le sens de « for intérieur » réside dans ce nom, « intérieur » n’étant qu’un adjectif relatif à « for », issu du latin « forum » qui se traduit par « place publique », « tribunal ». Un for est donc un espace initialement public où sont jugés des faits et rendus des sentences. Une première contradiction est perceptible dans l’expression « for intérieur » puisque suivant son étymologie, il s’agirait par nature d’un espace public intérieur, soit un espace d’intégration de normes sociales. La place du représentant en tant qu’intermédiaire entre l’intériorité et les normes sociales apparaît décisive. C’est l’évolution de cet intermédiaire et du référentiel qui modifient la conception du for intérieur. Psychologies en produisant un référentiel idéologique et un ensemble de normes influe sur ce for intérieur contemporain qui est institué en nouvelle grille de lecture de son intériorité. Dans son ouvrage La Politique symbolique, Lucien Sfez analyse que « le représentant-signe lie un petit objet, concret, réel, à un grand objet abstrait qui constitue les règles d’intelligibilité de l’ensemble. Il assure l’intégration du petit objet dans le plan d’ensemble. »43 S’il est possible de considérer que l’introduction d’un tiers mandataire du référentiel absolu permet de faire le lien entre l’individu et l’universel, en orientant le « for intérieur », ce schéma abstraction / signe-chose / signe-mot peut se traduire dans notre cas par ce schéma ternaire individu / représentant / référentiel. Le représentant s’accapare le « for intérieur » de l’individu pour l’extérioriser via la formulation orale, ce qui permet de le contrôler en orientant la parole, et d’intérioriser les valeurs du système référent par la symbolisation de l’acte. Ainsi l’évolution du sens de « for intérieur » est-elle liée à la structure de représentation des normes de la conscience dans le « for intérieur ». Aussi l’autonomie du sujet provoquerait-elle une modification considérable dans l’unité et la cohésion, car « pour qu’il y ait à la fois représentation et vérité, il faut qu’une figure actualise la vérité dans la représentation, qu’elle assure de sa toute-puissance non empruntée, que la figure symbolique paraisse comme le lieu, et le seul d’où tirer 42 Le Petit Robert, juin 2000
  • 28. 28 enseignement, vie et valeur. »44 Si l’individu juge « en son for intérieur » ses pensées et actes, sans se référer à un système supérieur, ou en utilisant une trop grande liberté interprétative, le danger de délitement du lien social est tangible, le système de représentation prêt à s’effondrer, et l’autocontrôle individuel menacé, le for intérieur étant le topique de cet autocontrôle. Ainsi le contrôle du « for intérieur » est-il un véritable enjeu de contrôle social et politique, et permet jusqu’à susciter l’adhésion de l’individu aux préceptes moraux de l’abstraction. De la sorte, le représentant du système noue-t-il un lien étroit avec le « for intérieur » des individus pour s’assurer de la continuité et de la pérennité des valeurs de son référentiel absolu. C’est ce rapport que nous nous proposons d’étudier, car structurant la définition du for intérieur et permettant de saisir la place et le pouvoir de Psychologies. Le for intérieur comme instance de contrôle par l’Eglise de l’âme des pécheurs, sous l’ancien régime Initialement, une opposition existe entre « for extérieur ou externe » et « for intérieur ». Le « for extérieur » renvoie au fonctionnement et respect des lois, à la bonne application de la justice, alors que le « for intérieur » fait appel à l’intériorité spirituelle des individus, au respect des lois divines. Dans le cas du « for extérieur », le système normatif est bicéphale. En effet, « le for extérieur est le tribunal des hommes, l’autorité de la justice humaine qui s’exerce sur les personnes et sur les biens. Il y a deux forces, le civil et l’ecclésiastique. »45 La dualité n’est donc pas celle entre l’individu et la société, mais plutôt entre la société civile et la société religieuse soumises toutes les deux à la notion de justice. Le tribunal des hommes rend une justice ecclésiastique ou civile, selon que les règles dépendent d’un des deux champs. Ainsi le « for extérieur » est marqué par une tripartition individu / tribunal / référentiel normatif. C’est un espace juridictionnel double, entre d’une part le civil normatif et d’autre part l’ecclésiastique normatif. Le « for intérieur » est une juridiction extérieure jugeant les troubles de l’âme : « Le for intérieur de l’Eglise est la puissance spirituelle que l’Eglise tient de Dieu seul, & 43 Sfez (Lucien), La Politique symbolique, PUF Quadrige, 1993, page 15 44 Sfez, ibidem., page 48 45 Dictionnaire universel François Latin, vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux, 1771 (Tome 4, p 236) L’ensemble des définitions de ce paragraphe est issue de ce dictionnaire
