Suite à la crise de l'art contemporain soulignée par les auteurs Nathalie Heinich et Yves Michaud dans leurs livres "Le triple jeu de l'art contemporain" et "La crise de l'art contemporain" respectivement, à la fin des années 1990, cette essai démontre l'efficacité du Web 2.0 dans le rapprochement des institutions, des artistes et du public. Ce dernier ce retrouve au centre de ce nouveau lieu où priment l'interactivité et la transparence. Mais la commercialisation du contenu du Web menace ce début d'équilibre...
Le monde de l'art contemporain dans le Web 2.0: une porte vers la vraie démocratisation de l'art ?
1. UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL
Essai sur
Le monde de l’art contemporain et le Web 2.0 :
La suprématie du public... mais pour combien de temps?
Par
Marianne Drolet-Paré
Certificat de Relations Publiques
Faculté de l’éducation permanente
Travail présenté à Patrice Leroux
Dans le cadre du cours REP2400
Internet et relations publiques
Le 2 novembre 2011
2. Marianne Drolet-Paré 2
Introduction
Cet essai porte sur une problématique qui me tient particulièrement à cœur : la démocratisation
de l’art. Tout au long de mon baccalauréat en histoire de l’art à l’Université du Québec à
Montréal, mais surtout pendant une maîtrise à l’Université Concordia dans la même discipline,
que j’ai abandonnée après une année, je me suis demandé : Mais à quoi tout cela sert-il, si le
public en a rien à faire ? L’art contemporain se dirige-t-il tout droit vers un mur ? Le cas échéant,
le mur serait blanc, dans une salle blanche dans un musée d’art contemporain financé à même les
fonds publics, par ceux-là mêmes qui évitent ces salles blanches.
Bien sûr que je ne suis pas la seule à me poser ces questions. En France, vers la fin des années
1990, deux auteurs évoquent une situation de crise et dénoncent la rupture grandissante entre le
public, les institutions muséales et les artistes. La lecture de La crise de l’art contemporain de
Yves Michaud et Le triple jeu de l’art contemporain, de Nathalie Heinich, m’a persuadée que le
public était le grand perdant de cet écart, suivi de près par les artistes qui, de plus en plus,
laissent les experts parler en leur nom.
Puis, sans prévenir, l’arrivée du Web 2.0, d’un lieu virtuel interactif d’échange d’informations et
d’images, permet aux artistes et au public d’être en conversation directe, encourage les
institutions à solliciter l’avis du public et ce dernier à devenir de plus en plus critique.
Les paragraphes qui suivent présentent tout d’abord cette fameuse crise de l’art contemporain et
les enjeux que Heinich et Michaud soulèvent dans leurs ouvrages respectifs : Le triple jeu de l’art
contemporain, qui est d’approche sociologique et La crise de l’art contemporain, qui est
d’approche plutôt historique et philosophique. Chacun d’eux explique la nature de cette crise en
3. Marianne Drolet-Paré 3
prenant des positions distinctes mais non opposées face aux enjeux majeurs de cette rupture
d’équilibre entre artistes, spectateurs et spécialistes. Si vous êtes un néophyte de l’art
contemporain, cette partie vous réconfortera dans votre incompréhension de l’art contemporain.
Toutefois, le ton y est légèrement plus académique.
Ensuite, la partie suivante démontrera, grâce à des exemples, comment le Web 2.0 apporte une
sorte de solution à cette crise. Alors, sommes-nous finalement aux portes de la vraie
démocratisation de l’art?
