Article de recherche scientifique par Thomas Bonnecarrere et Aurore Marronneau sur l'étude d'un modèle optimal de manipulation de l'individu en entreprise. Validé par un chercheur en sciences de l'Information-Communication.
Article de recherche scientifique sur la manipulation Thomas Bonnecarrere - Aurore Marronneau
1. BONNECARRERE Thomas; MARRONEAU Aurore
ICOMTEC Poitiers
Etude d’un modèle optimal de manipulation de l'individu adapté au
milieu de l'entreprise
Document rédigé dans le cadre d'un cours d'introduction à la recherche. A visée
uniquement pédagogique.
2. Résumé
Nous proposons dans cet article d’analyser différentes théories de manipulation issues du
domaine de la psychologie sociale afin de créer une méthode optimale pour le milieu de
l’entreprise. Cette méthode suggère la corrélation de plusieurs théories approuvées afin
d'augmenter les processus de stimulation psycho-cognitive, ceci ayant pour but de faire
réaliser à un de nos collègue une tâche que nous ne souhaitons pas réaliser. Nous nous
basons sur une hypothèse simple : si elle est suffisamment conditionnée au niveau
psychologique, la victime acceptera de nous aider afin de se sentir « bien dans sa peau »,
d’avoir une bonne image au sein de notre structure et de participer à la réussite de notre
entreprise. Grâce à une expérience effectuée sur 70 personnes (33 hommes et 37
femmes), nous démontrerons que cette méthode est à priori beaucoup plus efficace que
les autres techniques utilisées séparément (augmentation du taux d'acceptation de 30 %)
tout en relativisant ces résultats au vu du faible taux d'expérimentation et de la non-
diversité des statuts professionnels.
Abstract
We propose in this article to analyse different theories of manipulation that come from
social psychology to create an optimal method for companies. This method is based on
the correlation of many approved theories to increase the processus of psycho-cognitive
stimulation, in order to make realize by one of our colleague a work we do not want to
do.Our hypothese is simple : if the person is enough psychologically conditionned, she will
accept our request to « feel good », to have a good reflect of herself in our structure, and
to contribute to the good evolution of our company. Thanks to an experience based on 50
people (33 men and 37 women), we show that this method seems to be more effficient
than the other techniques used separately (we notice an increase of the tase of
acceptation of 30 %) but we also relativize these results because of the week tase of
experimentation and the non-diversity of the professional status.
Mots-clés français: Psychologie sociale; Manipulation; Environnement social; Socio-
cognition implicite; Demande implicite; Comportement social; Pression sociale;
Dissonance cognitive; Pied-dans-la-porte; Etiquetage; Triangle de Heider; Engagement;
Enjeux identitaires; Soumission librement consentie
English Keywords: Social Psychology; Manipulation, Social environment; Implicit socio-
cognition; Implicit request; Social beahavior; Social pressure; Cognitive dissonance; Foot-
in-the-door; Social labeling; Heider triangle; Commitment; Identity stakes; Free
Compliance
3. La manipulation d’un individu au sein de son entreprise peut elle être
optimisée par la combinaison de plusieurs théories de psychologies
sociales validées scientifiquement?
La manipulation en psychologie sociale est un domaine qui a largement été étudié
par de nombreux chercheurs et qui a permis l'élaboration de techniques permettant
d'amener un individu à effectuer une action contre son gré. Celles-ci utilisent toutes des
processus cognitifs et mentaux bien spécifiques qui font appels à plusieurs
caractéristiques psychiques et cognitives de l'individu. Ainsi, un individu peut être amené
contre sa volonté à effectuer des actions qu'il n'aurait jamais effectué seul, car étant
soumis à des pressions psychologiques extrêmement intenses se produisant en grande
majorité dans la partie inconsciente de son cerveau. Nous avons décidé de tenter de créer
une méthode optimale de manipulation qui se base sur une construction complexe
composée de plusieurs techniques déjà approuvées scientifiquement et qui utilisent la
plupart des facteurs socio-cognitifs exploités dans ce domaine précis de la psychologie.
