Telcos en Afrique subsaharienne : chiffre d'affaires ou affaire de chiffre ?
1. Telcos en Afrique subsaharienne :
chiffre d’affaires ou affaire de chiffres ?
Ma profession m’a amené à réaliser plusieurs audits auprès d’opérateurs de
télécommunications, particulièrement en Afrique subsaharienne et au Maghreb. Outre
les aspects organisationnels, les recherches de fraude (dont SIM Boxes), certains
audits réalisés à la demande de régulateurs avaient pour but de vérifier la sincérité des
comptes et des déclarations de données (trafics, parcs, chiffre d’affaires…).
Dans nombre de pays d’Afrique subsaharienne, les opérateurs de télécommunication
sont les véritables « vaches à lait » des états. J’ai même rencontré le cas d’un pays
d’Afrique de l’Est où l’opérateur historique était sollicité pour payer les salaires des
fonctionnaires.
Hors la TVA sur la vente des biens et services qui est de nature purement fiscale, tous
les opérateurs sont fortement taxés sur leur chiffre d’affaires par l’autorité de
régulation qui dépend directement de l’État. D’où les soupçons des régulateurs quant à
la sincérité des résultats déclarés (le plus souvent selon une périodicité mensuelle) :
minoration du chiffre d’affaires, « oubli » de certains revenus, voire tentative
d’échapper à certaines taxes spécifiques sous couvert de flou ou d’incohérences entre
les termes des licences et la réglementation.
À quoi sert une autorité de régulation ?
Toutefois, depuis 2013, le taux de croissance du revenu de la téléphonie mobile
décroît en dépit d’une continuelle augmentation du nombre d’abonnés. Une des
principales raisons invoquées est la prolifération des applications de messagerie de
type WhatsApp, Viber, Facebook Messenger, etc. dites OTT (Over The Top) et
conséquence des nouvelles technologies web. Or ce sont les opérateurs qui investissent
dans les infrastructures de communications voix, messagerie, data, sans contrepartie
de ces quasi-opérateurs qui ne contribuent en rien au développement de ces pays mais
utilisent gratuitement les réseaux des opérateurs. D’où des résultats économiques à
l’encontre des objectifs proclamés.
Toutefois, depuis 2013, le taux de croissance du revenu de la téléphonie mobile
décroît en dépit d’une continuelle augmentation du nombre d’abonnés. Une des
principales raisons invoquées est la prolifération des applications de messagerie de
type WhatsApp, Viber, Facebook Messenger, etc. dites OTT (Over The Top) et
conséquence des nouvelles technologies web. Or ce sont les opérateurs qui investissent
dans les infrastructures de communications voix, messagerie, data, sans contrepartie
de ces quasi-opérateurs qui ne contribuent en rien au développement de ces pays mais
utilisent gratuitement les réseaux des opérateurs. D’où des résultats économiques à
l’encontre des objectifs proclamés.
Les autorités de régulation ont pour principaux objectifs de réguler le marché,
d’organiser et de développer le secteur pour créer de la richesse, de l’emploi et lutter
contre la pauvreté et les inégalités ; de permettre l’accès du public aux services de
2. communications électroniques de qualité sur toute l’étendue du territoire national à des
prix abordables (+ Service Universel); de favoriser le développement des services
large bande, indispensables à l’émergence de l’économie numérique ; de promouvoir
la saine concurrence sur le marché des communications électroniques grâce à une
régulation efficiente ; d’optimiser la planification et la gestion des ressources rares,
notamment des fréquences radioélectriques.
De ces objectifs globaux découlent des missions techniques comme, par exemple, la
tarification, les règles pour l’interconnexion, le plan de numérotation, l’agrément des
équipements, la gestion des noms de domaine, l’affectation du spectre des fréquences,
etc.
Dans certains pays, le régulateur s’est doté de systèmes de collecte des données de
trafic des opérateurs du pays (systèmes automatisés connectés aux plateformes des
opérateurs) afin de compléter et de comparer les données déclarées par ceux-ci
périodiquement à celles collectées de manière automatique.
À quoi sert une autorité de régulation ?
Dans la plupart des pays d’Afrique, les régulateurs imposent une taxe de 2% sur le
Chiffre d’Affaires, source principale de leur revenu.
Mais il existe beaucoup d’autres redevances. Une des plus importantes est la taxation
des minutes de communications internationales entrantes (ex : $ 0.05/minute).
Parmi les redevances annuelles, on trouve les postes suivants :
- la taxe d’homologation des équipements (ex : 5% de la valeur CIF),
- redevance annuelle sur les stations (ex : 10% du coût du titre par station)
- redevance annuelle d’exploitation des faisceaux hertziens (ex : 10% du coût du
titre)
- redevance annuelle d’exploitation des fréquences mobiles (ex : $ 5000/Mhz)
- Etc.
Quels sont les éléments du chiffre d’affaires des opérateurs de
télécommunication ?