Partie 1
Point de départ : les origines de la crise
Traditionnellement, l’art était un privilège pour une élite très restreinte de la société, soit la
communauté royale ou religieuse. Depuis la révolution industrielle et l’apparition d’une
bourgeoisie capable de faire l’acquisition d’œuvres, l’art est devenu plus accessible, surtout
grâce aux impressionnistes, vers la fin des années 1860, qui se démarquèrent de l’académisme
officiel en peignant des sujets plus près de la réalité bourgeoise. Apparut ensuite Cézanne qui
influença le cubisme, ce qui engendra une succession de réductions, allant du formalisme à l’art
conceptuel en passant par l’art minimal. Ensuite, comme dit Yves Michaud, « il ne reste que le
vide, le rien, le blanc.1 » Dans le contexte des années 1990, l’art contemporain, supposément
dénué de sens, fait face à une crise majeure : la critique ne dénonce pas seulement le manque de
contenu des œuvres contemporaines, mais aussi le vide entre les artistes et leurs spectateurs et la
fracture entre les institutions muséales et le public qui n’y comprend rien.
1
Yves Michaud, La crise de l’art contemporain, Paris, Presses universitaires de France, 1997, p. 21.
4. Marianne Drolet-Paré 4
J’ai sélectionné ces ouvrages pour ma démonstration, car ils eurent un impact retentissant suite à
leur parution en 1997 et en 1998. Ils ont suscité un débat vif en France sur l’état de la situation du
monde de l’art contemporain qui a eu des répercussions jusqu’ici au Québec. Il est important de
mentionner les deux : Heinich et Michaud sont d’excellents exemples de la pensée générale de
l’époque, en particulier celui de Michaud, car son argumentation est basée sur une analyse des
publications sur le sujet dans la presse française. Tous étaient d’accord pour dire que le public
était rejeté, volontairement ou non, du monde de l’art contemporain.
Nathalie Heinich et Yves Michaud abordent tous deux le sujet de la crise de l’art contemporain
en critiquant et en dénonçant certains acteurs de la crise. Les attitudes des deux auteurs face à la
situation, leur approche et aussi leur champ d’expertise diffèrent. Heinich, sociologue de
formation, utilise une approche plus respectueuse du public, comme étant le grand exclu de la
partie de mains chaudes, terme qu’elle utilise pour décrire la crise de l’art contemporain. De son
côté, Michaud ne prend la défense d’aucun parti, mais préfère poser un jugement sur
l’argumentation des acteurs de la crise, tout en considérant aussi le public comme un exclu. Non
pas car le monde de l’art contemporain est trop hermétique, mais plutôt car ce public est tout
simplement désintéressé, muet, laissant la critique parler à sa place.
Nathalie Heinich
Heinich expose la crise sous la métaphore d’une partie de mains chaudes2 où il y a trois
participants, les artistes-émetteurs, les spectateurs-récepteurs et les spécialistes-médiateurs, qui
2
Il s’agit du jeu entre deux personnes ou plus où chacun place sa main à plat sur celle de l’autre à tour de rôle, et cela
de plus en plus vite.
5. Marianne Drolet-Paré 5
agissent parfois en collusion (artistes-musées), et d’autres fois font face à une rupture (artistes-
public, musées-public), où la loi de la transgression a remplacé la tradition.
Les artistes-émetteurs
Selon l’auteur, les artistes sont clairement du côté de la transgression à plusieurs niveaux. Il y a
la transgression esthétique où l’artiste tente de franchir constamment les limites de l’art, la
transgression juridique où entrent en jeu des participants qui normalement n’ont pas leur place
dans le monde de l’art, comme la police et la justice, dû à l’artiste qui outrepasse la loi au nom de
l’art3, et finalement la transgression morale où les propositions de l’artiste entrent en
confrontation avec des valeurs soutenues par la société. Cette nouvelle pratique transgressive est
paradoxale puisque l’artiste, forcé d’innover et de faire du nouveau, le fait soit en innovant ou en
ne faisant plus de nouveau, dans l’intention d’innover. Il est donc obligé d’être libre, de ne pas
obéir et d’ignorer les frontières de l’art, dans un système hautement hiérarchisé où l’autonomie de
l’artiste est donc limitée par la machine de l’art contemporain, qui encourage la transgression,
paradoxe que Heinich nomme le paradoxe permissif. Il consiste à rendre la transgression
impossible en l’intégrant dès qu’elle apparaît, avant même qu’elle ait été sanctionnée par le
public et le marché privé.4
Les spectateurs-récepteurs
Le public, lui, est exclu de ce paradoxe permissif, quoiqu’il soit, en général, scandalisé en tant
que témoin de cette art transgressif. Heinich se positionne en faveur du public et vient à son
secours en dénonçant la complicité entre artistes et musées qui encouragent le principe de la
3
Par exemple, l’œuvre de l’artiste Hervé Paraponaris qui a exposé dans un musée d’art contemporain des objets
qu’il avait volé en 1996. Consulté le site http://www.voltashow.com/Herve-Paraponaris.5511.0.html
4
Nathalie Heinich, Le triple jeu de l’art contemporain, Paris, Minuit, 1998, p. 338.