  • 29. 29 qu’elle exerce sur les âmes & sur les choses purement spirituelles. » Seul le divin peut le pénétrer la conscience, par l’intermédiaire du prêtre, représentant de Dieu lors du processus de la confession, les choix moraux se faisant par rapport à un référentiel transmis par son représentant. Le schéma ternaire est respecté : individu (conscience) / représentant de Dieu (prêtre) / Dieu (référentiel absolu). Le « for intérieur » n’est donc pas la propriété de l’individu, mais un jugement sur l’âme et l’intériorité de l’être humain – la psyché future – par une instance supérieure. L’omniscience de Dieu exige un contrôle permanent de l’âme, qui n’est pas autonome mais aux mains du confesseur. L’individu ne peut seul se référer aux normes supérieures, et s’autoréguler car il n’a pas l’autonomie de la conscience et la compétence de l’absolution. Le prêtre46 comme lien entre le pêcheur et Dieu permet une extériorisation du for intérieur et une symbolisation, en faisant de la faute un pêché, en élevant le crime factuel en offense spirituelle, en présentant l’âme du pêcheur à Dieu et à lui-même. « C’est ainsi qu’on dit qu’un homme est absous dans le for extérieur, in foro fori, devant les hommes, dans le for de la conscience, devant Dieu. »47 La laïcisation du « for intérieur » évacue la pénétration permanente de la conscience par Dieu, et autonomise la faculté individuelle de juger. La laïcisation du for intérieur au XIXème siècle La définition proposée par Louis-Nicolas Bescherelle48 , un siècle plus tard, évacue le « for extérieur » de l’église pour ne caractériser que « l’autorité de la justice qui s’exerce sur les personnes et sur les biens, en vertu des lois positives. » L’étymologie est par ailleurs réduite à la seconde acception : « forum, lieu où l’on plaide » mettant de côté la notion d’espace de rassemblement, qui est sous-entendue. Une séparation entre individu et citoyen s’opère, notamment avec Rousseau et Hobbes qui distinguent liberté de pensée (en son for intérieur) et liberté d’expression (traduction de son for intérieur sur la place publique). Pour Rousseau, le « droit divin naturel » est issu de la religion de l’homme « bornée au culte purement intérieur du 46 « Le prêtre-directeur de conscience aide le pénitent à pénétrer dans les replis les plus cachés de son âme afin de lui montrer l’impureté de son For Intérieur une fois celui-ci oralisé et extériorisé. » Dubois (Françoise), « La confession » in CURAPP, Le For intérieur, PUF, 1995. P 297 47 Dictionnaire universel François Latin, vulgairement appelé dictionnaire de Trévoux, 1771 (Tome 4, p 236) 48 Bescherelle (Louis-Nicolas) Dictionnaire national ou Dictionnaire universel de la langue française, édition numérique Gallica-bnf 1856, tome 1. Page 1278,.
  • 30. 30 Dieu »49 , et s’oppose à la religion du citoyen dont « son culte extérieur (est) prescrit par des lois »50 . Cette dualité stipule l’existence d’un « for intérieur » pour l’homme qui permettrait la liberté de pensée et de croyance, mais non pour le citoyen dont la volonté particulière doit s’effacer devant la volonté générale tendue vers l’intérêt général. Le for intérieur s’intériorise et se laïcise. Hobbes opère une autonomisation du « for intérieur » en laissant à chacun la liberté de pensée en l’opposant à la liberté d’expression. Chacun peut « en son for intérieur » penser, être déviant, mais en tant qu’individu citoyen en société, la faculté d’expression est réprimée car susceptible d’engendrer des troubles. L’opposition homme et citoyen est instaurée. Le « for intérieur » est inscrit dans la sphère privée quand il s’agit de celui de l’individu et est publicisé quand il s’agit du citoyen, sous certaines conditions favorables au respect de la paix civile : « La reconnaissance moderne de la citoyenneté implique ainsi une double reconnaissance : celle du for intérieur de l’individu, c’est à dire un espace privé échappant à toute emprise publique, mais aussi celle du for intérieur du citoyen, c’est à dire d’un espace de délibération intérieure du citoyen. »51 L’homme est donc un individu libre mais soumis, en tant que citoyen, aux règles sociales et non plus divines. Cette individualisation de l’homme permet une intériorisation du « for intérieur », dès lors que les puissances spirituelles de l’église se soumettent de plus en plus aux puissances rationnelles de l’Etat de droit. Louis-Nicolas Bescherelle ajoute une dernière définition du « for » : « For. Particule invariable (du latin foris, dehors). Ajoute au mot une idée de position en dehors. »52 Ainsi l’expression « for intérieur » sous-entend une extériorisation de l’intérieur de l’individu, cette définition allant à l’encontre de l’usage courant de « for intérieur » perçu comme sphère secrète de l’individu, peut-être dû à un mauvais jeu de mots entre « for » et « fort », déformation homonymique. Le « for intérieur » serait donc par extension le résultat visible de la délibération de soi à soi après jugement. Ceci est tout à fait concevable en considérant le « for intérieur » du citoyen tel qu’il a été décrit par Hobbes, car ce « for intérieur » est en quelque sorte publicisé dès lors qu’un débat public 49 Rousseau (Jean-Jacques), Du Contrat social, Chap 4.8, De la religion civile 50 Rousseau (Jean-Jacques), Du Contrat social, Chap 4.8, De la religion civile 51 Rangeon (François), « Citoyenneté et for intérieur », in CURAPP, Le For intérieur, PUF, 1995, p 109 52 Bescherelle (Louis-Nicolas), Dictionnaire national ou Dictionnaire universel de la langue française, 1856, tome 1. P 1278