Cette méthode aura comme particularité d'être effective dans le milieu de l'entreprise, car
nous supposons qu'elle ne peut être pleinement efficace que dans un contexte de groupe,
de concurrence et de pression économique et financière qui pèse sur l'individu.
L'intérêt de cette recherche est que la plupart des techniques existantes n'ont jamais été
étudiées en corrélation les unes avec les autres et dans un contexte bien particulier
comme celui-ci. Nous allons donc essayer au travers de cette expérience d'élargir le
champ de la connaissance au niveau de la manipulation des individus et de leur
comportement social.
Psychologie sociale et manipulation
La psychologie sociale
La psychologie sociale est une branche commune à la psychologie et à la sociologie qui
se concentre sur l'étude des comportements et des réactions humaines lorsque les
individus sont placés dans un contexte social. Elle étudie notamment les modifications ou
évolutions psychologiques et cognitives des individus lorsque ceux-ci sont confrontés à
des situations mettant en scène des relations interpersonnelles (entre individus). Elle porte
donc sur les interactions des individus lorsqu'ils sont en groupe ou en société, à la fois
dans leurs aspects psychologiques et sociaux.
La manipulation
Nous appelons manipulation la modification de l’esprit et du comportement d’un individu
grâce à des techniques d'influence psychologique. Ces techniques permettent de
détourner les capacités critiques et le jugement de la personne. La manipulation
psychologique se déroule entre un manipulateur et un manipulé (appelé en psychologie
sociale « cible »). La manipulation est une technique spécifique d'échange : elle consiste
pour un manipulateur à profiter de la crédulité de la victime pour détourner son
comportement vers son profit personnel en détournant les ressources matérielles et
morales d'un influencé. L’influencé se croit toujours libre de ses choix. Ne sachant pas
précisément par quelles méthodes il est devenu dépendant, il entretient lui-même l'illusion
4. que son obéissance conditionnée est de la pure liberté. L'influencé est manipulé car ils
l'ignore : son esprit est donc facilement modifiable. Cela vient du fait que nous ne pouvons
faire un usage satisfaisant de notre volonté que dans la connaissance. Ne pas connaître la
manipulation est prendre le risque d’être manipulé. La crédulité, les préjugés, les doctrines
sont les terrains privilégiés de la manipulation.
En alliant plusieurs méthodes validées individuellement de psychologie sociale, un
modèle optimal de manipulation pour le milieu de l'entreprise peut être créé.
Nous avons créé pour cette expérience une méthode spécifique basée sur la
combinaison de nombreuses techniques de manipulation, dans le but de créer un
conditionnement optimal de notre cible, afin que celle-ci soit la plus à même d'accepter
notre requête, ce qu'elle n'aurait jamais fait par elle-même. Nous avons nommé cette
méthode le « Pied-dans-l'esprit », en référence aux noms de techniques que nous
intégrons dans celle-ci (Pied-dans-la Porte et Pied-dans-la bouche).
Nous avons mené notre expérience dans des entreprises variées : Télécommunication,
Génie Civil, Informatique, Agro-alimentaire, Assurance, Habillement et Banque afin de
proposer des résultats qui soient les plus fiables possibles et représentatifs de la réalité.
Nous allons tout d'abord expliquer deux aspects importants dans tout travail de recherche
en psychologie sociale qui sont les variables dépendantes et indépendantes.
Variable dépendante
Dans la méthodologie expérimentale, il s'agit de la variable qui est mesurée par le
chercheur. Par exemple, si nous voulons étudier l'effet d'une technique de manipulation
sur un individu par des techniques de psychologie, la variable dépendante est le taux
d'efficacité de la manipulation exercée sur la personne mesuré par le chercheur.
Variable indépendante
Dans la méthodologie expérimentale, il s'agit de la variable qui est manipulée ou
sélectionnée par le chercheur. Par exemple, si on veut étudier l'effet d'une technique de
manipulation sur un individu par des techniques de psychologie, la variable indépendante
est la technique de manipulation utilisée par le chercheur.