6. Marianne Drolet-Paré 6
surenchère, agrandissant ainsi de plus en plus le vide entre le grand public et l’art de qualité. Par
contre, le spectateur-récepteur n’a pas un rôle aussi éloigné du cercle de la transgression que cela.
À cause de cette fuite du public des espaces spécialisés, les artistes ont pour réaction d’envahir
les lieux publics, voulant de cette manière se rapprocher d’eux, de rendre l’art plus accessible,5
tandis que les musées, de leur côté, tentent de les éduquer en matière d’art.
Les spécialistes-médiateurs
Heinich dénonce ici le nouveau rôle de l’institution en tant que coproducteur de la proposition
artistique. Car de nos jours, il n’est plus de rigueur d’être un artiste reconnu par le marché pour
être intégré dans un musée. Ce dernier intègre la transgression avant même qu’elle soit rejetée par
le public ou la critique, créant ainsi un art « orienté vers le musée », un art officiel en quelque
sorte. Le musée serait donc devenu l’œuvre même, agissant comme le support, le châssis de l’art
contemporain. Pour Heinich, les institutions sont les coupables de la fracture entre l’art
contemporain et le public, car ils encouragent le principe de la triple surenchère au niveau de la
transgression, de la réaction et de l’intégration, en pratiquant le paradoxe permissif eux même: ils
transgressent les limites de l’art en repoussant sans cesse sa définition en intégrant des
propositions de plus en plus à la frontière de l’art. Cela engendre la création d’institutions
permissives capables d’accueillir ce genre d’œuvres aux limites de l’art, vu l’impossibilité des
lieux traditionnels de les intégrer, créant ainsi une plus grande fracture entre ces lieux et le public.
5
Voir ici l’ouvrage de Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, France, Les presses du réel, 2001 pour plus de
détail. Ce type d’intervention artistique n’avait pas encore été théorisé lors de la publication des livres de Michaud et
de Heinich.
7. Marianne Drolet-Paré 7
Les experts
Nathalie Heinich ajoute un dernier acteur dans cette crise qui comprend les experts et les
critiques, groupe dans lequel elle fait elle-même partie. Ces experts, selon Heinich, pourraient se
diviser en deux positions: ceux qui défendent les institutions et encouragent le paradoxe
permissif, et ceux qui dénoncent le trop grand pouvoir des musées à déterminer la valeur des
propositions artistiques, alors qu’ils en sont eux-mêmes les coproducteurs. L’auteur, en tant que
théoricienne, prend la position de dénonciatrice des institutions, au nom d’un public qui s’éloigne
de plus en plus.
Yves Michaud
C’est à ce moment que le texte de Michaud, philosophe de formation, entre en ligne avec son
inventaire des arguments et son analyse des fondements de ces derniers, qu’ils soient en faveur
ou en désaccord avec les rôles que jouent certains acteurs de la crise de l’art contemporain.
Les artistes
Pour Michaud, les artistes sont aussi du côté de la transgression puisqu’ils possèdent une
liberté illimitée sur les critères esthétiques. Cet état d’anarchie a mis sur pied un « règne du
n’importe quoi », où les critiques sont incapables d’établir des critères adéquats. Comme Heinich,
Michaud fait état de la situation des artistes qui sont contraints d’être libres, de faire ce qu’ils
veulent, dans un cercle dynamisé par la transgression des institutions qui les gardent captifs en les
encourageant.