  • 31. 31 est en jeu, qu’il concerne non pas l’individu mais le citoyen. L’intériorité peut être extériorisée, Psychologies jouera de cette faculté et de la confusion des repères distinctifs entre le politique et le privé. Distinction entre surmoi et for intérieur. En tant que tribunal de la conscience, le « for intérieur » ne devrait être lié qu’avec les parties conscientes, délaissant les parties inconscientes dans l’ombre, or le « surmoi » est invoqué comme faculté de juger autonome et de contrôle individuel, alors que le « ça » n’est que pulsions et affects animaux. Cette observation, relativement simple permet de faire un lien direct entre le « surmoi » et le « for intérieur », dans la mesure où tous les deux sont attachés consciemment à la morale. Le « surmoi » est régi par des mécanismes particuliers qui sont la « conscience morale » et l’ « idéal du moi ». Le « for intérieur » relève des « lois naturelles de la morale » dont les logiques sont relativement mystérieuses. Or les deux servent à l’intériorisation de normes extérieures, qu’elles soient parentales ou sociétales. Ainsi à première vue, le « surmoi » est individuation inscrite dans le processus d’introjection des normes familiales, alors que le « for intérieur » serait l’introjection de normes sociétales dans un individu en constitution. En introduisant un troisième élément entre ces deux termes, le lien individu et société peut être comblé par l’instance de légation primaire : la famille. Le problème de la transmission des valeurs et de la filiation est soulevé. Les parents en tant qu’individus constitués et « êtres sociaux » peuvent être la première interface entre le « moi » et la société avant qu’il y ait émancipation. En façonnant un « idéal du moi » inconscient, de par les différentes observations faites sur l’ordre des choses auprès de l’enfant, ils créent des interdits qui seront ressentis par la « conscience morale ». L’enfant apprend qu’il ne peut tout faire. Ainsi le « surmoi » est une instance de censure des pulsions premières. La première fonction est celle d’« auto-condamnation ». Les normes sont intégrées. Or une fois le cadre fixé, l’enfant s’émancipe, est amené à faire des choix d’action au niveau sociétal, et non plus pour lui même. S’il sait ce qu’il ne peut pas faire en tant qu’individu, il ne sait pas ce qu’il doit faire en tant qu’ « être social ». La première expérience du « surmoi » est une « pré-vision » organique des contraintes morales à venir qui animeront le « for intérieur ».
  • 32. 32 Le « surmoi » joue un rôle d’intériorisation de valeurs au niveau interne individuel, pour constituer l’individu en tant qu’entité unique et homogène, créant ainsi les attributs de la personne. Le « for intérieur » concernerait l’ « être social », c’est à dire l’individu en relation non plus avec lui-même mais avec autrui. D’où une certaine ambiguïté sur le terme de « for intérieur » qui se lève. Le « surmoi » est le jugement constitutif de soi à soi, alors que le « for intérieur » est le jugement de soi par rapport au monde extérieur. Le terme de « for » en tant que préposition marquant l’extériorisation acquiert tout son sens : l’individu ne juge pas le monde par rapport à lui-même, ce qui serait une vision égocentrique, mais se projette en dehors (fors) de lui-même dans le monde extérieur. Son intimité est jugée selon les règles extérieures, le « moi » devient dual, interface entre l’intériorité et l’extériorité53 . Un mouvement de retour s’effectue après s’être frotté au monde extérieur, l’individu se replie sur son intérieur54 , juge ce monde extérieur, son moi dans le monde extérieur, avec ses instances internes de jugement, « en son for intérieur ». « Dans la conception analytique freudienne, le moi garde des fonctions médiatrices, puisqu’il est «situé», dans les topiques, «entre» le ça et le surmoi. Mais, et c’est là que porte la mutation, l’extériorité est à l’intérieur du sujet. »55 Cette approche en terme de topique inscrit le moi dans l’acception de lieu faisant lien. Ainsi le « moi » doit-il composer avec deux parties conscientes : le « surmoi » qui serait les règles de conduites intérieures premières et le « for intérieur » en tant que règle de comportement extérieur. Or ces deux règles se rapportent à l’homme, tiraillé entre son impératif d’être (individu) et son obligation d’action sociale (être social). Le « surmoi » est acquis pendant l’enfance, lors du processus d’individuation, alors que le « for intérieur » peut s’inscrire en tant que deuxième 53 L’unité du moi est postulée, la division entre « moi individuel » et « moi social » de William James est une dichotomie inadéquate à notre propos. L’individu demeure lui-même, même s’il appartient à différents groupes, il ne change pas mais s’adapte, aussi cette pluralité de « moi » évoquée dans Principles of Psychology, doit être centralisée en un seul moi présentant différents aspects. Bergson nous éclairera dans la deuxième partie. 