Les principales sources de revenu sont les suivantes :
- services voix
- services d'interconnexion
- Autres recettes
- services données
- revente de capacités de transmission
- services à valeur ajoutée
- vente de terminaux
- ventes de cartes SIM
Selon le graphique ci-dessous (source MTN), on note que les deux premiers postes
représentent 92% du total.
3. 70%
22%
3% 2%
1%
1% 1% 0%
Répartition du chiffre d'affaires
services voix
services d'interconnexion
Autres recettes
services données
revente de capacité de
transmission
services à valeur ajoutée
vente de terminaux
Chiffre d’affaires déclaré vs chiffre d’affaires estimé
Le graphique ci-dessous montre la différence entre les volumes de trafic VOIX
collectés de façon automatique et les volumes déclarés par les opérateurs du pays. On
constate que les écarts sont très faibles sinon nuls.
0
500 000 000
1 000 000 000
1 500 000 000
2 000 000 000
2 500 000 000
3 000 000 000
3 500 000 000
ON‐NET OFF‐NET
Sortant
OFF‐NET
Entrant
INTL
Sortant
INTL
Entrant
Collecte Auto
Volumes déclarés
Comparaison entre les volumes de trafic voix collectés
automatiquement et les volumesdéclarés par les opérateurs
En revanche, en ce qui concerne les chiffres d’affaires déclarés et ceux estimés, l’écart
est plus important. Le graphique ci-dessous montre l’évolution du CA agrégé de tous
les opérateurs d’un pays d’Afrique de l’ouest.
4. ‐ CFA
5 000 000 000 CFA
10 000 000 000 CFA
15 000 000 000 CFA
20 000 000 000 CFA
25 000 000 000 CFA
30 000 000 000 CFA
janv.‐11
mars‐11
mai‐11
juil.‐11
sept.‐11
nov.‐11
janv.‐12
mars‐12
mai‐12
juil.‐12
sept.‐12
nov.‐12
janv.‐13
mars‐13
mai‐13
juil.‐13
sept.‐13
nov.‐13
GLOBAL MARKET DECLARE
GLOBAL MARKET ESTIMATE
L’écart moyen [Estimé – Déclaré] sur la période est de 14%.
Relativisons !
Un écart moyen de 14% peut paraître important aux yeux des régulateurs. Il faut
toutefois relativiser les choses. Selon mon expérience, les erreurs et incohérences dans
les reporting sont souvent plus importantes que les intentions inavouées de raboter son
chiffre d’affaires. J'ai même vu quelquefois le chiffre d’affaires déclaré supérieur au
chiffre d’affaires réel !
Quelques exemples d’erreurs rencontrées dans les fichiers déclaratifs mensuels
envoyés aux régulateurs :
- Multiplication par 1000 du trafic voix On-Net
- Données absentes sur une période sur les états déclaratifs alors que ces données
sont présentes sur les fichiers sources des opérateurs
- Différences d’interprétation de ce qu’est un parc « actif »
- Points aberrants dans les données d’interconnexion nationale (sortant de A vers B
totalement différent de Entrant dans B venant de A)
- Etc.
Un autre problème particulièrement prégnant en Afrique subsaharienne est le
développement de la fraude, en particulier des SIM Boxes qui détournent une partie du
trafic international entrant pour le transformer en trafic local, bénéficiant ainsi de
l'écart de coût d'acheminement de la communication.
Les régulateurs qui, généralement, taxent les minutes de ce trafic international entrant
devraient se rendre compte que le revenu escompté lui échappe totalement dans ce cas
de fraude.
Des calculs faits sur la base des pays audités nous donnent des pertes de revenus pour
le régulateur très supérieures aux pertes de sous-déclaration supposée ou réelle des
chiffres d’affaires.
5. En effet, si les opérateurs perdent aussi de l’argent car le coût de terminaison d’appel
international est supérieur au coût de terminaison d’un appel national (par exemple : $
0.20 contre $ 0.10), ils ne perdent pas sur le faux trafic national.
En revanche, c’est une perte conséquente pour le régulateur. Si, par exemple, celui-ci
impose une taxe de $ 0.05 la minute de communication internationale entrante, et
celle-ci étant transformée par la SIM Box en minute locale, la correspondance au
niveau de la taxation du chiffre d’affaires va lui rapporter seulement 2% de la même
minute au tarif local (par exemple, $ 0.10 x 2/100 = $ 0.002). La perte pour les
régulateurs, et donc les Etats, est énorme. Cela devrait inciter les régulateurs à
accroître la lutte contre la fraude SIM Box.
Le climat souvent conflictuel entre opérateurs et régulateurs ne devrait pas se
substituer à de véritables analyses précises et détaillées, quantitatives et qualitatives,
des données. Le rôle des régulateurs est aussi d’aider les opérateurs à combattre la
fraude par tous moyens.