8. Marianne Drolet-Paré 8
Le public
Contrairement à Heinich, Michaud expose deux attitudes du public face à l’art. Il y a celle où
l’art populaire s’intègre à l’art d’élite, comme dans le cas d’Andy Warhol, donnant naissance à
une invasion des foules dans les musées. Puis celle qui se rapproche plus de la position de
Heinich, qui, au nom de la démocratie, attaque l’art contemporain d’être trop hermétique pour le
grand public.
Les institutions
Ici, à travers les critiques, le texte de Michaud dénonce l’État culturel, qui, dans le but de
populariser l’art contemporain, encourage ce dernier en l’immunisant contre les rejets, ce qui
contribue au règne du n’importe quoi. Tout comme Heinich, les arguments exposés par Michaud
dénoncent ce nouvel art officiel qui est incompris du grand public, mais qui est pourtant produit
en fonction des attentes de ce dernier, dans l’intention de se rapprocher de lui afin de supprimer
l’écart entre le spectateur, l’artiste et le musée.
Grâce à l’élaboration des positions de Nathalie Heinich et de Yves Michaud, il est clair que
l’enjeu majeur de cette crise est le public, à la fois exclu de la dynamique transgressive et
victimes des effets pervers de la crise. Même si les institutions disent agir en son nom, ce sont
eux les coupables de l’écart entre le public, le musée et l’artiste, puisqu’ils encouragent des
propositions artistiques loin des goûts populaires et de leurs attentes. L’artiste est aussi victime de
la nouvelle loi transgressive puisqu’il perd de son autonomie en étant obligé d’innover, qu’il
fasse du nouveau ou pas. Ni Michaud ni Heinich proposent de solution à cet état de crise en art
contemporain, mais au moins pose un regard critique sur la situation.
9. Marianne Drolet-Paré 9
Partie 2
L’arrivée du monde de l’art dans le Web 2.0 : la fin de la crise?
Je me demande ce que Nathalie Heinich et Yves Michaud ont à dire sur l’impact de Web 2.0 sur
le monde de l’art contemporain. En attendant d’avoir leurs opinions sur le sujet, je tente mon
coup dans cette seconde partie de l’essai. Bien que non scientifique, mon analyse démontre qu’à
l’heure actuelle, le public s’insère lentement mais sûrement dans le monde de l’art contemporain
grâce aux possibilités d’échanges bidirectionnelles et symétriques, pour emprunter un terme
propre aux relations publiques, avec les artistes sans la médiation des experts et des institutions.
Les artistes trouvent aussi leur compte dans ce nouveau contexte puisque de plus en plus d’entre
eux n’ont plus à passer par le musée pour obtenir la reconnaissance du milieu. Pour ce qui est des
institutions officielles... elles essaient tant bien que mal de suivre.
L’ère de l’information dans laquelle nous vivons rend l’information disponible à un plus grand
nombre, pouvant se comparer à la révolution industrielle du XIXe siècle qui rendit possible
l’acquisition de biens vendus à meilleur marché. Cette révolution des modes de communication
réduit le temps et la distance entre les communautés et les individus à un point tel que nous
communiquons aujourd’hui en temps réel.
L’interaction au profit de la création artistique et des artistes
Depuis l’invention de la photographie (1839), le réalisme en art a toujours été sujet à débat :
qu’est-ce que le réel, de toute manière? Avec l’utilisation de l’Internet dans les pratiques
artistiques, le réalisme atteint un tout autre niveau, celui de l’interaction.
10. Marianne Drolet-Paré 10
En utilisant la télématique, qui est l’union de l’informatique et des technologies de
télécommunication, comme par exemple, la commande à distance de machines, le relevé distant
de compteurs, la commande de fonctions de son habitation ou de son bureau6, les artistes
permettent au public de participer à la création de l’œuvre. Le contrôle du participant devient plus
important que le contenu... interchangeant les rôles mêmes de l’artiste et du spectateur!7 Selon
Roy Ascott, le premier à avoir défini l’art télématique en 20038, démontre que l’interaction en art
est cruciale pour créer un système capable de transformer les comportements et la conscience des
spectateurs.