54 Cette démarche peut s’apparenter à celle de Descartes dans son Discours de la méthode : « Mais après que j’eu employé quelques années à étudier ainsi dans le livre du monde et à tâcher d’acquérir quelque expérience, je pris un jour la résolution d’étudier aussi en moi-même, et d’employer toutes les forces de mon esprit à choisir les chemins que je me devais suivre. » Discours de la méthode, 1ere partie, Librio, page 16. Connaissant l’extérieur, l’inconnu réside en lui. Or Descartes posera comme principe la véracité de tout ce qui se présente claires et distinctes à nos yeux, que nos idées et notions le sont, car inculquées par Dieu. (4ème partie). Or l’individu doute de ses décisions dès lors que Dieu l’abandonne, qu’il est postulé qu’il est lui- même le propre producteur de ses normes et référents ; dans la conception freudienne, les décisions sont structurées par l’inconscient, notamment le surmoi. Lacan considèrera l’inconscient comme un langage. 55 Clément (Catherine), « moi » in Encyclopedia Universalis, édition numérique, 1995
  • 33. 33 étape corrélative de la première, lorsque l’individu constitué se confronte au monde, découvre l’altérité et perd sa conception sollipsiste. L’avènement du for intérieur comme grille de lecture du moi provoque une confusion entre la dimension personnelle et la dimension sociale. Le for intérieur se dilue en société de la communication Le « for intérieur » est passé d’une instance de régulation extérieur à une instance de régulation interne toujours en présence d’un tiers détenant les clefs de la vérité. Ce passage d’une juridiction religieuse à une analyse psychologique met en avant la laïcisation et l’individualisation de la faculté de juger de chaque individu. Le for intérieur comme nouvelle grille de lecture de l’intériorité, met en avant la dimension sociale de cette grille qui initialement relève du citoyen, alors que l’inconscient concerne le sujet psychanalysée. Cependant une confusion et une dilution de ce for intérieur s’opère. La distinction public / privé n’est plus dans l’acception contemporaine de for intérieur, perçu simplement comme tribunal de la conscience, comme lieu et mécanisme de jugement. Il devient technicisé, c’est à dire un ensemble de processus délibératoires dont le but est de trouver une solution. La multiplication des référentiels délite les repères constitutifs de l’identité. L’extension du domaine des possibles incite l’individu à ne plus se référer à des normes supérieures qu’il distingue difficilement considérant leur multiplication, mais à se tourner vers soi et de produire lui-même ses propres codes et règles. En parallèle, la psychologisation de la société tend à porter sur la place publique des préoccupations d’ordre privé, créant une interaction entre les deux espaces et contribuant à cette interpénétration qui modifie les repères. En tant que nouvelle grille de lecture, le for intérieur est « psychologisé » et étendu comme moyen de juger aux deux domaines. Le retour du souci de soi traduit un repli sur soi : « Quand on ne croit plus ni en Dieu ni en Marx, on ne peut croire qu’en soi-même. »56 56 Perla Servan-Schreiber, cité dans Mehl (Dominique), La Bonne Parole, La Martinière, Paris, 2003, page 227
  • 34. 34 Dans une société marquée par la communication, où l’égalité et le réseau remplacent la hiérarchie et les structures pyramidales57 , l’individu est potentiellement au même plan que n’importe quel autre individu : chacun est l’égal de l’autre, et surtout aucun ne peut dominer l’autre. Dès lors chacun peut être capable d’édicter ce qui est bien ou mal, en fonction de son référentiel de valeur, qui n’est plus commun mais individualisé, ce qui crée une certaine concurrence au niveau de la légitimité des normes. Cette dérive relativiste remet en question le tiers détenant la vérité apparaissant de plus en plus comme le semblable. Le sentiment de délitement du lien social, et l’intrusion des nouvelles technologies bouleverse le rapport à l’autre. Ce double processus incite l’individu à vouloir considérer l’autre comme son semblable, malgré ses différences. Psychologies répond à cette attente en proposant une intériorité standardisée. C’est en ce sens que l’entreprise opère une normalisation des individus. La chute des grandes institutions contribue à contester l’ordre supérieur même marqué du sceau de l’échec. Ces remises en cause plongent l’individu face à lui-même, mais l’ « individu souverain », dont le for intérieur est indépendant et autonome, producteur de ses propres lois, laisse place à l’ « individu incertain » dont l’incapacité à assumer sa responsabilité le pousse à une demande d’ordre non plus social mais d’ordre interne. Dès lors apparaît la demande commune d’une nouvelle normativité de l’intériorité en adéquation avec non plus avec un intérêt collectif mais avec un intérêt individuel. Psychologies en tant qu’entreprise de soi, propose une offre de normativité de soi comblant ce besoin individuel, et non plus social, d’autocontrôle volontaire. 57 « Quel que soit le domaine envisagé (entreprise, école, famille), le monde a changé de règles. Elles ne sont plus obéissance, discipline, conformité à la morale, mais flexibilité, changement, rapidité de création, etc. » Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob Poches, 2000 p 236