Nous pouvons aussi dire que la variable indépendante est la cause présumée des
résultats de l'expérience.
Nous appellerons ces variables dans notre texte V D (Variable Dépendante) et V I
(Variable Indépendante).
Voici maintenant les différentes théories abordées que nous allons utiliser dans notre
expérience :
La théorie de l’engagement.
Les techniques de manipulation qui découlent de cette théorie sont à la base du marketing
et de la publicité. « Seuls les actes nous engagent. Nous ne sommes donc pas engagés
par nos idées ou par nos sentiments mais par nos conduites effectives. Nous ne
5. remettons pas en cause une conduite si la décision qui l’a précédée a été réalisée en
pesant les pour et les contres de l’acte lui-même. Nous rationalisons et justifions alors cet
acte même si un sentiment de s’être trompé persiste ». « L’individu rationalise ses actes
en adoptant après coup des idées susceptibles de les justifier » écrivent Jean-Léon
Beauvois et Robert Vincent Joule, chercheurs en psychologie sociale. Nos opinions
adoptées après coup pour justifier nos actes sont intériorisées. L’individu se persuade
alors de sa nouvelle opinion. Nous préférons nous raccrocher à une décision et la
défendre au besoin par des mensonges plutôt que d’avouer nous être trompé. Beauvois et
Joule ont nommé cela « l’escalade d’engagement ».
Théorie du pied dans la porte
Le principe de la théorie du pied dans la porte est simple : l’expérimentateur demande peu
dans un premier temps pour tenter d’obtenir beaucoup par la suite.
A noter que le processus d’engagement n’est pas le même selon les individus et les
situations. L’expérimentateur demande donc à l’individu un petit service dans un premier
temps. Une fois cette personne impliquée dans sa relation avec l’expérimentateur un
second service lui est demandé, plus contraignant. L’individu accepte cette faveur en se
souvenant de sa dernière implication et du retour (remerciement) qu’il en a eu.
Théorie de l’amorçage
Le principe de la théorie de l’amorçage ou Low Ball est d’obtenir d’un individu qu’il prenne
une décision en pensant aux avantages qu’il en tirera plutôt qu’au coût réel qu’elle entrai-
nera. L’expérimentateur fonde souvent ses arguments sur des mensonges (par omission
ou réels) qui rendent l’avantage factice. Lorsque le mensonge est volontaire alors l’amor-
çage frôle l’illégalité. Une fois que l’individu a pris sa décision, l’expérimentateur annonce
la requête réelle. L’individu pense que sa décision fut prise en toute liberté et l’assume en
s’engageant pleinement, et en se faisant manipuler.
Théorie de l’étiquetage
La théorie de l’étiquetage est basée sur la manipulation d’une personne en utilisant son
image. L’expérimentateur attribue un caractère à l’individu. Celui-ci, se sentant concerné,
adapte sa réaction et son attitude. Si l’individu est complimenté (exemple : « vous êtes ex-
pert dans ce domaine ») alors il adapte son attitude pour être en cohérence avec cet as-
pect attribué à sa personnalité. L’expérimentateur profite de ce changement de comporte-
ment pour demander un service à l’individu, et celui-ci l’accepte afin de se conforter dans
sa position. l’individu se voit remercié « c’est très aimable à vous de m’avoir apporté ce
service, vous m’avez beaucoup aidé, je vous en suis redevable… ».
La dissonance cognitive
Nous allons alors tenter d’influencer les attitudes et pensées de notre collègue grâce à la
théorie de la dissonance cognitive. Afin de manipuler notre collègue, nous allons lui faire
ressentir un état de malaise. Nous profitons de ce malaise dû à la présence simultanée
d’éléments contradictoires dans la pensée de la victime (désaccord entre son attitude et
son comportement) afin de lui faire adopter une conduite. Pour réduire cette tension psy-
chologique intérieure notre collègue va modifier un des éléments dissonants, à savoir son
attitude.