Aujourd’hui plus que jamais, certains artistes recherchent les possibilités d’échanges avec le
public et la communauté, qu’ils soient locaux ou étrangers. Cette volonté se compare à une
esthétique relationnelle, où l’artiste va à la rencontre du spectateur dans un lieu public choisi et
lui laisse la liberté de créer la signification de l’œuvre en interagissant avec elle. Or, la
comparaison s’arrête ici : l’esthétique relationnelle utilise le public à son insu, alors que l’art
télématique jouit d’un spectateur conscient de sa contribution artistique. Il s’agit là d’une vraie
interaction!9
La citation de Yves Michaud plus haut dans le texte, disant que l’art contemporain se
dématérialise tellement qu’un jour il ne restera que le vide, le rien, le blanc, se prouve de plus en
6
Pour une définition de l’art télématique : http://fr.wikipedia.org/wiki/T%C3%A9l%C3%A9matique
7
Je vous invite à consulter le site web de la Fondation Daniel Langlois sur ce sujet : http://www.fondation-
langlois.org/html/f/page.php?NumPage=137
8
Roy Ascott, Telematic Embrace: Visionary Theories of Art, Technology, and Consciousness. (Ed.) Edward A.
Shanken. Berkeley, CA:University of California Press, 2003
9
À voir : une œuvre télématique se déroulant à la fois à Toronto et à Amsterdam :
http://www.youtube.com/watch?v=Fdi5cohMpz4&feature=related et voici un autre exemple de projet plus ludique :
http://en.wikipedia.org/wiki/Web_2.0_Suicide_Machine
11. Marianne Drolet-Paré 11
plus vraie. Ce blanc peut maintenant représenter un ordinateur Mac, si vous voulez! Comme le
démontrent les exemples d’œuvres dans les paragraphes précédents, l’art actuel a tendance à se
dématérialiser et à tendre vers l’événementiel. Sans caméra vidéo ni appareil photo ni ordinateur
ni Internet, impossible de partager ce type d’art. L’Internet et le Web 2.0 ont contribué à
l’expansion d’une nouvelle forme d’expression en devenant le support et le cadre des œuvres
éphémères, immatérielles et événementielles.
Les artistes qui contribuent à ce courant partagent leurs œuvres sur le World Wide Web (WWW)
gratuitement à tous ceux qui ont accès à l’Internet. Ces œuvres ne peuvent donc plus s’orienter
vers les musées, comme le dénoncaient Heinich et Michaud, car elles échappent à la simple
contemplation. De plus, les confiner dans un lieu physique va à l’encontre des visées
d’interactivité et d’accessibilité de ces œuvres.
Avec l’avènement du Web 2.0, il existe maintenant plusieurs plateformes où les artistes
peuvent partager leurs projets, quel que soit le type, et les soumettre à la critique du public, en
évitant l’étape traditionnelle de la critique d’art conventionnelle. Je vous donne ici des
exemples, sans aller dans les détails et les définitions, puisque je présume que votre expertise
sur le sujet est bien plus grande que la mienne : les blogs, les médias sociaux (Facebook,
Twitter, Myspace, YouTube, etc.), Flickr, pour ne nommer que les plus connus.
Dans le marché de l’art actuel, il y a plusieurs galeries traditionnelles qui oeuvrent autant en
ligne qu’en « vrai ». L’entreprise virtuelle coûtant moins cher que la réelle, les galeries exigent
des artistes une commission moins élevée. Un site Web profite de visites beaucoup plus
nombreuses que dans la vraie galerie. Mais elle n’encourage pas l’interaction entre l’artiste et
12. Marianne Drolet-Paré 12
son public, car le marchand s’interpose entre les deux. Aussi, ces galeries d’art semblent
toujours privilégier les formes d’art plus traditionnelles.