  • 35. 35 ANNONCE DU PLAN Cette présente étude se composera de quatre chapitres analysant cette fiction du bien être. Car Psychologies instaure une réelle fiction, en offrant une trame narrative simple : un héros (moi) une quête pacifique (le souci de soi). Aidé par des armes magiques (les techniques de soi), il rencontrera des amis (les référents), devra lutter contre des démons intérieurs (ses autres moi), affrontera des épreuves (les tests) qui lui apporteront la lumière (intérieure) afin d’accéder au Saint Graal (le bien être). Ce schéma, certes simpliste, présente l’avantage de résumer les différents acteurs de cette étude. Chaque fiction instaure un « “effet de récit”, une production d’actions par le récit, à tout le moins production d’identité. »58 Le but de Psychologies est d’aider son public à accéder au bien- être, de l’aider à « mieux vivre sa vie », le libérer de ses craintes, de ses tourments. En tant qu’entreprise médiatique, cette volonté se matérialise par la diffusion d’un message sur différents supports (internet, journal et télévision). Psychologies encourage par son discours l’individu à se soucier de lui, mais en aucun cas ne le prend en charge directement : elle produit un récit répondant à une demande. Cette démarche n’est pas altruiste, car si l’intériorité est une construction sociale, elle est transformée en marchandise, ce qui sous- entend un enjeu de pouvoir pour la conquête des nouveaux marchés. Il s’agit dès lors de séduire le consommateur. Deux temps sont nécessaires à cette mise en place, l’émergence d’un espace de formulation de la demande de bien être, et la mise en place d’un dispositif d’offre de référentiel idéologique avec un ensemble de techniques de soi. Pour que la « psy »59 devienne une demande sociale, il est nécessaire de produire les conditions sociales et médiatiques de son émergence (1ère partie). Ce premier processus consiste à mettre en place un espace public où la psychologie pourra devenir sujet de préoccupation grâce à l’ouverture d’un espace public médiatique (chapitre I), puis d’offrir la possibilité de formuler cette demande avec la mise en place d’une culture psy (chapitre II). 58 Sfez (Lucien), Technique et idéologie, Le Seuil, Paris, 2002, page 234 59 Définitions dans la première partie.
  • 36. 36 La télévision peut être considérée comme un espace public dans la mesure où sont portés à l’écran, sous formes de symptômes hypertrophiés, les préoccupations de la société, s’instaurant comme lien entre les attentes et permettant la formulation de cette opinion public. Selon Alain Ehrenberg, les médias « ouvrent un espace public pour mettre en forme la réalité psychique et façonnent le style d’une psychologie pour les masses. »60 La télévision permet de créer un espace virtuel public pour la « psy » et les « psys ». La psychologie n’est apparue que récemment dans les médias audiovisuels. La première émission radiophonique donnant la parole à l’auditeur remonte à 1967, avec Ménie Grégoire. La psy quitte les canapés feutrés des cabinets pour s’installer à la télévision en 1983 avec l’émission Psy-Show. En vingt ans, les médias accordent une place de plus en plus prépondérante à la « psy » et aux « psys », jusqu’à devenir une réelle grille de lecture de la télévision de la réalité. Aussi semble-t-il nécessaire de faire une histoire de la psy et des psy à la télévision, comme généalogie de la naissance de l’espace public de la psy médiatique qui permet l’avènement de Psychologie. L’entreprise médiatique n’existe que depuis 1998, lancé par Jean-Louis et Perla Servan-Schreiber. Une politique d’image a été nécessaire pour s’installer dans cet espace public, en tant que référence dans le domaine de la « psy ». De par ce double processus historique, un espace public est mis en place pour permettre l’extension de la psy sur les médias (chapitre I) En parallèle l’opinion publique peut trouver un terrain pour s’exprimer mais doit avoir la capacité à formuler sa demande. Tout un ensemble rhétorique est nécessaire, l’apprentissage d’un langage permet de saisir certaines nuances imperceptibles avec un vocabulaire limité. « Les médias déculpabilisent leur lecteur et facilitent l’émergence d’une nouvelle demande en fournissant les mots pour les formuler. »61 Ce rôle d’apprentissage est pris en charge par Psychologies qui développe une grammaire de la psy adaptée à l’offre future. Le pouvoir performatif de la langue n’est pas négligeable. Un ensemble de références idéologiques viennent corroborer cette première démarche, donnant un socle théorique à cette demande. De par le référentiel d’auteurs, l’entreprise oriente la demande psychologique. La langue et les textes permettent une psychologisation de la société, étant donné que le cadre de formulation et les références théoriques évacuent toute dimension 60 Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob Poches, 2000 page 143 61 Ehrenberg (Alain), La Fatigue d’être soi, Odile Jacob Poches, 2000 page 143