6. L’influence majoritaire
Cette technique repose sur l'idée qu'un individu est souvent poussé à changer son com-
portement pour l'accorder avec le comportement d'un groupe majoritaire sous la pression
non tangible de celui-ci. Trois aspects du conformisme permettent de le dissocier d'autres
formes d'influences :
- c'est un phénomène qui se produit à l'intérieur d'un groupe.
- le groupe ne possède pas de volonté explicite d'influencer un de ses membres; l'individu
n'a pas toujours conscience d'être influencé.
- Il n'y a pas de hiérarchie entre la source et la cible d'influence.
Dans notre méthode de manipulation, nous souhaitons faire pression sur notre collègue
« naïf » en le confrontant à la pression du groupe de collègues présents afin de lui donner
une tâche à réaliser (ces personnes sont appelées des compères). Cette pression est
exercée par la simple présence de ces personnes (qui ont le même statut que lui, donc
pas de pression hiérarchique). Nos compères seront au courant de notre requête et seront
donc à l’écoute de notre conversation. Nous supposons que le collègue en question ac-
ceptera d’effectuer le travail, car il sera gêné de refuser devant les autres et subira le ma-
laise de l'opposition au groupe.
Les valeurs morales et sociales
Les valeurs sont un concept de psychologie sociale traitant des croyances et des
convictions qu'un individu possède. Elles sont parfaitement subjectives et varient selon les
cultures et l'éducation. Elles sont concrétisées par des normes. Les valeurs sociologiques
incluent les valeurs morales et éthiques (l'Ethos selon Aristote), les valeurs idéologiques
(politique) et spirituelles (religion), la doctrine et la valeur écologique. Elles représentent
des façons d'être et d'agir qu'un individu ou qu'une société reconnaissent comme modèle
et qui rendent estimables les individus auxquelles elles sont affectées. Elles sont appelées
à orienter l’action des individus dans une société, en fixant des buts et des idéaux. Elles
donnent aux personnes les moyens d'apprécier leurs actes et de construire une éthique.
Nous allons grandement utiliser ces valeurs dans notre expérience, celles-ci étant un
facteur de manipulation et de soumission extrêmement important.
Etude préliminaire du taux d'acceptation des cibles (VD) en fonction des
principales techniques de manipulation sélectionnées pour notre méthode(VI)
Nous allons pour commencer tester soixante personnes avec des techniques
communicationnelles différentes. 10 seront ainsi exposées directement à la requête sans
aucune technique (nous appelons ce groupe en psychologie sociale un « groupe
contrôle »), 10 personnes seront sollicitées pour la requête par un simple Pied-dans-la
Porte, 10 seront sollicitées simplement par un amorçage, 10 par un simple étiquetage, 10
en se voyant attribuer une liberté totale de choix (valeur) et enfin les 10 derniers par une
technique d'influence majoritaire. La requête que nous voulons formuler est
volontairement contraignante et inintéressante d'un point de vue cognitif : nous avons
choisi de demander à la personne de prendre une heure de son temps libre pour effectuer
un travail pour l'entreprise, ici recopier un formulaire de données importantes.
7. Requête simple sans technique (situation contrôle)
Tout d'abord, étudions la réponse des individus lorsqu'ils sont uniquement sollicités pour la
requête (situation contrôle). Nous abordons notre cible et lui demandons si elle
consentirait à consacrer une heure de son temps à effectuer un travail pour l'entreprise.
Ici, 1 seule personne a accepté, ce qui fait un taux d'acceptation de seulement 10 %.
Requête avec Pied-dans-la Porte simple
Maintenant, étudions les effets d'un simple Pied-dans la porte [20] dans la réponse de
notre cible. Nous abordons la personne deux jours avant la formulation de la requête en lui
demandant si elle pourrait signer une pétition pour la solidarité et le bien-être au travail.
Toutes les personnes ont accepté. Deux jours plus tard, nous exposons à notre cible la
véritable requête : consacrer une heure de son temps à effectuer un travail pour le compte
de l'entreprise.Ici, 4 personnes ont accepté cette requête, ce qui fait un taux d'acceptation
de 40 %.