Pourtant, l’art télématique n’échappe pas complètement au marché. Les artistes avec des sites
web personnels ont la liberté de promouvoir leur art sans l’interférence d’une galerie
commerciale. Toutefois, il leur faut souvent choisir entre faire de l’art ou faire des ventes, car
la promotion et la recherche d’acheteurs potentiels s’avère très énergivore.
Il existe aussi une panoplie de galeries d’art virtuelles sur le Web qui permettent à des artistes
d’exposer leurs œuvres gratuitement, sous forme d’exposition solo ou collective, et de les
vendre sans avoir à laisser une commission au propriétaire d’une galerie d’art traditionnelle.10
Ici, l’accessibilité à des œuvres de tous les styles et de toutes les origines profite autant au
public qu’aux artistes. Les prix sont plus abordables, certes, mais les profits vont directement
aux artistes, contrairement aux grandes ventes aux enchères d’art contemporain qui brisent des
records de vente, dont les gains financiers retombent très rarement dans les poches des
artistes.11 Aussi, il y a possibilité d’échanges entre l’artiste et son public. Encore une fois, nul
besoin du critique d’art pour juger l’œuvre et parler au nom de l’artiste. Il ne faut pas non plus
ignorer le fait que le Web 2.0 donne la chance aux artistes « rejetés » des circuits traditionnels
de l’art d’obtenir plus de visibilité, et ce, à l’échelle internationale.
10
Il suffit de taper l’expression « galerie d’art virtuelle » dans un moteur de recherche et vous obtiendrez une
panoplie de sites offrant ce service.
11
Je parle ici surtout des deux grandes maisons de ventes aux enchères qui monopolisent le marché de la revente
dans le monde : Christie’s, basée à Londres, et Sotheby’s, à New York.
13. Marianne Drolet-Paré 13
La présence accrue des artistes et de leurs œuvres sur le Web 2.0 engendre l’interaction avec
d’autres artistes et de nouveaux publics. La loi de la transgression présentée par Nathalie
Heinich est maintenant encouragée ou dénoncée par le public qui y participe, et non par les
musées. Puisque l’art télématique défie toutes formes de frontières, il ne pourra jamais devenir
art officiel.
Le public-Dieu : le nouveau pouvoir du spectateur sur la destiné finale de l’oeuvre
Le public délaisse les musées d’art contemporain au profit du WWW : c’est gratuit et libre à lui
de créer son propre parcours. On pourrait lui reprocher de n’être exposé qu’à des œuvres qui ne
répondent qu’à ses goûts et ses valeurs et de ne plus être confronté à de l’art qui pourrait
ébranler ses convictions. Mais cela est vrai pour l’Internet en général, et même dans un musée,
nous passons tout droit devant des œuvres qui ne nous intéressent pas. Et l’art n’est-il pas au
fond une question de subjectivité?
Grâce aux médias sociaux, le public, vous en fait, est un intermédiaire, un diffuseur et un
critique. Lorsque vous aimer une vidéo sur YouTube et la partager sur votre page Facebook,
vous la jugez : est-il bonne ou mauvaise? , vous le critiquez en laissant un commentaire, vous
contribuez à l’augmentation de sa popularité, et vous la diffuser tout comme un magazine d’art
spécialisé le ferait. Vous pouvez même faire tout cela lors d’une visite dans un musée ou d’une
balade dans un parc!
Le public est de plus en plus curieux et avide de nouvelles expériences et d’informations. Le
Web 2.0 lui permet d’assouvir ces désirs, soit par le biais d’une participation à une œuvre
digitale, soit par la visite d’une galerie ou d’un musée virtuels, soit par le visionnement et le
14. Marianne Drolet-Paré 14
partage d’œuvres dans ses réseaux sociaux. Dans chaque situation, il n’y a aucun contact avec
une œuvre physique.