  • 37. 37 sociale, et par conséquent ne peuvent permettre à l’individu de formuler de telles revendications. Une « culture du psy » est mise en place (chapitre II), terrain favorable à l’acceptation de l’offre idéologique de Psychologies. Afin d’accéder au bien-être et de répondre aux aspirations individuelles, Psychologies présente un système intégral prenant en charge ce souci de soi (2ème partie). La mise en place de système d’accompagnement de l’individu nécessite l’adhésion à l’idéologie de soi, comme nouveau référentiel normatif (chapitre III), et tout un dispositif de technique de soi assurant aux individus un autocontrôle volontaire (chapitre IV) L’idéologie du bien-être n’est qu’une facette de l’idéologie de soi, qui consiste à ériger l’individu en référentiel absolu, et par conséquent lui suggérer que tout est possible, que tout est question de point de vue, que la réalité n’est qu’un produit de sa subjectivité. L’entreprise parvient à renverser l’ensemble des contraintes en valeurs individuelles : l’instantanéité permet le retour du carpe diem, la pluralité des référentiels est une chance de trouver dans chacun les éléments propices à l’essor spirituel, la communication devient l’outil magique pour résoudre tous les conflits. Il est nécessaire de croire en soi, car cultiver l’estime de soi, permet de s’affranchir des contraintes sociales, de canaliser ses efforts pour son accomplissement personnel. La leçon inculquée est simple : tout est question de point de vue, il n’y a de vérité que la sienne, nos émotions dépendent de notre volonté. Cette idéologie de soi enserre l’individu dans une conception subjective, ce qui permet à l’entreprise de faire croire en la possibilité de changer le monde en se changeant soi-même. L’individu renoue avec l’action, devenant le propre objet de ses attentions. (chapitre III) Cependant, malgré la volonté stimulée par cette idéologie, le public ne peut accéder au bien être que par l’intermédiaire de techniques promues par l’entreprise. Ces techniques sont un ensemble de procédés plus ou moins scientifiques, d’influences diverses, emprunt au mysticisme et à la médecine traditionnelle. Contrairement à la psychanalyse classique, elles abordent le sujet d’un point de vue contextuel, l’insérant dans l’instant présent. L’idéologie de soi était donc nécessaire pour légitimer leur usage. Psychologie informe le public de leur existence, abordant les problèmes pratiques, tels que le coût, la durée, le type de relation avec le professionnel, et l’incite à consulter. Ensuite tout un dispositif de techniques permettent d’accompagner l’individu au quotidien. Les test
  • 38. 38 permettent de se comprendre mais risquent de techniciser l’âme de par leur approche symptomatique, toutefois le but est de parvenir à une auto-médicamentation. Enfin cette idéologie et ces techniques de soi permettent la constitution de l’autocontrôle volontaire. (Chapitre IV)
  • 39. 39 1ère partie Les conditions sociales et médiatiques de l’émergence de la « psy »
  • 40. 40 CHAPITRE I : HISTOIRE DE LA PSYCHOLOGIE A LA TELEVISION ET EMERGENCE DE L’ENTREPRISE PSYCHOLOGIES La présence du « psy » et de la « psy » dans les médias connaît une véritable extension depuis ces vingt dernières années. Quels que soient les supports, le psy est présent pour parler de la psy. Dans un premier temps est-il possible de considérer comme le psy celui qui se prétend professionnel, interprète de la psy. La psy renvoie à la notion de psyché et de tous les avatars conduisant à une introspection de l’intimité des individus. Cependant le psy peut aussi être considéré comme le domaine relevant de la psy, c’est à dire tout ce qui est psychologique au sens large du terme, c’est à dire tout ce qui relève de la psyché, alors que les psys seraient les professionnels de ce domaine. La confusion sémantique met en avant la confusion générale lorsqu’il s’agit de définir les professionnels (psychologues, psychiatres, psychothérapeutes, développement personnel) et l’activité relative à un domaine particulier (psychologie, psychanalyse, psychothérapies, recherche de soi). Ainsi une convention doit-elle être passée : le psy est le domaine de la psy, les psy sont les représentants du domaine. Dans cette partie historique, nous tenterons d’esquisser l’évolution de la psy et du psy dans les médias, avec leur première apparition à la radio et leur arrivée à la télévision. La psy et les psys forment un couple souvent uni à chaque nouveau concept d’émission et très vite séparé lorsque le nouveau genre d’émission est généralisé, la psy passant du champ de compétence réservé au psy, vers une dilution de ce champ de compétence dans les mains de l’animateur. Toutefois la psy, jusqu’alors asservies aux besoins télévisuels, trouve son autonomie en faisant l’objet d’émissions informatives et culturelles. Cette transition permet l’émergence de Psychologie. L’émergence de l’entreprise Psychologies sera présentée dans la deuxième partie, où nous nous attacherons à la politique de l’image. Psychologies se sert des médias pour étendre son influence, renversant la tendance. Cette constitution d’une image de marque tend à en faire un référent de la culture commune, image qui pourra être déclinée sur de nombreux supports et domaines, notamment l’émission télévisée dont nous présenterons la trame narrative et les dispositifs techniques.