Requête avec amorçage simple
Analysons les effets d'un simple amorçage [13] : nous abordons la personne et lui
demandons si elle consentirait à nous rendre un service. Les 10 personnes ont accepté.
Nous exposons finalement notre véritable requête et observons la réaction de ces
personnes : 4 personnes ont accepté. Le taux d'acceptation est donc identique à celui de
la situation « Pied-dans-la Porte » (40 %).
Requête avec étiquetage simple
Nous allons étudier les effets d'un simple étiquetage [32] : nous exposons à notre cible la
requête et rajoutons que ce serait vraiment généreux de sa part (utilisation de la valeur
générosité) de le faire. Ici, 3 personnes ont accepté (taux d'acceptation : 30 %).
Requête avec simple valeur liberté
Analysons la réponse de notre cible lorsque nous lui formulons la requête en faisant
intervenir la valeur liberté [31] : nous rajoutons avant qu'elle n'ait le temps de répondre
qu'elle est bien sûr libre d'accepter ou de refuser cette demande. 20 % des personnes ont
finalement accepté (2 personnes sur 10).
Requête avec simple pression majoritaire
Enfin, nous étudions le comportement par l'utilisation d'une pression majoritaire. Nous
abordons notre cible avec la simple présence d'autres collègues et lui exposons la requête
en mentionnant que ce travail aiderait grandement tout le monde : les collègues, nous-
mêmes et l'entreprise toute entière car cette activité étant très importante pour la bonne
évolution de notre entreprise. Ici, 50 % des personnes ont accepté. Le taux d'acceptation
est donc de 50 % ce qui est légèrement supérieur aux conditions de « Pied-dans-la
Porte » et d'« Amorçage ».
8. Voici le tableau récapitulatif de ces expériences :
VD : Taux d'acceptation de la cible; VI : Techniques psychologiques utilisées
Technique Situation Pied-dans la Amorçage Etiquetage Pression Valeur liberté
utilisée contrôle Porte simple majoritaire
Taux 10,00% 40,00% 40,00% 30,00% 50,00% 20,00%
d'acceptation
Total : 60 personnes testées (10 personnes pour chaque technique)
Etude du taux d'acceptation (VD) en fonction de notre nouvelle méthode de
manipulation « Pied-dans-l'esprit » (VI)
Nous allons cette fois tester dix personnes avec notre nouvelle méthode que nous
avons baptisé « Pied-dans-l'Esprit ». Nous allons entamer l'expérience deux jours avant la
formulation de la requête. Ceci a pour but de « préparer » le sujet cible et de l'aborder
sans qu'il se sente agressé et adopte une attitude défensive le jour décisif.
Nous allons donc commencer par utiliser la technique de l'engagement ou du Pied dans la
porte en amenant la personne à s'engager tout d'abord dans un acte qui ne lui coûtera
rien. La personne doit ainsi être abordée calmement, et questionnée une première fois
avec une technique de « Pied-dans-la bouche » [24] . On va par exemple lui demander
comment elle va.
Toutes les personnes interrogées ont répondu affirmativement. Tout de suite après, nous
lui demandons si elle accepterait d'effectuer pour nous un acte non coûteux. Nous utili-
sons donc la technique du Pied-dans-la Porte. Nous avons choisi de proposer à notre
cible de signer un document concernant la solidarité au travail, où elle soutient de par sa
signature l'entraide entre les collègues et l'investissement au sein de son en-
treprise pour le bien de tous.
A ce stade, 100% des sujets testés ont répondu par l'affirmative. Ceci constitue le tout
premier pas vers le conditionnement du comportement de notre cible. En effet, le fait de
signer ce document qui a priori est insignifiant va l'engager dans ses actes, ici le soutien à
l'entraide et à la solidarité au travail. Il sera donc beaucoup plus susceptible d'adopter un
comportement conforme à ses idées par la suite.