Le public est aussi commissaire d’exposition. La nouvelle popularité de la curation web n’est
pas une tendance à négliger. Des sites comme www.storify.com et www.scoop.it permettent à
leurs utilisateurs de rassembler et de sélectionner de l’information provenant de sources
multiples, des œuvres d’art ou des articles sur le sujet dans notre cas, sur une même page web.
L’expression même de « curation » a été empruntée au monde de l’art.12 Si l’aspect narratif est
souvent délaissé en curation, je suis prête à parier qu’elle n’y échappera pas dans un avenir
rapproché. Ainsi, la curation web se rapprochera de plus en plus du métier de commissaire
d’exposition. Le Web 2.0 permet d’ajouter une nouvelle dimension à l’œuvre que le
commissaire ne peut tenir compte dans un contexte d’exposition conventionnel. Toutefois,
ayant fait des études en histoire de l’art, je ne suis toujours pas convaincue que la curation
remplacera le commissaire traditionnel. L’œuvre à son état d’objet aura toujours besoin d’un
expert pour lui faire raconter une facette de son histoire. L’expert a accès à des sources
premières historiques dont ne peut profiter le grand public sans l’aide d’un commissaire.
Les institutions officielles mises à nu... et parfois mal à l’aise
Nathalie Heinich et Yves Michaud blâment les institutions officielles d’encourager un art
incompris du grand public, pour ensuite essayer d’éduquer ce dernier en la matière. Mais qui
veut se faire dire quoi penser? Le public ne se satisfait désormais plus des discours officiels
unidirectionnels et va chercher ailleurs, car il a son mot à dire!
12
Pour en savoir davantage : http://effetdepresence.blogspot.com/2011/02/la-curation-au-dela-du-hype.html
15. Marianne Drolet-Paré 15
Le Web 2.0 exige de la transparence de la part des institutions officielles, qui appartiennent
parfois à l’État. Les musées sont de moins en moins réticents à partager leur savoir et leurs
collections gratuitement sur le WWW, au grand plaisir du public et des artistes. Ils prennent
plus de temps à s’engager dans les médias sociaux, car ils sont des organisations plus lourdes et
difficiles à changer. Il faut d’abord que des mentalités évoluent et que certains apprennent à
utiliser ces nouveaux outils adéquatement. Un manque de budget chez certaines institutions les
empêche de participer à la conversation, puisque la présence sur le Web 2.0 requiert temps et
argent : il faut un employé entièrement dédié et expérimenté en médias sociaux. Une présence
irrégulière, un commentaire de mauvais goût ou erroné peut être tout aussi dommageable et
même plus qu’aucune présence du tout pour un organisme! En plus en art contemporain, où la
réputation est si importante.
L’article de Beth Kanter, Arts Organizations and Artists 2.0 : Social Media for Arts people cite
de nombreux exemples d’organisations à vocation artistique qui ont adopté le virage 2.0, que
ce soit avec des blogs, Flickr, Facebook, Twitter.13 J’aime particulièrement le YouTube
Channel du musée d’art moderne de New York (MoMA) qui dévoile l’arrière-scène du musée
ou la démarche artistique d’artistes contemporains, sous forme de courtes vidéos.14
L’art télématique propose aussi de nouveaux défis pour les musées et les collectionneurs d’art :
comment gérer la collection, la préservation et la présentation de ces œuvres éphémères et
interactives? Ont-elles leur place dans un musée ou une collection privée? Les institutions
d’enseignement d’histoire de l’art et de muséologie n’offrant pas de formation en art digital, les
13
Beth Kanter, http://www.blogher.com/arts-organizations-and-artists-2-0-social-media-arts-people?page=0,1
14
Exemple : http://www.youtube.com/user/MoMAvideos
16. Marianne Drolet-Paré 16
experts doivent apprendre d’eux-mêmes ou tout simplement exclure cette forme d’art de leur
musée.