  • 41. 41 I) L’APPARITION DU PSY ET DE LA PSY A LA TELEVISION La psychologie apparaît en premier dans les médias sur les ondes radiophoniques. La radio est l’instrument de la parole et semble naturellement se prêter à la psychologie, qui est fondée sur un échange entre le consultant et le professionnel. La connaissance de soi passe par une formulation orale des non-dits structurant la pensée. La radio permet de retranscrire cet exercice en créant un nouvel espace public pour une parole relevant initialement de l’intimité. Ménie Grégoire instaure un premier dialogue avec l’auditeur, sur le ton de la confession. Françoise Dolto privilégie la réflexivité individuelle en encourageant l’auditeur à lui écrire, lettre qu’elle analysera et commentera ensuite en compagnie de Jacques Pradel. La parole intime sort du carcan privé pour trouver une place dans l’espace public. Ce processus continuera avec notamment l’émission emblématique des jeunes, Lovin’ Fun dans les années 1990, combinant le commentaire de l’écrit et le dialogue direct avec l’auditeur. L’arrivée de la psy à la télévision instaure une nouvelle dimension, puisque à la parole seule qui protégeait l’individu, ne s’exposant que par des propos audibles, est incarnée dans l’image télévisuelle. Le psy est physiquement présent et perceptible par le téléspectateur qui assiste à un spectacle de l’intimité, très vivement critiqué avec la première de Psy-show, en 1983. La psy sert dès lors de grille de lecture pour accompagner un nouveau sujet télévisuel : l’individu ordinaire qui, de téléspectateur, devient acteur de ses émissions. Cette intrusion de la réalité dans la télévision permet à la psy de devenir une nouvelle grille de lecture de l’expérience individuelle. Cependant le monopole de la psy, jadis aux mains du psy, s’effrite pour être réutilisé par l’animateur qui en fait une arme pour mener ses talk-show. L’apparition de la télé-réalité et des jeux mettant en scène des individus dans des conditions reconstituées de réalité, nécessite le recours au professionnel de la psy qui initie tout un mouvement de décryptage de l’invisible. Ainsi la psy, initialement représentée par le professionnel, se banalise aux mains de l’animateur. A chaque nouveau type d’émission il est possible de constater ce retour du psy, qui légitime l’usage d’une telle grille de lecture, puis la vulgarisation par l’animateur qui s’en sert à son compte.
  • 42. 42 A) L’apparition de la psy dans les médias 1) La radio, où la naissance médiatique de la psy La radio, associée au téléphone, est le premier média à tisser une relation directe entre l’animateur et l’auditeur, permettant la constitution d’une échange, d’un dialogue audible par le plus grand nombre. Une relation d’intimité est envisageable. A partir de 1967, Ménie Grégoire anime pendant quatorze ans sur RTL une émission particulière mettant en scène les auditeurs, sur le mode de la confession, abordant le thème de l’éducation sexuelle. Des auditeurs sont appelés à témoigner, les plus représentatifs sont diffusés afin de donner leur avis et faire part de leurs problèmes. L’émission est diffusée en différé pour pouvoir mettre en place une censure. L’originalité d’une telle émission est la « mise en place d’un dispositif inédit des plaintes ordinaires »62 . Chacun peut exprimer son opinion par ce média qui rend public des préoccupations privées. En 1976, Françoise Dolto, anime une émission d’un nouveau genre sur France Inter, Lorsque l’enfant paraît. Il ne s’agit pas de psychanalyse en direct, mais plutôt d’une analyse des lettres des auditeurs, car l’écriture est un élément primordial dans la compréhension de soi : « parce que rester chez soi, prendre une feuille blanche, sa plume et commencer à mettre sur le papier ce qui nous trouble, c’est déjà un premier pas. »63 Présentée comme une émission de « bon sens », et non pas officiellement comme une émission psy, l’émission consacre l’arrivée du psy dans les médias grand public en tant que détenteur légitime de la grille de lecture de l’intimité. En septembre 1992, l’émission Lovin’ fun connaît un succès sans précédent pour les 13-25 ans sur la station Fun Radio. Composée du tandem Doc (Christian Spitz, pédiatre) et Difool, le trublion dédramatisant la situation par ses blagues, l’émission aborde des problèmes touchant les jeunes, analyse les lettres des auditeurs sur le modèle de Françoise Dolto, et reçoit en direct les coups de fils des auditeurs, mettant en place un « modèle de 62 Cardon (Dominique), « Chère Ménie… » in Réseaux n°70, page 2 63 Entretien Sylvia Lakhoff de Jacques Pradel citant françois Dolto, Lakhoff (Sylvia) « Psy mania sur toutes les chaînes » in Les Dossiers de l’audiovisuel, INA, septembre octobre 2003
