Dans le cadre du Forum des Télécoms et du Net organisé par les Echos le 1’ juin 2012, Pierre Louette, Président de la FFTélécoms a été invité à intervenir à une table-ronde sur l’environnement règlementaire, fiscal et juridique des acteurs du net et des télécoms aux côtés de Philippe Marini, Sénateur UMP de l’Oise, Président de la commission des finances, de François Momboisse, Vice-président en charge de la croissance du CNNum, Président de la FEVAD et Orion Berg, avocat chez White & Case.
Intervention Pierre Louette au Forum des Télécoms du Net
1. Forum Les Échos
Table ronde « Environnement réglementaire, fiscal et juridique des acteurs du net et
des télécoms : quelles évolutions nécessaires pour un nouvel équilibre ? »
Jeudi 14 juin 2012
Intervention Pierre Louette, Président de la FFTélécoms, Directeur général adjoint et
Secrétaire général du Groupe France Télécom Orange
1. Il faut avant tout rappeler une évidence : les opérateurs sont des acteurs-clés, non
seulement de l’écosystème numérique, mais de la croissance et de l’emploi dans
notre pays.
o Sans réseau qui fonctionne bien – et on peut vraiment parler de qualité
pour les réseaux télécoms français - pas d’accès à la couche « visible »
des services numériques, que nous utilisons au quotidien (Google).
L’émergence des services cloud, avec lesquels vous accédez à vos
applications et à vos données en ligne, ne fait que renforcer ce caractère
essentiel des réseaux.
o Avec 6Mds€ d’investissement annuel dans les réseaux et les services 1 , les
opérateurs télécoms contribuent naturellement pour une part significative à la
croissance, à la productivité des entreprises, à la compétitivité de l’économie
et au bien-être social de nos concitoyens.
Selon COE Rexecode, l’investissement dans le numérique explique 25%
de la croissance française, dont 2/3 par effet indirect (contribution à la
productivité globale de l’économie).
Selon la Commission Européenne, dix points de plus dans le taux de
pénétration du très haut débit dans l’UE, c’est entre 1 et 1,5 point de
croissance économique en plus.
1
hors achat de licences mobile, qui ont compté pour près de 5 milliards d’euros entre 2010
et 2012.
2. Pourtant, de manière très paradoxale, les opérateurs sont surfiscalisés à hauteur de
20% de leurs investissements et de 12% de leur compte d’exploitation.
o De quoi parle-t-on ? D'une surfiscalité spécifique au secteur des télécoms,
qui vient s’ajouter à la fiscalité générale des entreprises déjà payée par tous
les opérateurs, afin d’alimenter soit le budget général, soit des comptes de
soutien particuliers, notamment dans le domaine de la culture.
Au total, plus de 1,2 milliard d’euros pour les membres de la FFT en 2011
- dont 400 millions d’euros pour l’IFER cuivre, 230 millions d’euros pour
la taxe destinée à alimenter France Télévisions et 150 millions d’euros
pour le Cosip.
o Alors que d’autres grands pays comme les USA, dotés d’une politique
industrielle appropriée, préservent les acteurs du numérique de toute
surfiscalité, la politique française grève les capacités d’investissement des
opérateurs et, partant, le déploiement des nouveaux réseaux, la compétitivité de
notre pays et l’emploi.
2. Cette surfiscalité constitue une distorsion de concurrence importante avec les
acteurs mondiaux du numérique, qui ne sont eux pas touchés
o Les acteurs globaux du web, les fameux « over-the-top », développent avec
beaucoup de succès leurs activités en France, en bénéficiant notamment de
la qualité des infrastructures numériques et du fort taux de pénétration du haut
débit.
Les prévisions montrent qu’ils capteront l’essentiel de la valeur dégagée
par le numérique dans les années à venir en France : 9 milliards d’euros
de chiffre d‘affaires prévus en 2015 contre 4 milliards en 2010, alors
que le chiffre d‘affaires des opérateurs a lui commencé à décroître en
2011 sous l’effet de la réglementation et de la concurrence.
o Parallèlement, ils fournissent des services parfois en concurrence directe avec
ceux des opérateurs télécoms (téléphonie, visiophonie, messagerie, accès aux
contenus, etc.) et occupent une bande passante croissante sur les réseaux,
sans toujours participer à leur financement.
3. o Or ils échappent largement aux fiscalités tant de droit commun que sectorielle,
par une optimisation astucieuse fondée sur l’existence de niches fiscales
européennes, notamment en Irlande et au Luxembourg. Ils sont ainsi très
peu imposés via l’IS et profitent notamment de la TVA à taux réduit du
Luxembourg.
o Ils échappent également à la réglementation (CPCE) à laquelle sont soumis les
opérateurs. Ainsi, les plateformes mail ou de téléphonie sur IP ne sont pas
contraints par les obligations de sécurité, ni par le secret des
correspondances.
3. Notre demande est donc aussi simple que ferme : la justice et l’équité fiscale pour
tous les acteurs du numérique - nationaux ou globaux - exerçant des activités en
France.
Concrètement, l’objectif réaliste est d’étendre l’assiette fiscale du numérique à
tous les acteurs concernés. Il présente des avantages pour chacune des parties
prenantes :
o L’État consoliderait ses recettes fiscales et leur assurerait une vraie
dynamique, puisque l’essentiel de la croissance de la valeur du numérique
est aujourd’hui captée par les acteurs globaux.
o Les bénéficiaires de la surfiscalité actuelle verraient leur financement partagé
par un plus grand nombre d’assujettis et assis sur une vraie dynamique.
o Les opérateurs, quant à eux, seraient enfin placés dans une situation
d’équité propice à une concurrence loyale et au développement de
l’innovation.
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Il appartient maintenant au législateur et au gouvernement d’agir, tant au plan national
qu’au plan communautaire, dans l’intérêt bien compris de tous les acteurs du
numérique, de l’État, mais aussi et surtout pour la croissance et la compétitivité de
l’économie nationale et sa capacité à développer l’emploi dans notre pays.
Je me félicite que ce débat soit aujourd’hui sur la place publique et je rends hommage à
M. le sénateur Marini, qui l’a porté depuis plusieurs mois au sein du monde politique.