Je tiens aussi à dénoncer une certaine hypocrisie des musées qui prônent l’accessibilité
universelle de l’art en le conservant et le présentant au public, mais qui à la fin, profitent de sa
commercialisation et de son exclusivité en installant des boutiques de plus en plus vastes qui
vendent des articles à prix ridiculement élevé. En passant, les prix exorbitants de ces objets, qui
souvent sont des répliques fait en Chine d’œuvres d’art archi connues, profitent plus à des
compagnies internationales qui ont acheté les droits de propriété de l’image de ces œuvres
qu’aux musées qui en vendent les produits dérivés. Alors, avez-vous vraiment besoin d’un
parapluie signé Monet?
L’envers de la médaille : droit d’auteur, démocratie et capitalisme
Comme l’indique Franklin Einspruch dans son article The new center of the art world15 le
combat des artistes à faire respecter leur droit d’auteur se compare à la bataille de l’industrie de
la musique contre les sites de téléchargement gratuit de chansons. La majorité d’entre nous
consomme de la musique en mp3 et il est normal de penser que nous consommerons l’art via le
web dans peu de temps.
La thèse de maîtrise de Mamta B. Herland, Internet and the New Web Art : Meaning and
Consequence16 sur le site de MOCA, le Museum of Computer Art, m’a inspiré cette section-ci,
car elle fait un portrait assez pessimiste de l’avenir de l’art sur le WWW. Les problématiques
15
Franklin Einspruch, http://artblog.net/?name=2009-07-30-10-15-center
16
Mamta B. Herland, http://moca.virtual.museum/editorial/mamtathesis3.asp
17. Marianne Drolet-Paré 17
liées au droit d’auteur digital et de propriété menacent l’idéologie de gratuité et de démocratie de
l’Internet à cause de grandes compagnies mondiales, comme Corbis, qui achetent les droits de
reproduction d’images des grands musées, tels que le Louvre et l’Hermitage. En commercialisant
de plus en plus le contenu du WWW, ce sont les investisseurs, et non le public et les artistes qui
profiteront de l’art. Dans ce contexte, le Web 2.0 qui prône le partage et l’interactivité ne pourra
plus prendre part à la démocratisation de l’art. Voici un extrait tiré de la thèse de Herland :
« When buying a piece of art is just a click and a credit card away, and with massive
advertising by large international players influencing local buyers to buy
internationally "known" names as an "investment", the survival of the local art market
and the local artist is at risk. Walter Benjamin might not after all be so impressed by
the Web as a democratic space for art.17 »
En effet, il n’y a pas que des entreprises qui contrôlent la diffusion de l’art, il y a aussi des états
qui utilisent de plus en plus la censure. Un exemple parfait est la Chine où Facebook n’est
accessible qu’en piratant son ordinateur. L’artiste chinois Ai Weiwei a même été emprisonné
pour avoir contesté les politiques de son pays via son blog.18
17
Ibid.
18
Pour lire sur l’emprisonnement d’Ai Weiwei : http://articles.latimes.com/2011/aug/20/entertainment/la-et-ai-
weiwei-20110820
18. Marianne Drolet-Paré 18
Conclusion
Aujourd’hui, je fais un certificat en relations publiques. La démocratisation de l’art étant ma
préoccupation principale, j’aspire à l’amélioration du dialogue entre les publics, les artistes et
les musées. Puisqu’au fond, cette crise de l’art contemporain soulevée par Heinich et Michaud
n’est qu’un échec de communication. Le Web 2.0 force de plus en plus d’experts et
d’institutions à orienter leur discours vers le public et d’être à son écoute. Les musées ne
peuvent plus se permettre d’entretenir une conversation à l’écart du monde extérieur.
Comparer l’état de la pensée des experts en art contemporain à l’époque de la fin des années
1990, avant l’arrivée du Web 2.0, avec la situation actuelle démontre qu’un changement de
mentalité est entamé et qu’il y a bel et bien un dialogue entre le public, l’artiste et l’institution,
bien que inégal. Toutefois, une réelle démocratisation de l’art restera à tout jamais une utopie,
à moins que le droit d’auteur digital ne soit abolit.
19. Marianne Drolet-Paré 19
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