Nous remercions la personne par un étiquetage : nous lui répondons que c'est quelqu'un
de gentil et de solidaire. Ainsi, nous lui faisons inconsciemment intérioriser ce trait de per -
sonnalité, et lui touchons [25] légèrement l'épaule tout en gardant une distance raison -
nable.
Ce simple toucher va servir de processus cognitif qui va créer un rapprochement entre la
cible et nous. En même temps que nous la touchons, nous lui adressons un sourire[26]
naturel afin que la personne ressente un sentiment positif plus important envers la per-
sonne.
Deux jours après, nous abordons à nouveau notre cible, avec un autre sourire.
9. Nous effectuons alors un Pied-dans-la-Mémoire [10] : nous la remercions naturellement
pour sa contribution à la cause pour la solidarité au travail car grâce à elle, nous avons
réuni assez de signatures pour créer une association de défense pour le bien-être au tra -
vail (ce qui est bien sûr totalement faux). Nous lui effectuons ainsi un étiquetage, en lui di-
sant que c'est vraiment gentil de sa part, et qu'elle a grandement aidé l'entreprise et
l'ensemble de ses collègues.
Vient enfin l'acte attendu : la formulation de la véritable requête. Pour la préparer au
mieux, nous effectuons la technique de l'amorçage : nous demandons à notre cible si elle
accepterait à nouveau de nous rendre un autre service, en complétant ensuite cette re-
quête en faisant intervenir une valeur importante : cela serait responsable, solidaire et gé-
néreux de sa part. S'étant déjà engagée dans cet acte deux jours auparavant et ayant été
fortement remerciée pour cette action, elle devrait répondre logiquement affirmativement.
En effet, suite à cette question, l'ensemble des personnes interrogées ont accepté.
Nous exposons finalement notre véritable requête : consacrer une heure de son temps
libre pour effectuer un travail important pour l'entreprise. Avant même que la personne ré-
ponde, nous rajoutons qu'elle est évidemment parfaitement libre d'accepter ou de refuser
(fait intervenir la valeur liberté) tout en prenant un peu de recul, mais lui disons que ce se -
rait quand même vraiment gentil de sa part si elle acceptait (étiquetage et appel à
l'éthique), car cela rendrait grandement service à tout le monde et à l'entreprise qui néces-
site cet investissement important pour son bon fonctionnement économique et financier.
Notre collègue doit se rendre compte que s'il refuse d’effectuer le service demandé alors il
se verra discrédité auprès des collègues présents (« on ne peut pas compter sur lui »,
« c’est pourtant lui l’expert dans ce domaine »,...). Il perdra donc l’image positive à laquelle
il tient. De plus la requête qui lui est demandée étant liée à l’avenir même de l’entreprise, il
nuit à sa société et à ses collègues s’il refuse de rendre ce service.
La personne se retrouve alors en état de dissonance cognitive [19]. Elle se retrouve toute
seule confrontée à un malaise : si elle refuse, elle ira à l'encontre de ce à quoi elle s'est
engagée auparavant et ce dont pourquoi elle a été félicité et décevra ses collègues ainsi
que nous-mêmes. Nous prenons de la distance avec le sujet, en nous reculant un peu,
afin de la laisser confrontée à cet état de mal être en l'augmentant par l'éloignement.
Nous faisons donc, comme nous l'avons vu, intervenir la dissonance cognitive : l'individu,
après s'être vu attribué une valeur positive (sympathie) par le manipulateur, va se sentir en
malaise s'il n'accepte pas la requête.
Nous avons également pris soin avant la formulation de la requête de demander à des
compères (ici des collègues) d'être présents lors de la scène. Ceci dans le but de créer un
sentiment de proximité avec la cible, et augmenter encore plus l'état d'inconfort de la vic -
time en cas de réponse négative.
A la fin de cette expérience, 8 personnes sur les 10 ont accepté notre requête coûteuse.