  • 43. 43 réflexivité »64 . Les thèmes sont les relations amoureuses, les problèmes sexuels, les questions de société, les relations avec les parents. Actuellement Christian Spitz anime une émission de coaching psychologique, le Christian Psy Show sur RMC info. Ces émissions ouvrent un espace public de parole privée, conférant une dimension sociale à l’intériorité, l’intimité, le for intérieur individuel. Se comprendre par l’expérience individuelle d’autrui était le schéma directeur principal. Le psy opère le passage du cas singulier en expérience collectivement applicable, propose une nouvelle grille de lecture de soi, et légitime l’usage de la psy comme instrument de connaissance. 2) Psy-show ou la première exposition de l’intimité à la télévision Le psy à la télévision fait une entrée fracassante. L’émission Psy-show peut être considérée comme la première à faire entrer le psy sur la scène publique. En octobre 1983, sur Antenne 2, la première émission fait scandale en présentant un couple marié, Viviane et Michel, abordant un thème jusqu’alors absent de la télévision : les problèmes personnels intimes. Le thème de l’émission est synthétique et marque une rupture avec les émissions précédentes : « Mon mari souffre d’éjaculation précoce, et je n’ai jamais éprouvé de plaisir avec lui. » C’est un psychanalyste de renom, Serge Leclaire qui anime la « séance télévisée », créant une révolution dans l’approche de la télévision : ce qui relevait du secret médial ou de l’intimité se trouve exposé aux yeux du plus grand nombre. Pascale Breugnot, productrice de Psy-show prétend rompre avec la « télévision tisane »65 pour laisser la place à une « télévision active » capable de susciter de l’émotion chez le téléspectateur mais aussi proposant d’offrir un nouveau cadre d’expression de soi pour l’individu. Il s’agit de jouer sur deux nouveaux fronts, tout en faisant du premier une avancée en ouvrant la télévision à la parole du profane. Toutefois il ne s’agit pas d’une réelle thérapie en direct mais d’un espace d’expression des malheurs et problèmes quotidiens. « Psy-show fut un événement pour la télévision et un non-événement pour la société, parce que l’entrée du for intérieur sur le petit écran s’est produite alors qu’il régnait déjà partout dans la société. »66 Le for 64 Rui (Sandrine), « La foule sentimentale », in Réseaux n°70, page 6 65 Cité dans Ehrenberg (Alain), L’Individu incertain, Pluriel, 1995, page 167 66 Ehrenberg (Alain), ibidem, page 169
  • 44. 44 intérieur comme lieu d’expression des troubles de l’âme se publicise, s’ouvre et dévoile ses logiques. Les maux, dilemmes, querelles, tensions, non-dits se projettent sous le regard du psychanalyste. Les logiques secrètent se révèlent, et par conséquent deviennent une référence possible pour le téléspectateur. La voie est ouverte à une possible technicisation de cette capacité de jugement en proposant à des individus des modèles d’analyse de soi : « On n’est pas là pour dire aux téléspectateurs ce qu’ils doivent penser, mais pour leur fournir matière à réagir. »67 En effet, le drame individuel est postulé, les difficultés quotidiennes trop longtemps refoulées, Psy-show met à jour tout ceci en stipulant que le téléspectateur est resté trop longtemps victime de la télévision tisane. Matière à réagir mais aussi matière à agir en érigeant en exemple les cas présentés, en élevant le cas particulier à généralité. Toutes les femmes dont le mari souffrent d’éjaculation précoce pourront s’inspirer des conseils prodigués par l’émission, ouvrir un dialogue avec le mari ou les proches, rompre le tabou (qui n’est plus tabou car présent à la télévision). Le mode de présentation du thème peut devenir un référent pour le téléspectateur. Dès lors que le for intérieur se publicise, la liberté de constitution individuelle est atteinte, car la liberté d’errance en son for intérieur, l’intimité des logiques intérieures pour trouver une solution se trouvent sorties de la zone d’ombre, présentées telles quelles. Or le plus grand nombre peut préférer utiliser un résultat que de construire et chercher le résultat. Nous achetons de plus en plus de salades en sachet, pourquoi la choisir, la nettoyer, l’essorer, la couper, sélectionner le blanc ou le vert, écarter les feuilles passées alors que le résultat fini est offert. Juste un peu d’assaisonnement à son goût, et la salade est prête. En se positionnant comme matière à réagir, Psy-show propose une offre de vision de l’intimité et des recettes de résolution des problèmes. Evidemment chacun peut améliorer ses recettes, modifier les ingrédients, mais la base demeure la même. Ce spectacle de la réalité « maintient le lien entre l’individu et le monde – et c’est la fonction phatique de la communication – et l’interprète en le mettant en scène pour le spectateur. »68 Psy-show est donc la première émission à interpréter le lien entre l’individu et son for intérieur en l’interprétant, or chaque interprétation réduit la vision originelle, oriente les conceptions, édicte des règles d’interprétation se confortant à la logique de « conviction du sens commun » mise en avant par Esquenazi : « il serait possible de découvrir l’âme de la personne en la regardant au 67 Ehrenberg (Alain), ibid., page 169