10. Récapitulons maintenant les résultats de chacun de nos tests respectifs :
VD : Taux d'acceptation de la cible; VI : Techniques psychologiques utilisées
Technique Situation Pied-dans la Amorçage Etiquetage Pression Valeur Méthode Pied
utilisée contrôle Porte simple majoritaire liberté dans l'esprit
Taux 10,00% 30,00% 50,00% 30,00% 30,00% 20,00% 80,00%
d'acceptation
80% d’acceptation avec la méthode « Pied-dans-l'esprit »
Total : soixante-dix personnes testées (10 personnes pour chaque technique)
Le taux d'acceptation de notre cible avec l'utilisation d'une seule technique n'excède
pas les 50 %. Sur 10 personnes testées avec notre nouvelle méthode « pied-dans
l'Esprit » , 8 personnes ont accepté la requête (taux d'acceptation : 80 %). Cet échantillon
était composé de 50 % d'hommes et 50% de femmes. 5 femmes et 3 hommes ont accepté
la requête. Toutes ces personnes occupaient des postes similaires au sein de l'entreprise,
c'est-à-dire techniciens et subordonnés. Nous sommes donc passés, grâce à notre mé-
thode complexe de manipulation, à une hausse du taux d'acceptation de 30 %. De 50 %
avec une simple technique, nous avons atteint les 80 % d'acceptation avec notre mé-
thode. La VI ayant été optimisée au maximum dans notre méthode de par l'utilisation de
nombreuses techniques psychologiques, nous pouvons dire au vu de nos résultats que la
combinaison de variables indépendantes dans notre expérience a influé sur notre variable
dépendante, que nous cherchions à étudier.
11. La psychologie sociale a fait l’objet de nombreuses études et expérimentations. Les théo-
ries utilisées dans notre étude se distinguent par une influence et stimulation différente
des parties du cerveau (reptilien et lymbique qui gèrent les caractères affectifs, éthiques et
moraux). Nous avons dans un premier temps étudié ces théories de façon analytique afin
de comparer les résultats de chacune.
Nous avons par la suite réfléchi à une imbrication optimale de ses théories afin d’en créer
une à part entière et d'aboutir à notre but initial : faire réaliser le travail coûteux par notre
collègue.
Pour conclure, au vu du très fort taux d'acceptation (80 %), nous pouvons dire que notre
expérience a très bien fonctionné. Cependant, les résultats de nos tests ne peuvent
confirmer véritablement notre hypothèse car l’échantillon n’est absolument pas représen-
tatif de la réalité : il conviendrait d’étendre nos analyses avec un échantillon significatif
(plusieurs milliers de personnes) et représentatif du milieu choisi (l’entreprise) pour parve-
nir à un résultat significatif. Ainsi, il nous faudrait tester cette méthode sur des statuts pro-
fessionnels variés (techniciens, cadres,...). Les personnes que nous avons testées évo -
luaient quant à elles toutes dans des secteurs différents (Télécommunications, Génie Civil,
Agro-alimentaire, Assurance etc). Le secteur professionnel n'est donc pas un facteur dé-
terminant, car les contraintes et les pressions humaines et financières que les individus
subissent sont identiques dans tout secteur concurrentiel. Nous pouvons aussi rajouter
que les sujets testés avec notre méthode possédaient des statuts matrimoniaux variés : 4
étaient mariés, 3 étaient célibataires et 3 en couple. Les personnes ayant refusé étaient
mariées (2) et une autre était célibataire. Ce facteur n'est donc pas non pas vraiment déci-
sif dans notre expérience.
Nous devons aussi relativiser la portée de cette expérience et rajouter un point important
qui est que les techniques de manipulation que nous avons étudiées ne sont efficaces que
dans certaines cultures [15] Les pays dont l'éducation et le mode de vie ne sont pas les
mêmes que nos pays occidentaux (Inde, Japon) ont généré des résultats totalement diffé-
rents : les individus sont bien moins facilement influençables par ces techniques car moins
sensibles aux valeurs et à l'éthique personnelle. Même si cette méthode venait donc à être
validée, elle ne pourrait jamais prétendre à être universelle.
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